R. c. Fréchette |
2016 QCCQ 761 |
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JF 0929
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
DRUMMOND DRUMMONDVILLE |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
405-01-028815-123 |
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DATE : |
29 janvier 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE HÉLÈNE FABI, J.C.Q. |
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LA REINE |
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Poursuivante |
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c.
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GABRIELLE FRÉCHETTE (001) GINETTE DUCLOS (002) GÉRALD FONTAINE (003) |
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Coaccusés. |
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DÉCISION SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE |
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[1] En date du 8 décembre 2014, à l’issue d’un long procès, les coaccusés ont été reconnus coupables d’avoir, le ou vers le 29 juillet 2011 par négligence criminelle, causé des lésions corporelles à Julie Théberge, ainsi que de négligence criminelle ayant causé la mort de Chantal Lavigne.
[2] Les circonstances de ces infractions ayant été exhaustivement analysées lors du jugement rendu le 8 décembre 2014[1], ce dernier doit ainsi être considéré comme faisant partie intégrante de la présente décision.
[3] Pour les fins du prononcé de la peine, le Tribunal ne reprendra pas tous les faits de façon détaillée, sinon pour en rappeler l’essentiel.
[4] Ainsi donc, les évènements se produisent lors d’un « séminaire » d’une durée de 14 jours, intitulé « Mourir en conscience » auquel assistent neuf participants, dont les victimes Julie Théberge et Chantal Lavigne. Ce séminaire traite de différents thèmes à connotation spirituelle et se déroule dans une maison de campagne à Durham-Sud.
[5] Le coût de cette activité est de 1 500 $ par participant. Ce montant n’inclut toutefois pas l’hébergement ainsi que les repas.
[6] La coaccusée Gabrielle Fréchette est l’organisatrice et la maître d’œuvre de cette activité de croissance et d’épanouissement personnel et elle agit à titre de guide spirituel.
[7] Elle se fait appeler « Séréna » pour les fins de la formation. Elle se dit médium et pouvant accueillir en elle une entité d’énergie qu’elle appelle Melkisédeck.
[8] Quant à la coaccusée Ginette Duclos, son rôle consiste à collaborer, assister et accompagner la coaccusée Gabrielle Fréchette dans la formation. Elle se dit « guide en respiration consciente ».
[9] Pendant les séances lors desquelles la coaccusée Gabrielle Fréchette agit à titre de médium et qu’elle est en transe, la coaccusée Ginette Duclos a un rôle bien défini : soit celui de « pilier de gauche ».
[10] Selon la définition qu’elle en donne, sa fonction consiste à prendre place à gauche de la coaccusée Gabrielle Fréchette pour lui permettre d’accueillir l’entité et l’énergie de Melkisédeck, et elle supporte aussi le coaccusé Gérald Fontaine, qui lui est le « directeur de transe » assis à la droite.
[11] Ce dernier agit donc à ce titre et, selon sa définition, il se doit de permettre d’enraciner énergétiquement la médium, la coaccusée Gabrielle Fréchette, et s’enraciner lui-même.
[12] C’est vers la fin de ce séminaire « Mourir en conscience », le 27 juillet 2011, que la coaccusée Gabrielle Fréchette convoque une rencontre préparatoire avec les coaccusés Ginette Duclos et Gérald Fontaine dans le but très précis de leur donner ses consignes et directives, qu’ils doivent suivre pour une séance de sudation organisée pour le lendemain, dans le cadre des enseignements donnés lors du séminaire « Mourir en conscience ».
[13] La coaccusée Gabrielle Fréchette planifie notamment que la séance de sudation sera d’une durée approximative de 10 à 14 heures et établit qu’aucun des participants ne puisse y apporter de l’eau ou de la nourriture.
[14] Le Tribunal réfère au paragraphe 31 de sa décision écrite du 8 décembre 2014, pour ce qui est du détail des consignes et directives que donne la coaccusée Gabrielle Fréchette. Cette dernière a d’ailleurs elle-même enregistré, avec un magnétophone, cette réunion d’une durée approximative de 16 minutes. Cet enregistrement audio a été déposé au procès comme pièce P-7b, ainsi que la transcription écrite, pièce P-26.
[15] La journée venue de la séance de sudation, soit le 28 juillet 2011, tous les participants sont convoqués et se présentent de façon volontaire vers 15 h 30 au deuxième étage, face à l’entrée d’une grande pièce, sachant qu’une séance de sudation doit s’y tenir. Toutefois ni le déroulement, ni les méthodes employées, ni la durée ne sont connus des participants. Tous sont libres ou non de participer à cette activité de sudation et tous décident d’y être. Toutefois, aucune consigne préliminaire ne leur est donnée par les coaccusés la veille ou même les journées précédant la séance de sudation.
[16] Qui plus est, aucune question ne leur est posée concernant leur état physique et aucune instruction particulière ne leur est donnée par les coaccusés, avant que ne débute la séance de sudation.
[17] Cette journée-là, la température extérieure est très chaude et le temps est humide. De plus, il n’y a aucune climatisation dans la pièce.
[18] À tour de rôle, chaque participant entre dans la salle. Ils sont nus, recouverts d’un drap blanc qu’ils enlèvent pour se faire enduire d’une mince couche de terre humide sur le corps, du cou jusqu’au bout des pieds.
[19] Invités à se coucher sur le dos, sur un petit matelas qui leur est attitré, sur lequel se trouve déjà une douillette, et par-dessus une bâche de plastique, et par-dessus laquelle le drap blanc porté par chacun d’eux est déposé.
[20] Une fois tous les participants étendus, ils sont enveloppés du cou jusqu’aux pieds, successivement avec le drap blanc, apposé directement sur le corps, la bâche de plastique et une couverture de type douillette.
[21] Leur tête est placée dans une boîte de carton, pour la plupart des boîtes de bières, dont le devant est coupé en forme d’arche, afin de permettre que le visage soit à découvert.
[22] Une fois la boîte de carton installée, deux autres couvertures de types douillettes sont déposées à plat, cachant toute la boîte de carton pour certains, et pour d’autres, seulement une partie de celle-ci.
[23] C’est ainsi que débute la séance de sudation lors de laquelle la coaccusée Gabrielle Fréchette, en état de transe, livre ses pensées ainsi que ses ordres aux participants, au son d’une musique d’orgue d’une intensité et d’une puissance très soutenue.
[24] À certains moments, les coaccusés, d’une voix très forte, exhortent les participants à faire des exercices de respiration rapide pendant de longues minutes.
[25] La coaccusée Gabrielle Fréchette enregistre elle-même avec un magnétophone les séquences lors desquelles elle est en état de transe, qu’elle identifie comme des périodes de « guidance ». Ces enregistrements audio démontrent clairement le climat et l’atmosphère régnant dans la pièce. On y entend notamment de nombreux cris, des bruits, ainsi que des gémissements (pièce P-7b).
[26] Il y a aussi des périodes, que la coaccusée Gabrielle Fréchette appelle « introspection », pendant lesquelles les participants demeurent allongés en silence.
[27] C’est dans ce contexte, pendant la séance de type « hutte de sudation corporelle », qui durera plus de sept heures, que Julie Théberge et Chantal Lavigne sont conduites d’urgence à l’hôpital par ambulance. Julie Théberge y subit des lésions corporelles, soit un coup de chaleur avec une déshydratation assez importante et un état de choc classe II. Un soluté par intraveineuse doit lui être installé, pour lui donner de bonnes quantités de liquide, soit un total d’environ 4 litres, afin de la réhydrater. Le médecin doit agir rapidement, car, à défaut, l’issue est habituellement fatale.
[28] Quant à Chantal Lavigne, elle y subit un coup de chaleur avec déshydratation sévère et un choc de classe IV, entrainant ainsi sa mort.
POSITION DES PARTIES
[29] Les 2 et 3 décembre 2015, lors de l’audience sur la détermination de la peine, la procureure aux poursuites criminelles et pénales réclame au Tribunal une peine d’emprisonnement de 3 ans pour la coaccusée Gabrielle Fréchette et une peine de 2 ans pour les coaccusés Ginette Duclos et Gérald Fontaine.
[30] Elle soutient que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être priorisés. Elle soumet plusieurs décisions[2] et dépose une lettre de Patrick Naud, époux de la victime décédée Chantal Lavigne.
[31] L’avocat de la coaccusée Gabrielle Fréchette soumet notamment que cette dernière est sans antécédents judiciaires, mère de trois enfants, affectée par la longueur des procédures et par l’importante couverture médiatique dont elle a fait l’objet. Il soutient que les objectifs d’imposition d’une peine sont atteints, puisque la coaccusée Gabrielle Fréchette a abandonné la pratique des « huttes de sudation corporelle ». Une peine d’incarcération n’est donc pas appropriée, dit-il.
[32] Il suggère plutôt une peine suspendue assortie d’une probation sans durée déterminée et de l’obligation d’effectuer des heures de travaux communautaires, dont le nombre serait alors laissé à l’appréciation du Tribunal. Il dépose une décision rendue en matière de négligence criminelle[3].
[33] L’avocat de la coaccusée Ginette Duclos propose aussi une peine suspendue, avec une probation sans durée précise, assortie de conditions laissées à l’appréciation du Tribunal. Il dépose deux décisions[4].
[34] L’avocat du coaccusé Gérald Fontaine demande également une peine suspendue assortie d’une probation sans durée prévue, et l’obligation d’effectuer 240 heures de travaux communautaires. Il soumet une décision[5] au soutien de ses prétentions.
LE DROIT
[35] L’infraction de négligence criminelle causant la mort emporte l’imposition d’une peine maximale d’emprisonnement à vie, alors que l’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles rend son auteur passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans.
[36] Par ailleurs, ces deux infractions ne comportent pas de peine minimale, de sorte qu’il peut exister des situations où la personne coupable pourra bénéficier d’une autre forme de peine, comme l’amende ou la peine suspendue.
[37]
Les objectifs et les principes devant prévaloir à
l’imposition d’une peine sont énoncés aux articles
[38] Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
Ø Dénoncer;
Ø Dissuader;
Ø Isoler;
Ø Favoriser la réinsertion sociale;
Ø Assurer la réparation des torts, et
Ø Susciter la conscience de la responsabilité (art.
[39]
Le premier principe fondamental de la détermination de la peine
est celui de la proportionnalité : la peine doit être proportionnelle à la
gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (art.
[40]
C’est à l’article
Ø La proportionnalité
Ø Son individualisation;
Ø Son harmonisation;
Ø Et la modération dans l’infliction de celle-ci.
CONTEXTE
[41] Ceci étant, il est essentiel de faire d’abord le point sur la preuve administrée au stade de la peine.
Relativement à la coaccusée Gabrielle Fréchette
[42] Lors du verdict, un rapport présentenciel a été demandé. L’agente de probation chargée de confectionner ce rapport juge pertinent au préalable de référer la coaccusée Gabrielle Fréchette, à un médecin psychiatre, Dre Martine Bérubé, en vue d’une expertise psychiatrique. Elle est rencontrée à deux reprises, par cette dernière, soit le 14 et le 19 mai 2015.
[43] Cette expertise psychiatrique est demandée afin de dresser le profil de la coaccusée Gabrielle Fréchette et de déceler si elle présente des problèmes psychiatriques ou un trouble de la personnalité. On demande également d’évaluer sa capacité à se remettre en question (jugement et autocritique), et son pronostic à l’égard d’un potentiel de changement.
Expertise Psychiatrique
[44] Plusieurs constatations se dégagent de l’expertise psychiatrique datée du 22 mai 2015 et déposée devant le Tribunal pour lui fournir un éclairage additionnel.
[45] Au niveau des antécédents personnels - on peut y lire notamment que la coaccusée Gabrielle Fréchette est issue d’un milieu familial carencé et dysfonctionnel. Elle a été abusée sexuellement [...], des abus sévères et prolongés, jusqu’à l’âge d’environ 16 ans.
[46] Elle a eu une vie difficile à la maison et à l’école, notamment en lien avec la pauvreté de la famille et de l’ostracisation.
[47] Elle a été en relation de couple à cinq reprises avec quatre conjoints différents. Elle vit actuellement avec son conjoint Pierre Noël, avec qui elle a été en couple pendant quatre ans, et après une séparation de cinq années, elle est à nouveau avec lui depuis l’été 2014.
[48] Elle est mère de trois enfants âgés de 33, 30 et 21 ans.
[49] Elle a travaillé à plusieurs endroits pour y découvrir qu’elle était bonne dans les ventes et qu’elle aimait les relations interpersonnelles. Elle s’est alors impliquée dans différents organismes communautaires pour réaliser qu’elle avait le potentiel d’être au service des gens et de faire du bien dans la société.
[50] C’est après avoir subi une anesthésie en 1989 lors d’une opération qui se serait mal déroulée, qu’elle aurait vécu l’impression d’une « mort imminente », ce qu’elle identifie comme un « moment charnière », puisqu’elle décrit qu’elle a ensuite changé et qu’elle a commencé à s’affirmer. C’est alors qu’elle aurait débuté une formation en reiki et croissance personnelle, et qu’elle a intensifié les conférences et les voyages.
[51] Elle a fait beaucoup de « thérapies » afin de prendre conscience de ce qui se passe en elle et d’essayer d’aller mieux, car elle vivait certaines difficultés psychologiques en lien avec des souvenirs d’abus. Elle a suivi différentes formations de croissance personnelle afin de tenter de guérir des blessures de l’enfance et de l’adolescence.
[52] C’est par la suite qu’elle commence à tenir elle-même des « séminaires de croissance personnelle ». Cela lui procure de la valorisation. Elle mentionne qu’elle n’a pas nécessairement trouvé des réponses à ce qui s’est passé en elle, mais elle considère que ces expériences l’ont changée et lui ont permis d’avoir un mieux-être.
[53] Elle s’est investie de plus en plus dans ces « cérémonies » et a découvert que des gens venaient vers elle, et qu’ils étaient prêts à payer pour essayer de vivre les mêmes expériences qu’elle. Elle dit avoir été ensuite en quête d’un sens à la vie et en quête de compréhension de la nature humaine, ce qui est devenu une passion pour elle.
[54] Au niveau de l’histoire psychiatrique - il est écrit que la coaccusée Gabrielle Fréchette a éprouvé possiblement certains symptômes apparentés à un trouble de stress post-traumatique au début de l’âge adulte. Elle aurait eu des révélations sur elle-même, beaucoup d’instabilité affective, de la colère, des flashbacks des abus sexuels, des cauchemars, des réminiscences. Cela dure deux ou trois années, et à partir de 1993, ces scénarios s’atténuent et disparaissent progressivement. Par la suite, il n’y a aucune évidence de symptomatologie psychiatrique jusqu’à 2011.
[55] Ainsi, après les évènements et l’annonce du décès de Chantal Lavigne, elle a commencé à présenter des symptômes dépressifs. Elle mentionne avoir perdu 40 livres, avoir été découragée, sans intérêt, sans plaisir et vivre avec la culpabilité du décès de la victime.
[56] Après une augmentation de sa médication Célexa, elle va nettement mieux depuis 2014.
[57] Elle déclare au médecin psychiatre Martine Bérubé qu’elle est encore triste occasionnellement lorsqu’elle pense aux enfants de la victime. Elle mentionne avoir vécu une période de remise en question et avoir constaté qu’elle n’était pas suffisamment bien formée pour faire ce qu’elle faisait (les huttes de sudation). Devant les faits, elle déclare que si c’était à refaire, elle renoncerait à faire des programmes en sudation.
[58] À la page 11 du rapport psychiatrique, au dernier paragraphe il est mentionné :
« Questionnée sur les risques associés aux huttes de sudation, elle mentionne qu’elle vérifiait si les gens respiraient pour être certaine qu’ils n’avaient pas perdu conscience (sic). Elle dit ignorer les risques médicaux en lien avec la sudation. »
[59] Au niveau de l’examen mental - à ce propos, le médecin psychiatre Martine Bérubé note ce qui suit à la page 12 :
« … On note une surestimation de soi et une tendance à la pensée magique. Madame paraît facilement suggestible. On note une grandiosité narcissique pour pallier à des blessures psychiques. On note du déni (forme de protection psychique contre l’inacceptable). Madame a tendance à vouloir bien paraître pour compenser une faible estime, et cela diminue la fiabilité de l’entrevue. Elle minimise son implication dans les « thérapies » dans un désir de se conformer, et ne pas donner l’impression d’être anormale, ou malade. Cela nous paraît questionnable. Le jugement pratique est préservé. L’autocritique est partielle; elle reconnaît avoir tenu des activités pour lesquelles elle n’avait pas la compétence et dont elle ne connaissait pas les dangers. »
[60] Au niveau de l’opinion médico-légale et impressions diagnostiques - le médecin psychiatre Martine Bérubé conclut notamment aux pages 12 et 13 :
« Madame Gabrielle Fréchette ne souffre pas d’une maladie psychiatrique. Tout au plus, elle présente occasionnellement certains symptômes d’un trouble de l’adaptation en lien avec le processus judiciaire et les conséquences attribuables aux activités qu’elle a tenues par le passé (anxiété, tristesse passagère). À l’évaluation psychiatrique, nous ne décelons pas de trouble de la personnalité au sens du DSM-V.
Quant à la capacité de Madame de se remettre en question, nous croyons qu’elle est partielle et insuffisante. Son vécu personnel en tant que participante à des thérapies de croissance personnelle de toutes sortes fait qu’elle investit fortement ces moyens de cheminement et de guérison au détriment de thérapies plus conventionnelles (exemple : suivi psychologique avec personnel diplômé). De plus, d’autres motivations externes semblent être en jeu (valorisation narcissique, sources de revenu, socialisation, etc.)
Après coup, Madame est d’avis qu’elle n’aurait pas dû tenir des huttes de sudation, et en ce sens l’autocritique par rapport à ce type d’activité est présente. Cependant, elle continue à animer toutes sortes de séminaires qui, par leur contenu, peuvent faire douter de leur pertinence. De manière générale, Madame n’a pas de trouble du jugement au sens psychiatrique, mais a sûrement des croyances et des motivations qui influencent son mode de vie et son fonctionnement. Sa fiabilité est questionnable.
Quant à son pronostic à l’égard d’un potentiel de changement, je crois qu’il faut avoir des attentes réalistes. Madame Fréchette se dit motivée au changement et démontre de l’ouverture en entrevue. Cependant, vu son âge et vu ses antécédents, vu que son principal revenu tient d’activités de type « croissance personnelle » et puisqu’elle est entourée d’individus ayant les mêmes croyances qu’elle, il semble évidemment difficile de croire qu’elle pourra effectuer des changements majeurs dans sa vie. Malgré les tristes événements de 2011 et sa supposée remise en question des dernières années, elle continue à se faire passer (en 2015) pour une médium (Lesthair) et à tenir des activités qui s’apparent (sic) à du charlatanisme ou à des « pseudo-thérapies ».
Rapport présentenciel
[61] Quant au contenu du rapport présentenciel, préparé le 31 juillet 2015, il fait état notamment, aux pages 3 à 5, de ce qui suit :
« À l’égard des accusations retenues contre elle, madame Fréchette réfute la décision du Tribunal de première instance et a conséquemment entamé à l’instar de ses coaccusés, des procédures pour en appeler du verdict de culpabilité prononcé à son endroit.
Dans sa perception de la situation délictuelle, elle considère que chacun des participants acceptés à ce séminaire possédait les prérequis nécessaires à y assister soit, d’avoir déjà expérimentés dans le passé des huttes de sudation et d’être au fait des consignes et précautions à prendre pour voir à leur propre bien-être et sécurité.
Ces propos sont renforcés par sa conviction que chacun d’entre eux disposait de la prérogative de quitter la hutte à tout moment en fonction de leur tolérance et de leurs besoins. Chacun gère sa traversée à sa façon, nous dit-elle.
… elle ne croyait pas avoir à « jouer le rôle de mère » auprès des participants et tend à attribuer le dénouement du sort tragique subi par les deux victimes à leur propre manque de vigilance.
… elle relate avoir participé à une trentaine de huttes de sudation de durées variables dont certaines dans les mêmes conditions sans y avoir éprouvé de problème particulier. Elle se demande pour quel motif les participants auraient eu besoin de balises plus structurées.
En entrevues avec nous, lorsqu’est (sic) venu le moment d’approfondir ses relations avec les victimes ainsi que les préjudices subis par celles-ci, madame a démontré certains signes de nervosité mais aucune charge émotionnelle ne fut perceptible dans ses propos. Elle nous a semblé filtrer ou censurer ce qu’elle verbalisait en utilisant certains mécanismes de l’ordre de la rationalisation, de la minimisation et de l’évitement. Lors de ces discussions, l’accusée affichait une forte propension à ramener le focus sur elle-même.
…Madame Fréchette a émis l’hypothèse que la victime avait possiblement utilisé l’exercice de la hutte de sudation pour exécuter un scénario de suicide. Elle base ses propos sur les verbalisations de la victime à une connaissance commune à l’effet qu’elle préférait « se suicider que de divorcer de son conjoint ». Madame Fréchette s’avoue offusquée que la victime ait pu lui faire un tel affront.
[…]
Suite au décès de madame Lavigne, les remises en question qu’elle a instiguées quant à son avenir professionnel, se sont conclues par la décision de continuer à s’impliquer dans ses pratiques en croissance personnelle. Madame ne se voyait pas exercer un autre emploi et considère que, par ses connaissances, elle peut continuer à aider les individus à évoluer. Toutefois, en rétrospective, elle a l’intention de se montrer davantage prudente et ne plus envisager d’activités à risque dont les huttes de sudation. À ce stade-ci, elle dispense à temps partiel, des ateliers d’un jour et des conférences et se fait par moment accompagner par son conjoint actuel qui donne certains enseignements, des traitements énergétiques et agit comme guérisseur. Madame relate avoir recommencé en 2013 à canaliser une nouvelle entité prénommée « Lesthair ».
[62] Ces constats conduisent l’agente de probation à tirer les conclusions suivantes, à la page 8 :
« Ainsi nous ne pouvons écarter les risques de récidives en raison du maintien de ses activités en croissance personnelle, de certains déficits liés à sa personnalité et des revenus qu’elle peut y obtenir. De plus, le besoin de madame de se faire valoir par son don « particulier » nous apparaît plus prépondérant que sa préoccupation réelle pour autrui. »
[63] Cela dit, lors des représentations sur la peine, la coaccusée Gabrielle Fréchette témoigne et fait entendre son fils Maxime Labranche.
[64] Ce dernier, âgé de 30 ans, explique qu’il a grandi dans un milieu familial favorable et encadrant. Sa mère était respectueuse et présente pour l’épauler durant son enfance.
[65] Jamais elle ne l’a forcé à croire à la canalisation d’une entité et jamais elle n’a tenté de le convaincre d’y participer ou d’adhérer à ses croyances.
[66] Depuis les évènements de 2011, « il sent de la lourdeur pour sa mère, elle n’a plus la même joie de vivre », dit-il.
[67] La coaccusée Gabrielle Fréchette a 57 ans lorsqu’elle témoigne. Par l’entremise de son avocat, elle dépose un document qu’elle a confectionné et qu’elle identifie comme étant son parcours de vie (voir pièce D-1).
[68] Elle déclare qu’après le décès de Chantal Lavigne, elle a commencé à présenter des symptômes dépressifs, de sorte qu’elle a dû prendre des antidépresseurs, et qu’elle en prend toujours aujourd’hui.
[69] En 2013, alors qu’elle est en République Dominicaine, elle souffre d’une infection virale, ce qui l’oblige à cesser toutes ses activités. Elle est hospitalisée pendant 8 mois et n’a qu’une idée en tête : « se suicider ».
[70] En 2014, elle recommence à travailler et à donner de la formation en croissance personnelle, moyennant rémunération, alors qu’elle ne possède aucune formation académique accréditée reconnue dans ce domaine.
[71] La formule de ses enseignements a changé, dit-elle. Elle canalise une nouvelle entité et procède à des rencontres personnelles, mais elle n’a jamais refait de séance de sudation et n’a aucunement l’intention d’en refaire.
[72] Lors du verdict prononcé le 8 décembre 2014, elle s’est retrouvée dans un état de dépression plus profonde.
[73] Elle a cessé complètement toutes activités de formation ou de canalisation d’une entité quelconque le 20 août 2015. Depuis, elle est sans emploi.
[74] À ce sujet, elle déclare à la cour :
« … quand j’ai rencontré les agents de probation ainsi que la psychiatre médico-légale, le genre de questions qui me posaient, leur approche et tout ça, m’a amenée à des grandes confrontations avec moi-même et j’en suis arrivée finalement à la conclusion en juin, que c’était impossible pour moi de poursuivre. Ça n’avait plus aucun sens, alors j’ai décidé de me retirer en juin, mais j’avais quelques requêtes de certains participants que je m’étais déjà engagée à eux, alors j’ai fini les engagements qui me restaient, que j’avais pris sans prendre de nouveaux engagements et j’ai terminé complètement le 20 août dernier, et depuis je suis sans emploi complet. »[6]
[75] Depuis cette date, elle a fait des démarches auprès d’un centre d’emploi et se propose de travailler dans le domaine où elle a antérieurement acquis de l’expérience, soit la vente au détail. Elle avait un rendez-vous le 5 janvier 2016 afin d’y obtenir de l’aide quant à ses orientations possibles.
[76] Référant à un passage du rapport psychiatrique, à la page 12, traitant de son autocritique, la coaccusée Gabrielle Fréchette dira à la cour :
« En fait, j’ai réalisé que malgré le fait que j’ai des compétences naturelles là, un peu aidante, en tout cas, ma nature elle est comme ça. Je n’ai pas la formation requise comme par exemple en hutte de sudation. La formation que j’ai reçue a quand même duré deux ans. On ne m’a jamais parlé des risques potentiels dans une hutte de sudation. »[7]
[77] Rappelons toutefois que, lors du procès, de l’aveu même de la coaccusée Gabrielle Fréchette, cette dernière a déclaré que jamais son formateur Patrick Dacquay ne lui a enseigné ni même expérimenté avec elle les méthodes qu’elle a pratiquées lors de la séance de sudation qu’elle a dirigée les 28 et 29 juillet 2011, à savoir :
Ø D’appliquer de la terre mouillée directement sur le corps des participants;
Ø D’entourer le corps de chaque participant d’une bâche de plastique, ainsi que
Ø De placer la tête de chaque participant dans une boîte de carton, sur laquelle sont déposées directement des couvertures.
[78] Dans ces circonstances, son affirmation à l’effet qu’on ne l’a jamais informée des risques inhérents aux huttes de sudation démontre un manque de franchise et un manque de transparence et a très peu de crédibilité. Les gestes qu’elle a posés lors de la séance de sudation, tenue les 28 et 29 juillet 2011, ne sont pas ceux qui lui ont été enseignés préalablement, mais plutôt de la pure invention. On ne pouvait donc l’informer d’un danger inhérent aux techniques qu’on ne lui avait pas enseignées.
[79] Visiblement, la coaccusée Gabrielle Fréchette tend à se déresponsabiliser en tentant de convaincre le Tribunal, que le blâme doit reposer sur les épaules de son formateur Patrick Dacquay.
[80] Le Tribunal a eu l’avantage d’entendre et de voir la coaccusée Gabrielle Fréchette. Il a pu constater qu’elle était davantage préoccupée par sa situation personnelle que par celle des victimes et de leur famille.
[81] Ce n’est qu’à la toute fin de son témoignage en chef qu’elle aborde le sujet. Toutefois, le Tribunal n’a pu percevoir la sincérité de ses propos remplis de malaises et d’hésitations.
[82] Le témoignage qu’elle livre à la cour, sur plusieurs aspects, est complètement différent du discours qu’elle a eu préalablement avec le médecin psychiatre Martine Bérubé et l’agente de probation. Le Tribunal est d’avis que le spectre de la peine à venir provoque chez elle une remise en question momentanée.
[83] Cela dit, le Tribunal doit configurer une peine en regard de l’ensemble des circonstances et en appliquant les principes de détermination de la peine énumérés préalablement.
La Proportionnalité
[84] La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
[85] Or, on entend par gravité de l’infraction, tant sa gravité objective que sa gravité subjective.
[86] La gravité objective d’une infraction s’apprécie en fonction de la peine maximale prévue par le législateur.
[87] La gravité subjective signifie la façon dont les infractions ont été commises.
[88] Dans la présente affaire, la gravité subjective est importante en raison du contexte et des circonstances dans lesquelles les infractions ont été perpétrées :
Ø Une planification minutieuse de la séance de sudation;
Ø Que cette séance s’est tenue lors d’une journée très chaude et humide de juillet;
Ø Dans une pièce au deuxième étage d’une maison sans climatisation;
Ø Sans qu’aucun des neuf participants, tous d’âges différents, ne soit informé de la durée et des modalités de celle-ci;
Ø Sans qu’il ne soit possible pour eux de s’hydrater et se nourrir;
Ø Et que par la suite, ils soient enduits de terre mouillée sur tout le corps;
Ø Qu’ils soient enveloppés dans un drap, une bâche de plastique, ainsi qu’une douillette;
Ø Que leur tête soit placée dans une boîte de carton, sur laquelle ont été déposées trois autres douillettes;
Ø Que dans la pièce jouait une musique d’une intensité et d’une puissance très soutenue à certains moments;
Ø Qu’on exhortait les participants à faire des exercices de respiration rapide pendant de longues minutes;
Ø En ne prenant pas les mesures nécessaires pour vérifier l’état de chaque participant, et ce, de façon régulière;
Ø En ne prévoyant pas d’eau dans la pièce;
Ø Et ce, pendant une période de plus de sept heures.
[89] Le Tribunal juge à propos de disposer d’un argument invoqué par tous les coaccusés, que l’on retrouve dans les rapports présentenciels respectifs, à savoir que chacun des participants à la séance de sudation tenue les 28 et 29 juillet 2011 disposait de la prérogative de quitter la hutte à tout moment lorsqu’il le jugerait opportun.
[90] Il est vrai que les participants pouvaient quitter la salle, mais difficile d’imaginer que ce soit possible lorsqu’un de ces derniers pouvait éprouver un malaise quelconque, une faiblesse ou une perte de conscience, et qu’il n’ait plus la force physique pour le faire et/ou pour demander de l’aide, considérant notamment la chaleur intense qui se dégageait dans la pièce et dans les circonstances que l’on connaît.
[91] Ces précisions étant apportées, le Tribunal doit procéder à l’examen du degré de responsabilité de la coaccusée Gabrielle Fréchette. Or, ici, le degré de responsabilité pénale de cette dernière est important, puisqu’elle est l’auteure principale des infractions : elle est l’organisatrice et maître d’œuvre de la séance de sudation qui s’est tenue les 28 et 29 juillet 2011. Elle est celle qui a initié, planifié et orchestré cette séance. C’est elle qui voit à la préparation de la pièce et à l’achat des quelques objets nécessaires à la séance (terre noire, bâches de plastiques, etc.) Elle invente des techniques qui ne lui ont jamais été enseignées antérieurement, et qui plus est, elle ne possède aucune formation académique accréditée reconnue dans ce domaine. Son degré de responsabilité pénale est important, plus élevé que les coaccusés Ginette Duclos et Gérald Fontaine.
[92] Bien qu’elle n’ait jamais eu l’intention de causer la mort de Chantal Lavigne et de causer des lésions corporelles à Julie Théberge, elle a, par ses actions, démontré une insouciance déréglée et téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité des victimes. C’est la responsabilité qu’elle doit assumer.
L’individualisation
[93] Il s’agit du second principe de détermination de la peine. Il requiert que soit soupesé l’ensemble des circonstances pertinentes liées tant à la commission de l’infraction qu’à la personnalité du délinquant à sanctionner.
[94] Cela dit, le Tribunal doit prendre en considération les facteurs tant atténuants que les facteurs aggravants.
[95] Parmi les facteurs atténuants, le Tribunal retient :
Ø Elle est en couple depuis l’été 2014;
Ø Elle est mère de trois enfants âgés de 33, 30 et 21 ans qui ont tous quitté la maison;
Ø Malgré les décisions de la Cour d’appel du Québec dans R. c. Corriveau et R. c. Vézina[8], à l’effet que la publicité qui entoure une accusation criminelle n’est pas un facteur atténuant, car ces inconvénients découlent du choix de vie du délinquant, le Tribunal peut considérer ce facteur en raison de son effet particulièrement stigmatisant pour le délinquant[9]. Ceci étant, la coaccusée Gabrielle Fréchette a vécu de façon difficile les trois ou quatre années qu’ont duré les procédures judiciaires, notamment de par la médiatisation;
Ø Selon les informations consignées dans le rapport psychiatrique du médecin psychiatre Martine Bérubé, elle aurait amorcé une prise de conscience, et son autocritique serait partielle, puisqu’elle reconnaît avoir tenu des activités pour lesquelles elle n’avait pas la compétence et dont elle ne connaissait pas les dangers;
Ø Elle a renoncé à refaire des huttes de sudation;
Ø Elle ne possède aucuns antécédents judiciaires.
[96] Parmi les facteurs aggravants, le Tribunal note :
Ø La gravité objective et subjective des crimes pour lesquels elle a été reconnue coupable;
Ø La planification minutieuse de la séance de sudation;
Ø Elle a volontairement ignoré ses enseignements pour ainsi inventer ses propres techniques, présentant un risque élevé pour la vie et la sécurité d’autrui;
Ø Elle n’a donné aucune consigne ou recommandation préalable aux participants. Certes, ces derniers ont participé de façon volontaire à cette séance de sudation, mais ils ne savaient nullement comment allait se dérouler l’activité, et ils lui ont accordé pleine confiance;
Ø Qui plus est, jamais avant les 28 et 29 juillet 2011, les deux victimes n’avaient expérimenté une séance de sudation de cette façon et d’une durée aussi longue;
Ø Elle a organisé cette séance de sudation moyennant rémunération auprès de certaines gens vulnérables en quête d’un mieux-être, et alors qu’elle ne possède aucune formation académique accréditée reconnue dans ce domaine;
Ø Le rapport psychiatrique fait état que la capacité de la coaccusée Gabrielle Fréchette de se remettre en question est partielle et insuffisante. Son vécu personnel en tant que participante à des thérapies de croissance personnelle de toutes sortes fait qu’elle investit fortement ces moyens de cheminement et de guérison au détriment de thérapies plus conventionnelles (exemple : suivi psychologique avec personnel diplômé). De plus, d’autres motivations externes semblent être en jeu (valorisation narcissique, sources de revenu, socialisation, etc.);
Ø Dans une lettre, à l’attention du Tribunal (pièce S-1), rédigée par Patrick Naud, époux de la victime décédée Chantal Lavigne, ce dernier exprime toute la douleur que cette tragédie lui a causée et a causée à ses deux jeunes enfants. Le décès de sa femme a eu des conséquences tragiques et irréparables, tant au plan psychologique que physique.
[97] Difficile, en pareil contexte, d’imaginer une peine qui ne mettrait pas l’accent sur les objectifs de dénonciation, de dissuasion spécifique, de prise de conscience des responsabilités et de réparation des torts causés.
L’harmonisation
[98] Ce troisième principe de détermination de la peine demande « l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ».
[99] Les circonstances dans lesquelles Julie Théberge a subi des lésions corporelles et Chantal Lavigne y a trouvé la mort sont particulières, en ce que le contexte dans lequel les évènements sont survenus, ne sont pas des pratiques usuelles et enseignées.
[100] Tous les avocats ont déclaré n’avoir trouvé aucun précédent pouvant aider le Tribunal quant à la peine à imposer.
[101] Le Tribunal n’a répertorié aucun jugement rendu par des tribunaux de diverses régions du pays dont il peut s’inspirer.
[102] Récemment, le 17 décembre 2015, la Cour suprême du Canada rendait un jugement[10] dans lequel elle énonce que :
« Bien qu’elles soient utilisées principalement dans un but d’harmonisation, les fourchettes de peines reflètent l’ensemble des principes et des objectifs de la détermination de la peine. Les fourchettes de peines ne sont rien de plus que des condensés des peines minimales et maximales déjà infligées et qui, selon le cas de figure, servent de guides d’application de tous les principes et objectifs pertinents.
Toutefois, ces fourchettes ne devraient pas être considérées comme des ″moyennes″, encore moins comme des carcans, mais plutôt comme des portraits historiques à l’usage des juges chargés de déterminer les peines. Ces derniers demeurent tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque espèce.
Il se présentera toujours des situations qui requerront l’infliction d’une peine à l’extérieur d’une fourchette particulière, car si l’harmonisation des peines est en soi un objectif souhaitable, on ne peut faire abstraction du fait que chaque crime est commis dans des circonstances uniques, par un délinquant au profil unique. La détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique…»
[103] Cela dit, le Tribunal a consulté plusieurs jugements[11] traitant de négligence criminelle causant la mort dans un contexte autre que conduite dangereuse, conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à la limite légale, délit de fuite, usage d’une arme à feu, ainsi que les décisions soumises par les avocats lors des représentations sur la peine. Dans toutes ces affaires, les faits diffèrent substantiellement de ceux qui ressortent du présent dossier.
[104] Dans ce contexte, l’absence de « personnalité semblable des délinquants et des circonstances comparables », pour reprendre les mots de la Cour d’appel dans Costa c. R.,[12] confère au principe de l’harmonisation des peines une portée toute relative sur la détermination de la peine à infliger.
[105] La décision R. c. Deschâtelets[13] est celle qui peut, dans une certaine mesure, s’apparenter le plus aux faits du présent dossier, en ce qu’il s’agit d’un cas de négligence criminelle causant la mort d’une personne dans un contexte où cette dernière participait à une activité. Dans cette cause toutefois, l’activité était de nature sexuelle entre deux personnes consentantes à se prêter à un jeu sadomasochiste durant une fin de semaine.
[106] Dans cette affaire, à un certain moment, à la demande de la victime, l’accusé l’a attachée au plafond du sous-sol de sa résidence, en reliant l’anneau qu’elle portait au cou à une chaîne qui en descendait.
[107] Dans cette position, la victime pouvait se déplacer un peu, mais elle ne pouvait ni s’asseoir, ni se coucher, ni s’agenouiller.
[108] L’accusé a attaché ses mains avec des menottes qu’il a fixées à une deuxième chaîne, elle aussi reliée au plafond, et a installé des écarteurs à ses chevilles. Il lui a alors fouetté légèrement les fesses, et par la suite les seins. L’accusé s’est prêté à l’exercice pendant quelques minutes et après s’être enquis auprès de sa partenaire si elle se portait bien, a quitté la résidence pour se rendre à l’épicerie. Après une vingtaine de minutes, à son retour, il découvre la victime, inconsciente, pendue par le cou au plafond auquel elle était reliée par la chaîne métallique.
[109] Le juge précise que la victime accepte de participer à ce jeu, qu’elle sait ce qui l’attend et accepte de courir le risque, précisant toutefois que le consentement ne constitue en rien une défense, excuse ou justification aux gestes posés par l’accusé.
[110] Par ailleurs, dans le présent dossier, pendant la période de plus de sept heures, qu’a duré la séance de sudation corporelle, jamais les coaccusés ne se sont enquis auprès des victimes si elles se portaient bien. Ils n’ont jamais soulevé les couvertures de type douillette pour vérifier leur état, dans les circonstances que l’on connaît. Il y a là une distinction importante avec la décision Deschâtelets[14].
[111] Après avoir considéré tous les objectifs et principes de détermination de la peine, le juge, dans Deschâtelets[15] conclut notamment que la preuve démontre que l’accusé est à toute fin pratique réhabilité et que les délais de cette affaire lui ont permis de prendre conscience de ses responsabilités et du tort qu’il a causé à la victime, à sa famille, à ses amis et à l’ensemble du corps social. L’accusé est donc condamné à un an d’emprisonnement, ainsi qu’une probation de deux ans lors de laquelle il devra effectuer 120 heures de travaux communautaires. Ces faits, quant au profil du délinquant, se distinguent de notre dossier.
Modération
[112] Il s’agit là du dernier principe de détermination de la peine. Il requiert notamment que le juge « avant d’envisager la privation de liberté examine la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ».
[113] Or, pour les motifs qui ont été exposés précédemment et que l’on ne reprendra pas ici, une peine autre que la détention véhiculerait inadéquatement les objectifs de dénonciation, de dissuasion générale et spécifique, de prise de conscience des responsabilités de la coaccusée Gabrielle Fréchette, et de réparation des torts causés à la collectivité. Objectifs qui sont tous incontournables dans le présent dossier. Dès lors, l’incarcération s’impose.
Relativement à la coaccusée Ginette Duclos
[114] Après le verdict, un rapport présentenciel a été demandé. Il est préparé le 5 mai 2015 et déposé à la cour.
[115] L’agente de probation explique le cheminement de vie de la coaccusée Ginette Duclos. Cette dernière commence à travailler et occupe, à partir de janvier 1973, un emploi comme préposée au service à la clientèle chez Bell Canada; fonction qu’elle conservera pendant 23 ans. Par la suite, elle sera promue vers un poste supérieur où elle assume beaucoup plus de responsabilités.
[116] Très tôt, elle est intéressée aux enseignements spirituels. Au début des années 1990, elle devient maître-praticienne en programmation neurolinguistique et en reiki. Son mari la rejoint dans ce cheminement et l’accompagne dans divers ateliers de croissance personnelle.
[117] Vers 1996, elle consulte une médium, qui est la coaccusée Gabrielle Fréchette, et cette dernière l’oriente vers le Centre Nouvel Âge où elle effectue une formation de « guide en respiration consciente » et puis une autre comme « guide-accompagnante à la naissance ».
[118] Dès 2004, elle collabore avec la coaccusée Gabrielle Fréchette et devient guide lors de séminaires de croissance personnelle initiés par cette dernière.
[119] Elle connaîtra à plusieurs reprises des expériences avec les huttes de sudation, mais pour de courtes durées (1 à 3 heures).
[120] Référant à la séance de sudation tenue les 28 et 29 juillet 2011, elle mentionne à l’agente de probation que c’était la première fois qu’elle expérimentait une si longue séance, en plus de l’utilisation d’une boîte de carton.
[121] L’agente de probation écrit à la page 4 :
« Elle se questionne toujours sur les raisons qui ont amené Chantal Lavigne à demeurer sous les couvertures; de ne pas avoir mis fin à la séance par elle-même. Elle réalise cependant la gravité et les impacts des gestes qui lui sont reprochés, et ce, tant pour les victimes, que l’entourage de ces dernières, que pour elle-même. »
[122] À la page 5 du rapport présentenciel, on y lit :
« Elle ajoute également que les victimes étaient suffisamment éclairées sur ce qui allait se passer lors de la séance, qu’elles auraient pu éviter l’issu fatal, en ce qui concerne la victime Chantal Lavigne. L’état d’insouciance et de naïveté de Madame Duclos face aux risques encourus, par la pratique d’une telle activité, demeurent donc les facteurs contributifs aux passages à l’acte. »
[123] Plus loin il est mentionné :
« … elle ne s’impliquera plus dans les séances de sudation… les risques de récidives, quant à eux, sont réduits. »
[124] Le 2 décembre 2015, lors des représentations sur la peine, la coaccusée Ginette Duclos témoigne et fait entendre son mari André Corriveau.
[125] Ce dernier est retraité du service correctionnel du Canada depuis 10 ans. Il est marié depuis 41 ans. Il décrit sa femme comme une « personne remplie d’amour, consciencieuse, ayant beaucoup d’empathie pour les gens, une très bonne mère et grand-mère ».
[126] Ils ont quatre enfants dont trois sont âgés aujourd’hui dans la trentaine et l’autre a 40 ans. Les évènements ont eu des répercussions dans la famille, de sorte que tous ressentent une tristesse et une crainte quant à la peine à être imposée.
[127] Depuis les évènements, « il y a eu une cassure, une femme qui est brisée » dit-il. Elle se sent accablée par les évènements, elle n’éprouve plus de joie de vivre.
[128] La coaccusée Ginette Duclos a 64 ans lorsqu’elle témoigne. Elle est retraitée et grand-mère de sept petits-enfants.
[129] Elle relate qu’elle n’a jamais eu l’intention de causer la mort de Chantal Lavigne et de causer des lésions corporelles à Julie Théberge.
[130] En pleurs, elle dira :
« J’allais pas faire cet atelier-là pour que quelqu’un meure. Ce n’était pas prévisible, j’ai jamais voulu ça sinon je me serais… j’aurais jamais voulu être collaboratrice[16]. »
[131] Elle explique les circonstances de son arrestation et de la médiatisation l’entourant, notamment concernant une émission télévisée dans laquelle on traite des évènements. Tout cela l’a grandement affectée.
[132] Interrogée quant à la perspective d’une peine d’emprisonnement, elle dira :
« Je suis condamnée pour un geste dont je n’avais même pas de contrôle dessus dans le fond [17]».
[133] Elle ne comprend pas l’acharnement à son égard depuis le verdict du 8 décembre 2014.
[134] Elle regrette et se dit désolée que « cet accident » soit arrivé. Elle comprend ce que peuvent ressentir les enfants de Chantal Lavigne depuis son décès.
[135] Son témoignage à la cour est en tout point concordant avec les énoncés contenus dans le rapport présentenciel.
[136] Le Tribunal retient qu’il s’agit d’une personne intelligente, prônant de bonnes valeurs. Tout comme l’agente de probation, le Tribunal est d’opinion qu’elle démontre un état d’insouciance et de naïveté face aux risques encourus des séances de hutte de sudation, plus particulièrement de la façon dont s’est tenue celle des 28 et 29 juillet 2011.
[137] Ainsi donc, le Tribunal doit considérer les principes de détermination de la peine.
La proportionnalité
[138] Le Tribunal ne reprendra pas tout ce qui a été élaboré à ce sujet préalablement. Donc, les paragraphes 84 à 90 de la présente décision reçoivent application.
[139] Quant au degré de responsabilité de la coaccusée Ginette Duclos, qu’il suffise de rappeler qu’avec le coaccusé Gérald Fontaine, elle a assisté à la séance préparatoire tenue le 27 juillet 2011, convoquée par la coaccusée Gabrielle Fréchette.
[140] Ils ont pris part aux discussions et accepté les modalités prévues pour la séance de sudation, laquelle devait s’échelonner sur une période pouvant aller de 10 à 14 heures.
[141] Après avoir reçu toutes les directives précises de la coaccusée Gabrielle Fréchette, ils ont acquiescé à participer à cette activité. Ils connaissaient les détails du déroulement de la séance, ainsi que la durée prévue de celle-ci, et savaient que les participants n’avaient aucune possibilité de s’hydrater tout au long de la séance.
[142] Ils ont posé des actes concrets en enduisant les participants de terre mouillée, en les enveloppant notamment avec une bâche de plastique, et en plaçant leur tête dans une boîte de carton. Ils les ont incités à faire des exercices de respiration rapide pendant plusieurs minutes dans une pièce au deuxième étage sans climatisation ou la température était très élevée.
[143] Même si elle n’a jamais voulu causer des lésions corporelles à Julie Théberge et causer la mort de Chantal Lavigne, elle doit en assumer la responsabilité, puisqu’elle a fait preuve d’une insouciance déréglée et téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité des victimes.
[144] Or, de toute évidence, le degré de responsabilité pénale de la coaccusée Ginette Duclos est significatif. Elle a agi sous les ordres de la coaccusée Gabrielle Fréchette, en toute connaissance de cause et volontairement.
L’individualisation
[145] Le Tribunal doit prendre en considération, les facteurs tant atténuants que les facteurs aggravants.
[146] Le Tribunal retient les facteurs atténuants suivants :
Ø Elle est âgée de 64 ans;
Ø Elle est mariée depuis 41 ans;
Ø Elle est mère de quatre enfants et grand-mère de sept petits-enfants;
Ø Pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la situation de la coaccusée Gabrielle Fréchette, le Tribunal est d’avis qu’il peut considérer la médiatisation comme un facteur important;
Ø Elle a renoncé à refaire des séances de hutte de sudation;
Ø Elle ne possède aucuns antécédents judiciaires.
[147] Les facteurs aggravants sont :
Ø La gravité objective et subjective des crimes pour lesquels elle a été reconnue coupable;
Ø La participation en compagnie du coaccusé Gérald Fontaine, avec la coaccusée Gabrielle Fréchette pour préparer et organiser de façon minutieuse la séance de sudation;
Ø Elle n’a donné aucune consigne ou recommandation préalable aux participants;
Ø Les conséquences néfastes et irréparables pour la famille de la victime Chantal Lavigne.
L’harmonisation
[148] L’analyse élaborée à ce sujet, dans la situation de la coaccusée Gabrielle Fréchette, trouve application (voir paragraphes 99 à 112 de la présente décision).
Modération
[149] Ce principe commande d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes que la privation de liberté lorsque les circonstances le justifient (ce qui n’est pas le cas en l’espèce). Lorsqu’une peine d’incarcération doit s’appliquer (c’est le cas ici), le Tribunal doit imposer avec discernement cette mesure, surtout dans des cas où les objectifs de dénonciation de dissuasion spécifique et générale priment sur les autres objectifs. La peine imposée doit ainsi susciter auprès de la coaccusée Ginette Duclos la conscience de ses responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’elle a causé aux victimes et à la société.
Relativement au coaccusé Gérald Fontaine
[150] Un rapport présentenciel fut préparé le 18 août 2015 pour les représentations sur la peine.
[151] On y lit notamment que le coaccusé Gérald Fontaine est issu d’un milieu socioéconomique favorisé où il a grandi au sein d’une famille véhiculant des valeurs prosociales.
[152] En 1997, lors d’un voyage à Cuba, il a été piqué par une méduse. Hospitalisé, il a craint pour sa vie. Cet évènement a suscité le besoin de s’engager envers lui-même. Il commence alors à s’investir dans une démarche de croissance personnelle.
[153] En 2003, il assiste à une première conférence donnée par la coaccusée Gabrielle Fréchette. Au fil du temps, il est conforté par les connaissances transmises par cette dernière, notamment la canalisation.
[154] En 2008, il sent un appel à s’engager davantage, et ce, en s’inscrivant au programme de formation de trois ans, portant sur la responsabilité de soi, offert par la coaccusée Gabrielle Fréchette et la fille de cette dernière, Manon Labranche.
[155] Au moment d’amorcer cette formation en septembre 2009, la coaccusée Gabrielle Fréchette lui offre de travailler avec elle en échange des coûts de la formation. Outre la gestion organisationnelle des différentes activités, il doit la seconder comme « directeur de transe » et partager, pendant les enseignements, ses expériences avec les participants. C’est dans ce contexte de collaboration que les faits reprochés se sont produits.
[156] L’agente de probation écrit, aux pages 3 et 4 du rapport présentenciel :
« Bien qu’ayant l’expérience des huttes de sudation, l’intimé et ses co-accusés n’en avaient jamais expérimentées comme celle qu’ils allaient faire vivre aux participants… »
[157] Plus loin, elle mentionne :
« … il est tout (sic) même conscient de la gravité de la situation dans laquelle il se retrouve. Il est particulièrement affecté par l’ensemble des répercussions vécues par la famille de Chantal Lavigne ainsi que pour lui-même et sa famille immédiate. »
[158] L’agente de probation, aux pages 4 et 5 relate :
« Séduit par les enseignements de Gabrielle Fréchette tout comme par l’expérience vécue lors de ceux-ci, son niveau d’adhésion et d’investissement a cru (sic) sans que cela suscite un questionnement sur les risques et les besoins d’encadrement des enseignements et des pratiques de Gabrielle Fréchette. Les personnes significatives qui dans son entourage auraient pu favoriser un questionnement présentaient elles-mêmes une certaine ouverture face à la spiritualité. »
[159] L’on apprend à la page 5 du rapport présentenciel :
« S’il n’a pas refait de hutte de sudation depuis, cet évènement tragique n’a pas plus induit de doute ou de remise en question des enseignements et des compétences de Gabrielle Fréchette. »
[160] Ces constats, amène l’agente de probation à tirer les conclusions suivantes, à la page 5 de son rapport :
« Étant à notre avis un véritable adepte des enseignements de Gabrielle Fréchette, cela ne lui a pas été possible d’user de son jugement personnel au moment de déterminer les modalités de la hutte de sudation tout comme lors du déroulement de celle-ci, ce qui en fait à notre niveau le principal facteur contributif aux présents délits. »
[161] Cela dit, lors des représentations sur la peine, il témoigne et fait entendre sa conjointe Rebecca Lemay Dostie.
[162] Celle-ci est âgée de 27 ans et étudie en secrétariat/comptabilité à raison de trois jours semaine. Le reste du temps, elle travaille comme adjointe administrative.
[163] Elle est en couple avec le coaccusé Gérald Fontaine depuis 2010 et ils ont deux enfants âgés de 3 ans et 16 mois.
[164] Elle relate que les revenus familiaux proviennent principalement de son conjoint.
[165] Au moment de son témoignage, le coaccusé Gérald Fontaine est âgé de 42 ans.
[166] Il travaille de 40 à 50 heures semaine à titre de cuisinier et consultant en pâtisserie au Marché Public Mante du Carré à Danville.
[167] Il est aussi massothérapeute à son compte à raison de quelques heures par mois en fonction de la demande et de ses disponibilités.
[168] Depuis les évènements survenus en 2011, il a vécu beaucoup d’angoisse et de stress. Tous ses projets sont suspendus, sa vie est bouleversée.
[169] Il ressent de l’empathie pour la famille de la victime Chantal Lavigne et dira à la cour :
« … ça jamais été souhaité, pis ça jamais été un intention ou quoi que ce soit… ce qui me touche le plus, en fait, c’est maintenant que je suis père moi aussi, c’est sûre que j’ai beaucoup de compassion pour Patrick, le père des enfants de Chantal, et je pense souvent à ça, à ce qu’ils vivent… je suis franchement désolé que ce soit arrivé de même, c’était pas, c’était rien de souhaitable, ce n’était même pas pensable, comme je dis donc, j’ai été vraiment désolé.[18]
[170] Il se dit inquiet qu’une peine de détention lui soit imposée, en raison de ses jeunes enfants et de sa conjointe qui ont besoin de sa présence.
[171] Ceci étant, le Tribunal se doit de considérer les principes de détermination de la peine prévus dans la loi.
La proportionnalité
[172] Les énoncés du Tribunal, aux paragraphes 84 à 90 de la présente décision, s’appliquent dans les circonstances.
[173] Concernant le degré de responsabilité du coaccusé Gérald Fontaine, il est le même que celui de la coaccusée Ginette Duclos, élaboré aux paragraphes 140 à 143 de la présente décision.
[174] Tout comme les deux autres coaccusés dans le présent dossier, même s’il n’a jamais voulu causer des lésions corporelles à Julie Théberge et causer la mort de Chantal Lavigne, le coaccusé Gérald Fontaine doit assumer la responsabilité de ses actes qui ont démontré une insouciance déréglée et téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité des victimes.
L’individualisation
[175] Ce second principe de la détermination de la peine implique que le Tribunal prenne en considération les facteurs tant atténuants que les facteurs aggravants.
[176] À titre de facteurs atténuants, le Tribunal retient :
Ø Il est âgé de 42 ans;
Ø Il est en couple depuis 2010;
Ø Il est père de deux jeunes enfants et soutien de famille;
Ø Il a un emploi stable;
Ø Pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la situation de la coaccusée Gabrielle Fréchette, le Tribunal est d’avis qu’il peut considérer la médiatisation comme un facteur important;
Ø Il a renoncé à refaire des séances de hutte de sudation;
Ø Il ne possède aucuns antécédents judiciaires.
[177] À titre de facteurs aggravants, le Tribunal note :
Ø La gravité objective et subjective des crimes pour lesquels il a été reconnu coupable;
Ø Sa participation à la préparation minutieuse de la séance de sudation;
Ø Il n’a donné aucune consigne ou recommandation préalable aux participants;
Ø Les conséquences irréparables causées à la famille de la victime Chantal Lavigne.
L’harmonisation
[178] L’analyse élaborée à ce sujet dans la situation de la coaccusée Gabrielle Fréchette trouve application (voir paragraphes 99 à 112 de la présente décision).
Modération
[179] Dans les circonstances que l’on connaît, le Tribunal se doit de prioriser le comportement illégal, dissuader individuellement le coaccusé Gérald Fontaine et collectivement quiconque serait tenté de commettre ce type d’infraction. Le Tribunal considère qu’il doit imposer une peine d’emprisonnement.
DISPOSITIF
[180] Dans l’exercice de la détermination de la peine de ce dossier, il ne sera pas possible de satisfaire quiconque, puisque rien ne rendra la vie à Chantal Lavigne ni ne permettra de revenir en arrière.
[181] Le but d’une peine est de punir un individu et on ne doit jamais y retrouver un ton de vengeance.
[182] Dans R. c. Lacasse[19], une décision très récente rendue le 17 décembre 2015, la Cour suprême du Canada énonce que :
«
La détermination de la peine demeure l’une des étapes les plus délicates du
processus de justice pénale et criminelle au Canada. Même si cette tâche est
régie par les art.
[183] Le Tribunal est d’opinion que dans cette catégorie de délit, il est impératif de privilégier les objectifs de dissuasion et de dénonciation, afin de communiquer la réprobation de la société, de telles infractions étant susceptibles d’être commises par des citoyens habituellement respectueux des lois.
[184] Des personnes, par ailleurs honnêtes, de bonnes familles, et sans passé judiciaire, qui acceptent de s’engager de façon délibérée dans des activités de cette nature, et ce, sans avoir suivi aucune formation accréditée reconnue, doivent savoir qu’elles seront sévèrement punies.
[185] Le Tribunal estime qu’il s’agit de la seule façon de dissuader ces personnes de s’engager dans de telles activités, et aussi en éviter la prolifération. Le message doit être clair.
[186] Dans l’arrêt R. c. Nasogaluak[20], l’honorable juge LeBel, dans une décision unanime de la Cour suprême du Canada, rappelle :
« Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée - à la hausse ou à la baisse - dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. »
[187] Après
avoir pondéré les objectifs visés à l’article
[188] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[189] CONDAMNE la coaccusée Gabrielle Fréchette à une peine d’emprisonnement de 3 ans;
[190] CONDAMNE la coaccusée Ginette Duclos à une peine d’emprisonnement de 2 ans;
[191] CONDAMNE le coaccusé Gérald Fontaine à une peine d’emprisonnement de 2 ans;
[192] IMPOSE
pour les coaccusés Gabrielle Fréchette, Ginette Duclos et Gérald Fontaine une
ordonnance d’interdiction d’armes, selon l’article
[193] DISPENSE les coaccusés Gabrielle Fréchette, Ginette Duclos et Gérald Fontaine du paiement de la suramende compensatoire.
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__________________________________ HÉLÈNE FABI, J.C.Q. |
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Me Magali Bernier, |
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Procureure aux poursuites criminelles et pénales |
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Me Richard Dubé, |
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Avocat de l'accusée Gabrielle Fréchette
Me René Duval, Avocat de l’accusée Ginette Duclos
Me Jean-François Lauzon, Avocat de l’accusé Gérald Fontaine
Dates d'audience : 2 et 3 décembre 2015. |
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[1]
R. c. Fréchette,
[2]
R. v. M. (C.A.), [1996] 1 S.C.R.; R. c. S.T.,
[3]
R. c. Deschâtelets,
[4]
Gavin c. R.,
[5]
R. v. Czornobaj,
[6] CourtLog, 2 décembre 2015, salle 1.01, 9 h 34.
[7] CourtLog, 2 décembre 2015, salle 1.01, 9 h 58.
[8]
R. c. Corriveau,
[9]
R. c. Conte,
[10]
R. c. Lacasse,
[11] R. c. Duplin,
[12]
Costa c. R.,
[13]
R. c. Deschâtelets,
[14] Précitée note 13.
[15] Précitée note 13.
[16] CourtLog, 2 décembre 2015, salle 1.01, 14 h 17.
[17] CourtLog, 2 décembre 2015, salle 1.01, 14 h 17.
[18] CourtLog, 2 décembre 2015, salle 1.01, 12 h 00.
[19] Précitée note 11.
[20] R. c. Nasogaluak, 2010, 1 RCS 206.
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