Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

R. c. Gauthier

2023 QCCQ 8019

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

 :

500-01-210301-203

 

 

 

Date :  

 6 novembre 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JOSÉE BÉLANGER, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant / Intimé

 

c.

 

Richard Gauthier

Accusé / Requérant

 

-et-

 

Procureur général du Québec

Mis-en-cause

_____________________________________________________________________

Décision sur la peine et sur une demande du requérant d’être exempté de la suspension de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition du Code criminel. (Articles 7 et 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés.)

 

Ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486. 4 (1) C.cr. : Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime.

 

 

[1]                Le 25 janvier 2023, au terme d’un procès, le Tribunal a déclaré Richard Gauthier coupable de grossière indécence (chef 1) et d’agression sexuelle (chef 3) envers X[1].

[2]                Les faits relatifs aux accusations se sont déroulés en 1984 ou 1985. L’accusé était âgé de 23 ans et la victime de 14 ou 15 ans. L’accusé était l’entraîneur de patin artistique de la victime, qui était alors son élève.

[3]                Le Tribunal doit maintenant imposer la peine appropriée.

Questions en litige

  1. La demande de l’accusé d’être exempté de la suspension de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition du Code criminel doit-elle être accordée? Dans les faits, l’accusé demande d’être exempté de l’obligation de s’inscrire annuellement au registre prévu à la LERDS[2] .
  2. Qu’en est-il des conséquences indirectes de l’imposition de la peine sur l’accusé ?
  3. Dans quelle mesure l’art. 161 C.cr. doit-il s’appliquer  à l’accusé ?
  4. Le Tribunal devra également examiner l’application du sursis.

 

Les peines suggérées par les parties

 

[4]                Le poursuivant suggère une peine d’emprisonnement de 18 mois assortie des ordonnances obligatoires, d’une ordonnance sous certains paragraphes de l’art. 161 C.cr., d’une probation ainsi que d’une inscription au registre des délinquants sexuels pour une durée de 20 ans.

[5]                L’accusé quant à lui, suggère au Tribunal de lui imposer l’une ou l’autre des peines suivantes. Une peine d’emprisonnement discontinue assortie de l’exécution de 150 heures de service communautaire, le tout dans une probation de 3 ans. Une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis accompagnée d’une probation de 2 ans dans laquelle l’accusé pourrait accomplir 150 heures de service communautaire.

[6]                L’accusé demande au Tribunal de l’exempter de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels, et de ne pas lui appliquer les différentes ordonnances prévues à l’article 161 C.cr.

 

Les faits pertinents

 

[7]                La victime X rencontre l’accusé, pour la première fois, alors qu’elle commence à faire du patinage artistique. X est âgé de 11 ans.

[8]                X n’aime pas trop le patinage artistique, car il n’a pas d’entraîneur masculin. Il arrête donc de patiner et recommence à l’arrivée de l’accusé au club, en 1982. X a alors 12 ans.

[9]                L’accusé devient entraîneur à Saint-Léonard, à compter de 1982. Il est âgé de 20 ans et commence à entraîner des couples. À cette époque, l’accusé est un champion de patinage en couple, en style libre.

[10]           X patine seul, puis à la suggestion de l’accusé, commence à patiner avec sa sœur. L’accusé devient leur entraîneur pour le patinage en couple. Il est un entraîneur plutôt sévère, mais X l’aime bien, et apprécie le fait de travailler avec lui. Il sera son entraîneur jusqu’à l’âge de 18 ans.

[11]           Bien que les entraîneurs aient plusieurs élèves, ce qui était le cas de l’accusé, X précise qu’il avait une relation spéciale avec l’accusé, car il était son « chouchou ». L’accusé le traitait différemment des autres élèves et l’amenait dormir chez lui. L’accusé croyait au potentiel de patineur de X et l’entraînait régulièrement. X dira à la Cour qu’il était « choyé ».

[12]           Selon la mère de X, l’accusé était un ami de la famille et était déjà venu en vacances avec eux. Elle lui faisait entièrement confiance.

[13]           La sœur de X a déclaré au Tribunal qu’elle admirait beaucoup l’accusé et que sa famille a déjà passé des vacances avec lui.

[14]           À 18 ans, la victime change d’entraîneur. L’accusé était d’avis que X était plus talentueux que sa sœur, et qu’il devait changer de partenaire. L’idée de changer de partenaire n’était pas au goût de la mère et de la sœur de la victime. Ils (incluant X) ont décidé de changer d’entraîneur, mais aussi de lieu d’entraînement, en se disant qu’ainsi, les choses iraient mieux.

[15]           Lors du procès, X a déclaré au Tribunal qu’il a couché chez l’accusé au moins à trois reprises, et que l’accusé a posé à son endroit des gestes à caractère sexuel.

[16]           Au terme du procès, le Tribunal a retenu de l’ensemble de la preuve, que les événements sous-jacents aux accusations reprochées à l’accusé, se sont déroulés en 1984, ou en 1985 ; que X était âgé à l’époque de 14 ou 15 ans, et qu’il a couché, au moins, à trois reprises chez l’accusé.

[17]           Pour les fins du jugement rendu sur la culpabilité, le Tribunal a qualifié ces trois moments de la façon suivante : première fois « le film « Annie » », deuxième fois « l’accident du chien », troisième fois « l’incident de la piscine, du bain sauna et de la douche ».

[18]           Le Tribunal a également conclu de l’ensemble de la preuve, qu’aucun incident à connotation sexuelle n’a eu lieu lors du visionnage du « film Annie » et de « l’accident du chien ».

[19]           Le Tribunal a retenu du témoignage de X, que l’accusé a posé à son égard les gestes qui suivent :

  • Alors qu’ils sont tous les deux nus sous la douche, l’accusé lave le dos de X, les jambes, les bras, en passant par les fesses ;
  • Alors qu’ils sont tous les deux nus et couchés dans le lit de l’accusé, ce dernier s’enroule « en cuillère » autour de X qui sent le pénis de l’accusé en érection sur ses fesses ;
  • Alors qu’ils sont nus, l’accusé assis sur X lui masse les jambes, puis remonte et frôle les testicules.

 

 

Preuve en défense

 

[20]           La défense a fait entendre six témoins et déposé en liasse 23 lettres d’appréciation (dont 6 lettres qui émanent des témoins), à l’endroit de l’accusé.

[21]           Les témoins, ainsi que ceux qui ont signé les lettres d’appréciation, sont tous issus du milieu du patinage artistique. Ce sont des entraîneurs, des chorégraphes ou des champions en patinage artistique, dont certains, des champions olympiques. Ils connaissent l’accusé, et pour plusieurs d’entre eux, depuis de nombreuses années.

[22]           Ils l’ont connu de façon professionnelle dans le cadre du patinage artistique. Puis, l’accusé est devenu, et l’est encore, un ami. Tous soulignent ses grandes qualités d’entraîneur (plusieurs le décrivent comme l’un des meilleurs entraîneurs de patinage artistique au monde, et une autorité en patinage artistique en couple). Ils parlent aussi de ses grandes qualités humaines, dont l’une d’elles, est le respect à l’égard des athlètes qui sont passés par son école.

[23]           La plupart d’entre eux soulignent la grande influence qu’a eue l’accusé à leur endroit en tant que mentor. La majorité d’entre eux soulignent que les objectifs professionnels de l’accusé ne se sont pas limités à l’obtention de médailles pour ses athlètes, mais aussi à l’accomplissement personnel de chacun d’entre eux, afin qu’ils deviennent des personnes responsables, dotées d’un bon sens des valeurs. Lorsqu’il enseignait à ses élèves, l’accusé faisait passer l’individu avant le patineur.

[24]           La défense a fait entendre :

  • Benoît Lavoie (ami proche de l’accusé et, entre autres, ancien entraîneur professionnel de niveau mondial en patinage artistique) ;
  • Craig Buntin (ancien patineur artistique de niveau international ;
  • Élise Hamel (entraîneuse en patinage artistique);
  • Manon Perron (consultante en haute performance en patinage artistique pour le Canada) ;
  • Mervin Tran (directeur des opérations au club de patinage de Coquitlam et entraîneur).
  • Julie Marcotte (entraîneuse et chorégraphe en patinage artistique au niveau international).

 

[25]           Plusieurs d’entre eux ont abordé le sujet du « Safe Sport » (« Sécurité dans le sport ») qui existe depuis les années 2000. Selon la compréhension du Tribunal, le « Safe Sport » dispense de l’aide et de la formation en éthique aux différentes organisations du milieu sportif, notamment en patinage artistique.

[26]           Selon Madame Julie Marcotte, le « Safe Sport » a modifié la relation des entraîneurs avec leurs élèves. Elle précise que par le passé, il était bien vu, en tant qu’entraîneur, de créer « un environnement familial » avec ses élèves, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car les relations doivent se limiter au cadre professionnel.

[27]           Monsieur Benoît Lavoie a déclaré au Tribunal que vers 2008 – 2009, Patinage Canada a mis sur pied un code d’éthique, qui comporte des règles claires, applicables aux officiels, entraîneurs et bénévoles.

[28]           Il s’est dit inquiet pour l’avenir de l’accusé, car ce dernier n’a d’autre formation, que le patinage artistique. Il sait que l’accusé, depuis sa suspension de Patinage Canada, travaille dans une pizzeria. Monsieur Lavoie s’est informé auprès de Patinage Canada sur les possibilités qu’un ancien membre puisse faire une demande de réintégration.

[29]           En sus de leur témoignage que le Tribunal a résumé ci-dessus, chaque témoin est venu dire qu’il était au courant des accusations portées contre l’accusé et du verdict. Certains ont même lu le jugement portant sur la culpabilité de l’accusé. Tous ont précisé que cela ne changeait en rien leur opinion sur l’accusé.

Lettre de l’accusé

[30]           Me Battista a lu au Tribunal une lettre de trois pages, rédigée par l’accusé. En voici certains extraits :

  • Quand l’accusé a commencé sa carrière d’entraîneur, les règles entourant l’éthique professionnelle étaient moins claires et laissaient place à l’interprétation.
  • Aujourd’hui, les consignes en éthique qui s’appliquent au comportement d’un entraîneur envers ses athlètes sont définies dans le cadre de l’entraînement.
  • Il précise que les événements se sont déroulés en 1985 (il nie cependant avoir posé des gestes à caractère sexuel sur la victime). Ces nouvelles règles auraient fait en sorte que le tout ne se serait jamais produit, car l’accusé ne se serait pas retrouvé en situation d’autorité, seul, avec un athlète, à l’extérieur d’un environnement d’entraînement ou de compétition.
  • Les accusations ont été portées il y a 3 ans. Depuis, la vie de l’accusé a totalement basculé. Ces années lui ont permis de réfléchir et de prendre du recul. Il a, entre autres, réalisé à quel point le patin était toute sa vie.
  • Il écrit : « Une erreur de jugement de ma part à l’âge de 23 ans où la vie et les mœurs étaient bien différents, a ruiné ma raison de vivre, soit l’enseignement et mes connaissances ».
  • Il précise que toutes les marques de reconnaissance qu’il a eues au cours de sa carrière lui ont été retirées.
  • Il est âgé de 61 ans, sans travail, à se demander de quelle façon continuer sa vie. Son conjoint, sous l’effet du stress, a subi un ACV.
  • L’accusé offre ses excuses les plus sincères à la victime et à tous ceux qui ont « directement ou indirectement subi les impacts de son manque de jugement, le soir des événements.»

 

[31]           La défense dépose une lettre[3] datée du 2 octobre 2020, qui émane de Patinage Canada et qui est adressée à l’accusé.

[32]           Patinage Canada informe l’accusé qu’en raison des accusations qui ont été portées contre lui dans le présent dossier, son statut de membre de Patinage Canada a été suspendu jusqu’à nouvel ordre.

 

Preuve du poursuivant

 

[33]           Le poursuivant a lu au Tribunal une première lettre de la victime rédigée en 2021, qui fait état des conséquences, qu’a eu la commission des infractions à son endroit.

[34]           En réponse à la lettre de l’accusé, la victime a rédigé une seconde lettre, que le poursuivant a également lue au Tribunal.

[35]           Le Tribunal reviendra en détail sur ces lettres et les conséquences de la commission des infractions, à l’égard de la victime, lors de l’énumération des facteurs aggravants.

 

Les principes de droit applicables

 

[36]           La détermination de la peine est un processus individualisé qui requiert du tribunal un exercice de jugement et de pondération de différents facteurs. Lors de cet exercice, le tribunal se guide selon les principes qui sont énoncés aux articles 718 et suivants le Code criminel.

[37]           Tel qu’on peut le lire à l’art. 718 du Code criminel : « Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs… (énumérés à l’art. 718 C.cr.) ».

[38]           Bien que plusieurs principes doivent guider le tribunal dans l’atteinte de ces objectifs, le principe fondamental demeure que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. En d’autres mots, la peine ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant.

[39]           Lorsque l’infraction constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans, ce qui est le cas en l’espèce, le tribunal doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.

[40]           En ce qui concerne l’infraction d’agression sexuelle à l’encontre d’enfants, la Cour suprême du Canada dans R. c. Friesen[4] énonce les facteurs et principes applicables en ce domaine. Il s’agit d’un arrêt phare.

[41]           Au chapitre des principes de détermination de la peine, le tribunal qui détermine la peine à infliger devra tenir compte de certains principes énoncés à l’article 718. 2 C.cr.

[42]           Ainsi la peine devra être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant.

[43]           Ainsi le législateur considère comme circonstances aggravantes le fait que l’infraction constitue un mauvais traitement à l’égard d’un enfant de moins de 18 ans, l’abus de confiance de la victime et les conséquences qu’a eu la commission des infractions sur elle.

[44]           La peine doit être semblable à celle infligée à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Il s’agit du principe de l’harmonisation des peines. Lorsque les peines sont consécutives, la peine globale ne doit pas être excessive.

[45]           Non seulement le tribunal a « l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient », mais il doit aussi, lorsqu’il s’agit d’un délinquant autochtone, « examiner toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité » (arts. 718. 2 d) et e) C.cr).

 

Analyse

 

[46]           Dans Friesen, la Cour suprême du Canada fait la déclaration de principe qui suit:

1-Les enfants représentent l’avenir de notre pays et de nos collectivités. Ils font également partie des membres les plus vulnérables de notre société. Ils méritent de vivre une enfance à l’abri de la violence sexuelle. Les délinquants qui se livrent à de la violence sexuelle contre des enfants privent des milliers d’enfants canadiens d’une telle enfance chaque année. Il s’agit en l’espèce de savoir comment infliger des peines qui reflètent et illustrent pleinement le caractère hautement répréhensible et la grande nocivité des infractions d’ordre sexuel contre les enfants[5] .

[47]           De plus, la Cour livre un message clair aux juges[6] :

5-Troisièmement, nous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités. Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes. Les tribunaux doivent infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants et au degré de responsabilité du délinquant, à la lumière des initiatives du législateur en matière de détermination de la peine et du fait que la société comprend mieux le caractère répréhensible et la nocivité de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Les peines doivent être le reflet fidèle du caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants, de même que du tort profond et continu qu’elle cause aux enfants, aux familles et à la société en général.

 

Gravité objective

 

[48]           Le Tribunal a trouvé l’accusé coupable d’un chef de grossière indécence (art.157 C.cr.) et d’un chef d’agression sexuelle (art. 246.1 (1) a) C.cr.). À l’époque des évènements, la grossière indécence était passible d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement, et l’agression sexuelle d’une peine de 10 ans d’emprisonnement.

 

Gravité subjective

 

[49]           Le Tribunal qui détermine la gravité subjective doit tenir compte, entre autres, des circonstances atténuantes et aggravantes propres à la perpétration de l’infraction et à la situation de l’accusé, ainsi que les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les infractions.

 

Facteurs atténuants et aggravants

 

[50]           Le Tribunal retient les facteurs atténuants et aggravants qui suivent :

 

Facteurs atténuants

 

  • L’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires.
  • Le jeune âge de l’accusé. Au moment des événements, il est âgé de 23 ans.
  • Il est un actif pour la société.
  • L’accusé a fait preuve d’une certaine empathie à l’égard de la victime en acceptant de la rencontrer, avant l’enclenchement des procédures, lorsqu’il a su qu’elle vivait des choses difficiles.
  • Il a collaboré avec les autorités policières.
  • Le processus judiciaire a eu un effet dissuasif sur l’accusé.
  • Le risque de récidive, compte tenu des informations dont dispose le Tribunal, semble faible ou très faible.

 

[51]           La défense demande au Tribunal de prendre en considération le contexte et les pratiques de l’époque, et ce, pour comprendre la proximité qui existait entre les entraîneurs et leurs élèves. La défense ne présente pas cet argument pour excuser l’accusé.

[52]           Le Tribunal a entendu les témoins de la défense qui ont témoigné sur la peine. Le Tribunal a compris de certains de ces témoignages, que le « Safe Sport », a changé les relations entre les entraîneurs et leurs élèves. Tel que l’a bien expliqué Madame Julie Marcotte, à une certaine époque il était bien vu que l’entraîneur crée « un climat familial » avec ses élèves. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui, les relations entre entraîneurs et élèves devant rester strictement professionnelles.

[53]           Le Tribunal comprend de ces témoignages que la proximité entre entraîneurs et élèves pouvait exister, et qu’elle pouvait dépasser le cadre professionnel. Or, ce que le Tribunal comprend aussi, c’est que l’accusé a profité de cette proximité pour abuser de son élève.

 

Conséquences indirectes

 

[54]           La défense plaide que le dépôt des accusations a entraîné des conséquences importantes pour l’accusé. Par exemple, Patinage Canada l’a suspendu dès le dépôt des accusations. De plus, il a perdu son titre au Temple de la renommée. Aujourd’hui, il ne peut plus travailler dans son domaine, et occupe un emploi dans une pizzeria.

[55]           La défense demande au Tribunal de prendre en considération ces conséquences, qui sont selon elle, des conséquences indirectes.

[56]           L’arrêt Suter[7] de la Cour suprême traite des conséquences indirectes.

[57]           Selon la Cour suprême, le tribunal peut prendre en considération, lors de l’imposition de la peine, les conséquences indirectes. Ces conséquences peuvent découler de la durée de la peine ou de la déclaration de culpabilité elle-même[8] .

[58]           La Cour suprême définit la conséquence indirecte de la façon suivante : « (…), une conséquence indirecte s’entend de toutes conséquences découlant de la perpétration de l’infraction, de la déclaration de culpabilité pour une infraction ou de la peine infligée pour une infraction, que peut subir le délinquant »[9] .

[59]           La conséquence indirecte n’est pas nécessairement un facteur aggravant ou atténuant. Cependant elle est liée à la « situation personnelle du délinquant ». C’est en raison des principes d’individualisation et de parité de la peine, que la conséquence indirecte est pertinente.

[60]           La Cour précise ce qui suit :

[48] (…) La question n’est pas de savoir si les conséquences indirectes diminuent la culpabilité morale du délinquant ou la gravité de l’infraction mais si, du fait de telles conséquences, une peine donnée aurait une incidence plus importante sur le délinquant en raison de sa situation. Les délinquants semblables devraient recevoir un traitement semblable et il est possible qu’en raison des conséquences indirectes, un délinquant ne soit plus « semblable » aux autres et qu’une peine donnée devienne non indiquée.

 

                      [Nos soulignements]

 

[61]           La Cour ajoute ce qui suit, et que le Tribunal qualifie de bémol :

[49] [Traduction] « [l]orsque la conséquence est à ce point directement liée à la nature de l’infraction qu’elle est presque inévitable, son rôle à titre de facteur atténuant est grandement réduit ».

[62]           Le Tribunal est d’avis que les conséquences vécues par l’accusé et décrites par la défense, sont tout à fait liées aux particularités des infractions, mais surtout à la situation de l’accusé au moment de leur commission. Les conséquences décrites sont dues au fait que l’accusé était un entraîneur de patinage artistique, et que la victime était son élève. De ce fait, les conséquences étaient inévitables. Leur qualité de facteur atténuant est grandement réduite.

 

Qu’en est-il du risque de récidive ?

 

[63]           Aucun rapport présentenciel n’a été ordonné.

[64]           La défense plaide que les témoignages en appui à l’accusé, démontrent que ce dernier a mené « une vie exemplaire » depuis la commission des infractions et qu’il s’est réhabilité.

[65]           Le Tribunal conclut de ces témoignages que l’accusé, pendant toutes ces années, a été un actif pour la société et qu’il a su faire bénéficier de ses talents, de nombreuses personnes. Le Tribunal conclut aussi, qu’aucune autre accusation n’a été portée contre lui durant cette période.

[66]           Le Tribunal dispose de peu d’informations quant au risque de récidive de l’accusé, cependant, son comportement post-délictuel, durant toutes ces années, semble indiquer que le risque de récidive est faible, ou très faible.

 

Facteurs aggravants

 

  • La nature et la gravité des gestes posés à l’égard de la victime : ces gestes sont intrusifs. Ils sont décrits dans ce jugement.
  • Le jeune âge de la victime. Il a 14 ou 15 ans au moment des faits.
  • Il s’agit dinfractions qui constituent un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans (art. 718. 2 (ii.1) C.cr.).
  • Il s’agit aussi d’infractions qui constituent un mauvais traitement à l’égard d’une personne vulnérable, ici en raison de la situation personnelle de X. Tel que l’a conclu le Tribunal dans son jugement sur la culpabilité, il y avait une inégalité marquée du rapport de force entre l’accusé et X, en ce que, l’accusé était « la personne puissante » et X « la personne dépendante »[10] (art.718.04 C.cr).
  • Il y a eu abus de confiance et d’autorité (art. 718.2 a) (iii) C.cr.). Non seulement l’accusé était l’entraîneur de la victime au moment des faits, mais cette dernière en avait pleinement confiance et « l’idolâtrait ». La défense admet qu’il y a eu abus de confiance et d’autorité, dans les présentes circonstances.
  • Les conséquences sur la victime.

 

 

Première déclaration rédigée en 2021

[67]           Cette déclaration fait état des conséquences très importantes, qu’a vécues la victime :

  1. Plusieurs épisodes de dépression, jusqu’au jour où X sombre dans une profonde dépression.
  2. Prise d’antidépresseurs, arrêts de travail, plusieurs thérapies, difficultés à développer de l’attachement amoureux. Ce dernier aspect présente encore un défi pour la victime.
  3. Développement d’une sexualité mécanique, sans contact avec les émotions.                     
  4. Difficultés à être en relation intime avec une autre personne.
  5. Problèmes de sommeil et de cauchemars. Ces épisodes de cauchemars le ramènent à l’agression. L’insomnie est encore présente ainsi que les épisodes de cauchemars.
  6. Incapacité à prendre une douche avant de se coucher, se coucher en cuillère, se baigner dans une piscine intérieure, sentir un parfum d’homme.
  7. Développement d’une grande méfiance envers les hommes, ce qui a eu pour conséquence de restreindre son cercle d’amis masculins.

 

Deuxième déclaration rédigée lors de l’audience sur la détermination de la peine

[68]           La victime explique dans sa déclaration, que ce qu’elle a vécu lors de l’audience sur la peine a ravivé ses blessures, et qu’elle voulait en parler à la Cour.

  1. X écrit : « (…) j’ai trouvé ça difficile de voir autant de gens que j’ai moi-même côtoyés, qui étaient mes amis ou qui faisaient partie de ce monde du patin auquel j’ai appartenu et que j’ai aimé, qui auraient pu me protéger et me soutenir, venir dire que Monsieur Gauthier se souciait du bien-être de tous ses élèves. »[11]
  2. Il ajoute : « Hier, Monsieur Gauthier, dans sa déclaration, a souligné qu’il a été chanceux d’avoir lui, eu 40 années de belle carrière. Moi, je n’ai pas eu cette chance : ça fait 40 ans que je souffre de ce qu’il m’a fait subir et je peux dire que ça a gâché une partie de ma vie. »[12]
  3. X écrit qu’il a essayé d’oublier ce qui s’est passé et se convaincre qu’il était capable de vivre avec. Cependant au bout d’une quinzaine d’années il a ressenti une immense détresse, car il avait longtemps refoulé les événements, et les conséquences décrites dans sa première déclaration.
  4. Il savait que sa mère lui en voudrait d’avoir eu autant confiance en l’accusé. De plus, il se sentait coupable envers ce dernier, car il savait que la plainte entraînerait des répercussions sur sa carrière.
  5. Cela a été difficile pour lui de dénoncer ce qui lui était arrivé, et c’est encore le cas, car l’accusé est une personne adulée avec une renommée internationale.
  6. Il écrit : « Richard, je l’ai admiré, aimé, et je lui ai fait confiance. Je souffrais de penser que j’allais lui causer préjudice[13] . »
  7. Il précise que les impacts psychologiques qu’il a ressentis ont été gigantesque et qu’il s’est torturé en se posant de multiples questions sur lui-même, au point où il a longtemps craint de devenir un agresseur.
  8. Il a développé un immense sentiment de culpabilité et écrit que cela a forgé son identité car « il était un adolescent en plein développement ».
  9. Les conséquences se sont aussi fait sentir dans sa sphère familiale et amicale. D’ailleurs, ces conséquences ont eu raison de son union. Il s’est séparé de son épouse en décembre dernier, car il est incapable de surmonter les effets laissés par l’agression sur son sentiment d’attachement.
  10. X déclare qu’il avait beaucoup d’admiration pour l’accusé et qu’il a réellement fait partie de sa famille. Selon lui, c’est cette proximité qui a permis à l’accusé de gagner sa confiance et celle de ses parents.

[69]           Tel que nous l’enseigne la Cour suprême dans Friesen : « Dans la mesure du possible, les tribunaux doivent tenir compte du préjudice réel qu’une victime en particulier a subi par suite de l’infraction. Ce préjudice résultant de l’infraction est un facteur déterminant en ce qui a trait à la gravité de l’infraction (…)[14] .»

[70]           Tel que le précise la Cour, les déclarations des victimes, entre autres, constituent la « meilleure preuve » du préjudice subi par la victime[15] .

[71]           X décrit ici plusieurs formes de préjudice à long terme, qui sont des exemples des conséquences de la violence sexuelle faite aux enfants et que nomme la Cour suprême dans Friesen.

[72]           Ainsi les enfants qui ont subi des violences sexuelles, peuvent souffrir de troubles alimentaires, anxiété, dépression, troubles du sommeil, colère et hostilité, idées suicidaires, automutilation, faible estime de soi à l’âge adulte, difficultés à bâtir une relation d’amour et de tendresse avec un autre adulte[16] .

[73]           La Cour note également : « (Qu’) un enfant souffrira sans doute plus d’une agression sexuelle s’il y avait une relation étroite et un degré de confiance plus élevé entre lui et son agresseur » (…)[17] .

[74]           Ici le Tribunal tient à souligner que bien que les témoignages entendus en défense en appui à l’accusé, lui sont apparus sincères, ils illustrent bien, dans quelle mesure la violence sexuelle faite aux enfants peut être invisible aux yeux de la société.

Conclusion

[75]           Au moment des évènements, l’accusé n’a que 23 ans, est entraîneur de patinage artistique et un champion dans son domaine. X est son élève et son chouchou. Les gestes que pose l’accusé à l’égard de X sont intrusifs, alors que X, non seulement lui fait confiance, mais l’idolâtre. Ces gestes sont posés dans un contexte d’abus de confiance et d’autorité à l’égard d’une victime qui est dans une situation de vulnérabilité. Par ailleurs, ces gestes ont causé un grave préjudice à la victime, un préjudice dont elle ressent encore les séquelles.

[76]           Le Tribunal conclut que la gravité subjective est très importante.

 

Le degré de responsabilité de l’accusé

 

[77]           Les facteurs qui permettent de mesurer la responsabilité pénale d’un accusé lorsqu’il s’agit de déterminer la peine juste et appropriée pour des infractions d’ordre sexuel, ont été énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. L. (J.-J.)[18] .

[78]           Aux fins de qualifier le degré de responsabilité de l’accusé, le Tribunal retient les facteurs suivants, qui lui apparaissent pertinents :

  • La nature et la gravité intrinsèque des gestes posés qui n’ont rien de banal ;
  • Les gestes sexuels ont été posés au sein d’un même événement ;
  • L’abus de confiance et d’autorité qui existait entre l’accusé et la victime ;
  • La gravité très importante des atteintes à l’intégrité physique, psychologique et sexuelle de la victime ;
  • L’absence d’antécédents judiciaires de l’accusé

 

[79]           Aux enseignements de la Cour d’appel, doivent s’ajouter ceux de la Cour suprême dans Friesen.

[80]           La Cour suprême énonce que les tribunaux doivent prendre : « (…) en considération la reconnaissance moderne du caractère répréhensible et de la nocivité de la violence sexuelle faite aux enfants au moment d’établir le degré de responsabilité du délinquant »[19] .

[81]           De plus, tel que l’écrit la Cour :

88 – L’emploi intentionnel d’une force de nature sexuelle à l’endroit d’un enfant est hautement blâmable sur le plan moral parce que le délinquant sait ou devrait savoir que cet acte peut faire beaucoup de mal à l’enfant. Pour évaluer le degré de responsabilité du délinquant, le tribunal doit tenir compte du préjudice que le délinquant avait l’intention de causer ou de son insouciance ou de son aveuglement volontaire quant à ce préjudice.

[82]           Le fait que la victime soit un enfant accroît le degré de responsabilité du délinquant, et ce, en raison de la vulnérabilité des enfants[20] .

[83]           Le Tribunal conclut qu’ici le degré de responsabilité de l’accusé est très grand.

Harmonisation des peines

[84]           Les parties ont soumis plusieurs décisions au soutien de leurs représentations sur la peine.

[85]           Les décisions soumises par la défense, dont certaines rendues avant l’arrêt Friesen, illustrent la vaste gamme de décisions rendues en matière d’agression sexuelle sur des enfants. Lesdites peines, dont font état ces décisions, vont de l’absolution, à 2 ans moins 1 jour d’emprisonnement.

 

Jurisprudence soumise par la défense

 

DPCP c. Robindaine 2017 QCCQ 14760 : absolution inconditionnelle.

[86]           Trouvé coupable d’infractions aux arts. 271 (1) a) et 151 C. cr. Avant Friesen.

[87]           Les événements se sont déroulés en 1989. La victime était âgée de 13 ans ; l’accusé était le conjoint de la tante de la victime. Gestes sexuels par-dessus les vêtements qui se sont déroulés en un seul événement. Abus de confiance. L’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires. Passage à la Cour a eu un effet très dissuasif. Comportement post délictuel démontre l’absence de risque de récidive.

R. c. Rhéaume 2021 QCCQ 12786. : Sentence suspendue / 240 h. service communautaire

[88]           A plaidé coupable à une infraction sous l’art. 151 C.cr.

[89]           L’accusé touche le vagin de la victime du bout des doigts alors qu’elle est endormie. La victime est âgée de 15 ans alors que l’accusé a 21 ans. Il est sans antécédents judiciaires. Abus de confiance.

R.c. Côté 2020 QCCQ 2481. : Emprisonnement avec sursis de 20 mois.

[90]           La victime, âgée de 11 ans au moment des événements qui se sont déroulés en 1998, est la nièce de l’accusé. 5 à 7 événements à l’intérieur d’une période de 2 mois. Situation d’abus de confiance.

[91]           L’accusé est âgé de 56 ans et n’a pas d’antécédents judiciaires « pertinents ».

[92]           Le juge conclut qu’en raison de l’âge de l’accusé, de son absence d’antécédents judiciaires et du risque de récidive peu élevé, que les objectifs de la peine doivent non seulement viser la dénonciation et l’exemplarité, mais aussi la réparation et la réhabilitation.

R. c. Bouchard 2020 QCCQ 3127 : 22 mois d’emprisonnement avec sursis. Rendu peu de temps après Friesen. Confirmé par la Cour d’appel.

[93]           Plaidoyer de culpabilité à un chef d’agression sexuelle commis à l’égard de la fille de sa conjointe. Plaidoyer à un chef de harcèlement criminel. Les événements se sont déroulés en 1998-99 (agression sexuelle) et 2008 – 2009 (harcèlement criminel).

[94]           Les gestes sexuels ont causé un préjudice émotionnel et psychologique important chez la victime, qui est une jeune adolescente âgée de 15 ans au moment des événements.

[95]           L’ accusé est âgé de 65 ans, et est sans antécédents judiciaires.

[96]           Situation d’abus de confiance. Rôle de parent de facto et gestes posés à la résidence de la victime.

[97]           Le juge retient l’âge de l’accusé, l’absence d’antécédents judiciaires, sa reconnaissance des faits et le risque de récidive peu élevé.

R.c. F.J. 2021 QCCQ 8341. : Emprisonnement discontinu de 90 jours.

[98]           L’accusé a plaidé coupable d’avoir attenté à la pudeur de la victime entre 1974 et 1976.

[99]           La victime a subi un grave préjudice et a lutté toute sa vie pour surmonter le traumatisme causé par les infractions.

[100]       Les gestes à caractère sexuel ont duré sur une période d’une année, et se sont produits à plusieurs reprises. La victime était âgée de 11 à 12 ans, et l’accusé avait environ 18 ans.

[101]       L’accusé a 64 ans et n’a pas antécédents judiciaires. La juge note que la preuve révèle que l’accusé a apporté une contribution bénéfique à la société durant toute sa vie.

[102]       La judiciarisation a eu un impact important sur la vie de l’accusé, ses activités et sa retraite.

[103]       La juge souligne que les infractions se sont déroulées dans un contexte particulier, c’est-à-dire pendant que l’accusé était lui-même victime d’un comportement sexuel inapproprié de la part d’une autre personne. C’est ce contexte qui expliquerait le passage à l’acte.

R. c. T.A. 2021 QCCQ 13895 : 90 jours d’emprisonnement discontinu.

[104]       L’accusé plaide coupable à un chef d’avoir touché à des fins d’ordre sexuel une partie du corps d’une enfant âgée de moins de 16 ans. Il est l’oncle de la victime.

[105]       Au moment des faits il est âgé de 24 ans et la victime est âgée de 15 ans. 3 relations sexuelles complètes protégées. L’accusé tend à blâmer la victime.

[106]       Le juge retient, entre autres, l’abus d’autorité et de confiance, le faible risque de récidive et le fait que l’accusé est un actif pour la société.

R.c.R.G. 2022 QCCQ 4325. : Emprisonnement de 90 jours discontinu.

[107]       L’accusé âgé de 71 ans a été déclaré coupable d’une agression sexuelle à l’encontre de la victime qui était alors âgée de 14 ans. Les événements se sont déroulés en 1994.

[108]       L’accusé est le grand-oncle de la victime, il est sans antécédents judiciaires, ses proches le soutiennent et le risque de récidive apparaît faible.

[109]       L’accusé a mis la main à l’intérieur du chandail de la victime et a touché son sein.

R.c.Gagnon 2021 QCCQ 5441 : 6 mois d’emprisonnement.

[110]       L’accusé est déclaré coupable d’une agression sexuelle et d’avoir touché une partie du corps d’un enfant de moins de 16 ans. La victime a 13 ans au moment des faits et l’accusé a 80 ans. L’accusé démontre de l’empathie pour la victime.

[111]       Situation d’abus de confiance et d’autorité. L’accusé est sans antécédents judiciaires et le risque de récidive est faible. Il a été un actif pour la société.

[112]       Le juge cite l’arrêt Webb (R. v. Webb,2012 NLTD (G) 22.) où un délinquant de 90 ans a été déclaré coupable de l’infraction de contact sexuel sur son arrière-belle-fille de 13 ans. Il a touché la vulve de l’adolescente par-dessus ses vêtements alors qu’elle était assise sur ses genoux. L’agression a duré quelques secondes. Sans antécédents judiciaires, il a été condamné à une peine de 6 mois d’emprisonnement.

R. c. Fruitier 2021 QCCQ 7818. : 6 mois d’emprisonnement.

[113]       L’accusé a été déclaré coupable d’avoir attenté à la pudeur de la victime à 3 reprises, sur une période de 2 ans. Il s’agit d’attouchements sexuels sur le pénis de la victime, par-dessus ses vêtements et bien que celle-ci lui ait manifesté dès la première fois, son désaccord.

[114]       Les événements se sont produits entre 1974 et 1976, l’accusé est alors âgé de 44 ans et le plaignant de 16 ans. Ils étaient des voisins immédiats dans la ville de Brossard.

[115]       Situation d’abus de confiance en raison du fait que l’accusé est le voisin de la victime. L’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires.

[116]       La victime a vécu plusieurs des préjudices reconnus, autant à l’enfance qu’à l’âge adulte.

[117]       Le juge cite plusieurs extraits de l’arrêt Friesen quant aux principes applicables. Il souligne entre autres, que dans les dossiers de cette nature, les facteurs de dénonciation et de dissuasion sont importants.

[118]       Le juge précise que l’accusé a profité de la vulnérabilité de l’adolescent, sans considération pour les lourdes conséquences que pourrait avoir son comportement sur ce dernier.

R.c.G.L. 2021 QCCQ 9956. : 2 ans moins 1 jour d’emprisonnement.

[119]       Plaidoyer de culpabilité à une accusation sous l’article 151 a) C.cr. et à une accusation d’agression sexuelle. Il y a une peine minimale d’un an d’emprisonnement sur le chef de contact sexuel.

[120]       L’accusé a 73 ans au moment des faits.  Deux victimes qui ont moins de 16 ans. Le juge retient le plaidoyer de culpabilité, l’absence d’antécédents judiciaires, le risque de récidive très faible, les regrets exprimés par l’accusé, l’abus de confiance et le jeune âge des victimes.

R.c.Calatayud 2022 QCCQ 678 : Emprisonnement de 12 mois.

[121]       Plaidoyer de culpabilité sur un chef de contact sexuel à l’art. 151 a) C.cr.

[122]       Au moment des faits, en 2008, l’accusé a 25 ans et la victime 13 ans. Ils fréquentent le même camp de jour. L’accusé était moniteur et la victime suivait un cours pour devenir monitrice.

[123]       Ils se revoient fréquemment et ont des relations sexuelles complètes jusqu’à ce que la victime atteigne l’âge de 18 ans.

[124]       La juge retient la nature et la nocivité des gestes commis, la fréquence des infractions, les regrets exprimés par l’accusé, les conséquences qu’ont eues les gestes posés par l’accusé sur la victime, l’absence d’antécédents judiciaires, le risque de récidive présent mais minimal de l’accusé, l’écart d’âge entre l’accusé et la victime.

R.c.Deschênes 2021 QCCQ 399. : 18 mois d’emprisonnement.

[125]       Plaidoyer de culpabilité à une accusation de contact sexuel en vertu de l’art. 151 a) C.cr. Les événements se sont déroulés en 2018. À plusieurs reprises l’accusé a eu des rapports sexuels complets et des gestes de masturbation et de fellation avec une jeune fille. Au moment des faits, l’accusé a 36 ans et la victime 15 ans. Selon la preuve, la victime s’est éprise de l’accusé.

[126]       Le tribunal retient la nature des gestes posés par l’accusé et leur fréquence, la différence d’âge (l’accusé avait deux fois l’âge de la victime), l’absence d’antécédents judiciaires.

R.c.Londono 2022 QCCA 1097 : Peine de 90 jours en première instance. Haussée à 15 mois.

[127]       En première instance, une peine de 90 jours d’emprisonnement à être purgée de façon discontinue, a été imposée à l’accusé, pour avoir eu des contacts sexuels avec une enfant de 13 ans et pour l’avoir incitée à de tels contacts. Peine haussée à 15 mois, en appel.

[128]       Au moment des événements, l’accusé a 21 ans. Il est un des concierges de l’école fréquentée par la victime. Au domicile de la victime, il l’embrasse, la touche et elle lui fait une fellation. S’ensuit une relation sexuelle complète. Une quatrième visite de l’accusé au domicile de la victime donnera lieu à une deuxième relation sexuelle complète.

[129]       Situation de confiance découlant du travail de concierge en milieu scolaire. Mise en place progressive d’un processus conduisant à un abus de confiance qui a eu des effets préjudiciables sur la victime.

[130]       La Cour précise que : « La jurisprudence enseigne aussi que l’enfant souffrira sans doute encore plus lorsqu’un degré de confiance élevé s’installe entre lui et son agresseur » (par.146).

 

Jurisprudence soumise par le poursuivant

 

[131]       Le poursuivant a plaidé les arrêts Friesen et Londono, dont il a été fait mention dans ce jugement. Les décisions qui suivent ont également été plaidées.

R.c.L.G. 2021 QCCQ 11078 : 12 mois d’emprisonnement.

[132]       Plaidoyer de culpabilité à une accusation de contact sexuel. Les gestes ont été posés à l’endroit de la petite cousine de l’accusé, âgée de 14 ans. L’accusé a 47 ans au moment des faits.

[133]       Les gestes posés sont les suivants : l’accusé touche la cuisse de la victime et la touche également au niveau du cou et de la poitrine. Plus tard, alors qu’ils sont couchés dans une tente, il lui touche les seins et la vulve sous ses vêtements. Les deux événements se sont déroulés dans une même période de 24 heures.

[134]       La victime a subi un traumatisme en raison des événements et reçoit de l’aide professionnelle.

[135]       L’accusé a un antécédent de voie de fait (1993), un emploi stable, dit regretter les gestes.

R.c.Macoto Banegas 2023 QCCQ 113: 15mois d’emprisonnement.

[136]       L’accusé a plaidé coupable à deux chefs d’accusation relatifs à des attouchements sexuels sur une victime de 13 ans (arts. 151 et 152 b) C.cr.).

[137]       Les événements se sont déroulés en 2018, la victime est âgée de 13 ans et l’accusé de 21 ans. Ils fréquentent la même église et les gestes sont commis dans le cadre des activités de cette église. Il y a deux événements. Le premier, a lieu dans un autobus alors que la victime est assise sur une banquette. L’accusé est assis derrière la victime, lui met la main sur le cou et descend jusqu’à la hanche en touchant les seins au passage.

[138]       Lors du deuxième événement qui a lieu à l’église, l’accusé s’assoit à côté de la victime. Il lui touche les seins, les jambes, ouvre la fermeture éclair du pantalon de cette dernière et introduit la main dans sa culotte et touche son vagin. Ensuite il prend la main de la victime et lui fait toucher son pénis.

[139]       La victime a subi un préjudice important.

[140]       L’accusé aura bientôt 26 ans, est marié et sa conjointe est enceinte. Originaire du Honduras, il a un statut de résident permanent au Canada.

[141]       Le tribunal retient le jeune âge de la victime, le fait que l’atteinte à l’autonomie personnelle de cette dernière est particulièrement grave en raison de son âge, l’inégalité du rapport de force entre elle et l’accusé, l’absence d’antécédents judiciaires de l’accusé, le fait qu’il ait respecté ses conditions de mise en liberté, qu’il soit un actif pour la société et qu’il ait plaidé coupable.

[142]       Le juge mentionne la fourchette des peines en matière d’infractions d’ordre sexuel contre les enfants et les adolescents. Les peines d’emprisonnement vont de quelques mois, à 4 ou 6 ans.

[143]       Le juge mentionne les décisions de R.c.Simard-Cloutier 2021 QCCS 4276 : 13 mois d’emprisonnement et R.c L.G. (déjà cité).

[144]       Le juge conclut que la fourchette des peines appropriées dans le cas de l’accusé se situe entre 12 et 24 mois d’emprisonnement; que les cas qui se situent dans la partie supérieure de cette fourchette révèlent des situations, où le lien de confiance, ou bien d’autorité, est plus significatif.

R.v.Khan 2023 ONSC 771. : 12 mois d’emprisonnement.

[145]       L’accusé a été trouvé coupable de contact sexuel et de harcèlement criminel. Lors du procès, la victime âgée de 8 ans au moment des événements, a déclaré qu’alors qu’elle se trouvait à l’épicerie, un homme lui a touché les fesses et que ce toucher a duré 5 secondes. La victime ne connaissait pas l’accusé.

[146]       Le juge du procès a cité l’arrêt Friesen quant à l’augmentation des peines en matière d’infractions sexuelles à l’égard des enfants.

R.c.Houle 2023 QCCA 99 : première instance : absolution conditionnelle. Peine haussée à 12 mois d’emprisonnement.

[147]       Il ne s’agit pas d’un dossier en matière d’infraction sexuelle à l’égard d’un enfant ou d’un adolescent.

[148]       La Cour d’appel, dans cet arrêt, rappelle qu’en matière d’agression sexuelle, la fourchette des peines infligées dans les circonstances d’un dossier semblable à celui de Monsieur Houle varie entre 12 et 20 mois d’emprisonnement, lorsque l’infraction est poursuivie par acte criminel. L’emprisonnement ferme est la sanction privilégiée, même si cette règle a des exceptions[21] .

La peine

[149]       Dans Friesen, la Cour suprême confirme la nécessité pour les tribunaux d’imposer des sanctions plus sévères pour les infractions de nature sexuelle commises contre des enfants, et ce, en raison du fait que le législateur à l’art. 718.01 C.cr, privilégie la dénonciation et la dissuasion, lorsqu’il s’agit d’infractions qui constituent de mauvais traitements à l’endroit des enfants[22] .

[150]       La Cour précise ce qui suit :

104 – L’article 718.01 vient donc qualifier la directive antérieure de la Cour voulant qu’il appartienne aux juges chargés de la détermination de la peine d’établir quel objectif ou quels objectifs doivent être privilégiés. Lorsque le législateur indique les objectifs de détermination de la peine à privilégier dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire des juges chargés de déterminer la peine est de ce fait limité, de sorte qu’il ne leur est plus loisible d’accorder une priorité équivalente ou plus grande à d’autres objectifs (Rayo par.103 et 107-108). Toutefois bien que cet article exige que l’on accorde la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, les juges chargés de la détermination de la peine conservent néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs (y compris la réinsertion et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue) pour en arriver à une peine juste, en conformité avec le principe général de proportionnalité (voir R.c.Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 37 (CanLII).

105 – Le choix du législateur de privilégier la dénonciation et la dissuasion pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants est une réponse sensée au caractère répréhensible de ces infractions et aux préjudices graves qu’elle cause. L’objectif de dénonciation témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit (…).

[151]       Dans Londono, la Cour reproche au juge de première instance de s’être écarté de la règle jurisprudentielle établie dans Rayo[23], et Friesen.

[161] L’économie générale de la sentence fait voir que le facteur dominant retenu par le juge fût la réhabilitation de l’intimé. Cependant, le juge n’explique pas pourquoi il s’écarte de la règle jurisprudentielle établie par notre Cour en 2018 dans l’arrêt Rayo et reprise par la Cour suprême dans Friesen selon laquelle au premier stade de l’analyse, le juge de la peine chargé d’appliquer l’article 718.01 C.cr. doit accorder la priorité à la dissuasion et à la dénonciation

[152]       Quelle est ici la peine juste et appropriée?

 

Examen des peines suggérées par les parties

L’emprisonnement avec sursis et l’emprisonnement discontinu

 

[153]       Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit juste et appropriée. Tel que le précise la Cour suprême dans Friesen, bien que l’art. 718. 01 C. cr. exige des juges d’accorder la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, ces derniers jouissent néanmoins du pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs, tel que, par exemple, la réhabilitation.

[154]       L’art. 718. 2 d) C. cr. codifie le principe de modération. Ainsi, les juges ont l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. En l’espèce, le Tribunal a l’obligation, entre autres, de considérer l’emprisonnement avec sursis à l’égard de l’accusé. Il s’agit de l’une des peines suggérées par la défense.

[155]       La modération s’impose pour individualiser la peine. Il serait erroné d’occulter la réhabilitation de l’accusé en l’espèce, s’agissant d’un individu sans antécédents judiciaires, et qui présente un faible risque de récidive.

[156]       De plus, tel que le démontrent les différentes décisions de jurisprudence plaidées par les parties, les peines imposées en matière d’agression sexuelle varient beaucoup, en raison du large éventail de comportements pouvant constituer cette infraction. Le principe de l’individualisation de la peine est d’autant plus important.

[157]       Depuis le 17 novembre 2022, le sursis est à nouveau disponible en matière d’agression sexuelle.

[158]       Les infractions pour lesquelles l’accusé a été trouvé coupable, ne comportent pas de peine minimale d’emprisonnement. Ce ne sont pas des infractions qui figurent aux paragraphes c) et d) de l’art. 742.1 C. cr. Par ailleurs, le Tribunal estime qu’une peine d’emprisonnement dans un pénitencier n’est pas une sanction appropriée en l’espèce.

[159]       Le Tribunal conclut qu’une peine de moins de 2 ans d’emprisonnement est appropriée.

[160]       Convient-il que l’accusé purge sa peine dans la collectivité?

[161]       Le Tribunal conclut de l’ensemble de la preuve que si l’accusé purge sa peine au sein de la collectivité, cela ne mettrait pas en danger la sécurité de celle-ci. Cependant, dans la présente affaire, il conclut aussi qu’une ordonnance d’emprisonnement avec sursis n’est pas conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux arts. 718 à 718. 2 C.cr.

[162]       Le Tribunal estime que même si l’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires, qu’il est un actif pour la société, que le risque de récidive semble faible ou très faible; que l’incarcération s’impose, car les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être priorisés.

[163]       Les nombreux facteurs aggravants, à savoir, les conséquences importantes pour la victime, ce qui inclut le fait que l’accusé a porté atteinte à son intégrité physique, sexuelle et psychologique, qu’il a exploité sa vulnérabilité et que ces gestes constituent à la fois un abus d’autorité et de confiance, ont un poids déterminant dans la décision du Tribunal.

[164]       Tel que la Cour d’appel l’écrit dans Lemieux[24] .

[100] N’oublions pas que la proportionnalité, principe cardinal en matière de détermination de la peine, « garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation » : R. c. Ipeelee, 2012 CSC, [2012] 1 R.C.S. 433.

[165]       De plus, le besoin de dénonciation est intimement lié à la gravité de l’infraction.

[166]       Même si le Tribunal reconnaît que l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif, les circonstances de la présente affaire font en sorte qu’une peine d’incarcération doit être imposée.

[167]       Le Tribunal est également d’avis qu’une peine d’emprisonnement discontinu n’est pas appropriée ici, car elle ne permet pas de répondre aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, si importants en matière de crimes sexuels envers les enfants.

[168]       Imposer une peine d’emprisonnement avec sursis ou encore d’emprisonnement à purger de façon discontinue, serait, en l’espèce, envoyer un message inapproprié. De l’avis du Tribunal, il banaliserait la gravité des infractions d’ordre sexuel envers les enfants.

 

Qu’en est-il de la peine suggérée par le poursuivant ?

[169]       Bien que cette peine puisse être raisonnable dans certaines circonstances, et à l’intérieur des fourchettes applicables en la matière, elle est, en tout respect, trop élevée ici. Le Tribunal estime qu’elle ne tient pas suffisamment compte des facteurs atténuants et de la situation personnelle de l’accusé.

[170]       Le Tribunal conclut qu’au regard de tous les motifs exposés dans ce jugement, qu’une peine de 12 mois d’emprisonnement, sur chacun des chefs, à être purgée de façon concurrente entre eux, est juste et appropriée dans les circonstances. Cette peine priorise la dénonciation et la dissuasion, sans entraver la réhabilitation de l’accusé.

 

 

Qu’en est-il de l’application de l’art. 161 C.cr.?

 

[171]       Y a-t-il lieu de rendre une ou des ordonnances en vertu de l’article 161 C.cr. tel que le requiert le poursuivant? La défense s’y oppose, jugeant que ces ordonnances ne sont pas nécessaires dans les circonstances.

[172]       La Cour d’appel dans Rodrigue[25], énonce les facteurs dont les tribunaux doivent tenir compte lorsqu’il s’agit de rendre une ordonnance en vertu de l’article 161 C.Cr.

[27] Étant donné cette erreur de principe, il revient la Cour de déterminer s’il y a lieu de rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 161 (1) d) C.cr. et, le cas échéant, d’en fixer les modalités en tenant compte des facteurs identifiés dans l’arrêt J.L. :

  1. la nature de l’infraction ;
  2. les circonstances de la commission de l’infraction : sa sévérité, sa durée, le nombre de victimes et l’impact sur les victimes ;
  3. les antécédents du contrevenant pour des infractions similaires et, inversement, le fait que le contrevenant ait un dossier criminel sans tache et qu’il s’agisse d’un comportement aberrant et exceptionnel de sa part ;
  4. les risques de récidive du contrevenant;
  5. l’âge et la vulnérabilité des victimes ;
  6. les similitudes entre l’ordonnance à rendre et l’infraction commise, plus particulièrement si le contrevenant travaillait auprès d’enfants et a profité de sa situation d’autorité pour commettre l’infraction reprochée ; et
  7. le fait que le contrevenant n’accepte pas sa responsabilité pour ses gestes, qu’il ne démontre pas de remords, qu’il ne comprenne pas le sérieux de ses gestes ou encore qu’il soit réticent à suivre une thérapie.

 

[173]       Le Tribunal est d’avis que bien que ces facteurs soient cités dans le cadre d’une évaluation sous l’art. 161(1) d) C.cr., ils sont également pertinents lorsqu’il s’agit de décider si l’une ou l’autre des ordonnances prévues à cet article, s’applique à un accusé.

[174]       La Cour rappelle qu’une, ou des ordonnances prévues à l’article 161(1) C.cr., sont des peines, et que leur imposition relève du pouvoir discrétionnaire du juge chargé d’imposer la peine. Ces ordonnances ont principalement pour objectif de protéger les enfants contre la violence sexuelle[26] .

[175]       La Cour précise aussi que toute ordonnance rendue en vertu de cette disposition doit être soigneusement adaptée aux circonstances particulières de l’espèce, et à cet égard, elle cite la Cour suprême dans l’affaire K.R.J.[27] .

[L]’ordonnance fondée sur l’article 161 ne peut être rendue que lorsque la preuve permet de conclure que le contrevenant représente un risque pour les enfants et que le juge est convaincu que les conditions dont elle est assortie vise raisonnablement à réduire ce risque (voir A. (R.K.), [2006 ABCA 82,] par 32; voir également R. c. R.R.B., 2013 BCCA 224, 338 B.C.A.C. 106, par. 32-34). Il ne s’agit pas d’une ordonnance rendue automatiquement. De plus, elle doit être soigneusement adaptée à la situation particulière du contrevenant.

       [Nos soulignements]

 

[176]       Au chapitre des facteurs pertinents, le Tribunal retient la nature de l’infraction, l’impact de l’infraction sur X, le fait que l’accusé travaillait auprès d’enfants et d’adolescents au moment des faits, et que les infractions se sont déroulées en situation d’autorité.

[177]       Néanmoins, le Tribunal retient également que l’accusé n’a pas d’antécédents judiciaires, qu’il s’agit d’un incident isolé qui s’est déroulé il y a plus de 38 ans, que le risque de récidive est faible ou très faible, et que X est maintenant un homme d’âge mûr. Selon l’ensemble des facteurs et de la preuve, le Tribunal ne peut conclure que l’accusé représente, à l’heure actuelle, un risque pour les enfants, et que des ordonnances sous l’art. 161 C.cr. doivent être rendues.

[178]       En conséquence, le Tribunal ne rend aucune ordonnance en vertu de l’art. 161 C.cr.

 

Demande de l’accusé/requérant d’être exempté de la suspension de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’art. 490.012 C.cr.

 

[179]       L’accusé/requérant présente une requête fondée sur les arts. 7 et 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et recherche un remède constitutionnel individuel, en demandant d’être exempté de la suspension de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’art. 490. 012 C.cr.

[180]       Par sa requête, l’accusé/requérant demande au Tribunal d’être exempté de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.

[181]       Le Procureur général du Québec, avisé de la présentation de la requête, a pris la décision de ne pas intervenir dans ce dossier.

[182]       La demande de l’accusé/requérant se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême Ndhlovu[28] , et sur la nouvelle mouture de l’articles 490.012 C.cr., incluse au nouveau projet de loi S – 12[29] .

 

Ndhlovu

 

[183]       Dans Ndhlovu, la Cour suprême a décidé que l’art. 490.012 et le paragraphe 490.013 (2.1) C.cr. violent l’art. 7 de la Charte, et ne peuvent être sauvegardés en vertu de l’article premier. Les dispositions sont déclarées inopérantes ; la déclaration d’invalidité qui vise l’art. 490.012 est suspendue pour un an, et s’applique prospectivement. Quant à l’article 490.013 (2.1) C.cr., la déclaration d’invalidité est immédiate et s’applique rétroactivement.

[184]       La Cour est également d’avis : « (qu’) une déclaration d’invalidité avec effet prospectif ne porterait pas indûment préjudice aux délinquants qui sont inscrits depuis 2011, mais dont les droits protégés par l’article 7 sont toujours violés. Ces délinquants pourront demander une réparation personnelle en vertu du paragraphe. 24 (1) de la Charte pour être retirés du registre s’ils peuvent démontrer que les effets de la LERDS sur leur droit à la liberté n’ont aucun lien avec l’objectif de l’art 490.012 ou sont totalement disproportionnés[30] . »

[Nos soulignements]

 

[185]       La Cour a accordé à Monsieur Ndhlovu une réparation personnelle en vertu du par. 24 (1) et l’a exempté de la suspension de la déclaration. Dans cette affaire, la juge chargée de déterminer la peine en était arrivée à la conclusion que l’accusé présentait un faible risque de récidive. Elle avait conclu qu’il était peu probable que Monsieur Ndhlovu récidive.

[186]       L’expert de la Couronne, avait précisé que l’évaluation du risque était une analyse individualisée qui faisait entrer en ligne de nombreuses variables.

 

La nouvelle mouture de l’art. 490.012 C.cr.

 

[187]       Quelques extraits de la nouvelle mouture de l’article 490.012 C.cr.:

 

Ordonnance

490.012 (1) Sous réserve du paragraphe (5), le tribunal doit, lors du prononcé de la peine à l’égard d’une infraction désignée, enjoindre à la personne en cause, par ordonnance rédigée selon la formule 52, de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels si, à la fois :

a) l’infraction désignée a été poursuivie par mise en accusation ;

b) la personne est condamnée à une peine d’emprisonnement de 2 ans ou plus pour cette infraction ;

c) l’infraction a été commise contre une victime âgée de moins de 18 ans.

 

Ordonnance – récidive ou obligation

(2)

(…)

 

Ordonnances – autres circonstances

(3) Sous réserve du paragraphe (5), le tribunal doit, lors du prononcé de la peine, à l’égard d’une infraction désignée, dans les circonstances où les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas, ou lors du prononcé du verdict de non-responsabilité à l’égard d’une infraction désignée, enjoindre à la personne en cause, par ordonnance rédigée selon la formule 52, de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, à moins qu’il ne soit convaincu que la personne a établi :

a) soit qu’il n’y aurait pas de lien entre l’ordonnance et l’objectif d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ceux-ci par l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévus par cette loi;

b) soit que l’ordonnance aurait à son égard, notamment sur sa vie privée ou sa liberté, un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt que présente, pour la protection de la société contre les crimes de nature sexuelle au moyen d’enquêtes ou de mesures de prévention efficaces, l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévus par cette loi.

 

Facteurs

(4) Pour décider s’il doit rendre l’ordonnance visée au paragraphe (3), le Tribunal prend en compte les facteurs suivants :

a) la nature et la gravité de l’infraction désignée ;

b) l’âge de la victime et ses autres caractéristiques ;

c) la nature de la relation entre la victime et la personne en cause et les circonstances qui l’entourent ;

d) les caractéristiques de la situation personnelle de la personne en cause ;

e) les antécédents criminels de la personne en cause, notamment son âge au moment de la perpétration de toute infraction antérieure et le temps qu’elle a passé en liberté sans commettre d’infraction ;

f) l’avis des experts qui ont examiné la personne en cause ;

g) tout autre facteur qu’il juge pertinent.

(…)

       [Nos soulignements]  

 

[188]       Le poursuivant/intimé plaide que l’ordonnance devrait être rendue, car certains crimes ne sont pas dénoncés immédiatement, et qu’en plus, l’ordonnance serait en mesure d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle et à enquêter sur ceux-ci. Selon le poursuivant/intimé, l’accusé/requérant n’a pas établi les exigences des paragraphes a) et b) de l’art. 490.012 (3) C.cr.

[189]       Le Tribunal ne peut retenir l’argument du poursuivant/intimé à la lumière des présentes circonstances.

[190]       Le Tribunal a déjà déterminé que la peine totale et appropriée était de 12 mois. Ainsi, le Tribunal doit s’en remettre aux arts. 490. 012 (3) et (4) C.cr.

[191]       Le Tribunal retient les facteurs suivants :

  • il s’agit d’une infraction sexuelle grave commise à l’encontre d’une victime qui au moment des faits est âgée de 14 ou 15 ans, et qui aujourd’hui, plus de 38 ans après les faits, est une personne d’âge mûr;
  • les conséquences de la commission des infractions sur la victime sont importantes ;
  • l’accusé/requérant n’a pas d’antécédents judiciaires et malgré le passage du temps, aucune autre infraction à son égard n’a été dénoncée;
  • avec les informations dont il dispose, le Tribunal a déterminé que le risque de récidive de l’accusé est faible ou très faible;

 

[192]       Le Tribunal conclut à la lumière de l’ensemble de ces facteurs, que l’accusé/requérant a établi qu’il n’y avait pas de lien entre l’ordonnance à rendre et l’objectif visé par celle-ci. Retenir l’argument du poursuivant/intimé pour rendre l’ordonnance équivaut à se baser, sur une prémisse hypothétique, et à faire subir à l’accusé/requérant, les répercussions d’une ordonnance, que la Cour suprême a qualifiées, de « graves ».

[193]       Le Tribunal ayant conclu que le risque de récidive de l’accusé est faible ou très faible, cet extrait de l’arrêt Ndhlovu est pertinent :

[8] Comme l’inscription obligatoire des délinquants qui ne présentent pas un risque accru de récidive n’aide pas la police, elle est incompatible avec le principe de justice fondamentale interdisant la portée excessive.

[194]       Le Tribunal conclut aussi que, dans les circonstances, l’accusé lui a démontré que le soumettre à l’exigence d’une inscription obligatoire en vertu de la LERDS constituerait une violation de ses droits garantis par l’art. 7 de la Charte, en raison du fait que l’inscription de l’accusé/requérant au registre, n’a aucun lien avec les objectifs de la loi.

[195]       Le Tribunal lui accorde une réparation personnelle en vertu du paragraphe 24 (1) de la Charte et l’exempte de la suspension de la déclaration d’inconstitutionnalité.

[196]       En conséquence, la requête est accordée.

 

Par ces motifs, le Tribunal :

 

Impose à l’accusé une peine d’emprisonnement de 12 mois sur le chef 1 (grossière indécence) et de 12 mois sur le chef 3 (agression sexuelle), les peines devant être purgées de façon concurrente entre elles.

 

La peine totale est de 12 mois.

 

Assortit la peine d’une probation d’une durée de 2 ans aux conditions suivantes :

 

  1. Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ;
  2. Répondre aux convocations du tribunal ;
  3. Prévenir le tribunal ou l’agent de probation de ses changements d’adresse, de nom et les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation ;
  4. Interdiction de communiquer de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement avec X;
  5. Interdiction de se trouver en présence physique ou dans les 100 m de X;
  6. Interdiction de se trouver à l’intérieur d’un rayon de 100 m du domicile ou du lieu de travail de X ;
  7. Interdiction de chercher, d’accepter ou de garder un emploi – rémunéré ou non – ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de 16 ans, sauf en conformité avec ce qui suit. Il pourra néanmoins, accepter ou garder un tel emploi, s’il l’exerce en tout temps en présence d’un adulte responsable ;

Ordonne à l’accusé de ne pas communiquer de quelque façon que ce soit avec X durant sa détention (art. 743. 21 C.cr.)

 

Ordonne le prélèvement d’un nombre d’échantillons de substance corporelle de l’accusé qui sera jugé nécessaire à une analyse génétique (art. 487.051 C.cr.)

 

Interdit à l’accusé d’avoir en sa possession des armes à feu – autres que des armes à feu prohibées ou des armes à feu à autorisation restreinte –, arbalètes, armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives pour une durée de 10 ans (art. 109 (2) a) C.cr.)

 

Interdit à l’accusé d’avoir en sa possession des armes à feu prohibées, armes à feu à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs prohibés et munitions prohibées, et ce à perpétuité (art. 109 (2) b) C.cr.).

 

Dispense l’accusé du paiement de la suramende.

 

 

 

__________________________________

JOSÉE BÉLANGER, J.C.Q.

 

 

 

Me Christine Desjarlais

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureure de la Poursuite

 

Me Giuseppe Battista

Me Laurence St-Jean Juillet

Procureurs de l'accusé 

 

 

Date de l’audience

16 et 17 août 2023

 

 

 

 


[1] R. c. Gauthier, 2023 QCCQ 3358.

[2] Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, c.10 («LERDS »)

 

[3] SD-4

[4] R.c.Friesen, [20 20] 1 R.C.S. 424 ; 2020 CSC 9.

[6] Id., par.5.

[7] R. c. Suter, [2018] 2 R.C.S.496.

[8] Id., par. 46 et 47.

[9] Id., par. 47.

[10] R. c. Gauthier, 2023 QCCQ 3358, par. 325.

[11] S-2, p. 3.

[12] Id., p. 4.

[13] Id., p. 2.

[15] Id.

[16] Id., par. 81.

[17] Id., par. 126.

[18] 1998 CanLII 12722 (QCCA) (requête pour autorisation de pourvoi à la R. C. S. rejetée, 1998-10-01,        26653).

[19] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 87.

[20] Id., par. 90.

[21] Il faut noter qu’il n’était pas question d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire, ni dans celles citées dans cet arrêt.

[22] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 101.

[23] R. c. Rayo, 2018 QCCA 824.

[24] Lemieux, c. R. 2023 QCCA 480.

[25] R. c. Rodrigue, 2021 QCCA 456.

[26] R. c. Rodrigue, 2021 QCCA 456, par. 23.

[27] R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 48.

[28]  R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38.

[29] Projet de Loi S-12, Loi modifiant le C. cr. Loi sur l’enregistrement de renseignement sur les délinquants sexuels, et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Adoptée par le Sénat le 22/06/2023. Maintenant en vigueur depuis le 26/10/2023.

[30] R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, par. 140 in fine.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.