7588151 Canada inc. c. Abdelrhani | 2024 QCTAL 5783 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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Nos dossiers : | 734936 31 20230921 G 738954 31 20231012 G | Nos demandes : | 4048113 4072086 | |||
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Date : | 20 février 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Pascale McLean | |||||
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7588151 Canada Inc |
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Locateur - Partie demanderesse (734936 31 20230921 G) Partie défenderesse (738954 31 20231012 G) | ||||||
c. | ||||||
Mejdi Abdelrhani |
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Locataire - Partie défenderesse (734936 31 20230921 G) Partie demanderesse (738954 31 20231012 G) | ||||||
et | ||||||
Gestion valbail inc |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours entrepris le 21 septembre 2023, le locateur demande la résiliation du bail et le recouvrement de tous les loyers dus au moment de l'audience. Il demande également l'exécution provisoire de la présente décision malgré l'appel et la condamnation du locataire au paiement des frais. (dossier 734936)
[2] Par un recours entrepris le 12 octobre 2023, le locataire demande l’autorisation de déposer le loyer au Tribunal en plus de l’exécution provisoire de la présente décision malgré l’appel et la condamnation du locateur au paiement des frais. (dossier 738954)
[3] Les recours ont été réunis pour instruction commune, telle que le prévoit l'article 57 de la Loi sur Tribunal administratif du logement.
[4] Les parties sont liées par un bail du 1er mai 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 725 $.
[5] Le bail fut reconduit pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024. Les parties ne s’entendent pas sur le loyer depuis sa reconduction. Le locataire prétend que son loyer est demeuré le même alors que le locateur prétend que le loyer est de 793 $.
[6] Monsieur Baldozian témoigne. Il représente le gestionnaire de l’immeuble. Il explique que le locataire a reçu l’avis de reconduction[1] du bail le 18 février 2023 par l’entremise du concierge. Le locataire n’avait qu’à laisser son avis de refus dans la boite aux lettres à la réception dans les délais ce qu’il n’a pas fait. Le bail est donc reconduit avec l’augmentation de loyer, dit-il.
[7] Puis, il affirme que le locateur n’a pas accepté les paiements du locataire à compter du 1er juillet 2023, car ils étaient au montant de 725 $. Les paiements du loyer des mois de juillet à novembre 2023 n’ont donc pas été encaissés. Le locateur a encaissé le loyer mensuel de 725 $ pour les mois de décembre 2023 et janvier 2024. Il réclame donc la somme de 4 101 $ et la résiliation du bail[2].
[8] Le concierge témoigne. Il travaille à l’immeuble où habite le locataire depuis deux ans. Il a remis l’avis de reconduction du bail le 18 février 2023. Le locataire lui dit alors qu’il n’est pas d’accord avec l’augmentation du loyer, le montant étant trop élevé. Il lui a suggéré de négocier avec le bureau. Il ne se souvient plus lorsqu’il a reçu l’avis de refus du locataire[3]. Lorsqu’il est allé voir le locateur, celui-ci lui a dit qu’il était hors délai. Il croit que c’était en avril 2023.
[9] Pour sa part, le locataire témoigne avoir reçu l'avis d'augmentation du concierge et lui avoir répondu verbalement de son refus au même moment. Il a tout de même remis l’avis de refus dans la boite aux lettres de l’immeuble, et ce, dans les dix jours de la réception.
[10] Il soulève également le fait que l'avis de renouvellement ne comporte pas la 3e option qui s'offre à lui, soit de refuser les modifications proposées et de renouveler son bail.
[11] Le locataire explique avoir tenté de payer le loyer mensuel de 725 $ du mois de juillet au mois de novembre 2023 ce qu’il n’a pu faire en raison du refus du locateur. C’est pourquoi il a déposé une demande de dépôt de loyer au Tribunal.
ANALYSE ET DÉCISION
Fardeau de la preuve
[12] Il est pertinent de rappeler que selon les dispositions des articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal.
[13] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.
Questions en litige
[14] La présente audience a soulevé les questions suivantes auxquelles le Tribunal devra répondre pour disposer du présent litige.
- Quel est le montant du loyer mensuel payable par le locataire depuis le 1er juillet 2023?
- Y a-t-il lieu de résilier le bail pour non -paiement du loyer depuis plus de trois semaines?
- Y a-t-il lieu d’autoriser le locataire à déposer le loyer au Tribunal?
L’augmentation du loyer
[15] Le loyer payable pour la période se terminant le 30 juin 2023 fut de 725 $ mensuellement, et ce, de l'admission des parties.
[16] Les articles 1942, 1943, 1945 et 1947 du Code civil du Québec mentionnent ce qui suit :
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »
« 1943. L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.
L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »
« 1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail. »
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »
[17] Dans le présent cas, il appert que le locateur a transmis au locataire un avis de modification de bail dans les délais prévus à l'article 1942 C.c.Q. Cet avis prévoyait une augmentation de loyer de 725 $ à 793 $ transmis au locataire à l'intérieur d'un délai d'au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme du bail.
[18] La preuve démontre que le locataire a donné un avis verbal de refus d'augmentation au concierge au moment de la réception de l’avis, soit dans le délai d’un mois prévu à l’article 1945 C.c.Q.
[19] Le Tribunal fait sienne l'analyse effectuée de l’article 1898 C.c.Q. et de la validité de l'avis verbal, par le juge administratif Daniel Gilbert dans la décision Chaurette c. Goudreau[4], dont il y a lieu de reprendre le contenu :
« [16] Le Tribunal doit d'abord citer l'article 1898 du Code civil du Québec :
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. »
[17] Ainsi, selon l'article précité du Code civil du Québec, l'avis donné doit toujours être par écrit (sauf pour avoir accès au logement) ou encore si la locataire peut démontrer que le destinataire (i.e. la locatrice) n'en subit aucun préjudice.
[18] De l'avis du Tribunal, la locatrice ne subissait aucun préjudice du fait que la réponse de la locataire était verbale puisqu'elle bénéficiait alors d'un (1) mois pour demander la fixation du loyer. C'est plutôt l'ignorance de la Loi qui a fait en sorte que la locatrice n'a pas demandé la fixation du loyer. Or, il est bien connu que l'ignorance de la Loi n'est pas un facteur pris en compte par le Tribunal.
[19] De plus, dès 1995, dans l'affaire Bellavance c. Roy (1), Me Gilles Joly, juge administratif à la Régie du logement, est saisi d'une question semblable dans le contexte suivant :
Le locateur remet aux locataires un avis écrit prévoyant la reconduction du bail avec une augmentation de loyer à compter du 1er juillet 1995;
Les locataires avisent verbalement le locateur, dans le délai requis, qu'ils quitteront le logement à l'expiration du terme du bail;
Le locateur reconnaît avoir été avisé verbalement par les locataires qu'ils ne désiraient pas reconduire le bail à échéance;
Les locataires ne font pas suivre l'avis verbal donné au locateur par un avis écrit;
Faute d'avoir reçu un avis écrit des locataires, le locateur estime que le bail est reconduit pour une autre année et il réclame le paiement du loyer même après la fin du terme.
[20] Après avoir cité l'article 1898 reproduit ci-avant, voici la conclusion à laquelle en vient Me Joly :
« L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. Or, le tribunal est satisfait de la preuve à l'effet que le locateur n'a subi aucun préjudice du fait que l'avis lui a été donné verbalement; la perte qu'il prétend avoir subie ne résulte que de sa négligence à remettre le logement sur le marché locatif et de sa mauvaise foi.
En effet, il s'est replié sur une technicité de la loi pour tirer profit d'une situation qui pourtant était bien claire. Il a ainsi contrevenu aux dispositions de l'article 6 C.c.Q.:
6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
Dans ces circonstances, la demande du locateur est irrecevable pour les mois de loyer postérieurs au 30 juin 1995. »
[21] Dans le présent dossier, la situation est la même. La locatrice est avisée dès le mois de février 2017 que la locataire refuse l'augmentation de loyer. La locatrice peut, si elle le désire, demander la fixation du loyer par le Tribunal. Faute de l'avoir fait cependant, la locatrice ne peut prétendre que le loyer est augmenté automatiquement à 518 $ à compter du 1er juillet 2017. » (Référence omise)
[20] Dans le cas qui nous occupe, le concierge reconnait que le locataire a refusé l’augmentation du loyer au moment de la réception. Puis, le locataire fait suivre son refus écrit dans la boite aux lettres. Par prépondérance de preuve, le locataire a démontré qu’il l’a remis dans les dix jours de la réception. En effet, c’est le concierge qui récupère le courrier et il ne se souvient pas de la date de réception.
[21] Le locateur pouvait demander la fixation du loyer ce qu’il n’a pas fait.
[22] De plus, le locataire soulève la validité de l'avis d'augmentation de loyer qui lui a été donné. Il allègue que le locateur aurait dû lui donner trois choix de réponse dans son avis alors qu'il n'en indique que deux.
[23] En effet, l’avis offre le choix de renouveler le bail selon les conditions apparaissant sur l’avis de modification ou de terminer le bail au 30 juin 2023[5].
[24] À ce sujet, la juge administrative Lucie Béliveau analysait un cas semblable dans la décision Quevillon Charbonneau c. Fortin[6]. Elle écrit :
« [28] La locataire allègue que le formulaire du locateur ne lui laisse pas le choix que d'accepter l'augmentation ou la refuser et quitter et qu'en ce sens, il est non valide.
[29] Par application de l'article 1893 C.c.Q., on ne peut déroger aux dispositions qui traitent des règles particulières au bail de logement, dont les articles précités. Les tribunaux ont précisé à maintes reprises que ces articles sont d'application stricte. Ces dispositions sont d'ordre public de protection en faveur du locataire.
[30] Par contre, à la lecture de l'article 1943 C.c.Q., on note qu'il n'indique pas que le locateur doit fournir sur son avis, un choix de réponse au locataire ou un formulaire de réponse.
[31] Toutefois en l'espèce, le locateur a délibérément choisi d'y indiquer des choix, mais en limitant ceux-ci à une acceptation ou à un refus avec l'obligation de quitter le cas échéant. Le Tribunal estime que si le locateur a sciemment choisi d'inscrire des choix sur son avis, il devait inscrire toutes les possibilités incluant celle pour la locataire de refuser l'augmentation, mais en renouvelant son bail.
[32] La locataire se devait de prendre position sur cet avis incomplet alors que l'information y inscrite portait à confusion et la forçait à accepter ou refuser l'augmentation sans renouveler le bail.
[…]
[38] Le Tribunal doit en conclure que les dispositions de la loi n'ont pas été respectées par les locateurs d'une part, parce que le délai de réponse n'y était pas inscrit et d'autre part, parce que le formulaire utilisé par les locateurs pour le nouvellement du bail a été préjudiciable aux droits de la locataire. Non pas que la loi obligeait les locateurs à y énumérer tous les choix de réponse, mais s'ils décidaient de le faire, ils devaient être clairs et proposer tous les choix possibles pour ne pas induire la locataire en erreur.
[39] Ainsi l'avis de modification du bail tel que transmis à la locataire est invalide. » (Référence omise)
[25] Le Tribunal partage l'analyse effectuée par la juge administrative Béliveau et, comme elle, considère que si le locateur donne des choix au locataire dans son avis, il doit lui donner tous les choix. Le Tribunal conclut que l'avis d'augmentation de loyer du locateur est invalide.
[26] En conséquence, le locataire doit payer un loyer de 725 $ pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.
[27] Le locataire doit donc payer au locateur le loyer de 725 $ pour les mois de juillet à novembre 2023 soit la somme de 3 625 $. Le locateur a été avisé en audience qu’il doit encaisser les paiements, ce qu’il a fait depuis le mois de décembre 2023.
[28] Étant donné les circonstances entourant le non-paiement du loyer, le Tribunal laisse un délai d’un mois de la réception de la décision pour payer le loyer. À défaut, le bail sera résilié pour non‑paiement de plus de trois semaines.
[29] Étant donné que le locateur a accepté les paiements du loyer depuis le mois de décembre 2023, il n’y a pas lieu à ce stade-ci d’autoriser le dépôt du loyer au Tribunal. Cette demande est par conséquent rejetée.
[30] L'exécution provisoire de la présente décision n'est pas justifiée aux termes de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier 734936 :
[31] CONSTATE que le loyer payable est de 725 $ pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024;
[32] CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 3 625 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 8 janvier 2024.
À défaut de payer cette somme dans le mois de la décision :
[33] RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[34] REJETTE la demande quant au surplus.
Dossier 73894 :
[35] REJETTE la demande du locataire qui en assume les frais.
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Pascale McLean | ||
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Présence(s) : | le mandataire du locateur Me Jean-Philippe Langlois, avocat du locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 8 janvier 2024 | ||
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce P-4.
[3] Pièce P-5.
[4] Chaurette c. Goudreau, 2017 QCRDL 32537.
[5] Pièce P-1.
[6] Quevillon Charbonneau c. Fortin, 2020 QCRDL 12525.
AVIS :
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