Décision

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Décision

7588151 Canada inc. c. Okorokov

2020 QCTAL 10369

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

519140 31 20200421 F

No demande:

2993027

RN :

 

3106609

 

Date :

14 décembre 2020

Devant le greffier spécial :

Me Yacine Hadjoudj

 

7588151 Canada inc.

Locateur - Partie demanderesse

c.

Alexander Okorokov

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]      Le locateur a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, à un loyer mensuel de 860,00 $, comprenant le coût de l’espace de stationnement.

[3]      Le locateur a produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.

[4]      Une autorisation de produire un document après l'audience a été accordée au locateur. L'autorisation visait la prime d’assurance en vigueur au 31 décembre 2019. Selon le document produit par le procureur du locateur, cette prime est de 9 165,35 $.

[5]      Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[1] est de (23,17 $) par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

(3,02 $)

Assurances

 (30,23 $)

Gaz

 1,69 $

Électricité

 (0,13 $)

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

2,53 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 1,10 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 4,89 $

 

 

TOTAL

 

 (23,17 $)

 


AJUSTEMENT NÉGATIF

Le résultat du calcul est négatif principalement en raison de la diminution des taxes municipales et scolaires et des assurances. Le Tribunal peut-il, dès lors, diminuer le loyer des locataires bien que le locateur ait demandé une augmentation de loyer?

[6]      À cet égard, le Tribunal juge utile de citer l’opinion de Me Nathalie Bousquet, greffière spéciale, dans l’affaire Gracioppo c. Issa[2], opinion qu’il partage entièrement :

« Le Tribunal est saisi d’une demande d’un locateur, présentée en vertu de l’article 1947 C.c.Q. Doit-il appliquer le résultat du calcul obtenu selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation lorsque le résultat a pour effet de réduire le loyer plutôt que de l’augmenter?

La Cour supérieure dans la cause Chasbar Management Corporation c. Régie du logement et al décidait en 1989 que le tribunal de la Régie du logement saisi d’une demande présentée en vertu de l’article 1658,15 du Code civil du Bas Canada (devenu l’article 1953 du Code civil du Québec) devait effectivement fixer le loyer conformément au résultat du calcul obtenu selon les critères dudit Règlement sur les critères sur la fixation de loyer5, et ce, même si le résultat est négatif et a comme conséquence de réduire le loyer pour le renouvellement du bail . Ainsi la Cour précise-t-elle :

« La juridiction que confère à Beauchemin, à Bernard et à Joly l’article 1658.15 C.c. est celle de déterminer le loyer exigible conformément au règlement et n’est pas restreinte à déterminer une augmentation, ou l’absence d’augmentation; rien dans ce texte ne prohibe la diminution de loyer si elle résulte de la stricte application du règlement; interpréter autrement 1658.15 C.c. serait aller au-delà du texte et de l’esprit de la disposition législative. » (Notre soulignement)

Cette décision a été suivie par le tribunal de la Régie du logement à l’effet de fixer le loyer conformément au résultat du calcul, que celui ait pour effet d’augmenter ou de diminuer le loyer dont on demande l’ajustement. La jurisprudence du tribunal de la Régie du logement est unanime à cet égard.

Toutefois, dernièrement, la Cour supérieure dans l’affaire Immeubles Georges Landy inc. c. Régie du logement décidait qu’au contraire, lorsque le résultat obtenu en application de la preuve des critères prévus audit Règlement sur les critères sur la fixation du loyer est négatif et engendre une réduction de loyer, le Tribunal saisi d’une demande de modification du bail concernant le loyer présentée en vertu des articles 1942 et suivants du Code civil du Québec ne peut plus fixer le loyer selon le résultat obtenu en application dudit Règlement sur les critères sur la fixation du loyer et doit alors, compte tenu de la demande telle que formulée, accorder la demande en tout ou en partie, ou la refuser.

Dans cette affaire, la locatrice avait obtenu une diminution considérable de sa taxation municipale, et la soussignée avait mentionné en audience aux parties que le résultat du calcul selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer ne pourrait qu’être négatif. Une remise de l’audience pour permettre à la locatrice de faire une défense sur ce sujet au mieux lui aurait permis d’obtenir que le Tribunal ne modifie pas le loyer tel qu’il fut décidé par la Cour supérieure, alors qu’il lui suffisait de se désister devant le tribunal de la Régie de sa demande sans avoir à plaider pour obtenir que le Tribunal, au final, ne diminue le loyer.

La Cour estime donc que l’application du résultat négatif par le Tribunal constitue une contravention à la règle audi alteram partem, car le Tribunal diminue le loyer sans avoir été saisi au préalable d’une demande de diminution de loyer par le locateur qui souhaitait obtenir une augmentation et sans savoir été saisi au préalable d’une demande par le locataire et sans que le locateur puisse se défendre après avoir été dûment convoqué et eût la possibilité de se défendre. Ainsi conclut-elle que le Tribunal n’a pas respecté les règles de justice naturelle et a jugé ultra petita (au-delà de la demande qui lui était présentée) :

« [7] La greffière spéciale, s’appuyant sur l’article 3 du Règlement sur les critères de fixation de loyer[3], plus particulièrement sur la méthode générale de fixation du loyer qui prévoit un ajustement qui est calculé à partir du loyer payé aux termes du bail en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par un locateur durant l’année de référence, conclut que la demande d’augmentation de loyer n’est pas justifiée et de surcroît, qu’il y a lieu de le diminuer vu la baisse de la dépense quant aux taxes municipales et scolaires.

[8] Ainsi, sans que les locataires contestataires lui formulent la demande, la greffière spéciale réduit leur loyer proportionnellement à la baisse des dépenses d’exploitation projetées.


(…)

[12] Le Tribunal croit que la Régie, dans le cadre d’une demande d’augmentation de loyer formulée par un locateur selon l’article 1947 C.c.Q.—refus d’un locataire de subir une augmentation de loyer au renouvellement du bail—ne peut unilatéralement, sans qu’une demande lui soit formulée et que le locateur puisse faire valoir ses moyens à son encontre, fixer le loyer en deçà de celui convenu par les parties pour le bail en cours sans commettre un accroc au principe de droit fondamental que son l’interdiction de juger au-delà de ce qui est demandé ainsi que la règle audi alteram partem. (Notre soulignement).

(…)

[17] La question n’est pas de savoir si la Régie avait ou non le pouvoir de réduire le loyer, mais plutôt si elle pouvait, unilatéralement le faire en l’absence d’une demande motivée à cet égard et sans que la demanderesse puisse réagir, présenter une opposition, des moyens de contestation structurée et réfléchie.

[22] Ici, l’objet de la requête de la demanderesse consistait en une demande d’augmentation de loyer formulée dans le cadre du renouvellement d’un bail résidentiel. Aucun des locataires contestataires d’a requis une diminution quelconque du loyer qu’il versait pour le bail en cours, ni pour celui qu’il s’apprêtait à renouveler. La Régie, vu la demande formulée, n’avait d’autre option que de l’accorder en tout ou en partie ou la refuser, sans plus.

[23] En décidant de diminuer le loyer pour le nouveau terme, sans qu’on lui en fasse la demande, la Régie non seulement statuait sur un aspect dont elle n’était pas saisie, mais aussi accordait aux locataires plus de droit que ce qu’ils avaient demandé—le rejet de la demande d’augmentation de loyer pour le nouveau terme—puisqu’aucun d’entre eux n’avait requis une diminution de loyer. Toutefois, encore faut-il qu’une demande motivée et appuyée, communiquée au locateur, soit formulée et qu’une audience se tienne lors de laquelle celui-ci — dont les droits sont touchés — puisse se faire entendre et exposer ses moyens.

(…)

[28] Vu ce qui précède, la Régie ne pouvait de sa propre initiative et sans que la demanderesse ait l’occasion de faire valoir ses moyens, décider de réduire le loyer sans contrevenir au principe de la contradiction - règle audi alteram partem - et conséquemment commettre un accroc à l’équité procédurale. »

Il est pertinent de préciser qu’il s’agit d’une décision isolée et la Régie n’était pas présente devant la Cour supérieure. La Cour a donc répondu aux arguments et motifs allégués par la seule locatrice et peut-être que certains faits et arguments n’ont pas été portés à son attention.

Il faut donc distinguer une diminution de loyer résultant d’un recours spécifique du locataire d’une réduction résultant de l’application du Règlement sur les critères de fixation de loyer.

Notamment, il faut considérer que la réduction obtenue résulte des dépenses du locateur que le Tribunal doit considérer en application même des critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer, lequel constitue pourtant l’assise légale d’une demande présentée en vertu de l’article 1947 C.c.Q. » (Références omises)

[7]      En tout respect pour l’opinion contraire, le Tribunal ne considère pas qu’il se prononce ultra petita en ajustant négativement le loyer à la suite du calcul effectué conformément au Règlement sur les critères de fixation de loyer. Le Tribunal agit plutôt à l’intérieur de sa compétence en appliquant correctement ce règlement, lequel prescrit la méthode, mais non le résultat du calcul, résultat qui peut être positif ou négatif.

[8]      CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[9]      CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de (23,17 $) est justifié;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[10]   FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 837,00 $ par mois du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, comprenant le coût de l’espace de stationnement.

[11]   Les autres conditions du bail demeurent inchangées.


[12]   Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Yacine Hadjoudj, greffier spécial

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Me Stéphane Poulin, avocat du locateur

le locataire

Date de l’audience :  

11 novembre 2020

 

 

 


 



[1] RLRQ, c. R-8.1, r. 2.

[2] 2019 QCRDL 27426.

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