Péloquin c. R. | 2023 QCCA 1233 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-10-006818-189, 500-10-006820-185, 500-10-006822-181, 500-10-006823-189, 500-10-006840-183 ,500-10-006853-186, 500-10-006854-184 | ||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 001, 002, 005, 006, 008) | |||||
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DATE : | 2 octobre 2023 | ||||
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N° 500-10-006818-189 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 002) | |||||
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ALAIN PÉLOQUIN | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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N° 500-10-006820-185 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 001) | |||||
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FRANCE-JOSÉE DANCAUSE | |||||
APPELANTE – accusée | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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N° 500-10-006822-181 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 005) | |||||
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SOPHIE JOLICOEUR | |||||
APPELANTE – accusée | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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N° 500-10-006823-189 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 008) | |||||
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DANIEL ST-DENIS | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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N° 500-10-006840-183 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 006) | |||||
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CHANTAL GOULET | |||||
APPELANTE – accusée | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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N° 500-10-006853-186 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 005) | |||||
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SOPHIE JOLICOEUR | |||||
REQUÉRANTE – accusée | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
N° 500-10-006854-184 | |||||
(505-01-117208-138 SÉQ. 002) | |||||
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ALAIN PÉLOQUIN | |||||
REQUÉRANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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[2] L’appelante Jolicoeur se pourvoit contre la peine prononcée le 2 août 2018 par le même juge. Les peines totalisant 3 ans d’emprisonnement doivent être purgées concurremment.
[3] L’appelant Péloquin se pourvoit contre la peine prononcée le 2 août 2018 par le même juge. Les peines totalisant 8 ans d’emprisonnement doivent être purgées concurremment.
[4] Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Kalichman, LA COUR :
[5] REJETTE tous les appels portant sur les verdicts;
[6] ACCUEILLE les requêtes respectives des appelants Jolicoeur et Péloquin pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel de leur peine;
[7] ACCUEILLE en partie l’appel de la peine de Jolicoeur à la seule fin de substituer une peine de deux ans à la peine de trois ans, imposée par le juge pour le chef de recyclage des produits de la criminalité.
[8] REJETTE l’appel de la peine de Péloquin.
[9] ORDONNE à chacun des appelants de se rapporter aux autorités carcérales au plus tard le 5 octobre 2023 à 15 h.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. | |
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Me Annie-Sophie Bédard | ||
ANNIE-SOPHIE BÉDARD AVOCATE | ||
Pour Alain Péloquin | ||
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Me Sevag Abrahamian | ||
ABRAHAMIAN AVOCAT | ||
Pour France-Josée Dancause et Daniel St-Denis | ||
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Me Nicholas St-Jacques Me Lida Sara Nouraie | ||
LE GROUPE NOURAIE | ||
Pour Sophie Jolicoeur | ||
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Me Sarah Nathalie Marsolais | ||
Pour Chantal Goulet | ||
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Me Julien Tardif Me Julie Garneau Me Magalie Cimon | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour Sa Majesté le Roi | ||
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Date d’audience : | 22 et 23 février 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR |
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Introduction
[10] Déclarés coupables d’une fraude à grande échelle impliquant plusieurs participants, les cinq appelants portent en appel les verdicts. Les moyens avancés dans les avis d’appel se recoupent. Au procès, plusieurs ont témoigné, rejetant les fautes et les malversations sur d’autres, s’affichant essentiellement comme victimes de la machination ou affirmant avoir cru en un projet légitime. Il n’est pas utile de plonger de manière détaillée dans les faits, il suffira de reprendre les plus pertinents lors de l’examen des moyens d’appel. Cela dit, je ferai un résumé général fondé en grande partie sur la décision sur les peines, pour comprendre le rôle de chacun et le contexte des accusations. Au bout de l’analyse, je proposerai de rejeter les appels portant sur les verdicts de culpabilité.
[11] Les appelants Jolicoeur et Péloquin souhaitent porter leurs peines en appel. Le 2 août 2018, Jolicoeur a été condamnée à deux peines concurrentes d’emprisonnement de trois ans pour un chef de fraude et un chef de recyclage des produits de la criminalité. Péloquin a été condamné à trois peines concurrentes d’emprisonnement pour des chefs de complot (sept ans), de fraude (sept ans) et de recyclage des produits de la criminalité (trois ans) ainsi qu’une peine consécutive d’un an pour un chef de gangstérisme, le tout totalisant huit ans.
[12] Les deux requêtes ont été déférées à la formation : R. c. Péloquin,
L’APPEL DES VERDICTS
Faits généraux
[13] Les appelants font partie d’un groupe impliqué dans un stratagème frauduleux qui a eu cours entre 2006 et 2013. Notamment en organisant des séances d’information dans différents lieux publics auxquelles plusieurs personnes assistaient, ils faisaient miroiter aux victimes de hauts rendements dans des investissements. Des dizaines de millions de dollars ont ainsi été détournés. Un grand nombre d’investisseurs ont été floués.
[14] Une enquête est amorcée en 2010 par l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») puis reprise en décembre 2011 par la Sûreté du Québec. En octobre 2012, les policiers procèdent à une première vague de perquisitions. Des centaines de personnes, investisseurs ou autres, sont interrogées par les enquêteurs. L’enquête comporte de nombreuses démarches policières auprès d’institutions bancaires et de centre d’encaissement, de la filature et des analyses juricomptables. Des saisies entraînent une procédure élaborée dans l’arrêt de la Cour suprême R. c. Lavallee,
[15] La volumineuse preuve au procès démontre le stratagème, une fraude de Ponzi. En effet, il n’y a jamais eu de réel projet d’investissement. Un personnage anonyme et influent dans ce projet a été inventé pour appâter les victimes; et les sommes recueillies servaient essentiellement à enrichir les complices, à procurer des rendements fictifs à certains investisseurs pour les encourager, ou à rembourser d’autres personnes afin de préserver l’opération.
[16] Le juge décrit le processus frauduleux dans le cadre de sa décision sur la peine :
[17] On prétend aux investisseurs que l’argent versé servira à l’achat et à la revente de biens saisis et mis à l’encan par le gouvernement fédéral. On fait valoir que l’investissement est sans risque et que la mise de fonds est de courte durée, puisque le projet doit se conclure bientôt. Des profits mirobolants sont promis. Plusieurs investisseurs versent des sommes considérables. Lorsque les délais ne sont pas respectés, diverses excuses sont données pour justifier les retards dans la réalisation du projet. De surcroit, les investisseurs sont incités à mettre des fonds supplémentaires pour sauver le projet. Il faut souvent réinvestir des fonds de manière urgente, avant une date butoir imminente.
[18] Par ailleurs, on emploie divers moyens pour susciter et maintenir la confiance des investisseurs. On explique que les transactions doivent être réalisées par l’entremise d’un contact au sein de la fonction publique, un certain Jean-Pierre Leroy. Les sommes investies sont prétendument sécurisées dans les comptes en fidéicommis d’un avocat et d’une notaire. Les investissements sont faits sous la forme de chèques et de traites bancaires. Cependant, d’importantes sommes en argent comptant circulent également. Les représentations faites aux investisseurs sont étayées par des documents dont certains proviennent apparemment de l’avocat ou de la notaire. Des réunions d’information sont tenues avec les investisseurs. On emploie un vocabulaire juridique et financier. On donne l’impression aux investisseurs qu’ils appartiennent à un groupe sélect et privilégié. Le ton employé est sympathique et amical, mais ceux qui expriment des doutes sont considérés comme des trouble-fêtes. De même, on cultive un sentiment d’appartenance et de solidarité pour encourager les contributions supplémentaires. Plusieurs investisseurs croient tellement au projet qu’ils y participent activement.
[19] En réalité, tout n’est que mensonge. Il n’y a pas de projet d’investissement, pas de Jean-Pierre Leroy, pas de biens achetés et revendus et surtout pas de profits pour les investisseurs. Les fonds sont spoliés au moyen de multiples transferts bancaires et de multiples transactions dans un centre d’encaissement permettant d’échanger des chèques contre de l’argent comptant.
[20] Le système de fraude et de recyclage des produits de la criminalité est planifié, organisé et efficace.
R. c. Dancause,
[17] La poursuite convainc donc le jury que les appelants étaient tous des participants à la fraude, à divers degrés. Selon la preuve présentée, Dancause et Péloquin en étaient les têtes dirigeantes.
[18] Péloquin est identifié comme l’organisateur du « projet d’investissement », au cœur du stratagème frauduleux, notamment parce qu’il a formé un faux conseil d’administration, préparé divers documents pour les investisseurs, animé des rencontres avec ceux-ci et mis sur pied un mode de communication par courriel. Plus de trois millions de dollars ont circulé dans ses comptes bancaires ou ceux de sa compagnie. Il a également recruté Jolicoeur. Il a témoigné pour sa défense. Il a été déclaré coupable de complot, de fraude, de gangstérisme et de recyclage des produits de la criminalité.
[19] Dancause était également l’instigatrice de la fraude et, tout en demeurant généralement en retrait, elle dirigeait les autres membres de l’organisation. Elle a fait la promotion du projet en animant des soirées d’information. Plus de 5,4 millions de dollars ont transigé par ses comptes bancaires ou ceux de sa compagnie. Dancause a témoigné pour sa défense. Elle a été déclarée coupable de complot, de fraude, de gangstérisme et de recyclage des produits de la criminalité.
[20] En décembre 2015, un acte d’accusation direct est déposé, visant également St-Denis, le conjoint de Dancause. Il s’est approprié de l’argent des victimes pour des dépenses personnelles et des investissements immobiliers importants. Il a également participé à des rencontres d’investisseurs avec sa conjointe, en plus d’avoir manipulé des sommes appartenant à ces derniers. Il n’a pas témoigné et il a été déclaré coupable de recyclage des produits de la criminalité.
[21] Jolicoeur a fait partie des rouages du stratagème en sa qualité de notaire, avec ses comptes en fidéicommis et l’autorité de son papier à en-tête pour les conventions d’investissement, ce qui donnait confiance aux investisseurs. Quelque 5,9 millions de dollars ont circulé dans ses comptes en fidéicommis. Son implication est cependant moindre et sur une période plus courte. La preuve ne démontre pas qu’elle a tiré profit de la fraude de manière significative. Elle a témoigné pour sa défense et elle a été acquittée des accusations de complot et de gangstérisme, mais elle a été déclarée coupable de celles de fraude et de recyclage des produits de la criminalité.
[22] Quant à Goulet, son rôle est plus secondaire. Elle a effectué des transactions pour rendre service à l’appelante Dancause, une amie. Elle n’a été impliquée que de mars 2011 à août 2012. Environ 60 000 $ ont circulé dans son compte bancaire durant cette période. Elle n’a pas témoigné à son procès et elle a été déclarée coupable de recyclage des produits de la criminalité.
Les moyens d’appel
[23] Il est utile d’exposer immédiatement les moyens d’appel qui orienteront le développement qui suivra.
[24] Tous les appelants soulèvent l’erreur du juge de ne pas avoir accordé l’arrêt des procédures en raison des délais déraisonnables. La question a fait l’objet d’une requête préliminaire, qui a été rejetée, puis d’une autre requête au cours du procès, également rejetée.
[25] Quatre appelants, Jolicoeur, Dancause, St-Denis et Péloquin partagent deux moyens d’appel. Ils plaident d’abord que le juge a erré dans ses directives sur les éléments essentiels de l’infraction de fraude. Ensuite, le juge aurait erré en autorisant le ministère public à présenter le témoignage de plusieurs investisseurs en grande partie sous la forme de déclarations sous serment des investisseurs.
[26] L’appelante Goulet soulève deux moyens. Le premier concerne le rejet de sa requête pour procès séparé, un moyen lié aux délais pour tenir le procès. Le second vise l’absence d’une directive correctrice après la plaidoirie du ministère public.
[27] Enfin, l’appelante Jolicoeur prétend que le juge a commis plusieurs autres erreurs. Il aurait erré en n’expliquant pas adéquatement sa défense, en ne corrigeant pas la plaidoirie du ministère public (pour d’autres motifs que ceux évoqués par Goulet), en omettant de donner une directive sur les documents saisis chez elle et, finalement, dans sa réponse à la question du jury relativement au témoignage d’un témoin, Stéphane Darveau.
[28] Au total, neuf moyens d’appel seront abordés. Je commencerai par le moyen commun à tous qui porte sur les délais déraisonnables pour ensuite aborder les moyens individuels et ceux qui touchent plusieurs appelants. Et donc, dans l’ordre :
Le moyen soulevé par tous les appelants
(1) L’arrêt des procédures en raison de délais déraisonnables
Les moyens soulevés par Péloquin, Jolicoeur, Dancause et St-Denis
(2) La réponse erronée du juge relativement au témoin Stéphane Darveau
(3) La directive erronée concernant l’infraction de fraude
(4) L’admission de déclarations assermentées des investisseurs
Les moyens soulevés par Goulet
(5) Le rejet de la requête de Goulet pour procès séparé
(6) Le refus de donner une directive correctrice pour Goulet
Les moyens soulevés par Jolicoeur
(7) La directive erronée relative à la défense de Jolicoeur
(8) L’absence d’une directive relative aux documents saisis chez Jolicoeur
(9) Le refus de donner une directive correctrice pour Jolicoeur
A. Le moyen soulevé par tous les appelants
(1) L’arrêt des procédures en raison de délais déraisonnables
[29] Tous les appelants se joignent à ce moyen, bien qu’ils l’abordent de manière individuelle. Comme je l’ai mentionné, le juge se prononce deux fois, en mai 2017 et en juillet 2018.
[30] L’appelant St-Denis n’est pas une partie au jugement de 2017, mais il se joint aux autres pour la seconde requête. Ce dernier ayant comparu en décembre 2015, le délai net est donc inférieur à celui des autres appelants. Par conséquent, alors que sa situation demande une analyse nécessairement différente, les parties ne font pas de distinction, ou si peu. Seul l’intimé mentionne que St-Denis a comparu en décembre 2015. Si tel est le cas, toutes choses égales par ailleurs, son délai net se situerait à environ 36 mois. Vu ma proposition de rejeter le moyen d’appel, il n’y a pas lieu de me lancer dans cette analyse distincte que ne font pas les parties elles-mêmes.
Survol des faits
[31] La question du délai pour tenir le procès est relativement simple compte tenu des circonstances particulières du dossier, lequel présente deux caractéristiques : il s’agit d’un dossier que l’on peut facilement reconnaître comme étant complexe et la majorité du délai s’est écoulée avant l’arrêt Jordan. Ainsi, s’il faut le rappeler, l’arrêt Jordan n’établit pas une règle de prescription et les juges de la Cour suprême ont prévu des exceptions qui expliquent dans quelles circonstances il est acceptable de dépasser les plafonds : les événements distincts, les affaires particulièrement complexes et la mesure transitoire exceptionnelle.
[32] Le juge constate que l’enquête policière passe de l’AMF à la Sûreté du Québec entre 2010 et 2011. En 2012, des ordonnances de communication auprès d’institutions financières sont rendues, de la filature et de la surveillance physique sont exercées et des perquisitions sont exécutées. Quelque 175 témoins sont rencontrés, notamment des investisseurs floués. Des milliers de documents sont analysés avec l’aide d’experts en juricomptabilité.
[33] Les accusations sont déposées en octobre 2013. Par la suite, on tient des audiences pour déterminer la mise en liberté des individus détenus depuis leur arrestation, procéder à la communication de la preuve et planifier l’enquête préliminaire. Cette dernière s’étend sur une dizaine de jours entre août et septembre 2015. Les coaccusés sont renvoyés à procès et comparaissent devant la Cour supérieure en janvier 2016. Le procès, d’une durée envisagée de six mois, est fixé en janvier 2018. Il se déroule entre le 8 janvier et le 7 juin 2018.
[34] En mars 2013, sept mois avant le dépôt des accusations, le ministère public s’adresse à un juge de la Cour supérieure afin de faire trancher les questions de privilège suscitées par des documents saisis concernant un avocat et la notaire Jolicoeur, appelante, dans le cadre de demandes de type Lavallee. Un amicus curiae est nommé et le travail se poursuit jusqu’en juin 2015. Ces documents sont inclus dans l’expertise en juricomptabilité qui n’est achevée qu’en janvier 2016 et communiquée en février 2016.
[35] Outre l’expertise, le juge note que, au début de 2016, le ministère public a préparé un projet d’admissions. Celui-ci était au cœur de la poursuite et des décisions à prendre à cet égard puisque de ce projet découlait l’étendue de la preuve à administrer. Il n’a toutefois reçu aucune réponse avant le début du procès, en 2018.
[36] Il s’est donc écoulé 33 mois entre le dépôt des accusations et l’arrêt Jordan, puis 25 mois additionnels jusqu’à la fin de la présentation de la preuve.
[37] Aucune requête pour procès séparé n’a été présentée, sauf en ce qui concerne Goulet, qui a déposé la sienne en juin 2016.
Les jugements
[38] À deux reprises, le juge s’est prononcé sur les délais. D’abord en 2017, dans le cadre de requêtes préliminaires visant les appelants Dancause, Péloquin et Jolicoeur. Puis, en cours de procès, les appelants Dancause et Péloquin ont renouvelé leur demande d’arrêt des procédures devant un possible dépassement des délais anticipés. Les appelants St-Denis et Goulet ont également présenté la même demande pour la première fois.
[39] Dans les deux décisions rendues les 31 mai 2017 et 28 juillet 2018, voici ce que le juge conclut :
a) l’affaire était complexe et justifiait un dépassement du plafond de 30 mois, que le juge ne chiffre pas, mais il est d’avis que la complexité de l’affaire ne justifie pas le dépassement de 28 mois (R. c. Dancause,
b) la nature des accusations pose des difficultés factuelles et juridiques (R. c. Dancause,
c) la réunion des chefs d’accusation et des accusés est conforme à l’intérêt de la justice (R. c. Dancause,
d) la présente affaire est certainement moyennement complexe, voire très complexe, et elle se tient dans une région aux prises avec des problèmes de délais institutionnels chroniques (R. c. Dancause,
e) la poursuivante a été diligente et n’a commis aucune faute ayant contribué de manière manifeste au délai et elle mène son dossier avec diligence et planification sans être parfaite (R. c. Dancause,
f) la complexité se traduit par un temps de préparation prolongé pour les parties et par un procès de longue durée, difficile à fixer à courte ou à moyenne échéance sur des rôles déjà encombrés; il s’agit de la principale source du délai (R. c. Dancause,
[40] Au terme du procès, le juge exprime le fait que :
[20] Maintenant que le procès est terminé, le Tribunal est à même de confirmer que la complexité du dossier justifiait un dépassement du plafond en vertu d’une mesure transitoire.
R. c. Dancause,
[41] Il souligne notamment qu’une vingtaine de jugements interlocutoires ont été nécessaires (R. c. Dancause,
Les positions des parties
[42] Les appelants, comme le juge du reste, ne remettent pas en cause le délai à proprement dit. Ils avancent plutôt que le juge a mal évalué le comportement de la poursuite qui, dans cette affaire, aurait manqué de planification et d’organisation; bref, que son manque de diligence a entraîné les délais constatés. Selon eux, la complexité du dossier n’était pas indépendante de la volonté de la poursuite et ne pouvait justifier un dépassement de 28 mois par rapport au plafond. Ils ajoutent que devant des délais institutionnels de 32 mois, la mesure transitoire exceptionnelle ne pouvait pas s’appliquer. De son côté, Goulet lie le rejet de sa requête en arrêt des procédures avec celui de sa requête pour obtenir un procès séparé. Selon l’appelante, puisqu’elle n’était accusée ni de complot ni de fraude, le juge devait distinguer son cas des autres appelants. Le juge ne pouvait faire fi de ses démarches visant à réduire les délais. Un procès séparé aurait pu être tenu plus rapidement et il aurait été beaucoup plus court.
[43] Pour sa part, l’intimé est d’avis que le juge a conclu à bon droit que la mesure transitoire exceptionnelle trouvait application. Il y voit une analogie avec d’autres affaires où la complexité des dossiers et les délais qui affligeaient le district judiciaire en cause étaient à l’origine du dépassement des plafonds. Le juge a suivi le bon cadre d’analyse et les reproches formulés par l’intimé relèvent plutôt d’une divergence d’opinions sur la conduite de la poursuite. Il rappelle que le juge ne lui fait aucun reproche. L’intimé présente enfin certaines observations pour illustrer plus spécifiquement les difficultés inhérentes à la progression du dossier dans le cadre d’un procès conjoint de cette envergure.
Analyse
[44] Pour revenir aux faits de l’affaire, le délai net est de 58 mois. Il est admis que la « défense » n’est imputable d’aucune portion de ce délai. En ce sens, les reproches que semble adresser l’intimé aux appelants ne peuvent être retenus, si tel est l’objectif de narrer et de commenter leurs comportements. Il n’existe aucun motif d’intervention relativement aux conclusions du juge à cet égard. De la même manière, il n’y a pas non plus de motifs d’intervention sur les reproches que reformulent maintenant les appelants quant à la manière dont l’intimé a mené la poursuite.
[45] La tenue d’un procès conjoint était conforme à l’intérêt de la justice, la nature des chefs d’accusation et du stratagème frauduleux annonçait une preuve volumineuse, le temps de préparation était conséquent et l’absence d’admissions alourdissait la preuve et prolongeait la durée du procès (R. c. Dancause,
[46] Cela dit, tout comme le juge le laisse entendre lorsqu’il écrit qu’il « est évident que la Charte exige de faire mieux », je mentionne au passage que rien ne justifie que l’intimé se congratule comme il le fait dans son mémoire.
[47] Dès le 23 février 2016, la Cour supérieure a constaté qu’un procès de six mois devant jury ne pouvait pas être fixé avant janvier 2018. Le juge a déterminé que la complexité justifiait un dépassement du plafond, mais pas autant que celui constaté. Il a noté que les délais institutionnels étaient de 32 mois. Par contre, il a souligné que ce procès complexe se tenait dans un district judiciaire où les rôles étaient déjà encombrés et où les délais étaient déjà problématiques.
[48] Comme le procès s’est terminé plus rapidement que prévu, les appelants ne disent à peu près rien sur le second jugement qui rejette une nouvelle fois leurs arguments.
[49] Un second regard sur l’ensemble des délais ne révèle aucune erreur dans l’application du droit et aucune erreur manifeste dans l’évaluation des faits. L’analyse du juge commande la déférence. Cette analyse relève de la discrétion judiciaire et notre Cour a déjà rappelé que « l’analyse envisagée ne peut se résumer à une recette précise et il faut se fier “au bon sens des juges de première instance pour juger du caractère raisonnable du délai dans les circonstances de chaque cas” : R. c. Jordan,
[50] Aucun doute qu’en l’espèce, le délai est présumé déraisonnable. Néanmoins, le juge a appliqué la mesure transitoire exceptionnelle et a refusé de prononcer un arrêt des procédures.
[51] À l’instar du juge de la Cour supérieure, je rappelle les propos de l’arrêt Jordan :
« Les juges qui œuvrent dans les juridictions où sévissent de longs délais institutionnels tenaces et connus doivent tenir compte de cette réalité, puisque les problèmes de délais systémiques limitent ce que peuvent faire les avocats du ministère public. Ces derniers, le Parlement et les législatures ont besoin de temps pour réagir à la présente décision et des arrêts de procédures ne peuvent être accordés en bloc uniquement parce qu’il existe présentement des problèmes importants de délais institutionnels ».
R. c. Jordan,
[52] Dans l’arrêt Rice, la Cour affirme également que :
[35] Une cour d’appel doit nécessairement laisser la discrétion au juge d’instance d’évaluer les différentes situations. Il connaît sa cour, son fonctionnement, son milieu et les acteurs. Entre autres, le juge d’instance bénéficie d’une connaissance privilégiée des affaires comparables qui ne font ni l’objet d’appel ni d’analyse particulière, mais qui agissent néanmoins comme des points de repère indéniables.
R. c. Rice,
[53] Et plus loin, la Cour écrit :
[53] Dans la mesure où la défense exprime le besoin d’une plus longue préparation, ceci peut bien être l’indice important d’une cause complexe au sens des circonstances exceptionnelles et de la mesure transitoire, qui justifiera éventuellement un dépassement des plafonds déterminés. Il appartient au juge de recourir à son expérience pour établir, dans chaque cas, ce qui est un délai raisonnable à cet égard, compte tenu de la dimension collective du droit à un procès dans un délai raisonnable et des autres droits constitutionnels de l’accusé, notamment le droit à une défense pleine et entière : R. c. Jordan,
R. c. Rice,
[54] Je ne vois aucune erreur dans la conclusion du juge voulant que le ministère public a démontré que la mesure transitoire exceptionnelle s’appliquait en l’espèce.
[55] Les appelants ne me convainquent pas davantage que les délais justifiaient un arrêt des procédures selon l’arrêt R. c. Morin,
[56] Le délai pour tenir ce procès a été généré par une série de difficultés diverses conjuguées aux problèmes difficiles connus du district judiciaire en cause. Cela autorisait le juge à conclure comme il l’a fait.
[57] Je propose de rejeter ce moyen.
B. Les moyens soulevés par Péloquin, Jolicoeur, Dancause et St-Denis
(2) La directive erronée concernant l’infraction de fraude
[58] Les appelants reprochent au juge d’avoir laissé entendre au jury que le caractère objectivement malhonnête des actes, qui constituaient la fraude, ne devrait pas présenter un problème pour leur délibération. L’acte malhonnête en matière de fraude est établi par la preuve d’une supercherie, d’un mensonge ou tous les autres moyens qu’on peut proprement qualifier de malhonnêtes objectivement: art.
[59] Or, les appelants maintiennent que la fraude demeurait un fait litigieux, à la charge de la poursuite, en l’absence d’admissions. De plus, ils n’ont jamais concédé que des gestes malhonnêtes avaient été commis.
[60] Selon Dancause et St-Denis, si d’autres appelants avaient accepté que le seul enjeu était la mens rea de la fraude ou la connaissance de celle-ci, eux ne l’avaient pas admis. Le juge ne pouvait donc pas exprimer son opinion sur un élément essentiel de l’infraction contesté. Cela a irrémédiablement entaché le procès.
[61] Selon Jolicoeur, en raison de son statut de notaire, le préjudice serait plus grand dans son cas, et elle ajoute qu’en « soulignant que le caractère objectivement malhonnête des actes de Péloquin et Dancause n’était pas réellement en litige, le juge a pu inciter le jury à conclure que l’appelante devait elle aussi avoir la connaissance que leurs actes étaient malhonnêtes » (M.A. Jolicoeur, par. 106). Elle ajoute que les directives du juge sont confondantes relativement à l’utilisation que pouvait faire le jury de la preuve à propos de ses fautes professionnelles. Le juge devait s’assurer que le jury comprenne bien les limites de cette preuve qui ne prouvait pas le caractère malhonnête des actes reprochés ni son intention. Elle plaide que les directives manquent de nuances, rendant le tout hautement préjudiciable à son égard.
[63] Dans ses directives, le juge s’exprime de cette façon :
Je vous soumets que la question du caractère objectivement malhonnête des actes qui sont allégués par la Couronne ne se pose pas vraiment dans la présente affaire. Dans le sens que ce qui est allégué essentiellement c’est des mensonges, des fausses représentations, et c’est à vous de décider, mais je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de questionnement à savoir est ce qu’une personne raisonnable considèrerait que c’est objectivement malhonnête de faire des fausses représentations ou de relater des mensonges à des investisseurs. La question n’est pas là. La question c’est de savoir si subjectivement, les accusés ont eu l’intention, s’ils ont sciemment, volontairement et intentionnellement dit des mensonges. Et d’ailleurs, c’est au cœur […] des témoignages qui ont été rendus par madame Dancause, monsieur Péloquin et madame Jolicoeur ils ont nié avoir eu une intention malhonnête en arrière des gestes qui leur sont imputés.
Annexes conjointes, vol. 143, p. 51031.
[64] Puis il répète :
Vous seuls êtes les juges des faits. Vous n’avez pas à être d’accord avec moi. Mais je vous suggère, compte tenu de la preuve et des positions des parties, que vos discussions devront principalement porter sur les éléments essentiels relatifs à l’état d’esprit des accusés en lien avec leur participation aux infractions. C’est sur ce point que porte surtout le litige entre la Couronne et les accusés.
Annexes conjointes, vol. 143 p. 51177.
[Je souligne]
[65] En l’espèce, la démonstration de l’opération frauduleuse ne représentait pas un défi important pour le ministère public. D’ailleurs, les discussions du 27 octobre 2017 entre les parties et le juge, à moins de deux mois de l’ouverture du procès, démontrent que l’enjeu était davantage la participation subjective des appelants à la fraude qu’annonçait alors la preuve.
[66] Le cheval de bataille des appelants au procès n’a jamais été l’existence de la fraude, mais tous ont insisté, en raison des circonstances particulières à chacun, sur le fait qu’ils ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir que le projet d’investissement était un mensonge.
[67] Dans les circonstances, je ne vois aucune erreur dans la directive visée.
[68] Quant à Jolicoeur, le juge a été très prudent sur les impairs de la pratique notariale dont a témoigné un expert pour la poursuite. Il a expliqué :
Par ailleurs, je réitère ma directive concernant le témoignage du notaire Tessier et sur les questions qui touchent à la pratique notariale de madame Jolicoeur. Comme vous le savez très bien, l’objet du présent procès est de décider si les accusés sont coupables ou non coupables des infractions qui leur sont reprochées à l’acte d’accusation. L’objet du procès n’est pas de décider si Sophie Jolicoeur, qui exerçait la profession de notaire lors des événements en cause, a commis des fautes déontologiques ou professionnelles. Le but de notre procès n’est pas de juger la conduite professionnelle de madame Jolicoeur.
Le fait que madame Jolicoeur ait commis des fautes professionnelles ne prouve pas en lui-même la culpabilité de madame Jolicoeur. Ainsi, vous ne pouvez pas présumer que madame Jolicoeur savait ou aurait dû savoir que le projet d’investissement était faux du simple fait qu’elle était notaire. Vous pouvez considérer la conduite professionnelle de madame Jolicoeur pour vous aider à déterminer si elle a intentionnellement participé aux infractions. Des manquements à ses obligations professionnelles pourraient constituer un indice à cet égard. De tels manquements pourraient indiquer qu’elle n’agissait pas véritablement à titre de notaire, mais qu’elle utilisait plutôt son titre de notaire et qu’elle utilisait son compte en fidéicommis pour contribuer à la fraude. Vous n’êtes pas obligé de tirer cette inférence. C’est à vous d’apprécier la preuve.
Annexes conjointes, vol. 143, p. 50965-50966.
La preuve d’expert selon laquelle la conduite de Sophie Jolicoeur déroge aux règles de pratique notariale. Cette preuve pourrait constituer un indice de l’état d’esprit de Sophie Jolicoeur à l’égard du projet d’investissement, si elle était consciente de déroger aux règles. Notez bien, Sophie Jolicoeur ne doit pas être jugée pour ses fautes professionnelles et le simple fait qu’elle ait commis de telles fautes ne suffit pas à la condamner.
Annexes conjointes, vol. 143, p. 50990.
[Je souligne]
[69] À mon avis, le jury a bien compris que cette preuve pertinente dans le sens indiqué par le juge ne pouvait devenir le moteur du verdict.
[70] En terminant, Péloquin ajoute que le juge n’a pas insisté sur le lien causal entre les déclarations portant sur des éléments sous-jacents au projet d’investissement et la privation. C’est inexact. Le juge l’a bien expliqué au jury :
La supercherie, le mensonge ou le moyen dolosif autre commis par l’accusé doit avoir causé une privation financière ou économique à autrui. Un lien de causalité entre un acte de l’accusé et une conséquence est établi lorsque l’acte contribue de façon appréciable à la conséquence. Ainsi, dans la présente cause, la supercherie, le mensonge ou le moyen dolosif doit avoir contribué de façon appréciable à la privation. Le comportement de l’accusé n’a pas à être la seule cause ou la cause principale de la privation, pourvu que ce comportement soit une cause appréciable. Une cause appréciable est une cause importante.
Annexes conjointes, vol. 143, p. 51035-51036.
(3) L’admission de déclarations sous serment des investisseurs
[71] Pour comprendre ce moyen d’appel, il faut d’abord rappeler que le procès lui-même était prévu pour une durée de six mois. Comme l’explique le premier moyen, les délais étaient une préoccupation. En cours de procès, la cible temporelle semblait s’éloigner.
[72] Conformément au signal envoyé en 2016 par l’arrêt Jordan, le juge avait préalablement exprimé aux parties, notamment dans le cadre des conférences de gestion, son intention de prendre les mesures nécessaires afin de terminer le procès dans un délai raisonnable.
[73] Il appartient aux juges et aux parties de mettre en place les moyens pour atteindre l’objectif de tenir un procès dans un délai raisonnable. Les choix doivent s’effectuer en tenant compte de la loi et des droits constitutionnels liés à la preuve, à la procédure et au procès en général. La recherche d’un équilibre est capitale. La tâche n’est pas simple, mais elle est réalisable. À titre d’exemple, le droit fondamental au contre-interrogatoire et les limites qu’on peut y apporter sont tributaires du contexte et des enjeux soulevés au procès : R. c. Lyttle,
[74] La solution finalement retenue par le juge pour accélérer la preuve a été discutée une première fois lorsque l’intimé a présenté une requête le 8 décembre 2017, demandant la possibilité de déposer des déclarations faites sous serment. La requête n’a pas été débattue formellement à ce moment, mais des discussions ont été tenues. Le juge a préféré laisser aux parties le soin de régler les questions entourant les admissions et les témoins. La requête a finalement été débattue le 26 mars 2018, en cours de procès. S’appuyant sur l’immobilisme des appelants, l’intimé écrivait :
40. Le refus de l'intimé Daniel St-Denis de convenir d’admissions techniques et peu litigieuses mine la saine gestion de ce dossier et ce, dans un mépris flagrant des droits des autres Intimés dans ce dossier;
[…]
42. L'incapacité des Intimés d’identifier clairement quelles chaines de possession et l’intégrité de quels fichiers/enregistrements sont litigieuses démontre que le débat n’est pas cerné et cette situation complexifie indument la présente cause;
Annexes conjointes, vol. 5, pages 1618.
[75] Il recherchait alors la permission d’introduire en preuve des dizaines de témoignages sous forme de déclarations sous serment :
DISPENSER la Requérante de faire entendre les témoins suivants par le dépôt des admissions signées ou, de façon alternative, lui permettre de procéder par le dépôt d’une déclaration assermentée pour chacun d’entre eux :
PERMETTRE à la Requérante de déposer, pour valoir preuve de son contenu contre tous les accusés, les admissions testimoniales convenues entre les cinq (5) procureurs de la défense et la Requérante ou subsidiairement les déclarations assermentées de chacun des témoins;
Annexes conjointes, vol. 5, pages 1618-1620.
[76] La véritable question au procès et en appel réside dans la décision du juge d’autoriser le témoignage sur interrogatoire principal d’investisseurs sous la forme de déclarations sous serment.
*
[77] Dans sa décision rendue le 10 avril 2018, le juge constate que :
[13] Le procès n’avance pas suffisamment rapidement. Le problème ne tient pas tant de la cadence de travail, la preuve est présentée rondement, mais plutôt du fait qu’un temps précieux est consacré depuis le début du procès à la présentation d’une preuve largement répétitive et non controversée pour l’essentiel.
[14] Près d’une trentaine d’investisseurs ont témoigné jusqu’à maintenant. Ils relatent tous à peu près la même histoire typique d’un stratagème à la Ponzi. Ils ont été leurrés et amenés à investir dans un projet d’investissement qui s’est avéré fictif. Plusieurs investisseurs ont perdu leur argent alors que d’autres ont été remboursés en tout ou en partie. Ils impliquent principalement M. Péloquin, Mme Dancause et un certain Benoit Sénécal à titre de promoteurs et superviseurs du projet d’investissement. Les investisseurs recevaient des conventions d’investissement. Des chèques étaient destinés aux comptes en fidéicommis de l’avocat Jean-Marc Lavallée et de Mme Jolicoeur, qui exerçait la profession de notaire. Des sommes d’argent comptant étaient remises à Mme Dancause. M. St-Denis et Mme Goulet, respectivement le conjoint et une amie de Mme Dancause, accompagnaient celle-ci à certaines occasions et recevaient de l’argent en son nom.
R. c. Dancause,
[78] Malgré cela, et avant tout, le juge s’enquiert auprès de la poursuite de la nécessité de faire témoigner d’autres investisseurs. Elle le convainc qu’elle le doit. Le juge constate ensuite que les contre-interrogatoires des investisseurs ayant déjà témoigné avaient été courts et que, pour les plus longs, on avait cherché à démontrer qu’ils avaient été négligents, cupides, ou de moralité douteuse et qu’ils avaient eux-mêmes contribué à l’avancement du projet d’investissement et, donc, que les témoins étaient biaisés en raison de leurs déboires : R. c. Dancause,
[80] En s’inspirant des arrêts R. c. Rice,
[81] Pour le juge, la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Auclair,
[82] Le juge d’instance s’appuie également sur ses pouvoirs de limiter une preuve inutile :
[46] Au passage, il vaut de souligner que la solution énoncée dans Charron s’harmonise avec le droit de la preuve qui permet de limiter la présentation d’une preuve ayant pour effet de prolonger ou de compliquer inutilement un procès. Le pouvoir discrétionnaire bien établi d’exclure une preuve dont l’effet préjudiciable surpasse la valeur probante, au terme d’une analyse coût-bénéfice, implique notamment de considérer si la preuve est répétitive ou exige un temps excessivement long par rapport à sa valeur probante (R. c. Jabarianha,
R. c. Dancause,
[83] Pour toutes ces raisons, le juge d’instance accepte la demande du ministère public et il résume la façon dont il permet la production de ces témoignages, la partie soulignée étant particulièrement importante pour la suite :
[50] Voici la procédure déterminée par le Tribunal. Le témoin concerné doit être présent devant le jury et être assermenté normalement. Toutefois, en lieu et place d’un interrogatoire principal, la Couronne est autorisée à produire une déclaration écrite assermentée du témoin et à déposer des pièces. Le témoin doit confirmer qu’il adopte le contenu de sa déclaration assermentée. La déclaration assermentée doit être brève et sobre. Le Tribunal se réserve la possibilité de refuser, au cas par cas, le dépôt d’une déclaration assermentée si les intérêts de la justice le requièrent. Les accusés peuvent ensuite contre-interroger le témoin s’ils le jugent opportun, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir la permission du Tribunal.
[51] Cette façon d’administrer la preuve favorise l’efficacité du procès et s’accorde avec les impératifs d’une saine administration de la justice. Par ailleurs, cette solution ne présente aucun préjudice réel pour les accusés, quelles que puissent être leurs défenses respectives. Le droit à une défense pleine et entière est préservé, car les accusés pourront contre-interroger les témoins. Cette mesure comporte même des avantages pour les accusés. La preuve de la Couronne sera réduite à l’essentiel et pourrait donc avoir moins d’effet auprès du jury. Surtout, le procès sera écourté conformément au droit des accusés d’être jugés dans un délai raisonnable.
R. c. Dancause,
[Je souligne]
*
[84] En appel, les appelants plaident essentiellement que la décision a compromis l’équité du procès. Ils rappellent que les déclarations sous serment relataient des propos tenus par les accusés aux investisseurs. Elles touchaient possiblement des aspects pertinents par rapport aux éléments essentiels des infractions et ne portaient pas sur des éléments secondaires ou périphériques. Enfin, le juge n’aurait donné aucune directive quant à la façon d’apprécier la fiabilité ou la crédibilité de ces témoins dans ce contexte particulier.
[85] Si l’intimé accepte que les témoignages ne portaient pas sur des aspects périphériques, il soutient que les déclarations se limitaient à établir le contexte des investissements et des remboursements. Au surplus, il ajoute que c’était une preuve largement répétitive et non controversée. Selon l’intimé, les appelants ne parviennent pas à démontrer une véritable atteinte à leur droit à une défense pleine et entière. Ceux-ci invoquent un préjudice hypothétique en alléguant que les témoins auraient pu dévoiler des faits inattendus et inconnus à ce jour à l’occasion d’un interrogatoire principal.
[86] En définitive, j’ai compris à l’audience qu’outre le constat que les témoignages ne portaient pas sur des faits périphériques, en présentant une preuve écrite, le ministère public aurait été autorisé à guider ses témoins et à offrir des déclarations minimalistes, sans risquer de placer devant le jury les difficultés susceptibles de résulter des témoignages, en lien entre autres avec la capacité des témoins d’observer, de se rappeler et de relater les faits.
*
[87] D’emblée, la façon de contrer ce moyen d’appel laisse en partie songeur. À force d’insister sur le caractère répétitif de la preuve proposée, l’intimé semble faire la démonstration que le juge aurait dû la refuser, tout simplement. En fait, j’ai expliqué que le juge y avait songé, mais l’intimé l’avait convaincu que cette preuve était nécessaire. Un juge peut certainement et prudemment prévenir la répétition de la preuve : R. c. Candir,
[88] Les paramètres entourant les pouvoirs de gestion des juges sont encore en évolution. L’arrêt Felderhof, généralement approuvé dans l’arrêt R. c. Samaniego,
[89] Toutefois, bien après le jugement du juge d’instance et les décisions sur lesquelles il s’appuie, la Cour suprême, a rappelé les limites des pouvoirs de gestion :
[24] Garantir l’efficience ne peut toutefois se faire au détriment des règles de preuve. Monsieur Samaniego soutient que les décisions relatives à la gestion de l’instance et en matière de preuve doivent toujours rester distinctes pour garantir que des décisions erronées en cette dernière matière ne puissent revêtir le vernis de la gestion de l’instance lors d’un examen en appel. Bien que je ne souscrive pas à l’avis selon lequel les décisions relatives à la gestion de l’instance et en matière de preuve doivent toujours rester distinctes, je conviens que la gestion de l’instance ne peut pas servir à légitimer les décisions erronées en matière de preuve.
R. c. Samaniego,
[90] Ces pouvoirs ne peuvent pas s’exercer au détriment de l’équité et des règles de preuve et devenir la solution privilégiée lorsque le mur des délais s’avance en raison d’une difficulté prévisible pour l’administration de la preuve. En ce sens, le juge a raison d’écrire : « [b]ien entendu, les pouvoirs de gestions d’instance ne sont pas illimités. Le juge doit veiller à respecter le canevas de notre système accusatoire et ne pas intervenir indûment dans les débats (R. c. John,
[91] Dans l’arrêt Rice, et que reprend le juge, la Cour explique que les juges « doivent être novateurs tout en demeurant soucieux de l’équité des procédures » : R. c. Rice,
[92] Comme la juge L’Heureux-Dubé l’écrivait à propos des réparations constitutionnelles dans l’arrêt O’Connor, les pouvoirs de gestion entre les mains des juges s’apparentent davantage au scalpel qu’à la hache : R. c. O’Connor,
[93] La question est encore plus délicate lorsque la preuve vise des déclarations imputées à des accusés, comme en l’espèce, et qui ne porte pas sur des faits périphériques. Cela n’est d’ailleurs pas contesté. Comme c’était le cas dans l’affaire Auclair, j’estime qu’il faut alors des circonstances sérieuses, voire exceptionnelles, pour qu’un juge adopte des mesures qui touchent aux prérogatives des parties ou, comme l’écrit un des appelants, « s’immisce[nt] dans la conduite du procès et de la stratégie des parties ». Cette proposition reprend les propos de la Cour suprême dans R. c. Anderson,
[94] Sans contredit, la décision de gestion est hautement discrétionnaire et doit répondre aux particularités de l’affaire. Comme le souligne la Cour suprême, « il importe, en appel, que les décisions relatives à la gestion de l’instance soient examinées dans le contexte du procès dans son ensemble, plutôt que comme des incidents isolés. Les décisions relatives à la gestion de l’instance […] font appel au pouvoir discrétionnaire du juge. En l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable de ce pouvoir, les décisions qui en sont le fruit commandent la déférence » : R. c. Samaniego,
[95] Ce rappel étant fait, je suis d’avis que, même si le juge a soupesé avec minutie les enjeux et qu’il a, en définitive, utilisé le scalpel pour élaborer la solution, il commet une erreur en autorisant la poursuite à introduire en preuve, par le truchement de déclarations sous serment, des déclarations imputées à des accusés. Ces éléments de preuve sont en principe des éléments importants de la preuve incriminante qui sont mieux administrés de vive voix, ce qui permet de contre-interroger les témoins après un témoignage principal non directif.
[96] Cela dit, j’accepte l’argument de l’intimé qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit au sens de 686(1)b)iii) C.cr. Si les préoccupations des appelants évoquées plus haut sont légitimes, leurs griefs demeurent essentiellement théoriques. Ils ne démontrent aucune atteinte à l’équité du procès ou un préjudice à leur droit à une défense pleine et entière.
[97] Je rappelle que le juge était ouvert à revoir sa décision au cas par cas et à refuser le dépôt d’une déclaration sous serment si les intérêts de la justice le requéraient. Les appelants ne se sont jamais prévalus de ce mécanisme additionnel et déterminant pour pallier tout préjudice individuel qu’un d’eux pouvait anticiper avec un témoin. En appel, devant une preuve écrasante de leur participation à la fraude, les appelants n’apportent rien de concret pour soutenir une erreur ou une injustice.
[98] Je propose d’appliquer la disposition réparatrice pour rejeter ce moyen.
C. Les moyens soulevés par Goulet
(4) Le rejet de la requête de Goulet pour procès séparé
[99] Le 25 novembre 2014, le procès-verbal indique que Goulet a choisi un procès devant jury (voir annexes conjointes, vol. 8, p. 2878). Le 8 janvier 2016, elle exprime son intention de faire un nouveau choix pour être jugée devant un juge de la Cour du Québec (voir annexes conjointes, vol. 78, p. 29592). Pour le ministère public, le consentement à ce nouveau choix est tributaire des admissions demandées et envoyées à Goulet depuis plusieurs mois, puisque deux procès « complets », devant deux instances au surplus, sont une chose impensable. Face aux hésitations de Goulet, le 23 février 2016, le juge de gestion fixe une échéance au 1er avril 2016 pour confirmer un nouveau choix ou déposer une requête pour procès séparé (voir annexes conjointes, vol. 78, p. 29768). À cette date, Goulet et son avocate sont absentes. Remarquant que ces absences sont fréquentes, le juge acquiesce à la demande du ministère public de lancer un mandat d’arrestation rapportable (voir annexes conjointes, vol. 78, p. 29800).
[100] C’est le 3 juin 2016 que Goulet dépose finalement une requête pour obtenir un procès séparé. Le juge Boucher entend la requête en deux temps, soit le 11 octobre 2016 puis le 12 janvier 2017. La décision est rendue oralement le 22 juin 2017.
[101] Lors de la présentation de sa requête, Goulet insiste sur deux aspects qui militent, selon elle, en faveur d’un procès séparé : 1) le témoignage de Dancause pour sa défense, une amie qui l’a tenue dans l’ignorance de l’affaire frauduleuse et 2) les délais anticipés du procès. Avec ce témoignage, Goulet veut exposer d’une part le lien d’amitié qui l’unissait à Dancause et, d’autre part, qu’elle manipulait les sommes d’argent sans que Dancause l’informe de la provenance. Au surplus, elle table sur la rapidité d’un procès devant un juge sans jury.
[102] Dans sa requête, Goulet affirme uniquement que :
2.5 En effet, la requérante étant accusée de recyclage de produits de la criminalité du fait qu'elle serait l'amie de la co-accusée Dancause, laquelle a fait une déclaration pouvant servir en défense à la requérante, laquelle preuve pourrait ne pas être admissible si le procès n'était pas distinct ;
Annexes conjointes, vol 1, p. 226-227.
[103] Or, le fait que Dancause était une amie de Goulet n’était pas contesté. Le ministère public proposait même d’en faire une admission. Toutefois, le caractère disculpatoire de la preuve au sujet de la connaissance de la fraude est invoqué pour la première fois.
[104] Le 11 octobre 2016, Goulet n’a rien pour appuyer cette dernière prétention que le ministère public conteste. L’audition est donc reportée au 12 janvier 2017, précisément pour lui donner l’occasion d’en faire la démonstration, mais en vain. Le juge lui donne alors un délai additionnel pour produire cette preuve afin de déterminer son impact au procès.
[105] Le 27 juin 2017, le juge rend sa décision. Du jugement, on comprend que l’unique preuve repose sur une affirmation générale trouvée dans les déclarations extrajudiciaires de Dancause où elle affirme que Goulet n’était pas impliquée dans la fraude et n’en savait rien.
[106] Le juge conclut que la preuve anticipée est insuffisante « dans le contexte de la preuve, pour conclure raisonnablement qu’un éventuel témoignage de celle-ci pourrait influer sur le verdict » R. c. Goulet,
[107] À mon avis, aucune erreur n’est imputable au juge dans l’évaluation de ce motif pour refuser le procès séparé.
[108] D’ailleurs, et bien que ce soit une considération étrangère à l’erreur alléguée parce qu’il s’agit d’un fait a posteriori, il faut noter que Dancause a témoigné pour sa propre défense. En contre-interrogatoire, Dancause a expliqué que Goulet était une amie et qu’elle ne savait rien de cette histoire.
[109] Quant à l’avantage du procès séparé pour réduire les délais, la conduite de Goulet en première instance me laisse dubitatif. Il faut comprendre que l’argument reposait sur un procès distinct devant la Cour du Québec, ce qui exigeait d’abord le consentement du ministère public. Des discussions tenues devant différents juges de la Cour supérieure alors que le procès était en préparation, il est clair que le ministère public exigeait des admissions afin de réduire la durée du procès, puisqu’en toute logique, il était contre-productif de tenir le même procès complet devant la Cour du Québec uniquement pour Goulet.
[110] Le 11 octobre 2016, l’intimé a expliqué au juge pourquoi la preuve contre Goulet n’était pas limitée à ses actions. Une preuve d’ensemble et importante était nécessaire en l’absence d’admissions. Le juge retient que, même si l’implication de Goulet était moindre, elle a participé au recyclage et aux mouvements de fonds, des faits plus généraux que le jury doit connaître et qui entraînent une preuve plus étendue.
[111] Ainsi, au moment où Goulet a présenté sa requête pour procès séparé, la Cour du Québec ne pouvait offrir de date de procès avant novembre 2017 et, dans l’éventualité où le procès séparé devait se tenir devant la Cour supérieure, les dates n’étaient pas plus avantageuses que celles déjà réservées pour le procès conjoint, soit à compter du 8 janvier 2018. Néanmoins, malgré les vérifications faites à l’époque par les parties et les discussions, les questions du nouveau choix et des admissions n’ont pas été réglées. Ainsi, pendant la présentation de sa requête, le conditionnel était utilisé en évoquant des admissions (voir annexes conjointes, vol. 79, p. 30033, 30036), ce que n’a pas manqué de remarquer le juge (voir annexes conjointes, vol. 79, p. 30139).
[112] Encore en janvier 2017, Goulet n’avait pas de position ferme, se limitant à répéter que des admissions étaient possibles. On ne sait plus si la Cour du Québec pouvait toujours accommoder plus rapidement le procès de Goulet.
[113] À mon avis, Goulet ne peut pas se plaindre. Elle a elle-même paralysé ce volet de sa requête en démontrant une absence d’initiative pour favoriser des admissions et garantir une date plus rapprochée, si cela avait été possible, puisque le tout demeurait une hypothèse à ce moment.
[114] Enfin, en appel, Goulet ajoute que son droit à une défense pleine et entière était affecté par un procès conjoint parce qu’elle se retrouvait confrontée à une preuve abondante décrivant une fraude odieuse, créant à son égard un préjudice inacceptable. Elle répète qu’elle proposait d’en faire l’admission dans le cadre d’un procès séparé.
[115] Cet argument ne me convainc pas, au vu des procédures décrites précédemment, des tergiversations de l’appelante et de la preuve. Le ministère public a bien expliqué au juge que la preuve des circonstances de la fraude était nécessaire pour démontrer la provenance des sommes visées par les accusations de recyclage visant Goulet, de même que pour en inférer sa connaissance.
[116] Goulet ne démontre aucune erreur de la part du juge qui a refusé le procès séparé et ne démontre pas que ce dernier a déraisonnablement exercé sa discrétion.
(5) Le refus de donner une directive correctrice pour Goulet
[117] Goulet présente ce moyen comme moyen subsidiaire. Elle indique que le ministère public a laissé entendre, dans sa plaidoirie, qu’elle « participait aux activités d’une organisation criminelle ». Or, elle n’était pas accusée d’avoir participé aux activités d’une organisation criminelle et elle n’aurait donc pas dû être décrite comme une membre de celle-ci. Goulet reproche au juge de ne pas avoir donné au jury une directive pour éviter le préjudice déterminant qui découlait des propos tenus par l’intimé.
[118] Le ministère public concède qu’il a associé Goulet au gangstérisme, mais ajoute que la preuve soutenait son affirmation. Selon l’intimé, Goulet avait joué un rôle dans l’organisation criminelle nonobstant le fait qu’elle n’était pas accusée de ce chef. Il prétend que le juge est intervenu immédiatement après la plaidoirie en précisant au jury que Goulet n’était pas visée par le chef de gangstérisme. Dans le cas contraire, si une erreur persiste, elle est inoffensive compte tenu de la preuve accablante.
[119] Voici ce qu’a plaidé le ministère public au procès, dans ce qui était littéralement sa dernière minute de plaidoirie :
Brièvement, je me permets simplement de vous souligner qu’il faut je... qu’il faut que le ministère public vous démontre que trois (3) personnes minimalement ont agi... étaient membres de ce groupe. Il faut une organisation minimale de trois (3) personnes. Donc le ministère public prétend que l’organisation dans le présent dossier constitue les personnes suivantes, donc les accusés France-Josée Dancause — évidemment la position du ministère public c’est que France-Josée Dancause dirigeait l’organisation — Alain Péloquin, Sophie Jolicoeur, Benoît Sénécal, Jean-Marc Lavallée mais aussi les gens qui ont contribué à l’aspect recyclage. Donc j’inclus, et je vous suggère que, à la fois, Daniel St-Denis et Chantal Goulet ont aussi fait partie, à certains moments dans le cas de madame Goulet, de l’organisation criminelle. Je vous suggère que la participation de monsieur St- Denis, en fait, date du tout début, évidemment avec l’implication qu’il n’est pas directement impliqué dans la commission de la fraude mais que son rôle quant à lui, en fait, est une implication au niveau du recyclage des biens et des produits de la criminalité générés par cette fraude.
Annexes conjointes, vol. 142, p. 50845.
[120] Or, immédiatement après la fin de la plaidoirie de Me Tardif, le juge précise au jury :
LE TRIBUNAL : Merci, Maître Tardif. Simplement indiquer aussi ce que vous savez déjà, le chef de participation à une organisation criminelle vise seulement trois (3) personnes, c’est-à-dire France-Josée Dancause, Alain Péloquin et Sophie Jolicoeur, ce qui empêche pas le procureur de prétendre qu’il y a d’autres gens qui en ont fait partie. Mais on se rappelle qu’il y a trois (3) accusés qui sont visés par ce chef d’accusation.
Annexes conjointes, vol. 142, p. 50848.
[121] Les avocats de St-Denis et de Goulet ont protesté dès la sortie de la salle du jury. Le premier aurait souhaité répondre à cette affirmation du ministère public. Me Marsolais a dit ceci :
Me SARAH-NATHALIE MARSOLAIS : Si je peux me permettre, j’ajouterais même a fait déjà partie, à un certain moment donné, de l’organisation criminelle.
LE TRIBUNAL: Hum, hum.
Me SARAH-NATHALIE MARSOLAIS : Je cite. Par rapport à ma cliente, là, c’est ce que j’ai entendu déjà : fait partie, à un certain moment, de l’organisation criminelle. Moi, pour ma part, je... je comprends, là, c’est juste le phraser puis vous avez déjà corrigé, là, la chose.
LE TRIBUNAL : Bien, c’était une précision, c’est-à-dire... est-ce qu’il y a pas un fondement dans la preuve... Puis on peut être en désaccord, là, mais... mais...
Me SARAH-NATHALIE MARSOLAIS : Mais en fait, c’est qu’on aurait aimé le savoir pour le plaider. Moi, je pense que c’est ça que mon... c’est la première fois de ma vie que je vais être d’accord avec mon collègue, je pense, là, on aurait dû avoir le droit d’occasion, ça (inaudible).
Me GÉRALD SOULIÈRE : Il est jamais trop tard.
Me SARAH-NATHALIE MARSOLAIS: On aurait pu avoir l’occasion à ce moment de pouvoir le plaider. C’est pour ça qu’il y a des chefs d’accusation.
Annexes conjointes, vol. 142, p. 50851-50852.
[122] Rien de plus n’a été dit par Me Marsolais, et le juge a maintenu sa directive, persuadé que la preuve permettait l’affirmation et que les explications sur les chefs d’accusation replaceraient le fardeau de chacun.
[123] Goulet n’a pas soulevé, avec raison, la possibilité d’un avortement de procès. Lorsqu’on révise les directives dans leur ensemble, la directive donnée par le juge est correcte et les protestations sont non fondées. En plus de cette directive immédiate, le juge a répété dans ses directives finales qu’un groupe doit être composé d’au moins trois personnes et elles n’ont pas à être accusées (p. 51054). L’affirmation en plaidoirie pouvant être soutenue par la preuve, le juge répète que ce chef d’accusation ne vise pas Goulet. Quant au préjudice que l’appelante ne définit pas, j’en défère à l’opinion du juge qui était aux premières loges pour déterminer la valeur de cette allégation : R. c. Rose,
[124] Je propose de rejeter ce moyen.
D. Les moyens soulevés par Jolicoeur
[125] D’emblée, je souligne que l’appelante Jolicoeur soulève un moyen d’appel et développe un argumentaire sur le caractère erroné de la directive portant sur le complot. Je partage l’opinion de l’intimé que ces reproches ont peu d’utilité puisque l’appelante a été acquittée du chef de complot. Il n’en sera donc pas davantage question dans mes motifs.
[126] Cela dit, la situation de Jolicoeur demande de préciser quelques éléments de contexte. L’appelante était notaire depuis 1994 et elle a été radiée en 2011. Vers 2007, à la demande d’un tiers qu’elle connaissait comme professionnel — occupant un bureau dans l’immeuble qui avait déjà abrité le sien —, elle a accepté de rencontrer Péloquin afin de l’aider dans un projet. En plus d’y investir, elle a ouvert une carte-client à son nom. Graduellement, elle a accepté des dépôts d’investisseurs, puis des chèques qui entraient et sortaient de son compte bancaire professionnel suivant les instructions de Péloquin. Par la suite, les conventions d’investissement ont été rédigées sur du papier entête de sa pratique notariale.
[127] En 2009, la preuve a révélé que Jolicoeur a hypothéqué sa propre maison en faveur d’un tiers, un dénommé Vallière, afin de lui permettre d’investir dans le projet. Cette hypothèque a été radiée au cours de la même année. Ce fait, dont les détails sont peu utiles, reviendra dans la plaidoirie de l’intimé au procès et il est la source d’un moyen d’appel. J’y reviendrai donc.
[128] En 2010, vers la fin de l’implication de l’appelante, une série d’investisseurs ont demandé des remboursements. Ceux-ci étaient effectués avec l’argent provenant d’autres investisseurs. Se produisit un événement, qu’on désignera comme « l’épisode du napperon ». Péloquin et Darveau étaient au restaurant lorsqu’ils ont reçu l’appel et les instructions de Dancause, et des noms d’investisseurs à rembourser ont été inscrits sur un napperon. Les montants ont transité par le compte en fidéicommis de l’appelante après des démarches de Péloquin et Darveau auprès de Jolicoeur.
[129] Pour sa part, Jolicœur a témoigné que Darveau s’était présenté à son bureau pour obtenir des fonds parce qu’il devait rembourser rapidement des membres des Rock Machine, une organisation criminelle de motards, qui faisaient pression sur lui.
[130] Or, Darveau n’avait jamais été contre-interrogé sur cet aspect particulier.
[131] À la demande du ministère public et après discussion avec les parties, le juge a mentionné aux jurés qu’il était injuste de retenir contre M. Darveau l’allégation qu’il devait de l’argent au crime organisé alors qu’il n’avait pas eu la chance d’y répondre. Cet épisode est à l’origine du prochain moyen d’appel.
(6) Le témoin Stéphane Darveau
[132] Comme je l’ai mentionné, Jolicoeur a révélé, dans son interrogatoire, ce qu’elle comprenait des demandes de Darveau :
912 Q. Qu’est-ce qui se passe en mars deux mille dix (2010) relativement à monsieur Stéphane Darveau?
R. Monsieur Darveau, selon ses... ses dires, lorsqu’il m’a contactée, il avait emprunté beaucoup d’argent à des gangs... j’ai toujours eu dans ma tête que c’était des Rock Machine, mais je ne sais pas si c’est ça, mais je sais que ça... ça sonnait comme ça, là, puis il commençait à être harcelé. Les... les gens le collectaient, puis il avait emprunté de l’argent à sa famille pour pouvoir les rembourser.
Ça fait qu’il m’a appelée pour que... pour que j’émette les chèques de remboursement, puis que je fasse des quittances pour ces gens-là.
Annexes conjointes, vol. 136, p. 48824-48825.
[133] Contre-interrogée par l’avocate de Péloquin, elle a dit de nouveau :
Q. Et ce que vous nous avez dit aussi, c’est que les personnes qui sont remboursées là, qu’on voit par la suite là, 165 et suivantes, les lignes 165, [M.V., M.B., A.P.], là vous, ce que vous nous dites, c’est que ça ce sont… vous avez appelé ça des Rock Machine ?
R. C’est ce que j’ai… de mémoire, c’est ce qu’il m’avait dit. Je sais que ça fait drôle là, mais c’est ce qu’il m’avait dit, il se faisait… ces gens-là voulaient se faire rembourser puis il était collecté.
Annexes conjointes, vol. 137, p. 49019.
[134] Comme l’a admis, à bon droit, l’avocat de l’appelante au procès, la question de la relation de Darveau avec les motards n’a jamais été évoquée avant le témoignage de Jolicoeur (voir annexes conjointes, vol. 144, p. 51238). La crédibilité du témoin en lien avec des dettes contractées auprès d’un groupe criminalisé est centrale au moyen d’appel.
[135] Lors de ses délibérations, le jury a demandé de réécouter le témoignage de Darveau, plus particulièrement sur « l’épisode du napperon, P-238, jusqu’au remboursement des gens inscrits sur celui-ci » (voir annexes conjointes, vol. 143, p. 51225). Le juge rappelle au jury l’obligation d’écouter l’entièreté des passages liés au sujet pertinent (voir annexes conjointes, vol. 143, p. 51231).
*
[136] La défense de Jolicoeur reposait notamment sur l’absence de connaissance de la fraude. Elle prétend que le juge a erré en ne dirigeant pas le jury sur la manière d’aborder l’écoute des passages de ce témoignage qui affectaient la crédibilité du témoin. En fait, son avocat avait suggéré qu’il fallait faire un choix : soit réécouter l’ensemble du témoignage, soit complètement l’interdire. Ainsi, contrairement à sa position en appel, où Jolicoeur dresse une liste de sujets spécifiques touchant la crédibilité du témoin, l’avocat au procès avait une position de tout ou rien.
[137] L’intimé est d’avis que la demande des jurés était précise; elle ne concernait que « l’épisode du napperon » et les remboursements en découlant. Le juge a bien expliqué aux jurés leur devoir d’écouter toutes les parties du témoignage en lien avec leurs préoccupations; et le témoignage complet leur a été remis.
[138] Le juge a indiqué au jury :
Alors, d’abord, un petit rappel ou même peut-être des précisions par rapport à ce que je vous ai dit hier. Vous devez vous assurer de faire une écoute qui est complète et équilibrée relativement à la question qui vous intéresse.
Comme je l’ai dit hier, ça inclut évidemment de porter votre attention, votre écoute aux passages qui ont été couverts par les avocats de la Couronne dans leur interrogatoire principal et également, les passages qui ont été couverts lors des contre-interrogatoires, mais ça peut aussi inclure d’écouter les passages qui sont reliés au contexte de cette question-là.
Donc, il est question d’un sujet, mais vous pouvez, écoutez le sujet en tenant compte du contexte, parce que parfois, s’intéresser à un sujet de façon isolée peut être trompeur. Alors, vous regardez, vous écoutez plutôt devrait être le terme plus approprié, les passages des interrogatoires et contre-interrogatoires qui peuvent servir à expliquer, mettre en contexte, peut-être atténuer, préciser ce que monsieur Darveau a dit relativement à ce sujet-là.
Nous avons consulté nos notes et je peux vous donner l’information, mais je précise que ce que je vous dis n’est pas limitatif, il faut bien que vous compreniez que vous avez la responsabilité de faire un examen complet et équitable de la question et que c'est votre devoir d’examiner l’ensemble de la preuve.
Alors, voici deux (2) moments que nous on a repérés, vous pouvez commencer vos écoutes, vos recherches par là, mais je répète, ce ne sont pas des indications qui sont limitatives. Vous avez le devoir d’écouter de façon équitable et complète les enregistrements à l’égard de la question qui vous intéresse. Voilà. Alors, en espérant que ça vous sera utile, encore une fois merci pour votre bon travail et bonne continuation.
Annexes conjointes, vol. 144, p. 51241-51243.
*
[139] Au moment de prendre sa décision, le juge se fondait notamment sur l’arrêt Hovington, dans lequel le juge Doyon écrivait pour la Cour :
[64] Dans R. c. Robert, [2004] J.Q. no 8562 (C.A.), le juge Proulx s’exprime ainsi au nom de la Cour :
[35] Sur ce dernier point, notre Cour a rappelé qu’on ne peut pas astreindre le jury à réentendre tout le témoignage s’il exprime le désir d’écouter un extrait précis : on doit cependant s’assurer que le jury n’entende pas qu’une partie isolée du témoignage, mais tout ce qui est susceptible de l’expliquer, de l’atténuer, ou de le mettre en contexte: R. c. Mario Cyr, C.A.M.
[…]
[38] Une réécoute en salle d’audience contraint les jurés à s’abstenir d’échanger entre eux afin de préserver le secret des délibérations. En l’espèce, le juge et les avocats ont d’ailleurs convenu que c’était la meilleure façon de procéder.
[65] En écrivant que « c’était la meilleure façon de procéder », le juge Proulx parle de l’écoute dans la salle de délibération.
[66] Les directives du juge sont conformes à ces énoncés et rien ne permet de croire que le jury ne les [a] pas suivies. Le juge n’était pas obligé de forcer les jurés à réentendre tout le témoignage (quoiqu’il leur ait signifié sa préférence), à la condition qu’ils aient su devoir écouter toutes les parties de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire qui portent sur le sujet qui les intéresse, ce que le juge a bien expliqué.
[67] Les jurés sont présumés suivre les instructions du juge et les appelants ne peuvent prétendre que la procédure était inéquitable.
R. c. Hovington,
[140] La jurisprudence s’accorde généralement avec cette position : R. c. Whissel,
[141] En l’espèce, la directive du juge répond précisément à la demande formulée par le jury : R. c. J.B.,
[142] Je propose donc de rejeter ce moyen.
(7) L’absence d’une directive relative aux documents saisis chez Jolicoeur
[143] Le moyen d’appel fait référence à la paperasse qui a été trouvée chez Jolicoeur lors de perquisitions policières en octobre 2012, soit plus de deux ans après la fin de son implication dans le projet, et qui est décrite plus haut, notamment les conventions, les traites et les chèques d’investisseurs.
[144] L’appelante reproche au juge de ne pas avoir donné au jury une indication claire du moment de la possession des documents. Il n’aurait pas rappelé à son souvenir la preuve à propos de la chronologie des échanges entre les personnes impliquées lorsque l’AMF a débuté son enquête, après la fraude alléguée. Cette directive aurait permis au jury de conclure que les documents avaient été échangés après les faits, en plus d’éviter que la crédibilité de l’appelante soit entachée par la simple possession de ces documents. Elle reproche aussi à l’intimé d’avoir déformé la réalité en utilisant la possession des documents précisément en ce sens, c’est-à-dire pour inférer sa participation à la fraude.
[145] L’intimé ne voit rien à redire sur la directive donnée. En outre, il rappelle que Jolicoeur avait bien exposé ses prétentions au jury. Mais en définitive, il est d’avis qu’un grand nombre de documents portaient la signature de l’appelante ou provenaient de sa comptabilité.
[146] D’abord, avant de regarder la directive du juge, j’écarte l’argument de Jolicoeur concernant la plaidoirie du ministère public au procès. Dans son mémoire, elle renvoie au passage suivant :
Si vous cherchez à identifier les différents chèques rattachés à ce dépôt groupé, on les retrouve à P-850, donc vous allez voir une série de conventions qui portent toutes par ailleurs l’en-tête professionnelle de Sophie Jolicoeur et P-850 est de la documentation qui a été saisie chez madame Jolicoeur, donc elle avait au jour de la perquisition en sa possession toutes les conventions et tous les chèques.
Annexes conjointes, vol 141, p. 50661.
[Je souligne]
[147] Je ne vois aucune déformation des faits dans cet extrait.
[148] Par ailleurs, si le juge n’a pas donné l’indication temporelle précise souhaitée dans sa directive, voici comment il s’adresse au jury sur cette question :
Certains documents ont été saisis chez les accusés. Certains documents ont été transmis par des accusés à des témoins. Les documents qui sont ou qui ont été en possession d’un accusé sont généralement admissibles contre cet accusé à titre de preuve circonstancielle. Vous pouvez inférer qu’une personne à la connaissance du contenu d’un document en sa possession ou qu’elle a un rapport avec le contenu d’un document en sa possession. Il s’agit d’une inférence que vous pouvez tirer, mais vous n’avez pas l’obligation de le faire. Tenez compte des explications données pour expliquer la possession d’un document et de l’ensemble des circonstances pour décider si vous tirez cette inférence.
Annexes conjointes, vol 143, p. 50927-50928.
[Je souligne]
[149] Je ne crois pas que l’on puisse imputer une erreur au juge, loin de là. Il est bien établi, au moins depuis l’arrêt R. c. Jacquard,
[150] Je propose de rejeter ce moyen.
(8) La directive erronée relative à la défense de Jolicoeur
[151] Jolicoeur reproche au juge de ne pas avoir résumé sa défense de manière utile pour le jury. Cette défense ne se limitait pas à l’ignorance de la fraude ou, inversement, à sa croyance dans un projet légitime. Selon l’appelante, le juge avait l’obligation d’attirer l’attention du jury sur les éléments de la preuve qui avaient une importance particulière pour sa défense. Dans son mémoire, elle dresse la liste de 21 éléments de preuve spécifiques qui devaient, selon elle, être expliqués au jury.
[152] L’intimé défend la démarche du juge qui a favorisé un résumé à grand trait de la preuve, accompagné des résumés de la défense avancée par chaque partie et qui lui avaient été fournis par chaque avocat. On ne peut lui faire le reproche que tente maintenant l’appelante.
[153] Je rappelle qu’un procès dont la présentation de la preuve s’échelonne sur quelque cinq mois pose des défis particuliers pour les directives d’un juge. Son rôle est de résumer, de clarifier et de simplifier : R. c. Rodgerson,
[154] Dans l’arrêt R. c. Daley,
[57] L’étendue de la récapitulation de la preuve [TRADUCTION] « variera en fonction des cas, et le critère à appliquer est celui de l’équité. L’accusé a droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière. Dans la mesure où l’exposé présente la preuve d’une façon qui permette au jury de bien comprendre les questions à trancher et la défense soumise, il est adéquat » : voir Granger, p. 249. Dans R. c. Jack (1993), 88 Man. R. (2d) 93 (C.A.), conf. par
[58] Enfin, il faut se souvenir que l’exposé au jury ne constitue pas une étape isolée; il s’inscrit dans le déroulement général du procès. L’examen en appel de l’exposé au jury portera aussi sur les plaidoiries des avocats qui pourraient en combler les lacunes : voir Der, p. 14‑26. En outre, on attend des avocats qu’ils assistent le juge du procès, en relevant les aspects des directives au jury qu’ils estiment problématiques. Bien qu’elle ne soit pas déterminante, l’omission d’un avocat de formuler une objection est prise en compte en appel. L’absence de plainte contre l’aspect de l’exposé invoqué plus tard comme moyen d’appel peut être significative quant à la gravité de l’irrégularité reprochée. Voir Jacquard, par. 38 : « À mon avis, l’omission de l’avocat de la défense de s’opposer à l’exposé est révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée. »
[155] En l’espèce, s’adressant aux parties, le juge était d’avis que le jury avait bien suivi la preuve dans ce long procès. Je note qu’il est certainement un spectateur privilégié du travail du jury. Le juge a aussi expliqué que reprendre la preuve en détail entraînerait des directives touffues et lourdes et qu’un résumé détaillé des faits entraînait nécessairement des choix. Il a alors fait le constat qu’il serait difficile, même en investissant tous les efforts d’impartialité et de neutralité, de résumer les faits sans risquer des oublis, voire d’orienter involontairement le jury, d’omettre des interprétations différentes, particulièrement en raison du volume de la preuve et des défenses dites traitresses.
[156] Par conséquent, il a expliqué aux parties son intention de ne pas entrer dans les détails de la preuve, mais qu’il donnerait au jury les repères thématiques sur la preuve, nécessaires et utiles pour résoudre les questions en litige. Selon le juge, des directives moins détaillées et plus ciblées simplifieraient les choses et guideraient davantage le jury dans leur réflexion.
[157] En l’espèce, j’estime que la question est davantage liée à la suffisance des directives dans les circonstances. À ce propos, pour reprendre les mots du juge Bastarache dans l’arrêt Daley, précité, l’appelante ne me convainc pas que l’exposé présentait la preuve d’une façon qui ne permettait pas au jury de bien comprendre les questions à trancher et la défense soumise.
[158] Je propose de rejeter ce moyen.
(9) Le refus de donner une directive correctrice pour Jolicoeur
[159] Dans sa plaidoirie finale sur l’implication de Jolicoeur, l’avocat du ministère public a insisté sur le caractère surprenant du fait d’avoir accepté d’hypothéquer sa résidence au profit du dénommé Vallière.
[160] Voici le passage en cause :
Maintenant j’aimerais aborder en fait la question concernant l’hypothèque immobilière qui a été consentie en faveur de l’investisseur Jean-Pierre Vallières. La preuve démontre qu’en janvier deux mille neuf (2009), donc pratiquement un mois après s’être retirée du projet à titre d’investisseur, madame Jolicoeur va consentir une hypothèque immobilière sur sa propriété afin de garantir l’investissement de Jean-Pierre Vallières pour un montant de cent dix mille dollars (110 000 $). C’est la pièce P-415.
Rappelez-vous que Jean-Pierre Vallières a témoigné à l’effet que c’est Alain Péloquin qui lui a offert la possibilité d’avoir cette garantie sur la maison d’une notaire qui était associée au projet.
Demandez-vous, dans la mesure où Sophie Jolicoeur n’a aucun intérêt personnel financier dans le projet, comment est-il logique et cohérent et vraisemblable que cette dernière accepte de donner une garantie sur sa maison?
Contrairement à plusieurs investisseurs qui ont témoigné devant vous, madame Jolicoeur n’était pas prise le bras dans le tordeur jusqu’au coude à ce moment-là et on ne lui demandait pas rajoute jusqu’à l’épaule. Non, madame Jolicoeur n’a aucune implication financière dans le projet à ce moment-là et néanmoins, elle va accepter de donner une garantie de cent dix mille dollars (110 000 $) sur sa maison.
Est-ce que c’est vraisemblable d’agir de la sorte si on n’a aucun intérêt financier dans le projet? Posez-vous cette question. Quel est son intérêt? Est-ce qu’une personne raisonnable et instruite agirait de la sorte? Demandez-vous si la seule explication pour ce comportement serait qu’elle avait un avantage que la preuve n’a pas révélé.
Annexes conjointes, vol 141, p. 50599-50600.
[Je souligne]
[161] Pointant le passage souligné, l’appelante affirme que le ministère public a invité le jury à spéculer sur un mobile qui n’était pas en preuve. Pour l’intimé, l’extrait n’est pas une invitation au jury à spéculer, mais plutôt à tirer une inférence raisonnable sur la crédibilité du récit de l’appelante puisqu’elle avait témoigné être dans une situation financière difficile à l’époque.
[162] N’en déplaise à l’intimé, cette dernière phrase était inutile. Toutefois, avec égards pour l’appelante, j’estime que l’argument est hors de proportion. Inviter le jury à tirer des inférences n’est pas l’inviter à spéculer lorsque les inférences s’appuient sur la preuve, la logique, le bon sens et l’expérience humaine : R. c. Calnen,
[163] L’appelante a témoigné qu’en janvier 2009, elle croyait toujours au projet et avait accepté de mettre sa maison en garantie à hauteur de 110 000 $ pour permettre un investissement de Vallières afin de maintenir et terminer le projet. À partir de ce moment, elle a confirmé que son implication était beaucoup plus importante dans un projet où rien n’aboutissait depuis deux ans. À mon avis, l’intérêt financier de Jolicoeur dans le projet s’inférait de la preuve. Son mobile était exposé.
[164] Cela dit, le jury avait été correctement dirigé contre le risque d’extrapoler, de combler les vides ou de tirer des conclusions hâtives. Que l’avocat d’expérience de l’appelante n’ait formulé aucune opposition est significatif, et peut conforter dans l’innocuité des propos : R. c. Daley,
[165] Je propose de rejeter ce moyen.
L’APPEL DES PEINES
[166] Je rappelle que Jolicoeur et Péloquin demandent l’autorisation de porter en appel les peines reçues. Le juge a rendu une décision conjointe pour tous les appelants. J’ai repris en introduction la description qu’il fait de la fraude (voir le par. [7]). Cette fraude à grande échelle a entraîné des pertes d’environ 14,8 millions de dollars pour quelque 60 investisseurs et pour une vingtaine d’autres qui y avaient investi des sommes à un certain moment. Sans entrer dans tous les détails de ses constats, le juge explique que les conséquences sont graves pour les victimes en raison des pertes financières importantes, mais plus encore :
[24] Les dommages ne sont pas que financiers ou matériels. Les victimes subissent également des dommages moraux et psychologiques, tels que le stress, l’anxiété, la honte, la perte d’estime de soi, le sentiment de culpabilité et l’incapacité à faire désormais confiance à autrui. Certaines victimes éprouvent des malaises et des problèmes de santé. Des familles sont brisées. Des vies sont ruinées.
R. c. Dancause,
*
La requête et l’appel de Jolicoeur
[167] J’aborde la requête de Jolicoeur. Voici ce que le juge retient, en sus de son implication, des facteurs pertinents.
[168] Le juge décrit sa participation dans la fraude :
[28] Sophie Jolicoeur est notaire durant les événements. Les verdicts d’acquittement rendus à son endroit sur les chefs de complot et de gangstérisme indiquent que son implication est moindre que celle de Mme Dancause et M. Péloquin. À l’audience sur la détermination de la peine, les parties ont supposé qu’elle s’est rendue coupable de fraude et de recyclage de produits de la criminalité en faisant preuve d’ignorance volontaire. Cela est bien possible. Par ailleurs, elle pourrait avoir commis la fraude à titre de complice d’Alain Péloquin plutôt qu’à titre d’auteure principale. Elle participe aux infractions durant une période relativement courte, de la fin de l’année 2008 à l’été de l’année 2010. De même, il n’est pas prouvé qu’elle tire personnellement profit de la fraude de manière significative.
[29] Il reste que la participation de Sophie Jolicoeur à la fraude à titre de notaire est un élément crucial de l’arnaque. Son implication contribue grandement à donner confiance aux investisseurs. Des conventions d’investissements portant son en-tête professionnel et indiquant que les transactions sont enregistrées devant notaire sont remises aux investisseurs avec son assentiment. Aussi, elle rencontre en personne certains investisseurs. Surtout, elle fait usage de ses comptes en fidéicommis de notaire pour recycler l’argent des investisseurs. Près de 5,9 millions de dollars circulent dans ses comptes à l’époque pertinente. Elle transfère 3,6 millions de dollars aux personnes impliquées dans la fraude.
R. c. Dancause,
[169] Il conclut ensuite sur les considérations liées à l’appelante :
[77] Sophie Jolicoeur a perpétré ses crimes en utilisant son titre de notaire et son compte en fidéicommis, ce qui constitue des circonstances aggravantes sérieuses.
[78] Le notaire a un statut particulier. Il est un officier public, un auxiliaire de justice et un conseiller juridique. Une de ses principales fonctions est de donner un caractère authentique aux actes qu’il reçoit. Il a le devoir d’agir avec impartialité et dans l’intérêt de toutes les parties à un acte notarié. De plus, il doit agir avec intégrité et honnêteté, notamment à l’égard des sommes qui lui sont confiées en fidéicommis. Bref, le notaire joue un rôle important dans notre société, car il contribue au maintien de la confiance du public dans l’ordre juridique (art.
[79] Le notaire qui utilise ses pouvoirs et privilèges pour commettre une infraction criminelle, une fraude de surcroit, trahit la confiance des victimes et du public et, par le fait même, porte atteinte à l’administration de la justice (le Tribunal s’inspire ici de la jurisprudence en matière de peines imposées à des avocats : R c. Corriveau, 2003 CanLII 3293 (CAQ); R. c.Desnoyers,
[80] Au chapitre des facteurs aggravants relatifs à Sophie Jolicoeur, outre l’abus de confiance lié à sa profession de notaire, le Tribunal souligne le montant très élevé de la fraude, les sommes très importantes liées à la fraude qui ont circulé dans ses comptes en fidéicommis, le nombre de victimes, les pertes et les impacts subis par les victimes, sa contribution à un système élaboré de fraude et de recyclage des produits de la criminalité et sa malhonnêteté.
[81] À l’égard des facteurs atténuants, le Tribunal retient que Mme Jolicoeur ne semble pas avoir profité personnellement de la fraude de manière significative, qu’elle bénéficie d’un milieu familial positif et qu’elle a tenté un retour aux études. Mme Jolicoeur semble avoir la capacité de se réhabiliter.
[82] De plus, la peine imposée à l’endroit de Mme Jolicoeur doit refléter son degré de participation secondaire par rapport à Mme Dancause et M. Péloquin.
[83] Toutefois, la probabilité que les verdicts de culpabilité à l’endroit de Sophie Jolicoeur soient fondés sur l’ignorance volontaire ne constitue pas un facteur atténuant significatif. L’ignorance volontaire est un état d’esprit subjectif répréhensible qui comporte un réel élément de culpabilité morale (R. c. Briscoe,
[84] De même, le fait que certaines victimes aient reçu des dédommagements du Fonds d’indemnité de la Chambre des notaires est un facteur qui est tout au plus indifférent.
[85] Les peines justes et appropriées pour Mme Jolicoeur sont de 3 ans d’emprisonnement pour les chefs de fraude et de recyclage des produits de la criminalité. Le Tribunal considère que les deux infractions sont de gravité équivalente dans le cas de Mme Jolicoeur, considérant la nature de sa participation. Les peines doivent être purgées concurremment. La peine globale imposée à Mme Jolicoeur est donc de 3 ans.
R. c. Dancause,
[170] Jolicoeur propose quatre moyens d’appel. Je les reformule : 1) une erreur de fait ayant une incidence sur la peine, 2) une erreur en ne tenant pas compte du long délai pour traiter les accusations, lequel incluait le délai préinculpatoire 3) une erreur en omettant de tenir compte de la perte de son droit de pratique et d’autres conséquences découlant des accusations, et 4) une erreur en infligeant une peine supérieure à celle suggérée par l’intimé et non proportionnelle à la gravité de l’infraction et à sa responsabilité morale.
[171] Le premier reproche au juge est essentiellement d’avoir retenu qu’elle avait transféré 3,6 millions de dollars aux personnes impliquées dans la fraude. Selon Jolicoeur, le juge omet de tenir compte du fait que, de cette somme, 1,8 million avait été transféré dans le compte en fidéicommis d’un avocat, aujourd’hui disparu. L’appelante écrit : « il y a une marge entre transférer des sommes d’un compte en fidéicommis à un autre compte en fidéicommis, par rapport à un tel transfert effectué dans un compte ordinaire ». Avec égards, je ne vois pas la distinction lorsque la preuve révèle, comme le note le juge, que cet avocat fait partie de l’opération frauduleuse.
[172] Le second reproche vise le délai de 58 mois pour tenir le procès. Pour une raison inexpliquée, le juge n’a pas traité cette question dans le cas de l’appelante alors qu’il l’a fait pour les appelants Dancause et Péloquin. Ainsi, il a expliqué que le délai pour tenir le procès peut devenir pertinent au moment de déterminer la peine.
[173] En appel, la règle n’est pas en cause. C’est son application qui est contestée et, dans le cas de Jolicoeur, l’absence de motifs complique la réponse. Il est bien connu qu’une motivation déficiente diminue la déférence due au juge : voir notamment R. c. Cardinal,
[174] Cela dit, il faut retenir que le juge a rejeté l’argument pour les autres appelants. Jolicoeur prétend que sa situation était différente parce qu’elle ne souhaitait pas de procès devant jury, qu’un procès séparé aurait été beaucoup plus court et qu’elle a été proactive pour faire avancer les choses.
[175] Le reproche de l’appelante se bute à l’absence de requête pour procès séparé. J’écrivais pour la Cour dans Belleville qu’un « accusé ne peut pas simplement verbaliser un souhait et espérer qu’il soit exaucé, par le ministère public ou le tribunal, surtout devant le refus du premier de diviser le procès pour des motifs en apparence sérieux. Dans ces circonstances, un accusé n’a d’autre choix que d’affirmer sa demande en présentant une requête, forçant ainsi le poursuivant à se justifier et le tribunal à trancher. En l’espèce, Belleville qui a préféré simplement prendre acte du refus du ministère public […] ne peut maintenant prétendre qu’il recherchait véritablement un procès séparé » : R. c. Belleville,
[176] Quant à sa proactivité — et je n’ai pas l’intention de la contredire —, cela ne peut pas avoir la portée qu’elle veut lui attribuer dans les circonstances de ce procès. Par ailleurs, je ne vois aucune erreur du juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et dans sa conclusion que « la nature des infractions, l’étendue de l’enquête et la complexité de la preuve justifient la longueur des délais pré-inculpatoires survenus dans la présente affaire ». Par conséquent, je ne peux pas suggérer de faire droit à cet argument pour les raisons qu’elle avance.
[177] Le troisième moyen d’appel invoque la déchéance de l’appelante à la suite des accusations et du procès. Elle a perdu son droit de pratique et tout cela aura eu un impact dévastateur sur sa vie professionnelle. Notre Cour a reconnu que la déchéance personnelle d’un délinquant à la suite d’une accusation et d’une condamnation est une circonstance pertinente dans la détermination de la peine. Cela est cohérent et juste. En outre, le juge de la peine « peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsque la preuve le justifie, considérer que le passage à travers le système de justice criminelle contribue en soi à l’atteinte d’objectifs de la peine, notamment, mais non exclusivement, en raison de sa médiatisation » : R. c. Harbour,
[178] Il ne fait plus de doute que des conséquences indirectes découlant de la perpétration d’une infraction, de la déclaration de culpabilité pour une infraction ou de la peine infligée pour une infraction, peuvent être prises en considération; et il n’existe aucune formule rigide qui encadre cet examen : R. c. Suter,
[179] Cependant, la Cour suprême, adoptant les propos de l’auteur et professeur Manson, a précisé que la conséquence à ce point liée à la nature de l’infraction, voire presque inévitable, voit son rôle grandement réduit à titre de facteur atténuant : R. c. Suter,
[180] De plus, comme l’écrit l’auteur Manson :
The loss of employment or professional qualifications will often be raised as relevant collateral consequences. However, there is a difference between situations where the specific criminal act results in disqualification from a profession or employment, and those situations where employment is lost as a result of personal or community responses that stigmatize the offender. The latter scenario should be taken into account because it flows from the criminal process; disqualification is a more difficult issue. Careful distinctions are required. Some mitigation may be available if the disqualification arises from an offence which is not centrally related to professional responsibility. For example, there is a difference between a surgeon who is struck off the professional roll for criminal negligence causing death after performing surgery while intoxicated, and a physician who commits an offence of dishonesty regarding his medicare billings. The former receives no sympathy for losing a profession which his conduct shows he was ill-suited to perform while the loss of livelihood for the latter arises from conduct unrelated to patient care.
Allan Manson, The Law of Sentencing, Toronto, Irwin Law, 2001, p. 136-137.
[181] Je partage généralement cet énoncé, lequel doit être nuancé à mon avis lorsque la gravité de l’infraction, même commise dans les circonstances aggravantes qu’il évoque, demeure de faible gravité. La disqualification professionnelle ne suit pas toujours la gravité objective d’une infraction criminelle. Toutefois, Jolicoeur est l’illustration d’un professionnel qui commet une infraction très grave dans l’exercice de sa profession.
[182] Lors de la détermination de la peine, le sujet n’a pas été abordé sous l’angle des conséquences indirectes discutées par la Cour suprême, mais les observations étaient explicites que Jolicoeur « avait tout perdu ». Cela dit, le contexte demeure. L’exercice d’une profession de notaire exige un haut degré de probité, comme le note le juge. Profiter de ce statut pour commettre un crime est aggravant. Les crimes commis dans l’exercice d’une telle profession sont toujours graves, même s’ils ne doivent pas être tous punis avec la même sévérité. La gravité de l’infraction n’est qu’un des facteurs devant être considérés dans le cadre de l’exercice de détermination de la peine. Cependant, dans les circonstances démontrées, la fraude décrite est si grave que je doute que la déchéance personnelle de l’appelante puisse être déterminante. Lorsque je mets en balance cet aspect avec l’ensemble de la preuve au dossier et que je m’arrête à la peine prononcée, je ne vois aucun motif d’intervenir.
[183] Je propose à la Cour de ne pas faire droit à ce moyen.
[184] Enfin, le dernier moyen d’appel reproche au juge d’avoir imposé une peine de trois ans d’emprisonnement pour le chef de recyclage et non une peine de deux ans comme le suggérait la poursuite. À l’audience, l’appelante concède que l’erreur aurait peu d’impact sur la peine puisque les deux peines sont purgées concurremment. Dans son mémoire, l’intimé était toujours d’avis que la peine suggérée était appropriée puisqu’elle tenait compte de la gravité objective moindre du recyclage des produits de la criminalité et de la jurisprudence. Déjà dans son mémoire, l’intimé s’en remettait à l’affaire R. c. Nahanee,
[185] Dans l’analyse de ce dernier argument, je prends acte que le juge a omis de demander des observations additionnelles avant d’imposer une peine plus sévère sur le chef de recyclage des produits de la criminalité, ce qui constitue une erreur de principe. Ce n’est d’ailleurs plus contesté.
[186] Je n’ai aucun doute que le juge de la peine aurait davantage porté attention à la proposition des parties s’il avait eu l’avantage de l’arrêt Nahanee de la Cour suprême. Vu la position des parties, je propose à la Cour d’intervenir et d’infliger la peine de deux ans d’emprisonnement pour le chef de recyclage des produits de la criminalité.
[187] En conclusion, je propose d’accueillir la requête pour obtenir autorisation d’interjeter appel et d’accueillir l’appel à la seule fin de substituer à la peine prononcée une peine de deux ans pour le chef de recyclage des produits de la criminalité.
La requête et l’appel de Péloquin
[188] Aux fins de la requête de Péloquin, il faut rappeler ce que le juge retient de la preuve sur sa participation dans la fraude :
[27] Pour sa part, Alain Péloquin est le principal promoteur du projet frauduleux et c’est lui qui lui donne son véritable essor. Il est le lieutenant de Mme Dancause. Cependant, il n’est pas impossible qu’il ait souhaité prendre éventuellement sa place à la tête du stratagème. Il se joint à l’entreprise criminelle au début de l’année 2007 et quitte au printemps 2011, quelques mois après l’intervention de l’AMF, lorsqu’il est ostracisé par Mme Dancause. Son charisme et son entregent lui permettent de mentir impunément pour recruter de nombreux investisseurs et pour collecter des montants d’argent faramineux. Il structure et organise la fraude. Il forme un pseudo-conseil d’administration. Il donne un semblant de sérieux au projet en distribuant des « conventions d’investissement » et autres documents aux investisseurs. Il anime des rencontres avec ceux-ci. Environ 3 millions de dollars circulent dans ses comptes bancaires et dans ceux de sa compagnie Apex. Cependant, il fait surtout transiter les investissements par les comptes en fidéicommis de l’avocat et de la notaire et il verse, personnellement ou par l’entremise de coursiers, d’importantes sommes d’argent comptant à Mme Dancause. Il profite lui-même d’une partie de l’argent des investisseurs pour des dépenses personnelles et pour l’achat d’une maison.
[28] Sophie Jolicoeur est notaire durant les événements. Les verdicts d’acquittement rendus à son endroit sur les chefs de complot et de gangstérisme indiquent que son implication est moindre que celle de Mme Dancause et M. Péloquin. À l’audience sur la détermination de la peine, les parties ont supposé qu’elle s’est rendue coupable de fraude et de recyclage de produits de la criminalité en faisant preuve d’ignorance volontaire. Cela est bien possible. Par ailleurs, elle pourrait avoir commis la fraude à titre de complice d’Alain Péloquin plutôt qu’à titre d’auteure principale. Elle participe aux infractions durant une période relativement courte, de la fin de l’année 2008 à l’été de l’année 2010. De même, il n’est pas prouvé qu’elle tire personnellement profit de la fraude de manière significative.
R. c. Dancause,
[189] Il conclut ensuite sur les considérations pertinentes :
[67] À l’égard d’Alain Péloquin, le Tribunal constate les facteurs aggravants suivants : le montant très élevé de la fraude, le nombre de victimes, les pertes et les impacts subis par les victimes, son implication directe après de nombreuses victimes, le caractère planifié et organisé du stratagème frauduleux, l’importance et l’étendue du complot, le caractère élaboré et sophistiqué du système de recyclage des produits de la criminalité, les bénéfices qu’il a tirés de ses crimes, son rôle d’avant-plan dans l’organisation criminelle, sa cupidité et sa malhonnêteté.
[68] Au chapitre des facteurs atténuants, le Tribunal note que M. Péloquin a trouvé un emploi honnête, dans une entreprise de construction de bâtiment agricole, après sa mise en accusation. M. Péloquin plaide qu’il est désormais un actif pour la société. M. Péloquin a plutôt été un danger pour la société. Il a commis des infractions graves qui ont fait de nombreuses victimes. Il est consternant que M. Péloquin ait utilisé ses habiletés sociales et son indéniable intelligence pour commettre des crimes, plutôt que pour contribuer positivement à la société. Il reste que son nouveau travail est un signe encourageant, un pas dans la bonne direction.
[69] M. Péloquin avance aussi qu’il est père de famille et qu’il doit subvenir aux besoins de ses enfants. Il est regrettable que sa famille subisse les conséquences de ses crimes. D’un autre côté, il est troublant que lui et sa conjointe aient potentiellement exposé leurs enfants à un mode de vie criminalisé.
[70] M. Péloquin a moins profité des crimes que Mme Dancause. Toutefois, il a été un participant très actif de la fraude et de l’organisation criminelle. Il a contribué de manière significative aux succès du stratagème frauduleux et du système de recyclage. Il a personnellement dépouillé de nombreux investisseurs.
[71] Les peines justes et appropriées pour M. Péloquin sont de 7 ans d’emprisonnement pour les chefs de complot et de fraude, de 3 ans d’emprisonnement pour le chef de recyclage des produits de la criminalité et de 1 an d’emprisonnement pour le chef de gangstérisme.
[72] Encore ici, considérant le principe de totalité et les exigences de la loi, les peines pour les chefs de complot, fraude et recyclage des produits de la criminalité seront purgées concurremment, mais la peine pour le chef de gangstérisme sera purgée consécutivement. La peine globale imposée à M. Péloquin est donc de 8 ans.
[73] Invoquant les délais importants survenus dans la présente affaire, Alain Péloquin réclame une réduction de peine à titre de réparation. À l’audience, France-Josée Dancause fait la même demande.
[74] Il est reconnu qu’un préjudice subi par un accusé peut entrainer une réduction de peine, dans le cadre normal de la détermination de la peine, à titre de facteur atténuant, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, l’atteinte doit avoir un lien pertinent avec le processus de détermination de la peine, c’est-à-dire qu’elle doit se rapporter aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Par ailleurs, le recours au par. 24 (1) de la Charte pour l’octroi d’une réparation n’est pas exclu (R. c. Nasogaluak, précité, par. 4, 47-53; R. c. Auclair,
[75] En l’espèce, les accusés ne font ni la démonstration d’une atteinte à leurs droits, ni la démonstration d’un préjudice susceptible d’être réparé par une réduction de peine. Le Tribunal rappelle qu’il a statué, à deux reprises, que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable protégé par l’al. 11 b) de la Charte n’a pas été enfreint dans la présente affaire. Par ailleurs, les accusés ne convainquent pas que les délais pré-inculpatoires ont porté atteinte à leurs droits. Manifestement, la nature des infractions, l’étendue de l’enquête et la complexité de la preuve justifient la longueur des délais pré-inculpatoires survenus dans la présente affaire.
R. c. Dancause,
[190] Péloquin soulève deux moyens d’appel que je reformule : 1) une erreur dans l’application du principe de parité des peines et 2) une erreur en ne retenant pas les longs délais des procédures pour atténuer la peine.
[191] Le premier moyen est sans mérite. L’appelant compare erronément sa peine totale avec la peine reçue par un coaccusé, celle-ci concernant un seul chef de recyclage des produits de la criminalité et ayant été prononcée après un plaidoyer de culpabilité et une suggestion commune. Dans les faits, la peine reçue par l’appelant sur ce chef est de 36 mois, alors que celle de ce coaccusé est de 34 mois. Je propose de rejeter ce moyen.
[192] Le second moyen a été traité précédemment parmi les arguments de Jolicoeur. L’appelant ne démontre aucune erreur qui autoriserait la Cour à intervenir relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de considérer les conséquences indirectes.
[193] Je propose à la Cour de rejeter sa demande d’autorisation d’interjeter appel.
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MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
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