Décision

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Décision

Aqallal c. Ste-Marie

2021 QCTAL 8881

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

522295 31 20200515 G

No demande :

2998437

 

 

Date :

06 avril 2021

Devant la juge administrative :

Karine Morin

 

Amine Aqallal

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jean-Pierre Ste-Marie

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours déposé le 14 mai 2020, le locataire demande l’exécution en nature des obligations du locateur, la résiliation du bail, une diminution de loyer se justifiant par l’absence d’avertisseurs de fumée, de système de verrouillage de la porte d’entrée de l’immeuble et par un manque d’entretien, ainsi que les frais de justice.

[2]      Au jour de l’audience, le locataire informe le Tribunal qu’il a quitté le logement concerné par la présente demande le 31 juillet 2020. Il ne requiert donc plus la résiliation du bail ainsi que l’exécution en nature des obligations du locateur. Au surplus, il se désiste de sa demande en diminution de loyer relativement au manque d’entretien de l’immeuble.

[3]      Le Tribunal doit donc statuer sur la demande de diminution de loyer quant à l’absence d’avertisseurs de fumée et de système de verrouillage de la porte d’entrée de l’immeuble.

[4]      Le locataire réclame donc une diminution de loyer de 200 $ par mois pour chacun des motifs, et ce, du 1er septembre 2019 au 14 mai 2020, date à laquelle le locateur a vendu son immeuble.

LES FAITS 

[5]      De l’ensemble de la preuve entendue à l’audience, le Tribunal retient ce qui suit.

[6]      Les parties étaient liées par un bail du 1er septembre 2019 au 31 août 2020 au loyer mensuel de 1 045 $. Suite à une entente avec les nouveaux propriétaires, le locataire a quitté le logement le 31 juillet 2020.

[7]      Dès son arrivée au logement, le locataire constate qu’il n’y a pas d’avertisseurs de fumée dans son logement ainsi que dans les corridors et escaliers de l’immeuble. Il constate aussi l’absence de système de verrouillage de la porte de l’entrée de l’immeuble.


[8]      Il témoigne en avoir informé verbalement le locateur en septembre et octobre 2019.

[9]      Le locateur explique qu’en septembre 2019, les avertisseurs de fumée étaient absents en raison des rénovations faites dans l’immeuble. Lorsqu’il en a été informé, le locateur a fourni un avertisseur de fumée au locataire. Celui-ci ne pouvait être fixé au socle déjà en place au plafond du logement. Le locateur demande au locataire d’en informer le contracteur présent sur les lieux afin que celui-ci veille à le lui installer convenablement.

[10]   Le locataire ne se souvient pas en avoir parlé au contracteur mais insiste pour dire que le locateur devait s’assurer de l’installation convenable de l’avertisseur. De son côté, le locateur mentionne avoir conclu que la problématique était réglée puisqu’il n’a plus eu de suivi du locataire par la suite.

[11]   Une mise en demeure est envoyée au locateur le 2 avril 2020 pour y dénoncer certaines problématiques, dont celle de l’absence d’avertisseurs de fumée. Le locataire reconnait qu’il n’y fait pas mention de l’absence de système de verrouillage de la porte d’entrée de l’immeuble. Par ailleurs, le locateur n’a pas souvenir d’avoir été informé verbalement de la problématique du verrouillage de la porte d’entrée.

[12]   En raison de ce manquement, le locataire contacte la Ville de Montréal en avril 2020. Le 1er juin 2020, soit après la vente de l’immeuble, un inspecteur constate que la porte d’entrée n’est pas verrouillée. Selon le locataire, le locateur ne pouvait ignorer cette problématique.

[13]   De son côté, le locateur indique que la porte d’entrée est munie d’un système de verrouillage, mais que, à la demande des anciens locataires, celui-ci n’avait pas été activé. Il en a donc informé l’inspecteur de la Ville lorsqu’il a reçu son appel. Comme il ne peut se rendre à l’immeuble en raison des restrictions sanitaires imposées par la pandémie, il en a informé les nouveaux propriétaires de l’immeuble. Ces derniers ont installé un système de communication afin de permettre de déverrouiller la porte d’entrée à distance, mais, même sans ce système, la porte d’entrée de l’immeuble pouvait être verrouillée.

[14]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve des parties.

ANALYSE ET DÉCISION 

Fardeau de preuve 

[15]   Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.

[16]   Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

Les troubles de jouissance

[17]   Le locateur a, notamment, l'obligation de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement (article 1854 C.c.Q.), le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité (article 1910 C.c.Q.) et l'exécution de toutes les réparations nécessaires, sauf les menues réparations d'entretien à moins que celles-ci ne résultent de la vétusté ou d'une force majeure (article 1864 C.c.Q.).  

[18]   L'obligation du locateur de procurer la libre jouissance des lieux loués constitue l'essence même du bail, une obligation fondamentale et essentielle. Cette obligation en est une de « résultat ».

[19]   L'inexécution d'une obligation prévue par la Loi confère au locataire le droit de demander, entre autres, l'exécution en nature des obligations du locateur, une diminution de loyer et des dommages[1].

[20]   En ce qui a trait au recours en diminution de loyer, le locataire doit démontrer, par prépondérance de preuve, que le locateur a failli à son obligation de lui procurer la jouissance paisible de son logement et qu'il en a subi une perte de valeur locative qui est réelle, sérieuse, significative et substantielle[2].


[21]   Pour justifier une diminution de loyer, le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique. Il doit s'agir d'un trouble sérieux.

[22]   Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre entre le loyer payé par le locataire et la prestation de service du locateur[3].

[23]   Par ailleurs, bien que l'existence d'une obligation confère au locataire le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard, l'envoi d'une mise en demeure constitue un prérequis à la sanction de ce droit[4] à moins que la preuve révèle des faits établissant que le locateur est en demeure de plein droit (article 1597 C.c.Q.).

[24]   La jurisprudence et la doctrine[5] exigent, généralement, que le locataire dénonce clairement les reproches formulés eu égard à la perte de jouissance subie afin de permettre au locateur de corriger la situation dans un délai raisonnable, à défaut de quoi les procédures judiciaires ne peuvent être entreprises (article 1595 du Code civil du Québec).

Le locataire a-t-il droit à une diminution de loyer? 

[25]   Aucune mise en demeure n’a été transmise au locateur relativement à la problématique de l’absence de dispositif de verrouillage de la porte d’entrée de l’immeuble. Le Tribunal n’accorde donc aucune diminution de loyer quant à celle-ci.

[26]   Par ailleurs, le locataire a démontré l’absence d’avertisseurs de fumée convenablement installés dans son logement et dans les aires communes de l’immeuble. La preuve prépondérante ne révèle pas de faute contributive du locataire. Cette problématique a été dénoncée au locateur dès le mois de septembre 2019 et par la mise en demeure du 2 avril 2020.

[27]   Le Tribunal conclut que le locataire a subi une perte de jouissance suffisamment importante pour justifier une diminution de loyer.

[28]   Afin de déterminer le montant de la diminution de loyer à laquelle le locataire a droit, le Tribunal doit effectuer une évaluation de la perte de valeur locative de façon objective, globale et équitable[6].

[29]   Dans les circonstances, après évaluation de l'ensemble de la preuve, le Tribunal estime juste et raisonnable d'accorder au locataire une diminution de loyer globale au montant total de 95 $, pour la perte de valeur locative subie en lien avec l’absence d’avertisseurs de fumée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]   CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 95 $ à titre de diminution de loyer avec les intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2020;

[31]   CONDAMNE le locateur à payer au locataire les frais de justice de 85 $;

[32]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine Morin

 

Présence(s) :

le locataire

le locateur

Date de l’audience :  

8 mars 2021

 

 

 


 



[1] Article 1863 C.c.Q.

[2] Denis Lamy, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 29-30.

[3] Girard c. Placements Bédard J.L. 84-53 (R.L.).

[4] Article 1590 du Code civil du Québec.

[5] 9071-9048 Québec Inc. c. Gatineau (Ville de), 2006 QCCQ 7274, JE 2006-1654; Lamy Denis, La diminution du loyer, Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p. 40. Voir aussi, Thérèse Rousseau-Houle et Martine De Billy, Le bail du logement : Analyse de la jurisprudence, 1989, Collection Wilson et Lafleur, page 101.

[6] Précité, note 3, p. 19.

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