Meunier c. Cloutier |
2012 QCRDL 36478 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No : |
31 100907 059 G |
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Date : |
19 octobre 2012 |
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Régisseure : |
Brigitte Morin, juge administratif |
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Berthe Meunier |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Carole Cloutier |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice a introduit une demande en résiliation de bail et éviction de la locataire et de tous les occupants aux motifs que la locataire a des comportements dérangeants, qu’elle possède des animaux en contravention avec une clause du bail et qu’elle profère des menaces et des insultes envers les autres locataires.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit d’année en année depuis le 1er décembre 2007 au loyer mensuel de 480 $. Le bail prévoit que la locataire ne peut garder d’animaux et qu’il n’y a pas d’accès au terrain sauf passage à pied.
Les faits
[3] La locatrice est propriétaire d’un immeuble de 6 logements. La locataire habite un logement de 4 pièces et demie au premier étage depuis décembre 2007. Elle mentionne avoir reçu des plaintes des autres locataires pour faire suite aux comportements dérangeants de la locataire.
[4] Le 19 juillet 2010, la locatrice reçoit une lettre signée par 4 locataires dans laquelle sont mentionnés de nombreux comportements dérangeants de la locataire. Cette lettre informe que depuis les cinq derniers mois, la qualité de vie des locataires habitant au 5422, Marquette, est diminuée à cause des bruits excessifs en provenance du logement de la locataire habitant l’étage au-dessus. Les comportements suivants sont signalés :
Émettre des cris insupportables et à répétition à différents moments de la journée;
Marcher avec des talons hauts, sauter très fort sur le plancher, faire du patin à roulettes dans le corridor, faisant vibrer les luminaires du logement et les décorations accrochées aux murs;
Déplacer les meubles dans différentes pièces du logement tard dans la soirée ainsi que les tables et les chaises en métal situées sur son balcon;
Secouer des tapis et autres objets, salissant la galerie, son linge et les fenêtres;
Vider les poubelles devant les marches de l’escalier d’en avant et d’en arrière du logement;
Posséder trois animaux dans le logement et laisser les deux chats dehors dans la cour les laissant miauler alors que la locataire n’est pas à son logement.
Claquer violemment les portes d’avant et de l’arrière;
Faire des menaces;
Proférer des insultes et des grossièretés.
[5] Cette lettre est signée par madame Boulanger et contresignée à titre de témoin par trois autres locataires.
[6] Pour faire suite à la réception de cette lettre, la locatrice rencontre la locataire qui minimise les problèmes.
[7] Le 26 juillet 2010, la locatrice envoie une mise en demeure à la locataire mentionnant qu’elle a reçu des plaintes concernant les comportements fautifs et mentionnant au passage que la présence de chats et de chiens est interdite dans l’immeuble. Il est par ailleurs demandé à la locataire de quitter le logement pour le 1er septembre 2010.
[8] Le 2 août 2010, la locatrice reçoit une lettre de la locataire laquelle mentionne que depuis son arrivée en 2007 jusqu’en avril 2010, il n’y a pas eu de plainte relativement à ses animaux ou en référence à des bruits nuisibles provenant de chez elle. Qu’elle est victime de harcèlement depuis l’arrivée du nouveau locataire situé au logement 5412 ayant dû intervenir pour faire suite à des beuveries. Les gestes d’intimidations posés sont les suivants :
Arroser le chat au boyau d’arrosage;
Regards intimidants;
Langage vulgaire à l’égard de la locataire;
Plaintes concernant une petite clôture installée sur son balcon.
[9] La locataire mentionne de plus qu’elle se fait épier par les voisins qui regardent par sa fenêtre et prétend que les plaintes des autres locataires sont des manœuvres afin de récupérer le logement pour un membre de leur famille. Elle termine sa lettre en mentionnant qu’elle donne un avis de trois mois de son futur déménagement.
[10] Le 12 août 2010, la locataire écrit à nouveau à la locatrice afin de confirmer une discussion. La lettre se lit comme suit :
« […]La présente fait suite à notre rencontre, à mon domicile ([…]), le 10 août 2010 en présence de votre mari et de ma fille Kelly.
En effet, pour faire suite à la réception de ma précédente lettre en date du 2 août 2010, vous être venue chez moi avec votre mari afin de désamorcer la situation et de régler à l’amiable le problème que vous aviez initié.
Je comprends de notre discussion que vous avez mentionné que je pouvais quitter à ma convenance, c’est à dire dans 2 mois, 3 mois ou en juin 2011, et que le dernier mois de location serait gratuit. Je vous en sais gré et cette lettre confirme le tout. […] » (sic)
[11] Le 20 août 2010, la locatrice répond en ces termes :
« […] La présente lettre fait suite à notre rencontre du 10 août 2010 visant entre autres à régler à l’amiable les plaintes de bruit que j’ai reçu du voisinage à votre égard, ainsi qu’à votre lettre datée du 12 août 2010 qui notamment ne respecte par notre entente convenue lors de cette même rencontre.
Sachez que nous avons convenu que vous quitterez le logement dans les 3 mois avec un mois de location gratuit. Il n’a jamais été question de laisser à votre convenance la date de départ de votre logement jusqu’en juin 2011.
D’autre part, vous avez été avisé de la présence de votre chien qui n’est pas admis dans votre logement comme qu’indiqué clairement dans votre bail.
C’est pourquoi, je vous demande de confirmer l’annulation de votre bail par écrit avec votre signature indiquant clairement la date de votre départ du logement qui ne devra pas excéder le 31 décembre 2010.
En l’absence de collaboration de votre part, et ce dans un délai maximal de 15 jours suivant la réception de la présente lettre, j’entreprendrai les démarches légales nécessaires. […] » (sic)
[12] La locataire n’a toujours pas quitté le logement et la locatrice a déposé son recours à la Régie du logement le 7 septembre 2010. Depuis cette demande, d’autres plaintes sont venues s’ajouter, entre autres la locataire habitant un étage plus bas, madame Lucie Boulanger, se plaint avoir reçu de l’eau sur la tête.
[13] Le premier témoin de la locatrice, madame Lucie Boulanger, affirme avoir rédigé la lettre envoyée à la locatrice le 19 juillet 2010 et que cette lettre a été écrite par une autre locataire, madame Elena Bessa. Elle confirme demeurer au rez-de-chaussée et mentionne qu’il y avait beaucoup de bruit provenant de l’étage du dessus, qu’il y avait de la bataille et des cris. Elle mentionne que c’était fréquent le soir et la nuit avec une pointe en septembre et octobre 2009.
[14] Madame Boulanger continue en témoignant avoir discuté avec la locataire, avoir sonné chez elle et que sa fille était présente. Elle a alors demandé d’arrêter de faire du bruit.
[15] En février 2010, la situation s’est dégradée et elle devait crier d’arrêter et leur mentionner qu’il y avait des gens qui vivaient en bas. En mai 2010, madame Boulanger raconte que la locataire se rend dans sa cour. Qu’en juin 2010, elle a lancé des chaudières d’eau qui tombaient sur les marches d’escalier.
[16] Madame Boulanger continue en témoignant que la locataire a monté le volume de sa sonnette de porte et qu’elle la faisait sonner. En janvier 2011, elle déplace des meubles dans le salon tous les jours et affirme que lorsque la locataire n’est pas là ce sont ses filles. Madame Boulanger évoque avoir entendu la locataire dire à ses filles « n’oublie pas de faire du bruit ».
[17] Madame Boulanger soutient que la locataire secoue ses tapis sur son linge sur la corde, qu’elle a deux chats et un chien et que ses animaux font leur besoin dans la cour. Elle affirme aussi que consécutivement à l’intervention de la police, la fille de la locataire s’est rendue à son domicile et a dit à son conjoint : « Je vais te faire sauter la cervelle ». Aucune plainte n’a été faite au service de police.
[18] Le 9 mai 2012, madame Boulanger mentionne avoir fait une nouvelle plainte à la locatrice parce que la locataire lui a dit des propos disgracieux. Le 30 mai 2012, la locataire laisse japper son chien pendant plus de deux heures.
[19] Une autre locataire, madame Elena Bessa, témoigne demeurer dans l’immeuble depuis 1992 et qu’elle est la voisine de palier de madame Boulanger. Qu’elle a aidé madame Boulanger à écrire la lettre du 19 juillet 2010, mais que c’était uniquement pour la mise en forme sur ordinateur parce que la lettre a été dictée par sa voisine. Qu’elle a entendu des bruits extérieurs parce que la locataire déplaçait des meubles sur le balcon arrière. Que les chats de la locataire se promènent dans la cour et que cette situation la dérange puisqu’elle souffre d’allergies et d’asthme, mais que ça ne lui causait pas de trouble dans son appartement.
[20] Le voisin de palier de la locataire, monsieur Marhraoui, mentionne quant à lui habiter l’immeuble depuis février 2010 et partager le même escalier que la locataire. Qu’il a lu la lettre du 19 juillet avant de la signer et qu’il était d’accord. Qu’il a été témoin de la chicane entre la locataire et madame Boulanger. Que lui-même n’a eu qu’une seule altercation avec la locataire, mais que mis à part cet événement il n’y a pas eu de problème et n’a rien vu d’anormal.
[21] Pour terminer, le conjoint de madame Boulanger, monsieur Michel Turgeon, mentionne que les meubles au-dessus de leur chambre sont déplacés 3 ou 4 fois par semaine, le soir et la nuit. Qu’il a vu la locataire verser de l’eau de son balcon. Que les chats vont jouer dans la cour arrière. Qu’elle a secoué ses tapis au-dessus de sa fenêtre. Que les enfants de la locataire ont lancé des cosmétiques et des livres en bas du balcon le 20 septembre 2011.
[22] Quant à la locataire, elle confirme que les policiers sont venus à cinq reprises, qu’il n’y avait pas de bruit chez elle alors il n’y a pas eu d’avertissements. Qu’il est vrai que son chien a jappé à une reprise alors qu’elle l’avait oublié dehors. Que sa sonnette n’a jamais eu de volume et qu’elle a été installée il y a deux ans.
[23] La locataire témoigne que les problèmes ont commencé à la suite d’un quiproquo avec son voisin de palier en 2010. Qu’elle travaille dans un bar le dimanche de 9 h 00 à 19 h 00, le lundi de 9 h 00 à 17 h 00, le mardi de 9 h 00 à 12 h 00 et le mercredi de 17 h 00 à 22 h 00. Qu’elle ne fait pas plus de bruit que la normale, elle nie de plus avoir jeté de l’eau du haut de son balcon ou avoir déplacé des meubles tous les jours. Elle mentionne que l’immeuble a plus de 70 ans et que les murs sont de papier. Elle mentionne que madame Boulanger a téléphoné à la police à 10 h 30 parce qu’elle passait la balayeuse. Et que ses filles ont échappé un sac de cosmétiques qu’elles se sont empressées de ramasser.
[24] Pour terminer, la locataire mentionne que si ces voisins d’en dessous font des plaintes, c’est qu’ils veulent qu’un membre de leur famille puisse venir demeurer dans son logement. Elle admet posséder deux chats et un chien.
Le droit
[25] Pour commencer, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention de façon prépondérante et probable. Ainsi, la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante.[1] Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra ses prétentions rejetées.
[26] Nous pouvons lire à l’article
[27] Le locateur a l’obligation quant à lui de procurer la jouissance paisible des lieux loués à chacun de ses locataires.[2] Un locataire troublé peut obtenir sous certaines conditions, la résiliation de son bail, une diminution de loyer ou des dommages-intérêts advenant le défaut du locateur.[3] Ce dernier a donc l’obligation de prendre les moyens nécessaires afin de faire cesser le trouble lorsque des plaintes lui sont acheminées. Il doit agir avec diligence afin de ne pas exposer sa responsabilité. Afin de mettre en œuvre ses recours, le locateur doit mettre en demeure le locataire d’exécuter ses obligations.[4]
[28] Quant aux animaux, les clauses d’un bail visant l’interdiction d’en posséder sont légales. Lorsqu’un locataire signe librement et sans contrainte telle interdiction, il doit s’y conformer.
[29] Qu’en est-il lorsque le locateur tolère tout de même des animaux?
[30] La tolérance du locateur à l’égard de la présence d’animaux n’est pas créatrice de droits et ne peut constituer une renonciation à exiger le respect de la clause librement contractée.[5]
Analyse
[31] En ce qui concerne le présent cas, la preuve quant aux bruits excessifs dont se plaignent madame Boulanger et monsieur Turgeon ne satisfait pas les critères objectifs permettant de résilier le bail sur ce motif. En effet, seuls les deux locataires récriminent qu’il y a du bruit provenant de l’appartement de la locataire. Le voisin de palier de cette dernière affirme qu’il a effectivement signé la lettre que lui a présentée madame Boulanger, mais mis à part une altercation avec la locataire, il n’a pas été témoin de bruits excessifs, n’a pas eu de problème et n’a rien remarqué d’anormal. Le témoignage de madame Bessa est au même effet, elle a aidé madame Boulanger à écrire la lettre sur ordinateur, mais cette dernière a été dictée par sa voisine. Encore une fois, ce témoin a mentionné avoir entendu une fois la locataire déplacer ses meubles sur la galerie, mais rien de plus quant aux bruits. Comme le disait la locataire, l’immeuble est âgé d’environ 70 ans et les murs sont de papier alors il est plausible que madame Boulanger et monsieur Turgeon aient été dérangés par les sons provenant du logement au-dessus, mais une preuve objective n’a pas été faite que la situation était hors de la normale.
[32] Quant au fait que la locataire a secoué ses tapis à partir de son balcon, le tribunal ne peut considérer ce geste comme étant excessif. Faut-il se rappeler que la locataire n’a pas accès à la cour arrière, que les locataires du rez-de-chaussée défendent leur territoire en empêchant les gens d’y circuler. Que dire du fait que les filles de la locataire ont laissé tomber leur sac à cosmétiques et que monsieur Turgeon en conclut que les jeunes filles lui ont lancé le contenu de leur sac? Le tribunal a de la difficulté à donner de l’importance à un tel témoignage toutefois il lui est permis de constater le manque de tolérance de madame Boulanger et de son conjoint.
[33] En ce qui concerne les animaux de compagnie, bien que la locatrice ait toléré pendant plusieurs années leur présence n’autorise pas aujourd’hui la locataire d’agir en contravention de la clause qu’elle a librement consentie. La locatrice demande aujourd’hui le respect de la clause puisque les animaux dérangent les autres locataires et parce qu’elle a reçu des plaintes à cet égard. La locataire a admis avoir oublié son chien, quant aux excréments retrouvés dans la cour arrière, cet élément n’a pas été contredit. Ces évènements sont de nature à troubler la jouissance paisible des lieux des autres locataires et justifient le respect de la clause prévue au bail.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[34] REJETTE la demande de résiliation du bail de la locatrice;
[35] ORDONNE à la locataire de se départir de ses animaux dans un délai de trente (30) jours à compter de la présente décision;
[36] CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice les frais judiciaires de 74 $.
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Brigitte Morin |
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Présence(s) : |
la locatrice Me Daniel Champagne, avocat de la locatrice |
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Date de l’audience : |
25 juillet 2012 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.