Décision

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Poulin c. Gareau

2022 QCCA 544

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-09-010152-202, 200-09-010157-201

(200-17-028922-193)

 

DATE :

 22 avril 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

No : 200-09-010152-202

VALÉRIE POULIN

APPELANTE – demanderesse

c.

 

DIANE GAREAU, en sa qualité de syndique de la Chambre des notaires du Québec

INTIMÉE – mise en cause

et

TRIBUNAL DES PROFESSIONS

MIS EN CAUSE défendeur

et

ROXANNE DAVIAULT, en sa qualité de secrétaire du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec

MISE EN CAUSE – mise en cause

 

No : 200-09-010157-201

DIANE GAREAU, en sa qualité de syndique de la Chambre des notaires du Québec

APPELANTE – demanderesse

c.

 

VALÉRIE POULIN

INTIMÉE – mise en cause

et

TRIBUNAL DES PROFESSIONS

MIS EN CAUSE – défendeur

et

ROXANNE DAVIAULT, en sa qualité de secrétaire du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec

MISE EN CAUSE – mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L'appelante, Valérie Poulin, se pourvoit contre un jugement rendu le 19 décembre 2019 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Jacques Blanchard), lequel rejette sa demande de pourvoi en contrôle judiciaire portant sur la révision d’une décision du Tribunal des professions [le Tribunal]. Dans un appel distinct, Diane Gareau, en sa qualité de syndique de la Chambre des notaires du Québec, se pourvoit elle aussi contre ce jugement[1].

[2]                Au cours de l’an 2010, la notaire Valérie Poulin, agit en qualité de liquidatrice testamentaire d’une dame ayant donné instruction à la détentrice de cette charge de procéder à la vente d’un immeuble et d’en remettre le produit à sa légataire, la Fondation Mira. L’opération réalisée en exécution de ce volet du testament est à l’origine d’une déclaration de culpabilité prononcée par le Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec [le Conseil] à l’égard de sept chefs d’infractions[2].

[3]                En 2019, le Tribunal accueille en partie l’appel interjeté par la notaire Poulin contre la décision du Conseil et prononce un acquittement à l’égard des chefs 2, 3, 4, 5 et 6. Il confirme toutefois le verdict de culpabilité sur les chefs 1 et 7[3].

[4]                La notaire Poulin et la syndique de la Chambre des notaires du Québec s’adressent toutes deux à la Cour supérieure au moyen de pourvois en contrôle judiciaire. Cette dernière refuse d’intervenir[4], d’où les appels qu’il faut maintenant trancher. La notaire Poulin recherche pour sa part un verdict d’acquittement à l’égard des chefs 1 et 7, alors qu’à l’inverse, la syndique réclame le rétablissement du verdict de culpabilité sur le chef 5.

[5]                Pour l’essentiel, les débats devant notre Cour, tout comme ceux devant le Conseil, le Tribunal et la Cour supérieure, ont porté sur les thèses opposées des parties quant à l’applicabilité au cas à l’étude de l’article 30 du Code de déontologie des notaires [Code de déontologie][5] et de l’article 7 du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires [le Règlement][6].

[6]                Voici, un peu plus en détail, le contexte de l’affaire.

Le contexte

[7]                La notaire Poulin est membre en règle de la Chambre des notaires du Québec depuis l’an 2000.

[8]                En 2010, Me Julie Gravel, alors employée dans l’étude de la notaire Poulin, reçoit un testament nommant cette dernière liquidatrice. Ce testament prévoit que la liquidatrice a l’obligation de produire un inventaire et de rendre compte selon la loi. Elle est aussi chargée de la pleine administration des biens. La testatrice la dispense de plus de l’obligation de faire fructifier les biens et d’accroître le patrimoine successoral, nonobstant l’article 1306 du Code civil du Québec.

[9]                En vertu des dispositions testamentaires, la liquidatrice peut, seule et sans qu’il soit nécessaire d’obtenir le consentement des légataires ou l’autorisation du tribunal, faire tout acte nécessaire ou utile de même qu’aliéner à titre onéreux tous les biens de la succession. Le testament prévoit notamment l’obligation de vendre un immeuble et d’en remettre le produit à la légataire universelle, la Fondation Mira.

[10]           Voici comment le Tribunal résume la suite des événements :

[9] Elle [Me Poulin] obtient l’avis écrit d’une firme d’évaluateurs agréés (le rapport de De Rico) qui conclut à une valeur marchande de 225 000 $ pour une vente assortie de la garantie légale.

[10] Elle confie le 10 octobre 2010 à l’agent immobilier, M. Yves Gaudry, un mandat pour une mise à prix de 225 000 $ sans garantie légale.

[11] Monsieur Gaudry présente le 14 octobre une promettante-acheteuse, Me Julie Gravel, sa conjointe et aussi employée de l’appelante. Maître Gravel avait reçu le testament de M.D. et elle est informée de la désignation de l’appelante comme liquidatrice.

[12] L’offre de Me Gravel est conforme en tout point à la demande formulée dans le mandat de courtage.

[13] L’appelante accepte de lui vendre à ces conditions. Le contrat notarié intervient le 9 novembre 2010 devant Me Sébastien Manny, également employé de l’appelante.

[14] Maître Gravel revend l’immeuble à 343 000 $ le 9 février 2011 et elle touche 30 % du profit en découlant, devant le partager avec M. Gaudry devenu son ex-conjoint.

[15] Lors d’une inspection professionnelle, l’implication de trois notaires de la même étude dans le processus de vente d’un immeuble attire l’attention. Ce fait déclenche une enquête par l’intimée qui donnera lieu au dépôt de la plainte contre l’appelante.

[16] La Fondation Mira est la légataire universelle de la Succession. Elle en sera informée le 15 octobre 2010 par la transmission de l’inventaire des biens de la Succession. Les honoraires de la liquidatrice et ceux relatifs à la déclaration de transmission y sont mentionnés.

[17] L’appelante a touché des honoraires de 8 529,89 $. Au cours de son enquête, l’intimée a demandé que le compte de la succession soit remboursé pour ce montant vu qu’à son avis, une autorisation écrite des héritiers était requise en vertu de l’article 54 du Code. L’appelante refuse.[7]

La décision du Conseil

[11]           À la suite de l’inspection professionnelle évoquée dans l’extrait de la décision du Tribunal ci-haut reproduit, Me Chantale Racine, alors syndique de la Chambre des notaires du Québec, dépose contre la notaire Poulin une plainte comportant sept chefs d’infractions. En voici le texte :

1.  À Québec, le ou vers le 9 novembre 2010, [l’appelante], à titre de liquidatrice de la Succession de M.D., s’est placée en conflit d’intérêts en procédant à la vente de l’immeuble appartenant à la Succession à son employée, Me Julie Gravel, notaire, alors que cette dernière a reçu le testament de M.D., sous le numéro 1390 de ses minutes.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions de l’article 30 du Code de déontologie des notaires (R.R.Q., c. N-3, r. 2).

2.  À Québec, le ou vers le 9 novembre 2010, [l’appelante], à titre de liquidatrice de la Succession de M.D., a mis en péril l’indépendance et/ou le désintéressement et/ou l’objectivité et/ou l’intégrité requis pour l’exercice de la profession de notaire en procédant à la vente de l’immeuble appartenant à la Succession à son employée, Me Julie Gravel, notaire, alors que cette dernière a reçu le testament sous le numéro 1390 de ses minutes.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions de l’article 29.1 du Code de déontologie des notaires (R.R.Q., c. N-3, r.2).

3.  À Québec, le ou vers le 9 novembre 2010, [l’appelante], à titre de liquidatrice de la Succession de M.D., a fait défaut de sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle, en procédant à la vente de l’immeuble appartenant à la Succession à son employée, Me Julie Gravel, notaire, alors que cette dernière a reçu le testament de M.D., sous le numéro 1390 de ses minutes.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions de l’article 29 du Code de déontologie des notaires (R.R.Q. c. N-3, r. 2).

4.  À Québec, le ou vers le 9 septembre 2010, à partir du compte de la Succession de M.D., [l’appelante], à titre de liquidatrice de la succession de M.D., a détourné et/ou utilisé à des fins autres, une somme de 8 529,89 $.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions des articles 1, 13 et 56 7o du Code de déontologie des notaires (R.R.Q., c. N-3, r. 2).

5.  À Québec, le ou vers le 9 novembre 2010, à partir du compte de la Succession de M.D., [l’appelante], à titre de liquidatrice de la succession de M.D., a prélevé des honoraires et frais au montant de 8 529,89 $.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions des articles 54 du Code de déontologie des notaires (R.R.Q., c. N-3, r. 2).

6. À Québec, depuis le ou vers le 30 août 2010, [l’appelante] a omis de consigner et de comptabiliser en fidéicommis tous les fonds, valeurs et autres biens qui lui ont été confiés à titre de liquidatrice de la succession de M.D.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions des articles 1 et 4 du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires ((2002) 134 G.O. II, 6144 [R.R.Q., c. N-3, r. 5]).

7.  À Québec, depuis le ou vers le 30 août 2010, [l’appelante] a omis de déposer dans un compte en fidéicommis ouvert à son nom, tous les fonds, valeurs et autres biens qui lui ont été confiés à titre de liquidatrice de la succession de M.D.

Ainsi, [l’appelante] a contrevenu aux dispositions de l’article 7 [du] Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires ((2002) 134 G.O. II, 6144 [R.R.Q., c. N-3, r. 5]).

[12]           Le 13 mars 2014, le Conseil la déclare coupable des chefs 1, 4, 5, 6 et 7 et prononce un arrêt conditionnel des procédures quant aux chefs 2 et 3[8], tout en reconnaissant qu’un rapport d’expert rédigé par la firme De Rico établit la valeur marchande de l’immeuble au prix auquel la notaire Poulin l’a effectivement vendu, soit 225 000 $. Le Conseil ajoute que l’agent d’immeuble Gaudry connaissait le potentiel de développement du terrain, un élément que, de son côté, la notaire Poulin ignorait selon toute vraisemblance.

[13]           Le Conseil retient qu’avant la vente, la notaire Poulin était au courant du désir de son employée, Me Gravel, alors conjointe de l’agent d'immeuble Gaudry, de se porter acquéreuse de l’immeuble pour y construire des condominiums. À partir de ce moment, elle se plaçait en situation de conflit d’intérêts, de sorte que, plutôt que de consentir à la vente, elle aurait dû, selon le Conseil, consulter la Fondation Mira et vérifier ensuite le zonage de la propriété de même que son potentiel de développement.

[14]           Dans sa décision, le Conseil prend en compte le fait que la notaire Gravel et son conjoint de l’époque ont revendu l’immeuble quelques mois plus tard en réalisant un profit de plus de 100 000 $. Il conclut à l’existence d’un conflit d’intérêts, même si la notaire Poulin n’a retiré aucun bénéfice personnel de cette vente. En favorisant les intérêts de son employée plutôt que ceux de la Fondation, elle a, soutient-il, entaché la réputation de l’ensemble de la profession.

[15]           Pour ce qui est des chefs 4 et 5, le Conseil ne nie pas le droit aux honoraires ni leur justification, mais il estime que la notaire ne pouvait les prélever sans l’autorisation écrite de sa cliente, comprendre ici la Fondation Mira. Sans trop de motivation, il la reconnaît ensuite coupable des chefs 6 et 7. 

[16]           Le 2 février 2016, le Conseil lui inflige une période de radiation de 21 mois sur le chef 1, de 12 mois sur les chefs 4 et 5 et de 2 mois à l’égard des chefs 6 et 7, ces sanctions devant à être purgées concurremment[9].

La décision du Tribunal des professions

[17]           Le 7 janvier 2019, le Tribunal accueille en partie les appels de la notaire Poulin, tant celui interjeté contre le verdict de culpabilité que celui visant la sentence ayant infligé les sanctions. Ses principales conclusions sont les suivantes :

-          Il confirme l’existence d’un conflit d’intérêts objectif découlant de la vente de l’immeuble de la succession à son employée (chef 1);

-          Il acquitte la notaire des chefs 2 et 3, au motif que celle-ci n’a touché aucun avantage de cette vente;

-          Il l’acquitte des chefs 4 et 5 ayant trait au versement d’honoraires à même l’actif de la succession, estimant que la notaire Poulin était en droit de prélever ses honoraires du compte de la succession, ce que lui permettait le testament;

-          Il l’acquitte du chef 6, retenant que l’article 1 du Règlement n’exige pas que les sommes reçues soient consignées dans un compte en fidéicommis;

-          Il confirme la culpabilité quant au chef 7 parce qu’en déposant les sommes dans un compte ordinaire, la notaire Poulin les a soustraites au contrôle immédiat de la Chambre des notaires du Québec. Le Conseil estime que la testatrice était en droit de s’attendre aux garanties associées au statut de notaire de la liquidatrice;

-          Il abaisse la période de radiation à 6 mois sur le chef 1 et refuse d’intervenir sur la peine quant au chef 7 (2 mois concurrents).

[18]           L’intervention du Tribunal se fonde sur l’existence d’erreurs, tant factuelles que de principe, lesquelles entacheraient la décision du Conseil. Il souligne notamment la prise en compte de faits postérieurs à la vente, lesquels ne pouvaient être à la connaissance de la notaire Poulin.

[19]           À ce sujet, il note que l’établissement de condominiums sur l’immeuble n’était possible qu’en faisant l’acquisition de superficies additionnelles, de sorte que l’évaluation obtenue par la notaire représentait fidèlement la valeur de la propriété, soit 225 000 $. Le Tribunal ajoute que la notaire Poulin n’avait pas une connaissance précise du zonage ni celle de la possibilité d’effectuer une opération d’assemblage, laquelle consistait ici dans l’achat de terrains contigus rendant ainsi possible la construction de condominiums. Ce potentiel ne s’était d’ailleurs pas encore matérialisé au moment de l’audition sur sentence devant le Conseil. Finalement, le Tribunal ajoute que ce dernier commet une erreur de principe en assimilant la notaire Poulin au maître d’œuvre de l’opération alors qu’il s’agissait en réalité de l’agent d’immeuble Gaudry.

Le jugement de la Cour supérieure

[20]           La Cour supérieure reconnaît que le Tribunal des professions a appliqué la bonne norme de contrôle, soit celle énoncée dans Parizeau c. Barreau du Québec[10]. Cet arrêt prévoit que « l’instance d’appel peut en principe corriger toute erreur de droit entachant la décision dont appel ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou l’application du droit (s’il a été correctement déterminé) aux faits »[11]. La Cour supérieure ajoute qu’en l’occurrence, le Tribunal a bien cerné ses paramètres d’intervention.

[21]           Par la suite, établissant sa propre norme d’intervention, le juge décide que celle de la décision raisonnable s’applique, le litige ne portant pas sur des questions de nature exceptionnelle ou revêtant une importance capitale pour le système de justice au sens de l’arrêt Dunsmuir[12].

[22]           Sur le tout, il se dit d’avis qu’il n’y a pas matière à révision.

Les prétentions en appel

[23]           La notaire Poulin et la syndique de la Chambre des notaires du Québec, Diane Gareau, sont insatisfaites du jugement de la Cour supérieure, s’accordant à avancer que le dispositif retenu par le Tribunal est déraisonnable. Il y a aussi consensus entre elles quant à la nécessité de la présence d’une relation professionnelle entre un notaire et un client pour justifier l’application de l’article 30 du Code de déontologie. Là s’arrête cependant la concordance de leurs prétentions.

[24]           Pour la notaire Poulin, le Tribunal s’est lourdement mépris en affirmant que la testatrice était sa cliente lorsqu’elle a agi en qualité de liquidatrice, s’agissant ici du fondement même sur lequel s’appuie le verdict de culpabilité à l’égard du chef 1. Selon elle, un liquidateur successoral n’a pas de client si bien que l’article 30 ne peut recevoir application, pas plus d’ailleurs que l’article 7 du Règlement. Elle affirme, de plus, ne pas s’être trouvée en situation de conflit d’intérêts objectif et juge déraisonnable l’imposition de périodes de radiation de 6 et 2 mois. Dès lors, soutient-elle, la Cour supérieure avait le devoir d’intervenir.

[25]           Pour la syndique Gareau, au contraire, une relation de client à notaire existait entre la bénéficiaire du legs et la notaire Poulin lorsque cette dernière agissait en qualité de liquidatrice. Elle avance de surcroît que le Tribunal aurait exercé sa compétence de façon raisonnable en statuant que la notaire Poulin pouvait prélever ses honoraires et frais sans une autorisation préalable de la Fondation Mira. À son avis, la Cour supérieure aurait dû intervenir au motif que le Tribunal avait erré en droit en infirmant la déclaration de culpabilité prononcée sur le cinquième chef.

Analyse

[26]           Il fut un temps où la Chambre des notaires du Québec incitait ses membres à refuser d’agir comme exécuteur testamentaire. Pour elle, l’exercice d’une pareille fonction semblait entrer en conflit avec le rôle d’officiers publics des notaires. Les temps ont changé et l’ordre professionnel encourage maintenant ses membres à répondre à un besoin grandissant des justiciables[13].

[27]           Le Code de déontologie édicte des règles de conduite regroupées dans trois chapitres différents.

[28]           Le premier impose aux notaires des devoirs et obligations envers le public, dont celui d’agir avec dignité et d’éviter toutes méthodes ou attitudes susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession et à son aptitude à servir l’intérêt public. Le second chapitre touche les devoirs et obligations envers les clients, prévoyant des règles d’intégrité, de disponibilité, de diligence, de responsabilité, d’indépendance et de désintéressement. On y traite aussi du respect du secret professionnel, de la confidentialité, de la façon de tenir les dossiers et de la fixation des honoraires professionnels. Le dernier chapitre, quant à lui, porte sur les devoirs et obligations envers la profession, interdisant notamment aux notaires de faire partie du Barreau du Québec pour des motifs d’incompatibilité. On y dresse aussi une liste d’actes dérogatoires à la profession.

[29]           Cette organisation réglementaire fait en sorte que plusieurs interrogations perdurent quant à l’application du deuxième chapitre du Code de déontologie et des divers règlements[14] lorsqu’un notaire agit comme liquidateur d’une succession. Dans une telle conjoncture, un notaire a-t-il un client? Est-il soumis à l’article 30 du Code de déontologie portant sur les conflits d’intérêts et à l’article 7 du Règlement?

[30]           Ces questions sont au cœur des pourvois qu’il s’agit maintenant de trancher. À noter que ceux-ci ne remettent pas en cause les normes de contrôle applicables. Les parties s’entendent en effet pour reconnaître que les bonnes normes d’intervention et de contrôle ont été appliquées, tant par la Cour supérieure que par le Tribunal des professions[15].

[31]           Les appels visent uniquement les conclusions du Tribunal quant aux chefs 1, 5 et 7. Fait notable, les deux parties conviennent du caractère déraisonnable du volet de la décision ayant attribué à la testatrice le statut de cliente de la notaire liquidatrice (chef 1).

Chef 1 : conflit d’intérêts en vertu de l’article 30 du Code de déontologie des notaires

[32]           D’entrée de jeu, il convient de reproduire le texte de la disposition en cause :

30. Le notaire doit éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts.

Il est en situation de conflit d’intérêts lorsque les intérêts sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux et que son jugement ou sa loyauté peuvent être défavorablement affectés.

Dès qu’il constate qu’il se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, il doit en aviser sans délai son client et cesser d’exercer ses fonctions, à moins que le client consente par écrit, après avoir été informé de la nature du conflit d’intérêts et des faits pertinents qui lui sont rattachés, à ce que le notaire continue d’exercer ses fonctions.

Toutefois, le notaire à qui est présentée une demande visée à l’article 312 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ou qui agit dans le cadre d’une demande de dissolution de l’union civile conformément à l’article 521.13 du Code civil, doit cesser d’exercer ses fonctions dès qu’il constate qu’il est en situation de conflit d’intérêts.

 

30. A notary shall avoid all situations where he could have a conflict of interest.

A notary has a conflict of interest where the interests are such that he may be inclined to give preference to some of them and his judgment or loyalty may be unfavourably affected.

 

The notary shall notify his client and cease to perform his duties as soon as he is aware that he has a conflict of interest, unless the client, after being informed of the nature of the conflict of interest and the facts relating thereto, authorizes the notary in writing to continue.

 

 

However, a notary who receives an application under article 312 of the Code of Civil Procedure (chapter C-25.01) or who acts pursuant to an application for dissolution of a civil union under article 521.13 of the Civil Code shall cease to perform his duties as soon as he is aware that he has a conflict of interest.[16]

[Soulignements ajoutés]

 

1)     Le notaire liquidateur a-t-il un client au sens de ce texte?

[33]           Cette question constitue l’élément central du désaccord qui oppose les différents protagonistes.

[34]           La difficulté tient en partie au fait qu’aucune norme déontologique spécifique au rôle de liquidateur d’une succession ou d’administrateur du bien d’autrui ne se trouve dans le Code de déontologie ou dans le Règlement. Elle découle aussi du caractère protéiforme du vocable « client ».

[35]           La Cour estime opportun d’aborder d’abord ce second volet du problème.

[36]           Bien sûr, il existe des situations où la justesse du qualificatif « client » ne suscite aucune controverse, mais ce n’est pas toujours le cas, comme le litige à l’étude en fait l’éclatante démonstration. En l’espèce, le Tribunal estime que la testatrice était la cliente de la notaire Poulin. La syndique, pour sa part, se dit d’avis que c’est plutôt la Fondation Mira, en sa qualité de bénéficiaire du legs, qui possède ce statut. Pour la notaire Poulin, enfin, un liquidateur, fut-il notaire, ne dessert aucun client au sens usuel de ce vocable.

[37]           La signification de ce terme est, somme toute, tributaire du contexte dans lequel on en fait usage. Ainsi, dans le commerce, il désigne souvent, mais pas toujours, un acheteur habituel.

[38]           À y regarder de plus près, la difficulté existe même lorsqu’il s’agit de cerner son sens précis dans le contexte du milieu juridique lorsque l’on se réfère aux sens usuels retenus par les dictionnaires. Ainsi les définitions avancées respectivement par Larousse et Robert recèlent de subtiles différences. Larousse définit le client comme étant la « personne qui reçoit d'une entreprise, contre paiement, des fournitures commerciales ou des services »[17]. Quant au dictionnaire Robert, il propose la signification suivante : « personne qui achète ou requiert des services moyennant rétribution »[18].

[39]           Comme on peut le constater, cette définition du dictionnaire Robert pourrait alimenter la thèse soutenue par la notaire Poulin, dans la mesure où aucune personne vivante n’a acheté ou requis ses services lors de son acceptation de la charge de liquidatrice. Cette même définition pourrait aussi appuyer la position du Tribunal qui a vu en la testatrice la personne ayant requis les services de la notaire Poulin contre rétribution.

[40]           Par opposition, la définition de Larousse semblerait plutôt favoriser la thèse de la syndique en ce que la succession, ici la Fondation Mira, a reçu les services rendus par la notaire Poulin contre une rétribution dont, en définitive, elle a assumé le coût.

[41]           Qu’en est-il de la justesse de ces différentes propositions? 

[42]           Voici, en premier lieu, un bref rappel du raisonnement sur lequel se fonde la décision du Tribunal.

[43]           Après avoir constaté que la notion de « client » n’est pas définie dans le Code des professions, dans la Loi sur le notariat ou dans le Code de déontologie, le Tribunal estime qu’il faut donner au mot « client » ce qui serait son sens usuel, en l’occurrence, celui désignant la personne à qui le professionnel rend des services. Il fait ainsi sienne la thèse des auteurs Jean Lambert et Michel Beauchamp qui semblent attribuer au testateur la qualité de client du notaire liquidateur[19].

[44]           Le Tribunal s’exprime ainsi :

[54] Par le testament, l'appelante reçoit ses instructions. La testatrice prescrit alors la forme de l’inventaire de ses biens et, le cas échéant, de la démission de la liquidatrice et de sa reddition de comptes. Elle précise que l’appelante a la pleine administration des biens de la Succession, l’autorisant à vendre l’immeuble sans autorisation des héritiers ou d’un tribunal. Finalement, la testatrice autorise qu’elle soit rémunérée à son tarif horaire en vigueur au moment où elle agira.

[55] Le décès de M.D. déclenche la mise en œuvre de l’administration de la Succession et place l'appelante devant l’obligation d’accepter ou non la charge de liquidatrice testamentaire. Ainsi, l'appelante, en acceptant la charge, fait de la testatrice sa cliente, justifiant ainsi l’application de l’article 30 du Code.[20]

[45]           La syndique, au contraire, soutient la thèse selon laquelle le notaire liquidateur doit rendre des comptes à la succession de sorte que cette dernière devient sa cliente à titre de bénéficiaire de la prestation dont il s’agit.

[46]           La Cour ne peut cautionner aucun de ces postulats.

[47]           En ce qui concerne la thèse soutenue par le Tribunal, la Cour, à l’instar des deux parties, estime qu’elle est déraisonnable. Une fois décédée, une personne ne peut devenir un sujet de droit. Il s’ensuit que le Tribunal ne peut affirmer à bon droit que la défunte testatrice devient la cliente de la liquidatrice au moment où cette dernière accepte la charge que lui confie le testament. Ce constat rejoint d’ailleurs l’opinion du professeur Beaulne[21].

[48]           Au soutien de la thèse selon laquelle c’est plutôt la succession qui devient la cliente de la notaire Poulin, la syndique se réclame d’un courant jurisprudentiel et doctrinal selon lequel le liquidateur doit rendre des comptes à la succession du défunt[22].

[49]           Les tribunaux ont tantôt considéré que le liquidateur ne représentait pas les héritiers[23], tantôt soutenu une position différente[24]. Dans Bergeron c. Fortier, notre Cour a par ailleurs précisé qu’en application des dispositions du Code civil du Québec, « ce sont les créanciers de la succession qui sont au premier rang des bénéficiaires de l’opération »[25]. En somme, il semble bien qu’il n’y a pas encore de consensus clair sur l’identité du ou des bénéficiaires de l’administration de la succession[26].

[50]           Ainsi, la proposition avancée par la syndique n’est guère plus séduisante que celle préconisée par le Tribunal.

[51]           Le liquidateur doit exécuter son mandat selon les volontés du testateur dans le cadre de la loi, notamment des dispositions du livre troisième du Code civil du Québec. En ce sens, plusieurs personnes sont susceptibles de bénéficier des prestations fournies par un liquidateur, que ce dernier possède ou non le statut de notaire. Il s’agit parfois des créanciers, parfois des légataires et souvent, aussi, des membres de la famille qui, par ricochet, ont ainsi l’occasion de voir leur rôle allégé.

[52]           En l’espèce, l’exécution des tâches relevant de la liquidatrice Poulin l’a conduite à dresser un inventaire, payer les créanciers, acquitter les legs particuliers, disposer des meubles, vendre la maison pour ensuite remettre le prix de vente à la Fondation Mira.

[53]           En définitive, le mot « client », tout protéiforme qu’il soit, ne peut voir son sens étendu automatiquement au point de désigner clairement soit le testateur, soit la personne bénéficiaire des prestations fournies par le liquidateur. Le fait que ce dernier ait des comptes à rendre à la succession n’a pas pour effet de transformer en « cliente » la récipiendaire de ces comptes. Également, on se voit mal attribuer le qualificatif de « client » au créancier qui reçoit paiement de la dette due par le défunt.

[54]           Dans ce contexte, et prenant en compte la trame factuelle particulière du dossier à l’étude, telle que présentée par les parties, les tâches dont il s’agit ne relèvent pas de l’exécution d’un contrat de services professionnels «à l’égard d’un client».

[55]           Bien sûr, la notaire Poulin conserve toujours son titre de notaire lorsqu’elle procède à la liquidation, de sorte que, sans avoir à en décider, il n’est dès lors pas impossible que d’autres obligations déontologiques n’impliquant pas de relation notaire-client aient pu s’appliquer à la situation sous étude, comme, notamment, celles se trouvant au chapitre portant sur les « Devoirs et obligations du notaire envers le public ». Le statut de notaire impose, en effet, certains devoirs à tout membre de la profession, même lorsqu’il n’agit pas en exécution d’un contrat de services professionnels conclu avec un client. Il suffit de penser à l’obligation d’éviter toute méthode ou attitude susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession :

1. Le notaire doit agir avec dignité et éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de nuire à la bonne réputation de la profession et à son aptitude à servir l’intérêt public.

1. Every notary shall act with dignity and shall refrain from using methods or adopting attitudes likely to detract from the good repute of the profession or from the notary’s ability to serve the public interest. [27]

 

[56]           Ne peut être retenu, par ailleurs, l’argument selon lequel seules les dispositions du Code civil du Québec portant sur l’administration du bien d’autrui seraient susceptibles d’application en l’espèce. En effet, c’est en raison de son statut de notaire que Me Poulin a été nommée liquidatrice de la succession et c’est la raison pour laquelle elle a des obligations déontologiques à respecter lorsqu’elle exerce cette charge.

[57]           Cela dit, le Tribunal ne s’est pas limité à affirmer que la testatrice était la cliente de la liquidatrice. Il souligne de surcroît que le conflit d’intérêts tient au fait qu’en vendant l’immeuble, la notaire s’est placée dans une situation où elle était susceptible d’avoir à choisir entre l’intérêt de cette employée acheteuse et celui de la bénéficiaire de la succession :

[65] Sur la base de ces autorités et du texte de l’article 30, le Tribunal conclut que l’appelante était, au moment d’accepter l’offre d’achat de Me Gravel, en situation objective de conflit d’intérêts. Elle vendait à une de ses employées, se plaçant ainsi dans une position où elle était susceptible d’avoir à choisir entre l’intérêt de Me Gravel à payer un prix donné, et celui de la Fondation Mira de recevoir la somme la plus importante possible, résultat de son administration, dans le respect de la volonté de M.D.

[66] La qualité et l’opportunité de la décision prise par l’appelante à titre de liquidatrice testamentaire ne sont pas les éléments à considérer à ce stade. Le notaire dans une telle fonction doit éviter de se placer dans une situation de conflit d’intérêts.[28]

[Soulignement ajouté]

[58]           Or voici que, malgré l’affirmation selon laquelle la testatrice était la cliente de la liquidatrice, le Tribunal retient que ce sont les intérêts de la bénéficiaire de la succession dont la liquidatrice devait tenir compte. Ce paradoxe, à tout le moins apparent, illustre, l’aspect à première vue bancal de l’interprétation du Tribunal.

[59]           De l’avis de la Cour, c’est la définition du dictionnaire Robert qui, dans le contexte de l’article 30 du Code de déontologie, reflète le mieux la notion à laquelle cette disposition renvoie. Il s’agit de la « personne qui achète ou requiert des services moyennant rétribution ». D’ailleurs, le dictionnaire juridique de Me Reid reprend la notion de réquisition de services dans sa définition du terme « client » :

Personne qui requiert les services d'une autre personne, qui lui confie ses intérêts.[29]

[60]           De fait, la notion de « client », comprise dans ce sens, se conjugue bien mal avec les tâches exécutées ici par la notaire Poulin dans le contexte factuel admis par les parties.

[61]           À ce sujet, il importe de rappeler que l’article 30 se retrouve dans le chapitre portant sur les « Devoirs et obligations envers le client ». On ne peut, non plus, faire abstraction du texte même de la disposition. Or, celui de son troisième paragraphe met en lumière les difficultés auxquelles aurait été confrontée la notaire Poulin lorsque se serait concrétisée la rétention de ses services par l’acceptation de la charge survenue après le décès de sa «cliente», la testatrice. Comment, en effet, pourrait-elle aviser cette dernière sans délai ? Comment aurait-elle pu, par ailleurs, cesser immédiatement l’exercice de sa charge de liquidateur sans manquer à ses devoirs envers sa « cliente », s’il s’agit cette fois de la récipiendaire de ses services, la bénéficiaire du legs?

[62]           En définitive, il faut conclure que dans le contexte factuel sur lequel s’entendent les parties, la notaire Poulin n’avait pas de « client » au sens de l’article 30 du Code de déontologie, lorsqu’elle a vendu l’immeuble de la succession à son employée, Me Gravel. Vis-à-vis cette dernière, elle agissait en qualité de venderesse et, vis-à-vis la Fondation Mira, elle avait qualité d’administratrice du bien d’autrui.

[63]           De l’avis de la Cour, est donc bien fondée la thèse soutenue à cet égard par la notaire Poulin.

2)     La règle déontologique selon laquelle le notaire doit éviter toute situation de conflit s’applique-t-elle au notaire liquidateur, même si ce dernier n’a pas de client au sens ordinaire du terme?

[64]           La syndique et la notaire Poulin s’entendent pour assujettir impérativement l’application de l’article 30 du Code de déontologie à l’existence d’une relation client-notaire. Cela dit, un notaire liquidateur, parce qu’il n’a pas de client, est-il soumis au principe qui sous-tend le texte de l’article 30? Autrement dit, le verdict de culpabilité retenu pourrait-il se justifier par la seule application du principe général?

[65]           Il convient ici de rappeler que, dès 2005, le Conseil a avalisé la thèse selon laquelle le Code de déontologie s’applique à un notaire qui agit comme liquidateur[30].

[66]           Quelques commentaires sont donc de mise.

[67]           S’il est vrai que l’application de l’article 30 du Code de déontologie ne pose guère de difficulté lorsqu’il commande au notaire d’éviter toute situation où il serait susceptible d’être en conflit d’intérêts dans le cadre d’une relation non équivoque client-notaire, il est moins évident que le principe d’impartialité au fondement même de cette disposition ne puisse recevoir application même lorsqu’il n’y en a aucune, comme c’est le cas en l’espèce. Le réflexe d’appliquer la règle d’absence de conflit d’intérêts de façon étendue tient sans doute à l’aspect fondamental de ce principe d’impartialité. Celui-ci fait partie intégrante de l’image que projette l’exercice de la profession notariale pour le public en général.

[68]           En l’espèce, la testatrice ne connaissait pas personnellement Me Poulin. Celle-ci s’est vue confier ce travail à la suggestion de la notaire ayant reçu le testament. Il s’agit en l’occurrence de Me Gravel, une employée de Me Poulin. Dit autrement, cette dernière n’a pas été investie de la charge de liquidatrice pour des motifs d’ordre personnel, par amitié ou parce qu’un lien familial l’unissait à la testatrice.

[69]           Il faut déduire de ce contexte que c’est vraisemblablement en raison des connaissances et habiletés qui sont associées par le public en général aux détenteurs du statut de notaire que la testatrice a confié à Me Poulin la tâche de liquidatrice.

[70]           Dans le litige à l’étude, le problème se rattache plus précisément au libellé de l’article invoqué au soutien du chef d’infraction 1, en l’occurrence, l’article 30 du Code de déontologie. Cette disposition, tout comme celle au soutien des chefs 5 et 7[31], renvoie clairement à la notion de « client », ce qui a eu une influence déterminante sur l’orientation des débats et, surtout, sur celle de la défense offerte par la notaire Poulin.

[71]           Bien sûr, le droit disciplinaire est un droit sui generis « pouvant s'inspirer à la fois du droit civil et du droit criminel »[32]. La Cour enseigne à ce propos que « c'est un tort que de vouloir à tout prix […] introduire [au sein du droit disciplinaire] la méthodologie, la rationalisation et l'ensemble des principes du droit pénal »[33]. De plus, « [e]n droit disciplinaire, " la faute s'analyse comme la violation de principes de moralité et d'éthique propres à un milieu et issus de l'usage et des traditions " »[34].

[72]           Il n’en reste pas moins que le professionnel doit être en mesure de pouvoir présenter une défense pleine et entière[35]. Il faut, en conséquence, que les composantes et le contexte de la faute soient bien définis dans les chefs d’accusation[36].

[73]           De plus, une règle déontologique prévoyant une sanction en cas de contravention doit être rédigée en termes suffisamment clairs pour que les gens du métier ne puissent s’y méprendre[37]. Pour justifier un verdict de culpabilité à l’égard du chef 1, il aurait donc fallu que le texte de l’article 30 du Code de déontologie puisse, sans équivoque pour les gens du métier, s’appliquer aux tâches que la notaire Poulin avait accomplies en sa qualité de liquidatrice. Or, tel n’est pas le cas.

[74]           Ici, la confusion est évidente dans la mesure où le Tribunal, la syndique et la notaire Poulin, en toute bonne foi, ne donnent pas le même sens à la norme prescrite par l’article 30 du Code de déontologie, lorsqu’appliquée aux faits de l’espèce. L’orientation des débats fait en quelque sorte la démonstration que la notaire Poulin n’a pas été en mesure de présenter une défense pleine et entière à une accusation qui ne prendrait appui que sur le principe général plutôt que sur le texte précis de l’article 30 du Code de déontologie. L’accord de la syndique à la proposition selon laquelle l’application de cette disposition est tributaire d’une relation client-notaire confirme la justesse de ce constat.

[75]           Dans Levkovic, la Cour suprême écrit :

[1] Les lois d’une imprécision inacceptable bafouent la primauté du droit et violent un principe ancien et bien établi de justice fondamentale : nul ne peut être condamné ou puni pour un acte ou une omission qui n’est pas clairement interdit par une loi valide. Ce principe est maintenant consacré par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour reconnaît ce principe depuis ses tout premiers arrêts sur l’imprécision inconstitutionnelle rendus à l’ère de la Charte.[38]

[Soulignement ajouté]

[76]           Elle a aussi rappelé cette règle de justice naturelle dans le cadre de l’arrêt Ruffo, tout en y apportant les nuances requises par les particularités du droit disciplinaire :

111. On ne peut exiger, en somme, plus de précision à l'endroit de la règle de déontologie que celle à laquelle sa matière se prête. Ceci, en soi, ne porte aucunement atteinte au principe qui veut que le professionnel dont la conduite est en cause soit en mesure de connaître, outre les faits précis qu'on lui reproche, la substance de la norme à laquelle on prétend qu'il a contrevenu. […][39]

[Soulignement ajouté]

[77]           Au demeurant, on le constate à l’analyse, ce sont les apparences de conflit d’intérêts et donc de partialité, beaucoup plus qu’un conflit véritable, qui sont à l’origine des reproches adressés à la notaire Poulin par la syndique de la Chambre des notaires du Québec. Ces apparences découlent principalement de la participation de trois notaires d’une même étude à la réalisation de la volonté de la testatrice, laquelle s’est soldée par l’obtention d’un profit personnel pour l’une d’entre elles, en l’occurrence Me Gravel.

[78]           Bien que la liquidatrice Poulin ait eu le pouvoir de vendre l’immeuble sans l’autorisation de la bénéficiaire en vertu des dispositions testamentaires, l’apparence de conflit d’intérêts était de nature à susciter des interrogations d’un point de vue déontologique. Le fait d’être en situation de conflit d’intérêts au moment d’agir en qualité d’administrateur du bien d’autrui peut à lui seul constituer une faute civile.

[79]           Ayant ce contexte présent à l’esprit, si, en toute transparence et avant de procéder à la vente, la notaire Poulin avait exposé la situation à la bénéficiaire et obtenu son accord, peu auraient été tentés de lui reprocher une situation de conflit d’intérêts ou même d’avoir agi en violation avec quelques autres dispositions du Code de déontologie. Cette absence de communication entre la notaire Poulin et la Fondation Mira a donné aux apparences une image de véritable partialité.

[80]           Il est important, par ailleurs, de garder en mémoire que la bénéficiaire, la Fondation Mira, ne subit aucun préjudice découlant de la vente conclue par la notaire Poulin en exécution de sa charge de liquidatrice. Celle-ci s’est faite à des conditions supérieures même à celles de l’évaluation à la juste valeur marchande dans la mesure, où, ici, l’acheteur n’a joui d’aucune garantie. De surcroît, la notaire Poulin n’a retiré aucun bénéfice personnel de cette transaction.

[81]           Ces précisions faites et prenant en compte le libellé du chef d’infraction 1, la Cour conclut qu’est déraisonnable la décision du Tribunal de confirmer un verdict de culpabilité fondé sur le texte de l’article 30 du Code de déontologie. Il y a, en conséquence, matière à intervention.

Chef 7 : contravention à l’article 7 du Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires

[82]           Le Tribunal a confirmé la décision du Conseil quant au chef 7, soit celui reprochant à la notaire Poulin d’avoir enfreint l’article 7 du Règlement, tel qu’il était libellé à l’époque pertinente :

7. Tous les fonds confiés par un client à un notaire doivent sans délai après réception être déposés dans un compte général en fidéicommis ouvert à son nom et duquel il est le seul à pouvoir effectuer un retrait. Le compte peut néanmoins être détenu conjointement par plusieurs notaires.

 

Un notaire peut donner à tout autre notaire le mandat d’effectuer des dépôts ou des retraits dans son compte en fidéicommis.

 

Ces fonds n’appartiennent pas au notaire non plus que les intérêts qu’ils produisent.

7. All funds entrusted to a notary by a client must, as soon as possible after receipt, be deposited in a general trust account that has been opened in the notary’s name and may be withdrawn solely by him. The account may nevertheless be held jointly by 2 or more notaries.

 

A notary may give another notary a mandate to deposit funds into or withdraw funds from his trust account.

 

 

Neither the funds nor the interest accrued belong to the notary. [40]

 

[Soulignements ajoutés]

[83]           Il y a lieu de préciser que l’argumentaire de la notaire Poulin a évolué au fil des procédures. Devant les instances disciplinaires, celle-ci invoquait l’erreur technique sans conséquence. Devant les tribunaux judiciaires, elle plaide plutôt que le résultat dépend de la réponse apportée à la question précédente. Elle a raison.

[84]           Le Tribunal a statué que la testatrice était la cliente de la notaire liquidatrice. Ce constat étant erroné, il s’ensuit que l’est également la conclusion selon laquelle la notaire Poulin aurait enfreint l’article 7 du Règlement, tel que rédigé à l’époque, en ne déposant pas le produit de la vente de la résidence dans son compte en fidéicommis général.

[85]           La notaire Poulin a ouvert un compte de succession, ce qu’elle pouvait faire en vertu des dispositions alors en vigueur. D’ailleurs, on voit mal comment un notaire exerçant son rôle de liquidateur conjointement avec une personne qui n’est pas notaire, un comptable par exemple, pourrait respecter cette disposition. Le notaire liquidateur aurait l’obligation de déposer les sommes dans un compte auquel le coliquidateur n’aurait pas accès.

[86]           À l’instar du Code de déontologie, le Règlement n’avait pas prévu de règles spécifiques pour le notaire liquidateur.

[87]           Le Tribunal s’est dit d’avis qu’il serait préférable que la Chambre des notaires du Québec puisse exercer un contrôle sur les comptes de succession des notaires liquidateurs. Peut-être est-ce le cas, mais il n’appartient pas aux tribunaux d’en décider. La question consiste plutôt à déterminer si le Règlement le prévoyait, ce qui n’était pas le cas.

[88]           Le Tribunal aurait donc dû prononcer un acquittement sur ce chef, ce qui emporte l’annulation de la sanction rattachée au verdict de culpabilité.

Appel de la syndique quant au chef 5

[89]           La syndique Gareau estime que la Cour supérieure aurait dû intervenir quant à l’acquittement prononcé sur le chef 5, soit d’avoir prélevé des honoraires sans le consentement de son client, contrairement à l’article 54 du Code de déontologie. Celui-ci, faut-il le rappeler, interdit au notaire de prélever des honoraires à même les fonds d’un client, sans son autorisation écrite.

[90]           La Cour conclut que la notaire n’avait pas de client en l’espèce, ce qui règle la question.

[91]           À l’instar du Tribunal, la Cour note au passage que la liquidatrice pouvait prélever ses honoraires, sans obtenir l’autorisation de la Fondation Mira, parce que le produit de la vente nappartenait pas à cette dernière avant le partage final. Ce raisonnement est intelligible et la conclusion retenue fait sans aucun doute partie des issues possibles.

POUR CES MOTIFS, la Cour :

No 200-09-010152-202 :

[92]           ACCUEILLE l’appel avec frais de justice contre la partie intimée Diane Gareau, en sa qualité de syndique de la Chambre des notaires du Québec;

[93]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu,

ACCUEILLE le pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse Valérie Poulin;

INFIRME en partie la décision du Tribunal des professions;

PRONONCE un verdict d’acquittement quant aux chefs 1 et 7, tout en annulant les sanctions y rattachées;

LE TOUT avec les frais de justice, tant en première instance qu’en appel contre la mise en cause Diane Gareau, en sa qualité de syndique de la Chambre des notaires du Québec.

No 200-09-010157-201 :

[94]           REJETTE l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

Me Daniel Têtu

CAIN, LAMARRE

Pour Valérie Poulin

 

Me Jean Lanctôt

Me Bérengère Laplanche

LANCTÔT AVOCATS

Pour Diane Gareau

 

Date d’audience :

4 novembre 2021

 


[1]  Poulin c. Tribunal des professions, 2019 QCCS 5598.

[2]  Notaires (Ordre professionnel des) c. Poulin, Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec, no 26-12-01213, 13 mars 2014, Jacques Lamoureux, Michel Leblanc et Jacques Néron.

[3]  Poulin c. Notaires (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 1.

[4]  Poulin c. Tribunal des professions, supra, note 1, paragr. 151-152.

[5]  Code de déontologie des notaires, RLRQ, c. N-3, r. 2.

[6]  Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires, (2002) 134 G.O.Q. II, 6144 [R.R.Q., c. N3, r. 5] remplacé le 1er janvier 2018.

[7]  Poulin c. Notaires (Ordre professionnel des), supra, note 3, paragr. 9-17.

[8]  Notaires (Ordre professionnel des) c. Poulin, supra, note 2.

[9]  Ibid.

[10]  2011 QCCA 1498, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 15 mars 2012, no 34495.

[11]  Id., paragr. 81.

[12]  Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

[13]  Jean Lambert, « Notaire liquidateur ou mandataire et déontologie », (2017) C.P. du N. 105, p. 109-110; Michel Beauchamp, « La multiplication des rôles du notaire : aspects pratiques, impacts et enjeux », (2014) C.P. du N. 501.

[14]  Tels qu’ils étaient libellés à l’époque pertinente.

[15]  Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[16]  Code de déontologie des notaires, supra, note 5, art. 30.

[17]  Dictionnaire Le Robert, Définition du mot « client », dans Le Robert dico en ligne, 2022, en ligne : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/client (page consultée en février 2022) [soulignements ajoutés].

[18]  Dictionnaire Larousse, Définition du mot « client », dans Larousse en ligne, 2022, en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/client/16519 (page consultée en février 2022) [soulignements ajoutés].

[19]  J. Lambert, supra, note 13, p. 111-112;  M. Beauchamp, supra, note 13, p. 517.

[20]  Poulin c. Notaires (Ordre professionnel des), supra, note 3, paragr. 54-55.

[21]  Jacques Beaulne, Droit des successions, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, paragr. 1282.

[22]  Notaires (Ordre professionnel des) c. Bierbrier, 2014 CanLII 3881 (QC C.D.N.Q.), désistement d'appel au Tribunal des professions, 16 mars 2016, no 500-07-000863-146. Voir aussi H.E. c. Québec (Curateur public), 2010 QCCA 222, paragr. 1-2, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 14 octobre 2010, no 33732. Des distinctions sont toutefois à faire avec cette dernière décision, puisqu’il s’agit, dans cette affaire, d’une avocate qui souhaitait agir pour une succession, alors qu’elle avait été mandatée auparavant par le liquidateur de cette même succession.

[23]  Lebrun (Succession de), J.E. 95-1560, AZ-95021632 (C.S.).

[24]  Moreault c. Blackburn-Moreault, J.E. 97-280, AZ-97021102 (C.S.), requête pour permission d'appeler rejetée, 7 janvier 1997, no 500-09-003546-967.

[25]  Bergeron c. Fortier, 2005 QCCA 319, paragr. 17.

[26]  Si les auteurs considèrent que le liquidateur agit pour le compte de la succession, encore faut-il rappeler que les créanciers bénéficient eux aussi de la prise en charge de l’administration de la succession par le liquidateur. Voir J. Beaulne, supra, note 21, paragr. 1284 et s.

[27]  Code de déontologie des notaires, supra, note 5, art. 1.

[28]  Poulin c. Notaires (Ordre professionnel des), supra, note 3, paragr. 65-66.

[29]  Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, « client ».

[30]  Notaires (Ordre professionnel des) c. Duplantie, 2005 CanLII 78715 (QC C.D.N.Q.).

[31]  Respectivement l’article 54 du Code de déontologie et l’article 7 du Règlement.

[32]  Québec (Chambre des notaires) c. Dugas, [2003] R.J.Q. 1, 2002 CanLII 41280, paragr. 19 (C.A.). Voir aussi : Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441, paragr. 42.

[33]  Béliveau c. Barreau du Québec, J.E. 92-1146, 1992 CanLII 3299, p. 3 (C.A.), demandes d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetées, 21 janvier 1993, no 23118 et 23119, repris par Cuggia c. Champagne, 2016 QCCA 1479, paragr. 15.

[34]  Tremblay c. Dionne, supra, note 32, paragr. 42.

[35]  Cuggia c. Champagne, supra, note 33, paragr. 16.

[36]  Ibid.

[37]  Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, paragr. 111.

[38]  R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, paragr. 1.

[39]  Ruffo c. Conseil de la magistrature, supra, note 37, paragr. 111.

[40]  Règlement sur la comptabilité en fidéicommis des notaires, supra, note 6, art. 7.

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