Otsuka Pharmaceutical Company Limited c. Pohoresky | 2022 QCCA 1230 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-06-000948-188) | |||||
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DATE : | 12 septembre 2022 | ||||
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OTSUKA PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITED OTSUKA PHARMACEUTICAL DEVELOPMENT & COMMERCIALIZATION, INC. H. LUNDBECK A/S LUNDBECK RESEARCH USA INC. | |||||
APPELANTES – défenderesses | |||||
c. | |||||
MICHAEL POHORESKY HAROLD POHORESKY | |||||
INTIMÉS – demandeurs et OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC. LUNDBECK CANADA INC. MISES EN CAUSE – défenderesses | |||||
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[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Suzanne Courchesne), ayant notamment rejeté leur exception déclinatoire soulevant l’incompétence internationale des autorités québécoises[1]. Les moyens d’appel soulèvent principalement la question de l’impact de l’article
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[2] Cette question se soulève dans le contexte d’une action collective relative au Rexulti, un antipsychotique atypique. Cette action vise six compagnies dont seulement deux (les mises en cause) sont domiciliées au Québec, les quatre autres (les appelantes) étant domiciliées au Japon, au Danemark et aux États-Unis. La demande d’autorisation a initialement été déposée par une personne domiciliée au Québec, mais cette dernière s’est retirée du dossier en mars 2020 pour ensuite être remplacée par les intimés, tous deux domiciliés en Ontario. C’est à la suite de cette substitution que les appelantes ont présenté une exception déclinatoire contestant la compétence des autorités québécoises à leur égard.
[3] La juge de première instance a autorisé l’action collective pour le bénéfice d’un groupe national, y compris à l’encontre des appelantes. S’agissant de la compétence des autorités québécoises à l’égard de ces dernières, la juge a d’abord constaté qu’aucun des facteurs de rattachement prévus à l’article
[4] Puis, après avoir constaté que les réclamations visant les appelantes présentent « un lien suffisant avec le Québec/a sufficient connection with Québec » au sens de l’article
[113] In addition, the institution of proceedings by the Class Members in other jurisdictions cannot be reasonably required in light of proportionality and the objectives of this procedural vehicle.
[114] One of the concrete and direct result of granting the declinatory exception would be to deprive the Quebec Class Members of their recourse against the Foreign Defendants, despite their clear right on the basis of Art. 3148(3) C.C.Q.
[115] It would be disproportional and unreasonable for the parties to have to litigate members’ claims in different forums across Canada. The Court is satisfied that, under the specific and particular circumstances of this case, Plaintiffs have established that, because of the principle of proportionality and for the above reasons, the Court should assume jurisdiction in this class action against the Foreign Defendants and dismiss their declinatory exception.
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[5] Les appelantes sont d’avis que la juge a commis une erreur de droit en considérant que, depuis l’entrée en vigueur de l’article
[6] Quant à eux, les intimés plaident que la juge a eu raison de considérer que, depuis l’entrée en vigueur de l’article
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[7] La Cour est d’accord avec les appelantes que l’entrée en vigueur de l’article
[8] Il est fort improbable que le législateur ait eu l’intention de réaliser un changement aussi important par le truchement de l’article
[9] Est-ce à dire que les embûches supplémentaires (coûts, délais, inconvénients, etc.) auxquelles une partie demanderesse serait confrontée si elle était contrainte d’intenter son action à l’étranger ne pourront jamais justifier qu’une autorité québécoise se saisisse de l’affaire en invoquant le for de nécessité? La juge de première instance a refusé d’interpréter l’article
[10] Il est vrai que, dans l’arrêt Lamborghini, la Cour a souligné que les coûts et inconvénients associés à un procès en Italie ne justifiaient pas l’application de l’article
[11] Il y a donc lieu de reconnaître que, lorsqu’ils sont susceptibles de mettre en péril le droit d’accès à la justice de la partie demanderesse, les inconvénients supplémentaires associés à un procès dans un ressort étranger peuvent faire en sorte qu’il serait déraisonnable d’exiger que l’action y soit introduite au sens de l’article
[12] Il est cependant essentiel qu’un tel constat soit suffisamment soutenu par des faits dûment mis en preuve, car on ne peut tenir pour acquis qu’une poursuite dans un ressort étranger engendrerait des inconvénients de nature à priver la partie demanderesse de son droit d’accès à la justice. Dans l’arrêt Anvil Mining, la Cour a justement souligné la nécessité qu’un argument relatif à l’impossibilité d’intenter une action à l’étranger soit étayé par un dossier factuel suffisant[13]. Ces enseignements sont tout aussi applicables lorsque la partie demanderesse plaide plutôt qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’elle intente son action dans un autre ressort.
[13] En l’espèce, et soit dit avec égards, force est de constater que cette exigence a échappé à la juge de première instance.
[14] En effet, les paragraphes pertinents de son jugement indiquent qu’elle a essentiellement tenu pour acquis qu’exiger des intimés qu’ils poursuivent les appelantes à l’étranger reviendrait à les priver de tout recours contre ces dernières. Or, il ne va pas de soi qu’exiger qu’ils poursuivent les appelantes dans le ressort où ils sont domiciliés, l’Ontario, mettrait réellement en péril leurs recours contre ces dernières. Les avocats des intimés ont d’ailleurs reconnu durant l’audience en appel que le dossier ne permettait pas de conclure que leurs clients seraient alors confrontés à des embûches dépassant les inconvénients généralement associés à la multiplicité de recours se rapportant à un seul et même litige. Et lorsqu’appelés à préciser en quoi ces inconvénients mettraient en péril le droit d’accès à la justice de leurs clients, ils ont surtout insisté sur le risque de jugements contradictoires. Toutefois, un inconvénient de cette nature ne saurait suffire à lui seul pour justifier l’application de l’article
[15] Il est par ailleurs pertinent de souligner que la situation dans laquelle les intimés se retrouvent aujourd’hui résulte essentiellement du choix qu’ils ont fait, après s’être substitués au demandeur initial, de poursuivre l’instance introduite au Québec plutôt que de s’en désister et de se tourner vers les tribunaux ontariens. Les appelantes ont raison de souligner qu’un tel changement de stratégie n’aurait pas entraîné un gaspillage important de ressources, la substitution étant survenue à un stade relativement préliminaire de l’instance. En outre, cela aurait probablement permis aux intimés d’éviter le problème auquel ils sont actuellement confrontés, les appelantes ayant concédé lors de l’audience en appel que les règles applicables en Ontario auraient permis l’institution d’une action collective d’envergure nationale les visant ainsi que les mises en cause. La justesse de cette concession semble confirmée par l’action collective que la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisée dans une affaire concernant un autre antipsychotique fabriqué et vendu par les appelantes et les mises en cause, l’Abilify[14].
[16] En somme, puisque le dossier ne permet pas de conclure que le fait d’exiger des intimés qu’ils poursuivent les appelantes en Ontario mettrait réellement en péril leurs recours contre ces dernières, la juge aurait dû conclure à l’inapplicabilité de l’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[17] ACCUEILLE l’appel;
[18] INFIRME en partie le jugement de première instance;
[19] ACCUEILLE l’exception déclinatoire soulevée par les appelantes;
[20] REJETTE la demande pour obtenir l’autorisation d’exercer une action collective des intimés à l’encontre des appelantes;
[21] LE TOUT avec les frais de justice.
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| SIMON RUEL, J.C.A. | |
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| BENOÎT MOORE, J.C.A. | |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. | |
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Me Marianne Ignacz | ||
Me Lydia Amazouz INF | ||
Pour les appelantes Otsuka Pharmaceutical Company Limited et Otsuka Pharmaceutical Development & Commercialization, inc. et la mise en cause Otsuka Canada Pharmaceutical Inc. | ||
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Me Michel Gagné MCCARTHY TÉTRAULT Pour les appelantes H. Lundbeck A/S et Lundbeck Research USA Inc. et la mise en cause Lundbeck Canada Inc.
Me Laurence Ste-Marie Mme Emmanuelle Lanctôt, stagiaire en droit WOODS Me Joel Rochon Me Golnaz Nayerahmadi ROCHON GENOVA | ||
Pour les intimés | ||
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Date d’audience : | 20 mai 2022 | |
[1] Pohoresky c. Otsuka Pharmaceutical Company Limited,
[2] L’article
[3] Lamborghini (Canada) inc. c. Automobili Lamborghini S.P.A.,
[4] « [L’arrêt Anvil Mining] was rendered before the enactment of Art.
[5] H. Patrick Glenn, « Droit international privé », dans Barreau du Québec et Chambre des Notaires du Québec, La Réforme du Code civil, t. 3 (« Priorités et hypothèques, preuve et prescription, publicité des droits, droit international privé, dispositions transitoires »), Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1993, vol. 3, 671, p. 745. Les propos du professeur Glenn ont été cités avec approbation dans Lamborghini (Canada) inc. c. Automobili Lamborghini S.P.A.,
[6] Ce qui serait problématique étant donné que la réforme du droit international privé québécois effectuée par le Code civil du Québec avait notamment pour objectif d’assurer « que les règles aboutissent à des résultats prévisibles » (Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international privé, t. I (« Théorie générale »), Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 41 (n° 20) [italiques dans l’original]).
[7] Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des institutions, 40e lég., 1re sess., 25 novembre 2013, « Étude détaillée du projet de loi n° 28 — Loi instituant le nouveau Code de procédure civile », p. 26-29.
[8] Lamborghini (Canada) inc. c. Automobili Lamborghini S.P.A.,
[9] Hryniak c. Mauldin,
[10] Hryniak c. Mauldin,
[11] Voir par ex. : Turner c. United Nations,
[12] Voir notamment John P. McEvoy, « Forum of Necessity in Quebec Private International Law: C.C.Q. art. 3136 », (2005) 35 R.G.D. 61, p. 111 (n° 70).
[13] Anvil Mining Ltd. c. Association canadienne contre l’impunité,
[14] Kirsh v. Bristol-Myers Squibb, 2020 ONSC 1499 et 2021 ONSC 6190. L’exercice de l’action collective a été autorisée à l’égard des appelantes et de leurs filiales canadiennes.
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