Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Pilon c. Banque Amex du Canada

2021 QCCA 414

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028597-193

(500-06-000899-183)

 

DATE :

15 mars 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GUY GAGNON, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

MÉLISSA PILON

APPELANTE - demanderesse

c.

 

BANQUE AMEX DU CANADA

BANQUE CANADIAN TIRE

BANQUE CAPITAL ONE

BANQUE LE CHOIX DU PRÉSIDENT

CITIBANQUE CANADA

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

BANQUE HSBC CANADA

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

BANQUE DE MONTRÉAL

BANQUE NATIONALE DU CANADA

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

BANQUE ROYALE DU CANADA

BANQUE TANGERINE

BANQUE TORONTO-DOMINION

FÉDÉRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC

BANQUE DUO DU CANADA, anciennement Banque Walmart du Canada

BANQUE MANUVIE DU CANADA

INTIMÉES - défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 23 août 2019 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Pierre-C. Gagnon), lequel jugement rejette sa deuxième Demande en autorisation d’exercer une action collective remodifiée.

[2]           Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Vauclair, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

Me Charles-Antoine Danis

Me Jean-Sébastien Neault

Cabinet Danis

Pour l’appelante

 

Me Jessica Harding

Me Éric Préfontaine

Osler, Hoskin & Harcourt

Pour les intimées Banque Amex du Canada et Banque HSBC Canada

 

Me François-David Paré

Norton Rose Fulbright Canada

Pour l’intimée Banque Canadian Tire

 

Me Éric Vallières

McMillan

Pour l’intimée Banque Capital One

 

Me Stéphane Pitre

Me Alexandra Hébert

Borden Ladner Gervais

Pour l’intimée Banque Le Choix du Président

 

Me Simon Jun Seida

Me Robert Torralbo

Blake, Cassels & Graydon

Pour l’intimée Citibanque Canada

 

Me Yves Martineau

Me Guillaume Boudreau-Simard

Stikeman Elliott

Pour l’intimée Banque Canadienne Impériale de Commerce

 

Me Ariane Bisaillon

Me Francis Rouleau

Blake, Cassels & Graydon

Pour l’intimée Banque Laurentienne du Canada

 

Me Guy Pratte

Me Mathieu Lévesque

Me Patrick Plante

Borden Ladner Gervais

Pour l’intimée Banque de Montréal

 

Me Kristian Brabander

McCarthy Tétrault

Pour l’intimée Banque Nationale du Canada

 

Me Alexander L. De Zordo

Me Karine Chênevert

Borden Ladner Gervais

Pour les intimées Banque de Nouvelle-Écosse et Banque Tangerine

 

Me Ronald Audette

Me Paule Hamelin

Gowling WLG (Canada)

Pour l’intimée Banque Royale du Canada

 

Me Geneviève St-Cyr Larkin

Me Mason Poplaw

McCarthy Tétrault

Pour l’intimée Banque Toronto-Dominion

 

Me Vincent De L’Étoile

Me Sandra Desjardins

Langlois avocats

Pour l’intimée Fédération des Caisses Desjardins du Québec

 

Me Matthew Angelus

Me Sylvie Rodrigue

Société d’Avocats Torys

Pour l’intimée Banque Duo du Canada, anciennement Banque Walmart du Canada

 

Me Christopher Richter

Société d’Avocats Torys

Pour l’intimée Banque Manuvie du Canada

 

Date d’audience :

1er février 2021


 

 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

[4]           Les intimées sont toutes des institutions émettrices de cartes de crédit. Toutes fixent une limite au montant du crédit associé à de telles cartes que les utilisateurs ne sont pas autorisés à dépasser. Cependant, toutes les intimées permettent à l’occasion à leur client de faire une ou plusieurs transactions qui lui font dépasser cette limite de crédit.

[5]            Il est acquis que tant l’article 6 du Règlement sur les pratiques commerciales en matière de crédit (banques, banques étrangères autorisées, sociétés de fiducie et de prêt, associations de détail, sociétés d’assurances canadiennes et sociétés d’assurances étrangères[1] (le « Règlement fédéral ») que l’ancienne comme la nouvelle version de l’article 128 de la Loi sur la protection du consommateur[2] (« L.p.c. ») interdisent aux intimées d’augmenter cette limite sans l’accord exprès du consommateur.

[6]           En première instance, l’appelante avançait qu’en permettant ainsi aux consommateurs de dépasser la limite de crédit indiquée dans leur contrat lors d’une transaction faite par eux, les intimées contreviennent à l’interdiction prévue aux articles mentionnés ci-haut de hausser la limite de crédit associée à leur carte sans avoir obtenu leur accord exprès.

[7]              La Cour supérieure (l’honorable Pierre-C. Gagnon)[3], estimant que le sort entier de l’action collective pour laquelle la demande lui était présentée dépendait de la réponse à cette question, qu’il qualifie de simple ou pure question de droit, y répond. Il conclut que la lecture faite par l’appelante des dispositions invoquées, et sur laquelle reposait son syllogisme juridique, est erronée et refuse par conséquent d’autoriser l’action collective. Il conclut aussi que, quant à l’intimée Capital One, Mme Pilon serait incapable de représenter adéquatement les membres au sens du paragraphe 575 (4o) C.p.c.

[8]           Pour les motifs suivants, je propose le rejet de l’appel.

* * *

[9]           Dans son arrêt L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., la Cour suprême résume le pouvoir d’intervention limité d’une cour d’appel en matière de révision d’une décision sur une demande d’autorisation d’exercer une action collective :

[10]      Lorsqu’elle siège en appel d’une décision portant sur une demande sollicitant l’autorisation d’exercer une action collective, la Cour d’appel « ne détient qu’un pouvoir limité d’intervention »; ainsi, « elle doit faire preuve de déférence envers la décision du juge d’autorisation » : Vivendi, par. 34. Il est en effet bien établi que l’appréciation du respect des conditions d’autorisation implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : Harmegnies, par. 20-24. En conséquence, la Cour d’appel « n’interviendra [. . .] que si le juge d’autorisation a commis une erreur de droit ou si son appréciation des critères énoncés à l’art. [575] C.p.c. est manifestement non fondée » : Vivendi, par. 34. En outre, « en présence d’une erreur de droit ou d’une appréciation manifestement non fondée de la part du juge d’autorisation à l’égard d’un critère prévu à l’art. [575] C.p.c., la Cour d’appel peut uniquement substituer son appréciation pour ce critère et non pour les autres » : Vivendi, par. 35; voir aussi Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820 (CanLII), par. 17; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 (CanLII), par. 32-35; Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (CanLII), par. 37; Belmamoun c. Brossard (Ville), 2017 QCCA 102 (CanLII), 68 M.P.L.R. (5th) 46, par. 70[4].

[10]        Ainsi, la Cour n’interviendra qu’en présence d’une erreur de droit, d’une appréciation manifestement mal fondée de l’une ou l’autre des conditions qu’énonce l’art. 575 C.p.c. ou encore du dépassement des limites du domaine de l’autorisation.

* * *

[11]        L’appelante propose que le juge a erré en droit en s’autorisant à interpréter, au stade de l’autorisation, les dispositions légales et réglementaires sur lesquelles elle appuie son syllogisme juridique alors qu’il était en présence d’une preuve contradictoire. Il aurait de plus erré en tranchant la question de droit sur laquelle repose son syllogisme juridique puisque la réponse à cette question nécessitait une analyse juridique qui dépasse le niveau d’analyse qui peut être fait à l’étape de l’autorisation. Le juge aurait donc dû déférer la question au juge du fond et autoriser l’exercice de l’action collective.

[12]        Le juge peut, à l’étape de l’autorisation, statuer sur une question d’interprétation statutaire à la condition que l’analyse ne requière pas l’administration d’une preuve, étant entendu qu’il doit se garder de statuer ou d’évaluer la preuve présentée puisque cette analyse doit plutôt se faire sur le fond[5]. Il peut cependant, lorsque cela est nécessaire pour trancher la question de droit et décider si les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, considérer ceux qui sont allégués par le requérant, lesquels sont alors tenus pour avérés[6]. Le choix de statuer ou de plutôt déférer au juge du fond relève alors de la discrétion du juge[7].

[13]        En l’espèce, les faits allégués et tenus pour avérés au soutien du syllogisme de l’appelante et qu’elle propose à l’égard de toutes les intimées expliquent que Capital One et Fédération des Caisses Desjardins du Québec (« Desjardins ») ont « autorisé des opérations ayant pour effet de dépasser la limite de crédit convenue dans le contrat de carte de crédit sans avoir obtenu [son] consentement exprès ». L’intimée Capital One aurait de plus facturé des frais de dépassement[8]. Toutes les autres intimées auraient agi de la même façon à l’égard de certains de leurs clients détenteurs de carte de crédit. Vu ces agissements, l’appelante soutenait qu’en autorisant de tels dépassements sans obtenir au préalable l’accord exprès du détenteur de la carte de crédit, les intimées contreviennent à l’article 6 du Règlement fédéral et à l’article 128 L.p.c., syllogisme qui reposait, comme l’appelante l’allègue dans sa demande en autorisation et le rappelle lors de l’audition à la Cour, sur la question de droit suivante :

161.     La question reliant chacun des membres des groupes et que la demanderesse entend faire trancher par l’action collective envisagée est :

a) L’autorisation unilatérale d’un dépassement de la limite de crédit par les défenderesses lors d’une opération par carte de crédit constitue-t-elle une augmentation de la limite de crédit prévue au contrat de carte de crédit ?

[14]        L’appelante soutient qu’il ne s’agit pas là d’une question de droit que le juge pouvait trancher sans l’administration d’une preuve complète et qu’elle entend présenter au fond une preuve substantielle, vu que les contrats entre les intimées et leurs clients comportent nécessairement des particularités qui varient d’une institution à l’autre[9] et que les notions de dépassement et d’augmentation de la limite de crédit n’y sont pas définies, non plus que dans la loi.

[15]        Le juge expose comme suit les propositions que lui présentait l’appelante :

[5]        Les parties s’entendent que toutes les cartes de crédit émises à des consommateurs, ici en cause, le sont sur la base d’un contrat (variant d’une banque à l’autre, et d’un type de carte de crédit à un autre) qui stipule une limite de crédit. L’institution émettrice n’est pas autorisée à augmenter unilatéralement cette limite; le détenteur de la carte doit donner préalablement son consentement exprès à telle hausse.

[6]        Ce genre d’augmentation n’est pas directement en cause dans la présente affaire.

[7]        Plutôt, Mme Pilon conteste les situations où la prochaine transaction entraînerait un dépassement dit « ponctuel » de la limite, sur le point d’être atteinte. En tel cas, l’émetteur de la carte de crédit gère des logiciels ou des centres téléphoniques qui l’amènent à décider s’il autorise tel dépassement ou non. Dans certains cas, chaque dépassement autorisé engendre la facturation de frais de dépassement (par exemple, 29 $ par période de facturation).

[8]        Mme Pilon s’attaque à cette pratique du dépassement ponctuel de la limite de crédit qui paraît généralisée au Canada et au Québec, bien que prohibée selon elle par le Régime fédéral et le Régime québécois.

[9]        Les défenderesses reconnaissent que cette pratique existe (avec variantes). Dans certains cas, le type de carte de crédit ne permet aucun dépassement ponctuel. Surtout, elles plaident que ni le Régime fédéral ni le Régime québécois ne prohibent cette pratique à quelque époque concernée. Selon les défenderesses, il s’agit d’une question de droit claire qui rend l’action collective irrecevable, de sorte que l’action collective ne doit pas être autorisée, pour ce motif notamment.

[Renvois omis]

[16]        Cette question de droit était la suivante : les intimées contreviennent-elles à l’article 6 du Règlement fédéral[10] et à l’article 128 L.p.c. pour les transactions faites avant comme après la modification apportée à cet l’article le 1er août 2019, lorsqu’elles permettent à un client détenteur d’une carte de crédit de dépasser la limite de crédit qui se rattache à sa carte, sans obtenir au préalable son consentement exprès?

[17]        J’estime que le juge pouvait répondre à la question posée par l’appelante. Il n’aurait pas été dans une meilleure position après la présentation d’une preuve additionnelle puisque la demande pour autorisation comportait déjà et à elle seule toutes les propositions et allégations des faits utiles (alors tenus pour avérés). Bien que les contrats intervenus entre chacune des intimées et leurs clients pouvaient ne pas avoir été identiques, la faute qui leur est reprochée par l’appelante est la même pour toutes et le syllogisme juridique, identique à l’égard de toutes les intimées, repose sur une seule question de droit.

[18]        Aussi, le juge n’a pas erré en choisissant de résoudre dès l’étape de l’autorisation cette question de droit dont dépendait le sort de l’action projetée, malgré le fait que sa solution pût commander une analyse juridique plus poussée. Le juge chargé d’analyser les critères de l’article 575 C.p.c. peut donner une réponse à une « pure » ou « simple » question de droit au sens indiqué ci-haut au paragraphe [12], malgré que cette question puisse ne pas être simple à résoudre et que sa réponse requière une analyse juridique complète.

[19]        Cela étant, le juge a-t-il erré dans la réponse qu’il y donne?

[20]        Mentionnons que les intimées plaidaient, et plaident de nouveau devant la Cour, que les consommateurs ont tous donné leur accord à de tels dépassements de leur limite de crédit lors de la conclusion de leur contrat de crédit, lesquels contrats avaient été allégués et produits par l’appelante elle-même en première instance. Je suis toutefois d’avis qu’il n’est pas nécessaire ni même utile de référer à ces contrats afin de répondre à la question qui constitue le cœur du litige.

[21]        Avant le 1er août 2019, l’article 128 L.p.c. prévoyait ceci :

128.  Lorsque le commerçant a indiqué au consommateur la somme jusqu’à concurrence de laquelle un crédit variable lui est consenti, il ne peut augmenter cette somme sauf à la demande expresse du consommateur.

128.   Where the merchant has indicated to the consumer the amount up to which variable credit is extended to him, the merchant shall not increase such amount unless the consumer expressly applies therefor.

[22]        Le 1er août 2019, cet article a été modifié et les articles 128.1 à 128.3 ont été ajoutés, lesquels prévoient dorénavant ceci :

128. Le commerçant ne peut augmenter la limite de crédit consentie que sur demande expresse du consommateur.

128.   A merchant may not increase the credit limit granted except on the express request of the consumer.

Le commerçant ne peut augmenter la limite de crédit au-delà de la nouvelle limite demandée par le consommateur.

The merchant may not increase the credit limit beyond the new limit requested by the consumer.

Ne constitue pas une demande expresse le fait par le consommateur d’effectuer une opération entraînant le dépassement de la limite de crédit consentie.

The fact that a consumer makes a transaction resulting in the credit limit granted being exceeded does not constitute an express request.

128.1. Le commerçant ne peut permettre au consommateur d’effectuer des opérations dépassant la limite de crédit au cours d’une période à moins de respecter toutes les conditions suivantes :

128.1.    The merchant may not allow the consumer to make transactions that exceed the credit limit during a period unless the merchant

a)          il transmet un avis au consommateur indiquant que celui-ci a effectué une opération entraînant le dépassement de sa limite de crédit;

(a   sends the consumer a notice stating that the consumer made a transaction resulting in the credit limit granted being exceeded; and

b)          il n’impose aucuns frais au consommateur en raison de ce dépassement.

(b   imposes no charges on the consumer for exceeding the credit limit.

Une retenue effectuée sur une carte de crédit n’est pas considérée comme une opération aux fins de l’application du présent article.

The withholding of an amount on a credit card is not considered to be a transaction for the purposes of this section.

128.2.   Toute augmentation unilatérale de la limite de crédit par le commerçant est inopposable au consommateur, qui n’est pas tenu au paiement des sommes portées à son compte qui excèdent la limite de crédit consentie avant cette augmentation.

128.2.   Any unilateral increase of the credit limit by the merchant cannot be invoked against the consumer, and the consumer is not required to pay the amounts charged to the account that exceed the credit limit granted before that increase.

128.3.   Est interdite, dans un contrat de crédit variable, la stipulation qui permet au commerçant d’augmenter unilatéralement la limite de crédit.

128.3.  Any stipulation in an open credit contract whereby the merchant may unilaterally increase the credit limit is prohibited.

Est également interdite la stipulation qui permet au commerçant d’imposer des frais au consommateur lorsqu’une opération a pour effet de dépasser sa limite de crédit ou lui est refusée pour ce motif.

Any stipulation whereby the merchant may impose charges on the consumer if a transaction results in the credit limit granted being exceeded or if a transaction is refused on that ground is also prohibited.

[Soulignements ajoutés]

(Emphasis added)

[23]        L’appelante reproche d’abord au juge de ne pas avoir fait appel, dans son exercice d’interprétation de ces articles, à la méthode moderne d’interprétation législative. L’eût-il fait qu’il aurait conclu que ces dispositions ne font pas de distinction entre un dépassement de la limite de crédit associée à la carte et une augmentation de cette limite, et donc que tout dépassement de cette limite non expressément autorisé au préalable y contrevient. Selon elle, le juge aurait dû considérer en premier lieu que l’objet premier de ces dispositions est la protection du consommateur et leur protection contre le surendettement.

[24]        Il est vrai que le juge n’identifie pas l’approche qu’il emploie. Toutefois, pour donner le sens qu’il expose à ces dispositions, il s’attarde à la clarté du texte du règlement et de la loi, fait une lecture contextuelle en les lisant avec les autres articles qui s’y rattachent, étudie la cohérence entre ces articles (et constate l’incohérence à laquelle mène le raisonnement proposé par l’appelante), analyse l’historique parlementaire de la loi québécoise et considère comme outil additionnel l’interprétation qui est donnée au Règlement fédéral par l’autorité administrative chargée de son application (dans un contrat type et dans un document de vulgarisation). Voilà ce qui ressemble à une lecture «  [d]es termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[11], principe moderne d’interprétation qui a déplacé la règle du sens clair des textes (plain meaning rule) « qui voulait restreindre l’interprète à la considération du seul sens littéral du texte lorsqu’il est clair »[12].

[25]        L’appelante soutient qu’aucune des dispositions en litige ne fait la distinction entre un dépassement de la limite de crédit associée à la carte de crédit et une augmentation de cette limite, que les deux mots ont le même sens et donc que tout dépassement de cette limite non expressément autorisé au préalable y contrevient. Elle soutient de plus non seulement que l’ancien texte de l’article 128 L.p.c. interdisait cette pratique, mais aussi que cette interdiction serait maintenue dans sa nouvelle mouture.

[26]        Le juge conclut plutôt que le but de l’ancien article 128, soit avant l’amendement entré en vigueur le 1er août 2019, était d’interdire les augmentations unilatérales par l’institution émettrice de la limite jusqu’à concurrence de laquelle un crédit variable avait été consenti, mais non d’interdire ses dépassements susceptibles d’être faits par le consommateur et acceptés par l’institution émettrice.

[27]        Quant aux articles 128 à 128.3 L.p.c. qui l’ont remplacé, le juge conclut que le législateur a voulu conserver l’interdiction faite aux institutions émettrices d’augmenter la limite de crédit sans le consentement exprès du client et que, par ses amendements, il a voulu imposer aux institutions émettrices des conditions lorsqu’elles laissent le consommateur effectuer un dépassement de cette limite, dépassement jusqu’alors autorisé, lorsque la limite demeure inchangée : (1) en prévoyant que lors de chaque dépassement, l’institution émettrice doit transmettre un avis au consommateur l’informant qu’il a effectué une opération entraînant le dépassement de sa limite de crédit, et (2) en interdisant la pratique jusqu’alors répandue voulant que l’institution émettrice charge des frais au consommateur en raison de ce dépassement.

[28]        En d’autres mots, par ces amendements à l’article 128 L.p.c., le législateur n’est pas venu libéraliser la pratique qui avait alors cours, mais bien la resserrer.

[29]        Afin de conclure de la sorte, le juge prend en outre appui sur les commentaires des parlementaires, et plus particulièrement des prises de position de la ministre Thériault, responsable de la Protection des consommateurs et de l’Habitation lors de l’étude de la proposition d’amendements à l’article 128 L.p.c. en commission parlementaire en novembre 2017. La ministre réfère à la pratique de dépassement « qui a cours actuellement » et à l’égard de laquelle « il n’y a pas de problème avec les institutions financières ». Elle explique :

[…] on ne vient pas changer tout l’écosystème du dépassement. Ce qu’on vient faire, c’est de dire : Dorénavant, quand quelqu’un dépasse sa limite de crédit, vous devez lui signifier qu’il a dépassé sa limite de crédit. Pourquoi? Parce qu’on veut faire en sorte que le consommateur soit sensibilisé à la surconsommation[13].

[30]        La ministre ajoute un peu plus loin :

[…] qu’à partir du moment où l’institution financière va aussi ne pas autoriser les transactions ça vient faire la différence également. L’institution financière doit avoir la marge de manœuvre pour dire : Est-ce que je le laisse passer ou si je l’interdis? Et l’institution financière pourra toujours bloquer une transaction à partir du moment où elle va juger que c’est excessif, l’utilisation du crédit, parce que ce n’est pas dans les règles de fonctionnement. Et c’est correct aussi, il faut se donner cette marge de manœuvre là[14].

[31]        On comprend de ces propos que l’objectif visé par les amendements à l’article 128 L.p.c. était non pas de modifier la pratique voulant que les institutions financières permettent des dépassements de la limite de crédit, mais bien de l’encadrer.

[32]        Par ailleurs, adhérer à l’interprétation que donne l’appelante aux articles 128 et s. L.p.c. serait accepter que le législateur se contredise puisque, d’une main il interdirait alors péremptoirement tout dépassement (non expressément autorisé, donc nécessairement au préalable), alors que de l’autre, il le permettrait sans exiger une telle approbation expresse préalable (puisqu’il y aurait alors envoi postérieur d’un avis de ce dépassement). Il est au contraire clair que la nouvelle mouture fait une distinction entre l’augmentation de la limite de crédit et son dépassement et que le dépassement peut se produire sans que cela équivaille à une augmentation de la limite de crédit.

[33]        L’appelante plaide que le juge ne pouvait pas s’appuyer sur les commentaires de la ministre tenus dans le cadre des débats parlementaires de 2017 à l’occasion de l’analyse des nouvelles dispositions afin d’interpréter l’ancien article 128 L.p.c. Cet argument de l’appelante trouve sa source dans les propos de la Cour suprême dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Dynar[15]. Toutefois, l’auteure Ruth Sullivan semble être d’avis que l’évolution législative subséquente devrait être admissible et y accorde une certaine force probante :

§23.45 While it is true that courts have the final say on the legal effect of a legislative text, it does not follow that the opinion of a law-maker that amends existing legislation has no probative value. An amendment may be proposed by the same government that enacted the legislation in the first place. Even if the government has changed, the policies that gave rise to the original text are likely to be preserved in the institutional memory of the relevant ministry. In the case of regulations, which generally implement rather than create new policy, the bureaucrats who prepare amendments are likely to have a good understanding of the original legislative scheme and why the amendment is required.

§23.46 The suggestion that relying on subsequent legislative evolution gives the new legislation a retroactive effect is puzzling. Subsequent evolution is relied on to infer how the amending law-maker understood the meaning and effect of the amended legislation. That understanding is an opinion and is of interest in so far as there are reasons to find it authoritative. In this respect, reliance on subsequent legislative evolution does not differ from reliance on administrative interpretation or case law interpreting a legislative provision[16].

[Soulignement ajouté]

[34]        De même, les auteurs Pierre-André Côté, Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat sont d’avis que l’évolution législative subséquente est pertinente, car le législateur entend produire un effet lorsqu’il modifie une loi. Toutefois, d’après ceux-ci, on doit y accorder une force probante moindre :

1933. Que dire en conclusion sur le recours à l’historique législatif subséquent sinon que la question de son admissibilité reste fort controversée en droit positif canadien et que les opinions judiciaires sur le sujet paraissent varier au gré des circonstances. À notre avis, l’historique subséquent est un élément dont on devrait pouvoir tenir compte, ne serait-ce que pour mieux analyser en contexte la disposition à interpréter. Dans la mesure, aussi, où l’historique subséquent permet de connaître l’opinion des rédacteurs, il peut être utile, mais son utilité se révélera la plupart du temps extrêmement limitée compte tenu de la difficulté, lorsque le sens de la loi antérieure est douteux, de qualifier la loi nouvelle de déclaratoire ou de réformatrice. Cette difficulté fait que l’historique législatif subséquent donne le plus souvent des armes aux deux parties, constituant ainsi un argument réversible et donc généralement faible[17].

[35]        Si certains doutent toujours de laffirmation suivant laquelle l’évolution législative puisse ici servir rétroactivement daide à linterprétation des amendements postérieurs, en l’espèce, toutefois, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur les échanges parlementaires qui ont précédé l’adoption des amendements survenus en 2018, puisque ceux qui se sont tenus lors de la présentation de l’article 128 L.p.c. en 1977 permettent de voir que les parlementaires donnaient à cet article la même portée que celle exposée par la ministre Thériault quarante ans plus tard. L’échange suivant entre la ministre Lise Payette, M. Bisaillon et M. Goulet montre bien que le dépassement de la limite n’était pas visé par ledit article (alors numéroté 127) :

M. Bisaillon : M. le Président, si vous le permettez, l’article 127 pose, dans le fond, une question de principe. Il dit : Quand quelqu’un veut faire augmenter son crédit, il doit le demander. C’est ce que cela veut dire. Cela n’a pas de conséquence au dépassement du crédit consenti. Autrement dit, si ma limite de crédit est de $500 et qu’on me laisse acheter pour $525, cela n’entraîne pas, en soi, de par l’article 127, de conséquence, cela n’entraîne pas de conséquence. Si, comme le député́ de Bellechasse l’a décrit, je suis un bon client, ce n’est pas parce qu’on m’a fait dépasser mon compte de $25 que je ne le paierai pas. L’article 127 ne dit pas non plus que, lorsque j’aurai dépassé́, soit parce que dans les pratiques de la compagnie il n y a pas eu de vérification du commerçant à la compagnie maîtresse de l’endroit où je suis rendu en termes de crédit... Autrement dit, cela pose une question de principe : on augmente la marge de crédit quand quelqu’un le demande, mais cela n’a pas comme conséquence de limiter les obligations du consommateur uniquement à cette marge de crédit. Cela laisse quand même l’obligation au consommateur de payer ce qu’il a acheté.

Mme Payette : M. le Président...

M. Goulet : À ce moment-là, quelqu’un qui se présente...

Mme Payette : M. le Président, je voudrais compléter la réponse du député de Sainte-Marie. Ce que cela change, en fait, c’est qu’à la fin de votre année, quand la compagnie prêteuse considère que vous êtes un bon client et quelle vous envoie un petit avis vous disant qu’on vient de vous récompenser et d’augmenter votre crédit à $800 si vous étiez à $500, elle ne peut plus le faire ; il faut que vous demandiez l’augmentation. Elle peut vous le proposer, elle peut vous dire qu’on est disposé à porter votre crédit à $800, mais vous devez répondre que vous êtes d’accord.

M. Goulet : Mais un consommateur...

Mme Payette : Cela ne change rien à la pratique courante, ce qui fait que, quand vous êtes dans un magasin et que tout à coup, parce qu’on demande une autorisation — parce qu’il faut demander des autorisations — on répond au bout du fil que vous dépassez votre crédit de $10, il va se passer la même chose que maintenant : si vous êtes un bon client, on va donner l’autorisation au magasin, tout simplement, de mettre $10 de plus ; si cela dépasse de plus de $25 ou $50, on va faire ce qu’on fait actuellement, on va vous prier de venir au téléphone et la personne au bout du fil va vous dire : « Écoutez vous dépassez votre crédit de $50, on est disposé à vous l’autoriser, on veut seulement que vous en soyez conscient. » Or, cela, c’est la pratique courante actuellement. Ce que change cet article-là, c’est qu’on ne peut plus automatiquement augmenter votre crédit de $300, parce que vous avez été un bon client. On doit vous l’offrir, et vous devez dire : « Oui, je suis d’accord, je l’accepte. »

M. Goulet : Si je comprends bien, M. le Président, on peut autoriser un crédit en surplus du montant dont le consommateur a été avisé, mais on ne peut pas aviser le consommateur que son crédit a été augmenté.

Mme Payette : La pratique courante, c’est qu’on ne vous autoriserait probablement pas à dépasser votre crédit de $300 par téléphone. On va vous l’autoriser pour $10, $25, $50, si vous êtes un client bien connu.

M. Goulet : Pourquoi ne l’avez-vous pas expliqué comme cela quand les gens sont venus en commission ?

Une Voix : On a essayé́.

M. Goulet : Non, vous n’avez même pas essayé.

Mme Payette : Ce que change cet article-là, c’est l’augmentation comme un cadeau, comme une récompense à la fin d’une année, qui n’est plus possible. On peut vous l’offrir et vous devez l’accepter.

[…]

M. Goulet : Non. Absolument pas, madame. S’il ne fait pas d’achat plus élevé que $50. C’est cela le problème. À un moment donné, le client s’en va dans un magasin et sa carte... On a évalué sa capacité de payer à $300, par exemple, Master Charge. Le type est déjà à $280. Il s’en va dans un magasin : le matin, $30 ; un pneu : $40 ; pas besoin d’appeler là-bas. Il s’en va dans un autre magasin, fait le plein d’essence : $12. Le soir, il peut arriver chez lui, son compte est à $500, $600 et là, il n’a pas la capacité de payer. Il dit à la compagnie : « Pourquoi ne m’avez-vous pas avisé ? Vous êtes des gros méchants,  etc. ». C’est là que commence la chicane. C’est cela. Le consommateur est souvent inconscient des dépenses qu’il va faire, il ne pense pas qu’il en a fait autant que cela. Il peut s’éveiller avec un compte de $600 chez Master Charge bien que son crédit soit autorisé à $300. Quand il l’apprend, il est déjà rendu à $600. C’est cela le problème. Il dit : Je ne suis pas capable de vous payer et alors la compagnie va exiger des intérêts et la chicane commence. C’est ce qui se passe régulièrement. Qu’est-ce que vous avez pour remédier à cela dans votre projet de loi ? Vous n’avez rien ?

Mme Payette : C’est là qu’intervient l’éducation aux consommateurs, M. le Président.

M. Goulet : On écrit, mais on ne change absolument rien dans la pratique.

M. Bisaillon : La contre-publicité qu’on a faite sur le crédit, sur l’utilisation des cartes de crédit ?

Le Président (M. Dussault) : M. le député de Viau.

M. Lefebvre : II n’y a rien dans le projet de loi qui va changer quoi que ce soit. Mais on ne peut pas exiger que Chargex ou Master Charge téléphonent chaque fois qu’un dollar est ajouté à une carte de crédit. Je pense qu’à ce moment-là, ce serait excessif. Alors, il faut arriver... On ne peut pas changer cette partie-là de moins de $50.

Une Voix : Adopté[18].

[Soulignement ajouté]

[36]        Ainsi, il semble bien que les parlementaires étaient sensibilisés au risque qu’encourait le consommateur à qui l’institution émettrice permettrait de faire des achats qui auraient pour effet de lui faire dépasser la limite de crédit rattachée à la carte, et que la solution à ce risque passait par l’éducation. Cela répond à l’argument d’interprétation avancé par l’appelante voulant que le juge ait erré en ne tenant pas compte de l’objectif législatif sur lequel repose toute la Loi sur la protection du consommateur, qui est de protéger le consommateur[19], ici contre le surendettement. Tel qu’il apparaît des commentaires de la ministre Thériault en 2017, cette visée était toujours dans l’esprit des parlementaires, mais fut alors jugée insuffisante puisque le législateur y a ajouté un outil qui se veut lui aussi éducationnel plutôt que répressif, l’avis transmis au consommateur à la suite de tout dépassement.

[37]        Ainsi, tant l’ancienne version de l’article 128 qui interdisait la hausse unilatérale de la limite de crédit que la nouvelle version, alors qu’elle reprend cette interdiction, ne visaient pas les dépassements de la limite de crédit inscrite dans le contrat.

[38]        L’appelante avance par ailleurs que le contrat de Desjardins, le seul parmi ceux des intimées, prévoit que tout achat entraînant un dépassement de la limite de crédit est considéré comme une demande d’augmentation de cette limite de crédit pour le montant maximal pouvant alors lui être consenti. Peut-être est-ce le cas, mais en l'espèce, la limite de crédit autorisée de l’appelante est restée la même malgré les dépassements autorisés. L’appelante ne peut donc pas soutenir une contravention à cette disposition de son contrat puisque Desjardins ne l’a pas appliquée à son égard et qu’elle n’a pas aucun intérêt à poursuivre à cet égard[20].

[39]        Quant à la contravention alléguée au Règlement fédéral, le juge considère que le texte même de ce règlement indique lui aussi qu’il peut y avoir dépassement de la limite sans que l’institution émettrice soit obligée d’obtenir chaque fois le consentement exprès du consommateur.

[40]        Le Règlement fédéral prévoit :

Frais de dépassement de la limite dans les cas de retenue

Over-the-limit Fees Due to Holds

5 (1)  sous réserve du paragraphe (2), l’institution ne peut exiger une somme d’un emprunteur qui dépasse sa limite de crédit parce que sa carte fait l’objet d’une retenue.

5 (1) Subject to subsection (2), an institution may not charge a borrower an amount for surpassing their credit limit as a result of a hold on their credit card.

(2)  Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas où l’emprunteur aurait quand même dépassé sa limite de crédit durant la période où sa carte faisait l’objet d’une retenue.

(2)  Subsection (1) does not apply if the borrower would, in any case, have surpassed the credit limit during the period in which the hold was in effect.

Consentement à l’augmentation de la limite de crédit ou à la fourniture de chèques de carte de crédit

Consent for Increases in Credit Limits and to Provide Credit Card Cheques to Borrower

6 (1)  L’institution ne peut pas augmenter la limite de crédit applicable au compte de la carte de crédit d’un emprunteur sans avoir préalablement obtenu son consentement exprès pour le faire.

6 (1)  An institution may not increase the credit limit on a borrower’s credit card account without first obtaining the borrower’s express consent to do so.

(2)  Lorsque l’emprunteur donne son consentement de vive voix à l’augmentation de sa limite de crédit, l’institution lui en fait parvenir une confirmation écrite sur support papier ou électronique au plus tard à la date du premier état de compte suivant le consentement.

(2)  If the borrower’s consent to the increase is given orally, the institution must, not later than the date of the first statement of account that is provided after the date of that consent, provide confirmation of that consent to the borrower in writing, in paper or electronic form.

(3)  [Abrogé, DORS/2012-188, art. 1]

(3)  [Repealed, SOR/2012-188, s. 1]

[…]

(…)

6.2  L’utilisation de tout service lié au compte de la carte de crédit par l’emprunteur, notamment l’utilisation de la carte, ne constitue pas une preuve de consentement exprès pour l’application des articles 6 et 6.1.

6.2  The use of any service related to the credit card account by the borrower, including the simple use of the credit card, does not constitute express consent for the purpose of sections 6 and 6.1.

[Soulignements ajoutés]

(Emphasis added)

[41]        Comme on peut le constater, le Règlement fédéral fait aussi une distinction claire entre une augmentation de la limite de crédit et le dépassement de cette limite. Or, la position que préconise l’appelante est antinomique : on ne peut tout simplement pas concilier, comme elle le propose, la réglementation des frais de dépassement de la limite de crédit (prévue à l’article 5) et l’interdiction sans l’accord exprès du consommateur de ces dépassements (prévue à l’article 6). Si, comme le soutient l’appelante, ce dépassement est prohibé par l’article 6 à moins d’une demande expresse du client, l’obtention de ce consentement n’équivaudrait-il pas alors à une augmentation de la limite de crédit, auquel cas il ne pourrait jamais y avoir de dépassement susceptible de mettre en application l’article 5?

[42]        Enfin, quant au moyen portant sur l’erreur du juge d’avoir conclu que l’appelante n’avait pas la capacité suffisante pour agir à titre de représentante, il n’est pas utile de le trancher vu les motifs ci-haut à l’égard du critère prévu à l’article 575 (2) C.p.c. Cela dit, il est difficile de ne pas noter l’ironie qui se dégage de la situation particulière dans laquelle l’appelante s’est elle-même placée : elle fait aujourd’hui reproche à l’intimée Capital One de l’avoir laissée dépasser la limite de crédit associée à sa carte sans qu’elle lui en ait fait la demande expresse, alors qu’un peu moins d’un an plus tôt, elle la menaçait de la poursuivre en justice parce que Capital One lui refusait un tel dépassement.

[43]        Je propose donc de rejeter l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 



[1]     DORS/2009-257, adopté en vertu de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, notamment, lequel ne s’applique pas à l’intimée Fédération des Caisses Desjardins du Québec.

[2]     Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.

[3]     Pilon c. Banque Amex du Canada, 2019 QCCS 3607.

[4]     L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 10 (l’opinion du juge Brown pour la majorité), paragr. 111 (l’opinion dissidente en partie du juge Gascon, pour lui-même et pour le juge en chef Wagner et le juge Rowe) et paragr. 202 (l’opinion dissidente de la juge Côté).

[5]     Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, paragr. 27; L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., supra, note 4, paragr. 55; Godin c. Aréna des Canadiens inc., 2020 QCCA 1291, paragr. 54; Benamor c. Air Canada, 2020 QCCA 1597, paragr. 48 et 96 (motifs de la juge Roy avec lesquels les juges majoritaires sont en accord sur cette question); Benabu c. Bell Canada, 2019 QCCA 2174, paragr. 6-8; Durand c. Subway Franchise Systems of Canada, 2020 QCCA 1647, paragr. 49; Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, paragr. 90; Trudel c. Banque Toronto-Dominion, 2007 QCCA 413, paragr. 2-3.

[6]     Benamor c. Air Canada, supra, note 5, paragr. 41 et 96, (motifs de la juge Roy avec lesquels les juges majoritaires sont en accord sur cette question); Durand c. Subway Franchise Systems of Canada, supra, note 5, paragr. 52.

[7]     Benamor c. Air Canada, supra, note 5, paragr. 48 et 96 (motifs de la juge Roy avec lesquels les juges majoritaires sont en accord sur cette question).

[8]     Demande en autorisation re-modifiée deuxième du 7 avril 2019, paragr. 90, 121 et 122.

[9]     L’appelante indique dans son mémoire (p. 8) vouloir prouver notamment les éléments suivants : a) Les documents contractuels des intimées en matière de carte de crédit; b) La formation du contrat de carte de crédit et la détermination d’une limite de crédit à la carte de crédit; c) Le fonctionnement des systèmes de carte de crédit, notamment quant à la procédure d’approbation d’une transaction avec une carte de crédit; d) Les politiques et documents internes des intimées relativement à l’administration des cartes de crédit et l’approbation d’une transaction avec une carte de crédit; e) Les étapes et circonstances entourant l’approbation par les intimées d’une transaction ayant pour effet de dépasser la limite de crédit; f) La notion de dépassement dit « ponctuel » et tout dépassement en général de la limite de crédit; g) Le rôle respectif des intimées comme émettrices de carte de crédit et des consommateurs comme titulaires de carte de crédit; h) Témoignage des témoins des intimées; i) L’impact de cette pratique et les conséquences sur les consommateurs; j) La nature du préjudice subi par les membres des groupes.

[10]    Sauf à l’égard de Desjardins, à qui ce règlement ne s’applique pas.

[11]    Benamor c. Air Canada, supra, note 5, paragr. 52 et 96 (motifs de la juge Roy avec lesquels les juges majoritaires sont en accord sur cette question); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 117 et 118.

[12]    Pierre-André Côté avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Thémis, 2009, nº 158.

[13]    Assemblée nationale, Commission permanente des consommateurs, coopératives et institutions financières, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., 2 novembre 2017, p. 3 (L. Thériault).

[14]    Id., p. 4.

[15]    [1997] 2 R.C.S. 462, 1997 CanLII 359; voir aussi Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, paragr. 78.

[16]    Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, LexisNexis, 2014, nº 23.45-23.46.

[17]    P-A Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, supra, note 12, nº 1933.

[18]    Assemblée nationale, Commission permanente des consommateurs, coopératives et institutions financières, Journal des débats, 31e lég., 3e sess., 6 décembre 1978, p. B-8645-B-8646 (G. Bisaillon, L. Payette, B. Goulet, R. Dussault et C. Lefebvre).

[19]    Richard c. Time inc., 2012 CSC 8, paragr. 160; Fédération des caisses Desjardins du Québec c. Marcotte, 2012 QCCA 1395, paragr. 41, appel accueilli en partie, mais la Cour suprême maintient ce point, voir : Banque de Montréal c. Marcotte, supra, note 15, paragr. 55.

[20]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 149; Voir aussi : Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 5, paragr. 68, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 16 novembre 2020, nº 39115 ; Segalovich c. CST Consultants inc., 2019 QCCA 2144, paragr. 12, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 mai 2020, nº 39054 ; D’Amico c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1922, paragr. 25, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 14 mai 2020, nº 39013 ; Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., 2015 QCCA 205, paragr. 23.

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