Décision

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Bien-Aimé c. Gestion Perrone inc.

2022 QCTAL 9845

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

603613 31 20211220 G

No demande :

3425218

 

 

Date :

06 avril 2022

Devant la juge administrative :

Stella Croteau

 

Marlie Bien-Aimé

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Gestion Perrone inc.

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 20 décembre 2021, le Tribunal est saisi d’une opposition à la demande d’éviction produite par la locataire, à la suite d’un agrandissement substantiel demandé par la locatrice. Subsidiairement, la locataire demande d’ordonner à la locatrice le paiement des indemnités prévues par la loi.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 715 $.

MOTIFS

[3]         La locataire conteste le bien-fondé de la demande d’éviction pour agrandissement substantiel du logement. Elle considère qu’il s’agit d’un motif uniquement dans le but de reprendre le logement pour le relouer.

CONTEXTE FACTUEL

[4]         La locataire habite l’immeuble de huit logements depuis 2016. Elle habite un 3 ½ au sous-sol.

[5]         Elle allègue que la locatrice veut la mettre dehors et qu’elle fera tout pour y parvenir.

[6]         La locataire informe le Tribunal de son état de santé instable, de son angoisse, ainsi que de ses crises de panique. Son médecin a augmenté sa médication. Elle va à l’hôpital régulièrement. Sa maladie ne lui permet pas de subir un déménagement.

[7]         Elle considère que le projet de la locatrice n’est pas réalisable, car il n’y a pas assez de place. Elle prétend qu’il doit y avoir un plan d’ingénieur pour confirmer la faisabilité.

[8]         Lorsque le représentant de la locatrice lui parle, il lui dit qu’il peut faire ce qu’il veut.

[9]         Le représentant de la locatrice allègue qu’il veut agrandir le logement de la locataire. L’immeuble a sept logements 5 ½ et un 3 ½. Il veut avoir huit logements 5 ½. Il veut donc faire un 5 ½ avec le logement de la locataire et l’autre partie du sous-sol.


[10]     Il conteste les prétentions de la locataire car son immeuble possède quatre logements 5 ½ d’un côté de son immeuble. Il veut rendre les deux côtés identiques.

[11]     La partie du sous-sol est présentement louée au locataire (M. Wilner) du rez-de-chaussée. Ce dernier témoignera en audience qu’il n’a plus besoin de cet espace. Il ne veut plus avoir cette partie du sous-sol. Il affirme qu’il y a toujours des dégâts d’eau. La partie du haut lui suffit. Il admettra, cependant, en contre-interrogatoire, qu’un ami habite l’espace du sous-sol.

[12]     La locatrice fera parvenir un courriel à la ville le 2 février 2022 et elle obtient un rendez-vous le 7 février 2022 pour le permis. Le mandataire de la locatrice affirme que le permis sera facile à obtenir.

[13]     Le représentant prétend qu’il ne peut laisser un espace non utilisé au sous-sol. Il n’a pas le choix, il doit faire quelque chose, car c’est nécessaire pour l’immeuble. La ville ne le laissera pas avoir un espace libre dans son immeuble.

[14]     Il confirmera qu’il n’a pas encore de plan. Il devrait en avoir vers la fin février. Il prétend qu’il n’a qu’à faire une ouverture dans le mur. Il attend de voir avec la ville ce qu’il doit faire. Il n’a pas contacté de professionnels encore.

[15]     Il estime que cela ne sera pas trop dispendieux.

Analyse

[16]     L'article 1959 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit la reprise pour la subdivision en ces termes :

« 1959. La locatrice d'un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l'agrandir substantiellement ou en changer l'affectation. »

[17]     L'opposition du locataire est, quant à elle, fondée sur l'article 1966 C.c.Q., à savoir :

« 1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux. »

La locatrice a-t-elle établi qu'elle entend réellement réaliser un projet d’agrandissement substantiel du logement concerné et que ce projet est légalement faisable?

[18]     S'il y a opposition, il revient à la locatrice de démontrer qu'elle entend réellement agrandir le logement et que la loi le permet.

[19]     Dans son traité sur le louage[1], Pierre Gabriel Jobin s'exprime comme suit quant à la preuve de l'intention réelle de la locatrice de procéder au changement projeté :

« La locatrice démontre sa bonne foi par la preuve du caractère sérieux de son projet; plus particulièrement, il doit établir la possibilité de le réaliser et les démarches préparatoires qu'il a entreprises pour le réaliser. Au nombre de celles-ci, il y a les dispositions financières, la préparation des plans, parfois la recherche de clients. L'obtention d'un permis pour effectuer les travaux ne devrait pas être un élément indispensable, autrement la locatrice serait à la merci des lenteurs de l'Administration-nous y reviendrons. Lorsque cependant la locatrice a obtenu son permis, cela constitue une forte preuve et de sa bonne foi et de la légalité du projet. »

[20]     Dans l'affaire Potvin c. Rocca[2], la juge administrative Sophie Alain résume ainsi les principes de droit relativement à une demande effectuée en vertu de l'article 1966 du C.c.Q. :

« La formule "qu'il entend réellement" oblige le Tribunal à vérifier si la démarche entreprise par les locateurs est faisable et que leur intention est réelle, certaine et ferme. Cela équivaut implicitement à devoir prouver la bonne foi; bonne foi qui doit exister à toutes les étapes du processus, soit dès l'envoi de l'avis, jusqu'au moment de l'éviction conformément à l'article 1375 C.c.Q. En effet, un locateur ne peut pas faire indirectement ce qu'il n'a pas le droit de faire directement.


Certes, le désir des propriétaires de rentabiliser leur immeuble n'est pas en soi un obstacle à une demande d'éviction et cela ne révèle pas qu'ils sont de mauvaise foi. Selon le professeur Jobin, "la locatrice jouit d'une grande discrétion quant au but poursuivi". C'est aussi ce que confirme la jurisprudence constante du Tribunal de la Régie du logement :

À moins d'obtenir un aveu spontané de la locatrice qu'il n'entend pas mener à terme son projet, cette volonté devra s'inférer par sa bonne foi, sa crédibilité, la preuve documentaire et les circonstances entourant le projet.

Au niveau documentaire, la preuve de conformité du projet de la locatrice avec la loi et la réglementation municipale ou autre est l'un des éléments dont le tribunal doit prendre en considération. Elle s'établit notamment par la production des permis délivrés par la municipalité ou par l'opinion d'un expert.

Finalement, le Tribunal ne doit pas automatiquement permettre une éviction devant la preuve de la délivrance d'un permis municipal, car il jouit d'une certaine latitude au-delà de l'évaluation de la preuve documentaire. »

[Références omises]

[21]     À la lumière de ces principes et après analyse de l'ensemble de la preuve soumise, aucun plan, aucune estimation du coût, aucun permis n'ayant été encore délivré, aucun professionnel n’ayant été consulté et aucun expert n'étant venu témoigner sur la conformité du projet, le Tribunal en vient à la conclusion que la locatrice ne s'est pas acquittée de son fardeau de prouver la faisabilité et la légalité de l’agrandissement du logement.

[22]     De plus, la demande du permis n’a été envoyée que deux jours avant la tenue de l’audience.

[23]     La preuve d'une demande de permis ne peut suffire à elle seule à établir la conformité des travaux envisagés aux normes réglementaires applicables.

[24]     Ainsi, la demande d'opposition de la locataire est accueillie, la locatrice pouvant éventuellement faire une autre demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]     ACCUEILLE l'opposition de la locataire;

[26]     CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire les frais de justice de 23 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Stella Croteau

 

Présence(s) :

la locataire

Me Florence Lacharité, avocate de la locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

4 février 2022

 

 

 


 


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