Décision

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Sarrazin c. Canada (Procureur général)

2016 QCCS 2458

COUR SUPÉRIEURE

(Actions collectives)

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT  DE

MONTRÉAL

 

 

No:

500-06-000600-128

 

 

DATE:

27 mai 2016

___________________________________________________________________

 

 

Sous la présidence de l’honorable

Marie-anne paquette, J.C.S.

___________________________________________________________________

 

 

DENIS SARRAZIN

Requérant

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

 

___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

SUR la demande en autorisation de l’action collective[1]

___________________________________________________________________

 

1.            L’aperçu

[1]           Le Requérant, M. Denis Sarrazin, souhaite être autorisé à exercer une action collective pour le compte de 45 000 personnes qui auraient été privées du statut d’Indien en raison de dispositions discriminatoires énoncées à la Loi sur les Indiens[2] entre 1985 et 2011.

[2]            Il compte ultimement obtenir une compensation pour les membres du groupe afin d’indemniser le préjudice subi et de compenser les bénéfices dont ils auraient été privés, en raison de cette discrimination.

[3]           Pour les motifs qui suivent, l’action collective est autorisée.

[4]           Par ailleurs, pour la saine administration de la justice et dans le respect du principe de la proportionnalité, le Tribunal scinde l’instance afin que la question préliminaire déterminante de l’immunité de l’État soit tranchée dans un premier temps.

2.            Le contexte lÉgislatif et judiciaire

[5]           L’action collective envisagée invoque la discrimination qui aurait existé en vertu de l’article 6 de la Loi sur les indiens, tel qu’il se lisait entre le 17 avril 1985 (date d’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) et des amendements de 1985 à la Loi sur les Indiens) et le 31 janvier 2011 (date d’entrée en vigueur des amendements de 2010 à la Loi sur les Indiens, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire McIvor).

[6]           Une mise en contexte de chacun de ces éléments s’impose.

2.1  L’historique de la Loi sur les indiens

[7]           La Loi sur les Indiens, dont l’historique législatif remonte à 1868, a été adoptée en vertu de l’autorité législative exclusive du Parlement fédéral en lien avec « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens »[3]. Elle crée le registre des Indiens et régit l’identification et l’enregistrement des Indiens[4], la possession de terres dans les réserves[5] et l’élection des chefs et des conseils de bande[6].

[8]           En 1868, une loi définit le terme « Indien » pour la première fois et établit les critères d’admissibilité à ce statut[7].

[9]           Dès l’année suivante, une disposition précise qu’une femme Indienne qui épouse un non Indien « cessera d’être une Sauvage »[8] (Règle d’exclusion par mariage[9]). Toutefois, cette règle ne s’applique pas à un Indien qui épouse une non Indienne.

[10]        La Loi de 1927 sur les Indiens, reprend la Règle d’exclusion par mariage[10] pour toute femme Indienne qui épouse un non Indien.

[11]        La Loi de 1927 ajoute qu’une femme non Indienne qui épouse un Indien est reconnue comme Indienne de par son mariage à un Indien[11].

[12]        Toujours suivant la Loi de 1927, l’enfant d’une femme qui a cessé d’être une Indienne pour s’être mariée à un non Indien n’est pas un Indien. Cependant, celui d’un Indien ayant épousé une non Indienne est un Indien[12].

[13]        En 1951, la Loi sur les Indiens[13] crée le registre des Indiens et reprend, pour l’essentiel, les critères d’admissibilité de la Loi de 1927.

[14]        La Loi de 1951 reprend entre autres la Règle d’exclusion par mariage, pour toute femme mariée à un non Indien[14].

[15]        La Loi de 1951 introduit également la Règle mère/grand-mère, selon laquelle l'enfant dont la mère et la grand-mère paternelle ont le statut d'Indien uniquement en raison de leur mariage à un Indien, ne bénéficiera lui-même du statut d'Indien que jusqu'à l'âge de 21 ans[15] (Règle mère/grand-mère[16]).

2.2  Les Amendements de 1985

[16]        En 1985, l’avènement de la Charte entraîne des remises en question. Elle suscite la recherche de règles respectueuses de la protection constitutionnelle de l’égalité des sexes[17], tout en préservant le contrôle de l’appartenance à la communauté.

[17]        Des amendements à la Loi sur les Indiens[18] sont donc adoptés, avec date d’entrée en vigueur rétroactive au 17 avril 1985, date d’entrée en vigueur de la Charte (Amendements de 1985).

[18]        Les Amendements de 1985 modifient les articles 6 et 7 de la Loi sur les Indiens relativement à l’inscription, et les articles 8 à 14 quant à l’appartenance aux bandes. Entre autres, ces modifications prévoient que :

1-  toute personne qui avait droit au statut d’Indien avant 1985 conserve ce droit (sous-par. 6(1)a));  

2-  sont réintégrées les personnes qui avaient perdu leur statut, ou à qui on avait refusé l’admissibilité au statut en raison de critères qui, avant 1985, exerçaient une discrimination fondée sur le sexe;

3-  plus particulièrement, la Règle d’exclusion par mariage est abolie; 

4-  les femmes qui ont perdu leur statut d’Indienne en raison de la Règle de l’exclusion par mariage peuvent donc récupérer leur statut en vertu du sous-paragraphe 6(1)c)).

[19]        Les Amendements de 1985 introduisent également une nouvelle règle en ce qui concerne la faculté de transmettre le statut d’Indien à la génération suivante : la « Règle de la coupure à la 2e génération »[19].

[20]        L’action collective que M. Sarrazin souhaite exercer conteste la nature discriminatoire de cette nouvelle règle.

[21]        La Règle de la coupure à la 2e génération découle de l’effet combiné des sous-paragraphes 6(1)a) et 6(1)c) et du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, tels qu’amendés en 1985 :

6.(1) [Personnes ayant droit à l’inscription] Sous réserve de l’article 7, une personne a le droit d’être inscrite si elle remplit une des conditions suivantes :

a) elle était inscrite ou avait le droit d’être inscrite le 16 avril 1985;

[…]

c) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iv) [(Règle mère/grand-mère)], de l’alinéa 12(1)b) [(Règle de l’exclusion par mariage)] ou du paragraphe 12(2) ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions;

[…]

f) ses parents ont tous deux le droit d’être inscrits en vertu du présent article ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.

(2) [Idem] Sous réserve de l’article 7, une personne a le droit d’être inscrite si l’un de ses parents a le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe (1) ou, s’il est décédé, avait ce droit à la date de son décès.

[Soulignements du Tribunal]

[22]        Quelques explications préliminaires s’imposent ici sur la distinction générale que la Loi sur les Indiens établit en ce qui a trait à la transmissibilité du statut d’Indien.

[23]        Notons d’entrée de jeu que les personnes dont les deux parents sont Indiens ont droit au statut d’Indien en vertu du sous-paragraphe 6(1)f) et que celles dont un seul parent est Indien sont admissibles au statut en vertu du paragraphe 6(2).

[24]        Or, le statut décerné en vertu du paragraphe 6(1) (deux parents Indiens) est moins précaire quant à sa transmissibilité que le statut décerné en vertu du paragraphe 6(2) (un seul parent Indien).

[25]        Plus précisément, si une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(2) a un enfant avec une personne non Indienne, son enfant n’aura pas droit au statut d’Indien[20]. Cependant, si une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(1) a un enfant avec une personne non Indienne, son enfant aura droit au statut d’Indien.

[26]        Cette restriction quant à la transmissibilité du statut au-delà de la 2e génération affecte donc les personnes dont un seul parent est Indien (statut 6(2)), et non les personnes dont les deux parents sont Indiens (statut 6(1)).

[27]        Cela étant, les Amendements de 1985  ont pour effet d’appliquer la Règle de la coupure à la 2e génération pour les femmes Indiennes qui récupèrent le statut qu’elles avaient perdu en raison de leur union à un non Indien. Cette règle touche donc les petits enfants des femmes Indiennes qui avaient, avant 1985, perdu leur statut d’Indienne en raison de leur mariage à un non Indien.

[28]        Plus précisément, les Amendements de 1985 rétablissent le statut d’Indienne pour les femmes qui l’avaient perdu en raison de leur mariage à un non Indien (1re génération). Ces femmes reçoivent un statut d’Indien selon le sous-paragraphe 6(1)c) de la Loi sur les Indiens.

[29]        Cependant, les enfants de ces femmes (2e génération) se voient attribuer un statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2). En effet, le paragraphe 6(2) accorde le statut d’Indien aux personnes dont un seul parent a le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe 6(1). Ainsi, si les enfants de la 2e génération, à leur tour, ont des enfants d’une union avec un non Indien, leurs enfants (3e génération) n’auront pas le statut d’Indien, puisque leur parent (2e génération) détient un statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2) et non du paragraphe 6(1).

[30]        Or, si un homme Indien (1re génération) épouse une non Indienne, leurs enfants (2e génération) auront le statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(1). En effet, l’enfant (2e génération) né d’une union entre un Indien et une non Indienne a deux parents Indiens, puisque l’homme Indien qui marie une non Indienne ne perd pas son statut en raison de cette union et, en plus, jusqu’en 1985, il transmettait le statut d’Indien à son épouse. Ainsi, si à leur tour, ces enfants (2e génération) ont des enfants issus d’une union avec un non Indien, ces derniers (3e génération) ne perdront pas leur statut d’Indien. Ils recevront plutôt un statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2), puisque leur parent détient tel statut en vertu du paragraphe 6(1).

[31]        En somme, en vertu des Amendements de 1985, l’enfant de la 3e génération n’aura pas le statut d’Indien si sa grand-mère Indienne a marié un non Indien; alors qu’il aurait le statut d’Indien si son grand-père Indien avait marié une non Indienne.

2.3  L’arrêt McIvor, en 2009

[32]        Le 6 avril 2009, dans l'arrêt McIvor[21], la Cour d'appel de la Colombie-Britannique déclare que les sous-paragraphes 6(1)a) et 6(1)c) de la Loi sur les Indiens, comme amendé en 1985, violent l’article 15 de la Charte et que cette violation ne respecte pas le critère de l’atteinte minimale de l’article 1 de la Charte.

[33]        Dans cette affaire, Mme McIvor avait perdu son statut d’Indienne pour s’être mariée à un non Indien, mais l’avait récupéré en vertu des Amendements de 1985. À la suite de ces amendements, Mme McIvor avait donc transmis le statut d’Indien à son fils, M. Grismer. Cependant, puisque M. Grismer s’était, à son tour, marié à une non-Indienne, les Amendements de 1985 l’empêchaient de transmettre son statut d’Indien à ses propres enfants (petits-enfants de Mme McIvor).

[34]        Or, si M. Grismer avait plutôt obtenu son statut d’un père Indien marié à une non Indienne (et non d’une mère Indienne mariée à un non Indien), les Amendements de 1985 ne l’auraient pas empêché de transmettre son statut à ses enfants.

[35]        La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a donc conclu en ces termes à une discrimination non justifiée en regard de l’article 1 de la Charte :

[122]     The discrimination in this case is the result of under-inclusive legislation.  The combination of s. 6(1)(a) and 6(2) of the Indian Act results in a situation in which people in Mr. Grismer’s position are unable to transmit Indian status to their children only because their mothers, rather than their fathers, are entitled to status as Indians.  This discrimination applies only to a group caught in the transition between the old regime and the new one.

[…]

[154] […] The 1985 legislation violates the Charter by according Indian status to children:

i) who have only one parent who is Indian (other than by reason of having married an Indian),

ii) where that parent was born prior to April 17, 1985, and

iii) where that parent in turn only had one parent who was Indian (other than by reason of having married an Indian),

if their Indian grandparent is a man, but not if their Indian grandparent is a woman.

[155] The legislation would have been constitutional if it had preserved only the status that such children had before 1985.  By according them enhanced status, it created new inequalities, and violated the Charter.

[Soulignements du Tribunal]

[36]        La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a, par ailleurs, suspendu la déclaration d'inconstitutionnalité des sous-paragraphes 6(1)a) et 6(1)c), afin de permettre au Parlement d'amender la loi[22].

2.4  Les Amendements de 2010

[37]        Le 31 janvier 2011, Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens (Loi C-3 ou Amendements de 2010)[23] entre en vigueur. Cette dernière modifie la Loi sur les Indiens, à la suite de l’arrêt McIvor.

[38]        Suivant les Amendements de 2010, une personne a droit à l’inscription conformément à une nouvelle catégorie du paragraphe 6(1), soit le sous-paragraphe 6(1) c.1) si elle remplit les conditions suivantes :

1-  sa mère avait perdu son statut d’Indienne en épousant un non Indien;

2-  son père est un non Indien;

3-  elle est née après que la mère ait perdu son statut d’Indien et, si ses parents ne se sont pas mariés avant le 17 avril 1985, elle est née avant cette date; et

4-  elle a eu ou a adopté un enfant le 4 septembre 1951 ou après cette date avec une personne qui n’avait pas le droit d’être inscrite.

[39]        Par ailleurs, la Loi de 2010 va au-delà des strictes exigences de l’arrêt McIvor et étend le droit au statut d’Indien en vertu du sous-paragraphe 6(1) c.1) à des personnes qui sont nées après 1985 ou ont eu un enfant hors mariage, ceci afin de favoriser le traitement identique des frères et sœurs au sein d’une même famille.

[40]        Le sous-paragraphe 6(1) c.1), que les Amendements de 2010 ajoutent, se lit ainsi :

 (1) [Personnes ayant droit à l’inscription] Sous réserve de l’article 7, toute personne a le droit d’être inscrite dans les cas suivants :

 c.1) elle remplit les conditions suivantes :

(i) le nom de sa mère a été, en raison du mariage de celle-ci, omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu de l’alinéa 12(1)b) [(Règle de l’exclusion par mariage)] ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions,

(ii) son autre parent n’a pas le droit d’être inscrit ou, s’il est décédé, soit n’avait pas ce droit à la date de son décès, soit n’était pas un Indien à cette date dans le cas d’un décès survenu avant le 4 septembre 1951,

(iii) elle est née à la date du mariage visé au sous-alinéa (i) ou après cette date et, à moins que ses parents se soient mariés avant le 17 avril 1985, est née avant cette dernière date,

(iv) elle a eu ou a adopté, le 4 septembre 1951 ou après cette date, un enfant avec une personne qui, lors de la naissance ou de l’adoption, n’avait pas le droit d’être inscrite;

[Soulignements du Tribunal]

[41]        Les Amendements de 2010 incluent également une disposition qui place l’État à l’abri de poursuites qui pourraient découler du fait qu’une personne a été privée du statut d’Indien avant l’entrée en vigueur des Amendements de 2010.

 [Absence de responsabilité] Il est entendu qu’aucune personne ni aucun organisme ne peut réclamer ou recevoir une compensation, des dommages-intérêts ou une indemnité de l’État, de ses préposés ou mandataires ou d’un conseil de bande en ce qui concerne les faits — actes ou omissions — accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs attributions, du seul fait qu’une personne n’était pas inscrite — ou que le nom d’une personne n’était pas consigné dans une liste de bande — à l’entrée en vigueur de la présente loi et que l’un de ses parents a le droit d’être inscrit en vertu de l’alinéa 6(1)c.1) de la Loi sur les Indiens, édictée par le paragraphe 2(3).

3.            La Demande en autorisation et la description proposée du groupe

[42]        La Demande en autorisation[24], M. Sarrazin allègue la même discrimination que celle alléguée dans l’arrêt McIvor résumé précédemment. La discrimination alléguée se rapporte à la qualité du statut d’Indien, en ce qui a trait à la possibilité de le transmettre au-delà de la 2e génération d’une personne Indienne qui a épousé une personne non Indienne. 

[43]        La Demande en autorisation[25] décrit ainsi le groupe pour lequel M. Sarrazin souhaite être autorisé à exercer une action collective :

 

1. Petitioner wishes to institute a class action on behalf of the following Group of which Petitioner is a member:

 

All persons in Canada or, alternatively, all persons in Québec: 

 

a) who :

 

i) were born before April 17, 1985;[26]

 

and,

 

ii) were born on or after September 4, 1951;[27]

and,

            

b) have a grandmother who had lost her Indian status, and  where that grandmother subsequently regained Indian status pursuant to s. 6(1)(c) of the Indian Act, and the 1985 amendments thereto;

 

and,

 

c) have a parent who is eligible for registration pursuant s. 6(1)(c.1) of the Indian Act, as amended by the royal assent of  the Gender Equity in Indian Registration Act (Bill C-3), on December 15, 2010, and entered into force on January 31, 2011;

 

and,

 

d) will themselves, as a result of s.6(2) of the Indian Act, become entitled to Indian Status registration.

 

[44]        En ce qui concerne le préjudice, M. Sarrazin allègue qu’environ 45 000 personnes au Canada auraient obtenu le droit à l’inscription au registre des Indiens grâce à la Loi de 2010. Selon lui, n’eussent été des dispositions discriminatoires des Amendements de 1985, ces 45 000 personnes auraient eu droit au statut d’Indien entre 1985 et 2011 et, pendant cette période, elles auraient, entre autres avantages,  obtenu[28] :

1-  du financement en vertu du Programme d’enseignement postsecondaire du ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien;

2-  des prestations en vertu du Programme des Services de santé non assurés de Santé Canada;

3-  des paiements d’annuités aux termes de traités historiques[29];

4-  des paiements en vertu du Programme de l’argent des Indiens.

4.            Les critères d’autorisation et les principes généraux

[45]        L’article 575 C.p.c. énonce les critères d’autorisation :

575. C.p.c. Le tribunal autorise l'exercice de l'action collective et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:

les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance;

le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.

[46]        La Cour suprême enseigne que l’autorisation constitue un mécanisme de filtrage et de vérification qui a pour but d’écarter les demandes frivoles, insoutenables ou mal fondées. Ainsi, les conditions d’autorisation doivent être interprétées de façon large et libérale, afin de favoriser l’atteinte le double objectif du régime procédural des actions collectives, à savoir la dissuasion et l’indemnisation des victimes.

[47]        Le demandeur n’a donc qu’à démontrer, selon un seuil de preuve peu élevé (fardeau de démonstration et non de preuve), que l’action collective envisagée présente une cause défendable, une apparence sérieuse de droit.

[48]        L’examen de chacun des critères de l’article 575 C.p.c. doit se faire dans cet esprit :

[37]      L’étape de l’autorisation permet l’exercice d’une fonction de filtrage des requêtes, pour éviter que les parties défenderesses doivent se défendre au fond contre des réclamations insoutenables [(Références omises)]. Par contre, la loi n’impose pas au requérant un fardeau onéreux au stade de l’autorisation; il doit uniquement démontrer l’existence d’une « apparence sérieuse de droit », d’une « cause défendable » [(Références omises)]. En conséquence, le juge doit simplement déterminer si le requérant a démontré que les quatre critères énoncés à l’art. 1003 C.p.c. sont respectés. Dans l’affirmative, le recours collectif est autorisé. La Cour supérieure procède ensuite à l’examen du fond du litige. Ainsi, lorsqu’il vérifie si les critères de l’art. 1003 sont respectés au stade de l’autorisation, le juge tranche une question procédurale. Il ne doit pas se pencher sur le fond du litige, étape qui s’ouvre seulement après l’octroi de la requête en autorisation [(Références omises)]. [30]

[Soulignements du Tribunal]

[49]        Dans le cadre de cet exercice, les allégations de faits sont tenues pour avérées et le Tribunal peut tenir compte des pièces produites et des interrogatoires versés au dossier[31].

[50]        Cependant, une allégation ne peut être tenue pour avérée si elle est invraisemblable ou contredite par d’autres éléments de preuve, y compris les pièces produites au dossier et l’interrogatoire du demandeur[32]. De la même manière, le juge au stade de l’autorisation n’est pas lié par les qualifications juridiques des faits que propose la demande en autorisation[33].

5.            L’analyse

5.1  Les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes (PAR. 575(1) C.p.c.)

[51]        Les questions communes proposées, telles que l’avocat de M. Sarrazin les a reformulées à l’audience, s’énoncent ainsi :

1- Les Amendements de 1985 à l’article 6 de la Loi sur les Indiens sont-ils discriminatoires, donc inconstitutionnels au regard de la Charte?

2- Dans l’affirmative, l’immunité de l’État ou l’article 9 de la Loi de 2010 empêche-t-ils de condamner l’État à réparer les dommages subis en raison de cette disposition discriminatoire?

3- Dans la négative, les membres du groupe peuvent-ils obtenir des dommages en vertu:

3.1- du paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés?

3.2- des règles générales de responsabilité civile (C.c.Q., arts. 1376, 1457)?

3.3- des principes de l’enrichissement sans cause (C.c.Q., art. 1493)?

[52]        Le PGC allègue que ce premier critère n’est pas rempli puisque l’action collective envisagée ne dispenserait pas le Tribunal de tenir potentiellement 45 000 procès individuels complexes pour déterminer le droit à l’inscription au registre des Indiens pour chacun des membres et pour établir le montant des dommages auquel chacun d’entre eux aurait droit.

[53]         Avec respect, le Tribunal ne retient pas cet argument.

[54]        En effet, il est établi que même si les circonstances varient d’un membre à l’autre, l’action collective pourra être autorisée si certaines questions sont communes[34]. La seule présence d’une question de droit commune, connexe ou similaire est suffisante pour satisfaire la condition du paragraphe 575(1) C.p.c. si cette question n'est pas insignifiante sur le sort de l’action; elle n’a pas à être déterminante pour la solution de l’ensemble du litige[35].

[55]        En effet, la réponse aux questions communes 1 et 2 énoncées précédemment ne dépend pas de la situation spécifique personnelle de chacun des membres du groupe. Des procès individuels ne sont pas nécessaires pour résoudre ces deux questions, dont l’importance est déterminante pour l’ensemble de l’action envisagée. L’action collective permettra de résoudre efficacement ces questions communes.

[56]        De plus, l’examen de la question commune 3 requerra une preuve, un débat et une analyse communs, au moins en partie, qui seront ensuite pertinents à l’examen des situations individuelles des membres. Par exemple, il serait peu efficace que l’examen des différents programmes et bénéfices pertinents soit effectué à 45 000 reprises. La voie de l’action collective offrira une économie d’échelle à ce chapitre également. Il serait contraire au principe de la proportionnalité et à une saine administration de la justice d’exiger que cet examen complet soit refait systématiquement, potentiellement par des décideurs différents, dans potentiellement 45 000 recours distincts.

[57]        Le premier critère d’autorisation est donc rempli.

5.2  Les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées (PAR. 575(2) C.p.c.)

[58]        Comme mentionné précédemment, la Cour suprême nous enseigne que la personne qui demande l’autorisation d’exercer une action collective doit démontrer (et non prouver) que l’action collective envisagée présente une cause défendable, une apparence sérieuse de droit, par opposition à une demande frivole, insoutenable ou mal fondée. Cette précision s’avère particulièrement pertinente au stade de l’analyse du critère du paragraphe 575(2) C.p.c.

[59]        Ici, l’action collective viserait à obtenir des condamnations pécuniaires pour les dommages que les membres du groupe auraient subis et pour les bénéfices dont ils auraient été privés, en raison des dispositions discriminatoires incluses dans les Amendements de 1985, et ce, jusqu’à ce que les Amendements de 2010 corrigent la situation. Ces demandes de condamnations pécuniaires s’appuient alternativement sur le paragraphe 24(2) de la Charte, sur les principes généraux de responsabilité civile et sur les règles de l’enrichissement sans cause.

[60]        Pour justifier ses demandes de condamnations pécuniaires, M. Sarrazin allègue dans sa Demande en autorisation que :

1-  les Amendements de 1985 étaient discriminatoires puisqu’ils l’empêchaient de transmettre le statut d’Indien à ses enfants au seul motif que sa grand-mère Indienne avait marié un non Indien; ce qui n’aurait pas été le cas si son grand-père Indien avait marié une femme non Indienne;

2-  le Parlement a fait preuve de mauvaise foi ou a abusé de son pouvoir en adoptant ces dispositions discriminatoires. De ce fait, le principe de l’Immunité de l’État ou la protection de l’article 9 de la Loi de 2010 ne sauraient être invoqués pour empêcher de condamner l’État à payer pour les dommages découlant de cette discrimination.

[61]        Le PGC n’entend pas débattre le premier point mentionné précédemment[36]. En effet, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu dans McIvor que les Amendements de 1985 à l’article 6 de la Loi sur les indiens étaient discriminatoires et inconstitutionnels. Le Parlement fédéral a pris acte de ce jugement, l’a accepté et s’y est conformé en adoptant les Amendements de 2010.

[62]        En ce qui a trait au 2e point mentionné précédemment, M. Sarrazin entend démontrer qu’en 1985, le gouvernement fédéral a sciemment adopté des dispositions qu’il savait discriminatoires; manquant en cela à son obligation de bonne foi[37]. Au soutien de cet argumentaire, M. Sarrazin invoque des extraits des débats parlementaires qui ont mené à l’adoption des Amendements de 1985, et qui font état du caractère discriminatoire des amendements discutés[38]. Les avocats de M. Sarrazin ne ferment pas la porte à la possibilité de bonifier cette preuve après l’autorisation.

[63]        Le PGC rétorque que l’autorisation devrait être refusée. Selon le PGC, les allégations de M. Sarrazin quant à la mauvaise foi, au comportement clairement fautif ou à l’abus de pouvoir du gouvernement en 1985 seraient frivoles, insoutenables et mal fondées.

[64]        Dans ce sens, le PGC rappelle que dans l’arrêt McIvor, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que lors de l’adoption des Amendements de 1985, le gouvernement avait agi de bonne foi dans la recherche d’une nouvelle solution législative[39]. Le PGC ajoute que les extraits des débats parlementaires que M. Sarrazin invoque au soutien de sa Demande en autorisation[40] ne démontrent pas la mauvaise foi requise pour entraîner une condamnation pécuniaire de l’État.

[65]        En effet, la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle ne donne généralement pas lieu à un recours en dommages-intérêts contre l’État. Ce principe de l’immunité de l’État, que l’article 9 de la Loi de 2010 reprend, ne peut être écarté que lorsque la personne qui réclame des conclusions contre l’État démontre un comportement gouvernemental clairement fautif, de la mauvaise foi ou un abus de pouvoir de la part de l’État[41].

[66]        Il est très tentant de se lancer dès à présent dans l’analyse que propose le PGC.

[67]        Cependant, cet exercice requiert l’analyse de la preuve et des principes applicables en matière d’immunité de l’État.

[68]        Or, suivant les enseignements de la Cour suprême dans Vivendi et Infineon, cette démarche ne doit pas s’effectuer dès l’étape de l’autorisation. En effet, au stade de l’autorisation, le fardeau de M. Sarrazin en est un de démonstration et non de preuve. Il n’a qu’à démontrer un syllogisme juridique qui, si prouvé, mènera à une condamnation. Son fardeau en est un de logique, et non de preuve[42].

[69]        Malgré le sérieux de la défense d’immunité que soulève le PGC, le Tribunal ne peut conclure ici, sans amorcer l’analyse de la preuve, que les allégations de mauvaise foi, d’abus de droit ou de comportement clairement fautif de l’État sont incontestablement mal fondées :

[37] Au moment de l'autorisation, alors que la suffisance de la preuve n'est appréciée que de manière prima facie, règle générale, il sera prématuré de conclure qu'une défense d'immunité s'applique en faveur de l'État. Ce qui n'est qu'un moyen de défense parmi d'autres, celui de l'immunité ici invoquée par l'intimé ne peut, lors de l'examen portant sur l'autorisation, être érigée au rang de moyen de non-recevabilité. À moins de convenir que la demande à sa face même est frivole, manifestement vouée à l'échec ou encore que les allégations de faits sont insuffisantes ou qu'il soit « incontestable » que le droit invoqué est mal fondé, il me paraît, outre ces circonstances, qu'il n'est pas souhaitable en début d'analyse de décider de la valeur absolue d'un tel moyen de défense.[43]

[Soulignements du Tribunal]

[70]        Contrairement à la situation examinée dans l’arrêt Tonnelier[44], le Tribunal ne peut affirmer ici, sans analyser minimalement la preuve soumise, que les faits avérés et établis ne laissent aucun doute sur l’absence de mauvaise foi, d’abus de droit ou de comportement clairement fautif.

[71]        Ainsi, le Tribunal ne peut présentement procéder à l’analyse de la preuve et des principes, tel que le PGC le souhaiterait. Il est hautement préférable que le Tribunal se penche sur cette question de façon libre et désinhibée. Or, cela ne peut s’effectuer au stade de l’autorisation.

[72]        Le second critère est donc rempli.

5.3  La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance (par. 575(3) C.p.c.)

[73]        À juste titre, le PGC ne conteste pas ce critère.

[74]        En effet, le Requérant estime à 45 000 le nombre de personnes qui seraient membre du groupe.

5.4  Le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres (par. 575(4) C.p.c.)

[75]        La personne qui demande le statut de représentant doit être « en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres [45]». Ce critère de la représentation adéquate repose sur 3 facteurs :

1-     l’intérêt du membre à poursuivre;

2-     la compétence;

3-     l’absence de conflit[46].

[76]        Ce critère doit être interprété de façon libérale, tel que la Cour suprême l’illustre dans l’arrêt Infineon :

[149] […] Pour déterminer s’il est satisfait à ces critères pour l’application de l’al. 1003d) [(maintenant 575(4) C.p.c.)], la cour devrait les interpréter de façon libérale.  Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.

[150] Même lorsqu’un conflit d’intérêts peut être démontré, le tribunal devrait hésiter à prendre la mesure draconienne de refuser l’autorisation.  […]  Puisque l’étape de l’autorisation vise uniquement à écarter les demandes frivoles, il s’ensuit que l’al. 1003d) [(maintenant 575(4) C.p.c.)] ne peut avoir pour conséquence de refuser l’autorisation en présence d’une simple possibilité de conflit.  Ce point de vue est d’ailleurs étayé par la jurisprudence qui semble refuser l’autorisation en vertu de l’al. 1003d) [(maintenant 575(4) C.p.c.)] pour cause de conflit d’intérêts seulement lorsque les représentants demandeurs omettent de divulguer des faits importants ou intentent le recours dans le seul but d’obtenir des gains personnels.[47]

[Soulignements du Tribunal]

[77]        À juste titre, la Cour d’appel retient qu’avec ces enseignements, la Cour suprême envoie un message plutôt clair quant au niveau de compétence requis pour être nommé représentant. Le critère est devenu minimaliste[48].

[78]        Concernant les trois critères pertinents à l’analyse de la qualité de représentant, le Tribunal retient ceci.

[79]        Premièrement, M. Sarrazin a un intérêt évident dans la présente affaire. Il est né le 2 octobre 1954. Les Amendements de 1985 ne lui ont pas permis d’obtenir le statut d’Indien. En 2006, on lui a refusé sa demande pour être inscrit au registre des Indiens, alors que les Amendements de 1985 étaient toujours en vigueur[49].

[80]        Après l’entrée en vigueur des Amendements de 2010, M. Sarrazin a formulé une nouvelle demande, qui a été reçue favorablement. Le 1er mars 2012, à l’âge de 58 ans, M. Sarrazin a donc reçu le statut d’Indien[50].

[81]        Plus précisément, selon les explications résumées à la section 2.2 du présent jugement, M. Sarrazin est un enfant de la 3e génération.

[82]        Sa grand-mère (1re génération) a perdu son statut d’Indienne pour avoir marié un non Indien. Les Amendements de 1985 ont permis à sa grand-mère de récupérer son statut d’Indienne, en vertu du sous-paragraphe 6(1)c).

[83]        En vertu des Amendements de 1985, la mère de M. Sarrazin (2e génération) a également obtenu de sa mère un statut d’Indienne en vertu du paragraphe 6(2).

[84]        La mère de M. Sarrazin (2e génération) a, à son tour, marié un non Indien. Puisqu’elle détenait son statut en vertu du paragraphe 6(2), les Amendements de 1985 ne lui ont pas permis de transmettre ce statut à son fils, M. Sarrazin (3e génération).

[85]        En effet, M. Sarazin avait un seul parent inscrit, mais son parent était inscrit en vertu du paragraphe 6(2). Or, le paragraphe 6(2) permet à une personne d’être inscrite si un de ses parents est inscrit ou a le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe 6(1).

[86]        Certes, l’action collective envisagée vise entre autres les bénéfices découlant du Programme d’enseignement postsecondaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, auquel M. Sarrazin n’était personnellement pas éligible.

[87]        Ceci ne l’empêche pas pour autant d’agir comme représentant aux fins de la présente action collective. Avec respect pour la position du PGC, exiger que le représentant présente personnellement toutes les caractéristiques de tous les membres du groupe serait irréaliste et contraire aux enseignements de la jurisprudence récente, résumée précédemment.

[88]        M. Sarrazin a des intérêts communs significatifs avec l’ensemble des membres. Cela suffit sur ce premier élément.

[89]        Deuxièmement, aucun problème n’a été démontré au niveau des compétences de M. Sarrazin. Tel que précisé précédemment, le critère est minimaliste. Certes, M. Sarrazin n’a pas réponse à toutes les questions, entre autres sur les critères d’admissibilité au statut d’Indien et sur les critères d’admissibilité aux programmes d’éducation et de santé dont l’action collective envisagée entend traiter. La jurisprudence n’en exige pas autant de lui, particulièrement pour des questions parfois aussi techniques et complexes.

[90]        Troisièmement, le PGC souligne que le fait pour M. Sarrazin de recevoir du financement en vertu d’un des programmes visés par l’action collective envisagée aurait potentiellement pour effet de priver un autre membre du groupe d’un financement en vertu du même programme.

[91]        Avec respect, un tel conflit potentiel n’empêche par M. Sarrazin d’assurer une représentation adéquate des membres. Il ne s’agit pas ici d’une situation comparable à celle où un représentant aurait omis de divulguer des faits importants ou aurait intenté un recours dans le seul but d’obtenir des gains personnels. Ce possible conflit entre les réclamations des membres ne soulève pas de doute ou d’inquiétudes sur la possibilité que ce recours survive équitablement.

[92]        Le quatrième critère pour l’autorisation est donc rempli.

6.            Les mesures de gestion de l’instance

[93]        Dans les circonstances, il apparaît opportun[51] de scinder l’instance afin de disposer, dans un premier temps, de la question de l’application de l’immunité de l’État et de l’article 9 des Amendements de 2010.

[94]        En effet, l’action collective soulève un débat d’une ampleur significative entre autres en ce qui concerne la question du préjudice et des bénéfices dont les membres du Groupe auraient été privés illégalement. Toute cette instance pourrait s’avérer inutile si la défense d’immunité de l’État était accueillie.

[95]        La saine utilisation des ressources des parties et du système de justice, de même que le respect du principe de la proportionnalité[52], commandent donc de disposer d’entrée de jeu du débat sur la question préliminaire déterminante de la défense d’immunité de l’État.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[96]        ACCUEILLE la Demande en autorisation d’exercer une action collective;

[97]        ATTRIBUE à M. Denis Sarrazin le statut de représentant aux fins d’exercer une action collective pour le compte des personnes suivantes :

Toute personne au Canada:

1. dont la grand-mère :

1.1 a perdu le statut d’Indienne à la suite de son mariage à un non Indien;

et

1.2 a, recouvré son statut d’Indienne en vertu du sous-paragraphe 6(1)c) de la Loi sur les Indiens, à la suite des amendements de 1985 à cette loi (Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27);

et,

2. dont le seul parent Indien:

2.1 est éligible au statut d’Indien en vertu du sous-paragraphe 6(1)(c.1) de la Loi sur les Indiens, telle qu’amendée en 2010 (Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, L.C. 2010, ch. 18);

et,

3. qui elle-même:

3.1 est éligible au statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les indiens

(Groupe ou Membres du Groupe)

[98]        IDENTIFIE ainsi les questions communes à traiter collectivement :

1. Les Amendements de 1985 à l’article 6 de la Loi sur les Indiens sont-ils discriminatoires, donc inconstitutionnels?

2. Dans l’affirmative, la doctrine de l’immunité de l’État ou l’article 9 des Amendements de 2010 empêche-t-ils de condamner l’État à réparer les dommages subis en raison de cette disposition discriminatoire?

3. Dans la négative, les Membres du Groupe peuvent-ils obtenir des dommages en vertu :

3.1 du paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés?

3.2 des règles générales de responsabilité civile (C.c.Q., art. 1376, 1457)?

3.3 des principes de l’enrichissement sans cause (C.c.Q., art. 1493)?

[99]        IDENTIFIE ainsi les conclusions recherchées au mérite du recours collectif :

1. ACCUEILLIR le recours collectif des Membres;

2. DÉCLARER que les Amendements de 1985 à l’article 6 de la Loi sur les Indiens sont discriminatoires et donc inconstitutionnels;

3. DÉCLARER que la doctrine de l’immunité de l’État ou l’article 9 des Amendements de 2010 n’empêchent pas de condamner l’État à réparer les dommages subis en raison de cette disposition discriminatoire;

4. CONDAMNER le Procureur général du Canada à payer aux Membres du Groupe un montant à être établi au procès:

4.1 pour les sommes qu’ils auraient dû recevoir, n’eût été des dispositions discriminatoires, notamment mais non limitativement :

4.1.1  à titre de financement en vertu du Programme d’enseignement postsecondaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien;

4.1.2 à titre de prestations en vertu du Programme des Services de santé non assurés de Santé Canada;

4.1.3 à titre d’annuités prévues dans les traités historiques;

4.1.4 en vertu du Programme de l’argent des Indiens

4.2 à titre de dommages compensatoires, plus intérêts et indemnité additionnelle;

4.3 à titre de dommages moraux, plus intérêts et indemnité additionnelle;

4.4 à titre de dommages punitifs, plus intérêts et indemnité additionnelle;

LE TOUT sujet au recouvrement individuel des réclamations à être ordonné conformément aux articles 599 à 601 C.p.c.

[100]     DÉCLARE qu’à moins de s’être exclu de la présente action collective dans les 30 jours de la publication de l’avis aux membres, les membres du Groupe seront liés par tout jugement à intervenir dans la présente action collective;

[101]     ORDONNE la publication d’avis en français et en anglais afin d’informer les Membres du Groupe du présent jugement;

POUR LA SUITE DU DOSSIER, REND LES ORDONNANCES DE GESTION SUIVANTES :

[102]      ORDONNE au demandeur de soumettre, dans les 30 jours du présent jugement ou dans tout autre délai que le Tribunal pourra fixer, une Demande pour approbation des Avis aux membres afin de les informer du présent jugement, laquelle devra entre autres soumettre :

1-  en anglais et en français, un texte d’avis formel aux membres à être publié sur un site internet et un texte d’avis abrégé à publier dans les médias;

2-  les détails des modes de diffusion envisagés pour rejoindre le plus directement et efficacement les Membres du Groupe;

[103]     ORDONNE à la Défenderesse de faire connaître au Demandeur sa position sur les avis proposés dans les 20 jours de la réception de la Demande pour approbation des Avis aux membres ou dans tout autre délai que le Tribunal pourra fixer;

[104]     ORDONNE aux parties, dans les 10 jours de la communication de la position de l’Intimé sur la Demande d’approbation des Avis aux membres ou dans tout autre délai que le Tribunal pourra fixer, d’indiquer à la juge soussignée si la tenue d’une audience sur la Demande d’approbation des Avis sera nécessaire;

[105]     ORDONNE la scission de l’instance afin de traiter, dans un premier temps, de la question suivante :

En tenant pour acquis que les Amendements de 1985 à l’article 6 de la Loi sur les Indiens sont discriminatoires et inconstitutionnels, le principe de l’immunité de l’État ou l’article 9 des Amendements de 2010 empêchent-ils de condamner l’État à réparer le préjudice et à compenser les dommages subis en raison de cette discrimination?

[106]     ORDONNE aux parties de soumettre, dans les 30 jours du présent jugement ou dans tout autre délai que le Tribunal pourra fixer, un Protocole de l’instance pour la mise en état du dossier aux fins de l’audience sur la seule question mentionnée précédemment.

[107]     FRAIS À SUIVRE.

 

 

__________________________________

MARIE-ANNE PAQUETTE, J.C.S.

 

Me Dah Yoon Min

Me Marie Emmanuelle Laplante

Me Nathalie Drouin

MINISTERE DE LA JUSTICE DU CANADA

Pour le demandeur, Denis Sarrazin

 

Me Daniel Chung

MERCHANT LAW GROUP LLP

Pour le défendeur, Procureur general du canada

 

Dates d'audience :

22, 23 mars 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

1.      L’aperçu........................................................................................................................ 1

2.      Le contexte lÉgislatif et judiciaire.......................................................... 2

2.1         L’historique de la Loi sur les indiens............................................... 2

2.2         Les Amendements de 1985.......................................................................... 3

2.3         L’arrêt McIvor, en 2009................................................................................ 6

2.4         Les Amendements de 2010.......................................................................... 7

3.      La Demande en autorisation et la description proposée du groupe    9

4.      Les critères d’autorisation et les principes généraux........... 10

5.      L’analyse.................................................................................................................... 12

5.1         Les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes (PAR. 575(1) C.p.c.).............. 12

5.2         Les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées (PAR. 575(2) C.p.c.)......................................................................................................... 13

Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231....................... 15

5.3         La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance (par. 575(3) C.p.c.)................................................... 16

5.4         Le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres (par. 575(4) C.p.c.)................................................................................................................................. 16

6.      Les mesures de gestion de l’instance................................................... 18

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:............................................................................... 19

TABLE DES MATIÈRES...................................................................................................... 23

 



[1]     Re-Re-Re-Reamended Motion for authorization to institute a class action and to obtain the status of representative (Demande en autorisation), datée du 6 février 2015 (seq. 39)

[2]     (1985) L.R.C., C-I-5.

[3]     Loi constitutionnelle de 1867, par. 91(24).

[4]     Loi sur les Indiens, art. 5 et suiv.

[5]     Id., art. 20 et suiv.

[6]     Id., art. 74 et suiv.

[7]     Act providing for the organisation of the Department of the Secretary of State of Canada, and for the management of Indian and Ordnance Lands, S.C. 1868, c. 42 (31 Vict.) (Loi de 1868).

[8]     Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages (S.C.1869, ch. 6) (Loi de 1869), art. 6, amendant l’article 15 de la Loi de 1868.

[9]     « Marrying Out Rule »

[10]    Loi sur les Indiens, S.R.C.1927 ch. 98, (Loi de 1927), art. 14.

[11]    Id., art. 2d)(iii).

[12]    Id., art. 2d)(i).

[13]    Loi sur les Indiens, L.C., 1951, ch. 29 (Loi de 1951).

[14]    Loi de 1951, art. 12(1) b).

[15]    Id., art. 12(1)a)iv).

[16]    « Double Mother Rule ».

[17]    Charte, art. 15.

[18]    Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27 (Loi de 1985 ou Amendements de 1985).

[19]    Loi sur les Indiens, art. 6(2) «Second-Generation Cut-Off »

[20]    Id., art. 6(2) et 7(1).

[21]    McIvor c. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153, par. 161.

[22]    Id., par. 161. La suspension initiale d’une durée d’un an est renouvelée par la suite jusqu'au 31 janvier 2011 (McIvor c. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2010 BCCA 168, par. 19; McIvor c. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2010 BCCA 338, par. 9), date d'entrée en vigueur de la loi modificative.

[23]    L.C. 2010, ch. 18.

[24]    Par. 6.

[25]    À l’audience, l’avocat du Requérant a apporté certaines modifications à la description du groupe, telle qu’énoncée à la Demande en autorisation.

[26]    Date d’entrée en vigueur des Amendements de 1985.

[27]    Date d’entrée en vigueur de la Règle mère/grand-mère, prévue à la Loi de 1951.

[28]    Demande en autorisation, par. 39.

[29]    M. Sarrazin reconnaît cependant qu’il n’existe pas de tels traités au Québec. 

[30]    Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3. Voir aussi : Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, par. 59-61, 65-66, 94.

[31]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, par. 67, 84, 90 ; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, par. 88.

[32]    Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, par. 65, 83; Option consommateur c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201, par. 37, 38.

[33]    Canada (P. G.) c. CSN, [2014] 2 R.C.S. 477, par. 20.

[34]    Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 58-59. Voir aussi : Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, par. 72-73.

[35]    Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, par. 39, 54, repris avec approbation dans : Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 77; Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM) c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCA 826, par. 22, 23.

[36]    Plan d’argumentation du PGC, par. 106.

[37]    La Demande en autorisation, par. 12, 12.1, 13, 15, 34, 40 utilise les expressions suivantes au sujet du gouvernement fédéral qui a adopté les Amendements de 1985: 12. «has been aware, or ought to have been aware, of the discriminatory effects of these provisions of the Indian Act since at least 1985, yet took no steps to remedy or redress the discriminatory provisions»; 12.1 «was fully aware of the pernicious discrimination created by the amendments to the Indian Act of 1985 from its inception, yet did nothing to eliminate it» 13. «deliberate denial of rights» 15. «their powers were not exercised in good faith» 34. «wrongful refusal to acknowledge and afford Indian Status to members of the Group» 40. «Willful disregard by the Respondent of the rights of the Group Members».

[38]    Pièce P-1.

[39]    McIvor c. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153, par. 9, 10, 27, 123, 124.

[40]    Pièce P-1.

[41]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 RCS 789, par. 19; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, par. 78-81; Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347.

[42]    Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, par. 88.

[43]     Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231.

[44]    Tonnelier c. Québec (Procureur Général), 2012 QCCA 1645, par. 67, 72.

[45]    C.p.c., art. 575(4).

[46]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, par. 149.

[47]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600.

[48]    Lévesque c. Videotron, s.e.n.c., 2015 QCCA 205, par. 23.

[49]    Pièce P-2.

[50]    Id.

[51]    C.p.c., art. 158(1), 211.

[52]    C.p.c., art. 18.

AVIS :
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