Décision

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Petrishki c. Procureur général du Québec 

2023 QCCS 3679

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Montréal

 

No :

500-17-116244-214

 

DATE :

2 octobre 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

AZIMUDDIN HUSSAIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

VASIL PETRISHKI

ROBERT TREMBLAY-PAQUIN

CHARLES LUSSIER

CAROLINE PELLETIER

Demandeurs

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Défendeur

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Indépendance judiciaire des greffiers spéciaux et des registraires de faillite)

______________________________________________________________________

 

I.        APERÇU

[1]                Par le biais d’un pourvoi en contrôle judiciaire et demande en jugement déclaratoire, les demandeurs contestent le régime législatif applicable aux greffiers spéciaux (GS) de la Cour du Québec et de la Cour supérieure, ainsi qu’aux registraires de faillite (RF) de la Cour supérieure (collectivement, les GS/RF) en plaidant que ce régime est incompatible avec l’indépendance judiciaire.

[2]                Plus particulièrement, les demandeurs, qui exercent des fonctions définies notamment par les dispositions du Code de procédure civile (Cpc)[1] et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI)[2], contestent l’application de la Loi sur les employés publics[3], de la Loi sur la fonction publique[4] et du Code du travail[5] à leur office et demandent au Tribunal dajouter les GS/RF à l’article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (LTJ)[6], qui prévoit que ces trois lois ne s’appliquent ni aux juges de la Cour du Québec, ni aux juges de paix ni aux juges municipaux.

[3]                L’application de celles-ci aux GS/RF fait en sorte qu’ils sont des fonctionnaires, membres de la branche exécutive, alors qu’ils exercent des pouvoirs judiciaires. Selon les demandeurs, l’omission du législateur d’ajouter les GS/RF à la liste des juges déclinés à l’article 3 LTJ mène à la conclusion que les GS/RF ne jouissent pas des garanties de l’indépendance judiciaire essentielles à l’accomplissement de leurs fonctions judiciaires.

[4]                Ainsi, selon les demandeurs, le régime législatif viole le principe de l’indépendance judiciaire, enchâssé dans les diverses dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC 1867)[7], à l’article 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne)[8] et à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise)[9].

[5]                Ils demandent aussi l’inclusion des GS/RF dans le processus du comité de la rémunération des juges prévu à la Partie VI.4 LTJ, visant la sécurité financière.

[6]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accueille en partie le pourvoi des GS/RF, et déclare contraire à l’article 23 de la Charte québécoise et au préambule de la LC 1867 le fait de ne pas inclure les GS/RF dans un cadre législatif prévoyant la sauvegarde de l’indépendance judiciaire des GS/RF.

[7]                Le Tribunal suspend cette déclaration d’invalidité pour permettre au législateur de mettre en œuvre le régime de son choix qui devra néanmoins s’avérer conforme aux exigences constitutionnelles.  

II.     CONTEXTE

A.    Greffiers spéciaux

[8]                En 1793, la Loi de judicature entre en vigueur et l’office du greffier spécial voit le jour peu après[10].

[9]                Cette loi ne fait pas mention de l’office du greffier spécial mais, au lendemain de son entrée en vigueur, soit le 11 décembre 1794, le gouverneur procède à la nomination des premiers protonotaires de la Cour du banc du Roi : deux pour le district de Montréal et deux pour le district de Québec[11].

[10]           L’appellation de protonotaire venait d’Angleterre, où ce dernier était un officier de justice de la Court of Common Pleas, nommé par le Lord Chief Justice et ayant notamment les fonctions de faire rapport à la cour des matières adressées à lui, de taxer les frais de justice, de garder à jour la cour quant à l’état d’avancement des dossiers, et de recevoir l’argent déposé à la cour et de le verser en temps et lieu[12].

[11]           En 1849, lors de la création de la Cour supérieure, sa loi constitutive reconduit l’office de protonotaire, alors désigné comme protonotaire de la Cour supérieure[13]. Bien que la loi ne prévoie pas qui nomme les protonotaires, ce silence pourrait cependant permettre de déduire que leur nomination continue d’être faite par le gouverneur, comme elle se fait depuis 1794[14].

[12]           En 1966, lors de l’entrée en vigueur de l’ancien Code de procédure civile[15], la définition du protonotaire est prévue à l’article 4(f) : 

« protonotaire » : non seulement le protonotaire de la Cour supérieure, mais aussi le greffier d’une autre cour à laquelle la disposition est applicable.

[13]           En 1972, le législateur modifie l’article 195 de l’ancien Code de procédure civile pour autoriser « le protonotaire ou un protonotaire adjoint désignés par le juge en chef du tribunal et autorisés à cette fin par arrêté en conseil » à procéder à l’enquête et à l’audition de certaines causes par défaut[16], ce qui constitue un élargissement de ses pouvoirs.

[14]           En 1975, le législateur procède à un autre élargissement des pouvoirs du protonotaire dans un contexte où, selon le ministre de la Justice, Gérard D. Lévesque, il était nécessaire d’améliorer l’aspect fonctionnel de l’administration de la justice. Le projet de loi permet donc de confier au protonotaire, officier de la Cour, « une partie des fonctions qui étaient généralement dévolues à un juge en matière de procédures interlocutoires et incidentes et ce, de façon à accélérer l’administration de la justice »[17].

[15]           Les protonotaires peuvent alors statuer « sur les procédures interlocutoires ou incidentes, par exemple demande pour cautionnement, examen médical, précision, substitution de procureur et ainsi de suite »[18].

[16]           Les notes explicatives du projet de loi de 1975 qualifient de « superprotonotaire » cet officier de cour maintenant appelé à remplir une partie des fonctions qui étaient jusqu’alors attribuées au juge[19].

[17]           En 1977, le législateur effectue un remaniement important pour ainsi prévoir l’office du protonotaire spécial dans l’ancien Code de procédure civile[20] :

«protonotaire spécial»: le protonotaire ou le protonotaire adjoint nommés par arrêté en conseil, avec l'assentiment du juge en chef du tribunal, pour exercer, en plus de leurs autres fonctions, les attributions rattachées à ce titre.

[18]           Comme le commente Pierre E. Audet, le protonotaire spécial « s’est vu ainsi attribuer des pouvoirs judiciaires réservés jusqu’alors au juge en chambre et même au tribunal » (notre soulignement)[21].

[19]           En 1994, dans le cadre de la réforme du Code civil du Québec, le législateur modifie l’ancien Code de procédure civile pour remplacer les termes « protonotaire » et « protonotaire spécial » par, respectivement, les termes « greffier » et « greffier spécial » dans les définitions et autres dispositions du Code de procédure civile[22].

[20]           Depuis 2016, l’entrée en vigueur du Code de procédure civile actuel, l’article 67 Cpc prévoit que les GS exercent les « fonctions juridictionnelles que la loi leur attribue »[23] et l’article 70 Cpc prévoit qu’ils sont investis « des pouvoirs du juge ou du tribunal » dans les matières sur lesquelles la loi leur attribue expressément compétence.

[21]           Ainsi, que la demande soit contestée ou non, le GS peut statuer sur toute demande ayant pour objet[24] :

  • Le renvoi de la demande introductive d’instance devant le tribunal territorialement compétent dans les cas visés par l’article 43 Cpc ;
  • La sûreté pour frais ;
  • La convocation d’un témoin, sauf dans les cas visés à l’article 497 Cpc ;
  • La communication, la production ou le rejet de pièces ;
  • La consultation ou la copie d’un document auquel l’accès est restreint ;
  • Un examen sur l’état physique, mental ou psychosocial d’une personne ;
  • La jonction de demandes ;
  • Des précisions ou des modifications à un acte de procédure ;
  • La substitution d’avocat ;
  • Toute demande pour être relevé du défaut ou pour cesser d’occuper ;
  • Il peut statuer sur tout acte de procédure en cours d’instance, mais, si celui-ci est contesté, il ne peut agir qu’avec l’accord des parties.

[22]           En matière de garde d’enfants ou d’obligations alimentaires, le GS peut[25] :

  • Homologuer toute entente entre les parties portant règlement complet de ces questions ;
  • Pour apprécier l’entente ou le consentement des parties, les convoquer et les entendre, même séparément, en présence de leur avocat ;
  • Déférer le dossier à un juge ou au tribunal, s’il estime que l’intérêt des enfants n’est pas préservé ou que le consentement a été donné sous la contrainte.

[23]           Les ententes ainsi homologuées possèdent la même force exécutoire qu’un jugement[26].

[24]           Dans une procédure non contentieuse, la compétence du tribunal peut être exercée par le GS, mais certaines demandes sont exclues[27]. 

[25]           Le GS peut rendre jugement par défaut[28] :

  • Si la demande a pour seul objet le prix d’un contrat de service ou de vente d’un bien meuble ;
  • Si la demande tend à obtenir le paiement d’une somme d’argent dont le montant est clairement établi dans un acte authentique ou sous seing privé.

[26]           Le GS peut également donner l’autorisation à un huissier qui a besoin d’employer la force pour pénétrer dans un lieu où il doit procéder à une saisie, à une expulsion ou à l’enlèvement de biens[29].

[27]           Le GS peut exercer les pouvoirs attribués au greffier[30], et à cet égard, par exemple, ordonner la prolongation de l’application des mesures de protection immédiate de l’enfant en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse[31] ou rendre jugement en matière de distribution des deniers relativement à la vente de l’immeuble pour défaut de paiement de taxes municipales[32].

[28]           Finalement, le GS exerce certains des pouvoirs des juges en cas d’absence ou d’impossibilité des juges eux-mêmes où un retard risque d’entraîner la perte d’un droit ou de causer un préjudice sérieux[33].

[29]           Selon la preuve, les GS rendent une partie importante des décisions en matière civile pour la Cour supérieure et la Cour du Québec dans certains districts.

[30]           Les GS se voient représentés par le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et classés comme employés de la fonction publique provinciale de la classe « 131—Attachée ou attaché judiciaire »[34].

[31]           Le salaire rattaché à cette classe, à compter du 1er avril 2022, s’échelonne de 48 488 $ à 90 110 $. Un nombre limité de postes d’attaché judiciaire, considérés comme « expert », donne droit à une prime de 10 % du salaire de base[35], mais dans les faits tel que les demandeurs les relatent, deux greffiers spéciaux peuvent exercer précisément les mêmes fonctions alors que l’un occupe un poste désigné « expert », avec la prime afférente, tandis que l’autre occupe un poste régulier, sans prime.

[32]           En revanche, l’échelle de salaire des juristes de la fonction publique, classés dans la classe « 115—Avocate ou avocat ou notaire », était supérieure, s’échelonnant de 56 719 $ à 114 344 $, et ce, quatre ans auparavant, soit à compter du 1er avril 2018.

[33]           Ces juristes sont représentés par l’Association des juristes de l’État, un syndicat distinct du syndicat qui représente les attachés judiciaires, bien que ces derniers soient parfois appelés à agir à titre de conseiller juridique du gouvernement, un rôle qui chevauche celui des juristes de l’État.

[34]           La scolarité minimale exigée pour le poste d’attaché judiciaire, selon la description d’emploi du gouvernement[36], est un diplôme de premier cycle en droit. Il n’y a pas d’exigence d’être membre du Barreau du Québec ou de la Chambre des notaires, bien qu’en 2019, 51 des 56 attachés judiciaires aient été membres de l’un ou de l’autre ordre professionnel[37].

B.    Registraires de faillite

[35]           La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit la nomination des RF, et dans la province du Québec, ils sont nommés par le juge en chef ou le juge en chef adjoint[38]. Au Québec, pour la majorité des districts, les registraires sont généralement également des greffiers spéciaux, et bien qu’ils soient nommés par le juge en chef ou le juge en chef adjoint de la Cour supérieure, qui sont des juges de nomination fédérale, et ce, en vertu de la LFI, une loi fédérale, le salaire des RF est payé par le gouvernement provincial.

[36]           Le RF a le pouvoir[39] :

  • D’entendre des requêtes en faillite et de rendre des ordonnances de faillite, lorsqu’elles ne sont pas contestées ;
  • D’interroger les faillis ou d’autres personnes ;
  • De rendre les ordonnances de libération ;
  • D’approuver des propositions concordataires non contestées ;
  • De rendre des ordonnances provisoires dans les cas d’urgence ;
  • D’entendre et de décider toute demande non contestée ou ex parte ;
  • De sommer et d’interroger le failli ou toute personne connue comme ayant en sa possession ou soupçonnée d’avoir en sa possession des biens du failli ou de lui être endettée, ou d’être en état de donner des renseignements concernant le failli, ses opérations ou ses biens ;
  • D’entendre et de décider les demandes relatives à des preuves de réclamations, contestées ou non ;
  • De taxer ou de fixer les frais, et d’approuver les comptes ;
  • D’entendre et de décider une affaire avec le consentement de toutes les parties ;
  • D’entendre et de décider toute question se rapportant à la pratique et à la procédure des tribunaux ;
  • De régler et de signer toutes ordonnances et jugements des tribunaux qu’un juge n’a pas réglés ou signés, et d’émettre toutes ordonnances, tous jugements, mandats ou autres procédures des tribunaux ;
  • D’exercer toutes les fonctions administratives nécessaires relativement à la pratique et à la procédure devant les tribunaux ;
  • D’entendre et de décider les appels de la décision d’un syndic accordant ou refusant une réclamation.

 

[37]           Comme les GS, la majorité des RF (sauf deux) sont classés 131—Attachée ou attaché judiciaire. Apparemment, au fil des années, il y a eu une « élimination systématique des postes d’attachés judiciaires classés 115 – Avocat/notaire pour les remplacer par des postes classés 131 – Attaché judiciaire »[40].

III.   ANALYSE

A.    Le cadre juridique

[38]           Les dispositions prévoyant la nomination des GS/RF sont les suivantes :

Art 67 al 2 Cpc

De plus, le ministre peut, avec l’assentiment du juge en chef du tribunal, nommer par arrêté des greffiers spéciaux afin d’exercer pour ce tribunal les fonctions juridictionnelles que la loi leur attribue. Les greffiers spéciaux peuvent d’office exercer les pouvoirs des greffiers.

 

In addition, the Minister, by order and with the consent of the chief justice or chief judge, may appoint special clerks to exercise, for the court, the adjudicative functions assigned to special clerks by law. Special clerks, by virtue of their office, may exercise the powers of court clerks.

 

Art 184(1) LFI

Chacune des personnes énumérées ci-dessous procède aux nominations et affectations de registraires, commis et autres fonctionnaires en matière de faillite qu’elle juge utiles pour l’expédition des questions au sujet desquelles la présente loi accorde compétence ou pouvoir, et peut spécifier ou restreindre la compétence territoriale de ces registraires, commis ou autres fonctionnaires :

a) le juge en chef du tribunal;

b) dans la province de Québec, le juge en chef ou le juge en chef adjoint du district pour lequel il a été nommé;

c) au Yukon, le commissaire du Yukon;

d) dans les Territoires du Nord-Ouest, le commissaire des Territoires du Nord-Ouest;

e) dans le territoire du Nunavut, le commissaire du Nunavut.

 

 

Each of the following persons, namely,

(a) the Chief Justice of the court,

(b) in Quebec, the Chief Justice or the Associate Chief Justice in the district to which the Chief Justice or Associate Chief Justice was appointed,

(c) in Yukon, the Commissioner of Yukon,

(d) in the Northwest Territories, the Commissioner of the Northwest Territories, and

(e) in Nunavut, the Commissioner of Nunavut,

shall appoint and assign such registrars, clerks and other officers in bankruptcy as deemed necessary for the transaction or disposal of matters in respect of which power or jurisdiction is given by this Act and may specify or limit the territorial jurisdiction of any such officer.

 

[39]           Les demandeurs contestent l’omission par le législateur d’inclure les GS/RF à l’article 3 LTJ, qui se lit comme suit :

Art 3 LTJ

La Loi sur les employés publics (chapitre E6), la Loi sur la fonction publique (chapitre F3.1.1) et le Code du travail (chapitre C27) ne s’appliquent pas aux juges de la Cour du Québec ni aux juges de paix ni aux juges municipaux lorsqu’ils agissent en cette qualité.

 

The Public Officers Act (chapter E-6), the Public Service Act (chapter F-3.1.1) and the Labour Code (chapter C-27) shall not apply to the judges of the Court of Québec, the justices of the Peace or the municipal judges acting in that capacity.

 

[40]           Cette disposition de loi provinciale vise à exclure les juges nommés par le gouvernement du Québec, soit les juges de la Cour du Québec, les juges municipaux et les juges de paix, des lois qui gouvernent les employés de la branche exécutive de l’État.

[41]           L’omission des GS/RF de l’article 3 LTJ implique que ces derniers se trouvent régis par ces lois et sont alors réputés faire partie de la branche exécutive de l’État, alors qu’ils réclament de faire partie de la branche judiciaire et, donc, de profiter des caractéristiques et des dimensions de l’indépendance judiciaire qui se rattachent à cette branche.

[42]           Au lieu d’être visés par l’article 3 LTJ, les GS sont couverts par les articles 4 et 4.1 LTJ (les RF sont couverts par l’article 184(1) LFI, cité ci-dessus) :

 

 

Art 4 LTJ

Les officiers de justice sont: le shérif, le greffier de la Cour supérieure, le greffier de la Cour du Québec et tout autre officier nécessaire à l’administration de la justice au Québec.

Ces officiers sont nommés par arrêté du ministre de la Justice. Ils ont compétence, comme le personnel de la cour, sur tout le territoire du Québec.

 

 

The officers of justice shall be: the sheriff, the clerk of the Superior Court, the clerk of the Court of Québec and all other officers necessary for the administration of justice in Québec.

 

The officers of justice shall be appointed by order of the Minister of Justice. They have jurisdiction, like court personnel, throughout Québec.

Art 4.1 LTJ

Un greffier spécial visé à l’article 67 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) a compétence sur tout le territoire du Québec.

 

A special clerk contemplated in article 67 of the Code of Civil Procedure (chapter C-25.01) has jurisdiction throughout Québec.

 

[43]           Outre la contestation de l’omission des GS/RF à l’article 3 LTJ, les demandeurs revendiquent l’inclusion de ceux-ci dans la Partie VI.4 LTJ, qui prévoit la création d’un comité de la rémunération des juges. Le premier article de cette partie, l’article 246.29 LTJ, se lit comme suit :

Art 246.29 LTJ

Est institué un comité de la rémunération des juges.

Le comité a pour fonctions d’évaluer tous les quatre ans si le traitement, le régime de retraite et les autres avantages sociaux des juges de la Cour du Québec et des juges de paix magistrats sont adéquats. Il a également pour fonctions d’évaluer tous les quatre ans si le traitement et les autres avantages sociaux des juges des cours municipales auxquelles s’applique la Loi sur les cours municipales (chapitre C72.01) ainsi que, le cas échéant, leur régime de retraite sont adéquats. Le comité en fait rapport au gouvernement et lui transmet ses recommandations à cet égard. La période d'évaluation quadriennale de la rémunération des juges débute le 1er juillet de l'année qui suit la formation du comité.

[…]

 

A committee on the remuneration of judges and justices of the peace is hereby established.

 

The function of the committee is to ascertain, every four years, whether the salary, pension plan and other social benefits of the judges of the Court of Québec and presiding justices of the peace are adequate. A further function of the committee is to ascertain, every four years, whether the salary and other social benefits of the judges of the municipal courts to which the Act respecting municipal courts (chapter C-72.01) applies and the pension plan of those judges, if any, are adequate. The committee shall submit a report to the Government together with its recommendations. The four-year period to be considered for those purposes begins on 1 July of the year that follows the formation of the committee.

[…]

 

[44]           Les demandeurs invoquent certaines dispositions constitutionnelles de la LC 1867, de la Charte canadienne[41] et de la Charte québécoise pour l’invalidation de l’article 3 LTJ :

Préambule de la LC 1867

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni […]

 

Whereas the Provinces of Canada, Nova Scotia, and New Brunswick have expressed their Desire to be federally united into One Dominion under the Crown of the United Kingdom of Great Britain and Ireland, with a Constitution similar in Principle to that of the United Kingdom […]

Art 96

Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

 

The Governor General shall appoint the Judges of the Superior, District, and County Courts in each Province, except those of the Courts of Probate in Nova Scotia and New Brunswick.

Art 97

Jusqu’à ce que les lois relatives à la propriété et aux droits civils dans Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et à la procédure dans les cours de ces provinces, soient rendues uniformes, les juges des cours de ces provinces qui seront nommés par le gouverneur-général devront être choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces provinces.

 

Until the Laws relative to Property and Civil Rights in Ontario, Nova Scotia, and New Brunswick, and the Procedure of the Courts in those Provinces, are made uniform, the Judges of the Courts of those Provinces appointed by the Governor General shall be selected from the respective Bars of those Provinces.

Art 98

Les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province.

 

The Judges of the Courts of Quebec shall be selected from the Bar of that Province.

Art 99

(1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

(2) Un juge d’une cour supérieure, nommé avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, cessera d’occuper sa charge lorsqu’il aura atteint l’âge de soixante-quinze ans, ou à l’entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge.

 

(1) Subject to subsection (2) of this section, the judges of the superior courts shall hold office during good behaviour, but shall be removable by the Governor General on address of the Senate and House of Commons.

(2) A judge of a superior court, whether appointed before or after the coming into force of this section, shall cease to hold office upon attaining the age of seventy-five years, or upon the coming into force of this section if at that time he has already attained that age.

Art 100

Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l’Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.

 

The Salaries, Allowances, and Pensions of the Judges of the Superior, District, and County Courts (except the Courts of Probate in Nova Scotia and New Brunswick), and of the Admiralty Courts in Cases where the Judges thereof are for the Time being paid by Salary, shall be fixed and provided by the Parliament of Canada.

 

Art 11(d) Charte canadienne

Tout inculpé a le droit :

[…]

d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable.

 

 

Any person charged with an offence has the right

[…]

to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal.

 

 

Art 23 Charte québécoise

 

Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.

 

 

Every person has a right to a full and equal, public and fair hearing by an independent and impartial tribunal, for the determination of his rights and obligations or of the merits of any charge brought against him.

The tribunal may decide to sit in camera, however, in the interests of morality or public order.

 

[45]           Quant à la jurisprudence pertinente à la question de l’indépendance judiciaire, les parties font conjointement référence aux jugements de la Cour suprême du Canada[42]. Le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale de 1997 (Renvoi)[43] s’avère un jugement déterminant à cet égard puisque la Cour suprême procède à une analyse exégétique de la jurisprudence à cette date et des dispositions constitutionnelles.

[46]           Dans le Renvoi, elle décrit le préambule de la LC 1867 ainsi : « le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et, en particulier, sa référence à "une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni" constituent une "reconnaissance écrite" du principe de l’indépendance de la magistrature »[44].

[47]           La Cour enchaine en précisant[45] : 

L’indépendance de la magistrature est une norme non écrite, reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.  En fait, c’est dans le préambule, qui constitue le portail de l’édifice constitutionnel, que se trouve la véritable source de notre engagement envers ce principe fondamental.

[48]           Le Tribunal traite plus loin de l’analyse du préambule de la LC 1867 par la majorité de la Cour suprême dans l’affaire Toronto (Cité) c Ontario (PG)[46], qui, aux fins des présentes, ne change pas le résultat.

[49]           Dans le Renvoi, la Cour arrive à la conclusion que l’indépendance judiciaire comporte trois caractéristiques essentielles et deux dimensions.

[50]           Les trois caractéristiques sont l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative. Les deux dimensions sont l’indépendance individuelle d’un juge et l’indépendance institutionnelle ou collective de la cour à laquelle le juge appartient. Chacune des trois caractéristiques possède une dimension d’indépendance soit individuelle ou institutionnelle, ou les deux[47].

[51]           S’agissant de l’inamovibilité, les deux conditions de cette caractéristique exigent que le juge ne soit révoqué que pour un motif valable lié à sa capacité d’exercer les fonctions judiciaires, et ce, après une enquête judiciaire au cours de laquelle le juge visé a pleinement l’occasion de se faire entendre[48].

[52]           Pour ce qui est de l’indépendance administrative, il s’agit du pouvoir par la cour en tant qu’institution (on fait ici référence à la dimension d’indépendance institutionnelle), de prendre les décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l’exercice des fonctions judiciaires comme l’assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l’allocation de salles d’audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions[49].

[53]           Quant à la sécurité financière, le juge a le droit à un traitement prévu par la loi et qu’en aucune manière l’exécutif ne puisse empiéter sur ce droit de façon à affecter l’indépendance du juge[50].

[54]           La sécurité financière comporte à la fois une dimension individuelle et une dimension institutionnelle. Cette dernière constitue une garantie propre à l’indépendance institutionnelle des tribunaux judiciaires protégée par le préambule de la LC 1867. Celle-ci s’avère inextricablement liée à la séparation des pouvoirs puisqu’elle vise à mettre, sur le plan financier, les tribunaux judiciaires et leurs membres à l’abri de toute ingérence politique[51].

[55]           La sécurité financière institutionnelle comprend trois éléments[52] : 1) les traitements des juges peuvent être réduits, haussés ou bloqués mais, avant de les modifier ou bloquer, il faut appliquer un processus particulier administré par une commission indépendante, efficace et objective qui fait des recommandations quant à la rémunération des juges ; 2) est interdite toute négociation directe entre la magistrature et les deux autres branches de l’État quant à la rémunération des juges ; 3) les réductions des traitements des juges ne doivent pas avoir pour effet d’abaisser ces traitements sous le minimum requis par la charge de juge.

[56]           La norme ultime à appliquer à la question de savoir si les décideurs en question sont suffisamment indépendants est la perception de la personne raisonnable et bien renseignée[53]. Il importe de souligner que le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire existe à l’avantage du public, et non pas au bénéfice du décideur[54].

[57]           Bien que les parties s’entendent sur l’importance générale du Renvoi en matière d’indépendance judiciaire, le Procureur général du Québec (PGQ) met l’accent sur une distinction entre le présent dossier et le Renvoi pour atténuer la pertinence spécifique de ce dernier en l’espèce.

[58]           Il plaide que le Renvoi, tout comme l’affaire Ell concernant les juges de paix en Alberta[55], concerne les juges des cours provinciales. Le Renvoi implique donc la fonction des juges en lien avec les dossiers relatifs au pouvoir coercitif de l’État, c’est-à-dire les dossiers de droit criminel ou pénal. Dans ce contexte, il est alors nécessaire de maintenir l’ordre constitutionnel. Dans les dossiers de droit criminel ou pénal, la disposition à l’étude relativement à l’indépendance judiciaire est l’article 11(d) de la Charte canadienne. Cette disposition « protège l’indépendance d’un large éventail de tribunaux exerçant une juridiction sur les personnes faisant l’objet d’une inculpation »[56].

[59]           Or, les GS/RF ne traitent pas des dossiers criminels et pénaux, et leurs chefs de compétence n’impliquent pas la tâche de maintenir l’ordre constitutionnel, selon l’argument du PGQ. 

[60]           En revanche, les demandeurs, quant à eux, considèrent le Renvoi comme étant directement pertinent au présent dossier car, selon eux, le maintien de l’ordre constitutionnel ne constitue pas un enjeu uniquement en matière criminelle ou pénale, puisqu’il se manifeste dans tout dossier judiciaire, ce qui implique l’obligation de trancher de manière indépendantes et impartiale, que ces litiges relèvent ou non du pouvoir coercitif de l’État.

[61]           Qui plus est, soulignent les demandeurs, l’État demeure régulièrement une partie aux procédures en matière civile.

[62]           Quant à l’application de l’article 23 de la Charte québécoise, le PGQ convient que la disposition s’applique aux GS/RF dès lors que ces derniers exercent des fonctions de nature juridictionnelle. En conséquence, les justiciables qui comparaissent devant les GS/RF ont droit à une audition publique et impartiale de leur cause par un tribunal indépendant.

[63]           Toutefois, le PGQ cite la jurisprudence des cours d’appel provinciales et de la Cour suprême du Canada concernant les tribunaux administratifs et plaide que l’indépendance de ceux-ci, et de leurs membres, n’avait pas à être protégée par une garantie de sécurité financière institutionnelle[57]. Le PGQ établit donc une analogie entre les GS/RF, dans un premier temps, et les décideurs administratifs, dans un deuxième temps.

[64]           Pour leur part, les demandeurs invoquent la non-pertinence de cette jurisprudence puisque, selon eux, les GS/RF font partie de la branche judiciaire et donc ne peuvent être assimilés à des tribunaux administratifs, qui font partie de la branche exécutive. À l’appui de cette position, ils citent la jurisprudence de la Cour supérieure traitant directement des GS/RF qui confirme leur statut judiciaire[58].

[65]           La démarche du PGQ peut être qualifiée de « fonctionnelle » alors que celle des demandeurs est « institutionnelle ». Le Tribunal en traitera plus loin.

[66]           Finalement, les parties ne s’entendent pas sur la pertinence du régime législatif[59] et de la jurisprudence[60] concernant les offices potentiellement analogues ailleurs au Canada, par exemple les juges associés (« associate judges ») de l’Ontario (autrefois appelés protonotaires (« masters ») et les protonotaires chargés de la gestion des causes (« case management masters »)[61]), les juges suppléants (« deputy judges ») de l’Ontario, et les juges adjoints (autrefois appelés protonotaires) de la Cour fédérale.

[67]           Le PGQ considère que ces autres officiers de justice ont des pouvoirs distincts des GS, alors que les demandeurs soulignent les analogies entre les offices. Nous y reviendrons.

B.    Le véritable débat

[68]           Le Tribunal note d’abord le caractère circonscrit du débat entre les parties.

[69]           Le PGQ n’accepte pas les revendications faites par les demandeurs sur le plan de la sécurité financière, l’un des trois caractéristiques de l’indépendance judiciaire, comme nous l’avons vu auparavant. Il s’agit du point névralgique en l’instance.

[70]           La position générale des demandeurs mène inéluctablement à l’obligation, entre autres, incombant au législateur d’instaurer un processus de détermination de rémunération chapeauté par une commission indépendante, objective et efficace, tel que l’a conçu la Cour suprême dans le Renvoi[62].

[71]           Le PGQ s’oppose à cette obligation d’établir une commission de rémunération. C’est l’essentiel de sa contestation du présent recours.

[72]           Pour le reste, le PGQ ne conteste pas, à juste titre, les autres volets de revendication de l’indépendance judiciaire formulés par les demandeurs. Comme le Tribunal le décrit dans la section ci-dessous, il existe manifestement un problème d’ingérence par les gestionnaires dans le travail judiciaire des GS/RF, comme on peut le constater en lisant les déclarations sous serment des demandeurs déposées au dossier.

[73]           Cependant, le PGQ qualifie le problème comme relevant de la dimension individuelle de l’indépendance judiciaire alors que les demandeurs le qualifient comme relevant de la dimension institutionnelle. Le Tribunal revient sur cette distinction dans l’analyse ci-dessous.

[74]           Quoi qu’il en soit, le PGQ concède que le Tribunal fait des constatations sur le plan de l’ingérence dans le travail judiciaire des demandeurs et ensuite laisse au législateur le soin de trouver une solution au problème de la gestion des GS/RF. Problème sérieux, personne ne le conteste.

[75]           Le Tribunal souligne que les faits établissant l’ingérence dans le travail judiciaire des demandeurs sont sans précédent dans la jurisprudence sur l’indépendance judiciaire, que ce soit la jurisprudence du Québec ou des autres provinces. L’intensité du problème est telle qu’elle met en évidence la nécessité d’y remédier, et ce, non seulement par un remaniement de l’organigramme des lignes de subordination, mais aussi par une réforme du régime qui gouverne les questions de la sécurité financière et de l’inamovibilité.    

C.    L’ingérence dans le travail judiciaire des demandeurs

[76]           Bien que le PGQ ne conteste pas les volets de revendication de l’indépendance judiciaire formulés par les demandeurs qui ne relèvent pas de la sécurité financière, il demeure néanmoins nécessaire de passer en revue les faits pour comprendre le bien-fondé du recours entreprit.

[77]           Voici les exemples concernant le problème d’ingérence des gestionnaires dans le travail des demandeurs, de sorte qu’une personne raisonnable et bien renseignée percevra[63] que les GS/RF ne profitent pas de l’indépendance judiciaire nécessaire pour se décharger de leurs fonctions juridictionnelles. Il apparait manifeste que le régime actuel n’est pas soutenable du point de vue constitutionnel.

1.     Me Vasil Petrishki

[78]           Le demandeur Me Vasil Petrishki détient une maîtrise en droit de l’Université de Sofia en Bulgarie, un baccalauréat en droit civil de l’Université de Montréal et un diplôme de juris doctor en common law nord-américaine de l’Université de Montréal. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2013.

[79]           Depuis décembre 2013, il est RF de la Cour supérieure et depuis janvier 2014, il est GS de la Cour supérieure et de la Cour du Québec, principalement dans le district judiciaire d’Abitibi et occasionnellement dans les districts de Rouyn-Noranda et du Témiscamingue. Depuis 2020, il est GS de la Cour supérieure et de la Cour du Québec, et parfois RF de la Cour supérieure, dans le district de Beauharnois.

[80]           En 2018, le GS, principalement Me Petrishki, rend 92 % des jugements de la Cour du Québec, chambre civile, dans le district d’Abitibi. La même année, Me Petrishki rend 91 % des jugements de la Cour supérieure, chambre civile, dans le même district.

[81]           Toujours en 2018, il rend 99 % des jugements de la Cour supérieure, chambre commerciale, à titre de RF, et il rend 100 % de ces jugements pour les six premiers mois de 2019. Me Petrishki précise que la majorité de ces jugements sont rendus dans des dossiers contestés après une audience, la valeur du litige dans certains dossiers pouvant être de plusieurs millions de dollars et ces dossiers pouvant avoir des conséquences pour des dizaines ou des centaines d’employés[64].

[82]           Dans une fourchette chronologique plus large, entre le 7 janvier 2014 et le 25 septembre 2020, Me Petrishki rend la quasi-totalité des jugements de la Cour supérieure du district d’Abitibi :

  • Dans les matières de faillite et d’insolvabilité ;
  • Dans les matières non contentieuses de la compétence du GS (ouverture de régime de protection, homologation de mandat de protection, vérification de testaments olographes ou devant témoins, tutelle de mineur, administration de biens d’autrui, etc.).

[83]           Me Petrishki relate les incidents suivants survenus au fil des ans qui mettent en évidence l’absence d’indépendance judiciaire accordée aux GS :

83.1.       En février 2017, une fonctionnaire ayant le titre de directrice au sein du ministère de la Justice lui écrit et l’appelle afin de lui demander un conseil juridique alors que les conseillers juridiques du ministère de la Justice, les avocats et les notaires du gouvernement du Québec, sont en grève[65] ;

83.2.       En avril 2017, sa supérieure immédiate, qui porte le titre de directrice régionale du ministère de la Justice, lui demande de reporter, sans audience sur le fond, trois des quatre dossiers en matière de protection de la jeunesse qu’il devait entendre. Ce report avait pour effet la prolongation des mesures immédiates, ce qui favorisait le directeur de la protection de la jeunesse ;

83.3.       En février 2018, le ministère de la Justice le relève provisoirement de ses fonctions de GS de la Cour supérieure et de la Cour du Québec, et de RF de la Cour supérieure, sans l’assentiment des juges en chef respectifs, et ce, pour une période de 30 jours. Les détails de cette suspension de Me Petrishki se déclinent comme suit :

83.3.1.                      Le ministère le relève de ses fonctions en vertu de la législation applicable aux fonctionnaires, à la suite d’une plainte de la demanderesse dans le dossier Boyer c Légaré[66], dossier impliquant un recours d’une avocate devant la Cour du Québec, division des petites créances, contre son ancien client, pour honoraires impayés. Celle-ci choisit de ne pas intenter un pourvoi en contrôle judiciaire du jugement, comme le prévoit le Code de procédure civile pour la partie mécontente d’un jugement au sujet d’une petite créance[67] ;

83.3.2.                      La directrice générale associée des services judiciaires de la Capitale nationale et des régions du ministère de la Justice et la directrice régionale du ministère le convoque pour une rencontre lors de laquelle la première l’interroge sur le contenu de son jugement, incluant les motifs, l’analyse des faits et du droit, les conclusions du jugement. Elle exprime alors sa désapprobation à l’égard de certains éléments du jugement ;

83.3.3.                      En mars 2018, le ministère de la Justice le réintègre sans aucune autre explication et sans lui remettre une copie de la plainte dont le jugement rendu faisait l’objet ;

83.3.4.                      Me Petrishki conteste devant la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI)[68] le refus du ministère de lui remettre une copie de la plainte mais la CAI rejette sa plainte ;

83.3.5.                      Devant la CAI, le ministère justifie son refus en invoquant le caractère confidentiel des renseignements personnels sur un tiers contenus dans la plainte et le fait que leur divulgation serait susceptible de nuire à ce tiers sérieusement. Le ministère affirme devant la CAI qu’il a reçu la plainte dans le cadre d’une relation employeur-salarié et que la rencontre avec Me Petrishki avait pour objectif de s’assurer que ce dernier ait une juste compréhension de son rôle et d’aborder les préoccupations du ministère suite au jugement[69] ;

83.3.6.                      Pendant qu’il est relevé provisoirement des fonctions, la directrice régionale du ministère le dessaisi de certains dossiers pendant le délibéré et les envoie à un GS d’un autre district, contrairement au pouvoir exclusif accordé au juge en chef en vertu de l’article 324 Cpc de dessaisir le juge qui n’est pas en mesure de respecter un délai de délibéré ;

83.4.       En février 2020, l’adjoint exécutif de la directrice générale associée du ministère de la Justice demande aux GS de conseiller le Curateur public du Québec relativement aux formulaires d’évaluation psychosociale et d’évaluation médicale qui étaient en cours de conception par ce dernier. Or, le Curateur public est l’une des parties aux dossiers en matière de capacité qui sont soumis aux GS et il existait déjà un jugement de Me Petrishki commentant les formulaires précédents du Curateur public[70]. Donc, le décideur se trouvait alors mis en position de conseiller juridique, et ce, dans une matière qui lui est soumise pour adjudication de façon courante ;

83.5.       En février 2021, le ministère de la Justice demande à Me Petrishki de signer un document intitulé « Déclaration relative aux principes d’éthique et règles déontologiques », document qui identifie la personne qui le signera en tant que « fonctionnaire au sens des dispositions de l’article 1 de la Loi sur la fonction publique », et qui fait référence à un autre document, intitulé « Politique ministérielle sur l’éthique » ;

83.5.1.                      Cette « Politique ministérielle sur l’éthique », à son paragraphe 6.7.1, se lit comme suit : « Le membre du personnel du Ministère est tenu d’office d’être loyal et d’adhérer aux principes démocratiques qui régissent notre société. Il doit défendre les intérêts de son employeur et éviter de lui causer tort, par exemple en utilisant un langage ou un comportement inapproprié ou en divulguant des renseignements confidentiels »[71] ;

83.5.2.                      Or, rien dans les lois pertinentes n’exclut la possibilité qu’un GS tranche un litige impliquant le ministère de la Justice/Procureur général, ou le gouvernement du Québec plus généralement. Le justiciable dans le dossier qui s’oppose à ce dernier se trouvera donc devant un décideur qui est tenu de « défendre les intérêts » de la partie adverse ;

83.6.       Me Petrishki doit se soumettre à une évaluation d’employé menée par la personne en autorité immédiate, soit la directrice du Palais de justice situé à Salaberry-de-Valleyfield, dans le district de Beauharnois, aboutissant à l’élaboration d’un formulaire intitulé « Formulaire d’appréciation des contributions » qui prévoit les cotes d’appréciation « dépasse », « répond », « à améliorer » et « insatisfaisant » ;

83.7.       Le 24 mars 2021, celle-ci le convoque dans son bureau à une « rencontre statutaire » où ils abordent les sujets suivants :

83.7.1.                      Elle l’interroge sur ses délais à rendre jugement, et lui indique qu’elle considérait que l’appel du rôle de la Cour supérieure en matière civile qu’il préside « est trop long » et que radier d’office une inscription par défaut irrégulière en vertu de l’article 176 Cpc était une « mesure trop forte » ;

83.7.2.                      Elle lui montre un dossier de mandat de protection dans lequel il avait rendu jugement final[72] cinq jours auparavant, pour lequel le notaire impliqué se serait plaint auprès d’elle. Celle-ci décrit le notaire comme « notre client ou encore plutôt notre partenaire » et dit que le mot « grave », au paragraphe 45 du jugement pour décrire « les graves vices de procédure ayant porté atteinte au droit de Monsieur R… B… d’être entendu », était trop fort. Elle demande des explications et exerce une pression sur Me Petrishki pour qu’il modifie le jugement déjà rendu.

2.                  Me Charles Lussier

[84]           Le demandeur, Me Charles Lussier, détient un baccalauréat en droit, une maîtrise en administration des affaires et un certificat d’histoire de l’Université de Sherbrooke. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2009.

[85]           En avril 2010, il est nommé à titre de greffier adjoint de la Cour supérieure et de la Cour du Québec pour le district de Longueuil, et en juin 2010, il est nommé à titre de RF pour le même district.

[86]           En 2012, il est nommé GS de la Cour supérieure, toujours à Longueuil, et en 2014, il est nommé GS de la Cour supérieure et de la Cour du Québec pour tout le Québec, bien qu’il exerce ses fonctions principalement à Longueuil.

[87]           En vertu du régime actuel, sa gestionnaire occupe le poste de directrice régionale des services judiciaires de la Montérégie-Ouest et du Palais de justice de Longueuil. Me Lussier relate les incidents suivants survenus au fil des ans qui mettent en évidence l’absence d’indépendance judiciaire accordée aux GS :

87.1.       La directrice exige qu’un collègue assure le traitement d’un dossier à la place de Me Lussier à la suite d’un appel téléphonique d’une partie ;

87.2.       Elle remet en question la façon de Me Lussier de procéder aux interrogatoires des personnes visées dans les dossiers en matière non contentieuse ;

87.3.       Elle lui demande d’agir différemment quant à une directive interne d’un juge coordonnateur, et ce de façon contraire à l’interprétation de Me Lussier, et elle lui reproche alors de ne pas partager son point de vue ;

87.4.       Elle exige qu’on l’informe des rencontres des GS avec les juges coordonnateurs et d’y participer ;

87.5.       Durant l’état d’urgence sanitaire, elle demande à Me Lussier de justifier certains de ses jugements, à savoir s’ils étaient « permis » suivant les avis des juges coordonnateurs sur le traitement des dossiers urgents ;

87.6.       Elle a accès aux fichiers et dossiers informatiques des dossiers traités par les GS, incluant les discussions internes et les projets de jugement ;

87.7.       Elle exige que Me Lussier traite certains types, voire certains dossiers, en priorité par rapport à d’autres ;

87.8.       La directrice du greffe civil et des services à la population du Palais de justice de Longueuil lui dit qu’elle n’a pas l’intention de transmettre aux parties deux jugements qu’il venait de rendre[73], cet incident se déclinant comme suit :

87.8.1.                            Elle lui indique qu’il devrait faire face aux conséquences d’avoir rendu ces jugements s’il persistait, en invoquant le risque des recours en dommages contre le ministère de la Justice du Québec et le fait que les GS seraient pointés du doigt dans les médias. Les deux jugements ordonnaient cumulativement le transfert de 145 dossiers du district de Longueuil, qui ne serait pas le district compétent, vers d’autres districts judiciaires, qui seraient compétents, en matière de revendication de véhicules par une multitude de créanciers contre une pléthore de débiteurs ;

87.8.2.                            Elle lui indique que, selon elle, il n’avait pas compétence pour juger comme il l’avait fait et qu’il devrait modifier son jugement en conséquence. Lorsqu’elle apprend que le jugement est déjà inscrit au plumitif, elle exprime son souhait d’en voir la mention retirée. Cependant, l’avocat en demande avait déjà transmis une lettre au juge coordonnateur de la Cour du Québec ainsi qu’au greffe, indiquant qu’il avait constaté la mention au plumitif ;

87.8.3.                            En fin de compte, certaines parties demanderesses déposent une demande de révision de ces décisions (en vertu de la procédure de révision prévue à l’article 74 Cpc, comme il se doit), et les juges respectives de la Cour supérieure et de la Cour du Québec révisent et annulent les décisions de Me Lussier[74].

3.                  Me Robert Tremblay-Paquin

[88]           Le demandeur, Me Robert Tremblay-Paquin, détient un baccalauréat en droit de l’Université Laval et il est membre du Barreau du Québec depuis 1997.

[89]           De 2002 à 2006, il a agi en tant que GS et RF dans le district de Roberval, et au fil du temps, il a fait l’objet de nominations additionnelles pour agir à titre de GS et de RF pour des districts voisins, comme ceux d’Abitibi, d’Alma et de Chicoutimi.

[90]           En 2014, il est nommé GS de la Cour supérieure et de la Cour du Québec pour tous les districts du Québec, et depuis 2017, il exerce ses fonctions de GS/RF principalement dans le district de Chicoutimi, sauf pour une période d’un an et demi en 2015-2016 pendant laquelle il quitte le ministère de la Justice pour occuper le poste de juge administratif à la Commission d’accès à l’information.

[91]           Il relate les incidents suivants survenus en 2017, qui mettent en évidence l’absence d’indépendance judiciaire accordée aux GS :

91.1.       Le 22 février 2017, agissant à titre de GS de la Cour du Québec, il rend un jugement par défaut accueillant en partie l’action en recouvrement d’une créance et rejetant l’octroi de certains dommages ;

91.2.       La partie demanderesse, Équipement Sigma inc (Sigma), insatisfaite du rejet de certains dommages, lui demande de rectifier son jugement en vertu de l’article 338 Cpc, mais ce dernier refuse cette demande par le biais d’une lettre du 9 mars 2017 ;

91.3.       Le 16 mars 2017, Sigma dépose à la Cour supérieure un pourvoi en contrôle judiciaire demandant l’annulation du jugement du 22 février et le renvoi du dossier à un juge de la Cour du Québec, ainsi qu’une demande en jugement déclaratoire pour faire déclarer Me Tremblay-Paquin inhabile, pour cause de partialité, à juger des procédures intentées par l’entreprise tant devant la Cour supérieure que devant la Cour du Québec ;

91.4.       Selon les allégations du pourvoi, Me Tremblay-Paquin aurait répondu à la demande de rectification « par une lettre au ton très personnel dans laquelle il s’est permis des commentaires déplacés en y ajoutant une attaque personnelle vitriolique et injuste de la réputation de l’avocate de la demanderesse »[75] et, de ce fait, il existerait un risque de partialité dans le traitement des demandes impliquant la même partie à l’avenir ;

91.5.       Toujours en mars 2017, alors que Sigma dépose trois nouvelles demandes d’inscription pour jugement par défaut, l’avocate de cette dernière transmet à Me Tremblay-Paquin une lettre lui demandant d’acheminer les inscriptions à l’un des juges de la Cour en raison du dépôt du pourvoi à son encontre ;

91.6.       Bien que Me Tremblay-Paquin fût d’avis que le pourvoi à la Cour supérieure ne l’empêchait pas de disposer des dossiers, il convient avec son gestionnaire de remettre dans l’intervalle les dossiers à un autre GS plutôt que de les acheminer aux juges de la Cour du Québec ;

91.7.       Le 12 mai 2017, les avocats de Sigma lui envoient une lettre lui proposant de retirer du dossier de la Cour du Québec la lettre du 9 mars soutenant sa décision de ne pas rectifier le jugement du 22 février afin d’établir la résolution du conflit et de dissiper les doutes sur son impartialité ;

91.8.       La gestionnaire de Me Tremblay-Paquin de l’époque lui suggère de donner suite à cette proposition, entrevoyant une façon de régler le pourvoi ;

91.9.       Il refuse de retirer sa lettre du 9 mars, mais dans les jours qui suivent, son gestionnaire insiste à nouveau pour qu’il retire sa lettre du dossier et lui fait comprendre que la proposition émanait de sa patronne, la sous-ministre de l’époque ;

91.10.  Lorsque Me Tremblay-Paquin demande à son gestionnaire de lui exprimer par écrit son exigence de voir retirée du dossier la lettre du 9 mars, ce dernier refuse, linvitant à comprendre le tout à demi-mot ;

91.11.  Me Tremblay-Paquin clôt la discussion en exprimant à son gestionnaire qu’il ressentait une pression comme officier de justice pour le contraindre dans sa liberté à rendre jugement selon son âme et conscience et une attaque contre son indépendance ;

91.12.  Le 23 mai 2017, Me Tremblay-Paquin répond par lettre aux avocats de Sigma, avec copie conforme à l’avocate du PGQ, intervenue dans le pourvoi à la Cour supérieure pour contester la demande de jugement déclaratoire, pour annoncer son refus de retirer sa lettre du 9 mars, considérant que cette lettre étayait la décision d’un officier de justice, en niant toute rancœur à l’endroit des avocats ou des parties impliquées ;

91.13.  En fin de compte, cette Cour rejette point par point le pourvoi en contrôle judiciaire et la demande en jugement déclaratoire de Sigma, notant au passage que Sigma ne s’est pas prévalue des « mécanismes habituels qui s’appliquent lorsque l’on est insatisfait d’un jugement, c’est-à-dire l’appel à la Cour d’appel, dans un cas comme celui-ci, avec la permission de cette dernière »[76].

4.                  Me Caroline Pelletier

[92]           La demanderesse, Me Caroline Pelletier, détient un baccalauréat en droit de l’Université Laval et un certificat de deuxième cycle en gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est membre du Barreau du Québec depuis 1996.

[93]           En 2003, elle est nommée GS et RF de la Cour supérieure pour les districts de Saint-Maurice et de Trois-Rivières, et en 2008, comme GS de la Cour du Québec pour ces mêmes districts.

[94]           De mai 2014 à août 2015, elle occupe le poste de directrice des greffes par intérim du Palais de justice de Trois-Rivières et entre mars 2017 et octobre 2017, elle travaille au Bureau d’aide juridique de la Mauricie à titre d’avocate et directrice des bureaux de Shawinigan et de La Tuque.

[95]           Depuis octobre 2017, Me Pelletier exerce ses fonctions de GS/RF de la Cour supérieure et GS de la Cour du Québec principalement dans le district de Trois-Rivières, tout en effectuant des remplacements dans les districts de Saint-Maurice et d’Arthabaska.

[96]           Depuis 2012, elle prépare et diffuse de la formation à tous les employés de la Direction des services judiciaires sur des sujets variés tels que la protection de la jeunesse, la rédaction aux petites créances, le tarif des témoins et des jurés et les autorisations judiciaires.

[97]           Me Pelletier relate les incidents suivants qui mettent en évidence l’absence d’indépendance judiciaire accordée aux GS :

97.1.       Un gestionnaire lui demande de procéder à l’interrogatoire des personnes concernées par une demande en ouverture de régime de protection ou d’homologation de mandat au Palais de justice plutôt que d’user de sa discrétion pour se déplacer lorsque la personne concernée n’est pas mobile en raison de son état de santé, de sa vulnérabilité ou de son isolement ;

97.2.       Un gestionnaire refuse qu’elle entende une demande urgente en prolongation des mesures de protection immédiate en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse parce que l’original n’avait pas été déposé au greffe alors qu’elle aurait accepté de le faire en raison de l’urgence. 

 

5.                  Résumé de l’ingérence dans le travail judiciaire des demandeurs

[98]           Le PGQ ne conteste pas les faits relatés par les demandeurs, bien que le gouvernement du Québec n’ait pas entrepris de démarches pour corriger la situation malgré les soucis soulevés par les demandeurs, et d’autres GS/RF, quant aux problèmes d’absence d’indépendance judiciaire au fil des ans.

[99]           Les demandeurs précisent que les incidents relatés ne visent pas à critiquer les gestionnaires impliqués mais plutôt à décrire une réalité systémique non conforme aux exigences de l’indépendance judiciaire.

[100]       Cette réalité systémique résulte du fait que les articles 37 à 41 de la Loi sur la fonction publique[77] prévoient que l’organisation du travail des fonctionnaires, les GS/RF en l’espèce, est régie par le sous-ministre responsable des tâches du fonctionnaire, ou par le supérieur hiérarchique qu’il désigne.

[101]       Cette réalité systémique est aussi encadrée par le fait que la convention collective qui régit la relation de travail entre les GS/RF et leurs gestionnaires prévoit la possibilité de mesures disciplinaires[78] contre ces officiers de justice, et ce, sans aucune implication du juge en chef, malgré le rôle de ce dernier dans le processus de nomination des GS/RF.

[102]       Les demandeurs ont raison de préciser la réalité systémique et de déculpabiliser les personnes occupant les postes de gestion. Le Tribunal ajoute à cet égard que la structure actuelle dans laquelle les deux groupes se trouvent, soit les GS/RF et leurs gestionnaires, fait en sorte que le comportement relaté ci-dessus va naturellement se manifester.

[103]       Par exemple, si l’on confie aux gestionnaires la tâche de remettre en question, dans le cadre du processus de l’évaluation continue des employés[79], les décisions judiciaires prises par les GS, les gestionnaires s’acquitteront de leurs responsabilités.

[104]       Le caractère problématique du comportement individuel est tributaire du caractère problématique de la structure actuelle. Si la structure change selon les exigences de l’indépendance judiciaire, le comportement individuel des gestionnaires changera aussi.

[105]       En résumé, le Tribunal considère que la preuve est éloquente et que les incidents relatés par les demandeurs permettent au Tribunal d’arriver à la conclusion que le régime statutaire actuel régissant les GS/RF viole l’indépendance judiciaire.

[106]       Le Tribunal retient de la preuve que les gestionnaires se sentent libres de critiquer les jugements des GS alors que le législateur prévoit dans le Code de procédure civile des voies de contestation des jugements parfaitement accessibles aux justiciables, à savoir : l’appel à la Cour d’appel, le pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure ou la révision par un juge de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec.

[107]       En outre, les gestionnaires se sentent à l’aise, voire dans l’obligation, de dire aux demandeurs comment prendre leurs décisions, en amont de celle-ci. Cela constitue une forme de processus décisionnel obscur alors que le législateur ne prévoit pour personne pareil rôle dans les décisions que doivent prendre les GS dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées.

[108]       La personne raisonnable et bien renseignée qui lit les dispositions statutaires énonçant les fonctions juridictionnelles des GS aura raison de penser que seul le GS décide alors qu’en réalité, le gestionnaire y participe parfois et tente de dicter la décision, et il réussit parfois. L’analyse du contenu de l’indépendance judiciaire, ci-dessous, doit prendre en compte cette réalité.

[109]       Le Tribunal conclut que le comportement problématique des gestionnaires, décelable à travers l’expérience des demandeurs, résulte de l’absence d’énoncé clair et concis du rôle judiciaire des GS et de la protection de l’indépendance judiciaire qui encadre leur travail.

[110]       Il apparait clair que le problème se situe sur le plan institutionnel, comme l’affirment les demandeurs, et non seulement sur le plan individuel et fonctionnel, comme le soutien le PGQ.

D.    Le contenu de l’indépendance judiciaire concernant les GS/RF

[111]       Bien que le Tribunal fasse ci-dessus le survol des trois caractéristiques de l’indépendance judiciaire, l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative, en se référant au Renvoi[80], les tendances à l’ingérence que révèle la trame factuelle en l’instance touchent non seulement ces caractéristiques (vu la suspension de Me Petrishki, par exemple), mais de façon encore plus importante, elles touchent à l’indépendance décisionnelle en tant que telle, et donc à l’essence même de l’indépendance judiciaire.

[112]       Dans le Renvoi, la Cour suprême identifie les trois caractéristiques pour protéger l’indépendance décisionnelle, mais dans le présent dossier, c’est cette indépendance qui s’avère compromise directement par les tendances à l’ingérence dans le processus décisionnel des demandeurs.

[113]       Dans l’affaire Valente, la Cour suprême distingue « l’indépendance en matière de décisions et l’indépendance en matière d’administration »[81], et dans l’affaire Beauregard c Canada[82], elle définit l’indépendance décisionnelle des juges en ces termes :

Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l'essentiel du principe de l'indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises: personne de l'extérieurque ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre jugene doit intervenir en fait, ou tenter d'intervenir, dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision. Cet élément essentiel continue d'être au centre du principe de l'indépendance judiciaire.

[notre soulignement]

[114]       Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal conclut que dans la perception d’une personne raisonnable et bien renseignée, les GS/RF ne bénéficient pas des garanties adéquates de l’indépendance judiciaire, tant pour ce qui est de l’indépendance décisionnelle que pour les caractéristiques de la sécurité financière, de l’inamovibilité et de l’indépendance administrative, et ce, tant dans la dimension institutionnelle qu’individuelle de l’indépendance judiciaire.

1. La jurisprudence québécoise concernant les GS/RF

[115]       La jurisprudence québécoise concernant les GS/RF établit déjà qu’ils exercent des fonctions judiciaires et que certaines garanties constitutionnelles de l’indépendance judiciaire se rattachent donc à ces fonctions. Il est utile de rappeler cette jurisprudence et de bâtir sur le fondement de celle-ci.

[116]       Dans le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Pellerin c Québec (ministre de la Justice) en 1995[83], l’honorable Jean Crépeau déclare que la sous-ministre associée de la Justice ne pouvait, sans le consentement du juge en chef, abolir un poste de RF et mettre en disponibilité le RF sénior, Me Pierre Pellerin. Le poste était aboli en raison de coupures budgétaires.

[117]       Le juge Crépeau fonde son jugement sur l’article 11(d) de la Charte canadienne et sur le principe de l’indépendance administrative élaboré par la Cour suprême dans Valente[84] pour conclure que : 1) les RF sont des officiers de justice qui jouissent de pouvoirs presque aussi étendus que ceux des juges présidant en matière de faillite; 2) il n’appartient pas à l’Administration de décider, sans consultation ni coopération du pouvoir judiciaire, du nombre de registraires requis pour l’administration des affaires de la Cour supérieure; 3) aucun des pouvoirs exécutifs ou judiciaires ne peut agir dans ce domaine unilatéralement[85].

[118]       Dans le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Gill c Québec (ministre de la Justice)[86], toujours en 1995, l’honorable Nicole Duval Hesler, alors qu’elle était juge à la Cour supérieure, conclut que la greffière spéciale, Me Nicole Gill, ne pouvait pas être destituée de ses fonctions par le ministère de la Justice et mise en disponibilité, le tout en raison de coupures budgétaires, sans un arrêté du ministre de la Justice et l’assentiment du juge en chef de la Cour supérieure.

[119]       La juge Duval Hesler souligne le statut des GS, notant qu’ils ont le pouvoir de rendre des jugements exécutoires et que, selon la disposition pertinente du Code de procédure civile à l’époque, ils exercent leurs attributions pour le tribunal. Leurs décisions « sont revêtues de la même autorité que celles d’un/e juge de la Cour supérieure du Québec »[87].

[120]       La juge Duval Hesler conclut donc que les fonctions des GS « comportent, de façon inhérente, des garanties de neutralité et d’indépendance »[88]. Selon elle, les garanties d’inamovibilité sont mises en évidence par l’exigence statutaire voulant que la nomination des GS se fasse par un arrêté ministériel jumelé à l’assentiment du juge en chef[89]. De façon plus générale, elle observe que les GS « jouissent d’un statut qui leur est propre et qui excède celui que leur confère la Loi sur la fonction publique »[90].

[121]       Tout comme le juge Pellerin, la juge Duval Hesler fait référence aussi à l’affaire Valente pour noter que l’indépendance judiciaire comprend le contrôle judiciaire sur l’administration de la Cour, et que l’assentiment du juge en chef était donc nécessaire avant de pouvoir destituer la GS de ses fonctions[91].

[122]       Le dernier volet de ce jugement concerne le rôle de conseiller juridique du ministère que le remplaçant de Me Gill exercerait, outre ses fonctions de GS. La juge Duval Hesler, en mentionnant le lien entre les principes d’indépendance et d’impartialité, conclut qu’il y avait violation des deux principes si le GS est également conseiller juridique au sein du ministère de la Justice alors que ses fonctions juridictionnelles pouvaient l’amener à trancher des questions de droit impliquant un organisme de l’État[92].

[123]       Les jugements Pellerin et Gill sont pertinents pour le présent dossier puisque la Cour supérieure confirme l’application des garanties constitutionnelles de l’indépendance judiciaire aux GS/RF et, plus particulièrement, ils touchent à la question de la validité constitutionnelle du rôle de conseiller juridique du GS et du pouvoir du gestionnaire de suspendre unilatéralement un GS/RF pour une décision judiciaire que ce dernier aurait prise, les deux situations factuelles ayant été présentées par les demandeurs.

[124]       Le troisième jugement clé de la Cour supérieure arrive en 2022, soit l’affaire 9250-4646 Québec inc c Procureur général du Québec[93], dans lequel l’honorable Mark Phillips confirme que l’immunité qui protège les juges contre les recours en dommage intentés par les parties mécontentes du résultat de leur litige s’étend aux GS.

[125]       Dans l’affaire 9250, le GS rend trois jugements concernant la collocation en lien avec des immeubles vendus pour défaut de paiement de taxes[94]. Le GS omet la créance hypothécaire de 9250 et, par conséquent, cette société ne reçoit rien et sa créance de 710 000 $ demeure impayée.

[126]       La société 9250 poursuit le PGQ, alléguant que le GS est un employé de l’État et que le PGQ doit donc répondre de sa prétendue faute[95]. Notons qu’elle ne conteste pas la collocation, ni ne demande-t-elle la rectification ou la rétractation du jugement, ni ne porte-t-elle le jugement en appel. Pourtant tous des moyens recevables à l’encontre du jugement[96].

[127]       Le juge Phillips accueille le moyen d’irrecevabilité du PGQ en concluant que le GS bénéficie de l’immunité judiciaire. Dans son raisonnement, il cite comme « point de départ » le fait qu’un ancien principe de la common law dicte que les juges de la Cour supérieure bénéficient de l’immunité[97], et ce, pour protéger le public « en lui offrant une magistrature qui demeure libre de décider sans avoir à se soucier d’éventuelles conséquences pour elle-même sur le plan de la responsabilité civile »[98]. Un principe connexe confère l’immunité à « l’agent public qui, sans être juge, exerce des pouvoirs quasi judiciaires »[99].

[128]       Notons que le législateur québécois confirme le principe d’immunité judiciaire dans le Code de procédure civile en affirmant que les « tribunaux et les juges bénéficient de l’immunité judiciaire »[100].

[129]       Le juge Phillips conjugue ce principe au fait que, selon l’article 70 Cpc, les GS exercent les fonctions juridictionnelles que la loi leur attribue et que dans ces matières, ils sont investis des pouvoirs du juge et du tribunal. Par conséquent, les GS bénéficient de l’immunité judiciaire.

[130]       Le juge Phillips termine son analyse en citant les commentaires de la ministre de la Justice par rapport à l’article 70 Cpc, qui vont explicitement dans le même sens, soit de confirmer que les GS bénéficient de l’immunité lorsqu’ils exercent les pouvoirs du juge et du tribunal[101].

[131]       Par ailleurs, selon ces mêmes commentaires de la ministre, le Tribunal note que les GS sont « tenus au même devoir d’impartialité et à celui de toujours agir dans le meilleur intérêt de la justice »[102].

[132]       L’importance du jugement 9250 tient au fait que le PGQ prend alors une position dans le contexte d’un litige, en soutenant que les GS exercent des fonctions judiciaires et bénéficient donc de l’immunité judiciaire qui se rattache à ces fonctions. La position était évidemment fondée et elle vient appuyer dans le présent dossier la position des demandeurs selon laquelle les GS/RF exercent des fonctions judiciaires et doivent bénéficier de toutes les caractéristiques de l’indépendance judiciaire.

2. Conclusion sur les fonctions judiciaires des GS/RF

[133]       À l’instar de la trilogie de jugements examinés ci-dessus, le Tribunal conclut que les GS/RF exercent des fonctions judiciaires et que, à cet égard, la protection constitutionnelle de l’indépendance judiciaire se rattache à ce travail. Cette protection constitutionnelle découle du préambule de la LC 1867 et de l’article 23 de la Charte québécoise, une loi quasi-constitutionnelle.

[134]       Dans le contexte de cette protection constitutionnelle, le Tribunal conclut que le fait de ne pas inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite dans un cadre législatif prévoyant la sauvegarde de l’indépendance judiciaire est contraire à l’article 23 de la Charte québécoise, tel que cet article doit être interprété selon le principe de l’indépendance judiciaire enchâssé dans le préambule de la LC 1867.

[135]       Il convient maintenant d’aborder ici le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Toronto où la majorité conclut que les principes non écrits, et plus particulièrement le principe constitutionnel non écrit de la démocratie, ne peuvent servir à titre de fondement indépendant pour invalider des mesures législative[103].

[136]       Ce jugement, bien qu’important pour l’interprétation du préambule et de son rôle comme assise pour l’indépendance judiciaire[104], ne change pas le résultat du raisonnement du Tribunal dans le présent dossier, et ce, parce que le Tribunal n’invalide pas une disposition statutaire en particulier. Il ne traite pas non plus du principe non écrit de la démocratie mais plutôt du principe de l’indépendance judiciaire.

[137]       Le Tribunal déclare que le principe de l’indépendance judiciaire s’applique aux fonctions judiciaires des GS/RF et il déclare constitutionnellement invalide non pas une disposition législative mais plutôt l’omission législative de sauvegarder l’indépendance judiciaire des GS/RF.

[138]       Cette déclaration se base sur l’article 23 de la Charte québécoise, qui protège explicitement le principe, et elle se base sur le principe non écrit de l’indépendance judicaire enchâssé dans le préambule de la LC 1867. Le Tribunal traite dans la section E ci-dessous de l’analyse de l’article 23 de la Charte québécoise par la Cour d’appel dans l’arrêt Québec (PG) c Barreau de Montréal[105].

[139]       De plus, comme le Tribunal le précise ci-dessus, le litige ne porte pas sur l’application de l’indépendance judiciaire de façon générale, mais plutôt sur son étendue de sorte que, selon le PGQ, l’application des principes n’exige pas un niveau de sécurité financière qui mène à l’établissement d’une commission de rémunération, comme le conçoit la Cour suprême[106].

[140]       En d’autres mots, le PGQ conteste la pertinence du préambule de la LC 1867 et de l’article 23 de la Charte québécoise uniquement dans la mesure où le législateur serait obligé d’établir une commission qui ferait des recommandations sur la rémunération des GS/RF. Le Tribunal revient sur ce point concernant la sécurité financière dans une section distincte ci-dessous.

[141]       Vu la preuve, le PGQ ne conteste pas, à juste titre, les volets du pourvoi concernant la violation de l’indépendance décisionnelle, de la garantie d’inamovibilité, de l’indépendance administrative et de l’apparence d’impartialité. Cependant, il les considère comme des problèmes sur le plan individuel plutôt que sur le plan institutionnel, et il demande au Tribunal de faire les constatations nécessaires et ensuite de laisser au législateur ou à la branche exécutive le soin de trouver les solutions qui s’imposent.

[142]       Le Tribunal les considère comme des problèmes autant sur le plan institutionnel qu’individuel. La Cour suprême précise dans le Renvoi que les trois caractéristiques de l’indépendance judiciaire, soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative, peuvent avoir une dimension individuelle ou institutionnelle, ou les deux simultanément[107].

[143]       Elle précise que la sécurité financière possède à la fois une dimension individuelle et une dimension institutionnelle, alors que l’inamovibilité peut avoir une dimension institutionnelle en plus de sa dimension individuelle de base, et l’indépendance administrative ne s’attache qu’à la dimension institutionnelle puisqu’elle s’attache à la cour en tant qu’institution, bien qu’elle puisse être exercée par le juge en chef de la cour visée[108].

[144]       Toujours en lien avec l’argument du PGQ concernant l’importance de la dimension individuelle plutôt que la dimension institutionnelle, le Tribunal souligne que les incidents relatés par les demandeurs impliquent non seulement la dimension individuelle des caractéristiques de l’indépendance judiciaire, mais aussi la dimension institutionnelle.

[145]       Il n’est pas possible de comprendre autrement ces faits : ce sont les GS/RF dans leur ensemble, en tant quinstitution comme officiers de justice, qui subissent les conséquences d’un régime législatif qui les considère comme faisant partie de la fonction publique comme tout autre fonctionnaire, sans égard à leur rôle judiciaire.

[146]       Or, quand les GS/RF exercent leurs fonctions juridictionnelles, ils agissent à titre d’officiers de justice faisant partie de la magistrature et non comme membre de la branche exécutive. Comme l’explicite la Cour suprême : « il n’en demeure pas moins que, même s’ils sont en bout de ligne payés sur les fonds publics, les juges ne sont pas des fonctionnaires de l’État. Les fonctionnaires font partie du pouvoir exécutif; les juges, par définition, sont indépendants de l’exécutif »[109].

[147]       L’indépendance décisionnelle des GS/RF s’avère compromise par le régime législatif de relation de travail qui permet aux gestionnaires de la branche exécutive de s’immiscer dans le processus décisionnel des GS/RF. La garantie d’inamovibilité est compromise par ce régime qui permet la suspension et le congédiement des GS/RF par les gestionnaires sans l’intervention du juge en chef, alors que c’est avec l’assentiment de ce dernier que les GS sont nommés et c’est lui qui nomme les RF. L’indépendance administrative de la Cour supérieure et de la Cour du Québec est compromise par le fait que la branche exécutive peut s’immiscer dans l’assignation des GS/RF aux causes.

[148]       Le Tribunal tient pour acquis que le législateur et la branche exécutive effectueront les modifications nécessaires pour rendre conforme aux principes de l’indépendance décisionnelle, de l’inamovibilité et de l’indépendance administrative le régime législatif qui régit les GS/RF quant au contenu et à la gestion de leur travail.

[149]       Le PGQ conteste particulièrement le volet du pourvoi concernant la violation de la sécurité financière. Le Tribunal abordera cette question dans une section distincte.

3. Les offices analogues dans les autres provinces et à la Cour fédérale

[150]       Les parties ne s’entendent pas sur la pertinence des offices analogues dans les autres provinces et à la Cour fédérale.

[151]       Les demandeurs citent les exemples de ces offices afin de démontrer les protections accordées à ces officiers de justice[110], surtout sur le plan de la sécurité financière.

[152]       Pour sa part, le PGQ conteste la pertinence de ces exemples en invoquant le fait que les compétences respectives des GS au Québec et de ces autres officiers ne sont pas nécessairement identiques. En outre, le fait que d’autres législateurs ou gouvernements concèdent que l’exigence de la sécurité financière s’applique de façon plus serrée et qu’il y avait lieu de prévoir une commission de rémunération pour faire des recommandations quant au salaire des officiers de justice ne lie ni le législateur ni le gouvernement québécois.

[153]       Le Tribunal convient que, dans la mesure où il y a une concession dans les autres juridictions quant à l’étendue de la garantie de la sécurité financière d’un officier de justice, cela ne contribue en rien à l’analyse du Tribunal. La concession n’équivaut pas à une autorité juridique.

[154]       Notons que, dans l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans Ontario Deputy Judges Association[111], le Procureur général de l’Ontario (PGO) contestait la demande de l’association des juges suppléants (« deputy judges ») revendiquant le droit à une commission de rémunération indépendante, bien que le PGO reconnaissait que l’indépendance judiciaire s’appliquait de façon générale aux juges suppléants[112].

[155]       Les juges suppléants président à la Cour des petites créances, agissant en tant que suppléants des juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans le rôle de ces derniers en tant que juges de la Cour des petites créances.

[156]       La Cour d’appel de l’Ontario rejette la position du PGO selon laquelle l’adoption des règlements par le conseil des ministres, sur recommandation du ministre de la Justice, pour fixer la rémunération des juges suppléants, serait conforme au principe constitutionnel de la sécurité financière des juges.

[157]       Tout comme l’argument présenté en l’instance concernant les compétences limitées des GS/RF, le PGO arguait que la Cour des petites créances avait une compétence limitée, et aucune compétence en matière criminelle, et que l’article 11(d) de la Charte canadienne n’était donc pas applicable. Le PGO citait aussi le fait que les juges suppléants siégeaient, à l’époque, à temps partiel.

[158]       Ces arguments ne convainquent pas la Cour d’appel de l’Ontario, qui conclut que « the force of the rationale being the institutional dimension of financial security is not diminished by the fact emphasized by the AG, that Deputy Judges sit on a part-time basis and have limited jurisdiction. Deputy Judges, who preside in the busiest court in Ontario, are an integral part of the justice system »[113].

[159]       Quant au fait que les juges suppléants n’entendent pas des dossiers criminels et que le rôle de la Cour des petites créances est plus limité dans la structure constitutionnelle canadienne que les rôles des cours supérieures et provinciales, elle énonce : « that role is important in protecting the rule of law, preserving the democratic process, protecting the values of the Constitution and maintaining public confidence in the administration of justice »[114].

[160]       Quant à la perception des justiciables, la Cour d’appel de l’Ontario conclut que, pour ces justiciables, « there is no apparent reason to distinguish between the Deputy Judge presiding over their case and a judge of the former Provincial Court (Civil Division). The protection of both types of judges is equally important in order to preserve public confidence in the system »[115].

[161]       Enfin, elle applique les enseignements de la Cour suprême dans laffaire Valente et le Renvoi[116], en concluant que le processus qui fixe la rémunération des juges suppléants par règlement n’était ni indépendant, ni objectif, ni efficace[117]. La Cour donne un délai de quatre mois au PGO pour instaurer un processus conforme aux exigences constitutionnelles.

[162]       Les énoncés de la Cour d’appel de l’Ontario s’avèrent tout à fait applicable à notre affaire.

E.                 La sécurité financière des GS/RF

[163]       Ce jugement de la Cour d’appel de l’Ontario sert de tremplin pour aborder la question de la sécurité financière des GS/RF, qui constitue le point crucial du débat entre les demandeurs et le PGQ.

[164]       Si les juges suppléants de la Cour des petites créances de l’Ontario bénéficient d’un processus de rémunération régi par une commission, le Tribunal conclut que la garantie de la sécurité financière, l’une des caractéristiques de l’indépendance judiciaire, exige que les GS/RF bénéficient d’un processus semblable, eux qui exercent des fonctions qui incluent les fonctions judiciaires des juges de la Cour supérieure et de la Cour du Québec.

[165]       Rappelons que dans le Renvoi, la Cour suprême décline trois éléments de la sécurité financière judiciaire[118] : 1) interdiction de modification ou de blocage des traitements sans obtenir les recommandations d’une commission indépendante, efficace et objective; 2) interdiction de négociation directe entre la magistrature et les deux autres branches de l’État sur la rémunération des juges ; 3) interdiction de réductions des traitements des juges qui ont pour effet d’abaisser ces traitements sous le minimum requis par la charge de juge.

[166]       Ces éléments d’interdiction existent pour sauvegarder l’un des objectifs clés de la sécurité financière : « faire en sorte que les tribunaux soient à l’abri de l’ingérence politique exercée par le biais de la manipulation financière et qu’ils soient perçus comme tel »[119].

[167]       Le PGQ accepte le principe mais argue que les trois éléments de la sécurité financière ne s’appliquent pas puisque le pouvoir coercitif étatique ou la nécessité de la préservation de la structure fondamentale de la Constitution canadienne ne sont pas présents dans les dossiers présidés par les GS/RF. Par conséquent, le préambule de la LC 1867 ne s’appliquerait pas de façon à enclencher l’obligation incombant au législateur d’instaurer une commission de rémunération.

[168]       Selon le PGQ, les jugements de la Cour suprême dans le Renvoi et dans l’affaire Ell[120] concernent des décideurs qui président des dossiers criminels ou pénaux : les juges des cours provinciales à travers le pays dans le premier et les juges de paix de l’Alberta dans le deuxième. Pour le PGQ, voilà la différence essentielle qui empêche l’application maximale de la garantie de la sécurité financière aux GS/RF.

[169]       Dans l’affaire Ell, la Cour suprême tranche la question de l’inamovibilité des juges de paix de l’Alberta dans le contexte d’une nouvelle loi provinciale prévoyant la destitution de ces juges qui n’avaient pas les qualifications fixées par un conseil de la magistrature indépendant.

[170]       La Cour suprême conclut que l’indépendance judiciaire s’appliquait à l’office des juges de paix[121] mais que la destitution potentielle prévue à la nouvelle loi ne violait pas l’inamovibilité de ces juges puisque la destitution en l’espèce n’était pas arbitraire ou discrétionnaire. Le conseil de la magistrature indépendant était plutôt conçu pour maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice et un pouvoir judiciaire fort et indépendant, capable de faire respecter la primauté du droit et les valeurs de la Constitution[122]. Il n’y avait donc pas d’atteinte à l’indépendance judiciaire.

[171]       Bien que la Cour suprême dans Ell traite de la question de l’inamovibilité alors qu’il est question ici de l’application d’une autre caractéristique de l’indépendance judiciaire, soit la sécurité financière, le PGQ invite le Tribunal à adopter la même démarche que la Cour suprême : 1) déterminer, comme première question, si l’indépendance judiciaire s’applique à l’office des GS/RF, eu égard à leurs fonctions[123]; 2) déterminer l’étendue des caractéristiques de l’indépendance judiciaire selon une échelle mobile qui prend en compte la compétence et le rôle des GS/RF dans le système judiciaire[124].

[172]       Comme le Tribunal détermine que l’indépendance judiciaire s’applique aux GS/RF, dans le contexte de leurs fonctions juridictionnelles et puisque le PGQ souligne l’importance de chaque élément du raisonnement de la Cour suprême dans Ell pour mettre en doute l’application de l’indépendance judiciaire aux GS/RF, du moins en ce qui concerne la sécurité financière, le Tribunal croit nécessaire d’analyser les raisons d’être que la Cour énonce dans Ell pour déterminer si l’indépendance judiciaire s’applique.

[173]       Pour ce faire, elle décline trois raisons d’être pour déterminer si l’indépendance judiciaire s’applique au décideur en question : 1) l’impartialité dans la prise de décisions; 2) le maintien de l’ordre constitutionnel; 3) la confiance du public dans l’administration de la justice[125].

[174]       Le PGQ plaide que la deuxième raison d’être ne s’applique pas puisque les GS/RF ne traitent pas dans l’exercice de leurs fonctions du pouvoir coercitif de l’État, alors que les juges de paix de l’Alberta dans Ell « étaient sur la ligne de feu du processus de justice criminelle et exerçaient maintes fonctions judiciaires ayant une incidence importante sur les droits et libertés des citoyens »[126].

[175]       Le Tribunal répond sur ce point en deux temps. D’abord, la Cour d’appel de l’Ontario dans Ontario Deputy Judges Association n’exige pas que les décideurs en question, en l’occurrence les juges suppléants de la Cour des petites créances, jouent un rôle en droit criminel ou pénal. Pour que l’indépendance judiciaire s’applique à ces juges, il suffit que leur rôle implique la protection de la primauté du droit, la préservation du processus démocratique, la protection des valeurs de la Constitution, et l’exercice de leurs fonctions dans la cour qui s’avère la plus achalandée en Ontario[127].

[176]       Un parallèle évident existe avec les GS/RF puisque, notamment, les GS rendent la vaste majorité des jugements des chambres civiles des deux cours dans certains districts.

[177]       De plus, le Tribunal souligne le fait que les GS peuvent bel et bien décider des litiges impliquant le pouvoir coercitif de l’État, comme par exemple dans l’application de l’article 686 Cpc.

[178]       Celui-ci confère au GS le pouvoir d’accorder l’autorisation à l’huissier pour pénétrer dans un lieu où il doit procéder à une saisie, à une expulsion ou à l’enlèvement de biens. L’autorisation du GS lui permet d’accéder à toutes les pièces, à tous les bâtiments et à tous les biens qui s’y trouvent. Il s’agit là d’un pouvoir important.

[179]       À l’évidence : si le créancier s’avère être le gouvernement du Québec ou l’un de ses organismes ou une de ses sociétés d’État, il s’ensuit logiquement que le débiteur raisonnable et bien informé, visé par la saisie, l’expulsion ou l’enlèvement de biens verrait en cela l’exercice du pouvoir coercitif de l’État et questionnerait l’indépendance du GS puisqu’il sait que :

  • le GS doit « défendre les intérêts de son employeur »[128] ;

 

  • il est déjà arrivé que les gestionnaires s’immiscent dans le travail judiciaire des GS en amont et en aval de leurs jugements ;

 

  • parmi leurs tâches, les GS sont parfois appelés à donner des conseils juridiques au sein du ministère de la Justice ;

 

  • il est déjà arrivé qu’un GS soit suspendu unilatéralement par son gestionnaire sans l’intervention du juge en chef ;

 

  • la rémunération des GS est fixée dans une échelle salariale, qui est déterminée selon un processus de négociations collectives, menées par un syndicat qui représente un ensemble de professionnels ayant des obligations potentiellement divergentes des obligations des GS, sachant que la convention collective qui en résulte fait référence à la notion d’« avancement d’échelon »[129] ;

 

  • le gouvernement exerce un contrôle sur le traitement des GS par l’entremise d’avancement d’échelon, et de primes, et donc le débiteur pourrait se demander si une performance de travail des GS qui plait à l’employeur, par exemple le GS qui autorise l’huissier à pénétrer dans un lieu qui appartient au débiteur au profit du gouvernement, peut mener à une meilleure rémunération pour les GS, au détriment des justiciables opposés au gouvernement.

[180]       Bien que l’exemple de l’article 686 Cpc fasse référence à des situations hypothétiques au regard de la preuve, il s’agit d’une possibilité réaliste.

[181]       Quant à la preuve au dossier, le Tribunal note que Me Pelletier mentionne qu’à titre de RF, elle entend des demandes contestées de libération de faillis concernant des débiteurs dont les créances représentent des sommes importantes, incluant des dettes fiscales ou des prêts étudiants auprès du ministère de l’Éducation représenté par le PGQ.

[182]       Le Tribunal pourrait extrapoler de cet exemple et conclure que dans n’importe quel dossier des GS/RF, le gouvernement du Québec ou ses organismes ou sociétés d’État pourraient être impliqués et avoir des intérêts opposés à une autre partie au dossier. Le GS/RF aura donc à trancher la question qui oppose la partie étatique et l’autre partie, et il servira donc « de bouclier contre les atteintes injustifiées de l’État aux droits et libertés des citoyens »[130].

[183]       À la deuxième étape du raisonnement dans l’affaire Ell, la Cour suprême applique l’échelle mobile et conclut que des conditions « moins rigoureuses » sont nécessaires pour respecter l’inamovibilité des juges de paix puisque leur compétence est beaucoup plus limitée que celle des juges et que leur rôle de protecteur de la Constitution a une portée plus restreinte[131].

[184]       Néanmoins, le législateur albertain avait prévu l’implication d’un conseil indépendant pour établir les qualifications qui détermineraient si les juges de paix pouvaient continuer dans leurs fonctions, et c’est justement en raison de ce processus indépendant que la Cour conclut qu’il n’y avait rien d’arbitraire ou de discrétionnaire dans la destitution des juges de paix qui ne satisfaisaient pas aux nouvelles qualifications.

[185]       En d’autres mots, même avec l’application de l’échelle mobile aux caractéristiques de l’indépendance judiciaire, le législateur est tenu de démontrer que le processus choisi relève d’une certaine indépendance et d’objectivité.

[186]       Or, même si le Tribunal appliquait l’échelle mobile à la sécurité financière et tenait en compte la compétence limitée des GS/RF et leur rôle plus restreint en les comparant à ceux des juges des deux cours, il apparait manifeste que le lien de subordination financière avec le gouvernement, et l’évolution nécessairement constante du salaire et des primes disponibles aux GS/RF en fonction de l’évaluation faite par un membre de la branche exécutive, privent les GS/RF de leur sécurité financière et les mettent dans une situation de compromission quant à leur indépendance judiciaire.

[187]       Le fait que l’échelle salariale et les conditions générales des traitements soient déterminées par le processus de la négociation collective entre le gouvernement et le syndicat des GS/RF n’est pas plus rassurant sur le plan constitutionnel, bien au contraire.

[188]       Les négociations directes entre les juges et le gouvernement qui verse leur salaire sont interdites par la Cour suprême. La négociation collective demeure un processus dans lequel le gouvernement est en mesure d’exercer une pression et les GS/RF sont en mesure d’offrir des concessions, le tout au détriment du justiciable qui serait en litige avec le gouvernement et qui comparaitrait devant un GS/RF.

[189]       Hormis le jugement de la Cour suprême dans Ell, le PGQ s’appuie sur le jugement de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Québec (PG) c Barreau de Montréal[132].

[190]       Dans cet arrêt, il s’agissait d’une contestation des dispositions législatives et réglementaires concernant les juges administratifs du Tribunal administratif du Québec (TAQ) en ce qui avait trait à leur inamovibilité et à leur sécurité financière en vertu de l’article 23 de la Charte québécoise.

[191]       La Cour d’appel exclut l’application du préambule de la LC 1867, concluant à sa non-pertinence en matière de tribunaux administratifs[133], mais elle applique l’article 23 de la Charte québécoise et déclare « nuls, inopérants et sans effet » les articles de la loi habilitante du TAQ qui portaient atteinte à l’inamovibilité et à la sécurité financière garanties par l’article 23[134].

[192]       Personne ne conteste que l’article 23 de la Charte québécoise s’applique aux tribunaux tant administratifs que judiciaires. La nuance faite par le PGQ, cependant, est que les caractéristiques de l’indépendance judiciaire, et plus particulièrement la sécurité financière, s’appliquent selon une échelle mobile en fonction de la nature du décideur, nonobstant le fait que ce décideur se trouve au sein d’un tribunal judiciaire plutôt qu’administratif.

[193]       Pour ce qui est de l’inamovibilité, la Cour d’appel conclut dans Québec (PG) c Barreau de Montréal que la présence de représentants du gouvernement et du président du TAQ au comité chargé de recommander le renouvellement du mandat des membres du TAQ créait chez ces derniers une situation de dépendance ou une apparence de dépendance, et que le niveau d’indépendance exigé par l’article 23 de la Charte québécoise n’était donc pas respecté[135].

[194]       Quant à la sécurité financière, la Cour d’appel décide qu’il y a atteinte à l’indépendance judiciaire des membres du TAQ du fait que leur traitement est révisé selon l’évaluation annuelle de leur rendement effectuée par le président du TAQ. Le président était censé appliquer des critères et des cotes d’évaluation prévus par le gouvernement dans un règlement. La Cour d’appel considère la structure du TAQ, ses compétences, les pouvoirs conférés à ses membres, et le fait que les intérêts de l’État, en tant que partie, sont fréquemment en jeu devant le TAQ, comme facteurs pertinents à l’analyse en vertu de l’article 23 de la Charte québécoise[136].

[195]       Selon la Cour d’appel, chacun des membres du TAQ devrait pouvoir bénéficier annuellement d’une progression déterminée suivant un pourcentage identique pour tous. Le président pourra toujours effectuer une évaluation annuelle des membres, mais uniquement à des fins formatives et non à des fins de traitement[137].

[196]       Le PGQ souligne le fait que la Cour d’appel rejette explicitement l’argument selon lequel la mise en place d’une commission de rémunération serait nécessaire pour satisfaire à la dimension institutionnelle de la sécurité financière du TAQ sous l’article 23 de la Charte québécoise[138].

[197]       Le raisonnement de la Cour d’appel confirme, par analogie, que la situation des GS/RF quant à leur sécurité financière est intenable sur le plan constitutionnel. S’il s’avère inacceptable que la rémunération des juges administratifs soit liée à une évaluation de leur rendement, il est à plus forte raison inacceptable que ce soit le cas pour les GS/RF.

[198]       Bien que la Cour d’appel rejette la possibilité d’une commission de rémunération pour les juges administratifs du TAQ, le Tribunal n’interprète pas ce rejet comme étant applicable par analogie dans le présent dossier, et ce, pour les motifs suivants.

[199]       Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la possibilité d’une commission de rémunération à la suite de l’exercice de « modulation » des garanties d’indépendance du TAQ en fonction de sa nature, de ses attributs, de ses compétences, de ses pouvoirs et des intérêts en jeu[139].

[200]       Or, en appliquant ces mêmes critères, le Tribunal conclut qu’il y a effectivement lieu d’imposer une commission de rémunération pour faire des recommandations au gouvernement quant au traitement des GS/RF. Les fonctions juridictionnelles de ceux-ci au sein de la Cour du Québec et de la Cour supérieure, cette dernière ayant une existence reconnue à l’article 96 de la LC 1867, et l’importance de leur rôle dans le système judiciaire, militent en faveur d’un processus de fixation de rémunération que le justiciable raisonnable et bien informé puisse qualifier comme étant indépendant, efficace et objectif.

[201]       Ensuite, à l’instar de la Cour d’appel de l’Ontario, qui conclut qu’une commission de rémunération s’imposait pour les juges suppléants de la Cour de petites créances, les décideurs qui se trouvent au sein d’une cour, côte à côte avec des juges[140] et exerçant des fonctions qui seraient autrement exercées par ces mêmes juges, ont droit à ce processus parce qu’ils se trouvent dans une institution distincte d’un tribunal administratif et avec des fonctions différentes de celles des juges administratifs.

[202]       Voilà la distinction avec le jugement de la Cour d’appel du Québec quant aux juges administratifs du TAQ qui n’ont pas droit au processus d’une commission de rémunération.

[203]       Par conséquent, le processus qui fixe la rémunération des GS/RF doit suivre les avis de la Cour suprême dans le Renvoi quant aux commissions de rémunération.

[204]       En arrivant à cette conclusion, le Tribunal se garde de conclure que la rémunération des GS/RF est inadéquate sur le plan constitutionnel et rien dans le présent jugement ne doit être interprété dans ce sens. Le Tribunal ne se substituera pas au travail d’une commission de rémunération dûment constituée pour recevoir les représentations et la preuve du gouvernement et des GS/RF.

[205]       Cela dit, le Tribunal note dans la preuve les multiples fois au fil des ans le gouvernement lui-même, ou ceux qui l’avisent, admettent que les GS/RF ne sont pas adéquatement rémunérés et qu’ils se trouvent dans une situation qui ne met pas en œuvre les garanties de l’indépendance judiciaire :

  • « Dans l’accomplissement de ses fonctions, il est appelé à côtoyer d’autres juristes tant du domaine privé que public, à décider des demandes soumises par ces derniers, à administrer des dossiers judiciaires tout en étant dans une classe d’emploi de professionnel parmi les moins bien rémunérés de la Fonction publique québécoise. Il possède un statut enviable vis-à-vis les autres juristes, de par ses fonctions judiciaires, ce qui ne se traduit pas dans ses conditions salariales » (nos soulignements)[141] ;

 

  • « Plus que tout, c’est la limite du nombre de primes imposée au ministère qui rend la gestion future du statu quo aléatoire. Actuellement, la DGSJ [Direction générale des services de justice] manque de primes à octroyer et la situation ira en s’aggravant ». Les auteurs recommandent donc : « Entreprendre des démarches auprès du SCT [Secrétariat du Conseil du trésor] pour obtenir la création d’une nouvelle classification représentant davantage le statut et les responsabilités des GS et RLFI, avec salaire à l’avenant », « Trouver une solution qui, tout en n’étant pas idéale, soit la plus adéquate possible pour corriger une situation bancale qui perdure depuis près de 8 ans à la DGSJ »[142] ;

 

  • « les autorités du ministère étudiaient diverses avenues de solutions qui permettraient de résoudre de façon permanente cette problématique car elle constitue un vice structurel dans l’économie générale de la classification du ministère » (notre soulignement)[143] ;

 

  • « Le Comité constate que le problème de fond provient du fait que le classement "attaché judiciaire" doit être revu afin d’assurer une meilleure cohérence dans le traitement des personnes, en termes d’attributions, en termes de statut et de salaire vu la fonction "de rendre jugement" qu’ils assument » ; « Il est à noter que l’échelle salariale attribuée aux attachés judiciaires est la plus basse de la classe des emplois de professionnels et devrait être réévaluée en fonction des travaux sur l’équité salariale et en fonction de la complexité du rôle »[144] ;

 

  • « Devant la nécessité d’un statut d’indépendance et d’impartialité des officières et officiers de justice en regard de l’exercice des principaux pouvoirs judiciaires, statut totalement contradictoire avec celui de gestionnaire, membre du pouvoir exécutif de l’Etat, une dissociation des fonctions juridiques et judiciaires des fonctions administratives s’imposait de soi » (notre soulignement)[145] ;

 

  • « Enfin, on pourrait aussi se demander si tout cela est en tout point conforme à l’esprit des chartes des droits et de l’arrêt Valente »[146] .

 

[extraits reproduits textuellement, sauf pour les soulignements]

[206]       Selon le PGQ, ces énoncés ne le lient pas puisqu’il s’agit, pour la plupart de rapports et de notes internes, rédigés par des fonctionnaires pour aviser le gouvernement, et non des positions prises par le gouvernement lui-même.

[207]       Or, la description d’emploi citée au tout début de la liste des extraits est mise à jour et approuvée par le « Comité de travail sur les emplois d’attachés judiciaires » en 2012, comme il est indiqué à la fin du document, et elle constitue une évaluation de la classe d’emploi d’attaché judiciaire faite par la Direction des ressources humaines. Une responsable ministérielle au sein du ministère de la Justice la signe.

[208]       Le Tribunal considère que les constatations quant au faible niveau de rémunération des GS/RF représentent plus que l’opinion d’un fonctionnaire individuel qui avise le gouvernement. Elles constituent plutôt la reconnaissance institutionnelle d’un niveau de rémunération qui ne correspond pas à l’ampleur et à l’importance du travail des GS/RF.

F.                 Réparation

[209]       À titre de réparation, les demandeurs demandent :

209.1.  De déclarer que les GS/RF exercent des fonctions judiciaires et sont protégés par des garanties constitutionnelles d’indépendance judicaire ;

209.2.  De déclarer que l’article 3 LTJ est invalide et inconstitutionnel dans la mesure où il omet les GS/RF[147] ;

209.3.  De déclarer que l’article 3 LTJ doit se lire avec l’ajout suivant : « ni aux greffiers spéciaux de la Cour du Québec et [de] la Cour supérieure nommés en vertu du Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 ni aux registraires de la Cour supérieure nommés en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B-3 »[148] ;

209.4.  De déclarer que la rémunération des GS/RF doit être fixée selon les articles de la Partie VI.4 LTJ, qui concerne le comité de la rémunération des juges.

[210]       Le PGQ plaide, subsidiairement à ses arguments sur le fond du litige, que le Tribunal ne doit pas prononcer des déclarations autres qu’une déclaration générale selon laquelle les conditions actuelles applicables aux GS/RF ne satisfont pas aux exigences minimales de l’indépendance judiciaire.

[211]       Le PGQ précise que le gouvernement dispose d’une myriade de solutions susceptibles de corriger la situation en cause et qu’il n’appartient donc pas à la branche judiciaire de dicter le moyen d’y parvenir.

[212]       Il ajoute que la déclaration d’invalidité, s’il y en a une, doit être suspendue puisque l’effet immédiat d’une telle déclaration engendrerait une incertitude intolérable sur le plan de l’administration de la justice civile au Québec, ébranlerait la primauté du droit et minerait la confiance du public en l’appareil judiciaire.

[213]       Le Tribunal convient que l’application des principes constitutionnels en matière de la réparation dans le présent dossier milite en faveur d’une déclaration générale d’invalidité, et non d’une déclaration d’invalidité de l’article 3 LTJ ni d’une déclaration d’interprétation large  reading in ») afin d’ajouter les GS/RF à l’article 3 LTJ et à la Partie VI.4 LTJ.

[214]       De plus, il y a lieu aussi de suspendre la déclaration d’invalidité afin de permettre au législateur de mettre en œuvre une solution conforme.

[215]       La Cour suprême affirme qu’un degré de discrétion est « inévitable » en matière de réparation constitutionnelle en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, et le Tribunal tient pour acquis qu’il en est de même en vertu de l’article 52 de la Charte québécoise[149].

[216]       La Cour suprême prévoit les critères suivants pour déterminer le moyen de réparation approprié :

  • Les droits garantis par la Constitution[150] doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces ;
  • Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution ;
  • Le public a droit au bénéfice de la loi ;  
  • Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents.

[217]       Le Tribunal tient en compte les critères ci-dessus pour conclure qu’il ne peut présumer[151] que le législateur aurait adopté l’article 3 LTJ et la Partie VI.4 LTJ dans la forme proposée par les demandeurs, c’est-à-dire que ces dispositions se liraient avec l’inclusion des GS/RF.

[218]       À tout le moins, même si le législateur avait adopté l’article 3 et la Partie VI.4 LTJ comme les demandeurs présentent ces dispositions, le législateur aurait nécessairement adopté d’autres dispositions visant les GS/RF dans la Loi sur les tribunaux judiciaires pour qu’il y ait un cadre législatif intégral régissant les GS/RF en protégeant leur indépendance judiciaire. Voici les motifs pour lesquels le Tribunal arrive à cette conclusion.

[219]       D’abord, l’article 3 LTJ ne peut se lire en vase clos. L’exclusion des lois mentionnées dans cet article fait partie d’un cadre législatif plus large. L’article 3 LTJ trouve son pendant dans certaines autres parties de la Loi sur les tribunaux judiciaires qui traitent des juges énumérés à cet article[152].

[220]       Par exemple, la Partie VII LTJ prévoit l’établissement du Conseil de la magistrature qui, entre autres, veille à l’adoption d’un code de déontologie de la magistrature et reçoit toute plainte formulée contre un juge de la Cour du Québec, des cours municipales ou contre un juge de paix magistrat[153].

[221]       Il s’agit de l’une des pierres angulaires du cadre législatif pour la protection du principe de l’indépendance judiciaire, puisque l’intervention de la magistrature dans toute question de suspension, de réprimande ou de destitution d’un juge protège le principe de l’inamovibilité[154], l’une des caractéristiques de l’indépendance judiciaire[155].

[222]       En d’autres mots, la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoit dans son ensemble un encadrement pour la protection de l’indépendance judiciaire des juges énumérés dans l’article 3 LTJ.

[223]       En conséquence, il ne suffirait pas de déclarer invalide l’article 3 LTJ en ce que cet article omet d’exempter les GS/RF, et de déclarer que la rémunération de ceux-ci doit se faire selon les articles de la Partie VI.4 LTJ. Les demandeurs n’atteindraient pas leur objectif de façon intégrale. Ce ne serait qu’une réparation partielle.

[224]       C’est plutôt le fait de ne pas inclure les GS/RF dans tout cadre législatif, notamment semblable aux dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires comme l’article 3, la Partie VI.4 LTJ et autres, prévoyant la sauvegarde du principe de l’indépendance judiciaire, qui est constitutionnellement invalide[156].

[225]       La réparation adéquate est donc de déclarer que cette non-inclusion est contraire à l’article 23 de la Charte québécoise[157], tel que cet article de caractère quasi-constitutionnel doit être interprété selon le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire enchâssé dans le préambule de la LC 1867.

[226]       Le fait de déclarer invalide uniquement l’article 3 LTJ ne mènerait pas à la réparation intégrale recherchée. De plus, une telle déclaration produirait un vide juridique tant pour les GS/RF que pour les juges de la Cour du Québec, les juges de paix et les juges municipaux.

[227]       En outre, comme l’affirme le PGQ, le législateur pourrait choisir de retirer certains pouvoirs dévolus actuellement aux GS et de les attribuer à des juges de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure afin de se conformer au présent jugement.

[228]       Le législateur pourrait aussi choisir de créer une ou différentes nouvelles charges de décideurs bénéficiant d’un statut préservant leur indépendance, décideurs qui exerceraient certaines des fonctions présentement exercées par les GS.

[229]       Toujours dans le contexte hypothétique du remaniement, le législateur pourrait exiger que les GS/RF soient membres du Barreau du Québec ou de la Chambre des notaires, et qu’ils le soient depuis un certain nombre d’années.

[230]       Par ailleurs, le Tribunal note qu’il semble exister une question relative au partage des compétences puisque les RF sont nommés en vertu d’une loi fédérale et que leurs compétences sont prévues par celle-ci[158].

[231]       Les parties n’ont pas fait de représentations à ce sujet et le Tribunal ne le commente donc pas davantage, sauf pour souligner qu’il ne peut ordonner telle quelle la réparation demandée par les demandeurs. À l’évidence, la conclusion du Tribunal quant à l’invalidité constitutionnelle à l’endroit des RF ne concerne que l’aspect provincial de l’office, soit la rémunération et les autres conditions de travail touchant l’indépendance judiciaire.

[232]       Les options dont dispose le législateur comportent donc un grand éventail de possibilités et il est impossible, à ce stade, de prévoir ce que le législateur choisirait de faire.

[233]       Déclarer que la Loi sur les employés publics, la Loi sur la fonction publique et le Code du travail ne s’appliquent pas aux GS/RF, que ce soit par une déclaration directe ou par une déclaration prévoyant leur inclusion dans l’article 3 LTJ, c’est tenir pour acquis que le législateur ne voudra pas faire un remaniement des fonctions du poste de GS, et des conditions de travail dans le cas du poste de RF, pour se conformer à la déclaration d’invalidité constitutionnelle. Le Tribunal ne peut le présumer.

[234]       Évidemment, la logique voudrait que le législateur modifie la Loi sur les tribunaux judiciaires pour inclure les GS/RF dans le cadre qui protège déjà l’indépendance judiciaire des juges de la Cour du Québec, les juges municipaux et les juges de paix. C’est pourquoi le Tribunal fait référence à cette loi dans sa déclaration.

[235]       Le Tribunal prononcera donc une déclaration quant à l’application des garanties constitutionnelles d’indépendance judiciaire aux fonctions judiciaires des GS/RF et une déclaration d’invalidité constitutionnelle quant au fait de ne pas inclure ceux-ci dans un cadre législatif prévoyant la protection du principe de l’indépendance judiciaire, cadre semblable notamment aux dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires ou les dispositions équivalentes.

[236]       En ce qui concerne la suspension de la déclaration d’invalidité, bien que son fardeau soit lourd, le PGQ convainc le Tribunal que les avantages qu’il y a à suspendre l’effet de la déclaration du Tribunal l’emportent sur les inconvénients du maintien d’une situation inconstitutionnelle[159].

[237]       Les motifs soutenant une déclaration générale d’invalidité constitutionnelle, plutôt que des déclarations visant deux dispositions législatives, appuient aussi l’argument pour la suspension temporaire de cette déclaration. Puisqu’il s’agit de définir un nouveau cadre juridique, il est essentiel de donner un temps suffisant au législateur, compte tenu des nombreux éléments à prendre en considération.

[238]       Entre-temps, le principe de la bonne administration de la justice exige que les justiciables puissent se présenter devant les GS/RF sans remettre en question l’étendue des compétences et des pouvoirs de ces derniers. En outre, il s’avère déstabilisant, voire impossible, de demander aux juges de la Cour supérieure ou de la Cour du Québec d’exercer, du jour au lendemain, les pouvoirs dévolus aux GS/RF dans l’attente de modifications législatives.

[239]       Le Tribunal suspendra donc l’effet de sa déclaration d’invalidité pour une période de 12 mois[160] afin de donner le temps requis au gouvernement et au législateur 1) d’examiner les solutions qui s’offrent à eux pour corriger la situation, 2) d’adopter les modifications législatives requises et 3) de mettre en œuvre les solutions qui en découlent.

[240]       Entre-temps, la doctrine de la nécessité assure la stabilité des jugements rendus par les GS/RF[161], mais celle-ci ne s’appliquera plus au terme de la période de suspension et le Tribunal fera la déclaration en ce sens dans son dispositif ci-dessous.

[241]       Aussi, le Tribunal prendra acte de l’intention du PGQ de remédier à la situation actuelle selon laquelle le cadre juridique dans lequel les GS/RF exercent leurs pouvoirs ne respecte pas les conditions essentielles du droit des justiciables à un officier de justice indépendant.

[242]       Cette intention se manifeste de ses arguments subsidiaires relatifs à la question de la réparation adéquate alors qu’il plaide :

  • « Subsidiairement, dans la mesure où la Cour venait à la conclusion que le cadre juridique dans lequel les greffiers spéciaux et les registraires de faillite exercent leurs pouvoirs ne respecte pas les conditions essentielles du droit à un tribunal indépendant, une réparation devra être mise en place » (notre soulignement)[162] ;

 

  • « En l’espèce, le législateur dispose effectivement ici d’un éventail de mesures législatives possibles afin de remédier à la situation et ainsi, de faire en sorte que le statut des GS et des RF, apparaisse - au regard de l’exercice de pouvoirs qu’ils exercent dans leur compétence d’attribution - conforme au regard des exigences du droit à un tribunal indépendant, protégé par l’article 23 de la Charte québécoise » (notre soulignement)[163] ;

 

  • « Dans l’attente de la mise en place d’une solution législative permettant de remédier à l’insuffisance, le cas échéant, du statut des GS et des RF au regard de l’article 23 de la Charte québécoise, si telle était la conclusion de la Cour […] » (notre soulignement)[164] ;

 

  • « Le fait de suspendre une déclaration d’invalidité afin de permettre au législateur de remédier à un manquement à l’indépendance […] » (notre soulignement)[165] ;

 

  • « le PGQ demande au tribunal de suspendre la déclaration d’invalidité recherchée par les demandeurs afin de donner le temps requis au gouvernement et au législateur d’examiner les solutions qui s’offrent à eux pour remédier à cette situation, d’adopter les modifications législatives requises et de mettre en œuvre les solutions qui en découlent » (notre soulignement)[166] .

[243]       Finalement, le Tribunal note que les demandeurs cherchent une déclaration d’invalidité qui inclut comme assise juridique l’article 11(d) de la Charte canadienne. Or, les demandeurs précisent à l’audience que cette disposition est invoquée pour couvrir toutes les sources constitutionnelles de l’indépendance judiciaire bien que les fonctions judiciaires des GS/RF ne fassent pas référence à l’article 11(d), cette disposition étant pertinente pour les décideurs exerçant une juridiction sur les procédures faisant l’objet d’une inculpation[167].

[244]       La Cour suprême dans le Renvoi avait précisé que l’article 11(d) de la Charte canadienne ne peut servir pour restreindre l’indépendance des juges des cours provinciales aux dossiers dans lesquels ces cours exercent une juridiction sur les personnes faisant l’objet d’une inculpation et que la disposition « atteste l’existence d’un principe général d’indépendance de la magistrature qui s’applique à tous les tribunaux, sans égard au type d’affaires qu’ils entendent »[168].

[245]       Cependant, cela ne veut pas pour autant dire que l’article 11(d) de la Charte canadienne peut servir d’assise juridique à l’indépendance judiciaire des décideurs qui n’ont rien à voir avec les dossiers impliquant des personnes faisant l’objet d’une inculpation.

[246]       Le Tribunal n’accepte donc pas d’inclure cette disposition dans sa déclaration, justement en raison du fait qu’elle n’est pas pertinente aux fonctions des GS/RF.

G.                Remerciements

[247]       Le Tribunal tient à remercier les avocats des parties. Leur démarche professionnelle et collaboratrice, ainsi que leurs plaidoiries efficaces et concises, ont facilité l’exigeant processus d’analyse auquel le Tribunal a fait face.

[248]       La conduite de tous fait honneur aux meilleures pratiques des membres du Barreau du Québec.

IV.  DISPOSITIF

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[249]       ACCUEILLE en partie le Pourvoi en contrôle judiciaire et demande en jugement déclaratoire amendé ;

[250]       DÉCLARE que

  • les greffiers spéciaux de la Cour du Québec et de la Cour supérieure nommés en vertu de l’article 67 alinéa 2 du Code de procédure civile[169] et
  • les registraires de la Cour supérieure nommés en vertu de l’article 184(1)(b) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[170],

exercent des fonctions judiciaires et que tout justiciable comparaissant devant eux a droit à ce qu’ils soient protégés par les garanties constitutionnelles d’indépendance judiciaire prévues à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[171], tel que cet article doit être interprété selon le principe de l’indépendance judiciaire enchâssé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867[172] ;

[251]       DÉCLARE contraire à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne et au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 le fait de ne pas inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite dans un cadre législatif prévoyant la sauvegarde de l’indépendance judiciaire, un cadre semblable notamment à celui constitué des dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires comme l’article 3, la Partie VI.4 et autres dispositions ;

[252]       SUSPEND la déclaration d’invalidité constitutionnelle pour une période de 12 mois ;

[253]       PREND ACTE de l’intention du Procureur général du Québec d’entamer et de présenter à l’Assemblée nationale une solution législative permettant de respecter le présent jugement et DÉCLARE qu’en absence d’une solution législative adéquate au terme de la période de suspension de 12 mois, les jugements des greffiers spéciaux et des registraires de faillite ne seront pas ceux d’un officier de justice indépendant ;

[254]       AVEC frais de justice.

 

 

__________________________________AZIMUDDIN HUSSAIN, j.c.s.

 

Me Audrey Boctor

Me François Goyer

Me John Chedid

IMK sencrl

Pour les demandeurs

 

Me Éric Cantin

Me Amélie Bellerose

BERNARD, ROY (JUSTICE QUÉBEC)

Pour le défendeur

 

Date d’audience :

15 et 17 février 2023

 

 

 


[1]  Arts 67, 70-73, 181, 302, 405, 686 Cpc.

[2]  Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B-3, arts 184(b), 192(1).

[3]  Loi sur les employés publics, RLRQ c E-6.

[4]  Loi sur la fonction publique, RLRQ c F-3.1.1.

[5]  Code du travail, RLRQ c C-27.

[6]  Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ c T-16.

[7]  Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 5.

[8]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[9]  Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

[10]  Avant qu’il soit nommé juge à la Cour du Québec, Pierre E. Audet publie deux œuvres sur les officiers de justice et il trace dans celles-ci les origines de ces officiers, voir Pierre E Audet, Les officiers de justice. Des origines de la colonie jusqu’à nos jours, Montréal, Wilson & Lafleur, 1986 aux pp 53-54 (voir aussi Jean-Louis Gazzaniga, recension de Les officiers de justice de Pierre E Audet (1987) 32:3 RD McGill 743, en ligne : 1987 CanLIIDocs 194) ; Pierre-E Audet, « La juridiction du protonotaire spécial en vertu du Code de procédure civile », (1980) 40 R du B 179 ;  l’honorable Claude Dallaire fait un survol de l’histoire de l’office du GS dans le contexte du pouvoir de prononcer des injonctions dans l’affaire Ville de Stanstead c Drolet-Massue, 2021 QCCS 5309 aux paras 40-68.

[11]  Audet, Les officiers de justice, ibid.

[12]  Ibid à la note 257.

[13]  Acte pour amender les lois relatives aux cours de juridiction civile de première instance, dans le Bas-Canada, S Prov C 1849 (12 Vict), c 38, art XII.

[14]  Par ailleurs, en 1857, l’Acte pour amender les actes de judicature du Bas Canada, S Prov C 1857 (20 Vict), c 44, art XCIV (94) confirme que les officiers liés à l’administration de la justice dans les nouveaux districts seront les mêmes qu’ailleurs, et l’article CXXIV (124) prévoit spécifiquement pour le district de Gaspé qu’il « sera loisible au gouverneur, s’il le juge à propos, de nommer un shérif, un protonotaire de la cour supérieure […] ». Entre 1888 et 1964, la loi prévoit que les officiers de justice, dont le protonotaire, sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil (Statuts refondus de la province de Québec, 1888, art 2290; Loi concernant les tribunaux judiciaires de la province, SRQ 1925, c 145, art 3) ; en 1977, la Loi sur les tribunaux judiciaires, LRQ 1977, c T-16, art 4 prévoit que les officiers de justice, dont le protonotaire, sont nommés par le gouvernement ; en 1983, le législateur modifie l’article 4 pour remplacer « le gouvernement » par « arrêté du ministre de la Justice » (Loi modifiant diverses dispositions législatives, LQ 1983, c 54, art 87).

[15]  Code de procédure civile, SQ 1965, c 80.

[16]  Loi modifiant le Code de procédure civile, LQ 1972, c 70, art 10 ; le juge en chef ne nomme pas les protonotaires mais il désigne parmi les protonotaires déjà nommés ceux qui sont autorisés à tenir l’enquête et l’audition de certaines causes par défaut, voir Ville de Stanstead, supra note 10 au para 42.

[17]  Extrait cité par Audet, « La juridiction du protonotaire spécial en vertu du Code de procédure civile », supra note 10 à la p 181 ; Loi modifiant le Code de procédure civile et autorisant l’usage du courrier certifié à certaines fins, LQ 1975, c 83, arts 5 et 6.

[18]  « Projet de loi n° 38 - Loi modifiant le Code de procédure civile et autorisant l’usage du courrier certifié à certaines fins », 2e lecture, Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 3e sess, 30e légis (11 novembre 1975) 20h22 (hon Gérard-D Levesque), cité dans Ville de Stanstead, supra note 10 au para 44.

[19]  Audet, « La juridiction du protonotaire spécial en vertu du Code de procédure civile », supra note 10 à la p 182; Ville de Stanstead, ibid au para 44.

[20]  Loi modifiant le Code de procédure civile, LQ 1977, c 73, art 1.

[21]  Audet, Les officiers de justice, supra note 10 à la p 181.

[22]  Loi sur l’application de la réforme du Code civil, LQ 1992, c 57, arts 171 et 420.

[23]  Art 67 Cpc.

[24]  Art 72 al 1 Cpc.

[25]  Art 72 al 2 Cpc.

[26]  Art 72 al 3 Cpc.

[27]  Art 73 al 1 Cpc: L’intégrité ou l’état d’une personne ; l’absence ou la déclaration judiciaire de décès ; en matière familiale, des demandes conjointes sur un projet d’accord ; des demandes visant à faire réviser une décision du directeur de l’état civil ou relatives à la publicité des droits ou à la reconstitution d’un acte authentique ou d’un registre public.

[28]  Art 181 Cpc.

[29]  Art 686 Cpc.

[30]  Art 67 al 2 in fine Cpc.

[31]  RLRQ c P-34.1, art 47 al 2.

[32]  Code municipal du Québec, RLRQ c C-27.1, art 1032.

[33]  Art 71 Cpc.

[34]  Une personne de la classe 131 n’est pas GS, elle fait la coordination.

[35]  Selon Québec, Conseil du Trésor, Directive concernant la détermination du niveau de complexité des emplois professionnels et la gestion des emplois de complexité supérieure (2020-11-10), pièce CL-2 à la p 7.

[36]  Voir par exemple l’extrait d’un affichage de poste du ministère de la Justice intitulé « Une ou un attaché judiciaire », pour une période d’inscription du 7 au 23 septembre 2022, pièce P-27.

[37]  Selon la lettre de 34 greffiers spéciaux à la ministre de la Justice datée du 11 février 2019, pièce P-7 à la p 5.

[38]  Loi sur la faillite et l’insolvabilité, supra note 2, art 184(1)(b).

[39]  Ibid, art 192(1).

[40]  Selon la lettre de 34 greffiers spéciaux à la ministre de la Justice (11 février 2019) à la p 5, supra note 37.

[41]  Les demandeurs invoquent aussi l’article 42(1)(d) de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 8, comme fondement de leur demande en invalidation constitutionnelle, mais le Tribunal ne voit pas la pertinence de cette disposition concernant la procédure de la modification ayant trait à la Cour suprême du Canada.

[42]  Notamment, Valente c La Reine, [1985] 2 RCS 673 ; La Reine c Beauregard, [1986] 2 RCS 56 ; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î-P-É), [1997] 3 RCS 3 ; Mackin c Nouveau-Brunswick [2002] 1 RCS 405 ; Ell c Alberta, 2003 CSC 35 ; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c Québec (PG), 2016 CSC 39.

[43]  Renvoi, ibid, le juge La Forest était dissident en partie.

[44]  Ibid au para 105.

[45]  Ibid au para 109.

[46]  Toronto (Cité) c Ontario (PG), 2021 CSC 34.

[47]  Renvoi, supra note 42 au para 118.

[48]  Ibid au para 115.

[49]  Ibid au para 117.

[50]  Ibid au para 116.

[51]  Ibid au para 131.

[52]  Ibid aux paras 132-135, 170-196.

[53]  Ibid au para 113.

[54]  Ibid au para 193.

[55]  Ell, supra note 42.

[56]  Renvoi, supra note 42 au para 84.

[57]  Québec (PG) c Barreau de Montréal, 2001 CanLII 20651 (QCCA); Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c Québec (PG), 2013 QCCA 1690; Walter v British Columbia (AG), 2019 BCCA 221 ; Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 RCS 884 ; Ocean Port Hotel c Colombie- Britannique, [2001] 2 RCS 781.

[58]  Pellerin c Québec (ministre de la Justice), [1995] RJQ 912, EYB 1995-95614 (CS) au para 160 (les RF sont des officiers de justice « supérieurs » et, par conséquent, la sous-ministre associée de la Justice ne pouvait sans le consentement du juge en chef, abolir le poste de Me Pellerin et mettre ce dernier en disponibilité) ; Gill c Québec (ministre de la Justice), [1995] RJQ 269, EYB 1995-75644 au para 24 (le GS est « titulaire de fonctions quasi judiciaires, lesquelles comportent, de façon inhérente, des garanties de neutralité et d’indépendance » et, par conséquent, le ministre de la Justice ne pouvait pas destituer Me Gill de ses fonctions et mettre ce dernier en disponibilité en l’absence d’un arrêté du ministre de la Justice et sans l’assentiment du juge en chef de la Cour supérieure) ; 9250-4646 Québec inc c Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3394 aux paras 15-35 (le recours en dommages-intérêts contre le GS est irrecevable puisque ce dernier bénéficie de l’immunité judiciaire).

[59]  Pour les juges adjoints de la Cour fédérale, voir Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 12, Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, r 50, 380-382.1, 383-385, 387 et Loi sur les juges, LRC 1985, c J-1, art 2.1, voir aussi la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, LRC 1985, c T-2, art 11.1 (récemment amendée pour ajouter les juges adjoints); pour les juges associés et juges suppléants de l’Ontario, voir Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, c C-43, arts 82, 86.1.

[60]  Aalto c Procureur général du Canada, 2010 FCA 195; Masters’ Association of Ontario v Ontario, 2011 ONCA 243; Ontario Deputy Judges Association v Ontario (AG), [2006] OJ No 2057 (CA).

[61]  Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises, LO 2021, c 34, Annexe 4, art 3.

[62]  Renvoi, supra note 42 aux paras 170-185.

[63]  Voir le Renvoi, supra note 42 aux paras 112-113 quant à l’application de la norme relative à la perception raisonnable dans le contexte de l’indépendance judiciaire, formulée à l’origine dans Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 à la p 394 dans le contexte de la crainte raisonnable de partialité, et ensuite citée et approuvée dans Valente, supra note 42 à la p 684.

[64]  Il cite par exemple : Proposition de Groupe Onex inc, 2019 QCCS 2677 ; Coopérative forestière du Nord-Ouest (Syndic de), 2015 QCCS 3830 ; Aki Gestion de projet et environnement inc (Syndic de), 2016 QCCS 2077.

[65]  Cette demande serait en phase avec la description des tâches prévue pour les attachés judiciaires, voir par exemple « Offre d’affectation-Attachée ou attaché judiciaire », no 13110AF04001012-CV, pour la période du 29 novembre au 5 décembre 2016, pièce P-3 à la p 25; Québec, SCT-DGRT, « Description d’emploi », 2016-10-25, pièce P-3 à la p 19; et plus récemment l’extrait d’un affichage de poste, supra note 36 à la p 2.   

[66]  2017 QCCQ 14335.

[67]  Art 564 Cpc.

[68]  Petrishki c Ministère de la Justice, 2020 QCCAI 373.

[69]  Ibid au para 20.

[70]  MR et CR, 2019 QCCS 4056 aux paras 4, 56-59.

[71]  « Politique ministérielle sur l’éthique », pièce P-4 à la p 7. 

[72]  Re RB, 2021 QCCS 969.

[73]  Honda Canada Finance inc c Coichy, 2019 QCCQ 1475; BMW Canada inc c Hraiky, 2019 QCCS 918.

[74]  BMW Canada inc c Hraiky, 2019 QCCS 1834 ; Honda Canada Finance Inc c Heintz Coichy, 2019 QCCQ 1996.

[75]  Équipements Sigma inc c Cour du Québec, 2017 QCCS 2825 au para 15.

[76]  Ibid au para 36.

[77]  Supra note 4.

[78]  Voir par exemple, « Convention collective des professionnelles et professionnels 2020-2023 convenue entre Gouvernement du Québec, Direction des relations professionnelles, Conseil du Trésor et Syndicat des professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec », section 3-2.00 « Mesures disciplinaires », pièce P-29 à la p 43.

[79]  Voir ibid, section 6-5.00 « Évaluation ».

[80]  Supra note 42.

[81]  Valente, supra note 42 au para 47.

[82]  La Reine c Beauregard, supra note 42 à la p 69, cité dans le Renvoi, supra note 42 au para 123.

[83]  Pellerin, supra note 58.

[84]  Supra note 42.

[85]  Pellerin, supra note 58 aux paras 130-132, 160.

[86]  Gill, supra note 58.

[87]  Ibid au para 24.

[88]  Ibid.

[89]  Ibid au para 25.

[90]  Ibid au para 26.

[91]  Ibid aux paras 29-36.

[92]  Ibid aux paras 37-45. En lien avec ce point factuel, elle cite le jugement de la Cour suprême dans R c Lippé, [1991] 2 RCS 114.

[93]  9250, supra note 58.

[94]  En vertu de l’article 1032 du Code municipal du Québec, supra note 32, qui prévoit que le greffier de la Cour supérieure du district dans lequel se trouve l’immeuble assujetti à la vente à l’enchère publique entreprend les démarches pour la distribution du produit de la vente et rend un jugement de distribution. Le GS en l’espèce exerçait les pouvoirs du greffier, comme le permet l’article 67 al 2 Cpc.

[95]  Dans la première mouture de la demande introductive d’instance, 9250 a poursuivi le GS personnellement mais, à la suite des discussions entre avocats, elle s’est désistée contre lui et elle a poursuivi le Procureur général.

[96]  9250, supra note 58 au para 35.

[97]  9250, ibid au para 21.

[98]  Ibid au para 22.

[99]  René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd, t 3, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989 à la p 970, cité dans 9250, supra note 58 au para 27.

[100]  Art 9 al 3 Cpc.

[101]  9250, supra note 58 au para 29.

[102]  Ibid.

[103]  Toronto, supra note 46 aux paras 3, 57.

[104]  Ibid aux paras 64-66, 75 (majorité), paras 173-174, 179-181 (dissidence).

[105]  Supra note 57.

[106]  Renvoi, supra note 42 aux paras 147, 166.

[107]  Ibid au para 120.

[108]  Ibid aux paras 120-121.

[109]  Ibid au para 142.

[110]  Les demandeurs font référence au juge adjoint de la Cour fédérale, supra note 59 ; au juge associé et juge suppléant en Ontario, supra note 59 ; au conseiller-maître  master ») de la Cour du Banc du Roi de Manitoba en vertu de la Loi sur la Cour du Banc du Roi, CPLM c C280, art 11.15(1) et des Règles de la Cour du Banc du Roi, RM 553/88, r 37.02(2) ; au « applications judge » (anciennement connu sous le titre « masters in chambers » de la Court of King’s Bench de l’Alberta en vertu de la Court of King’s Bench Act, RSA 2000, c C-31, arts 8-15 ; au « master » de la Supreme Court de la Colombie-Britannique en vertu de la Supreme Court Act, RSBC 1996, c 443, s 11.

[111]  Supra note 60.

[112]  Ibid au para 17.

[113]  Ibid au para 26.

[114]  Ibid.

[115]  Ibid au para 27. Entre 1985 et 1990, la Cour des petites créances était connue comme la « Provincial Court (Civil Division) », mais cette dernière était abolie par la suite et la Cour des petites créances était constituée comme une partie de la Cour supérieure de Justice, voir le jugement de première instance dans Ontario Deputy Judges Association v Ontario (AG), 2005 CanLII 42263 (CSJ) aux paras 8-9.

[116]  Ontario Deputy Judges Association, supra note 60 aux paras 16-24.

[117]  Ibid aux paras 30-35.

[118]  Voir le résumé des trois éléments, Renvoi, supra note 42 aux paras 132-135.

[119]  Ibid au para 156.

[120]  Ell, supra note 42.

[121]  Ibid au para 24.

[122]  Ibid au para 33.

[123]  Ibid au para 20 : « l’indépendance judiciaire ne s’appliquera à la charge des intimés que s’il est déterminé qu’ils exercent des fonctions judiciaires liées aux fondements de ce principe ».

[124]  Ibid au para 30 : « La manière de remplir les conditions essentielles de l’indépendance varie selon la nature du tribunal judiciaire ou administratif et les intérêts en jeu » (notre soulignement).

[125]  Ibid au para 24.

[126]  Ibid.

[127]  Ontario Deputy Judges Association, supra note 60 aux paras 26-27.

[128]  « Politique ministérielle sur l’éthique », supra note 71.

[129]  Voir Convention collective, section 6.600, supra note 78 à la p 91.

[130]  Ell, supra note 42 au para 22.

[131]  Ibid au para 31.

[132]  Québec (PG) c Barreau de Montréal, supra note 57.

[133]  Ibid aux paras 112-113.

[134]  Ibid aux paras 190, 208, 210.

[135]  Ibid au para 190.

[136]  Ibid au para 205.

[137]  Ibid au para 206.

[138]  Ibid au para 207.

[139]  Ibid au para 54.

[140]  En Ontario, la Cour des petites créances est une section de la Cour supérieure de justice (voir Loi sur les tribunaux judiciaires, supra note 59, art 22) et donc les juges de la Cour des petites créances qui ne sont pas des juges suppléants sont des juges de la Cour supérieure de justice, alors qu’au Québec, la Division des petites créances fait partie de la Cour du Québec et donc les juges de cette cour préside la Division.

[141]  Québec, Service de la classification, secteur fonction publique, « Description d’emploi » (2012-10-15), pièce P-12 à la p 27.

[142]  Louise Roy (sous-ministre associée) et Marc Lyrette (directeur général associé aux services judiciaires de l’Ouest), « Note à la sous-ministre » (10 mai 2006), pièce P-12 aux pp 1-2. La qualification de la situation comme étant « bancale » était faite en lien avec l’option de rationnaliser la pratique du GS/RF et reclasser certains attachés judiciaires comme avocats pour exercer les fonctions d’adjudication.

[143]  Marc Lyrette, « Avant-projet de CT concernant les Attachés Judiciaires », annexé à la « Note à la sous-ministre », ibid. La référence à « cette problématique » vise les « distorsions » résultant des deux classes, soit la 115 et la 131, dans lesquelles se trouvaient les GS/RF, et des « primes de complexité » utilisées pour pallier ces « distorsions ».

[144]  Québec, ministère de la Justice, Comité de travail sur les attachés judiciaires, « Rapport du Comité de travail sur les attachés judiciaires » (2012), pièce P-12 aux pp 12-13.

[145]  Québec, ministère de la Justice, Direction générale des services judiciaires, « Politique d’organisation du travail et ses modalités d’application » (septembre 1989), pièce P-11 aux pp 5-6.

[146]  Jean-Yves Desroches, ministère de la Justice, « Rapport d’étude du dossier portant sur le classement des protonotaires spéciaux et des registraires » (1990), pièce P-12 à la p 9.

[147]  Pour rappel, l’article 3 LTJ exclut les juges de nomination provinciale de l’application de la Loi sur les employés publics, de la Loi sur la fonction publique et du Code du travail.

[148]  En guise de rappel, l’article 3 LTJ se lit comme suit : « La Loi sur les employés publics (chapitre E6), la Loi sur la fonction publique (chapitre F3.1.1) et le Code du travail (chapitre C27) ne s’appliquent pas aux juges de la Cour du Québec ni aux juges de paix ni aux juges municipaux lorsqu’ils agissent en cette qualité ».

[149]  Loi constitutionnelle de 1982, supra note 8; Charte québécoise, supra note 9 ; Ontario (PG) c G, 2020 CSC 38 aux paras 86, 94. Voir aussi Schachter c Canada, [1992] 2 RCS 679 aux pp 705-707, 715-717.

[150]  La Cour suprême dans l’affaire Ontario (PG) c G, ibid au para 94 décline les critères dans le contexte de la Charte canadienne spécifiquement.

[151]  Voir les commentaires de la Cour suprême en ce sens, Ontario (PG) c G, ibid au para 114. Dans le présent dossier, le Tribunal considère que la réparation ordonnée par la Cour dans l’affaire Vriend c Alberta, [1998] 1 RCS 493, affaire impliquant une omission législative, ne trouve pas application en l’espèce puisqu’il ne s’agit pas d’interpréter une seule disposition législative comme si quelques mots y figuraient.

[152]  Voir par exemple dans la Loi sur les tribunaux judiciaires, supra note 6, en outre de l’article 3 et la Partie VI.4 : Partie III « De la Cour du Québec », Partie III.1 « Des juges de paix », Partie V.1 « Régime de retraite des juges de la Cour du Québec, des juges de certaines cours municipales et des juges de paix magistrats », Partie VII « Le Conseil de la magistrature, le perfectionnement des juges et la déontologie judiciaire ».

[153]  Loi sur les tribunaux judiciaires, supra note 6, arts 256, 260.

[154]  Voir ibid, notamment arts 95, 167, 279-280, concernant l’encadrement judiciaire de la suspension, de la réprimande et de la destitution des juges.

[155]  Voir Renvoi, supra note 42 au para 115, où la Cour suprême confirme l’exigence d’une enquête judiciaire sur toute question de révocation d’un juge.

[156] Le Tribunal note à cet égard la distinction entre une omission législative et une exclusion législative. La Cour suprême aborde le cas de l’omission législative dans l’affaire Vriend, supra note 151. Dans les affaires suivantes, il s’agissait d’une contestation constitutionnelle à l’exclusion explicite de certaines catégories de personnes des régimes statutaires dont les demandeurs réclamaient le bénéfice : Dunmore c Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94 ; Association de la police montée de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 ; Association des cadres de la Société des casinos du Québec c Société des casinos du Québec, 2022 QCCA 180, autorisation de pourvoi à la CSC accordée, 2022 CanLII 88686.

[157]  Le Tribunal rappelle que la Cour d’appel, dans l’arrêt Québec (PG) c Barreau de Montréal, supra note 57 aux paras 190, 208, 210, déclare « nuls, inopérants et sans effet » les articles en question en vertu de l’article 23 de la Charte québécoise.

[158]  Loi sur la faillite et l’insolvabilité, supra note 2, arts 184(1)(b), 192(1).

[159]  Ontario (PG) c G, supra note 149 aux paras 117, 139.

[160]  Pour des précédents sur la période de suspension de 12 mois, voir Renvoi, supra note 42 au para 292 ; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î-P-É), [1998] 1 RCS 3 aux paras 15, 18 [Renvoi 1998] ; Renvoi relatif au Code de procédure civile (Qc), art 35, 2021 CSC 27 au para 156 ; Québec (PG) c Barreau de Montréal, supra note 57 au para 210 ; Masters' Association of Ontario, supra note 60 au para 73 ; la Cour suprême prévoit une période de suspension de six mois dans l’affaire Mackin, supra note 42 au para 77 ; la Cour d’appel de l’Ontario prévoit une période de suspension de quatre mois dans Ontario Deputy Judges’ Association, supra note 60 au para 42.

[161]  Renvoi 1998, ibid aux paras 4-8.

[162]  Plan d’argumentation du PGQ au para 86.

[163]  Ibid au para 97.

[164]  Ibid au para 108.

[165]  Ibid au para 110.

[166]  Ibid au para 113.

[167]  Renvoi, supra note 42 au para 84.

[168]  Ibid au para 107.

[169]  RLRQ c C-25.01.

[170]  LRC 1985, c B-3.

[171]  RLRQ c C-12.

[172]  (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 5.

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