[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu oralement le 25 janvier 2018 par l’honorable Claude Dallaire de la Cour supérieure, district de Montréal, qui rejette leur requête en autorisation d’exercer une action collective.
[2] Pour les motifs de la juge Thibault, auxquels souscrivent les juges Chamberland et Hogue,
LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT |
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[4] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu oralement le 25 janvier 2018 par l’honorable Claude Dallaire de la Cour supérieure, district de Montréal, qui rejette leur requête en autorisation d’exercer une action collective[1] par laquelle ils cherchent à obtenir une déclaration d’invalidité de certaines dispositions de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles[2] (la Loi) et du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles[3] (le Règlement) ainsi qu’une condamnation à des dommages-intérêts.
[5] Après avoir conclu à l’irrecevabilité de la demande de condamnation à des dommages-intérêts, la juge refuse l’autorisation recherchée par les appelants parce que : (1) elle est d’avis que la conclusion déclaratoire subsistante est incompatible avec une action collective en ce que celle-ci permet à un membre de s’exclure du groupe alors que la déclaration d’inconstitutionnalité s’applique à tous; (2) la procédure n’est pas utile au sens du paragraphe 575(3°) C.p.c., car un pourvoi en contrôle judiciaire, un véhicule moins complexe et plus proportionnel, mène au même résultat; et (3) les appelants n’ont pas la capacité de représenter le groupe.
[6] J’estime qu’elle a eu raison de refuser l’autorisation d’exercer une action collective. Lorsque la procédure a comme seul objet d’invalider des dispositions législatives et réglementaires pour un motif d’inconstitutionnalité, l’action collective n’est pas un recours utile au sens du paragraphe 575(3°) C.p.c.
1. Le contexte et les procédures
[7] Les appelants sont handicapés de naissance. Ils font face à des contraintes sévères à l’emploi et ils ont tous deux reçu des prestations en vertu du Programme de solidarité sociale prévu dans la Loi et le Règlement. L’appelante D’Amico est toujours prestataire tandis que l’appelant Guilmette a cessé de l’être à la suite de son mariage, le 4 mars 2007[4].
[8] La Loi vise à mettre en œuvre des mesures, des programmes et des services pour favoriser l’autonomie économique des personnes et des familles et les encourager à exercer des activités permettant leur insertion sociale, leur intégration en emploi et leur participation active dans la société[5]. La Loi prévoit différents programmes d’aide financière, dont le Programme d’aide sociale (art. 44 à 66) et le Programme de solidarité sociale (art. 67 à 73).
[9] Le Programme de solidarité sociale vise à accorder une aide financière de dernier recours aux personnes qui présentent des contraintes sévères à l’emploi et à favoriser l’inclusion et la participation sociale de ces personnes, de même que leur contribution active à la société, avec le soutien et l’accompagnement requis par leur condition.
[10]
Suivant l’article
[11] L’objet des programmes d’aide sociale et de solidarité sociale est de combler le déficit entre les ressources d’un adulte seul ou d’une famille et leurs besoins. Ce déficit est établi selon les modalités et les calculs prévus dans la Loi et le Règlement. Lorsque les ressources comptabilisables égalent ou dépassent le seuil des besoins prévus, l’adulte seul ou la famille n’est pas admissible à une aide financière ou cesse de l’être.
[12] Une personne qui désire une aide financière en vertu de la Loi doit présenter une demande au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (Ministre), chargé de l’application et de l’administration des programmes.
[13]
Celui-ci doit statuer sur la demande d’aide financière et rendre une
décision tant sur l’admissibilité d’une personne à cette aide que sur le
montant de l’aide auquel celle-ci a droit. Suivant l’article
[14]
Suivant les articles
***
[15] Les appelants demandent l’autorisation d’exercer une action collective au nom de toutes les personnes majeures, handicapées, affectées de contraintes sévères à l’emploi, résidant au Québec et qui reçoivent ou ont reçu des prestations en vertu du Programme de solidarité sociale (« le Groupe »). Ils estiment que le Groupe compte environ 200 000 personnes.
[16] Dans leur procédure, ils allèguent que les prescriptions du Programme de solidarité sociale auxquelles sont soumis les membres du Groupe imposent des contraintes inacceptables et susceptibles d’avoir un impact sur leurs prestations. À titre d’exemple, ils indiquent que les prestations sont réduites — ou même annulées — si les prestataires se marient, reçoivent des dons, travaillent à temps partiel, accumulent plus de 2 500 $, sauf aux fins énumérées dans le Règlement, ou plus de 5 000 $ pour l’achat d’une automobile ou d’une résidence, s’ils voyagent pendant plus de sept jours consécutifs ou s’ils étudient à temps plein.
[17] Ces contraintes auraient pour effet de maintenir les membres du Groupe sous le seuil de pauvreté établi par l’État et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux garantis par les chartes, plus particulièrement à ceux qui leur résultent des articles 2, 6, 7 et 15 de la Charte canadienne[7] et 1, 4, 5, 6,10, 45 et 48 de la Charte québécoise[8].
[18] En conséquence, les appelants demandent de déclarer inconstitutionnelles, invalides, inopérantes ou inapplicables certaines dispositions de la Loi et du Règlement[9]. Leur procédure contient deux conclusions principales : une déclaration d’invalidité, d’inconstitutionnalité, d’inopposabilité de certaines dispositions de la Loi et du Règlement ainsi qu’une condamnation à des dommages compensatoires et punitifs en faveur de chacun des membres du Groupe.
2. Le jugement de première instance
[19]
La juge vérifie si l’action collective projetée satisfait les quatre
critères de l’article
[20] Son analyse des éléments relatifs au deuxième critère l’amène à conclure que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées. D’une part, une condamnation de l’intimée à des dommages est irrecevable dans les circonstances, vu l’absence d’allégation de faute, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir de l’intimée lors de l’adoption de la législation attaquée ou lors de son application. La juge rappelle la règle selon laquelle l’adoption et l’application de dispositions déclarées inconstitutionnelles ultérieurement n’est pas, en soi, source de dommages-intérêts compensatoires ou punitifs. D’autre part, la conclusion subsistante est de nature déclaratoire et, comme telle, elle est incompatible avec une action collective. Selon elle, un membre ne peut s’exclure du Groupe parce qu’une déclaration d’inconstitutionnalité est d’application générale.
[21] La requête en autorisation échoue aussi le test du troisième critère parce qu’un pourvoi en contrôle judiciaire visant à déclarer inapplicable, invalide ou inopérante une disposition d’une loi ou d’un règlement mène au même résultat que l’action collective, et ce, à l’intérieur d’un véhicule procédural moins complexe et plus proportionnel.
[22] Selon la juge, le quatrième critère lié à la capacité des appelants à représenter le Groupe n’est pas satisfait non plus, car la procédure est muette quant aux tentatives faites par ces derniers pour inviter des personnes à se joindre à leur recours, d’une part, et leur évaluation de la composition du Groupe ne repose sur aucun fait, d’autre part.
3. Les questions en litige
[23] Dans leur mémoire d’appel, les appelants font valoir que la juge de première instance commet plusieurs erreurs en lien avec : (1) leur capacité de représenter adéquatement les membres du Groupe; (2) l’irrecevabilité de la demande en dommages-intérêts; (3) la conclusion selon laquelle la nature exclusivement déclaratoire de l’action collective en empêcherait l’autorisation.
4. L’analyse
4.1. La représentation des membres du Groupe
[24] Les appelants sont-ils en mesure de représenter adéquatement les membres du Groupe? La juge de première instance estime que ce n’est pas le cas parce que leur requête en autorisation n’allègue aucun fait pour démontrer leur implication réelle dans la recherche d’autres membres ni pour expliquer sur quoi se fonde leur estimation des membres à 200 000 personnes. Une telle démonstration constituerait une exigence essentielle, à son avis, pour établir leur capacité de représentants.
[25] La jurisprudence enseigne que les facteurs pertinents pour apprécier le critère relatif au statut de représentant, énoncé au paragraphe 575(4°) C.p.c., sont l’intérêt du représentant à poursuivre, sa compétence et l’absence de conflit d’intérêts. Ces facteurs doivent être interprétés de manière libérale[10]. Comme la Cour suprême l’écrit dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, « [a]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement »[11].
[26] Ici, la juge de première instance constate la « réelle motivation des demandeurs à remplir un tel rôle » et « leur capacité pour ce faire »[12]. La capacité, l’intérêt sincère et légitime des appelants ainsi que l’absence de conflit d’intérêts sont établis. Les exigences additionnelles imposées par la juge — concernant les tentatives faites par les appelants pour contacter d’autres personnes intéressées et la démonstration du nombre de personnes visées par le Groupe — ne sont pas pertinentes pour statuer sur leur statut de représentants.
[27] La composition du Groupe est un élément pertinent à l’évaluation du critère énoncé au paragraphe 575(3°) C.p.c. Dans leur procédure, les appelants n’indiquent pas comment ils ont estimé que le Groupe comptait 200 000 personnes. Notons que la Loi et le Règlement, dont ils contestent la constitutionnalité, visent toutes les personnes handicapées, résidant au Québec, qui présentent des contraintes sévères à l’emploi, un groupe non négligeable selon les données publiées par l’Office des personnes handicapées sur son site officiel.
[28] En conséquence, j’estime que les appelants ont établi leur capacité d’assurer une représentation adéquate des membres du Groupe.
4.2. La condamnation à des dommages-intérêts
[29] Comme je l’ai mentionné, l’action collective comporte deux conclusions principales : une déclaration d’inconstitutionnalité à l’égard de certaines dispositions de la Loi et du Règlement ainsi qu’une condamnation à des dommages-intérêts.
[30] Selon la juge, les faits invoqués dans l’action collective ne supportent pas une condamnation à des dommages-intérêts. Elle écrit que l’adoption et l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ultérieurement n’établissent pas une cause défendable de responsabilité civile contre l’intimée en l’absence d’allégation de faute empreinte de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir :
[119] Au contraire, partout dans la demande, il est clair que seul le fait que la loi soit déclarée inconstitutionnelle fonde les demandes de dommages et intérêts et de dommages punitifs.
[120] Or, l’état du droit sur la question est clair : ce n’est que lorsque le comportement de la part de l’autorité gouvernementale qui a adopté la loi contestée et qui l’a ensuite appliquée est clairement abusif, ou que des éléments permettent de conclure qu’elle a agi de mauvaise foi en lien avec cette loi ou qu’elle a commis un abus de pouvoir qu’une condamnation en dommages et intérêts peut être envisagée[13]. C’est donc dans des cas très exceptionnels reposant sur des allégations de faits précis.
[121] À défaut de tels faits, aucune condamnation en dommages ne peut être prononcée contre l’État (québécois ou fédéral) pour le simple fait d’avoir adopté une loi par la suite jugée inconstitutionnelle.
[31]
Ces énoncés sont conformes au droit. La Cour suprême a abordé cette
question dans plusieurs arrêts. Dans Guimond c. Québec (Procureur Général)[14], l’appelant avait été
condamné à l’emprisonnement pour défaut de paiement d’amendes infligées pour
des infractions au Code de la sécurité routière du Québec. Il a demandé
l’autorisation d’intenter un recours collectif par lequel il sollicitait une
déclaration d’invalidité constitutionnelle des dispositions du Code de
procédure pénale ainsi que des dommages-intérêts compensatoires et moraux
en réparation du préjudice subi, et ce, tant en vertu de l’article
[32] La Cour suprême passe en revue la doctrine et la jurisprudence sur la question de la responsabilité de l’État en pareille situation. Elle conclut qu’il n’y a pas lieu à indemnisation en vertu du droit commun ni en vertu des Chartes. L’État jouit d’une immunité restreinte. Cela implique que, en l’absence de toute allégation de comportement fautif entaché de mauvaise foi, ou de poursuite d’une fin secondaire, il n’encourt aucune responsable civile pour avoir adopté ou appliqué une loi déclarée inconstitutionnelle ultérieurement.
[33] Dans Mackin c. Nouveau-Brunswick[15], la Cour suprême réitère le principe général suivant lequel l’État jouit d’une immunité restreinte vis-à-vis de l’action en responsabilité, que celle-ci découle des règles du droit civil, ou encore d’une demande de réparation en vertu des Chartes :
[78] Selon un principe
général de droit public, en l’absence de comportement clairement fautif, de
mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de
dommages-intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou
application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle (Welbridge
Holdings Ltd. c. Greater Winnipeg,
[79] Toutefois, comme je le mentionne dans Guimond
c. Québec (Procureur général), précité, depuis l’adoption de la Charte un
demandeur n’est plus limité uniquement à une action en dommages-intérêts fondée sur le
droit général de la responsabilité civile. Il pourrait, en théorie, solliciter
des dommages-intérêts
compensatoires et punitifs à titre de réparation « convenable et juste » en
vertu du par.
[Je souligne]
[34] Dans Québec c. C.U.M.[16], la Cour suprême reprend les mêmes enseignements et explique que cette règle vise à sauvegarder l’exercice libre et efficace de la fonction législative :
[22] Notre Cour a adopté toutefois une position nuancée quant aux rapports entre le droit de la responsabilité civile et le droit public. Elle reconnaît que des principes généraux de droit public peuvent faire obstacle totalement à l’application du régime de droit commun en responsabilité civile ou en modifier partiellement les règles de fonctionnement (Prud’homme, précité, par. 31). Dans le présent cas, les règles gouvernant les immunités rattachées à l’action législative ou réglementaire font obstacle à la reconnaissance d’un principe voulant que l’incompatibilité d’une norme législative ou réglementaire avec la Charte québécoise permette de considérer les actes accomplis en application de cette norme comme fautifs et susceptibles d’entraîner la responsabilité d’une administration publique ou de ses fonctionnaires. La règle d’immunité interdit de les considérer comme des actes fautifs dans le vocabulaire du droit civil ou des « actes de négligence » au sens de la common law.
[23] Le recours au régime de responsabilité
civile pour sanctionner les violations de la Charte québécoise ne saurait faire
abstraction de ces règles de base, qui visent à sauvegarder l’exercice libre et
efficace de la fonction législative, en présence des formes actuelles de
contrôle de constitutionnalité. À cet égard, le principe d’immunité
implique une distinction nécessaire entre l’acte fautif ou « l’acte de
négligence » et l’acte illégal ou invalide, en raison de sa non-conformité aux
normes fondamentales, constitutionnelles ou quasi constitutionnelles. On
remarquera d’ailleurs que, de manière analogue, en droit de la responsabilité
de l’administration publique, le constat de l’illégalité d’une décision
administrative, à la suite de l’exercice du pouvoir de contrôle judiciaire,
n’équivaut pas nécessairement à celui de l’existence d’une faute donnant
ouverture à un recours en responsabilité civile (R. A. Macdonald, «
Jurisdiction, Illegality and Fault : An Unholy Trinity » (1985), 16 R.G.D. 69;
Québec (Procureur général) c. Deniso Lebel Inc.,
[Je souligne]
[35] Dans Henry c. B.C. (A.G.)[17], la Cour suprême ajoute un élément à ces enseignements en précisant que l’imposition d’un seuil de responsabilité plus élevé entraîne des conséquences à l’étape même des procédures. Le demandeur doit alléguer des faits suffisants pour établir le seuil requis d’une action en responsabilité contre l’État. L’omission de le faire est fatale à la demande :
[42] L’arrêt Ward offre un exemple d’une décision
dans laquelle des raisons de politique générale justifiaient l’application d’un
seuil de responsabilité plus élevé. Dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick
(Ministre des Finances),
[43] L’imposition d’un seuil de responsabilité
plus élevé aura des conséquences à l’étape des actes de procédure. Pour
résister à une requête en radiation, le demandeur doit alléguer des faits
suffisants pour révéler une cause d’action raisonnable : voir R. c. Imperial
Tobacco Canada Ltée,
[Je souligne]
[36] Dans le présent dossier, la lecture de la procédure des appelants fait voir qu’ils n’ont pas invoqué une faute empreinte de mauvaise foi ou l’abus de pouvoir de l’intimée pour fonder leur action en responsabilité. Leur réclamation repose exclusivement sur la déclaration future d’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la Loi et du Règlement.
[37] La juge de première instance a donc eu raison de déclarer irrecevable la conclusion liée à la condamnation de l’intimée à leur payer des dommages-intérêts. L’irrecevabilité de cette conclusion fait en sorte que l’action collective, pour laquelle les appelants recherchent une autorisation, comporte dorénavant une seule conclusion : une déclaration d’inconstitutionnalité.
[38] Une action collective peut-elle être autorisée lorsqu’elle est seulement de nature déclaratoire? C’est la question que j’étudierai dans la prochaine section.
4.3. L’autorisation d’une action collective de nature déclaratoire
[39]
La juge de première instance estime que le troisième critère de l’article
[40] Cette question exige l’examen de plusieurs arguments : (1) le principe de proportionnalité; (2) l’obstacle procédural lié au mécanisme d’exclusion des membres de l’action collective; et (3) l’inutilité de la voie procédurale choisie.
4.3.1. La proportionnalité
[41]
Selon cette thèse, une action collective de nature exclusivement
déclaratoire ne devrait pas être autorisée parce que ce véhicule procédural,
complexe et coûteux, n’est pas approprié. Le principe de la proportionnalité,
consacré à l’article
[42]
Dans l’arrêt Vivendi Canada c. Dell’Aniello[18],
la Cour suprême confirme l’importance de la proportionnalité en matière de
gestion de l’instance, mais elle affirme haut et fort que ce principe ne
constitue pas et ne doit pas être traité comme un cinquième critère
indépendant. Le juge autorisateur n’a donc pas à se demander si l’action
collective est le véhicule procédural le plus adéquat. La proportionnalité doit
être considérée, explique la Cour suprême, dans l’appréciation des quatre critères
de l’article
[65] L’appelante soutient qu’une interprétation de l’al. 1003a) qui encourage la multiplicité des analyses au fond viole le principe de la proportionnalité. Elle appuie sa position principalement sur les motifs de la majorité dans l’affaire Marcotte, où le juge LeBel affirme qu’il ne faut pas réduire le principe de la proportionnalité « à un simple principe à valeur interprétative qui n’accorderait aucun pouvoir réel aux tribunaux à l’égard de la conduite de la procédure civile au Québec » : par. 42.
[66] L’approche proposée par l’appelante est, à
notre avis, incorrecte. L’arrêt Marcotte a confirmé l’importance du principe de
la proportionnalité dans la procédure civile et comme source du pouvoir
d’intervention des tribunaux dans la gestion d’une instance : par. 42-43.
Cependant, en matière de recours collectifs, il faut concilier le pouvoir
d’appréciation dont dispose le juge pour l’application des quatre critères
prévus à l’art.
[67] Cette conclusion trouve appui dans le texte de la loi, ainsi que dans la jurisprudence. Lorsqu’il a adopté les dispositions du C.p.c. relatives au recours collectif, le législateur québécois n’a pas jugé opportun d’inclure un critère requérant que ce recours soit la « meilleure » procédure pour régler le litige ou les questions communes, critère présent dans d’autres provinces. La prudence impose donc de ne pas introduire indirectement un tel critère dans la procédure civile québécoise. L’article 1003 est clair : lorsque le juge d’autorisation est d’avis que les quatre critères sont respectés, il doit autoriser le recours collectif. Il n’a pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus adéquat.
[Je souligne]
[43]
Puisqu’il ne constitue pas un critère autonome d’autorisation, le
principe de proportionnalité à lui seul ne peut pas être retenu pour faire
échec à une action collective de nature déclaratoire. Le juge autorisateur n’a
pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus
adéquat, mais il doit tenir compte de la proportionnalité lors de l’examen de
chacun des critères de l’article
4.3.2 L’obstacle procédural
[44] Selon ce moyen, une action collective de nature déclaratoire ne doit pas être autorisée parce que l’effet général d’une déclaration d’inconstitutionnalité serait incompatible avec le droit des membres de s’exclure d’un groupe pour ne pas être liés par le jugement[19].
[45]
L’argument à lui seul ne peut être retenu pour fonder le refus
d’autoriser l’action collective parce qu’il ne s’inscrit dans aucune des
conditions de l’article
[40] Les traits particuliers des recours en nullité
des règlements municipaux suscitent des difficultés quant au fonctionnement de
certaines règles de procédure gouvernant la formation et l’évolution du groupe
visé par un recours collectif. En effet, les membres du groupe ne pourraient se
désengager effectivement de la demande de nullité, toujours en raison de son
effet à l’égard de l’ensemble des contribuables, contrairement à ce que
prévoient les règles relatives à l’institution et à la conduite des recours
collectifs, qui accordent une faculté de retrait des procédures collectives ou
de refus d’y participer et établissent des délais de désengagement (al. 1006e)
et art.
4.3.3 L’inutilité d’une action collective
[46] Selon la juge de première instance, l’action collective ne peut pas être autorisée parce que cette voie procédurale n’a aucune utilité. D’emblée, il faut distinguer l’argument de l’utilité de celui de la proportionnalité : l’action collective n’est pas un recours moins approprié parce que coûteux, mais elle est simplement dépourvue d’utilité parce que le pourvoi individuel en contrôle judiciaire en nullité institué — sans notion de groupe — mène au même résultat.
[47] Compte tenu de la discrétion limitée du juge autorisateur, qui doit autoriser le recours si les critères de l’article 575 sont réunis comme l’enseigne l’arrêt Vivendi précité, l’argument de l’inutilité de l’action collective a une valeur dans la seule mesure où il se rattache à l’un des critères de cette disposition.
[48]
Le troisième critère de l’article
[49] Peut-on élargir la portée de cette disposition pour englober l’utilité de l’action collective par rapport à l’action individuelle? Selon cette approche, le texte du paragraphe 575(3°) C.p.c. devrait être élargi en considérant l’intention du législateur, et ce, même si le texte n’est pas ambigu.
[50] La doctrine en matière d’interprétation des lois confirme à ce sujet que « [l]a règle du sens clair des textes, la Plain Meaning Rule, qui voulait restreindre l'interprète à la considération du seul sens littéral du texte lorsqu'il est clair est maintenant, on peut le dire, tombée en discrédit »[21].
[51] La raison qui sous-tend le critère énoncé dans le paragraphe 575(3°) C.p.c. réside dans la difficulté de se regrouper pour exercer un recours qui permet d’obtenir un bénéfice pour chaque membre en utilisant la voie ordinaire. La disposition identifie deux situations où le cheminement par la voie ordinaire pour plusieurs demandeurs est peu utile ou peu pratique. Pour faciliter leur regroupement et la poursuite efficace de leur recours, le Code de procédure civile les autorise à se joindre dans une procédure collective.
[52] En recourant à une interprétation téléologique du paragraphe 575(3°) C.p.c., il faut alors se demander si le texte comporte, de façon implicite, l’idée selon laquelle le législateur avait l’intention de permettre une action collective dans les seuls cas où celle-ci est utile et si quelque chose s’oppose à ce que le juge explicite cet élément implicite et l’utilise pour refuser l’autorisation demandée :
D'abord, le juge ne légifère pas s'il n'ajoute aux termes de la loi que pour rendre explicite ce qu'elle comporte déjà implicitement. Le problème ne nous paraît donc pas être celui de savoir si le juge peut ou ne peut pas ajouter aux termes de la loi, mais plutôt de savoir si, premièrement, telle idée est suffisamment implicite dans le texte pour justifier le juge de lui faire produire ses effets et, deuxièmement, si quelque raison ne s'oppose pas à ce qu'un élément implicite dans la loi soit explicité par le juge. Nous songeons ici, par exemple, à certaines règles qui exigent du législateur un surcroît de clarté lorsqu'il veut produire certains effets, comme priver quelqu'un d'un droit de propriété, par exemple.[22]
[Je souligne]
[53] L’action collective poursuit plusieurs objectifs. La Cour suprême les résume ainsi : « faciliter l’accès à la justice, modifier des comportements préjudiciables et économiser les ressources judiciaires »[23].
[54] L’utilisation de l’action collective, lorsque le pourvoi en contrôle judiciaire en nullité mène au même résultat, produit l’effet contraire sur les ressources judiciaires : le procès est plus lourd et plus onéreux, ne serait-ce qu’en raison des étapes d’autorisation, de notification et de publication d’avis aux membres. De plus, l’action collective ne facilite pas l’accès à la justice, puisque le même résultat sera atteint par une procédure plus simple. Enfin, l’action collective, telle que formulée, n’a aucun effet dissuasif puisqu’elle ne comporte aucune condamnation.
[55] Je suis d’avis que l’action collective n’a pas été envisagée par le législateur comme une voie procédurale utile en cas de demande purement déclaratoire. Elle ne remplit aucun des objectifs poursuivis par ce recours. Or, « [l]e rédacteur, qui ne peut prévoir toutes les circonstances où son texte devra s'appliquer, doit pouvoir attendre des tribunaux autre chose que des critiques : il doit pouvoir compter sur leur collaboration dans l'accomplissement du but de la loi »[24]. La notion d’utilité n’exige pas que l’action collective soit « le meilleur recours », mais seulement qu’il existe un avantage quelconque à procéder par rassemblement.
[56] Je conclus donc que le paragraphe 575(3°) C.p.c. pose une exigence d’utilité du recours. Les appelants ont-ils démontré une quelconque utilité à intenter une action collective pour faire déclarer inopposables pour motif d’inconstitutionnalité certaines dispositions de la Loi et du Règlement? À mon avis, non.
[57] Les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Marcotte c. Longueuil (Ville)[25] sont pertinents. J’en reprends les grandes lignes.
[58] Dans cette affaire, deux contribuables — mécontents du fardeau fiscal imposé à la suite du mouvement de fusions municipales déclenché par le gouvernement du Québec au début des années 2000 — demandent l’autorisation d’exercer un recours collectif pour faire annuler certains règlements municipaux et aussi pour obtenir le remboursement des taxes acquittées par les contribuables visés par le recours pour l’année 2005.
[59] Le juge LeBel, qui écrit les motifs pour la majorité, note d’abord que la jurisprudence de la Cour d’appel refuse d’autoriser un recours collectif lorsque celui-ci vise la nullité d’un règlement municipal. Dans plusieurs arrêts, la Cour d’appel avait conclu à l’inutilité d’une voie collective lorsqu’une action individuelle en nullité mène au même résultat. Rappelons que l’acte annulé ne profite pas seulement à la partie qui a exercé le recours, mais que l’effet de la nullité vaut à l’égard de tous les contribuables de la municipalité visée.
[60] Le juge LeBel rappelle ensuite que la Cour suprême, sans adopter formellement la doctrine de l’inutilité du recours, avait écrit dans l’arrêt Guimond précité qu’il était: « en général peu souhaitable »[26] d’exercer une action collective pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité :
Ayant décidé que le juge Pelletier avait, en vertu de l’al. 1003b), le pouvoir discrétionnaire de refuser l’autorisation demandée, et qu’il a exercé ce pouvoir de manière raisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres alinéas de l’art. 1003. De plus, même s’il est exact qu’il n’est pas nécessaire d’exercer un recours collectif pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité et qu’il est donc en général peu souhaitable de suivre cette voie, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de se pencher sur la question de savoir s’il existe un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser une autorisation si les conditions prévues par l’art. 1003 sont respectées.
[61] Il aborde ensuite l’argument selon lequel l’action collective ne serait pas inutile en raison de l’existence d’une conclusion en recouvrement de taxes. Une telle conclusion justifierait en quelque sorte la dimension collective du recours. Le juge leBel rejette toutefois l’argument, expliquant que l’effet de la nullité du règlement ne fait pas naître immédiatement une créance en faveur des contribuables. Dans le système municipal, la nullité de la réglementation fiscale entraîne une obligation pour la municipalité de reprendre son exercice budgétaire et fiscal. Pour rembourser les taxes indûment perçues, la municipalité doit taxer de nouveau. Selon le juge LeBel, l’action ressemble fort à une procédure d’annulation assortie d’un mandamus pour contraindre la municipalité à calculer les taxes conformément à la loi.
[62] Le juge LeBel termine ses motifs en signalant que l’utilisation de l’action collective dans le contexte d’une demande de nullité suscite des difficultés quant aux règles de procédures gouvernant la formation et l’évolution du groupe. Selon lui, les membres ne pourraient pas se désengager effectivement de la demande de nullité, en raison de son effet à l’égard de l’ensemble des contribuables.
[63] Il examine ensuite le principe de proportionnalité en prenant soin d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire de le faire pour rejeter la demande d’autorisation du recours collectif compte tenu des autres motifs invoqués.
[64]
La juge Deschamps, auteure des motifs dissidents, cible deux aspects
particuliers. Elle écrit que le principe de proportionnalité n’ajoute rien aux
critères d’autorisation du recours collectif. Elle reconnaît toutefois que ce
principe concrétise et renforce la marge d’appréciation reconnue au juge lors
de l’examen des critères d’autorisation du recours collectif. J’ouvre une
parenthèse pour rappeler que cet enseignement précis a été repris avec
approbation par la Cour suprême dans Vivendi précité. La juge Deschamps
affirme aussi que les membres du groupe sont titulaires d’un recours commun en
répétition de l’indu pour les taxes payées à la municipalité, et que rien ne
permet de croire que cette question pourrait être soumise par voie de mandat ou
de réunion de demandeurs selon le critère énoncé à l’alinéa
[65] La raison fondamentale qui oppose ces deux opinions réside dans l’existence ou non d’une réclamation commune à faire valoir à l’encontre de l’autre partie. L’opinion de la majorité conclut à l’inutilité d’un recours collectif en nullité, vu l’absence de conclusions exécutoires en répétition de l’indu alors que l’opinion minoritaire tranche en faveur de la présence de conclusions valables en répétition de l’indu, justifiant de ce fait l’action collective.
[66] Je déduis des enseignements de la Cour suprême dans Marcotte précité, vu l’absence de conclusions autres qu’une déclaration en nullité en conjonction avec l’argument procédural et le principe de proportionnalité, que l’action collective est inutile et ne satisfait pas la condition énoncée au paragraphe 575(3°) C.p.c.
[67] Pour ces raisons, je propose de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
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FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
[1]
D’Amico c. Procureure générale du Québec,
[2] Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, c. A-13.1.1.
[3] Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, c. A-13.1.1, r. 1.
[4] Il n’a pas contesté cette décision devant le Tribunal administratif du Québec, comme il aurait pu le faire.
[5] Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, c. A-13.1.1., art. 1 et 2.
[6] Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3, art. 14, 18 et 20; Id., Annexe I, art. 1 (3°).
[7] Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[8] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[9]
Il s’agit des articles
[10]
Infineon Technologies AG c. Option consommateurs,
[11] Ibid.
[12] Jugement, supra, note 1, paragr. 136.
[13]
Tonnelier c. Québec (Procureur général),
[14]
Guimond c. Québec (Procureur Général),
[15]
Mackin c. Nouveau-Brunswick,
[16] Québec c. C.U.M, supra, note 13.
[17] Henry c. B.C. (A.G.), supra, note 13.
[18]
Vivendi Canada c. Dell’Aniello,
[19]
Art.
[20]
Marcotte c. Longueuil (Ville de),
[21] Pierre-André Côté, avec la collab. de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 158.
[22] Id., paragr. 1517.
[23]
L’Oratoire Saint-Joseph
du Mont-Royal
c. J.J.,
[24] Pierre-André Côté, supra, note 21, paragr. 1451.
[25] Marcotte, supra, note 20.
[26] Guimond, supra, note 14, paragr. 20.
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