Testoni c. Grilo |
2020 QCRDL 10459 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
442304 31 20190208 G |
No demande : |
2686766 |
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Date : |
21 avril 2020 |
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Régisseur : |
Claude Fournier, juge administratif |
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Tanya Testoni |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Mario Grilo |
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Locateur - Partie défenderesse |
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et |
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Sanae EddelJI |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] La locataire demande une diminution de loyer de 50 $ par mois, rétroactive au 1er juin 2018, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et la condamnation du locateur au paiement des frais.
[2] Le locateur a appelé en garantie la locataire Sanae Eddelji pour qu’elle soit condamnée à l’indemniser dans l’éventualité où la demande de la locataire serait accueillie.
Les faits
[3] Les parties sont liées par un bail de logement débuté en mai 2018 et actuellement reconduit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 600 $.
[4] Le logement concerné est situé à l’étage d’un triplex, le logement du locateur au rez-de-chaussée et deux logements de 3 ½ pièces à l’étage.
Témoignage de la locataire
[5] La locataire témoigne que les problèmes ont débuté lorsque la locataire Sanae Eddelji a emménagé dans le logement voisin du sien en juin ou juillet 2018.
[6] Elle déclare que le 1er événement est survenu peu de temps après son arrivée. À cette occasion, sa voisine s’est mise à frapper sur le mur mitoyen en fin d’après-midi alors qu’elle regardait la télévision.
[7] Elle dit que ce comportement s’est reproduit au moins une fois par semaine et que sa voisine n’est jamais venue la voir pour s’expliquer.
[8] Elle dit avoir appelé plusieurs fois le locateur pour lui demander de raisonner sa voisine.
[9] La locataire affirme avoir eu pour réponse du locateur que sa voisine se plaignait qu’elle faisait du bruit, qu’elle marchait d’un pas trop lourd, etc.
[10] Le 1er août 2018, alors qu’elle soupait avec une amie dans la cuisine, la locataire Eddelji est sortie sur le balcon arrière et a crié après elles durant cinq à dix minutes. Elle a fermé sa porte et a appelé le locateur, lequel n’a pas répondu.
[11] À une autre occasion, le ou vers le 12 octobre 2018, sa voisine se serait mise à crier vers 3 h 00 du matin et elle a appelé la police.
[12] Le 12 octobre 2018, elle a transmis au locateur une mise en demeure l’enjoignant à régler le problème de comportement violent de sa voisine.
[13] Elle déclare que la situation n’a vraiment changé qu’à la suite du départ de sa voisine en avril 2019, lorsqu’elle est déménagée.
[14] Elle déclare que même si elle a ou avait fait du bruit, le comportement de sa voisine qui crie après elle et cogne sur les murs était inacceptable, que sa voisine aurait dû venir s’expliquer.
[15] La locataire témoigne que les réactions violentes de sa voisine lui ont causé de l’anxiété, qu’elle ne se sentait pas bien dans son logement, qu’elle craignait de marcher, d’inviter des amis, d’écouter la télévision, etc.
[16] Elle déclare qu’elle s’est absentée de l’école en raison de toute cette situation qui l’a rendue malade.
[17] Elle dit que depuis le départ de sa voisine, ça va bien. Il y a une nouvelle locataire et il n’y a pas de problème.
[18] En contre-interrogatoire, elle déclare qu’elle poursuit des études de niveau secondaire du lundi au vendredi toute la journée et qu’elle travaille dans un café-bar, de soir, deux jours par semaine (19 h 00 à 3 h 00 du matin) et de jour le samedi (11 h 00 à 19 h 00).
[19] Elle nie avoir déjà utilisé sa laveuse durant la nuit.
[20] Elle affirme n’avoir jamais crié à l’endroit de sa voisine.
Témoignage de Josianne Lapierre
[21] Elle est une amie d’enfance de la locataire.
[22] Le 1er août 2018, elle est allée chez la locataire pour souper.
[23] Alors qu’elles mangeaient dans la cuisine, la voisine est sortie sur le balcon et s’est mise à crier. Elles n’étaient que toutes les deux, il n’y avait pas de musique et elles parlaient seulement.
[24] Elle affirme que l’événement a duré 15 à 30 minutes, que la locataire a appelé le locateur et que la voisine est retournée chez elle.
[25] En contre-interrogatoire, elle situe l’événement entre 20 h 00 et 21 h 00. Elle croit avoir quitté le logement vers 22 h 00.
Témoignage de Sanae Eddelji
[26] Elle a occupé le logement voisin de la locataire de juin 2018 à avril 2019.
[27] Elle est éducatrice dans un centre de la petite enfance et travaille cinq jours par semaine, de jour.
[28] Elle déclare qu’elle ne s’est jamais plainte du bruit dans le jour, qu’il est normal de faire du bruit le jour et qu’elle vit bien avec cela.
[29] Elle explique que le problème c’est que la locataire commence à vivre la nuit, après 23 h 00, et qu’elle fait beaucoup de bruit. Des bruits de pas, de sécheuse et elle reçoit beaucoup d’invités la nuit.
[30] Elle affirme que c’était insupportable et qu’elle appelait toujours le locateur pour s’en plaindre, car elle ne pouvait dormir alors qu’elle devait se lever tôt le lendemain pour aller travailler.
[31] Elle témoigne que dès la 1re semaine où elle a emménagé dans le logement, elle entendait la locataire qui marchait dans le corridor et criait « moroccan people, moroccan people » avec aussi des insultes. Elle a demandé au locateur « mais qu’est-ce qu’elle a contre les Marocains? », étant elle-même d’origine marocaine.
[32] Elle affirme que la locataire avait souvent des invités, à partir de 1 h 00 jusqu’au petit matin, et qui faisaient du bruit, beaucoup de gens qui chantaient à 3 h 00 du matin.
[33] Relativement aux allégations de la locataire concernant un premier événement survenu en juin 2018, elle nie avoir frappé sur le mur mitoyen en fin d’après-midi alors que la locataire regardait la télévision. Elle nie également l’allégation voulant qu’elle frappait sur le mur au moins une fois par semaine par la suite.
[34] Elle déclare que la situation était tellement insupportable la nuit que le locateur lui a offert la possibilité de dormir au sous-sol et elle a ainsi dormi au sous-sol du logement du locateur d’octobre 2018 à la mi-janvier 2019. Elle arrivait du travail vers 19 h 00 à son logement et vers 22 h 00 elle descendait au sous-sol pour dormir.
[35] Elle explique avoir accepté l’offre du locateur parce que la locataire fait ses activités spécialement la nuit, qu’elle n’arrivait pas à dormir et qu’elle devait dormir.
[36] Elle nie l’événement du 1er août 2018, tel que relaté par la locataire et son amie.
[37] Elle affirme que la locataire et son amie avaient plutôt déplacé la table et les chaises sur leur balcon commun pour être devant sa porte-patio ouverte, qu’il était environ 23 h 00, qu’elles étaient dehors et non à l’intérieur et qu’elles parlaient fort. Elle a fermé sa porte-patio et a appelé le locateur pour l’aviser, avant d’aller se coucher.
[38] En janvier 2019, elle a avisé le locateur qu’elle allait déménager, car elle ne pouvait continuer ainsi à dormir dans le sous-sol de son locateur parce que sa voisine fait trop de bruit.
[39] Elle déclare avoir demandé au locateur si elle pouvait louer le sous-sol, mais cela n’étant pas possible, elle est déménagée.
[40] Relativement à l’événement du 12 octobre 2018, elle déclare que c’est elle qui a appelé la police parce qu’il y avait du bruit insupportable alors qu’il était 3 h 00 du matin, de la musique, la télévision et des gens qui parlaient fort.
[41] En contre-interrogatoire, elle reconnaît qu’à une reprise, une seule, elle a perdu patience et a frappé sur le mur mitoyen en août 2018 alors qu’il était aux environs de 23 h 00 ou minuit.
[42] À compter de janvier 2019 jusqu’à son départ en avril 2019, il n’y a pas eu d’autres interactions avec la locataire, bien que cette dernière ait continué à faire du bruit.
Témoignage du locateur
[43] Il témoigne que peu de temps après son emménagement, la locataire Eddelji s’est plainte du bruit fait par la locataire.
[44] Il déclare que la locataire s’est, pour sa part, plainte que la locataire Eddelji criait et cognait sur les murs.
[45] Il affirme n’avoir jamais entendu frapper sur les murs, ni du côté de la locataire ni du côté de sa voisine, et ce, bien que l’immeuble ne soit pas insonorisé.
[46] Ne sachant pas si la plainte de la locataire était fondée, il n’a pas pris de risque et est allé rencontrer la locataire Eddelji pour lui dire de ne pas crier ou frapper sur les murs, mais de plutôt faire des enregistrements ou appeler la police.
[47] Il déclare se souvenir qu’une fois, alors qu’il se trouvait dans sa cuisine, il a entendu les deux locataires qui se disputaient, qui se parlaient très fort.
[48] Il déclare qu’après avoir reçu la lettre de la locataire en octobre 2018, il a remis aux deux locataires un feuillet de la Régie du logement concernant le bruit[1].
[49] Il déclare avoir lui aussi été importuné par le bruit provenant du logement de la locataire la nuit.
[50] Il explique avoir été réveillé à plusieurs reprises par les pas des personnes qui se trouvaient dans le logement de la locataire.
[51] Il raconte avoir aussi été réveillé en début de nuit par le bruit de la laveuse de la locataire, laquelle vibrait tellement que son plafonnier bougeait. Il dit avoir appelé la locataire et que cette dernière lui a répondu avoir besoin de vêtements pour le lendemain.
[52] Il confirme que la locataire Eddelji l’a contacté pour se plaindre non seulement du bruit, mais également des insultes sur son origine. Il soutient avoir contacté la locataire à cet égard et s’être vu répondre qu’elle ferait tout pour qu’elle parte, notamment.
[53] Le locateur confirme que lorsqu’il a constaté que la situation était insupportable pour la locataire Eddelji, il lui a proposé de dormir au sous-sol de son logement, ce qu’elle a fait.
[54] Il déclare qu’en raison du comportement bruyant de la locataire, notamment, il a consulté un avocat et lui a fait transmettre une mise en demeure le 31 janvier 2019.
ANALYSE ET DÉCISION
Le fardeau de preuve
[55] Les articles
[56] Par ailleurs, en matière de bail, la loi prévoit que le locateur a diverses obligations,
notamment celles de délivrer un logement en bon état de réparation de toute
espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement (article
[57]
Lorsque la réclamation du
locataire concerne le trouble de voisinage causé par un autre locataire de
l’immeuble, l’article
[58] L’article
[59] Dans l’affaire 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc.[2], laquelle concernait une plainte de bruit à l’égard d’un autre locataire en matière de bail commercial, la Cour d’appel mentionne ce qui suit :
« [22] Pour apprécier le
comportement fautif, il est possible, par analogie, de référer aux critères qui
se dégagent de l’article
[23] Ainsi, la jouissance normale des lieux s’apprécie selon les circonstances de l’affaire et la perception d’une personne raisonnable. De même, les inconvénients normaux du voisinage s’évaluent selon la nature, la situation ou les usages. Il faut en déduire que les colocataires doivent supporter le bruit et les inconvénients normaux du voisinage, sans cependant être obligés d’en subir les excès. Ce ne sont que les inconvénients qui présentent un caractère anormal et persistant qui doivent être sanctionnés. »
[60] Le Tribunal rappelle qu’à l’égard de la question de bruit, la preuve doit démontrer que ceux-ci sont anormaux et excessifs et elle doit s’apprécier en se fondant sur des critères objectifs et probants plutôt que sur la perception subjective du plaignant[3].
[61] Par ailleurs, avant d’exercer un recours contre le locateur qui ne respecte pas ses obligations, le locataire doit le mettre formellement en demeure[4].
Diminution de loyer
[62] Eu égard à la demande en diminution de loyer, il appert de la jurisprudence[5] et la doctrine[6] que le locataire doit préalablement avoir fait parvenir au locateur une mise en demeure afin d’obtenir une décision accordant une telle diminution.
[63] En l’espèce, c’est le 16 octobre 2018 que la locataire transmet une mise en demeure[7] au locateur, par laquelle elle lui demande de régler le problème de comportement violent de sa voisine, lequel nie son droit à la jouissance paisible de son logement.
[64] Concernant la charge de la preuve, l’auteur Léo Ducharme écrit[8] :
« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va décider ce en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »
[65] Également, eu égard aux critères d’octroi de la diminution de loyer, l’auteur Denis Lamy rappelle que[9] :
« Lorsqu’un locataire demande une diminution de loyer, il ne doit pas lui-même, en tout ou en partie, être à l’origine du problème pour lequel il réclame une telle diminution de loyer. Nous connaissons tous ce principe élémentaire qu’on ne peut invoquer ou tirer profit de sa propre turpitude ou de sa propre faute. »
[Références omises]
[66] En l’espèce, il est clair qu’il existait un conflit entre les deux locataires.
[67] La preuve présentée ne permet cependant pas, de l’avis du Tribunal, d’attribuer à l’une ou à l’autre des locataires l’entièreté des torts.
[68] Il ressort des témoignages entendus que, d’une part, la locataire Eddelji semblait présenter une faible tolérance à l’égard du bruit, mais que, d’autre part, la demanderesse a contribué à entretenir le conflit relatif au bruit, soit par son comportement (provocation par des références à la nationalité de sa voisine, utilisation de la laveuse ou sécheuse à des heures tardives, parle fort, musique forte, bruits d’impact de pas), ou celui de ses invités présents à des heures tardives ou au petit matin. Le témoignage du locateur est généralement au même effet que celui de la locataire Eddelji et une mise en demeure[10] avait été transmise à la demanderesse par l’avocat de celui-ci lui demandant, notamment, de voir à ce que cesse le bruit excessif provenant de son logement.
[69] Le Tribunal note aussi que toutes les deux témoignent s’être plaintes de l’autre auprès des policiers relativement à du bruit en milieu de nuit, mais qu’aucune des deux n’a produit de rapport de police relativement à ces affirmations.
[70] La demanderesse allègue également que le comportement de sa voisine a provoqué chez elle un problème d’anxiété en raison duquel elle a dû s’absenter de ses cours à plusieurs reprises.
[71] À cet égard, elle a produit des certificats médicaux très laconiques qui mentionnent, par exemple, qu’elle a été vue par le médecin pour raisons médicales, qu’elle doit s’absenter de ses cours en raison de maladie ou qu’elle a été incapable de travailler pour raisons médicales[11].
[72] Relativement à ces certificats, l’avocate du locateur a plaidé l’absence totale de preuve quant à la cause des problèmes médicaux de la demanderesse ou d’un quelconque lien avec les allégations de celle-ci.
[73] Le Tribunal partage cet avis.
[74] Considérant l'ensemble de la preuve et les principes précédemment énoncés, le Tribunal juge que la locataire ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle est, en partie du moins, à l’origine du problème pour lequel elle réclame une diminution de loyer.
[75] Par conséquent, le Tribunal ne fera pas droit à la demande de diminution du loyer.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[76] REJETTE la demande.
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Claude Fournier |
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Présence(s) : |
la locataire Me Stéphane Poulin, avocat de la locataire le locateur Me Suzanne Boisvert, avocate du locateur |
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Date de l’audience : |
24 janvier 2020 |
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[1] Pièce P-1.
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[3] Pasquale Fata c.
Mabtoule Chaouqi, R.L. 31-040511-136G, le 20 avril 2005, Francine Jodoin
j.a.; voir également : Hémond
c. Guillemette,
[4] Articles
[5] Voir, notamment, L'Écuyer c. Flores,
[6] Lamy, Denis, La diminution de
loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 7.
Voir également Rousseau-Houle Thérèse et De Billy Martine,
[7] Pièce L-1. La lettre est datée du 12 octobre 2018, mais fut postée le 16 octobre 2018.
[8] Précis de la preuve, 5e édition, 2005, Montréal, Les Éditions Wilson & Lafleur, par. 146.
[9] La diminution de loyer, 2004, Montréal, Les Éditions Wilson & Lafleur, p. 33-34.
[10] Pièce P-2.
[11] Pièce L-2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.