Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

Potvin c. Établissement de détention de Joliette

2020 QCCS 2672

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Montréal

 

No:

500-36-009683-205

 

DATE:

3 août 2020

 

 

___________________________________________________________________

 

 

Sous la présidence de l’honorable GUY COURNOYER, J.C.S.

___________________________________________________________________

 

 

MARILYNE POTVIN

            Requérante

c.

ÉTABLISSEMENT DE DÉTENTION DE JOLIETTE

Intimé

 

___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

___________________________________________________________________

 

I-          Aperçu

[1]           L’habeas corpus ne constitue pas un recours statique, étroit et formaliste.  Il s’agit d’un droit constitutionnel enchâssé à l’alinéa 10 c) de la Charte[1].

[2]           Historiquement, sa portée s’est élargie afin qu’il puisse remplir son objet premier : la protection des individus contre l’érosion de leur droit de ne pas se voir imposer de restrictions abusives à leur liberté[2].

[3]           Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Khela, « l’habeas corpus demeure le meilleur moyen à la disposition du prisonnier qui veut faire contrôler la légalité de sa privation de liberté »[3].

[4]           En 1985, dans la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin[4] et en 2005 dans l’arrêt May[5], la Cour suprême du Canada « a garanti que le principe de légalité continue de régner à l’intérieur des murs d’un pénitencier »[6] et « que toute privation de la liberté d’un prisonnier soit justifiée »[7].

[5]         Depuis cette trilogie, la chambre criminelle de la Cour supérieure exerce le contrôle de la légalité de la détention des prisonniers fédéraux.

[6]           Le Service correctionnel du Canada[8] («SCC») présente trois demandes.

[7]           Tout d’abord, le SCC demande au Tribunal de décliner compétence, car madame Potvin bénéficiera d’un processus complet, exhaustif et expéditif devant la Commission des libérations conditionnelles si son mandat de suspension est référé à la Commission[9]. Dans la mesure où aucune décision n’a encore été prise en ce sens, le SCC juge la demande de la requérante prématurée.

[8]           La deuxième demande recherche le transfert du dossier dans le district judiciaire de Joliette, car la requérante y est détenue à l’Établissement de détention de Joliette.

[9]           La troisième vise à ce que la demande d’habeas corpus présentée par la requérante soit entendue par la chambre civile de la Cour supérieure plutôt que par la chambre criminelle en raison des décisions de la Cour d’appel du Québec dans les arrêts Snooks c. Procureur général du Canada[10] et Paul c. Lalande (Archambault Establishment)[11].

[10]        Dans ces décisions, la Cour d’appel conclut que la décision de transfèrement non sollicité d’un détenu est une décision administrative de nature civile assujettie à la procédure prévue aux articles 398 à 402 C.p.c. et que le délai d’appel applicable aux jugements rendus est de dix jours selon l’article 361 C.p.c. Il s’agit d’un délai d’appel de rigueur qui emporte déchéance du droit d’appel selon l’article 363 C.p.c.[12]

[11]        C’est la Cour supérieure, et non une chambre en particulier, qui a compétence pour entendre une demande d’habeas corpus en droit carcéral.  La Cour supérieure est indivisible.

[12]        L’organisation de la Cour supérieure et celle de ses chambres relèvent des règlements adoptés par celle-ci et des directives de nature purement administratives que donne le juge en chef de la Cour supérieure[13].

[13]        Dans la mesure où la chambre criminelle de la Cour supérieure entend les demandes d’habeas corpus en droit carcéral depuis 1985 et puisque « le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l’administration de la justice criminelle, à l’égard de laquelle les cours supérieures jouent quotidiennement un rôle essentiel »[14], il ne convient pas de transférer l’audition de ces demandes à la chambre civile de la Cour supérieure.

[14]        Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la demande présentée par le SCC.

II-         La détention de la requérante

[15]        Depuis le 19 mai 2017, madame Potvin purge une peine d’emprisonnement de plus de 4 ans à l’égard de fraudes importantes commises entre 2010 et 2017.

[16]        Elle doit donner naissance à un enfant le [...] prochain.

[17]        Elle est détenue depuis le 10 juillet 2020 en raison de sommes ayant été perçues en trop à l’égard d’une indemnité versée par la CNESST.

[18]        Elle recherche sa libération par le biais d’une demande d’habeas corpus et sollicite une déclaration que sa réincarcération met à risque sa santé, sa sécurité et celle de son enfant à naître.

[19]        La requérante allègue une privation de liberté qui découle du mandat d’arrestation et de la suspension de sa libération conditionnelle totale conformément au paragraphe 135(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions.

[20]        Le 23 juillet 2020, la requérante sollicite la tenue d’une audition au fond de sa demande d’habeas corpus.

[21]        Le même jour, le SCC demande par courriel de transférer le dossier dans le district judiciaire de Joliette où la requérante est maintenant détenue de même que le transfert de ce dossier à la chambre civile de la Cour supérieure.

[22]        Le 24 juillet 2020, le dossier apparaît au rôle de la chambre de pratique.

[23]        Vu l’urgence de la situation, les parties ont accepté de présenter leurs observations par écrit afin de permettre que ces questions préliminaires soient tranchées le 29 juillet 2020.

[24]        Ce jour-là, le Tribunal rejette les demandes du SCC, avec motifs à suivre.

[25]        Voici ces motifs.

III-       La demande de transfert à la chambre civile de Joliette

A-       Le transfert au district judiciaire de Joliette

[26]        Après avoir été arrêtée à Québec, la requérante a été transférée à l’Établissement Leclerc de Laval et, par la suite, à l’Établissement de Joliette.

[27]        Dans sa demande d’habeas corpus, la requérante élit domicile au bureau de son avocate. 

[28]        Dans les circonstances actuelles, et dans la mesure où c’est la chambre criminelle du district de Montréal qui assure la gestion des demandes urgentes pour plusieurs districts périphériques de la région de Montréal, le Tribunal autorise le dépôt de la demande de la requérante dans le district judiciaire de Montréal[15].

B-        La demande de transfert à la chambre civile

[29]        Comme on l’a vu auparavant, cette demande s’appuie sur les décisions récentes rendues par la Cour d’appel qui établissent que l’habeas corpus visant certaines décisions en droit carcéral constitue un recours civil et que les règles du Code de procédure civile relatives à l’appel s’appliquent à celui-ci[16].


 

1-    La position du Service correctionnel du Canada

[30]        Selon le SCC, puisque les décisions de la Cour d’appel ont changé l’état du droit au sujet des règles régissant l’appel d’un habeas corpus en droit carcéral, il découle de ce changement du droit que l’habeas corpus en droit carcéral doit dorénavant être entendu par la chambre civile de la Cour supérieure plutôt que par la chambre criminelle.

[31]        Le SCC formule sa position en ces termes :

La suspension de la libération conditionnelle par l’arrestation et la réincarcération d’un délinquant est un outil de surveillance prévu par la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions. Cette décision ne concerne pas la déclaration de culpabilité ou l’infliction d’une peine qui en découle, mais bien la gestion du risque associé au délinquant. Une demande d’habeas corpus à l’encontre de cette décision est de nature civile et doit procéder devant la chambre civile de la Cour supérieure.

2-    La position de la requérante

[32]        La requérante estime que l’arrêt May justifie de maintenir les auditions des demandes d’habeas corpus en droit carcéral à la chambre criminelle de la Cour supérieure.

IV-      Analyse

A-       Les dispositions pertinentes

[33]        Avant d’aborder la question du transfert du dossier à la chambre civile, il faut rappeler les dispositions législatives et règlementaires pertinentes qui permettent de comprendre pourquoi les demandes d’habeas corpus en droit carcéral étaient entendues par la chambre criminelle jusqu’aux décisions récentes de la Cour d’appel.

[34]        Même si les arrêts Snooks et Paul c. Lalande établissent que cette compréhension du droit était erronée, il sera sans doute plus facile de trancher la demande du SCC de transférer le dossier à la chambre civile de la Cour supérieure à la lumière de ces informations.

[35]        L’article 774 du Code criminel prévoit :

La présente partie s’applique aux procédures pénales par voie de certiorari, d’habeas corpus, de mandamus, de procedendo et de prohibition.

[36]        L’article 482 du Code criminel prévoit le pouvoir de toute cour supérieure de juridiction criminelle d’établir des règles de cour qui ne sont pas incompatibles avec le Code criminel  ou toute autre loi fédérale.

[37]        Ces règles s’appliquent à toute poursuite, procédure, action ou tout appel de la compétence de la Cour supérieure, intenté à l’égard de toute matière de nature pénale (« any matter of a criminal nature ») ou découlant de quelque semblable poursuite, procédure, action ou appel, ou s’y rattachant. 

[38]        Selon le sous-alinéa 482(3)c), ces règles peuvent être établies pour règlementer, en matière pénale (« in criminal matters »), la plaidoirie, la pratique et la procédure, notamment les actes de procédures concernant les habeas corpus.

[39]        Depuis 1974, les Règles de pratique de la Cour supérieure, chambre criminelle comportent une disposition qui prévoit que les articles 851 à 856 du Code de procédure civile régissent mutatis mutandis le bref d’habeas corpus en matière criminel (« in criminal matters »)[17].

[40]        L’article 22 des Règles de procédures de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002)Règles ») prévoit :

22. Toute demande par voie de certiorari, d’habeas corpus, de mandamus, de procedendo et de prohibition, est introduite par requête, appuyée d’un ou plusieurs affidavits attestant la vérité des faits allégués, et énonce les conclusions recherchées.

[41]        Quant à lui, l’article 28 des Règles dispose :

28. Les articles 851 à 855 du Code de procédure civile s’appliquent au bref d’habeas corpus en matière criminelle, avec les adaptations nécessaires.

[42]        Les dispositions du Code de procédure civile relatives à l’habeas corpus ont été modifiées en 2016[18].

B-        Survol historique

[43]        Historiquement, les demandes d’habeas corpus en matière criminelle entendues par la chambre criminelle de la Cour supérieure comprenaient les demandes d’habeas corpus découlant du Code criminel, des procédures d’extradition et celles visant le droit carcéral[19].

[44]        La consultation de la jurisprudence de la Cour supérieure et de la Cour d’appel démontre que l’habeas corpus en droit carcéral a toujours été entendu par la chambre criminelle de la Cour supérieure[20].

[45]        En 1983, dans un article intitulé Le contrôle judiciaire en droit pénal canadien[21], l’auteur Pierre Béliveau formulait les observations suivantes :

Dans l'arrêt Re Federal Republic of Germany and Rauca (1983), 4 C.C.C. (3d) 385, la Cour d'appel de l'Ontario a décidé que cette disposition permet d'en appeler concernant toute procédure en habeas corpus, en l'espèce en matière d'extradition. La partie [XXIV] du Code criminel ne s'applique donc pas uniquement aux habeas corpus reliés à des accusations criminelles.

 

[Le soulignement est ajouté]

[46]        À cet égard, à l’occasion de la trilogie sur l’extradition en 1987, et plus spécifiquement dans l’arrêt Canada c. Schmidt[22] la Cour suprême considère le fondement du droit d’appel visant l’habeas corpus en matière d’extradition et la portée de l’article 784 du Code criminel [alors l’article 719].                       

[47]        Le juge La Forest adopte alors l’analyse de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Re Federal Republic of Germany and Rauca et il conclut que l’article 784 du Code criminel crée un régime intégré d’appel en matière d’habeas corpus[23].

[48]        En 1989, dans l’arrêt R. c. Olson[24], la Cour suprême du Canada réfère à l’article 784 du Code criminel dans une affaire mettant en cause la détention d’un détenu en ségrégation.

[49]        Ainsi, comme l’observe un auteur en 1998, c’est la chambre criminelle de la Cour supérieure qui entend l’habeas corpus qui concerne les décisions des autorités carcérales fédérales :

Au Québec, les demandes d’habeas corpus en droit carcéral sont entendues par la chambre criminelle de la Cour supérieure. Ce faisant, la Partie XXVI du Code criminel (articles 774 et suiv. du Code criminel), ainsi que la règle 23 des Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec (ch. criminelle), s’appliquent au motif que le fondement même de la détention en milieu carcéral est une sentence d’emprisonnement prononcée en raison d’une condamnation criminelle[25].

[Le soulignement est ajouté]

[50]        Cet article décrit parfaitement la situation qui prévaut jusqu’aux arrêts Snooks et Paul c. Lalande. Il confirme que l’habeas corpus en droit carcéral était considéré, à tort comme on le sait depuis les décisions de la Cour d’appel, comme visant « une matière pénale » au sens de l’article 774 du Code criminel[26].

[51]        Ainsi, à la lumière de ces arrêts, cette compréhension du droit applicable s’avère donc fautive et erronée.  Contrairement à ce que d’aucuns ont pu penser, les articles 774 et 784 du Code criminel de même que les articles 22 et 28 des Règles ne constituent pas le fondement substantiel et procédural applicable à l’habeas corpus en droit carcéral.

[52]        Il vaut tout de même de souligner une observation des juges LeBel et Fish dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale qui paraissait, du moins en partie, confirmer cette compréhension du droit applicable.

[53]        Dans ce passage de leur opinion conjointe, ils soulignent la proximité qui existe entre le droit carcéral et l’administration de la justice criminelle :

[68]      Deuxièmement, l’expertise supérieure de la Cour fédérale en matière correctionnelle n’est pas incontestablement établie.  Cette cour connaît certainement à fond le droit administratif fédéral et sa procédure et jouit d’une réputation bien méritée en ce domaine et dans d’autres domaines de droit fédéral.  Cependant, le droit carcéral fait intervenir l’application des principes de la Charte, que les cours supérieures provinciales connaissent aussi très bien.  De plus, le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l’administration de la justice criminelle, à l’égard de laquelle les cours supérieures jouent quotidiennement un rôle essentiel.  En conséquence, il n’existe pas, selon nous, de motifs convaincants d’adopter le principe de la déférence à l’égard de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire.

[69]      Troisièmement, la Cour suprême de la Colombie-Britannique peut instruire une demande d’habeas corpus plus rapidement que la Cour fédérale peut instruire une demande de contrôle judiciaire.  La règle 4 des Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière pénale, TR/97-140, prévoit l’audition d’une telle demande à six jours d’avis.  Par contre, en tenant compte de tous les délais maximaux prévus, la demande d’audition d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est déposée le cent soixantième jour qui suit la date de la décision attaquée : par. 18.1(2) de la LCF et règles 301 à 314 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.  Ce facteur revêt une grande importance pour les prisonniers privés illégalement de leur liberté.  Il représente aussi un facteur à considérer lorsque les avocats agissent bénévolement ou sont rémunérés au tarif restreint de l’aide juridique, ou si le détenu se représente lui-même.  L’importance des intérêts en jeu milite alors en faveur d’un règlement rapide des questions litigieuses.

[Le soulignement est ajouté]

[54]       On notera que la Cour suprême réfère aux Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière pénale[27].

C-       L’audition de l’habeas corpus en droit carcéral : chambre criminelle ou chambre civile

[55]        Dans l’arrêt Snooks, la Cour d’appel décide que « la décision de transfèrement non sollicité est une décision administrative de nature civile » et « [l]a demande d’habeas corpus des appelants étant de nature civile, elle était assujettie à la procédure prévue aux articles 398 à 402 C.p.c.»[28].

[56]       Jusqu’aux décisions de la Cour d’appel dans les arrêts Snooks et Paul c. Lalande, les demandes d’habeas corpus en droit carcéral ont toujours été entendues par la chambre criminelle de la Cour supérieure. 

[57]        Même si depuis ces décisions, les articles 22 et 28 des Règles s’avèrent évidemment inapplicables, on peut néanmoins considérer que ces articles de même que la gestion administrative de ce type de dossiers témoignent de la volonté de la Cour supérieure de confier l’audition d’un habeas corpus en droit carcéral à la chambre criminelle tout en assujettissant ceux-ci aux formalités procédurales du Code de procédure civile.

[58]        En d’autres termes, même si ces articles ont été erronément interprétés comme étant applicables à l’habeas corpus en droit carcéral, la Cour supérieure exprimait dans ceux-ci sa volonté de confier cette tâche à la chambre criminelle.

[59]        Cette volonté s’harmonise avec les commentaires des juges LeBel et Fish dans l’arrêt May.

[60]        À tout événement, même si les arrêts Snooks et Paul c. Lalande décident, et cela à l’instar de plusieurs cours d’appel[29], qu’un transfèrement correctionnel constitue une question de nature civile, cela ne signifie pas que la révocation de la libération conditionnelle d’un prisonnier ou de la requérante soit une décision de même nature, une question que n’abordent pas les décisions de la Cour d’appel.

[61]        À cet égard, dans l’arrêt Canada (Attorney General) v. Samuel[30], le juge Sharpe de la Cour d’appel écrit que la suspension de la libération conditionnelle d’un détenu est une question de nature criminelle et non civile :

[22]      The respondent’s submission that this is a civil matter has to be assessed in the light of the language and purpose of the statutory scheme that governed the decision the appellant seeks to challenge. Section 135(1) of the CCRA provides for the suspension of parole and re-incarceration of the offender “when an offender breaches a condition of parole or statutory release or when…it is necessary and reasonable to suspend the parole or statutory release in order to prevent a breach of any condition thereof or to protect society”. Section 135(7) provides “where…the continued parole or statutory release of an offender would constitute an undue risk to society by reason of the offender reoffending”, parole may be terminated or revoked. Where the offender is returned to custody by virtue of these provisions, the offender “continues to serve the offender’s sentence”: s. 135(10).

[23]      In my view, s. 135 indicates that parole revocation has a criminal law purpose and rationale, namely, the protection of society. The reason given for the warrant of apprehension and suspension of the appellant’s day parole was “the protection of society” and the Parole Board revoked the appellant’s day parole release because he presented an “undue risk to society”. These stated reasons track the criminal rationale of s. 135. The appellant was not, as in the case of the prison discipline and transfer cases, subjected to an administrative sanction in order the maintain control within a prison, but rather ordered to “continue to serve” the sentence that the court had imposed in order to protect society.

[24]      In the prison discipline and prison transfer cases, the criminal law sentence serves as merely part of the background. It is the reason why the applicant is in the institution and subject to prison discipline. The sanction an applicant would challenge is an administrative order that is quite distinct from the sentence imposed by the criminal court.

[25]      In the case of parole revocation, the purpose of the challenged decision is the protection of society, not maintaining order within the institution, and the justification for the detention that is at issue on the habeas corpus application is the re-institution of the criminal sentence imposed by the court. In my view, such an application is properly characterized as being criminal rather than civil in nature.

[Le soulignement est ajouté]

[62]        Il s’agit là d’un motif supplémentaire dans le présent cas de refuser de transférer ce dossier à la chambre civile de la Cour supérieure.

[63]        Par ailleurs, il se révèle essentiel de souligner que la Cour d’appel ne se prononce pas dans ses décisions sur l’identité de la chambre de la Cour supérieure qui doit entendre les demandes d’habeas corpus en droit carcéral.

[64]        Cela n’est guère surprenant, car il s’agit là d’une question qui relève, de l’avis même de la Cour d’appel[31], de la gestion de la Cour supérieure.

[65]       En effet, la Cour supérieure est indivisible même si, pour des raisons administratives, les dossiers sont assignés à des chambres spécifiques[32].

[66]       Dans l’affaire Quebecor World Inc. (Arrangement relatif à)[33], le juge Mongeon explique les règles entourant l’organisation de la Cour supérieure :

[12]      Un premier constat s'impose: la juridiction de la Cour supérieure est indivisible, tout comme la Cour elle-même.  En d'autres termes, il n'y a pas une Cour supérieure siégeant en faillite, une autre en droit familial, une troisième en droit civil ou une quatrième en droit pénal.  Il n'y a qu'une Cour chargée d'exercer une fonction judiciaire complexe et multidisciplinaire,  ce qui nécessite d'appliquer plusieurs lois ou codes dans l'exercice de ses diverses fonctions.

[67]       Dans la décision refusant la permission d’en appeler du jugement rendu par le juge Mongeon qui rejetait des requêtes en exception déclinatoire, le juge Morrisette de la Cour d’appel écrit ce qui suit :

[7] […] En ce sens, un moyen déclinatoire qui vise à faire transférer un dossier de la chambre commerciale à la chambre civile de la Cour, puisque c’est bien là ce que recherchent les requérantes dans leurs conclusions, concerne non pas la juridiction de la Cour, mais concerne plutôt, et au mieux, la gestion administrative et interne des dossiers et des rôles de la Cour. Ce n’est donc pas, au sens propre du terme, un moyen déclinatoire[34].

[Le soulignement est ajouté]

[68]       Cela dit, le SCC fait valoir que contrairement au district judiciaire de Québec où il existe une directive administrative qui précise que les demandes d’habeas corpus doivent être entendues par la chambre civile[35], il n’existe aucune directive de cette nature dans le district judiciaire de Montréal.

[69]       De plus, le SCC soutient qu’il existe plusieurs conséquences pratiques et juridiques défavorables qui sont liées au traitement des demandes d’habeas corpus en droit carcéral par la chambre criminelle plutôt que par la chambre civile.

[70]       Il convient de reproduire, malgré sa longueur, certains extraits de l’argumentaire du SCC :

47.       Un juge de la Cour supérieure possède la compétence rationae materiae (compétence d’attribution) de trancher toute question relevant de la compétence de la Cour supérieure. Les matières civiles sont habituellement entendues en chambre de pratique civile.

48.       La détermination de la chambre où doit être entendu un recours n’est pas une véritable question de compétence : « [U]n moyen déclinatoire qui vise à faire transférer un dossier de la chambre commerciale à la chambre civile de la Cour […] concerne non pas la juridiction de la Cour, mais concerne plutôt, et au mieux, la gestion administrative et interne des dossiers et des rôles de la Cour. Ce n’est donc pas, au sens propre du terme, un moyen déclinatoire ».

49.       Cependant, cette question de gestion administrative comporte des conséquences importantes, pouvant même emporter déchéance de droit. L’importance des droits en jeu justifie que les demandes d’habeas corpus soient entendues en chambre civile plutôt que criminelle.

(a) Conséquences en première instance

50.       Les demandes d’habeas corpus sont actuellement traitées par le greffe comme des demandes en matière criminelle et pénale, se voyant attribuer un numéro de dossier avec le code de juridiction « 36 », lequel vise les « Appels, recours extraordinaires et autres demandes en matière criminelle et pénale ».

51.       Comme les demandes d’habeas corpus ne sont pas des matières criminelles ou pénales, mais bien des matières civiles selon le législateur québécois, cette attribution est erronée.

52.       Elle amène certains juges de la Cour supérieure à rayer du rôle les demandes qui leur sont présentées à titre de matière criminelle avec le code de juridiction « 36 », invitant le requérant à présenter la demande à titre d’instance civile. D’autres juges ordonnent plutôt que le dossier soit transféré immédiatement en chambre civile et qu’un nouveau numéro de dossier soit attribué.

53.       La caractérisation erronée par le greffe de la demande d’habeas corpus comme une matière criminelle peut donc avoir un impact sur le droit du requérant de voir sa demande traitée avec célérité.

[…]

(b) Conséquences en appel

55.       Les arrêts Beals, Snooks, Paul et Cyr démontrent que la caractérisation des demandes d’habeas corpus à titre de matières criminelles ou pénales et l’attribution du code juridictionnel « 36 » emporte plusieurs conséquences importantes au stade de l’appel.

56.       Lorsqu’un jugement relatif à une demande d’habeas corpus est porté en appel, le greffe de la Cour d’appel ouvre à son tour un dossier avec un numéro de juridiction criminelle et y applique automatiquement les règles de procédures relatives aux matières criminelles, qui sont pourtant inapplicables. 

57.       Un appelant, qui peut se représenter lui-même, est donc erronément porté à croire que son appel procède en vertu des délais et règles applicables en matière criminelle alors que ce n’est pas le cas. 

58.       Cette confusion peut aller jusqu’à emporter la déchéance du droit d’appel, comme ce fut le cas dans les arrêts Snooks  et Cyr.

59.       En effet, en matière civile, le délai d’appel est de cinq (5) ou dix (10) jours. Ce délai est de rigueur et emporte déchéance du droit d’appel.

60.       En matière criminelle, le délai d’appel est de trente (30) jours.

61.       De plus, le point de départ du calcul du délai d’appel est différent en matière civile et criminelle. À titre de matière civile, le calcul du délai d’appel de la demande d’habeas corpus débute à compter de la date de l’avis de jugement, si le jugement n’est pas rendu oralement.

62.       Or, aucun avis de jugement n’est émis par le greffe en matière criminelle, ce qui rend le calcul du délai incertain et met en péril le droit des parties.

63.       Pour les fins d’un appel en matière criminelle, l’appelant doit aussi obtenir la transmission du dossier de première instance, et ce n’est qu’une fois cette étape franchie que le greffier émet l’avis prévu à la règle 30, à partir duquel les délais pour la production des mémoires commencent à courir.

64.       Ces étapes ne sont pas prévues en matière civile.

65.       De plus, si le numéro de dossier attribué en première instance est le code juridictionnel « 36 » (matière criminelle), l’appelant ne peut déposer son appel par le biais du greffe numérique de la Cour d’appel, car seuls les codes de juridiction suivants sont acceptés : 02, 04, 05, 06, 11, 12, 17 et 22. Tel qu’en fait foi cette liste, si la demande d’habeas corpus recevait un des codes juridictionnels applicables en matière civile, l’appelant pourrait utiliser le greffe numérique.

[71]       La Cour supérieure constitue une cour indivisible.

[72]       Toutefois, les matières qui sont confiées à certaines chambres justifient de tenir compte des matières qui leur sont confiées[36].

[73]       Or, comme on l’a vu plus tôt, la Cour suprême explique dans l’arrêt May que « le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l’administration de la justice criminelle ».  

[74]       Le SCC ne fait valoir aucun motif dirimant ou déterminant qui justifie de transférer l’audition d’un habeas corpus en droit carcéral à la chambre civile de la Cour supérieure.  Le SCC n’établit pas que la chambre civile de la Cour supérieure est mieux à même de trancher les litiges concernant la liberté des prisonniers en droit carcéral.

[75]       Finalement, si l’organisation administrative des greffes de la Cour supérieure ou si l’utilisation d’un code juridictionnel plutôt qu’un autre pose problème, il convient de modifier la gestion administrative du greffe afin d’éviter ces problèmes[37].

[76]       Il n’appartient pas à un juge de la Cour supérieure de décider de l’organisation administrative de celle-ci. 

[77]       La responsabilité de la gestion de la Cour supérieure incombe d’abord à son juge en chef.

[78]       Selon l’article 63 du Code de procédure civile, la gestion des dossiers ou du rôle de la Cour supérieure relève soit d’une décision de la Cour par l’adoption de règles de fonctionnement ou d’une directive de nature administrative du juge en chef de la Cour.

[79]       En l’absence d’une directive de pratique du juge en chef de la Cour supérieure confiant l’audition des demandes d’habeas corpus en droit carcéral à la chambre civile, il ne convient pas de le faire par l’entremise de la décision d’un seul juge.

[80]        Puisque que la chambre criminelle de la Cour supérieure entend les demandes d’habeas corpus en droit carcéral depuis la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin[38] en 1985, il n’existe aucune raison prépondérante justifiant le transfert de ces dossiers en chambre civile.

V-        Conclusion

[81]       Il n’est pas incompatible avec les décisions de la Cour d’appel que la chambre criminelle de la Cour supérieure continue d’entendre les demandes d’habeas corpus en droit carcéral, car la Cour supérieure est indivisible.

[82]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[83]        REJETTE la demande de transfert du recours en habeas corpus à la chambre civile de la Cour supérieure.

 

 

__________________________________

GUY COURNOYER, J.C.S.

 

 

 

Me Émilie Tremblay

Procureure du Procureur général du Canada

 

Me Sylvie Bordelais

Procureure pour la requérante

 

 

Date d'audience :

24 juillet 2020

Observations écrites :

27 juillet 2020

Jugement oral :

29 juillet 2020

 



[1]     Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, par. 19.

[2]     Ibid.

[3]     Établissement de Mission c. Khela2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, par. 29

[4]     R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Morin c. Comité chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662.

[5]     May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809.

[6]     Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, par. 29.

[7]     Ibid.

[8]     Le SCC est représenté par le Procureur général du Canada.  L’habeas corpus enjoint celui qui exerce la garde d’une personne de se présenter afin d’exposer les motifs de la détention.  Selon l’article 5 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, la prise en charge et la garde des détenus incombent au SCC. La pratique qui consiste à désigner le nom de famille du directeur d’un établissement de détention et d’un pénitencier comme intimé ne correspond pas au mandat législatif et doit être découragée.  Il s’avère préférable d’utiliser le nom du gardien légal, le SCC ou celui de l’établissement de détention en cause : voir par exemple Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809.

[9]     Cette question doit faire l’objet de l’audition au fond.

[10]    2020 QCCA 586 (autorisation d’appel demandée à la Cour suprême du Canada, 29 juin 2020, no. 39224).

[11]    2020 QCCA 632.

[12]    Snooks c. Procureur général du Canada, 2020 QCCA 586, par. 30.

[13]    Article 63 C.p.c. Voir aussi Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International Inc.), 2020 QCCA 659, par. 83.

[14]    May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, par. 68.

[15]    Arrêté numéro 2020-013 de la ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 1er avril 2020.

[16]    Snooks c. Procureur général du Canada, 2020 QCCA 586 (autorisation d’appel demandée à la Cour suprême du Canada, 29 juin 2020, no. 39224); Paul c. Lalande (Archambault Establishment), 2020 QCCA 632; Cyr c. Pilon, 2020 QCCA 938 (juge unique).

[17]    TR/74-53, (1974) 108, Gaz. Can., Partie II, 1535 telles que modifiées.

[18]    Beals c. Anctil, 2018 QCCA 2000, par. 20.

[19]    On consultera les sources suivantes pour s’en convaincre : Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, aux pages 511-514; R. c. Olson, [1989] 1 R.C.S. 296, à la p. 299; États-Unis d’Amérique c. Desfossés, [1997] 2 R.C.S. 326, par. 3, 9 et 11. Voir aussi M. Vauclair et T. Desjardins, Béliveau-Vauclair - Traité général de preuve et de procédure pénales, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, par. 3101-3103 et 3107; P. Béliveau, Le contrôle judiciaire en droit pénal canadien (1983), 61 Rev. Du Bar. Can. 735, aux pages 787 et 793-795; L. Lemonde, L’habeas corpus en droit carcéral, Les Éditions Yvon Blais, 1990, à la p. 59; T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2012, aux pages 297 à 301.

[20]    Le Tribunal n’a pas été en mesure de trouver de décisions rendues en matière d’habeas corpus en droit carcéral par la chambre civile de la Cour supérieure.

[21]    (1983), 61 Rev. du Bar. Can. 735, à la page 794. Voir aussi Martin Vauclair et Tristan Desjardins, Béliveau-Vauclair - Traité général de preuve et de procédure pénales, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, par. 3101, note 362.

[22]    [1987] 1 R.C.S. 500

[23]    Ibid., aux pages 511-514.  Voir Anne W. La Forest, La Forest's Extradition To and From Canada, 3ème éd., Canada Law Book, 1991, aux pages 188-190.

[24]    R. c. Olson, [1989] 1 R.C.S. 296, à la p. 299.

[25]    G. Villeneuve, L’habeas corpus en droit carcéral fédéral (1998), 3 Rev. Can. D.P. 247, à la p. 257.  Aux pages 257-259, l’auteur formule de fortes réserves quant à la qualification du bref d’habeas corpus en droit carcéral.  Il exprime l’avis que ce recours doit être qualifié de recours civil.

[26]    Voir aussi R. v. Gustavson, 2005 BCCA 32, par. 18; R. c. Olson, [1989] 1 R.C.S. 296, à la p. 298.

[27]    Voir aussi R. c. Olson, [1989] 1 R.C.S. 296, à la p. 298; R. v. Gustavson, 2005 BCCA 32, par. 18; Thomas Cromwell, Habeas Corpus and Correctional Law — An Introduction (1977), 3 Queen’s L.J. 295, aux pages 304-305.

[28]    2020 QCCA 586, par. 30.

[29]    Canada (Attorney General) v. Samuel, 2019 ONCA 555, par. 16-17; Vukelich v. Mission Institution, 2005 BCCA 75, par 33-38; Ross v. Riverbend Institution (Warden), 2008 SKCA 19.

[30]    2019 ONCA 555.

[31]    Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International Inc.), 2020 QCCA 659, par. 83.

[32]    Droit de la famille - 3452, [1999] R.D.F. 801; Giesbrecht c. Fournier, 2014 QCCS 6553, par. 15-19.

[33]    2009 QCCS 1992.

[34]    2009 QCCA 1352, par. 7. Voir aussi Arrangement relatif à 9323-7055 Québec inc. (Aquadis International Inc.), 2020 QCCA 659, par. 83; C3F Consultants inc. c. Nokia Siemens Networks Canada Inc./Nokia Siemens Réseaux Canada inc., 2012 QCCA 978, par. 35; Bussière c. Cour du Québec, Chambre civile, 2017 QCCS 3478, par. 14; Construction Frank Catania & Associés inc. (Syndic de), 2015 QCCS 3540, par. 16-17; Arrangement relatif à Gestion Éric Savard inc., 2018 QCCS 1268, par. 26.

[35]    Quelle que soit la portée de cette directive de pratique, la consultation des banques de données jurisprudentielles semble établir indubitablement que les demandes d’habeas corpus en droit carcéral dans le district judiciaire de Québec sont entendues par la chambre criminelle et non la chambre civile.

[36]    Robert J. Sharpe, Good Judgment: Making Judicial Decisions, University of Toronto Press, 2018, à la p. 36.

[37]    Droit de la famille — 132870, 2013 QCCA 1797, par. 12-16.

[38]    R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Morin c. Comité chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, [1985] 2 R.C.S. 662.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.