Westmount Square Residential c. Arthur Amro Holdings Inc. |
2020 QCTAL 7509 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
539760 31 20201007 G |
No demande : |
3082068 |
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Date : |
11 novembre 2020 |
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Devant le juge administratif : |
Luk Dufort |
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Westmount Square Residential Limited Partnership |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Arthur Amro Holdings Inc |
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Locataire - Partie défenderesse |
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et |
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Placements Isandre Inc.
Liana Amro |
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Partie intéressée |
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement, la condamnation de la locataire à la somme de 4 981 $ par mois à titre de dommages, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel, la condamnation de la locataire au paiement des frais et la condamnation de la locataire au paiement des frais reliés à l’éviction du logement.
[2] Le jour de l’audience, la locatrice se désiste de sa réclamation en dommage et au paiement des frais reliés à l’éviction du logement, mais demande au Tribunal de réserver ses droits.
[3] Le recours de la locatrice est basé sur l’article 1889 du Code civil du Québec (C.c.Q) qui prévoit qu’un locateur peut obtenir l’expulsion du locataire qui continue d’occuper les lieux loués après la fin du bail.
[4] Lors de l’audience, la locatrice fait valoir un moyen préliminaire par rapport à la défense que veut faire valoir la locataire.
QUESTION EN LITIGE
[5] Est-ce que dans le cadre d’une demande entreprise en vertu de l’article 1889 C.c.Q, la locataire peut faire valoir qu’elle n’a pas sous-loué son logement pendant une période de 12 mois si elle n’a pas contesté l’avis de modification de bail transmis en vertu de l’article 1944 C.c.Q dans le délai d’un mois prévu à l’article 1948 C.c.Q?
CONTEXTE
[6] Les parties étaient liées par un bail du 1er août 2019 au 31 juillet 2020 au loyer mensuel de 2 981 $.
[7] Le 24 avril 2020, la locatrice faisait parvenir à la locataire en mettant en copie conforme Mme Liana Amro l’avis suivant :
«Sir,
We hereby notify you that your lease will not be renewed on July 31st, 2020.
Thus, it appears that you have subleased the dwelling for more than twelve (12) months to Mrs. Liana Amro. Therefor the Lease will be terminated on July 31st , 2020.
We thus request you to take all necessary steps to make sure that the subtenant Mrs. Liana Amro vacates the dwelling # 1116 upon expiry of the lease.»
[8] Le 29 juillet 2020, la locatrice informe la locataire qu’en raison de la période de pandémie actuelle qu’elle acceptait de prolonger le bail jusqu’au 1er octobre 2020, sans renoncer à ses droits.
[9] La locataire admet avoir reçu les avis, mais occupe toujours le logement le jour de l’audience. Elle entend faire valoir comme défense qu’elle n’a pas de sous-location du logement.
[10] La locatrice s’oppose à ce motif de défense, car la locataire n’a pas contesté l’avis transmis en vertu de l’article 1944 Cc.Q en ne déposant pas un recours à la Régie du logement[1] dans le délai d’un mois comme le prévoit l’article 1948 C.c.Q et qu’elle est donc réputée avoir accepté la fin de son bail.
ANALYSE ET DÉCISION
[11] Les articles 1889,1936,1944, 1948 et 2847 C.c.Q, sont les articles pertinents dans cette affaire :
« 1889. Le locateur d’un immeuble peut obtenir l’expulsion du locataire qui continue d’occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue au cours du bail pour la remise des lieux; le locateur d’un meuble peut, dans les mêmes circonstances, obtenir la remise du bien.
1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi.
1944. Le locateur peut, lorsque le locataire a sous-loué le logement pendant plus de 12 mois, éviter la reconduction du bail, s’il avise le locataire et le sous-locataire de son intention d’y mettre fin, dans les mêmes délais que s’il y apportait une modification.
Il peut de même, lorsque le locataire est décédé et que personne n’habitait avec lui lors de son décès, éviter la reconduction en avisant l’héritier ou le liquidateur de la succession.
1948. Le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois, ainsi que l’héritier ou le liquidateur de la succession d’un locataire décédé, peut, dans le mois de la réception d’un avis donné par le locateur pour éviter la reconduction du bail, s’adresser au tribunal pour en contester le bien-fondé; s’il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la fin du bail.
Si le tribunal accueille la demande du locataire, mais que sa décision est rendue après l’expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s’adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale.
2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
[12] Dans la décision rendue par la Cour du Québec en appel d’une décision de la Régie du logement avec des faits similaires à notre dossier, le juge Gatien Fournier évalue la situation de la façon suivante :
«[29] À l'instar de cette décision, le Tribunal est d'avis que l'ensemble des conditions énoncées au terme de l'article 1944 C.c.Q., afin d'éviter la reconduction du bail qui liait les parties, ont été rencontrées par le Requérant.
[30] La preuve révèle en effet que le Requérant a, dans le délai imparti, fait parvenir à l'Intimée un avis de non-reconduction du bail suivant l'article 1944 C.c.Q.
[31] De son côté, l'Intimée ne s'est pas prévalue, dans le mois suivant la réception de l'avis de non-reconduction de bail, de son droit prévu à l'article 1948 C.c.Q. de s'adresser au Tribunal pour en contester le bien-fondé.
[32] Le défaut par l'Intimée de s'adresser au Tribunal suivant l'article 1948 C.c.Q. a établi une présomption en faveur du Requérant. L'Intimée est ainsi réputée avoir accepté la fin du bail au 30 juin 2012.
[33] Cette présomption légale absolue ne peut, par ailleurs, être réfutée[10].
[34] L'Intimée soutient que l'article 1948 C.c.Q. ne s'applique que dans le cas où un locataire a sous-loué son logement pendant plus de douze mois. Or, puisqu'elle est d'avis qu'elle n'a pas sous-loué son logement pendant plus de douze mois, l'article 1948 C.c.Q. ne s'applique pas à sa situation. Elle n'était donc pas tenue de s'adresser au Tribunal pour contester le bien-fondé de l'avis donné par le locateur suivant l'article 1944 C.c.Q. [Nos soulignés]
[35] Le Tribunal ne peut souscrire aux prétentions de l'Intimée quant à l'interprétation qu'elle donne à l'article 1948 C.c.Q.
[36] Comme le souligne Pierre-André Côté dans son ouvrage Interprétation des lois[11]:
157. L'interprétation de la loi exige la prise en considération d'une série de facteurs qui font l'objet d'une pondération en vue d'arriver au vrai sens ou au meilleur sens d'un texte. Dans l'histoire, la gamme de ces facteurs s'est tantôt étendue et tantôt restreinte. La période récente est marquée par une extension de la gamme des facteurs qu'il est non seulement possible, mais aussi recommandé de prendre en compte dans l'interprétation.
158. Cette extension est associée à la montée de l'interprétation contextuelle, qui est de plus en plus favorisée par la doctrine et par la jurisprudence. On reconnaît aujourd'hui que le sens des mots ne peut pas être déterminé en dissociation du contexte. La règle du sens clair des textes, la Plain Meaning Rule, qui voulait restreindre l'interprète à la considération du seul sens littéral du texte lorsqu'il est clair est maintenant, on peut le dire, tombée en discrédit.
159. Aucun texte n'est plus représentatif de ce mouvement d'élargissement des sources d'interprétation et n'a plus contribué à le promouvoir que le passage suivant, extrait de la deuxième édition du traité d'Elmer A. Driedger, et connu sous l'appellation de «principe moderne d'interprétation»:
«Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.»[12]
160. Cet extrait a été cité pas moins de 59 fois à la Cour suprême du Canada entre 1984 et le début de 2006[13]. Il a été présenté par celle-ci comme l'expression de LA méthode à suivre dans l'interprétation des lois au Canada. La formule de Driedger peut difficilement prétendre exprimer, à elle seule, tous les principaux éléments de la méthode d'interprétation que devraient suivre les juristes canadiens[14]. Néanmoins, il faut reconnaître qu'elle a fortement contribué à faire sauter le verrou que constituait la Plain Meaning Rule et à promouvoir une méthode d'interprétation contextuelle, faisant appel à une gamme étendue de facteurs et ouverte notamment à la prise en compte des objectifs des dispositions et des lois interprétées.
[37] Bien qu'au sens littéral du texte, l'expression "Le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de 12 mois" que l'on retrouve à l'article 1948 C.c.Q. pourrait signifier ce que soutient l'Intimée, ce n'est néanmoins pas le sens qu'a bien voulu lui donner le législateur.
[38] Cette expression ne doit pas être lue isolément mais plutôt en tenant compte du contexte de l'article 1944 C.c.Q.
[39] L'article 1948 C.c.Q. reprend l'expression utilisée à l'article 1944 C.c.Q. afin de préciser les droits et recours offerts à un locataire ayant reçu un avis de son locateur suivant ce dernier article.
[40] Ce locataire auquel le législateur fait référence aux articles 1944 et 1948 C.c.Q. peut donc, suivant l'article 1948 C.c.Q., s'adresser au tribunal pour contester le bien-fondé de l'avis donné par le locateur.
[41] L'article 1948 C.c.Q. permet justement à un locataire, qui dans les faits n'a pas sous-loué son logement pendant plus de douze mois, de contester la prétention de son locateur pour ainsi éviter la fin du bail.
[42] Soutenir que seuls les locataires ayant, dans les faits, sous-loué leur logement pendant plus de douze mois sont tenus de s'adresser au Tribunal pour contester le bien-fondé de l'avis du locateur suivant l'article 1944 C.c.Q., n'a pas de sens. Une contestation dans une telle situation serait sans mérite et vouée automatiquement à l'échec.
[43] L'article 1948 C.c.Q. s'applique plutôt aux cas comme celui de l'Intimée qui est d'avis qu'elle n'a pas sous-loué son logement pendant plus de douze mois. Cet article permet ainsi à ces locataires de faire la démonstration au Tribunal qu'ils n'ont pas sous-loué leur logement pendant plus de douze mois et d'éviter la fin du bail. L'Intimée ne s'est malheureusement pas prévalue de ce droit. Elle est donc réputée avoir accepté la fin du bail avec toutes les conséquences que cela représente[2]» (Références omises)
[13] Cette décision a été appliquée par la suite par plusieurs décisions de la Régie du logement[3].
[14] Dans une décision récente du Tribunal administratif du logement[4], la juge administrative Manon Talbot conclut que même dans le cadre d’un recours entrepris par l’article 1889 C.c.Q, il appartient au locateur de démontrer l’existence de la sous-location pour se prévaloir de l’article 1948 C.c.Q :
«[30] En l’instance, vu l'absence d'un contrat écrit de sous-location entre la locataire et ses petits-fils, il revenait au locateur d’établir des faits suffisamment convaincants pour permettre de déceler une intention réelle des parties à sous-louer le logement.
[31] De l'ensemble des faits mis en preuve, il ne peut être dégagé une intention de la locataire de ne plus habiter ce logement du fait de sa condition de santé et de son âge avancé. La seule déclaration du mandataire du locateur à l’audience concernant l’absence de la locataire au logement est nettement insuffisante pour conclure à l’existence d’une sous-location. Tout au plus, la preuve démontre que la locataire permet à ses petits-fils de vivre dans ce logement, ce qui peut être interprété comme un prêt à usage comme le permet l'article 2313 C.c.Q.
[32] Cela étant, le Tribunal conclut que l’avis du locateur pour non-reconduction du bail est invalide et, incidemment, que la locataire n’avait pas à s’adresser au Tribunal selon l’article 1948 C.c.Q. pour s’opposer à l’avis du locateur, ayant avisé ce dernier que le logement n’était pas sous-loué.
[33] Le bail a donc été reconduit au 1er juillet 2020.
[34] En conséquence, la demande du locateur au motif que la locataire occupe sans droit le logement est mal fondée et doit être rejetée.»
[15] Le Tribunal partage l’interprétation de l’article 1948 C.c.Q qui est faite par le juge Fournier dans la décision Adam c. Saulnier[5]. Le législateur a prévu à l’article 1948 C.c.Q le mécanisme que doit utiliser un locataire pour contester la prétention d’un locateur qu’il sous-loue son logement depuis plus de 12 mois.
[16] La conséquence pour la locataire de ne pas s’être adressée au Tribunal dans les 30 jours de la réception de l’avis de modification du bail pour contester son bien-fondé fait en sorte qu’elle est réputée avoir consenti à la fin du bail. Comme le prévoit l’article 2847 C.c.Q, cette présomption de faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
[17] La locataire qui conteste qu’elle a sous-loué son appartement ne pouvait attendre comme elle l’a fait que la locatrice entreprenne un recours en vertu de l’article 1889 C.c.Q pour contester le contenu de l’avis de modification de bail.
[18] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le bail de la locataire est terminé depuis le 1er octobre 2020 et que la locataire occupe le logement sans droit.
[19] Le Tribunal est d’avis que dans les circonstances de cette affaire, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire nonobstant appel en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[20] ACCUEILLE la demande de la locatrice;
[21] ORDONNE l'expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;
[22] RÉSERVE les droits de la locatrice;
[23] CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice les frais judiciaires de 101 $;
[1] Maintenant Tribunal administratif du logement depuis le 1er septembre 2020
[2] Adam c. Saulnier, 2014 QCCQ 1958
[3] Voir notamment 4241843 Canada inc. c. Ghaleb, 2017 QCRDL 13315; Gavrila c. Apostolova, 2018 QCRDL 28071; Miromont gestion inc c. Sankara, 2018 QCDRL 35364; Iyadurai c. El Oeudghiri el Idrissi, 2019 QCDRL 288883
[4] Stuart Realty Inc. c. Debellis, 2020 QCRAL 1252
[5] Supra note 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.