Nguyen c. Giglio | 2025 QCTAL 15787 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 839331 31 20241220 G | No demande : | 4568812 |
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Date : | 01 mai 2025 |
Devant la juge administrative : | Annie Guillemette |
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Hien Minh Nguyen | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Virlu Giglio | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Par une demande introduite le 20 décembre 2024, la locatrice demande au Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement loué par la locataire afin d’y loger son fils, Xavier Tran, conformément à l’article 1963 du Code civil du Québec.
QUESTIONS EN LITIGE
- L'avis a-t-il été transmis dans les délais légaux et son contenu est-il conforme?
- La partie demanderesse a-t-elle le droit de reprendre son logement?
- Si oui, à quelles conditions peut-elle reprendre son logement?
CONTEXTE
- Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 dont le loyer mensuel est de 710 $.
- Le 17 décembre 2024, la locatrice a transmis à la locataire un avis lui indiquant son intention de reprendre le logement à compter du 30 juin 2025 afin d’y loger son fils[1].
- Le 19 décembre 2024, la locataire a répondu qu’elle refuse de quitter son logement, d’où la présente demande[2].
- À l’audience, la locataire est absente. La cause procède donc par défaut.
- La locatrice est seule propriétaire de l’immeuble, l’ayant obtenu par donation de la part de sa mère le 21 mai 2019[3].
- La locatrice est propriétaire de cet immeuble ainsi que de l’immeuble voisin, chaque bâtiment comportant chacun sept logements. Aucun logement n’est vacant. Elle souhaite reprendre un logement afin d’y installer son fils qui termine ces jours-ci ses études en design graphique. Elle relate que celui-ci a démarré son entreprise et qu’il souhaite commencer sa vie d’adulte en ayant son propre appartement.
- Le logement de la locataire a été choisi, car il est situé au sous-sol et le plus près de la rue. En effet, dans le cadre de son travail, son fils doit transporter des équipements lorsqu’il se rend chez des clients pour y effectuer ses mandats. Ce logement est donc le choix le plus pratique.
- Si la reprise est accordée, son fils lui paiera un loyer du même montant que celui payé actuellement par la locataire.
- Outre les deux immeubles dont il a été question, elle est propriétaire d’un duplex qui est également loué et qui serait trop grand pour les besoins de son fils.
- Finalement, elle est prête à payer les frais raisonnables de déménagement de la locataire. D’après les renseignements obtenus, elle avance un taux horaire de 120 $ et une durée d’environ quatre heures. Elle précise que les électroménagers sont inclus au bail et n’auront pas à être déménagés.
- Le fils de la locatrice corrobore le témoignage de sa mère. Il ajoute qu’il connaît le quartier et qu’il l’apprécie. Il mentionne également qu’il s’installera dans le logement à long terme, le temps d’économiser suffisamment pour acquérir une propriété.
ANALYSE ET DÉCISION
Droit à la reprise du logement
- La demande de la locatrice repose sur les articles 1957 et 1963 du Code civil du Québec :
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »
- La partie demanderesse est locatrice et propriétaire de l'immeuble. L’avis de reprise est conforme aux prescriptions de l’article 1961 du Code civil du Québec, si bien que le Tribunal analysera si la demande répond aux critères élaborés par la loi et la jurisprudence.
- La reprise d’un logement oppose deux droits, à savoir le droit du propriétaire d'un bien d'en jouir comme bon lui semble et le droit d’un locataire au maintien dans les lieux loués[4].
- La reprise d’un logement est une exception au droit au maintien dans les lieux. Lorsqu’il s’agit de faire perdre le droit au maintien dans les lieux d’un locataire, le législateur impose au locateur le fardeau de démontrer de manière prépondérante que son projet repose sur des faits raisonnables et probables et non sur de faux prétextes et d'en convaincre le Tribunal.
- Le Tribunal doit vérifier si ces motifs n'ont pas pour but de mettre fin au droit au maintien dans les lieux de la locataire par un moyen détourné. L’auteur Jacques Deslauriers qualifie ainsi l’intention d’un locateur qui désire reprendre un logement[5] :
« Le locateur doit, contrairement à l’article 2805 C.c.Q., prouver sa bonne foi et justifier le but réel de la reprise de possession. La bonne foi doit être prouvée « relativement à l’intention d’habiter et relativement aux intentions qui l’ont poussé et motivé à faire la demande de reprise de possession » 2691. »
(Référence omise)
- Le Tribunal doit donc scruter les intentions de la locatrice à la lumière de toute la preuve administrée.
- La soussignée fait siens les propos tenus par la juge administrative Sophie Alain quant à la preuve à administrer en matière de reprise de logement :
« En conséquence, il ne doit y avoir aucun doute dans l'esprit du Tribunal[8] sur la réalisation et la faisabilité du projet, que ce dernier soit suffisamment certain et circonscrit, qu’il soit permanent, excluant le court terme, et qu’il ne repose pas uniquement sur une base transitoire ou hypothétique. En cas de doute, la demande de reprise du logement sera rejetée[6]. »
(Référence omise)
- La soussignée fait également siens les propos de la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Leroux c. David[7], laquelle précise :
« [31] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement qu'aux raisons qui l'amènent à requérir le logement.
[32] En effet, l'intention de se loger dans le logement peut être bien réelle, mais s'il s'agit d'un subterfuge, un faux-fuyant ou une diversion pour obtenir le départ du locataire afin de satisfaire d'autres besoins, l'autorisation à la reprise ne peut être accordée.
[33] Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables(5), l'état des relations(6) ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement(7) peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien.
[34] Dans cette évaluation, les tribunaux ont tendance à analyser le besoin réel et sérieux de reprendre le logement.(8)
[35] Le locateur qui choisit d'exercer une procédure de reprise du logement ne peut se servir de ce droit dans le but d'évincer un locataire pour d'autres motifs (ex. rentabilisation de son investissement immobilier, manquements contractuels, loyer peu élevé, rénovations à entreprendre, etc). »
(Références omises)
- En l'occurrence, la locatrice a fait la preuve, par prépondérance, qu'elle entend réellement prendre possession du logement de la locataire afin d'y loger son fils. Rien dans la preuve ne permet de douter de la sincérité et de la bonne foi de la locatrice et de son projet de reprise de logement.
- Le Tribunal fait donc droit à la demande de reprise de logement de la locatrice.
Indemnité
- Le Tribunal est d'avis que la locataire a le droit d'être indemnisée d'un montant équivalent à ses frais raisonnables de déménagement.
- Le Tribunal estime qu'un montant de 750 $ est suffisant à cet égard, et ce, considérant la grandeur du logement. Cette indemnité sera payable à la locataire au plus tard le 30 juin 2025 ou le jour du départ de la locataire et peut faire l'objet de compensation dans la mesure où il y a du loyer impayé.
- Finalement, à titre purement informatif, soulignons que la locatrice est tenue de reprendre les lieux loués pour les fins mentionnées à l'avis de reprise. À défaut, l'article 1968 du Code civil du Québec permet d'accorder à la locataire des dommages-intérêts et même des dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.
- De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande de la locatrice;
- AUTORISE la locatrice à reprendre le logement de la locataire dès le départ de cette dernière et, au plus tard, à compter du 30 juin 2025;
- ORDONNE à la locataire de quitter les lieux loués au plus tard le 30 juin 2025, 23 h 59;
- ORDONNE l’expulsion de la locataire ainsi que de tout autre occupant du logement à compter du 1er juillet 2025;
- CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 750 $ au plus tard le 30 juin 2025 ou le jour du départ de la locataire;
- La locatrice assume les frais de justice de sa demande.
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| Annie Guillemette |
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Présence(s) : | la locatrice |
Date de l’audience : | 24 avril 2025 |
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