Décision

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Décision

Marquez Vilo c. Tcheutchoua Peughouia

2018 QCRDL 38051

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

350408 31 20170809 G

No demande :

2307025

 

 

Date :

20 novembre 2018

Régisseure :

Camille Champeval, juge administrative

 

Nelly Marquez Vilo

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jacky Tcheutchoua Peughouia

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N   I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]      La locataire demande l’émission d’une ordonnance de sauvegarde dans l’attente de procéder sur le fond de sa demande, remise à une date ultérieure en raison de la longueur estimée de l’audience.

[2]      À l’audience, elle se désiste de sa demande contre Emmanuel Peughouia, qui n’est pas locateur au bail.

[3]      La sœur de la locatrice est dûment mandatée par celle-ci afin de la représenter à l’audience.

L’objet de l’ordonnance interlocutoire

[4]      La locataire habite le sous-sol de l’immeuble. La cuisine du logement est située à l’arrière du bâtiment.

[5]      Deux portes devaient auparavant être traversées avant d’atteindre la cuisine. La première, donnant sur l’extérieur, menait à quelques marches de béton et à la seconde porte, qui elle, s’ouvre sur la cuisine.

[6]      Au printemps 2018, des travaux sont exécutés par les locateurs, modifiant la structure extérieure entourant la sortie de la cuisine de la locataire. Ainsi, une partie du mur a été retirée, supprimant du même coup la porte extérieure.

[7]      C’est donc dire que désormais, la porte de la cuisine donne également sur l’extérieur de l’immeuble.

[8]      Cette porte ne peut être verrouillée de l’extérieur. Elle ne comporte pas de poignée conventionnelle, mais plutôt un loquet devant être soulevé pour en permettre l’ouverture.[1]

[9]      De l’intérieur, cette porte se verrouille par deux loquets à verrous coulissants.[2]

[10]   La locataire demande une ordonnance du Tribunal visant à assurer l’installation d’un mécanisme de verrouillage approprié sur cette porte.


[11]   Elle explique vivre dans la crainte d’une entrée par effraction, ajoutant que de tels incidents se sont produits par le passé. Son vélo a été volé lors d’un incident en 2017, et elle a pu remarquer que des papiers avaient disparu lors d’une autre occasion.

[12]   De plus, les deux loquets à verrous coulissants fonctionnent difficilement, ajoute-t-elle.

[13]   La locataire cale un couteau dans l’interstice de la porte et du mur, pour en bloquer l’ouverture[3]. Elle va même jusqu’à pousser des meubles contre la porte pour s’assurer que personne n’entre dans le logement.

[14]   La locatrice conteste le bien-fondé de l’ordonnance de sauvegarde, alléguant l’absence d’urgence.

[15]   La position de la locatrice est à l’effet que la locataire vit avec des problèmes allégués d’entrées par effraction depuis 2017, voire 2016. Comment peut-elle prétendre qu’il s’agit d’une situation urgente?

Droit et analyse

[16]   Dans l'affaire Martin (Succession de) c. Duchesneau[4], la juge administrative Sylvie Lambert énonce les principes applicables à l'émission d'une ordonnance de sauvegarde comme suit :

« L'article 9.8 de la Loi sur la Régie du logement prévoit :

« 9.8. La Régie et ses régisseurs sont investis des pouvoirs et immunités d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'imposer une peine d'emprisonnement.

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes les ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions. »

[21] L'ordonnance de sauvegarde est un remède extraordinaire qui doit être émis en présence d'une situation urgente dans l'attente de l'audition sur le fond. Il s'agit d'une mesure temporaire visant à rétablir l'équilibre entre les parties. [1]

[22] Le Tribunal conclut, vu la preuve faite, qu'il y a clairement inexécution des obligations de donner accès au logement, qu'il y a urgence de la situation, un préjudice sérieux pour les locateurs et que la balance des inconvénients penche en faveur des locateurs. [2]

[23] Quant à l'ordonnance d'accès pour effectuer les travaux, l'ordonnance émise se limitera aux actions urgentes à poser. En effet, en l'absence de la présentation de la preuve complète, l'ordonnance de sauvegarde ne doit pas décider du fond du litige. [3] (citations omises) »

[17]   Quatre critères doivent donc être rencontrés avant d’émettre une ordonnance de sauvegarde : l’apparence de droit, l’urgence, le préjudice sérieux et la balance des inconvénients.

[18]   Seul le critère de l’urgence fait ici l’objet d’une contestation par la locatrice.

[19]   Deux interrogations doivent être résolues dans l’analyse de ce critère.

[20]   Tout d’abord, le seul écoulement du temps éteint-il le caractère urgent d’une situation donnée?

[21]   Le Tribunal répond par la négative à cette interrogation.

[22]   Voici pourquoi.

[23]   La locataire introduit son recours à la Régie du logement le 9 août 2017. Déjà, le problème de la porte et de l’absence de serrures adéquates y est soulevé. La locataire mentionne ne pas se sentir en sécurité chez elle.

[24]   Son procureur comparaît au dossier le 11 janvier 2018.


[25]   Celui-ci dépose en preuve deux missives expédiées au procureur de la locatrice, la première datée du 28 mai 2018, la seconde du 17 octobre 2018. Dans ces deux lettres, l’absence d’un mécanisme de verrouillage approprié est dénoncée.

[26]   Le dossier est fixé sur le rôle du 2 novembre 2018. Considérant le temps estimé pour procéder sur l’ensemble du litige, les parties conviennent alors de remettre le dossier à une date subséquente. Ce n’est qu’à cette date qu’une demande d’ordonnance de sauvegarde a pu être formulée au Tribunal.

[27]   Le Tribunal constate, au vu de la chronologie établie ci-haut, que la locataire a dénoncé le problème lié à la porte de la cuisine au mois d’août 2017, si ce n’est pas avant. Son procureur a également tenté de faire exécuter volontairement les obligations de la locatrice, sans succès.

[28]   La locataire ne peut subir les conséquences des délais administratifs attribuables au grand volume de dossiers traités à la Régie du logement. Le Tribunal considère que la locataire a utilisé les moyens mis à sa disposition pour tenter de corriger la situation le plus rapidement possible.

[29]   Ainsi, le seul écoulement du temps ne permet pas de conclure à l’absence d’urgence de la situation rapportée par la locataire.

[30]   Ceci étant, qu’en est-il de la nature même de la demande?

[31]   Le Tribunal ne peut, après audition de la preuve, déterminer le bien-fondé des allégations de la locataire quant à de possibles entrées par effraction dans son logement. Aucun rapport de police n’est déposé en preuve. Son témoignage manque de clarté.

[32]   De plus, le problème lié au verrouillage déficient de la porte est soulevé en 2017, alors qu’il y avait encore deux portes à franchir avant d’accéder au logement. La locataire explique que la porte extérieure d’alors ne se verrouillait pas plus avec une clé. Elle disposait d’un crochet et d’une poignée avec serrure intégrée.

[33]   Le Tribunal estime cependant que la preuve des entrées par effraction n’est pas nécessaire à ce stade pour statuer sur la demande de la locataire.

[34]   Il est en effet admis que la porte de la cuisine ne peut être verrouillée de l’extérieur. La locataire ne peut accéder au logement par la porte de la cuisine avec une clé, carte magnétique ou autre dispositif de contrôle.

[35]   Considérant l’article 61 du Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements.

« 61. Toute porte d'entrée principale ou secondaire d'un logement doit être munie d'un mécanisme de verrouillage approprié qui permet l'accès au logement avec une clef, une carte magnétisée ou un autre dispositif de contrôle. Lorsqu’une telle porte donne sur une issue de secours ou un accès à une issue de secours, le verrouillage doit s’effectuer uniquement au moyen de la clef, de la carte magnétique ou de tout autre dispositif de contrôle, et non automatiquement sur fermeture de la porte. »

[36]   Considérant l’article 1854 du Code civil du Québec, lequel prévoit l’obligation pour le locateur de procurer la jouissance paisible des lieux au locataire, ce qui inclut l’obligation de lui assurer sa sécurité ;

[37]   Considérant l’affaire Gariepy c. Société D'Habitation et de Développement de Montréal[5], dans laquelle la juge administrative Sophie Alain s’exprime ainsi sur l’obligation de sécurité:

« La sécurité contre le vol implique que le locateur doit protéger l'accès sous sa responsabilité par des serrures, veiller contre un accès trop facile aux lieux loués et il doit voir à ce que les portes et fenêtres soient munies de systèmes de fermeture adéquats. »

[38]   Considérant que la preuve soumise met en évidence l’urgence, l’apparence de droit, le préjudice sérieux subi par la locataire de même que la balance des inconvénients;

[39]   Le Tribunal prononce l’ordonnance de sauvegarde suivante, prenant en compte la suggestion commune des parties quant aux délais applicables pour son exécution:


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]   ORDONNE à la locatrice d’installer un mécanisme de verrouillage approprié sur la porte arrière du logement de la locataire, et ce, dans un délai de dix jours suivant la présente décision, ou, à titre subsidiaire, dans un délai déterminé de consentement entre les parties et leurs procureurs respectifs;

[41]   ORDONNE à la locatrice de donner un préavis écrit d’un délai minimal de 24 heures à la locataire ou son procureur avant de procéder aux travaux requis;

[42]   ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel;

[43]   RÉFÈRE le dossier à la mise au rôle pour la convocation des parties pour une journée complète.

 

 

 

 

 

 

 

 

Camille Champeval

 

Présence(s) :

la locataire

Me Julien Delangie, avocat de la locataire

la mandataire de la locatrice

Me Kenneth Zigby, avocat de la locatrice

Date de l’audience :  

2 novembre 2018

 

 

 


 



[1]    Pièce L-2.

[2]    Pièce L-3.

[3]    Op cit note 3.

[4]    Martin (Succession de) c. Duchesneau, R.D.L., 2015-02-11, 2015 QCRDL 4668, SOQUIJ AZ-51150357.

[5]    2017 QCRDL 35607.

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