Inv. BVT Longueuil inc. c. Cotton | 2024 QCTAL 12747 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Longueuil | ||||||
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No dossier : | 752424 37 20231219 G | No demande : | 4148108 | |||
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Date : | 17 avril 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Marilyne Trudeau | |||||
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Inv. B.V.T. Longueuil Inc |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Olivier Cotton |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande la résiliation du bail et l'éviction du locataire et des autres occupants du logement, le recouvrement du loyer dû en date de l'audience, l’exécution provisoire malgré l’appel et le remboursement des frais de justice.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, reconduit jusqu’au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 977 $.
APERÇU
[3] La locatrice a acquis l’immeuble au cours du mois de mai 2023, le premier loyer payable par les locataires étant celui du 1er juin 2023.
[4] Le 23 mai 2023, une note a été affichée dans l’immeuble, rappelant aux locataires que le nouveau propriétaire de l’immeuble est « Investissements B.T.V. inc. » ainsi que les trois (3) options de paiement soit :
« -remplir le formulaire de paiements préautorisés (nous avons laissé des copies dans l’entrée de votre immeuble au cas ou vous l’aviez perdu) ;
-Déposé une série de chèques post daté dans la boite à chèque blanche situé à l’ancien bureau sur la rue Montarville. Vous devez adresser les chèques à Investissement B.T.V. inc.;
-payer votre loyer au bureau situé au [adresse 1], Westmount [...]
Si vous avez des questions, svp contacter la gestion au 514 [...] / [...]@gestionzagora.com[1]. » [sic]
[5] Une copie de cette note est produite par le locataire.
[6] Selon la locatrice, le locataire doit la somme de 7 816 $, soit le loyer des mois de juillet 2023 à février 2024. Le locataire étant en retard de plus de trois (3) semaines dans le paiement du loyer, la locatrice demande la résiliation du bail.
[7] Le locataire ayant de plus omis de payer son loyer le premier jour du mois à huit (8) occasions dans les huit (8) derniers mois, la locatrice demande la résiliation du bail pour les retards fréquents dans le paiement du loyer.
[8] La mandataire de la locatrice mentionne les nombreuses démarches faites auprès du locataire afin de percevoir le loyer, soit l’avis de défaut de paiement remis le 25 août 2023 et la présente demande en justice introduite le 19 décembre 2023.
[9] Les retards du locataire lui ont imposé des frais financiers supplémentaires, car les paiements hypothécaires, l’impôt foncier, les frais d’énergie et d’entretien ainsi que les assurances doivent être payés.
[10] Le locataire explique qu’une personne, Louis Cyr, s’est présentée à son logement afin de lui faire signer un nouveau bail le 6 août 2023, pour une durée du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024[2].
[11] Cette même personne s’est présentée tous les mois afin de quérir le loyer. Le locataire déclare avoir payé le loyer à cet individu en argent comptant, recevant chaque fois un reçu pour le paiement effectué. Il produit des reçus de paiement pour le loyer des mois de septembre 2023, d’octobre 2023, de novembre 2023 et de janvier 2023[3].
[12] Questionné par la soussignée, le locataire admet ne pas avoir demandé à la personne s’étant présentée chez lui de preuve quant à son identité.
[13] Suivant la réception de l’avis de défaut de paiement et d’action juridique le 25 août 2023, indiquant qu’il doit la somme de 2 947 $ en loyer impayé[4], le locataire soumet avoir téléphoné au numéro inscrit sur l’affiche du 23 mai 2023 à au moins 28 reprises. Il n’a reçu aucun retour d’appel.
[14] La mandataire de la locatrice soulève plusieurs points.
[15] La locatrice n’a aucun employé se nommant Louis Cyr.
[16] Personne ne se présente aux immeubles afin de quérir le loyer mensuel.
[17] Les modalités de paiement acceptées sont clairement indiquées, notamment sur l’affiche du 23 mai 2023 fixée à l’entrée de l’immeuble,
[18] Les reçus et le bail produits par le locataire comportent des fautes, notamment quant à l’adresse de la locatrice, il est inscrit : « [adresse 2] » ou «[adresse 3] » plutôt que « [adresse 1] ». Le bail indique quant à lui que le locateur est « Gestion Zagora Managment [adresse 3], Montrial ».
QUESTIONS EN LITIGE
Des sommes sont-elles dues à la locatrice en loyer impayé?
Le locataire est-il en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, justifiant la résiliation du bail?
Le locataire paie-t-il son loyer fréquemment en retard, causant un préjudice sérieux à la locatrice et justifiant la résiliation du bail?
ANALYSE ET DÉCISION
Le non-paiement du loyer
[19] La locatrice soumet que le locataire doit la somme de 7 816 $, représentant le loyer des mois de juillet 2023 à février 2024.
[20] Le locataire affirme quant à lui avoir payé les sommes réclamées à une personne ayant déclaré travailler pour la locatrice.
[21] En effectuant ses paiements à cette personne, le locataire a-t-il valablement payé son loyer?
[22] Relativement au mandat apparent, l'article 2163 C.c.Q. prescrit que :
2163. Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait eu mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible.
[23] La doctrine ainsi que la jurisprudence précisent qu'il y a donc quatre conditions exigées pour que le débiteur puisse bénéficier du mandat apparent et soit ainsi en mesure d'opposer son paiement. Il faut, dans un premier temps, que :
... le mandataire apparent exécute un acte qu'il n'a pas le pouvoir de faire, soit parce qu'il ne détient aucun mandat, soit parce qu'il excède ses pouvoirs.
Deuxièmement, il faut que le tiers ignore que le mandataire agit sans pouvoir. En matière de mandat apparent, le tribunal devra être convaincu que le tiers est de bonne foi, qu'il s'est informé adéquatement de l'autorité du mandataire avant de contracter avec lui.
Troisièmement, il faut que le mandant apparent ait laissé croire qu'une personne était son mandataire[5].
[Notre soulignement]
[24] La quatrième condition est ajoutée par Claude Fabien[6] :
...les motifs raisonnables de croire aux apparences doivent émaner du mandant.
[25] Par cette dernière condition, l'on précise que l'existence d'un mandat apparent ne peut être démontrée par les seuls gestes du mandataire exécutés hors la connaissance du mandant.
[26] Or, dans le dossier à l’étude, le locataire n'a ni cherché ni obtenu confirmation de la locatrice ou d'une autre personne du bureau du bien-fondé d'un tel mandat. En effet, questionné, le locataire admet ne pas avoir demandé de pièce d’identité à la personne s’étant présentée à son logement afin de quérir le loyer et à qui il le payait. Il n’a effectué aucune vérification avec la locatrice avant de recevoir l’avis de défaut de paiement réclamant la somme de 2 947 $, reçu le 25 août 2023.
[27] Qui plus est, alors qu’il est informé de la non-réception de ces paiements du loyer par la locatrice, il continue à payer le loyer de la même façon et à cette même personne.
[28] Dans le présent litige, il faut conclure que « Louis Cyr » n'avait aucun mandat apparent. La preuve démontre qu’il n'est pas l'employé de la locatrice ni son mandataire conventionnel ou autre. En effet, le locataire ne disposait d’aucune information émanant de la locatrice indiquant que cet individu avait l'autorité de percevoir le loyer.
[29] Bien au contraire, depuis le 23 mai 2023, la locatrice avait clairement affiché dans l’immeuble les trois (3) modalités de paiement du loyer acceptées à compter du 1er juin 2023, le paiement en argent comptant à une personne nommée « Louis Cyr » n’étant pas l’une d’elles.
[30] Dans la cause de Transport Sourock ltée (Syndic de), la Cour d'appel retient comme principe que le paiement par le débiteur d'une dette à une personne autre que le créancier, sans l'autorisation expresse de ce dernier, est une procédure exceptionnelle, qui impose au débiteur un fardeau plus lourd quant à la vérification du pouvoir de celui qui reçoit le paiement[7].
[31] Ainsi, le paiement en argent comptant du loyer des mois de juillet 2023 à décembre 2023, effectué contrairement aux directives données par la locatrice suivant l’acquisition de l’immeuble sans vérification par le locataire auprès de la locatrice quant à l’identité de la personne avec qui il transige, ne peut être considéré comme le fait d'une personne diligente et prudente.
[32] La Cour supérieure a déjà décidé que :
« Si le débiteur prétend que celui à qui il fait le paiement est le mandataire apparent de son créancier, les motifs qui lui permettent de le croire doivent émaner du créancier, non du mandataire apparent[8]. »
[33] La locatrice n’a donné aucune indication permettant au locataire de croire que « Louis Cyr » était habilité afin de quérir le loyer ou de signer un bail en son nom. La simple lecture du document affiché dans l’immeuble le 23 mai 2023 aurait renseigné le locataire sur les modalités de paiement acceptées par la locatrice.
[34] De plus, une simple vérification auprès de la locatrice afin de vérifier si le paiement comptant de loyer était autorisé et si « Louis Cyr » était une personne autorisée à le quérir aurait pu mettre un terme à cette fraude de la part de cet individu.
[35] Qui plus est, informé de la non-réception des loyers payés par la locatrice le 25 août 2023 et malgré son impossibilité de communiquer avec un représentant de la locatrice, le locataire continue de payer son loyer à « Louis Cyr ».
[36] En résumé, le Tribunal est d'avis que bien que la preuve ne démontre pas de mauvaise foi évidente du locataire, elle ne démontre pas non plus qu’il avait des motifs raisonnables de croire que « Louis Cyr » avait reçu de la locatrice le mandat de recevoir le paiement au comptant du loyer ni de signer un nouveau bail ou d’émettre des reçus en son nom. Donc, le locataire n'a pas démontré l'existence d'un mandat apparent par la locatrice à « Louis Cyr » à cette fin. Par conséquent, les paiements faits par le locataire à cet individu, plutôt qu’à la locatrice, n'ont pas libéré le locataire du paiement du loyer depuis juillet 2023.
[37] Afin d'être libératoire pour un débiteur, le paiement doit répondre à certaines conditions relatives à celui qui reçoit le paiement. Jean-Louis Baudouin exprime ainsi la doctrine qui s'applique :
Le paiement, pour avoir un effet libératoire, doit être fait au créancier personnellement ou à celui désigné pour le recevoir à sa place par la convention (mandataire ou bénéficiaire d'une stipulation pour autrui), la loi (tuteur, curateur) ou la justice (syndic à la faillite). Lorsque le débiteur paye au représentant conventionnel du créancier, il doit prendre garde de s'assurer de son autorité, le paiement à un tiers non autorisé ne liant pas le créancier et obligeant le débiteur à payer de nouveau, sauf dans l'hypothèse où le créancier a subséquemment ratifié l'acte ou profité du paiement (par exemple, lorsque le paiement a été fait au propre créancier du créancier, à son acquit. Le paiement fait à un tiers, sans droit, est en principe nul et donne droit à une action en répétition de l'indu[9].
[38] Qui plus est, le locataire admet à l’audience ne pas avoir payé le loyer des mois de janvier et de février 2024.
[39] Le locataire étant en retard de plus de trois (3) semaines dans le paiement du loyer, ce premier motif de résiliation du bail est donc justifié.
[40] Toutefois, considérant que le présent jugement fixe le droit des parties quant à la validité des paiements effectués par le locataire, le Tribunal accordera à ce dernier un délai de 30 jours, à compter de la présente, afin de s’acquitter des sommes dues.
[41] À défaut d’un paiement complet dans les 30 jours, le bail sera résilié.
Les retards fréquents dans le paiement du loyer
[42] La locatrice demande la résiliation du bail pour le motif que le locataire paie son loyer fréquemment son loyer en retard, lui causant un préjudice sérieux.
[43] La preuve prépondérante démontre que le loyer des mois de juillet 2023 à février 2024 n’a pas été payé le premier jour du mois.
[44] Toutefois, il appert également de la preuve présentée que le locataire croyait, de bonne foi, effectuer les paiements à une personne représentant la locatrice.
[45] Cela étant, la locatrice n’a pas reçu le paiement du loyer le premier du mois à huit (8) reprises au cours des huit (8) derniers mois.
[46] Ces défauts des locataires étant réguliers et continuels, la fréquence de ces retards satisfait aux critères de l'article 1971 C.c.Q.
[47] La locatrice a mentionné les nombreuses démarches qu'elle a dû faire auprès du locataire pour percevoir son loyer.
[48] Les retards du locataire lui ont de plus imposé des frais financiers supplémentaires, car les paiements hypothécaires, l'impôt foncier, les frais d'énergie et les assurances doivent être payés.
[49] La locatrice ayant démontré le préjudice sérieux occasionné par les fréquents retards du locataire à payer son loyer, elle est en droit d'obtenir la résiliation du bail.
[50] Cependant, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal considère qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation du bail pour retards fréquents et d'y substituer l'ordonnance prévue à l'article 1973 C.c.Q. Cette ordonnance sera en vigueur à compter du 1er juin 2024, vu le délai légal d'exécution de la présente décision et elle le demeurera pour toute la durée du présent bail, de même que pour ses deux périodes de reconduction subséquente, le cas échéant. Il s'agit là d'une ordonnance sévère. Advenant le défaut du locataire de payer son loyer le premier de chaque mois, de la manière prévue, le Tribunal, sur demande de la locatrice, résiliera le bail.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[51] CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice la somme de 7 816 $, avec intérêts légaux, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. sur la somme de 5 862 $, à compter du dépôt de la demande, le 19 décembre 2023, et à l'échéance de chaque loyer pour le solde, plus la somme de 112,50 $ pour les frais de justice;
[52] Advenant paiement par le locataire de l’intégralité des sommes dues dans le délai de 30 jours, SURSOIT à la résiliation du bail et ORDONNE au locataire de payer son loyer le 1er de chaque mois à compter du 1er juin 2024, et ce, pour toute la durée du bail en cours et pour ses deux périodes de reconduction subséquente, le cas échéant;
[53] À défaut d’un paiement des sommes dues dans un délai de 30 jours de la présente, RÉSILIE le bail et ORDONNE l'éviction du locataire et des autres occupants du logement concerné.
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Marilyne Trudeau | ||
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Présence(s) : | la mandataire de la locatrice le locataire | ||
Date de l’audience : | 28 février 2024 | ||
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[1] Pièce L-3.
[2] Pièce L-1.
[3] Pièce L-2 (en liasse).
[4] Pièce L-4.
[5] Bousquet, François et al, Collection de droit 2001-2002, Contrats, prescriptions, sûretés et publicité des droits, éd. Yvon Blais, Cowansville, p.67.
[6] Les Règles du mandat, Répertoire de droit de la Chambre des notaires, 1986, p. 355.
[7] 200-09-000422-862, Québec, 20-04-89, jj. Bisson, Gendreau et Hannan.
[8] American Road Insurance Company c. Les écuries Dupont inc, C.S., 500-17-011101-014, Montréal, j.C. Gascon, 20-02-04. Voir aussi Karim, V. Les obligations, 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2002, pp. 193-196 et Baudouin, J.-L., et Jobin, P.-G., Les obligations, 5e éd., Editions Yvon Blais, Cowansville, 2001, p.65.
[9] Les obligations, 4e éd., Éditions Yvon Blais, Cowansville, p.388.
AVIS :
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