Décision

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Décision

9054-9569 Québec inc. c. Cano

2017 QCRDL 1437

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

Nos dossiers :

241750 37 20151015 G

248193 37 20151126 G

Nos demandes :

1853660

1881167

 

 

Date :

18 janvier 2017

Régisseur :

Marc Landry, juge administratif

 

9054-9569 Québec Inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

(241750 37 20151015 G)

Partie défenderesse

(248193 37 20151126 G)

c.

PIERRE-JEAN CANO

 

Locataire - Partie défenderesse

(241750 37 20151015 G)

Partie demanderesse

(248193 37 20151126 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 15 octobre 2015, le locateur demande le recouvrement du loyer impayé (530 $ pour octobre 2015) ainsi que le loyer dû au moment de l’audience.

[2]      Par amendement verbal autorisé le jour de l’audience, le locateur réclame plutôt la somme de 3 260,24 $, soit le loyer perdu des mois d’octobre 2015 à février 2016 suite au déguerpissement du locataire, le logement ayant été reloué à compter du mois de mars 2016, les frais de publicité et les frais d’énergie.

[3]      Le 26 novembre 2015, le locataire demande de déclarer le bail résilié depuis le 14 septembre 2015, jour de son départ du logement, et de lui accorder des dommages-intérêts de 2 429,73 $. Il allègue une mise en demeure envoyée le 9 novembre 2015, des travaux non effectués (dalles et douche dans la salle de bain, toilette, évier), une fenêtre brisée dans la cuisine, un écoulement d’eau souillée en provenance de l’étage supérieur, de fortes odeurs de marijuana et de tabac dans l’entrée principale lui donnant des maux de tête, le vacarme de la voisine habitant le logement situé au-dessous, l’intimidation du locateur, le fait qu’il ne pouvait exercer son métier de pianiste et il demande le remboursement de ses frais de déménagement, des frais médicaux et des pertes de revenus durant le bail (de mai 2015 à son départ).

[4]      Les doléances du locataire sont donc relatives à l’état du logement au moment de la délivrance et durant le séjour, à des troubles de voisinage (bruits, odeurs) et à l’intimidation faite par le locateur.

[5]      Il s’agit d’un bail du 1er mai 2015 au 30 avril 2016 au loyer mensuel de 530 $ pour un logement de 2 ½ pièces. Les frais d’électricité sont stipulés à la charge du locataire. Des travaux sont prévus avant la délivrance du logement : « plomberie, salle de bain, vernir le plancher chambre ».


[6]      Le bail prévoit que le logement est loué semi-meublé et à des fins résidentielles seulement.

[7]      Le locataire quitte le logement le 14 septembre 2015.

1 - LA DEMANDE DU LOCATAIRE

1.1 - TROIS REMARQUES PRÉLIMINAIRES

[8]      Tout d’abord, les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante des témoignages étant laissée à l'appréciation du tribunal.

[9]      Au cours d’une audience, on ne peut se contenter d’alléguer de façon générale; il faut démontrer des faits au soutien de ses prétentions et être crédible dans sa démonstration.

[10]   Au cours de l’audience, le locataire passe assez rapidement d’un sujet à un autre et sa preuve sur une grande part de ses doléances s’avère plutôt mince, voire minimaliste.

[11]   Ensuite, le Tribunal tient à rappeler la nature et les fondements d’un recours en dommages-intérêts et la distinction à faire avec un recours en diminution de loyer.

[12]   Le juge administratif Gilles Joly, dans l'affaire Gagné c. Larocque, écrivait :

« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.

Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »[1]

(Le souligné est du soussigné)

[13]   Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre entre le loyer payé par le locataire et la prestation de service du locateur ou la perte de jouissance des lieux subie.

[14]   Quant au recours en dommages-intérêts, il vise à indemniser un préjudice matériel, physique ou moral subi par le locataire suite à une faute commise par le locateur, lorsqu’il y a un lien direct et immédiat entre le dommage subi et la faute commise (articles 1458, 1607, 1613 et 1863 du Code civil du Québec).

[15]   Il ne faut pas confondre les deux recours. Ils ne sont pas interchangeables mais complémentaires.

[16]   En terminant, le Tribunal tient également à rappeler la nécessité pour le locataire de dénoncer au locateur toute situation préjudiciable en temps utile et opportun et de mettre celui-ci en demeure d’exécuter ses obligations en lui laissant un délai raisonnable pour rétablir la situation, le tout, avant d’intenter son recours.

[17]   La dénonciation vise à porter à la connaissance du locateur un trouble, un défaut, un manquement et la mise en demeure vise à rappeler au locateur que, à défaut d’exécution de ses obligations dans le délai accordé, recours judiciaire sera entrepris pour obtenir réparation.

[18]   Sauf exception, la dénonciation du trouble en temps utile pour informer le locateur de son existence et la mise en demeure préalable du locateur avant d’exercer son recours sont essentielles (articles 1590, 1594, 1595, 1596, 1861, 1866 du Code civil du Québec).

1.2 - L’ABANDON DU LOGEMENT OU LA RÉSILIATION DE PLEIN DROIT POUR INSALUBRITÉ OU LOGEMENT IMPROPRE

[19]   Le 9 septembre 2015, à la suite d’une conversation avec le locateur, le locataire rédige une première dénonciation écrite des troubles subis. Il y explique les raisons qui motivent sa décision de quitter le logement. Il ne laisse pas sa nouvelle adresse. Le Tribunal estime que l’on peut considérer le document à la fois comme une dénonciation, la première ou la seule (sous réserve, peut-être, d’une dénonciation de la vitre fendue ou craquée de la fenêtre de la cuisine sur laquelle nous reviendrons plus loin), et comme un avis d’abandon de logement. Il est clair que le locataire quitte et qu’il n’a pas l’intention de retourner au logement.

[20]   La preuve révèle que la dénonciation est reçue par le locateur après le départ du locataire.

[21]   Un logement impropre à l’habitation est un logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public (article 1913 du Code civil du Québec).

[22]   L’article 5 du Règlement CO-2009-577 de la Ville de Longueuil énumère ce qui peut constituer une nuisance ou une cause d’insalubrité. Les obligations du Règlement font partie du bail (article 1912 du Code civil du Québec).

[23]   Logement impropre, insalubrité, nuisance, il s’agit de notions objectives et non subjectives. Le Tribunal ne peut conclure au caractère impropre ou sur l’insalubrité sur la seule base d’impressions subjectives.

[24]   Il n’y a pas de preuve probante d’insalubrité du logement ni du fait que celui-ci était impropre à l’habitation.

[25]   Le locataire allègue et la preuve révèle tout au plus quelques défauts (vitre fendue de la fenêtre de la cuisine avec du « tape », un débit d’eau peu élevé à l’évier de la salle de bain, une dalle  de céramique (ou peut-être quelques dalles) brisée à remplacer au plancher de cette pièce.

[26]   Quant à la fenêtre de la salle de bain, non seulement le locataire n’a même pas cru bon d’alléguer celle-ci dans son recours, mais la preuve à ce sujet est insuffisante et même contradictoire. Selon le témoignage du locataire, cette fenêtre ne pouvait se fermer; selon celui de son frère, cette fenêtre ne pouvait s’ouvrir.

[27]   Reste un nébuleux écoulement d’eau sur le comptoir de la cuisine en provenance du logement du dessus dont seul le locataire semble en connaître l’origine. Il n’y a aucune preuve objective et corroborative, photographique ou autre, au soutien de la provenance alléguée. Une infiltration d’eau en provenance d’un logement supérieur laisse pourtant des traces bien visibles qui ne trompent pas. Seul la présence d’un peu d’eau sur le comptoir de la cuisine a été démontrée (et remarquée par les témoins du locataire), ce qui en soi n’est guère étonnant à cet endroit.

[28]   Il n’a donc pas été établi que le logement était insalubre ou impropre à l’habitation au moment du départ du locataire, ni lors de son séjour. L’abandon du logement n’est pas justifié. Le locataire n’a donc pas été déchargé de l’obligation de payer le loyer (article 1915 du Code civil du Québec), ni libéré de plein droit du bail (article 1916 du Code civil du Québec).

[29]   Si le logement n’est pas impropre à l’habitation et que son abandon pur et simple n’est pas justifié, le locataire conserve toutefois son recours en résiliation de bail pour préjudice sérieux en cas d’inexécution par le locateur de ses obligations. Le locataire peut aussi demander des dommages-intérêts et une diminution de loyer.

[30]   L’auteure Thérèse Rousseau-Houle s'exprime ainsi dans Le Précis du droit de la vente et du louage :

« À partir de l'arrêt Shorter c. Beauport Realties (1964) inc., [1969] C.S. 363, un nouveau courant jurisprudentiel se dessine. Il n'est plus requis que les lieux soient inhabitables ou inutilisables et qu'il existe un état d'urgence pour justifier le preneur de quitter le logement. Il suffit que le locateur ne remplisse pas substantiellement ses obligations. »[2]

[31]   L'arrêt Brummer c. Motcorp. Ltd.[3] de la Cour d'appel, quinze ans plus tard, et la doctrine subséquente sont au même effet.

1.3 - LA RÉSILIATION DU BAIL ET LES DOMMAGES-INTÉRÊTS

[32]   La résiliation du bail peut donc être demandée. Il faut alors démontrer un préjudice sérieux (article 1863 du Code civil du Québec).

[33]   Dans la mesure où le locateur n’exécute pas ses obligations, que le locataire en subit un préjudice et qu’il y a un lien direct et immédiat entre les deux, le locataire peut obtenir des dommages-intérêts.


[34]   En ce qui concerne spécifiquement les troubles de voisinage, l’article 1861 du Code civil du Québec précise que le locataire peut obtenir une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s’il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste. Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts, à moins que le locateur commun ne démontre qu’il a agi avec prudence et diligence. Quant au locataire, celui-ci doit user du bien loué avec prudence et diligence (article 1855 du Code civil du Québec). Tout locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires (article 1860 du Code civil du Québec), les locataires voisins se devant toutefois d’accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent (article 976 du Code civil du Québec) dans une habitation à logements multiples.

[35]   Le locataire se plaint que le logement n’a pas été délivré avec les travaux prévus au bail. La preuve révèle que les planchers ont été vernis avant la prise de possession du logement. Le remplacement de la tuile brisée a été fait après un délai d’environ un mois, le locateur ayant tout d’abord cherché à obtenir le même type de tuile, sans succès. Une tuile dépareillée a été posée. Il en a peut-être résulté un léger préjudice esthétique pour le locataire, mais il est de jurisprudence constante que ce type de dommages n’est pas indemnisable. Une pomme de douche a aussi été installée. La toilette n’a pas fait l’objet de preuve. Et il n’est pas question au bail de vitre à réparer dans la cuisine (le bris constaté lors de la prise de possession des lieux a donc dû survenir entre la signature du bail et l’arrivée du locataire). Reste la plomberie, soit le filet d’eau sortant de la robinetterie de l’évier de la salle de bain. Seule cette réparation prévue au bail n’a pas été faite lors de la délivrance du logement, peu de temps après ou dans un délai raisonnable par la suite.

[36]   Le remplacement de la vitre craquée da la cuisine n’a pas été fait durant le séjour du locataire, mais par contre il n’y a pas de preuve prépondérante que la chose ait été valablement dénoncée au propriétaire et il est certain que ce dernier n’a pas été mis en demeure en temps utile et opportun à ce sujet. Tout au plus, la preuve révèle que le locataire s’en est ouvert à la concierge et que cette dernière l’a alors informé du fait que le locateur était en train de remplacer progressivement les fenêtres dans l’immeuble, « que ça s’en venait », que « les fenêtres étaient commandées ».

[37]   Quant aux troubles de voisinage (vacarme par les coups donnés dans le plafond par la locataire du logement du dessous et odeurs de tabac et de marijuana dans l’entrée commune de l’immeuble), il n’y a pas de preuve prépondérante que ces troubles ont été dénoncés au locateur en temps utile et opportun et ce dernier n’a jamais été mis en demeure avant le départ du locataire. Le problème d’odeur s’est limité à une seule et courte allégation vague et générale du locataire non démontrée par des faits précis.

[38]   Le locateur n’a donc pas eu de délai raisonnable pour intervenir et corriger les situations dénoncées. Le locataire avait déjà quitté le logement lors de la réception par le locateur de la lettre datée du 9 septembre 2015.

[39]   Relativement à l’intimidation, la seule preuve du fait que le locateur a mentionné au cours d’une conversation l’impact potentiel d’un dossier ouvert à la Régie sur la cote de crédit du locataire n’est pas suffisante pour conclure à une manœuvre orchestrée du locateur pour intimider ou harceler le locataire.

[40]   La vitre craquée de la cuisine, le filet d’eau s’écoulant de la robinetterie de l’évier de la salle de bain et le préjudice esthétique du dépareillement de la dalle de la salle de bain ne suffisent pas à convaincre le Tribunal qu’il est en présence de défauts substantiels relativement à l’état du logement, de nature à causer un préjudice sérieux justifiant la résiliation du logement au moment du départ du locataire.

[41]   Quant au seul trouble de voisinage sérieux abordé par le locataire, à savoir celui du vacarme causé par les coups dans le plafond par la voisine du dessous, l’absence de dénonciation et de mise en demeure formelle au locataire préalablement à son départ s’avère fatale.

[42]   Il n’y a pas de preuve suffisante pour déclarer le bail résilié, pour obliger le locateur à payer les frais entourant le déménagement du locataire (qui de plus n’ont pas été démontrés), les frais médicaux et les pertes de revenus reliés aux cours de piano non donnés au logement. Il n’y a pas de preuve probante ou sérieuse d’un lien causal direct et immédiat avec les doléances du locataire. Au surplus, en ce qui concerne la perte de revenus, rappelons que le bail prévoyait que le logement était loué à des fins résidentielles seulement.


[43]   En terminant, le locataire a référé au cours de l’audience à une entente[4] intervenue avec la concierge pour sous-louer le logement et autoriser celle-ci à faire visiter, entente qui l’aurait soi-disant libéré du bail, dit-il. Il a mis des annonces et il a référé quelques candidats à la concierge pour des visites, sans succès. De l’avis du Tribunal, cette preuve tend plutôt à démontrer le contraire, à savoir que le locataire savait pertinemment que l’entente de relocation du logement n’était pas libératoire quant au loyer à échoir après son départ.

2 - LA DEMANDE DU LOCATEUR

[44]   Le 14 septembre 2015, le locataire quitte le logement en emportant ses effets mobiliers. Le loyer du mois de septembre 2015 est payé. Le locataire cesse de payer le loyer par la suite. Le déguerpissement devient effectif à compter du mois d’octobre 2015. Le bail est donc résilié de plein droit par le déguerpissement (article 1975 du Code civil du Québec), le locataire n’ayant pas établi de motifs suffisants pour une résiliation du bail en sa faveur.

[45]   Le logement a été reloué à compter du 1er mars 2016.

[46]   Le locateur a perdu le loyer des mois d’octobre 2015 à février 2016 inclusivement, soit la somme de 2 650 $. Il a assumé des frais d’électricité de 173,91 $ durant la période où le logement a été vacant et des frais de publicité de 436,33 $ afin de le relouer. Il a droit à ces sommes.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dans le dossier 241750 :

[47]   CONSTATE la résiliation du bail de plein droit par le déguerpissement du locataire;

[48]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 3 260,24 $ avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 10 janvier 2017, plus les frais de 80 $.

Dans le dossier 248193 :

[49]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marc Landry

 

Présence(s) :

les mandataires du locateur

le locataire

Me Mathieu Jacques, avocat du locataire

Date de l’audience :  

10 janvier 2017

 

 

 


 



[1] 31-970501-054G (R.L.), le 1er décembre 1997.

[2] Rousseau-Houle, Thérèse, Précis de la vente et du louage, Presses de l'Université Laval, 2ème  Édition, 1986, p. 331-332; Voir aussi l'arrêt Brummer c. Motcorp. Ltd., J.E. 84-1020, (C.A.).

[3] J.E. 84-1020, (C.A.).

[4] Pièce L-3

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