Décision

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R. c. Poblete Abarzua

2023 QCCS 1653

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

No:

500-01-230720-226

 

     

 

DATE:

LE 12 MAI 2023

___________________________________________________________________

 

 

Sous la présidence de l’honorable PIERRE LABRIE, J.C.S.

 

___________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

POURSUIVANT

c.

MIGUEL ANTONIO POBLETE ABARZUA

ACCUSÉ

 

 

___________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT SUR LA PEINE

RENDU VERBALEMENT LE 11 MAI 2023[1]

___________________________________________________________________

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DES NOMS DE LA VICTIME ET DES MEMBRES DE SA FAMILLE ET DE TOUTE INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER

 

 

APERÇU

[1]                 Le 11 avril 2023, un jury déclare M. Poblete Abarzua coupable de contacts sexuels, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle sur une victime d’âge mineur.

[2]                 Les observations sur la peine ont eu lieu le 27 avril 2023.

[3]                 Le Tribunal doit maintenant déterminer la peine devant être imposée à M. Poblete Abarzua.

LE CONTEXTE

[4]                 Le Tribunal va ici résumer le témoignage de la victime, Mlle X, rendu devant le jury.

[5]                 Mlle X a connu l’accusé alors qu’elle avait 7 ou 8 ans. L’accusé était le conjoint de sa mère.

[6]                 Selon Mlle X, l’accusé a gagné sa confiance. Il était comme un père pour elle et elle avait une grande confiance en lui.

[7]                 Elle témoigne que l’accusé l’a abusée sexuellement.

[8]                 Elle dit que ceci a débuté alors qu’elle avait presque 11 ans. Ils jouaient à la bataille et il a commencé à toucher ses fesses.

[9]                 Elle mentionne une occasion où, après être revenu du travail, M. Poblete Abarzua était dans la chambre. Elle dit qu’à cette époque, elle voulait apprendre la danse à cause d’une série qu’elle écoutait à la télévision. Elle voulait que M. Poblete Abarzua lui montre comment faire des abdominaux. M. Poblete Abarzua lui disait qu’il connaissait des exercices.

[10]           Elle mentionne que M. Poblete Abarzua lui a dit vouloir lui montrer quelque chose pour son bien. Il lui a dit que ce n’était rien, que c’était juste pour qu’elle soit une bonne femme plus tard.

[11]           M. Poblete Abarzua voulait lui montrer un autre exercice de squat. Il lui disait que c’était bon et elle a fait l’exercice sur le tapis.

[12]           À un moment, M. Poblete Abarzua lui dit de rester là. Il descend du lit et se place couché sous elle sur le tapis. La tête de M. Poblete Abarzua était vers sa partie intime. Il l’a pris par les cuisses pour la pencher vers lui et il a mis sa langue sur ses parties intimes.

[13]           Elle mentionne qu’elle avait des shorts et que M. Poblete Abarzua a tassé son short et sa culotte. Elle ne se souvient pas combien de temps cela a duré. Elle dit s’être sentie contrariée et elle ne savait pas ce que c’était.

[14]           Mlle X dit que par la suite, M. Poblete Abarzua lui a demandé de lui faire des attouchements, c’est-à-dire de mettre sa main sur son pénis. Elle l’a fait. Il lui a demandé ensuite de prendre son pénis et de faire des mouvements de haut en bas.

[15]           Elle explique qu’il y a aussi eu des cunnilingus à d’autres reprises. Elle ne s’en souvient pas spécifiquement parce que M. Poblete Abarzua lui en fait plusieurs fois.

[16]           Mlle X mentionne que M. Poblete Abarzua travaillait dans un garage. 

[17]           Dans le garage, il y avait un deuxième étage où se trouvait un bureau. Dans le bureau, il y avait une chaise sur roulette et une table.

[18]           Elle dit que lorsqu’elle allait au garage avec M. Poblete Abarzua, pendant que ce dernier travaillait, elle l’attendait dans le bureau. Elle dit que c’est M. Poblete Abarzua qui fermait le garage.

[19]           Une fois, lorsque tout le monde était parti, M. Poblete Abarzua est monté en-haut et il y a eu des abus. Elle avait 11 ou 12 ans.

[20]           Elle mentionne que dans le bureau, M. Poblete Abarzua a voulu lui faire une pénétration anale.

[21]           Mlle X dit que M. Poblete Abarzua lui a demandé de se lever. Il l’a poussée vers la table. Il a enlevé son pantalon et son sous-vêtement. Il y a ensuite eu une pénétration anale. Elle dit que cela lui faisait mal.

[22]           Il n’y a pas eu d’autres pénétrations anales par la suite.

[23]           Elle mentionne qu’une fois, au garage, il l’a fait entrer dans une voiture en réparation. Il voulait la toucher, mais elle avait peur à cause des caméras.

[24]           Elle dit que M. Poblete Abarzua lui a dit qu’il voulait lui faire du bien et qu’il voulait qu’elle ait des orgasmes. Il lui a dit en espagnol « Je veux que tu aies un orgasme ».

[25]           À cet âge, elle ne savait pas ce qu’était un orgasme. Elle dit que M. Poblete Abarzua entrait ses doigts dans son vagin.

[26]           Mlle X dit qu’à l’âge de 12 ans, elle a vécu un gros événement. Elle dit que M. Poblete Abarzua voulait qu’elle perde sa virginité.

[27]           Elle mentionne que c’était en décembre. Il y avait une fête chez une amie de sa mère. Elle était seule avec M. Poblete Abarzua. Sa mère était déjà partie pour la fête et elle les attendait là-bas.

[28]           Elle dit que M. Poblete Abarzua voulait lui faire perdre sa virginité. Il lui disait que c’était pour son bien. Il lui disait que c’était mieux qu’elle le fasse avec lui qu’avec un gars qui allait la laisser.

[29]           Mlle X dit que M. Poblete Abarzua s’est déshabillé. Il voulait qu’elle enlève ses vêtements. Elle dit que M. Poblete Abarzua voulait mettre son pénis dans son vagin. Elle dit qu’elle avait vraiment mal et qu’elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas le faire.

[30]           M. Poblete Abarzua lui a alors dit qu’elle n’était pas courageuse et qu’elle n’était pas forte, mais faible.

[31]           Elle dit qu’elle ne voulait pas le décevoir parce qu’elle l’appréciait beaucoup et qu’elle avait une grande confiance en lui.

[32]           Il a fini par la pénétrer. Il était par-dessus elle. Elle dit qu’après lui avoir fait perdre sa virginité, M. Poblete Abarzua était content pour elle. Il lui a dit « T’as vu t’es capable ».

[33]           Mlle X mentionne que lors de la perte de sa virginité, M. Poblete Abarzua a éjaculé dans sa bouche.

[34]           Entre la perte de sa virginité et l’âge de 13 ans, il y a eu d’autres abus.

[35]           M. Poblete Abarzua lui a dit que ce n’était pas fini. Elle mentionne que M. Poblete Abarzua lui a dit qu’elle devait apprendre de nouvelles positions. Elle dit que c’était des pénétrations vaginales. Elle mentionne qu’elle était par-dessus lui.

[36]           Mlle X se souvient de trois événements au garage.

[37]           Elle se souvient de la relation sexuelle anale parce qu’elle a trouvé cela choquant.

[38]           La deuxième fois, il a mis ses doigts dans son vagin alors qu’ils se trouvaient dans un véhicule en réparation.

[39]           La troisième fois au garage, elle était dans le bureau et M. Poblete Abarzua lui a fait un cunnilingus.

[40]           Elle mentionne qu’il y a eu des gestes de nature sexuelle dans le salon de l’appartement de sa mère.

[41]           Elle dit que c’est arrivé une fois. Son frère était dans l’appartement. Elle avait à l’époque 12 ans.

[42]           Elle dit qu’à cette occasion, dans le salon, M. Poblete Abarzua a voulu la toucher. Il a aussi voulu une fellation et elle l’a fait.

[43]           Il y a aussi eu des gestes sexuels quand sa mère était dans l’appartement. C’est arrivé une fois. Sa mère faisait de la peinture dans le salon et elle écoutait de la musique. M. Poblete Abarzua était sur le lit de sa mère. Elle est allée le voir pour lui poser une question.

[44]           M. Poblete Abarzua lui a dit de s’approcher. Il a voulu mettre ses doigts dans son vagin. Elle lui a dit « Tu fais quoi? » parce que sa mère était là. Il a tout de même mis ses doigts dans son vagin.

[45]           Mlle X témoigne qu’il y avait des abus chaque fois qu’elle était seule avec M. Poblete Abarzua. Elle mentionne une fréquence de 2 à 3 fois par semaine. Elle ajoute qu’il y a eu tellement d’abus qu’elle ne peut se souvenir de tout. Elle se souvient des événements les plus marquants.

[46]           Elle mentionne que les abus ont cessé vers la fin de ses 13 ans.

LA PREUVE LORS DES OBSERVATIONS SUR LA PEINE

  1. La preuve de la Couronne

[47]           La Couronne a déposé une déclaration de la victime, Mlle X, en vertu de l’article 722 du Code criminel[2].

[48]           La Couronne a également déposé une déclaration de la mère de la victime, Mme G... V...[3].

[49]           Ces deux déclarations ont été lues lors de l’audience par la procureure de la Couronne.

a)           La déclaration de Mlle X

[50]           Mlle X écrit que les agressions sexuelles lui ont enlevé son innocence et qu’elle a perdu sa capacité de faire confiance aux autres, surtout aux hommes. Elle ajoute qu’elle a même peur de son propre père, malgré qu’il n’ait jamais commis de gestes sexuels envers elle.

[51]           Elle mentionne qu’elle se sentait différente des autres enfants. Elle ne se sentait pas à sa place, ni à l’école ni à la maison.

[52]           Mlle X dit qu’elle se sentait coupable et sale même si ce n’était pas de sa faute.

[53]           Elle mentionne ne pas comprendre, même à ce jour, comment une personne qui est une figure paternelle peut faire autant de mal à un enfant qui lui faisait confiance.

[54]           Mlle X dit qu’aujourd’hui, à l’âge de 16 ans, elle a des souvenirs et des « flasbacks » traumatiques.

[55]           Encore à ce jour, elle ne se sent jamais à sa place et elle se sent à l’écart des jeunes de son âge. Elle demeure méfiante des hommes et ne se sent pas confortable en leur présence.

[56]           Mlle X dit qu’à l’école, il lui est très difficile de se concentrer.

[57]           Elle souffre également d’anxiété au point d’avoir de la difficulté à respirer. Elle souffre également d’insomnie. Des pensées traumatisantes de sa jeunesse la gardent réveillée.

[58]           Mlle X se sent coupable de ne pas avoir dénoncé les agressions plus tôt. Elle dit qu’elle n’avait pas assez de confiance en elle pour le faire.

[59]           Aujourd’hui, après le processus judiciaire, elle sent qu’elle trouve de la paix. Elle sait que maintenant, elle peut croire plus en elle-même et qu’elle est capable de ne pas se laisser faire. Elle se dit libre de ce gros péché qui ne lui appartient pas.

[60]           Elle termine en disant que si elle a pu traverser ces expériences traumatisantes, elle pourra traverser toutes les difficultés qui pourraient se présenter à elle.

b)          La déclaration de Mme G... V...

[61]           Mme V... écrit qu’il n’y a pas de mot pour exprimer comment sa vie a changé après avoir appris ce qui est arrivé à sa fille.

[62]           Ayant elle-même été abusée pendant 7 ans dans son enfance, elle était devenue une mère très protectrice voulant protéger sa fille de personnes comme l’accusé.

[63]           Elle dit avoir fait confiance à M. Poblete Abarzua qui a joué un rôle de père auprès de ses enfants puisque le père biologique des enfants était absent.

[64]           Mme V... dit avoir été trahie de la façon la plus cruelle, d’autant plus que l’accusé savait qu’elle avait elle-même été abusée.

[65]           Elle mentionne qu’aujourd’hui, elle ne fait plus confiance à personne.

[66]           Chaque jour, elle doit composer avec sa fille qui souffre d’anxiété et de manque de concentration, ce qui l’affecte à l’école.

[67]           Mme V... mentionne qu’il y a des jours où sa fille se réveille et lui demande à quoi sert la vie et que sa fille ne comprend pas la logique d’être une femme et de venir au monde pour souffrir.

[68]           Elle dit craindre que sa fille puisse représenter une menace pour sa vie et qu’il lui arrive quelque chose quand elle va à l’école.

[69]           Mme V... dit que ceci l’affecte car elle doit être plus vigilante et qu’elle manque de concentration au travail.

[70]           Elle souhaite que justice soit rendue pour soulager un peu l’âme de sa fille.

  1. La preuve de la défense

[71]           La défense n’a présenté aucune preuve lors des observations sur la peine.

L’ARTICLE 726 DU CODE CRIMINEL

[72]           M. Poblete Abarzua s’est vu offrir l’opportunité de s’adresser au Tribunal en vertu de l’article 726 du Code criminel.

[73]           Tel qu’il en a le droit, M. Poblete Abarzua a choisi de ne pas s’adresser au Tribunal.

L’APPLICATION DE L’ARRÊT R. c. KIENAPPLE[4]

[74]           La Couronne soumet qu’en vertu de la règle interdisant les condamnations multiples, M. Poblete Abarzua ne peut être déclaré coupable à la fois sur l’infraction de contacts sexuels (article 151 du Code criminel) et sur l’infraction d’agression sexuelle (article 271 du Code criminel).

[75]           La Couronne soumet qu’il pourrait y avoir un arrêt conditionnel sur un de ces deux chefs et s’en remet à la décision du Tribunal.

[76]           Quant à la défense, elle soumet qu’une condamnation sur le chef d’agression sexuelle serait plus compatible avec les faits de la cause.

[77]           Généralement, on retiendra une condamnation sur l’infraction la plus grave.

[78]           Toutefois, la jurisprudence varie sur la question de déterminer laquelle des infractions est la plus grave entre celle de contacts sexuels et celle d’agression sexuelle.

[79]           Par exemple, dans l’arrêt Clements c. R.[5], l’on a retenu que l’infraction de contacts sexuels était plus sérieuse que celle d’agression sexuelle[6].

[80]           Par ailleurs, dans l’arrêt V.A. c. R.[7], on peut lire ce qui suit :

[72] La Cour d’appel de Colombie-Britannique, dans l’arrêt R.A.J., devait également décider quel chef d’accusation, entre celui de contact sexuel et celui d’agression sexuelle, devait faire l’objet d’un arrêt des procédures, alors que les peines étaient les mêmes pour les deux infractions. Elle a décidé que « the conviction for sexual assault pursuant to s.  271 best captures the delict in this case ».

[73] À mon avis, considérant qu’en 2014 la gravité objective pour les deux infractions était la même, celle d’agression sexuelle doit être retenue. En effet, les gestes posés sur Y comportaient un élément de violence et l’infraction d’agression sexuelle représente mieux la gravité de l’infraction.

[Références omises]

[81]           Le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce l’infraction d’agression sexuelle doit être retenue.

[82]           La victime, lors de son témoignage, a décrit les douleurs ressenties lors d’une pénétration anale et lors de la perte de sa virginité aux mains de l’accusé.

[83]           Il y a donc ici des éléments de violence et le Tribunal est d’avis que l’infraction d’agression sexuelle représente mieux la gravité des infractions.

[84]           En conséquence, le Tribunal prononcera un arrêt conditionnel des procédures sur le chef de contacts sexuels et imposera la peine sur les chefs d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle.

LA POSITION DES PARTIES

  1. La position de la Couronne

[85]           La Couronne demande des peines d’emprisonnement de 9 ans moins 1 an de détention provisoire sur chaque chef, à être purgées de façon concurrente.

[86]           La Couronne soumet que la peine maximale de 14 ans d’emprisonnement et la peine minimale de 1 an prévues pour les infractions en cause témoignent de leur gravité objective.

[87]           La Couronne rappelle les objectifs et les principes de la détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.2 du Code criminel.

[88]           À cet égard, la Couronne souligne que, dans le cas d’infractions perpétrées à l’égard d’enfants, le Tribunal doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et dissuasion.

[89]           Selon la Couronne, la responsabilité de l’accusé est ici entière.

[90]           La Couronne soumet par ailleurs que l’on retrouve en l’espèce les circonstances aggravantes suivantes :

  • Les infractions constituent un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans;
  • Les infractions constituent un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard;
  • Les infractions ont eu un effet important sur la victime en raison de son âge et sur sa santé;
  • La gravité des gestes posés a porté atteinte à l’intégrité physique et à la dignité de la victime;
  • Le fait qu’il y a eu des relations sexuelles complètes sans protection;
  • La durée et la fréquence des agressions;
  • Les séquelles qu’ont entraîné les agressions chez la victime;
  • Le comportement après le fait de l’accusé, qui a demandé au frère de la victime que la plainte soit retirée et qui lui parlait d’entente ou d’arrangement.

[91]           Au niveau des circonstances atténuantes, la Couronne reconnaît celles-ci :

  • Le fait qu’avant son incarcération, l’accusé occupait un emploi;
  • Le fait qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires.

[92]           Selon la Couronne, le risque de récidive ne peut être écarté puisque l’accusé nie les gestes reprochés et ne présente aucune prise de conscience.


[93]           Quant au principe de l’harmonisation des peines, la Couronne soumet de la jurisprudence où la fourchette des peines se situe entre 7 et 9 ans d’emprisonnement[8].

[94]           Selon la Couronne, cette fourchette tient compte de l’arrêt R. c. Friesen[9].

[95]           En plus de la peine d’emprisonnement, la Couronne demande que les ordonnances suivantes soient rendues :

  • Prise d’un échantillon d’ADN;
  • Inscription au registre des délinquants sexuels pour une durée de 20 ans;
  • Interdiction de posséder des armes en vertu de l’article 109 du Code criminel;
  • Interdiction à l’accusé de communiquer directement ou indirectement avec la victime, le frère de la victime et sa mère;
  • Interdiction à l’accusé de se trouver à moins de 2 kilomètres de la résidence de la victime et ce, pour une durée de 10 ans;
  • Interdiction d’avoir des contacts, notamment en communiquant par quelque moyen que ce soit, avec une personne âgée de moins de 16 ans, et ce, pour une durée de 10 ans.

[96]           Enfin, sur la question du statut d’immigration de l’accusé, la Couronne soumet qu’en vertu de l’arrêt R. c. Pham[10], on peut en tenir compte, mais que ceci ne doit pas avoir pour effet de dénaturer la peine.

  1. La position de la défense

[97]           La défense suggère des peines d’emprisonnement de 5 ans moins 1 an de détention provisoire sur chaque chef, à être purgées de façon concurrente.

[98]           La défense reconnaît que les circonstances aggravantes sont multiples et qu’elles ne peuvent être ignorées. À cet égard, la défense est en accord avec les circonstances aggravantes identifiées par la Couronne.

[99]           La défense soumet que M. Poblete Abarzua est âgé de 42 ans, qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires et qu’il a toujours travaillé.

[100]       Selon la défense, M. Poblete Abarzua ne représente pas un danger pour l’ensemble de la société.

[101]       La défense soumet par ailleurs des arguments relatifs à l’immigration.

[102]       La défense indique que M. Poblete Abarzua est résident permanent au Canada depuis 2015.

[103]       La défense ajoute qu’en raison des condamnations dans le présent dossier, M. Poblete Abarzua sera interdit de territoire pour grande criminalité et qu’il sera donc renvoyé dans son pays d’origine, le Chili.

[104]       Toujours selon la défense, la loi prévoit que cette mesure de renvoi sera suspendue tant que M. Poblete Abarzua n’aura pas purgé la totalité de sa peine au Canada.

[105]       En d’autres termes, M. Poblete Abarzua ne pourra pas bénéficier d’une libération conditionnelle et il devra purger l’entièreté de sa peine avant d’être renvoyé au Chili.

[106]       Selon la défense, l’arrêt R. c. Pham[11] autorise le Tribunal à tenir compte de cette situation pour la détermination de la peine.

[107]       La défense soumet que le fait que M. Poblete Abarzua devra purger l’entièreté de sa peine justifie l’imposition d’une peine de 5 ans d’emprisonnement.

[108]       Selon la défense, une telle peine envoie tout de même un message clair et la prise en compte du statut d’immigration de M. Poblete Abarzua ne dénature pas la peine.

[109]       La défense soumet qu’en matière d’agressions sexuelles, les fourchettes de peines sont peu utiles.

[110]       La défense soumet tout de même que la fourchette, pour des causes similaires, se situe entre 5 et 8 ans d’emprisonnement.

[111]       De façon subsidiaire, la défense soumet que si le Tribunal ne retient pas l’argument relatif à l’immigration, la suggestion serait alors une peine de 6 ans d’emprisonnement.

[112]       Enfin, la défense est en accord avec les ordonnances demandées par la Couronne.


ANALYSE

  1. Objectifs et principes de la détermination de la peine

[113]       Le Tribunal doit tenir compte des objectifs et principes de la détermination de la peine énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel.

[114]       L’article 718 du Code criminel se lit comme suit :

718  Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.

[115]       L’article 718.01 du Code criminel prévoit ce qui suit :

718.01 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.

[116]       L’article 718.1 du Code criminel énonce le principe fondamental suivant :

718.1 La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

[117]       L’article 718.2 du Code criminel énonce d’autres principes de la détermination de la peine, notamment :

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant :

      […]

(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans,

(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard,

(iii.1) que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière,

      […]

b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

[…]

[118]       Dans R. c. Ipeelee[12], la Cour suprême du Canada énonce ce qui suit :

[35]    En 1996, le législateur a modifié le Code criminel pour y codifier explicitement les objectifs et principes de détermination de la peine (Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 22 (projet de loi C41)).  Selon l’art. 718, le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au « respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ».  Cet objectif est réalisé par l’infliction de « sanctions justes » qui reflètent un ou plusieurs des objectifs traditionnels de la détermination de la peine : la dénonciation, la dissuasion générale et spécifique, l’isolement des délinquants du reste de la société, la réinsertion sociale, la réparation des torts causés aux victimes et la conscientisation des délinquants quant à leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. 

 

[36]    Le Code criminel  énumère ensuite un certain nombre de principes pour guider les juges dans la détermination de la peine.  Le principe fondamental de détermination de la peine exige que la peine soit proportionnelle à la fois à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Ce principe possède aussi une dimension constitutionnelle, puisque l’art. 12  de la Charte canadienne des droits et libertés  interdit l’infliction d’une peine qui serait exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec le principe de la dignité humaine propre à la société canadienne.  Dans le même ordre d’idées, on peut décrire à juste titre la proportionnalité de la peine comme un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte. 

 

[37]    Le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes.  Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité.  La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste.  Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation.  La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice. 

[119]       Dans l’arrêt R. c. Friesen[13], la Cour suprême s’est penchée sur la détermination de la peine dans le cas d’infractions d’ordre sexuel contre des enfants. Le Tribunal juge utile d’en reproduire plusieurs passages :

[50] Pour bien s’attaquer à la violence sexuelle contre des enfants, les juges chargés de déterminer une peine doivent bien comprendre le caractère répréhensible des infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants et les torts considérables qu’elles causent. Il importe de bien saisir leur caractère répréhensible et leur nocivité. Comme l’a reconnu la juge Pepall dans R. c. Stuckless, 2019 ONCA 504, 146 O.R. (3d) 752 (« Stuckless (2019) »), le fait de ne pas reconnaître ou apprécier les intérêts que le régime législatif créant ces infractions vise à protéger peut amener à sousestimer indûment la gravité de l’infraction (par. 120, 122, 130 et 137; voir aussi Marshall, p. 219220). De même, cela peut donner lieu à l’infiltration d’un raisonnement stéréotypé dans la détermination de la peine et entraîner du coup le choix de mauvais facteurs aggravants et atténuants et leur application erronée (J. Benedet, « Sentencing for Sexual Offences Against Children and Youth : Mandatory Minimums, Proportionality and Unintended Consequences » (2019), 44 Queen’s L.J. 284, p. 288 et 309; M. M. Wright, Judicial Decision Making in Child Sexual Abuse Cases (2007), p. xiixiii et 39). Bien saisir la nocivité favorisera l’adaptation des règles de détermination de la peine à la conception que la société se fait actuellement de la nature et de la gravité de la violence sexuelle contre des enfants et empêchera que les préjugés et mythes du passé s’infiltrent dans la détermination de la peine (Stone, par. 239; R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 200).

(i)   Autonomie personnelle, intégrité physique et sexuelle,
dignité et égalité

[51] Les droits fondamentaux protégés par le régime législatif créant les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont l’autonomie personnelle de ceuxci, leur intégrité physique et sexuelle, leur dignité et leur égalité. Notre Cour a reconnu l’importance de ces droits dans Sharpe, une affaire de production de pornographie juvénile. Comme l’a dit notre Cour, la production de pornographie juvénile traumatise les enfants et porte atteinte à leur autonomie et à leur dignité en les traitant comme des objets sexuels, leur causant des torts qui peuvent les marquer pour la vie (par. 92, la juge en chef McLachlin, et par. 185, les juges L’HeureuxDubé, Gonthier et Bastarache). La violence sexuelle faite aux enfants est donc répréhensible car elle envahit leur autonomie personnelle, porte atteinte à leur intégrité physique et sexuelle et met gravement à mal leur dignité (voir Sharpe, par. 172, 174, 185, les juges L’HeureuxDubé, Gonthier et Bastarache).

[…] 

[74] Il ressort de cette analyse que les peines doivent reconnaître et refléter autant les torts causés par les infractions d’ordre sexuel contre des enfants que le caractère répréhensible de la violence sexuelle. Plus précisément, le fait de prendre en considération la nocivité de ces infractions permet de veiller à ce que la peine reflète pleinement les [traduction] « conséquences dévastatrices » qui peuvent découler et qui découlent souvent de la violence sexuelle (Woodward, par. 76; voir aussi Stuckless (2019), par. 56, le juge Huscroft, et par. 90 et 135, la juge Pepall). Les tribunaux doivent également soupeser ces préjudices d’une manière qui traduit la compréhension de plus en plus approfondie et évolutive de la société à l’égard de leur gravité (Stuckless (2019), par. 112, la juge Pepall; Goldfinch, par. 37).

a)   Nocivité, caractère répréhensible et évaluation de la proportionnalité

[75] Les tribunaux doivent notamment tenir compte du caractère répréhensible et de la nocivité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants lorsqu’ils appliquent le principe de proportionnalité. Il est primordial de bien comprendre ces deux facteurs pour imposer une peine proportionnelle (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 4344). Le caractère répréhensible et la nocivité ont une incidence sur la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant. La prise en compte du caractère répréhensible et de la nocivité permet de veiller à ce que le principe de proportionnalité remplisse sa fonction de « garantir que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé » (Nasogaluak, par. 42).

b)      Gravité de l’infraction

[76] Les tribunaux doivent infliger des peines correspondant à la gravité des infractions d’ordre sexuel commises contre des enfants. Il ne leur suffit pas de déclarer que de telles infractions sont graves. La peine infligée doit refléter le caractère normatif des actes du délinquant et les torts qu’ils causent aux enfants, à leurs familles, à leurs gardiens et à leurs collectivités (voir M. (C.A.), par. 80; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 35). Nous offrons donc une certaine orientation sur la manière dont les tribunaux devraient exprimer la gravité des infractions d’ordre sexuel perpétrées contre des enfants. Plus précisément, les tribunaux doivent reconnaître et traduire (1) le caractère répréhensible inhérent à ces infractions; (2) le préjudice que ces infractions peuvent faire subir aux enfants; (3) le préjudice que ces infractions causent bel et bien aux enfants. Soulignons que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont intrinsèquement répréhensibles et les exposent toujours au risque de subir un grave préjudice, et ce, même si le degré de faute, la mesure dans laquelle les torts potentiels se matérialisent et le préjudice réel varient d’un cas à l’autre.

[…]  

[83] Dans de nombreux cas, il sera impossible de déterminer si ces formes de préjudice se sont manifestées au moment de la détermination de la peine. Si la victime est un adulte au moment de la détermination de la peine, le tribunal peut être à même de conclure que ces formes de préjudice potentielles à long terme se sont matérialisées. Toutefois, comme le juge d’appel Moldaver (maintenant juge de notre Cour) l’a reconnu dans l’arrêt D. (D.), si la victime est encore un enfant au moment de la détermination de la peine, [traduction] « seul le temps pourra nous dire » si cet enfant subira certaines formes de préjudice une fois adulte (par. 38). Il peut s’avérer également impossible d’établir la nature et l’ampleur du préjudice que la victime subira au cours de son enfance, car ces formes de préjudice pourraient se concrétiser après la date du prononcé de la peine.

[84] En conséquence, les tribunaux doivent tenir compte du préjudice potentiel raisonnablement prévisible qui découle de la violence sexuelle à l’égard des enfants lorsqu’ils jugent de la gravité de l’infraction. Même si un délinquant commet un crime qui n’entraîne heureusement aucun préjudice réel, le tribunal doit tenir compte du préjudice raisonnablement prévisible au moment d’infliger la peine (A. Manson, The Law of Sentencing (2001), p. 90). Au moment d’analyser la gravité de l’infraction, les juges doivent donc toujours tenir compte des formes de préjudice potentielles qui ne se sont pas encore concrétisées au moment de la détermination de la peine, mais qui sont une conséquence raisonnablement prévisible de l’infraction et qui pourraient en fait se manifester plus tard durant l’enfance ou à l’âge adulte. S’ils ne le faisaient pas, cela donnerait la fausse impression qu’un enfant peut tout simplement surmonter les préjudices de la violence sexuelle (voir Wright, p. 88).

[…] 

[95] Le législateur a reconnu les torts immenses causés par les infractions d’ordre sexuel contre des enfants et décidé que les peines infligées pour ces infractions doivent être alourdies afin de correspondre à l’opinion qu’il se fait de leur gravité. Il a exprimé son intention en augmentant les peines maximales et en privilégiant la dénonciation et la dissuasion au chapitre de la détermination de la peine pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants.

[…]

[126] Tout abus de confiance est susceptible d’accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l’infraction. Comme la juge d’appel Saunders l’a expliqué dans l’arrêt D.R.W., dans de tels cas, on devrait mettre l’accent sur [traduction] « la mesure dans laquelle la relation de confiance a été violée » (par. 41). Le spectre des relations de confiance est utile pour déterminer le degré de préjudice. Un enfant souffrira sans doute plus d’une agression sexuelle s’il y avait une relation étroite et un degré de confiance plus élevé entre lui et son agresseur (voir R. c. J.R. (1997), 1997 CanLII 14665 (NL CA), 157 Nfld. & P.E.I.R. 246 (C.A. T.N.L.), par. 14 et 18). Ce scénario est vraisemblable dans ce que l’on pourrait qualifier de cas classique d’abus de confiance, y compris ceux mettant en cause des membres de la famille, gardiens, enseignants et médecins.

[127] L’existence d’une relation de confiance peut empêcher l’enfant de dénoncer la violence sexuelle dont il est victime. L’abus de confiance peut entraîner un [traduction] « sentiment de crainte et de honte » qui décourage encore plus l’enfant de dénoncer son agresseur (Stuckless (2019), par. 131, la juge Pepall). Les menaces ou la manipulation émotionnelle peuvent avoir des répercussions d’autant plus fortes que la victime fait confiance au délinquant (L. (D.O.), p. 439440, la juge L’HeureuxDubé; R. c. J.L., 2015 ONCJ 777, par. 58 (CanLII), conf. par 2016 ONCA 593).

[128] Nous ajoutons que ces obstacles à la dénonciation peuvent être particulièrement imposants lorsque l’auteur de la violence sexuelle est un parent ou gardien qui habite avec la victime. La dépendance de la victime envers son agresseur peut constituer un obstacle majeur à la dénonciation (« The “Statutory Rape” Myth », p. 277 et 291). Par exemple, dans un cas antérieur, une adolescente, sa mère et ses frères et sœurs ont dû quitter la résidence familiale et déménager dans un refuge pour femmes lorsque l’adolescente a dit à sa mère que son père l’avait agressée sexuellement (voir J.L., par. 56). Ces craintes peuvent être particulièrement élevées dans les situations où le délinquant a également commis des actes de violence familiale (voir. R. c. G. (P.G.), 2014 ONCJ 369, par. 3334 (CanLII)).

[129] L’abus de confiance est aussi un facteur aggravant parce qu’il accroît le degré de responsabilité du délinquant. Un délinquant en situation de confiance visàvis un enfant a l’obligation de le protéger et d’en prendre soin, une obligation qu’un étranger n’a pas. Un manquement à l’obligation de protection et de soin accroît donc la culpabilité morale (R. c. S. (W.B.) (1992), 1992 CanLII 2761 (AB CA), 73 C.C.C. (3d) 530 (C.A. Alta.), p. 537). L’abus de confiance exploite aussi la vulnérabilité particulière des enfants envers les adultes à qui ils font confiance, ce qui est particulièrement blâmable sur le plan moral (D. (D.), par. 24 et 35; Rayo, par. 121122).

[…]

[131] La durée et la fréquence de la violence sexuelle sont d’autres facteurs importants lorsqu’il s’agit de déterminer la peine. La fréquence et la durée peuvent accroître considérablement le préjudice subi par la victime. Le préjudice immédiat que subit la victime au cours de l’agression est multiplié par le nombre d’agressions. De plus, le préjudice émotionnel et psychologique à long terme que subit la victime peut aussi s’accroître lorsque les actes de violence sexuelle sont répétés et prolongés (voir Scalera, par. 123; R. c. O.M., 2009 BCCA 287, 272 B.C.A.C. 236, par. 7; Bauman, p. 359). Ce préjudice accru exacerbe la gravité de l’infraction. Il accroît également la culpabilité morale du délinquant parce que le préjudice supplémentaire causé à la victime constitue une conséquence raisonnablement prévisible des agressions multiples (voir Scalera, par. 123). Les actes d’agression répétés et prolongés démontrent en outre que la conduite sexuelle violente ne constitue pas un acte isolé, un facteur qui augmente le degré de responsabilité du délinquant (voir L. (J.J.), p. 977; Parent et Desrosiers, p. 107109).

[…]

[133] En résumé, la violence sexuelle commise à plusieurs reprises et pendant de plus longues périodes à l’égard d’enfants devrait donner lieu à des peines beaucoup plus lourdes reflétant toute la gravité cumulative du crime. Les juges ne sauraient permettre que le nombre d’agressions violentes devienne une statistique. Chaque incident de violence sexuelle traumatise de nouveau la victime et accroît la probabilité que les risques de préjudice à long terme se matérialisent. Chaque incident additionnel est le reflet d’un choix continu et renouvelé du délinquant de continuer à faire subir de la violence à des enfants. Comme l’a écrit la juge d’appel Abella (maintenant juge de notre Cour) dans Stuckless (1998), lorsque le délinquant a commis de nombreuses agressions, la cour ne doit pas hésiter à apprécier toutes les facettes du délit, et doit plutôt donner effet au caractère [traduction] « renversant » et « systématique » de la violence sexuelle dans la peine infligée (p. 116).

d)      Âge de la victime

[134] L’âge de la victime constitue lui aussi un facteur aggravant important. Le rapport de force inégal qui existe entre les enfants et les adultes est encore plus marqué dans le cas des jeunes enfants, dont « l’état de dépendance est habituellement total » et qui « sont souvent démunis lorsqu’ils sont privés de la protection et de l’assistance de leurs parents » (R. c. Magoon, 2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309, par. 66). Leur personnalité et leur aptitude à se remettre d’un préjudice sont encore en développement (Renaud, § 12.64; L. (J.J.), p. 979). Qui plus est, les enfants victimes à un jeune âge doivent subir les préjudices découlant de la violence sexuelle plus longtemps que les personnes qui en sont victimes à un âge plus avancé.

[…]

[139] Le degré d’atteinte physique tient également compte de la manière dont certains types d’actes physiques peuvent accroître le risque de préjudice. Par exemple, la pénétration du pénis, surtout lorsqu’elle est non protégée, peut constituer un facteur aggravant parce qu’elle pose un risque de maladie et de grossesse (voir Hess, p. 949; R. c. Deck, 2006 ABCA 92, 384 A.R. 106, par. 20; T. (K.), par. 18). La pénétration, que ce soit avec le pénis, les doigts ou un objet, peut aussi causer de la douleur et des blessures physiques à la victime (voir Stuckless (2019), par. 125, la juge Pepall; T. (K.), par. 1011). Le corps d’un enfant est particulièrement vulnérable aux blessures physiques découlant d’une violence sexuelle avec pénétration (voir Hess, p. 920, la juge Wilson, et p. 948).

  1. Application aux faits en cause

a)           La gravité objective des infractions

[120]       L’infraction d’incitation à des contacts sexuels et celle d’agression sexuelle sur une personne âgée de moins de 16 ans sont passibles d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement. Dans les deux cas, la peine minimale est de 1 an d’emprisonnement.

[121]       Ceci témoigne de la gravité objective de ces crimes.

[122]       De plus, dans l’arrêt R. c. Friesen[14], la Cour suprême indique que les tribunaux devraient infliger des peines plus lourdes dans le cas d’infractions d’ordre sexuel contre des enfants en raison de leur gravité et des torts immenses qu’elles causent.

b)          Les objectifs de la dénonciation et la dissuasion

[123]       L’article 718.01 du Code criminel exige, dans les cas de mauvais traitements d’une personne âgée de moins de 18 ans, que le Tribunal accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.

[124]       Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême souligne que le choix du législateur de privilégier la dénonciation et la dissuasion pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants est une réponse sensée au caractère répréhensible de ces infractions et aux préjudices graves qu’elles causent[15].

[125]       Le Tribunal accorde donc ici une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[126]       Cela dit, l’article 718.01 du Code criminel ne devrait pas être interprété comme limitant les objectifs de la détermination de la peine[16].

[127]       Enfin, comme l’accusé ne présente aucune amorce de réhabilitation, le Tribunal ne peut ignorer le risque de récidive, d’où l’importance de considérer l’objectif de dissuasion spécifique.

c)           Le principe de la proportionnalité prévu à l’article 718.1 du Code criminel

[128]       Dans le cas présent, la responsabilité de M. Poblete Abarzua dans la commission des infractions est entière.

[129]       Le Tribunal doit imposer une peine qui est proportionnelle à la fois à la gravité des infractions et au degré de responsabilité de l’accusé.

d)          Les principes prévus à l’article 718.2 du Code criminel

  1. Les circonstances aggravantes

[130]       Les circonstances aggravantes sont ici nombreuses.

[131]       Le Tribunal retient, à titre de circonstances aggravantes, les éléments suivants :

  • Les infractions constituent un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans;
  • Les infractions constituent un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard;
  • Les infractions ont eu un effet important sur la victime en raison de son âge, tel qu’en fait foi sa déclaration[17];
  • La gravité des gestes posés par l’accusé qui ont porté atteinte à l’intégrité physique de la victime et à sa dignité;
  • Le fait que l’accusé a eu des relations sexuelles complètes sans protection[18];
  • Le fait que les infractions se sont déroulées sur une période de près de 3 ans à une fréquence de 2 à 3 fois par semaine;
  • Le fait que la victime avait 11 ans au début des agressions;
  • Le fait qu’en raison de l’âge actuel de la victime, seul le temps pourra nous dire si elle subira certaines formes de préjudice une fois adulte, et qu’il y a donc un préjudice potentiel raisonnablement prévisible[19];
  • Le comportement après le fait de l’accusé qui a demandé que la mère retire la plainte à la police et qui a parlé d’une entente ou d’un arrangement avec la famille de la victime, tel que relaté par le frère de la victime au procès.
  1. Les circonstances atténuantes

[132]       Le Tribunal retient, à titre de circonstances atténuantes, les éléments suivants :

  • L’absence d’antécédents judiciaires;
  • Le fait que l’accusé occupait un emploi.

e)           La peine appropriée dans les circonstances

[133]       Le Tribunal va traiter, en premier lieu, de l’argument de la défense fondé sur le statut d’immigration de l’accusé.

[134]       Pour les motifs qui suivent, cet argument doit être rejeté.

[135]       Dans Capra c. Canada (Procureur général)[20], on peut lire ce qui suit :

[34]   La mise en équilibre de ces objectifs a obligé le législateur à examiner deux questions de manière précise. Premièrement, le moment auquel il serait approprié et équitable d’autoriser à libérer un délinquant étranger de la peine d’emprisonnement infligée au Canada, compte tenu des conditions imposées aux délinquants canadiens, des exigences de la LSCMLC et des engagements du Canada à l’égard des personnes se trouvant légalement au Canada. Deuxièmement, les obligations internationales auxquelles est soumis le Canada, compte tenu du fait que tout contrevenant étranger renvoyé dans un autre pays est libéré de la peine d’emprisonnement infligée au Canada au moment de son renvoi et n’est soumis à la supervision d’aucune autorité canadienne. De ce fait, un délinquant étranger que l’on expulse purge en pratique une peine plus courte que celle d’un contrevenant canadien. Il a été décidé que la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale reflétait le juste équilibre.

[35]   À l’appui des objectifs d’immigration, dont celui de refuser l’accès au territoire canadien aux criminels ou aux individus représentant un risque pour la sécurité, le régime législatif garantit qu’un délinquant étranger visé par une mesure de renvoi ne sera admissible ni à une PSSE ni à la semi-liberté avant d’atteindre la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale. À ce moment-là, si le ressortissant étranger est libéré, sa peine est réputée être terminée pour ce qui est de la mesure de renvoi, de sorte qu’il peut être renvoyé du Canada. Cependant, l’admissibilité retardée à la PSSE et à la semi-liberté ne s’applique pas aux cas où le ressortissant étranger n’est pas visé par une mesure de renvoi, ou à ceux où il y a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en application des alinéas 50a) ou 66b) ou du paragraphe 114(1) de la LIPR.

[]

[37]   Aux termes de l’alinéa 50b) de la LIRP, il y a sursis à la mesure de renvoi visant un ressortissant étranger condamné à une peine d’emprisonnement au Canada tant que la peine n’est pas purgée.

[38]   Le paragraphe 128(3) de la LSCMLC dispose qu’une peine est réputée être purgée pour les besoins d’un renvoi en vertu de la LIPR lorsque le ressortissant étranger obtient une forme quelconque de libération non supervisée, plus précisément une PSSE, une semi-liberté, une libération conditionnelle totale ou une libération d’office :

128. (1) [...]

(3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 40 de la Loi sur l’extradition, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s’il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

[39]   Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC fixe le moment auquel est admissible à la PSSE, à la semi-liberté et à la libération conditionnelle totale, un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi :

128. (1) [...]

(4) Malgré la présente loi ou la Loi sur les prisons et les maisons de correction, l’admissibilité à la libération conditionnelle totale de quiconque est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est préalable à l’admissibilité à la semi-liberté ou à l’absence temporaire sans escorte.

[40]   Conformément au paragraphe 128(6) de la LSCMLC, le paragraphe 128(4) ne s’applique pas en cas de sursis à une mesure de renvoi aux termes de l’alinéa 50a) (sursis à la mesure de renvoi par suite d’une décision judiciaire), de l’alinéa 66b) (sursis à la mesure de renvoi pour motifs d’ordre humanitaire) et du paragraphe 114(1) (sursis à la mesure de renvoi pour une personne considérée comme ayant besoin d’une protection) de la LIPR :

128. (1) [...]

(6) Toutefois, le paragraphe (4) ne s’applique pas si l’intéressé est visé par un sursis au titre des alinéas 50a) ou 66b) ou du paragraphe 114(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[41]   En résumé :

– l’alinéa 50b) de la LIPR sursoit à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce que la peine infligée au délinquant soit réputée être purgée;

– le paragraphe 128(3) de la LSCMLC considère que la peine est purgée, pour les besoins d’une mesure de renvoi, dès l’octroi d’une PSSE ou de la semi-liberté (plus tôt que dans l’ancienne LSCMLC [Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P-2]);

– le paragraphe 128(4) de la LSCMLC reporte l’admissibilité à la semi-liberté, pour ce qui est des délinquants visés par une mesure de renvoi, jusqu’à l’admissibilité à une libération conditionnelle totale. Ce faisant, cette disposition fixe une période minimale que ces délinquants doivent passer sous garde. La loi permet encore, après cela, de renvoyer ces individus dès qu’il sont libérés dans la société canadienne;

– le paragraphe 128(6) de la LSCMLC restreint l’application du paragraphe 128(4), en ce sens qu’il ne s’applique pas lorsqu’une mesure de renvoi ne peut pas être appliquée à cause d’un sursis légal attribuable à des motifs autres que la peine criminelle infligée au délinquant.

[42]   L’objet fondamental du régime que créent les paragraphes 128(3) à (7) de la LSCMLC est de veiller à ce qu’on tienne compte des circonstances d’un renvoi imminent dans la façon dont un délinquant purge la peine qui lui est infligée. En particulier, le paragraphe 128(4) empêche que les délinquants visés par une mesure de renvoi purgent des peines nettement plus courtes que celles que l’on inflige à des Canadiens. Ce faisant, cette disposition préserve le facteur dissuasif qui constitue un élément essentiel du régime de détermination des peines.

[43]   Parallèlement, le régime refuse dans les faits aux délinquants la possibilité d’avoir accès au territoire canadien, un but dont fait explicitement état la LIPR, pendant la période où il est légalement sursis à leur mesure de renvoi à cause de la peine criminelle qui leur a été infligée. Cette mesure empêche les délinquants de tirer avantage de leur peine criminelle, de pair avec la semi-liberté, pour obtenir accès à la société canadienne. Sans cela, cet objectif de la LIPR serait réduit à néant. Du fait de leur peine criminelle, les délinquants auraient un meilleur accès à la société canadienne que les ressortissants étrangers qui ne sont pas des criminels, et qui peuvent être renvoyés sans délai.

[136]       Malgré des modifications[21] au libellé des paragraphes (3) et (4) de l’article 128 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[22], la substance de ces dispositions demeure la même :

128 (1)  […]

[…]

 

Cas particulier

(3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 64 de la Loi sur l’extradition, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s’il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

Mesure de renvoi

(4) Malgré la présente loi, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et le Code criminel, le délinquant qui est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’est admissible à la semi-liberté ou à la permission de sortir sans escorte qu’à compter de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

[137]       Le Tribunal retient de ce qui précède que la mesure de renvoi de l’accusé sera suspendue jusqu’à son admissibilité à une libération conditionnelle totale[23].

[138]       Or, la libération conditionnelle totale ne correspond pas à la totalité de la peine. Elle est définie comme étant le « Régime accordé sous l’autorité de la Commission ou d’une commission provinciale et permettant au délinquant qui en bénéficie d’être en liberté pendant qu’il purge sa peine[24]. » [Nos soulignements]

[139]       Le temps d’épreuve pour l’admissibilité à une libération conditionnelle totale est d’un tiers de la peine à concurrence de sept ans[25].

[140]       En conséquence, dans le cas présent, l’accusé pourrait être renvoyé au Chili avant d’avoir purgé la totalité de sa peine. L’argument de la défense, selon lequel il devrait purger l’entièreté de sa peine avant son renvoi est donc, avec respect, mal fondé et doit être rejeté.

[141]       Par ailleurs, dans l’arrêt R. c. Zinck[26], la Cour suprême énonce ce qui suit :

[18]     Le régime d’augmentation du temps d’épreuve établi à l’art. 743.6 reflète un changement relativement récent de la politique législative en matière de détermination de la peine.  Il est vrai que, pendant un certain nombre d’années, une disposition connexe (figurant maintenant à l’art. 745.4) a précisé que le juge chargé de la détermination de la peine devait fixer la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de l’accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré.  Malgré cette exception, les principes de détermination de la peine établissaient une distinction claire entre le rôle des tribunaux, qui fixaient la peine adaptée à l’infraction, et celui des organismes chargés d’administrer les pénitenciers et de superviser l’exécution des peines.  L’admissibilité à la libération conditionnelle relevait de la Commission nationale des libérations conditionnelles.  Les facteurs touchant à l’admissibilité à la libération conditionnelle n’étaient généralement pas considérés pertinents pour déterminer la peine juste en l’occurrence : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 62, le juge en chef Lamer.  Bien que certains tribunaux aient pu infliger des peines d’emprisonnement plus longues afin d’allonger la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, une telle pratique est tout à fait inacceptable. (Voir H. Dumont, Pénologie : Le droit canadien relatif aux peines et aux sentences (1993), p. 151; voir également A. Manson, « Judges and Parole Eligibility : Section 741.2 » (1995), 37 C.R. (4th) 381.)

[19]     La détermination de la date et des modalités de l’admissibilité à la libération conditionnelle relève généralement de la prérogative d’un organisme administratif, la Commission des libérations conditionnelles, dans l’accomplissement de son rôle de surveillance de l’exécution des peines.  Avec le temps, toutefois, la considération prioritaire a changé.  En effet, aujourd’hui, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (ciaprès la « Loi ») insiste davantage sur la protection du public et moins sur des objectifs et considérations touchant purement à la réadaptation.  (Voir, par exemple, les art. 4, 102 et 126 de la Loi; voir aussi Dumont, op. cit., p. 299.)  Néanmoins, le processus décisionnel appliqué dans le cadre de la Loi demeure très différent de la détermination de la juste peine par les tribunaux.  Ce processus repose dans une large mesure sur l’observation et l’évaluation continues de la personnalité et du comportement du délinquant pendant son incarcération, observation et évaluation qui s’attachent à la dangerosité de ce dernier et à son aptitude à réintégrer la communauté (Dumont, op. cit., p. 333).  Ce processus peut couvrir de nombreuses années et aboutir à des décisions qui accordent une importance considérable au contexte et qui sont fondées, en partie à tout le moins, sur ce qui s’est passé durant l’incarcération du délinquant.

[20]     Au terme de ce processus d’observation et d’examen, le délinquant peut se voir accorder la libération conditionnelle totale.  Cette mesure n’équivaut pas à une réduction de sa peine d’incarcération.  Le délinquant continue de purger sa peine, jusqu’à l’expiration de la période fixée.  Notre Cour a qualifié la libération conditionnelle totale de modification des conditions suivant lesquelles la peine est purgée (Cunningham c. Canada, 1993 CanLII 139 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 143, p. 150151, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef); M. (C.A.), précité, par. 61).  Par ailleurs, en vertu de l’art. 128 de la Loi, le délinquant bénéficiant d’une libération conditionnelle totale a le droit d’être en liberté et n’est pas obligé de vivre à l’intérieur de l’établissement correctionnel.  Quoique l’exécution de la peine ne soit pas terminée et que les mesures de surveillance continuent de s’appliquer, le délinquant profitant de la libération conditionnelle totale jouit d’un degré de liberté personnelle considérable.  Comme il a été mentionné plus tôt, l’admissibilité à la libération conditionnelle, les conditions devant assortir une telle mesure et la surveillance du respect de ces conditions ne relevaient généralement pas du tribunal chargé de la détermination de la peine.

[142]       Dans R. v. Wilson[27], on peut lire :

[36]    Besides, even if the National Parole Board thought that drug trafficking was not serious, that would not have much weight. It is for the courts to consider that question. Otherwise, sentencing would become circular. As for the suggestion in the evidence that the National Parole Board would let a federal prisoner out after serving a low fraction of his sentence (which could be the case here), there is authority that that is not a legitimate sentencing consideration: R. v. Ross (1989) 1989 CanLII 4460 (SK CA), 74 Sask. R. 230 (C.A.); R. v. Oliver (1997) 1997 CanLII 14631 (NL CA), 147 N. & P.E.I.R. 210 (Nfld. C.A.). If probable parole cannot be used to increase a sentence, a fortiori it cannot be used to reduce a sentence.

[143]       Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Whaling, la Cour suprême réitère que le juge qui détermine la peine ne doit pas tenir compte des conditions d’admissibilité à la libération conditionnelle dans l’évaluation de la peine juste et équitable[28].

[144]       Enfin, dans l’arrêt R. v. Passera[29], la Cour d’appel de l’Ontario énonce ce qui suit :

[26]   Subject to specific statutory exceptions (e.g., ss. 743.6 and 745.5), sentencing judges are not asked to determine parole eligibility when fixing an appropriate sentence. Questions relating to if, when, or how an offender might be released on some form of conditional release prior to the completion of the sentence are not for the sentencing judge to determine: see Zinck, at paras. 18-20; Canada (Attorney General) v. Whaling, [2014] 1 S.C.R. 392, [2014] S.C.J. No. 20, 2014 SCC 20, at para. 61. A sentencing judge cannot increase a sentence with a view to increasing the period of parole ineligibility or the period during which an offender would be subject to parole: Zinck, at para. 18; R. v. Wilmott, 1966 CanLII 222 (ON CA), [1966] 2 O.R. 654, [1966] O.J. No. 1031 (C.A.); R. v. Holden, 1962 CanLII 576 (BC CA), [1962] B.C.J. No. 90, [1963] 2 C.C.C. 394 (C.A.).

[27]   It would be equally wrong for a sentencing judge to impose a sentence that was less than the appropriate sentence for the offence and the offender because, in the sentencing judge's view, [page458] the offender would be best served by being eligible for conditional release at some specific point in time. For example, some crimes, and cocaine importation is one, require a sentence that emphasizes denunciation and general deterrence. It would be an error in principle for a sentencing judge to ignore or undervalue those considerations and impose a sentence predicated entirely on the sentencing judge's assessment that the offender's rehabilitation would be best served if that offender were eligible for parole at a certain date.

[145]       À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d’avis qu’il serait erroné d’imposer une sentence plus clémente à l’accusé en raison du moment de son admissibilité à une libération conditionnelle avant son expulsion du Canada.

[146]       De plus, le Tribunal est d’avis qu’imposer une peine de 5 ou même 6 années d’emprisonnement serait inapproprié en l’espèce et aurait pour effet de dénaturer la peine à imposer. Ceci serait contraire aux enseignements de l’arrêt R. c. Pham[30].

[147]       Dans le cas présent, la gravité des crimes et les objectifs et principes de la détermination de la peine amènent le Tribunal à conclure qu’une peine de 9 ans d’emprisonnement sur chaque chef est appropriée dans les circonstances.

[148]       De cette peine, le Tribunal déduira 1 an de détention provisoire.

[149]       Les peines à purger seront donc de 8 ans d’emprisonnement à compter de ce jour et elles seront purgées de façon concurrente.

[150]       Le Tribunal est d’avis que cette peine est conforme au principe de l’harmonisation des peines énoncé à l’article 718.2 b) du Code criminel[31].

[151]       Cette peine est également conforme aux principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Friesen[32] relativement aux peines pour des infractions d’ordre sexuel contre des enfants.

[152]       Enfin, le Tribunal rendra les ordonnances demandées par la Couronne, lesquelles ne sont pas contestées par la défense.


CONCLUSIONS

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[153]       IMPOSE à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, sur le chef d’incitation à des contacts sexuels, une peine d’emprisonnement de 9 ans moins 1 an de détention provisoire, le reliquat à purger étant de 8 ans à compter de ce jour;

[154]       IMPOSE à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, sur le chef d’agression sexuelle, une peine d’emprisonnement de 9 ans moins 1 an de détention provisoire, le reliquat à purger étant de 8 ans à compter de ce jour, à être purgée de façon concurrente;

[155]       ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures sur le chef de contacts sexuels;

[156]       ORDONNE le prélèvement, sur M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, du nombre suffisant d’échantillons de substances biologiques aux fins d’analyse génétique en vertu de l’article 487.051 (1) du Code criminel;

[157]       ORDONNE à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua de se conformer à la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels[33] pour une durée de 20 ans sur le chef d’incitation à des contacts sexuels et pour une durée de 20 ans, de façon concurrente, sur le chef d’agression sexuelle, en vertu des articles 490.01 (1) et 490.013 (2) b) du Code criminel;

[158]       INTERDIT à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, en vertu de l’article 109 du Code criminel, d’avoir en sa possession :

a)

Des armes à feu (autres que des armes à feu prohibées ou des armes à feu à autorisation restreinte), arbalètes, armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives pour une période de 10 ans;

b)

Des armes à feu prohibées, armes à feu à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs prohibés et munitions prohibés et ce, à perpétuité.

[159]       ORDONNE à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, en vertu de l’article 743.21 du Code criminel, de s’abstenir, pendant sa détention, de communiquer directement ou indirectement avec Mlle X, M. C... P... et Mme G... V...;

[160]       INTERDIT à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, en vertu de l’article 161(1) a.1) du Code criminel, de se trouver à moins de deux kilomètres de toute maison d’habitation où réside habituellement Mlle X et ce, pour une période de 10 ans;

[161]       INTERDIT à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, en vertu de l’article 161(1) c) du Code criminel, d’avoir des contacts, notamment communiquer par quelque moyen que ce soit, avec une personne âgée de moins de 16 ans, et ce, pour une période de 10 ans;

[162]       ORDONNE à M. Miguel Antonio Poblete Abarzua, en vertu de l’article 737 du Code criminel, de payer la suramende compensatoire pour les deux chefs d’infraction.

 

 

 

 

______________________________PIERRE LABRIE, J.C.S.

 

 

 

 

Me Nadine Haviernick

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureure du poursuivant

 

Me Marc Labelle

Me Claudia Doyle

Labelle, Côté, Tabah et Associés

Procureur(e)s de laccusé  

 

Date d'audience : Le 27 avril 2023

     

 

 

 


[1] Conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Kellogg’s Company of Canada c. P.G. du Québec,

  [1978] C.A. 258, 259-260, le Tribunal en a remanié les motifs pour plus de clarté et pour en améliorer

  la présentation.

[2] Pièce S-1.

[3] Pièce S-2.

[4] [1975] 1 R.C.S. 729.

[5] 2020 QCCA 1556.

[6] Id., par. 3.

[7] 2019 QCCA 2126.

[8]  R. v. A.S., 2023 ONSC 983; R. v. S.H.B., 2022 BCSC 441; R. v. J.F., 2021 ONSC 7613; R. v. R.V., 2022

   ONSC 2332; R. v. J.B., 2023 ONSC 1275; R. v. B.L.J. 2023 BCPC 39.

[9]  2020 CSC 9 [Friesen].

[10] 2013 CSC 15 [Pham].

[11] Pham, supra, note 10.

[12] [2012] 1 R.C.S. 433.

[13] Friesen, supra, note 9.

[14] Friesen, supra, note 9, par. 95, 100.

[15] Id., par. 105.

[16] Friesen, supra, note 9, par. 103, 104.

[17] Pièce S-1.

[18] Friesen, supra, note 9, par. 139.

[19] Friesen, supra, note 9, par. 79 à 84.

[20] [2009] 3 R.C.F. 461. Voir également : McLeod c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1351, par. 11;

    R. v. Carrera-Vega, 2015 ONSC 4958 [Carrera-Vega], par. 56 à 70.

[21] L.C. 2012, ch. 1, article 83.

[22] L.C. 1992, ch. 20.

[23] Id., articles 128 (3) et 128 (4).

[24] Id., article 99.

[25] Id., article 120.

[26] 2003 CSC 6.

[27] 2009 ABCA 257.

[28] 2014 CSC 20, par. 61.

[29] 2019 ONCA 527.

[30] Pham, supra, note 10, par. 13 à 16. Voir également : Carrera-Vega, supra, note 20, par. 56 à 70.

[31] Voir à ce sujet : R. v. A.S., 2023 ONSC 983; R. v. S.H.B., 2022 BCSC 441; R. v. J.F., 2021; ONSC 7613;

    R. v. R.V., 2022 ONSC 2332; R. v. J.B., 2023 ONSC 1275; R. v. B.L.J. 2023 BCPC 39; R. c. Lussier,

    C.Q., 500-01-172320-183, 14 septembre 2020, l’honorable Karine Giguère, j.c.q.

[32] Friesen, supra, note 9.

[33] L.C. 2004, ch. 10.

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