Décision

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Décision

Perreault c. Duc II

2020 QCTAL 11171

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

491524 31 20191114 G

No demande :

2890882

 

 

Date :

18 décembre 2020

Devant la juge administrative :

Isabelle Hébert

 

Christophe Perreault

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

DUC II inc. a/s: Karol Fortin, président

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locataire demande l’exécution de travaux; une diminution de loyer de 20% rétroactivement au 1er mai 2018 et des dommages pour troubles et inconvénients (500 $)[1], avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec.

[2]      Comme il a quitté le logement depuis la date d’introduction de son recours, sa demande d’exécution en nature est devenue sans objet.

CONTEXTE

[3]      Les parties étaient liées par un bail reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 1 350 $.

[4]      La locataire a habité ce logement entre le 1er mai 2018 et le 29 août 2020, date à laquelle il le quitte selon une entente de résiliation du bail.

[5]      Il s’agit d’un logement sur deux étages, soit le rez-de-chaussée et le sous-sol ou rez-de-jardin, situé dans un immeuble de 24 logements détenus en copropriété. Le logement compte deux chambres à coucher situées sous-sol où se trouve aussi une salle de lavage alors que la cuisine et le salon occupent l’étage du dessus.

[6]      Peu de temps après son arrivée, en mai 2018, le locataire constate qu’une chaleur excessive règne au sous-sol.

[7]      Il en avise un représentant de la locatrice, monsieur Léonidas Aubert.

[8]      Plusieurs échanges verbaux, téléphoniques, par courriels et par textes ont alors lieu entre les parties.


[9]      La plupart de ces communications concernent le problème de chaleur, mais aussi, en janvier 2019, des coupures d’eau.

[10]   Comme ces messages et communications avec monsieur Aubert ne donnent aucune suite, le 16 juillet 2019, le locataire adresse une mise en demeure à monsieur Karol Fortin, administrateur et dirigeant de la locatrice.

[11]   Essentiellement le locataire dénonce avoir dû vivre dans ce logement où régnait une chaleur difficile à supporter, affectant grandement son bien-être et, conséquemment, sa jouissance paisible des lieux.

[12]   En effet, mentionne-t-il, il faisait parfois tellement chaud à cet étage, qu’il lui était impossible d’y travailler, notamment durant la pandémie alors qu’il travaillait de la maison. Il ne pouvait non plus y dormir, devant plutôt s’installer pour la nuit dans le salon, à l’étage.

[13]   Lorsqu’il dormait dans sa chambre, il se réveillait en pleine nuit, en sueurs et assoiffé.

[14]   Le locataire rapporte que du mois de mai au mois de septembre 2018; des mois de juin à septembre 2019 ainsi que du mois de juin 2020 jusqu’à son départ, la température s’élevait presque toujours autour de 30°C au sous-sol. Il dépose en preuve des photos prises du thermostat de sa chambre qui affiche des températures oscillant entre 25°C et 32°C, entre les 26 mai 2018 et 20 juillet 2020, et ce, même si la température extérieure se situait parfois à moins de 20°C.

[15]   Il insiste sur le fait que les températures extrêmes prévalaient de jour comme de nuit, et ce, même lorsqu’il ne faisait pas si chaud à l’extérieur.

[16]   De plus, ajoute le locataire, la chaleur extrême persistait malgré le fonctionnement continu de l’appareil de climatisation qui fonctionnait 24 heures sur 24, et ce, même lorsqu’il quittait son appartement les fins de semaine.

[17]   Le locataire mentionne avoir déniché ce logement via un courtier, qui ne lui aurait jamais évoqué quelque problème que ce soit en lien avec la chaleur régnant dans le logement. Il appréciait notamment la localisation du logement, ajoute-t-il.

[18]   S’exprimant relativement aux deux épisodes durant lesquels il a subi une coupure d’eau, dont une ayant duré 7 jours, en janvier 2019, il déclare ne pas avoir pu prendre sa douche alors et avoir dû se procurer des bidons d’eau à l’épicerie pour se laver.

[19]   Il déplore que le représentant de la locatrice, monsieur Aubert, n’ait pas pris ce problème au sérieux alors qu’il était en vacances à l’extérieur du pays et dénonce le fait qu’il ait fallu environ 6 visites pour finalement régler le problème.

[20]   Pour ajouter aux inconvénients subis, il a dû rater une journée de travail afin de permettre à un ouvrier de venir effectuer une réparation.

[21]   Le mandataire de la locatrice est présent à l’audience. Sans nier les affirmations du locataire relativement à la température qui régnait dans le logement, il indique que la locatrice a respecté son obligation du bail de fournir une unité de climatisation.

[22]   Il allègue que lors de canicules, fréquentes aux Québec durant la période estivale, il est possible et normal que certaines pièces non climatisées soient chaudes et conséquemment,

ANALYSE

Preuve

[23]   Rappelons d’abord que selon les règles de preuves applicables, celui qui veut faire valoir un droit doit démontrer ses prétentions par prépondérance, soit en établissant que l’existence d’un fait est plus probable que son inexistence[2].

Diminution

[24]   La loi impose au locateur plusieurs obligations, dont celles de maintenir le logement en bon état d’habitabilité; de procurer la jouissance paisible du logement et de l’entretenir afin qu’il puisse servir à l’usage auquel il est destiné et d’y effectuer les réparations nécessaires[3].

[25]   En cas d’inexécution d’une obligation du locateur, le locataire peut notamment réclamer l’exécution en nature, des dommages-intérêts et une diminution de loyer[4].

[26]   Ce dernier recours, qui vise à rééquilibrer les prestations des parties, est accueilli lorsqu’il y a démonstration d’une perte réelle, sérieuse, significative et substantielle[5].

[27]   Or, non seulement la preuve révèle une telle perte, mais elle démontre aussi que la locatrice a fait preuve de négligence en minimisant le problème relié à la chaleur, n’ayant même pas tenté d’y remédier et en ne réglant pas promptement la coupure d’eau qui a perduré durant 7 jours.

[28]   À ce sujet, le Tribunal fait un parallèle avec les faits exposés dans Kepya Ngontio c. True North[6] alors que la juge administrative Francine Jodoin dans s’exprimait comme suit:

[17] Selon les auteurs, on peut qualifier ses obligations de résultat de sorte que les moyens de défense sont limités.

[18] Une fois le manquement établi, le locateur ne peut alors invoquer simplement sa diligence raisonnable ou se contenter de rapporter la preuve d'un comportement prudent et diligent.

[19] Lorsqu'apparaissent des infiltrations d'eau dans un logement, le locateur a l'obligation d'agir rapidement et avec célérité pour faire cesser celles-ci. La preuve révèle ici que pendant deux à trois jours, le locataire a subi des écoulements d'eau à partir du plafond de sa salle de bain. Ceux-ci ont provoqué une dégradation du revêtement du plafond. Les photos sont éloquentes sur la quantité de débris qui sont tombés dans la baignoire, le lavabo et la toilette. Le locataire témoigne également des troubles et inconvénients associés au fait de devoir assécher les surfaces mouillées.

[20] Par ailleurs, une fois l'écoulement interrompu, le locateur doit procéder aux travaux de réparations et de remise en état, ce qu'il n'a toujours pas fait entièrement.

[Références omises]

[29]   Par ailleurs, dans la présente affaire, les explications données par le mandataire de la locatrice ne démontrent pas que celle-ci a agi de façon diligente et responsable.

[30]   Avec respect, à eux seuls, le fait d’invoquer le respect de l’obligation du bail de fournir une unité de climatisation et d’imputer aux étés chauds la situation dénoncée, ne démontrent pas que la locatrice a agi avec diligence.

[31]   Le témoignage du locataire est sincère, détaillé et appuyé de photos et documents qui ne laissent aucun doute sur l’existence d’un problème de chaleur excessive affectant le bon état d’habitabilité du logement ainsi que sa jouissance paisible. Il appert clairement que malgré que cette situation ait été abondamment dénoncée, elle fut complètement ignorée.

[32]   Certes, tel que mentionné au bail, la locatrice a rempli son obligation de fournir une unité de climatisation. Toutefois, visiblement, cela ne suffisait pas à rendre le logement confortable et dans un bon état d’habitabilité, empêchant ainsi le locataire de jouir paisiblement du logement, le tout à l’encontre des obligations incombant au locateur[7].

[33]   En matière de diminution de loyer, l’auteur Denis Lamy rappelle que la diminution doit être évaluée de façon objective, globale et équitable[8]. Cela implique notamment la nécessité de sa détermination objective, par opposition à une évaluation subjective.

[34]   Alors qu’il exécute son obligation de payer le loyer, la locataire n’a pas eu droit à la jouissance paisible d’un logement en bon état d’habitabilité, ne pouvant utiliser sa chambre comme il aurait dû.

[35]   En considération de l’importance du problème, de sa récurrence et de son caractère intermittent, le Tribunal considère qu’une diminution du loyer globale de 3 000 $ est appropriée pour rétablir l’équilibre des prestations des parties.

[36]   Le Tribunal accordera aussi des dommages moraux en compensation des troubles, ennuis, inconvénients subis par le locataire alors qu’il occupait le logement[9]. Compte tenu des faits et circonstances démontrés, une somme de 300 $ est jugée raisonnable à cet égard.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[37]   DIMINUE le loyer d’une somme finale et globale de 3 000 $ pour la période allant du 1er mai 2018 au 29 août 2020;

Et, en conséquence :

[38]   CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 3 000 $ à titre de diminution de loyer finale et globale du 1er mai 2018 au 29 août 2020;

[39]   CONDAMNE la locatrice à payer au locataire une somme additionnelle de 300 $, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 1er mai 2018;

[40]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Hébert

 

Présence(s) :

le locataire

Me Audrey Lanctôt, avocate de la locatrice

Date de l’audience :  

19 octobre 2020

 

 

 


 



[1] Demande amendée verbalement à l’audience.

[2] Art. 2803 et 2804 C.c.Q.

[3] Art. 1910, 1854 et 1864 C.c.Q.

[4] Art. 1863 C.c.Q.

[5] Denis Lamy, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur Ltée, 2004, p. 29-30.

[6] 2020 QCTAL 1852.

[7] Art. 1854 et 1910 C.c.Q.

[8] Précité note 6, p. 19 et ss.

[9] Mirza c. Chowdhury, 2013 QCRDL 38512.

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