Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Baës c. 9126-3426 Québec inc.

2020 QCTAL 9513

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

460228 31 20190510 G

No demande :

2759533

 

 

Date :

03 décembre 2020

Devant la juge administrative :

Sophie Alain

 

Johanna Baës

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

9126-3426 Québec inc.

 

Andrei Trubetskoi

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 10 mai 2019, la locataire demande une diminution de loyer, plus des dommages-intérêts en raison de la présence de punaises de lit.

[2]      Les parties étaient liées par un bail reconduit du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 605 $, en plus d’assumer les frais d’électricité, de chauffage et d’internet.

[3]      La locataire a quitté le logement à la suite d’une cession de son bail au 31 janvier 2019.

[4]      La preuve n’est pas contestée, vu l’absence des locateurs.

Questions en litige

[5]      La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer ?

[6]      Les locateurs ont-ils commis une faute ? Auquel cas, quels sont les dommages à octroyer ?

Contexte

[7]      Le 3 novembre 2018, la locataire informe le concierge de l’immeuble, Pierre Tremblay, de la présence de punaises de lit dans son logement.

[8]      Le concierge l’avise fermement de ne pas en parler aux autres locataires de l’immeuble.


[9]      Aussi, il exige qu’elle traite elle-même le logement. Pour ce faire, le 6 novembre, Mostapha Elazab[1] accompagne la locataire chez Abiosphère, une entreprise d’extermination, pour louer une machine à vaporiser. La location est assumée par les locateurs, mais le travail doit être effectué par la locataire.

[10]   La locataire vaporisera son logement durant une journée entière. Cependant, elle voit à nouveau des punaises de lit. Elle se plaint à nouveau au concierge le 11 novembre.

[11]   Un exterminateur inspecte le logement le 15 novembre et jusqu’au jour du départ de la locataire, le 31 janvier 2019, cinq traitements d’extermination seront effectués.

[12]   La locataire réagit fortement aux piqûres de punaises de lit, elle devra donc, à plusieurs reprises, dormir ailleurs.

[13]   En revanche, pour ne pas importer de punaises de lit ailleurs, elle doit suivre un protocole à son arrivée chez les personnes qui l’hébergeront. Elle a vécu de l’isolement social en raison des punaises de lit.

[14]   Elle a donc cédé son bail, tout en avertissant le cessionnaire de la problématique.

[15]   Le 18 mars 2019, la locataire met en demeure les locateurs de l’indemniser, mais les locateurs ont refusé de quérir les envois postaux auprès de Postes-Canada.

[16]   La locataire introduit son recours le 10 mai 2019. Le 13 mai, Mostapha Elazab répond par courriel :« Hi You have no case. you will be wasting your time and Money »[2].

Droit applicable

[17]   Le locateur assume, entre autres, l'obligation de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement[3], le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité[4] et l'exécution de toutes les réparations nécessaires, sauf celles qui sont purement locatives[5].

[18]   L’obligation au locateur de procurer la libre jouissance des lieux loués constitue l’essence même du bail, une obligation fondamentale et essentielle. Cette obligation en est une de « résultat ».

[19]   En présence d’un trouble anormal et persistant, l’article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.) donne trois options au locataire selon les circonstances : l’exécution en nature, la résiliation du bail ou la diminution du loyer, avec ou sans dommages-intérêts.

[20]   En présence de punaises de lit, à moins de négligence prouvée du locateur, le régime de droit applicable est le trouble du fait d'un tiers selon les termes de l'article 1859 C.c.Q. Ce principe fut longuement analysé dans la décision Marcotte c. Garita Enterprises Inc.[6]

[21]   Cependant, les comportements fautifs ou négligents après l'apparition des punaises de lit pourront entraîner la responsabilité de leur auteur. Dans ces cas, la cause du dommage ne pourrait plus être assimilée au fait d'un tiers et les autres régimes de responsabilité pourraient conséquemment trouver application, entraînant la responsabilité du locateur ou du locataire. Il pourrait s'agir, notamment, de l'inaction ou du défaut du locateur de recourir à des services d'extermination reconnus, et ce, avec diligence.

Décision

·         La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer ?

[22]   La locataire réclame une diminution de loyer de 50 % de novembre 2018 à janvier 2019[7].

[23]   Essentiellement, la diminution du loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie par la locataire, en raison de l'inexécution des obligations du locateur.

[24]   La présence de punaises de lit diminue substantiellement l’habitabilité d’un logement.


[25]   La locataire a subi une perte de jouissance et de valeur locative des lieux loués, en plus de subir tous les désagréments expliqués à l’audience.

[26]   D’ailleurs, le Tribunal rappelle au locateur qu’il est de connaissance du Tribunal administratif du logement que les punaises de lit s’infiltrent et se cachent de la lumière du jour dans les interstices qu’elles trouvent (planchers, plaques murales, plinthes ou ailleurs). Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas les apercevoir au premier coup d’œil que cela signifie que les lieux en sont exempts.

[27]   La preuve est prépondérante que le locateur n’a pas procuré la pleine jouissance des lieux loués, car la locataire a subi une perte de jouissance des lieux loués sérieuse, significative et substantielle.

[28]   Le Tribunal estime juste et raisonnable d'accorder à la locataire une diminution de loyer globale pour la perte de jouissance et de valeur locative de 900 $ (environ 49 %). Ce montant tient compte que la locataire a eu des réactions sévères aux piqûres de punaises de lit, qui l’ont obligée à dormir ailleurs.

·         Les locateurs ont-ils commis une faute ? Auquel cas, quels sont les dommages à octroyer ?

[29]   Oui. Les locateurs devaient mandater immédiatement un exterminateur pour éradiquer les punaises de lit, et non pas exiger à la locataire de traiter elle-même son logement, et ce, même si les locateurs ont payé la location de la machine à vapeur.

[30]   En raison de l’inexécution des obligations d’un locateur, un locataire peut être dans l’obligation d’assumer des dépenses pour divers motifs. C’est le cas en l’instance.

[31]   Le Tribunal accorde 300 $ à titre de dommages-moraux pour l’ensemble des troubles, ennuis, problèmes cutanés et inconvénients découlant de la négligence des locateurs dans l’extermination des punaises de lit. Il octroi 184 $ à titre de dommages matériels. En revanche, le Tribunal rejette la réclamation pour perte de revenus, puisqu’il s’agit d’un préjudice indirect[8].

[32]   Les frais applicables sont adjugés contre la partie défenderesse selon le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement[9].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]   ACCUEILLE, en partie, la demande;

[34]   CONDAMNE les locateurs à payer 1 384 $ à la locataire, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 10 mai 2019, plus les frais de 109 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

la locataire

Date de l’audience :  

24 novembre 2020

 

 

 


 



[1] Premier actionnaire et administrateur du locateur 9126-3426 Québec inc.

[2] Pièce L-2.

[3] Article 1854 C.c.Q.

[4] Article 1910 C.c.Q.

[5] Article 1864 C.c.Q.

[6] Marcotte c. Garita Enterprises inc., 2013 QCRDL 21867.

[7] Le Tribunal a modifié le calcul effectué par la locataire (montants à titre de dommages matériels plutôt que diminution de loyer), tel que permis par l’article 2 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement (référence à venir).

[8] Articles 1607 et 1613 C.c.Q.

[9] Le titre du Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1, r. 6 est remplacé, depuis le 31 août 2020 par le Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement (référence à venir). Cette réforme découle de l’adoption d’une Loi du Québec de 2019 (2019, c. 28) accessible sur le site Internet http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/home.php. La locataire a notifié sa demande au domicile des locateurs, comme en fait foi les trois vidéos produits.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.