Giouzelis c. Robidoux | 2023 QCTAL 9396 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Laval | ||||||
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No dossier : | 669582 36 20221214 G | No demande : | 3749523 | |||
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Date : | 27 mars 2023 | |||||
Devant le juge administratif : | Serge Adam | |||||
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Christos Giouzelis |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Éric Robidoux |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande au Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er juillet 2023, pour s’y loger, suivant les termes de l'article
[2] La preuve révèle que les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 au loyer mensuel de 1 640 $, payable le 1er de chaque mois.
[3] La preuve démontre que le 11 novembre 2022, le locateur fait tenir au locataire un avis de reprise de logement, pour s’y loger, à compter du 1er juillet 2023. Par ailleurs, puisque le locataire n’a pas répondu dans le délai de 30 jours de l’avis il était dès le 11 décembre 2022 réputé vouloir refuser de quitter le logement et, par conséquent, le locateur a produit sa présente demande dans les délais requis par la loi, soit le 14 décembre 2022.
[4] Mentionnons d'abord que l'article
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[5] Il appert de la preuve que le locateur est le propriétaire de cet immeuble étant un multiplex l’ayant acquis le 4 novembre de son père la partie indivise qu’il détenait devenant ainsi le seul propriétaire lequel acte reçu le fut inscrit au registre foncier sous le numéro 27172118.
Allégations de la locatrice
[6] Au soutien de sa demande, le locateur explique vouloir reprendre ce logement afin de s’y loger, car celui-ci lui convient parfaitement avec ses 7 pièces et demie, car il envisage prochainement de fonder une famille et qu’il est temps pour lui alors qu’il est âgé de 30 ans de déménager de chez ses parents.
[7] Il témoigne être dentiste et être financièrement capable de payer la différence entre son versement hypothécaire et le total de revenus des loyers des trois autres logements du bâtiment.
[8] Or, le locateur admet avoir voulu avec ses parents s’entendre avec le locataire pour obtenir une résiliation du bail simplement afin d’éviter une judiciarisation en cas de refus du locataire.
[9] Il soutient ne pas posséder d’autres immeubles que celui-ci abritant le logement concerné et précise que les trois autres logements sont un 5½, 4½ et 3½.
[10] En défense, le locataire lors de son témoignage remet en question l'intention véritable du locateur à l'égard du droit à la reprise et soutient que le locateur est toujours propriétaire avec ses parents de l’édifice. Il soumet deux copies du rôle foncier de la municipalité de Laval, l’une datée de mars 2023 indiquant comme propriétaires de celui-ci le locateur et ses parents par l’entremise d’une compagnie.
[11] Le locataire toujours au soutien de cette allégation de plusieurs propriétaires de l’immeuble produit l’index aux immeubles lequel indique bel et bien le locateur comme seul propriétaire de l’édifice abritant le logement concerné.
[12] Le Tribunal ne peut considérer le rôle de la municipalité comme preuve de propriétaire d’un immeuble celui-ci n’étant jamais à date vu le nombre de transactions immobilières par jour. Cependant, l’index aux immeubles demeure la preuve irréfutable du nom du propriétaire.
[13] Le locataire dans un témoignage émotif prétend que toute cette mascarade de transférer l’immeuble au locateur seul alors qu’il était copropriétaire avec ses parents avant ce transfert démontre que la famille est de mauvaise foi, incluant le locateur afin d’évincer le locataire de son logement pour être capable de pouvoir le louer de nouveau avec probablement le double du loyer actuellement payé par le locataire.
[14] Il invoque au soutien de son allégation, avoir reçu une demande de la famille du locateur dès le mois d’août 2022 de renoncer à un de ses stationnements et au deuxième garage utilisé. En effet, selon le locataire, même si ceux-ci n’étaient pas précisés dans le bail, il avait depuis le début son occupation un droit acquis attribué par l’ancien locateur.
[15] Compte tenu de l'ensemble des circonstances décrites ci-haut, il refuse au locateur le droit à la reprise du logement, car il indique que son réel but est de l’évincer, afin de pouvoir rentabiliser cet immeuble.
[16] Par ailleurs, advenant que la reprise de logement soit accordée, le locataire demande qu'une indemnité lui soit versée afin de l'aider à couvrir les frais de déménagement qu'il devra encourir, tels frais devant inclure les frais de branchement de ses services de base et de changement d'adresse auprès du Bureau de poste, ajoute-t-il et précise que celui-ci serait de l’ordre de 5 000 $ et non de 1 000 $ ou 1 200 $ comme le soutient le locateur.
[17] Il est à noter que le locataire n’a produit aucune soumission sur les frais d’un tel déménagement alors que le locateur a produit deux soumissions en indiquant le tarif horaire sans préciser toutefois quel serait le montant total d’un futur déménagement de ce logement comprenant sept pièces et deux garages.
[18] Pour sa part, le locateur réitère sa bonne foi dans la présente démarche et son intention réelle de reprendre ce logement dans l'unique but de s’y loger, assurant le Tribunal que cette demande n'est aucunement un prétexte pour évincer le locataire.
[19] Il ne s'oppose pas au paiement d'une indemnité raisonnable et laisse le Tribunal statuer sur ce point précis.
[20] Le locateur suggère cinq heures pour compenser les futurs frais de déménagement des effets du locataire alors qu’il est de connaissance judiciaire que la tarification des entreprises spécialisées se calcule à l’heure pour trois hommes, soit une heure par pièce et deux heures pour le trajet aller-retour ce qui donnerait 9 heures pour le futur déménagement du locataire.
[21] Le Tribunal considère que le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait par son témoignage crédible et sincère que ce dernier désire bien le logement pour s’y loger.
[22] Le locateur a, par conséquent, clairement démontré sa réelle bonne foi.
[23] En effet, le soussigné ne peut souscrire à de la mauvaise foi de la part du locateur et de sa famille alors qu’ils étaient le copropriétaire de l’immeuble d’entreprendre des discussions pour obtenir une entente du départ du locataire et ce afin d’éviter de judiciariser la reprise du logement ou encore de discuter d’espaces utilisés par le locataire sans que ceux-ci ne lui soient pas attribués par son bail.
[24] En effet, selon la jurisprudence fortement majoritaire, celle-ci n’accepte pas la notion de droit acquis lorsqu’un locateur tolère une situation, car cette tolérance n’accorde pas de droit au locataire. Le locateur pouvait ainsi discuter de ces utilisations non attribuées sans que cela ne soit considéré comme du harcèlement ou encore une façon d’obtenir le départ du locataire. Le soussigné n’a pas perçu dans le témoignage du locateur une telle impression comme le suggère le locataire.
[25] Dans l'affaire Dagostino c. Sabourin, Me Jean Bisson a déjà décidé que :
« Lors de la de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part le droit du propriétaire d'un bien d'en jouir comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit que le législateur impose des conditions au locateur. »[1]
[26] De plus, la jurisprudence du présent Tribunal établit que l'existence de conflits ou de tensions entre les parties ne permet pas au tribunal, de ce seul fait, de conclure automatiquement à la mauvaise foi du locateur.[2]
[27] Ainsi, dans Lavigne c. Bathily, le juge administratif Luce De Palma, énonçait relativement à cette problématique :
« En l'espèce, il est vrai qu'un conflit existe entre les parties, de même qu'avec le frère du locateur, mais ces conflits, du seul fait qu'ils existent, ne permettent pas au tribunal de conclure automatiquement à la mauvaise foi du locateur. »[3]
[28] Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres à la locataire, en regard des termes de l'article
[29] Cet article se lit comme suit :
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[30] Dans l'affaire Boulay c. Tremblay,
« Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art.
Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :
«... Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire.»
Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il «doit en user «judiciairement», ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable.» (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)
Ainsi il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal à discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive. »[4]
[31] L'article
[32] Le Tribunal partage l'opinion du juge Lachapelle et, comme lui, il croit que le locataire a le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé.
[33] Partant, compte tenu des circonstances dont a témoigné le locataire, et compte tenu, aussi, du fait que le locateur n'a pas à être pénalisé pour l'exercice d'un droit légitime, soit celui d'habiter son logement par lui-même ou par un parent, le Tribunal estime que l'octroi d'une indemnité de l'ordre 2 500 $, est juste et raisonnable pour compenser le locataire pour les frais d'un déménagement et pour tous les troubles et inconvénients y afférents, dont la recherche d'un nouveau logement.
[34] À titre d'information, il convient d'ajouter que l'article
[35] De plus, l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2023 pour s’y loger;
[37] ORDONNE l'éviction du locataire et de tous les occupants à compter du 30 juin 2023;
[38] CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 2 500 $, au plus tard le 30 juin 2023 ou à la date du départ du locataire;
[39] AUTORISE le locataire à opérer compensation de l'indemnité à même les derniers mois de loyer;
[40] Le locateur assume les frais de la demande.
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Serge Adam | ||
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Présence(s) : | le locateur Me Gabrielle O'Reilly Patry, avocate du locateur le locataire | ||
Date de l’audience : | 14 mars 2023 | ||
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[1] 31-991119-037G, 26 janvier 2000, au même effet : Tremblay c. Galipeau,
[2] Lavigne c. Bathily et Lutzenberger, 31-020729-072G, Me Luce De Palma, 23 décembre 2002; Lapierre c. Cloutier,
[3] Id. à la page 2.
[4] Boulay c. Tremblay,
AVIS :
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