Prokopchuk c. Montréal-QC Value-Add Holdings Ltd.

2024 QCTAL 40600

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

805133 31 20240702 T

No demande :

4489671

 

 

Date :

14 novembre 2024

Devant le juge administratif :

Luk Dufort

 

Bruce Prokopchuk

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Montréal Qc Value Add Holdings Ltd

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le locataire demande la rétractation de la décision du 18 septembre 2024 de la juge administrative Annie Guillemette.
  2.          Cette décision accueille la demande de la locatrice, résilie le bail et condamne le locataire à la somme de 5 838 $ en non-paiement de loyer.

Demande de remise

  1.          Le jour de l’audience sur la demande en rétractation, le locataire fait parvenir une demande de remise. Il y a lieu de reproduire intégralement cette demande de remise :

«I have been attempting to contact your office by phone, but the line has been continuously busy for the past 30 hours. I previously sent an email to the wrong address regarding the hearing, and as a result, the hearing proceeded without my knowledge. Despite requesting an urgent reply, I did not receive a response, which led to the hearing taking place in my absence.

I would like to note that I had broken my glasses at the time, making it difficult for me to see or locate any relevant documents. This was the reason I had to request a "rétractation de Jugement,"

Since then, I have attempted to meet with Carrie/Cogir, but scheduling conflicts and my bout with COVID made it difficult. I sent her the requested proof via email, and we finally met on Thursday, November 9th. During our meeting, we exchanged information, and additional documentation was requested. The amount in question has changed significantly, and due to-the bank closures.yesterday,I have.not.had.the.chance to obtain-all necessary intormation. or properly review the new claim.

Given the discrepancies in the submitted documents and the drastic change in the amount, I need time to consult with a lawyer or obtain legal advice. I am requesting additional time to address this matter.

Furthermore, my dog was injured in an attack yesterday evening, which has added to the challenges I am currently facing.

I am kindly requesting that the hearing be rescheduled to a later date to allow me adequate time to prepare and gather all necessary information.»


  1.          Le représentant de la locatrice s’oppose à cette demande de remise pour plusieurs motifs. Le Tribunal a refusé la demande de remise du locataire jugeant qu’il s’agit d’un moyen de retarder l’expulsion du logement.
  2.          Dans la décision Ménard c. Lévesque[1], la juge administrative Lucie Béliveau explique bien qu’une demande de remise présentée par une partie ne doit pas être automatiquement accueillie :

«[3]      D’entrée de jeu, le Tribunal est saisi d’une demande de remise de l’audience par une missive émanant de la locataire Renelle Pelletier. Celle-ci dépose une note médicale qui édicte que « la comparution de madame Pelletier devrait être retardée d’un mois pour des raisons médicales »

[4]      Or, les auditions devant la Régie du logement sont choses sérieuses qui impliquent temps et argent.

[5]      Les articles 28 et 29 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement stipulent que :

« 28. La partie qui désire obtenir la remise de l’audience à une date postérieure à celle déterminée dans l’avis d’audition doit produire à la Régie le consentement écrit de l’autre partie. »

« 29. À l’audience, le régisseur peut, d’office ou sur demande écrite ou verbale d’une partie, remettre ou ajourner l’audience à une date ultérieure.

Toute décision relative à une demande de remise est consignée au procès-verbal. »

[6]      Par ailleurs, tel que le stipule un jugement de la Cour supérieure : « Le droit d’être entendu est un droit fondamental, tel que l’ont rappelé les tribunaux judiciaires à maintes reprises. Toutefois, ce droit n’a pas un caractère absolu et la saine administration de la justice constitue également un principe important dans notre droit et dans notre société. Ainsi, les parties doivent faire preuve de diligence dans la conduite de leur dossier. Le droit d’être entendu comporte en effet certaines obligations pour les parties, notamment celle de s’assurer d’être présent ou représenté à la date d’audience fixée pour faire les représentations nécessaires et utiles à leur cause. Pour autant, la jurisprudence et la doctrine enseignent qu’une partie peut, par sa négligence ou son insouciance, renoncer à ce droit ».[1]

[7]      Il est de jurisprudence constante que la décision d'accorder une remise ou un ajournement relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, tel que le relate un jugement de la Cour suprême : « Le pouvoir d’accorder ou de refuser un ajournement en est un que le juge du procès peut exercer discrétionnairement. L’appelant n’a pas établi que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge du procès a omis de suivre les principes juridiques applicables ».[2]

[8]      La remise n'est pas automatiquement accordée, d’autant plus que les locataires n’ont pas obtenu le consentement écrit de l'autre partie.

[9]      D’ailleurs, les locateurs présents à l’audience s’opposent à cette demande de remise car ils la considèrent dilatoire.»

  1.          En l’espèce, le locataire ne fait valoir aucun motif justifiant sa demande de remise. La demande de rétractation est présentée par le locataire et a été transmise en date du 11 octobre. Il est pour le moins surprenant qu’il invoque le besoin d’avoir du temps supplémentaire pour obtenir de l’information puisqu’il s’agit de sa propre demande.
  2.          Dans cette même demande, il invoque comme seul motif de rétractation avoir payé le loyer dû avant l’audience. Il n’avait donc pas besoin d’obtenir plus d’informations de la locatrice et il ne nécessitait pas une rencontre avec Carrie de Cogir.
  3.          Le représentant de la locatrice affirme que cette rencontre est pour le moins particulière, puisque Cogir n’agit plus pour la locatrice depuis le mois d’avril. Il serait surprenant qu’ils aient alors accepté de rencontrer le locataire, d’autant plus que les dettes sont pour des mois postérieurs à leur mandat.
  4.          La question des lunettes n’est pas alléguée dans la demande de rétractation et ne saurait être suffisante pour justifier une remise. L’incident avec le chien est bien malheureux, mais ne saurait justifier non plus une remise.

  1.      Pour ce qui est du besoin d’être représenté par avocat, dans l'affaire Poitras c. Parc des Compagnons, s.e.c.[2], la Cour du Québec cite un passage d'une décision de la juge Suzanne Handman, alors juge au Tribunal du travail dans le contexte où une partie demande une remise parce qu'elle désire être représentée par un avocat :

« [17] Le droit à la représentation par avocat, devant une cour de justice, est un droit fondamental qui découle de la justice naturelle, en vertu de la common law. [...] Ce droit peut être invoqué, devant un tribunal administratif, puisqu'en vertu de l'article 56 de la Charte québécoise, un "tribunal" comprend tout organisme judiciaire et quasi judiciaire ainsi que les commissions d'enquête.

[18] Le droit à la représentation par avocat, par contre, n'est pas absolu. Il appartient au tribunal d'apprécier, suivant les circonstances et la nature du litige, si une remise est nécessaire à une défense pleine et entière ou s'il s'agit d'un moyen qui n'est qu'abusif. Un tribunal inférieur, étant maître de sa procédure, détient une discrétion à cet égard. Seul le refus arbitraire d'ajournement peut entraîner un déni de justice et justifier l'intervention judiciaire.

[...]

[20] Comme le droit à la représentation par avocat, le droit d'être représenté par l'avocat de son choix ne constitue pas un droit absolu et est également assujetti à des limitations raisonnables. Les facteurs pris en considération comprennent le sérieux des motifs justifiant l'absence de l'avocat, l'époque de la demande d'ajournement, le nombre d'ajournements déjà accordés, l'existence d'un conflit d'intérêts et une conduite fautive ou négligence de la part du procureur. On a également considéré la possibilité qu'il s'agisse d'une manœuvre visant à retarder le déroulement de l'audition, l'impératif de temps, l'intérêt des parties à bénéficier d'une procédure rapide et efficace et l'économie générale de la loi. »

  1.      La rétractation concernait les loyers du mois dû avant l’audience du 11 septembre 2024. Les informations étaient disponibles avant que le locataire n’entreprenne sa demande en rétractation. S’il avait besoin d’être représenté, il a été négligent d’attendre à quelques jours de l’audition avant de prendre une décision à ce sujet. De plus, il ne démontre pas avoir fait des démarches pour chercher un avocat.
  2.      La locatrice fait également valoir comme motif que la demande de remise lui causerait un préjudice, car le locataire doit toujours la somme de 5 838 $ en non-paiement de loyer.
  3.      Le Tribunal est d’avis que la demande de remise n’est pas justifiée et qu’il s’agit d’un moyen pour retarder son expulsion.
  4.      Le Tribunal a donc rejeté la demande de remise et procédé sur la demande en rétractation.

Demande de rétractation

  1.      Vu l'absence de preuve au soutien de la demande en raison de l'absence du locataire, le Tribunal procède à rejeter la demande.
  2.      Enfin, on requiert du Tribunal qu’il interdise au locataire de présenter toute autre demande de rétractation dans le présent dossier conformément à l’article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement qui prévoit :

« Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

  1.      La locatrice argumente que le locataire utilise la rétractation pour retarder son expulsion.
  2.      Dans l’affaire Hasni c. Brault[3], la juge administrative Francine Jodoin analyse l’article 63.2 de la Loi :

« [36]   Cette disposition ne vise pas à empêcher une partie de contester valablement une décision qu'elle estime contraire aux règles de droit toutefois, elle vise le respect du processus judiciaire.

[37]   Dans la décision Pyrioux inc. c. 9251-7796 Québec inc.[8] , la Cour d'appel invite à la retenue et à la prudence dans ce domaine. D'autres décisions ont aussi rappelé que l'émission d'une telle interdiction ne peut se faire à la légère[9] et encore moins par complaisance, en raison des conséquences sérieuses qui peuvent en découler[10].

...

[45]   En effet, l'article 63.2 de la Loi sur la Régie du logement permet uniquement d'imposer une limitation procédurale pour empêcher le dépôt d'une nouvelle demande dans une instance déjà introduite qui vise à retarder abusivement l'exécution de la décision rendue.

[46]   Dans ce contexte, une décision est déjà rendue et par des procédures répétées (rétractation, rectification), une partie résiste à s'y soumettre et tente d'en retarder l'exécution.

[47]   Cette modification législative visait, en outre, à endiguer, les demandes de rétractation répétitives qui s'avèrent frivoles et dilatoires. »

  1.      En l’instance, le Tribunal considère qu’il y a lieu de prononcer une limitation procédurale puisque la demande du locataire et sa demande de remise contiennent de fausses informations et semblent être faites seulement pour retarder son expulsion. Le locataire n’avait aucune raison de ne pas être présent à l’audience du 11 septembre 2024 et son absence à l’audition sur sa rétractation est injustifiée.
  2.      Le Tribunal est d’avis que la demande en rétractation et la demande de remise dans le dossier actuel constituaient un autre moyen pour le locataire de retarder l’exécution d’une décision du Tribunal.
  3.      En conséquence, le Tribunal est donc d’avis qu’il y a lieu dans la présente affaire d’émettre une limitation procédurale afin de limiter sa capacité à retarder l'exécution de la décision rendue par le Tribunal le 10 septembre 2024.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande en rétractation;
  2.      MAINTIENT la décision rendue le 10 septembre 2024;
  3.      INTERDIT au locataire d'introduire toute autre demande de rétractation dans le présent dossier, sauf sur autorisation du président du Tribunal administratif du logement ou toute autre personne que ce dernier pourra désigner.

 

 

 

 

 

 

 

 

Luk Dufort

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

13 novembre 2024

 

 

 


 


[1] 2019 QCRDL 33362

[2] Poitras c. Parc des Compagnons, s.e.c., 2011 QCCQ 7733

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