Décision

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R. c. Rondeau

2023 QCCS 1829

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE 

JOLIETTE

 

No :

705-01-113277-208

 

 

 

DATE :

29 mai 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant

c.

 

ÉRIC RONDEAU

Accusé

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT sur la peine

______________________________________________________________________

 

1.        CONTEXTE

[1]               Le 26 janvier 2023, le jury trouve Éric Rondeau coupable de conduite dangereuse causant la mort de Félix-Antoine Gagné, 19 ans, aux termes de l’article 320.13(3) C.cr.. Il convient maintenant de prononcer la peine. La Couronne réclame huit mois d’emprisonnement et une interdiction de conduire de cinq ans. La défense plaide qu’une peine avec sursis de six mois de prison, assortie d’une interdiction de conduire de deux ans, s’avère appropriée.

[2]               L’article 320.21 C.cr. rend le contrevenant passible de l’emprisonnement à perpétuité assortie d’une amende minimale de 1 000 $. Les articles 320.24(4) et 320.24(5) permettent au tribunal d’émettre une ordonnance d’interdiction de conduire pour une durée qu’il juge appropriée, en plus de la durée d’emprisonnement ordonnée.

[3]               L’article 320.22 C.cr. énumère une série de circonstances aggravantes, en sus de toutes autres, dont le tribunal doit tenir compte. Seul l’alinéa f) peut possiblement trouver application en l’espèce. Il s’agit de la conduite « d’un gros véhicule moteur » par le contrevenant.

Les principes applicables

[4]               L’article 718 C.cr. énonce certains des objectifs et des principes pénologiques pertinents à la détermination de toute peine. Visant tout d’abord à protéger la société, notamment en voulant contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste et paisible et sûre, elle doit viser l’infliction d’une sanction juste visant à :

  • Dénoncer le comportement illégal et le tort causé à la victime ou à la société;
  • Dissuader la commission d’infractions;
  • Isoler, si nécessaire, les délinquants du reste de la société;
  • Favoriser, le cas échéant, leur réinsertion sociale;
  • Assurer la réparation du tort causé, tant à la victime qu’à la société, et
  • Susciter la conscience de responsabilité chez les délinquants, entre autres par la reconnaissance du tort causé.

[5]               Tout cela, en gardant à l’esprit l’importance de prononcer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant comme le prévoit l’article 718.1 C.cr.. À cette fin, un rapport pré-sentenciel peut constituer un outil pour permettre au Tribunal de se décharger de son devoir de considérer si l’emprisonnement constitue la peine la plus appropriée ou si d’autres conclusions apparaissent plus adéquates[1], puisqu’il lui apporte un éclairage utile pour appréhender l’historique de vie de Rondeau et, possiblement, comprendre certaines des circonstances entourant l’infraction.

[6]               Dans R. c. Hills[2] la Cour suprême indique comment déterminer une peine juste et proportionnée, notamment au regard de ces critères législatifs[3]. Elle rappelle que la proportionnalité demeure un précepte central et fondamental du régime de détermination de la peine[4] reposant sur l’équité et la justice, et consistant à prévenir l’infliction d’une peine injuste. Cette proportionnalité s’établit en fonction de la gravité de l’infraction et de la culpabilité morale du contrevenant[5].

[7]               La gravité de l’infraction réfère à son sens littéral qui se reflète dans la peine potentielle déterminée par la loi et dans toute caractéristique précise de la perpétration de l’infraction. Il s’agit de la mesurer en tenant compte des conséquences des agissements de la personne condamnée sur la victime et la sécurité publique, ainsi que de tout préjudice en découlant[6].

[8]               La culpabilité morale ou le degré de responsabilité se mesure en évaluant les éléments constitutifs de l’infraction, donc la mens rea et la conduite du contrevenant lors de l’infraction, incluant tout mobile le cas échéant, en tenant compte de sa situation personnelle et de sa capacité mentale[7].

[9]               Cela permet d’imposer une peine qui ne doit pas excéder la culpabilité morale du contrevenant[8]. Il s’agit d’un exercice éminemment et intrinsèquement individualisé, discrétionnaire ainsi que profondément subjectif[9], gardant à l’esprit qu’il existe souvent plus d’une peine répondant bien à un crime particulier[10].

La situation personnelle de Rondeau

[10]           Rondeau, 48 ans, agronome de formation, en couple depuis plus de 25 ans, père de 2 adolescentes de 12 et 14 ans, jouit du support de sa famille et de ses amis. Il occupe un emploi stable et possède une excellente réputation. Il ne possède aucun antécédent judiciaire.

[11]           Au procès, il témoigne de son incompréhension face aux conséquences de son geste et d’une certaine empathie envers la famille de la victime. Le Tribunal ne remet pas en question sa sincérité. Il ne témoigne pas lors de l’audition sur la peine.

[12]           Le 16 février 2023, les parties conviennent qu’un rapport pré-sentenciel aidera le Tribunal à mieux comprendre la situation personnelle de Rondeau. Le 13 avril 2023, la criminologue Marie-Ève Roussel dépose son rapport. En voici les éléments saillants :

  • Elle ne relève aucun facteur criminogène;
  • L’accident constitue un cas isolé et circonstanciel;
  • Le risque de récidive apparaît faible;
  • Les démarches judiciaires semblent comporter un effet dissuasif significatif.

L’infraction

[13]           Le drame survient le 23 juillet 2019 à Sainte-Élizabeth alors que Rondeau circule en direction sud sur la route 345. Quelques secondes avant la collision, alors qu’il roule dans la voie de droite, il aperçoit une famille de canards qui traverse la chaussée. Il immobilise son véhicule Ford F-150, trainant une remorque à ponton, à l’entrée d’une courbe prononcée vers la gauche, pendant sept secondes.

[14]           Puis, il entreprend lentement une manœuvre vers la gauche, coupant une ligne double jaune, pour que son véhicule et sa remorque se retrouvent entièrement dans la voie inverse, avant d’effectuer une très brève tentative de braquage des roues avant vers la droite lorsqu’il aperçoit la motocyclette de Gagné arrivant vers lui. Toute cette manœuvre dure 12 secondes.

[15]           Au moment de la collision, il roule à 18 km/h et la moto, en toute probabilité, entre 90 km/h et 100 km/h, dans une zone où la limite de vitesse s’établit à 70 km/h. Gagné décède sur le coup.

[16]           La preuve ainsi que le verdict révèlent que l’événement survient à la suite d’une manœuvre dangereuse assortie d’une témérité extraordinaire et non d’une intention de causer l’accident.

[17]           L’on ne peut donc, à proprement parler, relier le crime à une culpabilité morale subjective de Rondeau quant à la commission de l’infraction, puisque le crime relève plutôt de son seul comportement téméraire et irréfléchi et non pas d’une volonté quelconque assumée de commettre l’infraction.

L’impact sur les victimes

[18]           La mère de Gagné, Lynda Poulette, vient exprimer l’immense peine qui l’habite depuis le décès de son fils et l’absence cruelle qu’il laisse dans sa vie. Mélissa Tyo, mère d’un de ses demi-frères, exprime le désarroi qu’entraîne la mort de Félix-Antoine sur la vie de celui-ci. Son oncle, Luc Poulette, fait part des conséquences difficiles qu’engendre l’accident pour sa sœur et lui.

[19]           À l’évidence, aucune peine ne remplacera cette perte ni ne pourra effacer ces blessures. Le tribunal espère que la fin du processus judiciaire permettra de combler en partie la douleur causée par ce vide et que l’écoulement du temps amènera un certain apaisement.

L’application en l’instance

[20]           Dans une matière semblable à celle-ci, le Tribunal se trouve confronté à la situation suivante quant au rapport entre la gravité objective de la conséquence du geste et la culpabilité morale du contrevenant : d’un côté, l’existence de la conséquence la plus sérieuse possible, en l’occurrence la mort d’une personne et, de l’autre, la culpabilité morale subjective quasi inexistante de l’auteur du crime.

[21]           Il s’agit donc de tenter de réconcilier deux pôles décisionnels qui tendent vers un résultat diamétralement opposé; punir sévèrement le contrevenant, vu la gravité de la conséquence de son geste, ou l’absoudre presqu’entièrement au regard de sa culpabilité morale minimale quant à la commission de l’infraction.

[22]           Il importe de rappeler que l’infraction de conduite dangereuse causant la mort comporte un élément particulier quant à la détermination de la culpabilité morale du contrevenant. Le juge des faits doit déterminer la faute morale en fonction d’une approche objective, en l’occurrence en comparant le comportement de l’accusé à celui d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances, tout en tenant compte de son état d’esprit au moment où il pose son geste.

[23]           Habituellement en droit criminel, pour la plupart des infractions, la Couronne doit démontrer la culpabilité morale subjective de la personne accusée, ce que l’on appelle la mens rea. Il faut, dans la plupart des cas, déterminer que le contrevenant pose un geste que le législateur considère comme moralement et socialement suffisamment répréhensible pour en faire une infraction criminelle.

[24]           L’infraction de conduite dangereuse d’un véhicule moteur causant la mort nécessite d’aborder la question de la mens rea subjective de l’accusé d’une façon particulière. En effet, le juge des faits doit analyser selon une norme objective l’état d’esprit de l’accusé au moment de l’infraction. Donc, exprimer autrement, analyser la mens rea subjective de l’accusé selon une norme objective.

[25]           Pratiquement, cela veut dire que les jurés devaient analyser l’état d’esprit de Rondeau au moment de la commission de l’infraction au regard de l’état d’esprit d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. En l’instance, l’état d’esprit d’Éric Rondeau participe à deux déterminations spécifiques que devait faire le jury.

[26]           Premièrement, lors de son analyse de la preuve concernant son état d’esprit pour déterminer si celle-ci établissait, hors de tout doute raisonnable, qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances réaliserait le risque que son comportement créerait. Deuxièmement, lorsqu’il doit déterminer si ce comportement constitue un écart marqué par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans la même situation.

[27]           Dans le premier cas, l’état d’esprit d’Éric Rondeau participe à cette détermination d’une façon objective et non subjective. À charge de redite, normalement, la culpabilité criminelle s’établit en prouvant l’état d’esprit dans une perspective subjective. Voilà une première considération importante.

[28]           Dans le second cas, il ne s’agissait pas de déterminer ses intentions, mais bien de déterminer, au regard de l’ensemble de la preuve, si sa conduite au moment des événements dérogeait de façon marquée aux normes de sécurité qu’observerait un conducteur raisonnablement prudent dans les mêmes circonstances. Encore là, il s’agit d’une approche objective.

[29]           Dans les deux cas, l’état d’esprit de Rondeau demeure un des éléments pertinents à considérer dans l’analyse des jurés, mais il demeure soumis au test objectif de son caractère raisonnable.

[30]           Au procès, Rondeau témoigne qu’il ne désire pas causer un accident et encore moins entrainer la mort de quelqu’un. Il dit agir comme il le fait parce qu’il craint de se faire emboutir à l’arrière par un véhicule dont le conducteur ne verrait pas qu’il tire une remorque à ponton, et ce, à cause de la configuration et de la longueur de celle-ci.

[31]           À l’évidence, son degré de culpabilité morale se situe au bas de l’échelle à cet égard. L’infraction routière qu’il commet bien que très sérieuse, ne comporte pas d’éléments laissant entrevoir une volonté assumée de transgresser les règles établies dans un but illégal.

Les facteurs aggravants

[32]           La Couronne plaide que, aux termes de l’article 320.22(f) C.cr., le fait de conduire un gros véhicule à moteur constitue un facteur aggravant. La loi ne donne cependant aucune définition de ce que constitue ce type de véhicule. Les débats parlementaires ne nous apportent par ailleurs aucun secours puisque cette disposition ne semble pas faire l’objet de débats préalablement à son adoption. Malheureusement, la doctrine et la jurisprudence ne nous fournissent pas davantage de définitions précises.

[33]           En l’espèce, on sait que Rondeau conduit un véhicule Ford F-150 d’une longueur de 6,20 mètres, auquel s’attache une remorque à ponton de 9,50 mètres, pour un total de 15,70 mètres.

[34]           Dans R. v. Reid[11] la Cour supérieure de l’Ontario conclut qu’un « tractor trailer towing a silver tanker »[12] est « a very large motor vehicule »[13]. Rappelons que la loi parle d’un « gros » véhicule et non d’un « très gros » véhicule.

[35]           Dans R. v. O’Keefe[14], l’on comprend que l’accusé conduisait une camionnette F- 150. Référant à l’expression « gros véhicule » prévue à l’article 320.22(f) C.cr., la Cour, alors qu’elle statuait sur la culpabilité de l’accusé, fait le commentaire suivant :

[49] Dans les circonstances, le défendeur pouvait également demeurer dans son véhicule jusqu’à ce qu’il soit suffisamment sobre pour reprendre la route. Tel que mentionné précédemment, le défendeur se trouvait alors en situation de garde et contrôle d’un véhicule sous l’effet de l’alcool, mais cette infraction est d’une gravité subjective moindre que celle de conduire un véhicule routier, particulièrement un « gros véhicule à moteur », sous l’effet de l’alcool.

[36]           Le Tribunal note par ailleurs que la notion de « gros véhicule à moteur » n’existe pas dans le Code de la sécurité routière, C-24.2 lequel réfère notamment aux notions de « véhicule automobile », de « véhicule routier », de « véhicule lourd », d’« ensemble de véhicules routiers » (art. 4) ou de « véhicule hors normes » (art. 462). Pour la définition de « véhicule lourd », il faut toutefois se référer à la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, 2005, c. 39, a. 1, qui prévoit au paragraphe 3 de l’article 2 :

3° sont des « véhicules lourds »:

a)  les véhicules routiers, au sens du Code de la sécurité routière, dont le poids nominal brut est de 4 500 kg ou plus et les ensembles de véhicules routiers au sens de ce code dont le poids nominal brut combiné totalise 4 500 kg ou plus;

b)  les autobus, les minibus et les dépanneuses, au sens du même code;

c)  les véhicules routiers assujettis à un règlement pris en vertu de l’article 622 du Code de la sécurité routière.

[37]           Suivant les définitions prévues à l’article 4 du Code de la sécurité routière, on constate qu’un camion ou une camionnette F-150 – il s’agit d’un « véhicule automobile » au sens de cette dispositiontirant une remorque, constituerait alors « un ensemble de véhicules routiers » au sens du Code de la sécurité routière, soit « un ensemble de véhicules formé d’un véhicule routier motorisé tirant une remorque, une semi-remorque ou un essieu amovible ».

[38]           L’utilisation du bon sens, tant que des dictionnaires, demeurent des outils utiles quant à la détermination de la signification de l’emploi du mot « gros », « large » en anglais, à l’article 320.22(f) C.cr.. À l’évidence, un véhicule moteur de 6,20 mètres jumelé à une remorque à ponton de 9,50 mètres, totalisant donc 15,70 mètres, constitue en toute logique, un « gros » véhicule routier. D’ailleurs, les photographies de la scène de l’accident[15] le démontrent aisément.

[39]           Quant à la définition des dictionnaires pour ces vocables, on note les acceptions suivantes :

  • Dans le Larousse :
    1. Indique le volume, l’épaisseur, la taille dans les comparaisons;
    2. Qui dépasse la moyenne de sa catégorie, en volume, en épaisseur;
    3. Qui a un certain volume relatif, qui est de grande taille par rapport à d’autres ou au reste;
    4. Qui a une étendue considérable.
  • Dans le Robert :
    1. Qui, dans son genre, dépasse la mesure ordinaire;
    2. Grand;
    3. Désignant une catégorie de grande taille par rapport à une autre.
  • Tout en donnant comme synonyme le mot volumineux.

[40]           Pour la version anglaise, le dictionnaire Webster, indique pour le mot « large » :

  1. Exceeding most other things of like kind especially in quality of size.

[41]           Le Tribunal en conclut, que le véhicule F-150 tirant une remorque à ponton utilisé par Rondeau le 22 juillet 2019, constitue un gros véhicule moteur aux termes de l’article 320.22(f) C.cr..Il s’agit donc d’un facteur aggravant.

Les facteurs atténuants

[42]           Au chapitre des facteurs atténuants le Tribunal note l’absence d’antécédent judiciaire, l’âge ainsi que le fait que Rondeau jouit d’une bonne réputation d’un emploi stable et du soutien de sa famille.

[43]           À cet égard, le Tribunal croit utile de préciser les raisons pour lesquelles ces éléments peuvent constituer des facteurs pertinents dans la détermination de la peine, bien qu’en l’espèce, vu la nature du crime, ces facteurs apparaissent jouer un rôle mineur, hormis le lien d’emploi.

[44]           D’une part, bien que cela relève d’une certaine évidence, le fait qu’un prévenu ne vive pas du crime ou dans un milieu criminalisé et qu’il travaille de façon stable laisse entrevoir de meilleures possibilités de réinsertion sociale ou d’absence de récidive. D’autre part, l’impact d’une possible perte d’emploi entraine des conséquences probables sur sa capacité à réintégrer la société sans récidiver, bien qu’à charge de redite, cela s’avère peu utile ici au regard de l’infraction et des circonstances entourant sa commission.

La jurisprudence pertinente

[45]           À l’évidence, l’arrêt Czornobaj c. R.[16] comporte des similitudes factuelles avec la présente instance. Dans cette affaire, l’accusée décide d’immobiliser sa voiture en partie dans la voie de gauche et sur l’accotement d’une autoroute, en activant ses feux de détresse et en actionnant son frein à main, tout en laissant le moteur en marche et sa portière ouverte, car elle aperçoit des canetons sur l’accotement étroit situé entre le muret de ciment séparant les artères ouest et est et la voie de dépassement et qu’elle décide de marcher en sens contraire de la circulation pour tenter de les attraper.

[46]           Alors qu’elle retourne à son véhicule et se met en mouvement, une motocyclette avec deux passagers, un père et sa fille, percute l’arrière de l’automobile, entrainant leurs décès.

[47]           Trouvée coupable de deux chefs de conduite dangereuse causant la mort (294(4)  C.cr.) et de deux chefs de négligence criminelle causant la mort (220(b) C.cr.), le tribunal prononce un arrêt conditionnel des procédures quant aux premières condamnations et une peine de 90 jours de détention, à purger de façon discontinue, assortie d’une probation de trois ans comprenant l’exécution de 240 heures de travaux communautaires et d’une interdiction de conduire pour une période de 10 ans quant aux secondes.

[48]           La Cour d’appel enseigne que l’on ne peut isoler l’interdiction de conduire imposée des autres composantes de la peine, puisqu’il faut en rechercher l’effet global de ses différentes modalités[17]. Elle note que de telles infractions entrainent des peines d’emprisonnement, variant habituellement entre un et trois ans, combinées à des ordonnances d’interdiction de conduire se situant entre deux à cinq ans. Ainsi, bien qu’elle affirme, à deux reprises, que la peine d’incarcération apparaît exceptionnellement clémente alors que l’ordonnance d’interdiction de conduire s’avère très sévère[18], elle conclut qu’il ne s’agit là pas d’une peine manifestement non indiquée[19].

[49]           L’arrêt Ferland c. R.[20] comporte une analyse approfondie de la jurisprudence quant aux peines infligées au Canada depuis 2000 pour des infractions de conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort. Il souligne les limites de l’exercice comparatif dans l’imposition d’une peine[21] notant qu’il s’agit d’un exercice polycentrique requérant la prise en considération de plusieurs facteurs dans l’application des objectifs et des principes pénologiques[22].

[50]           Plus récemment, l’arrêt Silbande c. R.[23] réfère à une abondante jurisprudence[24] en énonçant que la fourchette des peines pour une infraction semblable à celle de l’espèce varie généralement de 12 à 36 mois, bien qu’il existe quelques peines moindres ou plus importantes. Quant aux interdictions de conduire, elles varient de deux à cinq ans, habituellement assorties d’une ordonnance de probation[25].

[51]           Dans les circonstances de l’espèce, la demande de la Couronne quant à l’imposition d’une peine de huit mois d’emprisonnement et une interdiction de conduite de cinq ans n’apparaît pas disproportionnée. Le Tribunal convient que les conséquences du crime s’avèrent on ne peut plus graves, en l’occurrence la mort d’un jeune homme. Il s’agit là d’un drame bouleversant pour la famille et même pour la société dans son ensemble.

[52]           Assurément, bien que l’on puisse légitimement s’interroger sur le bénéfice sociétal d’une telle peine, il importe de retenir que dans l’objectif de dénonciation il ne faut pas perdre de vue la finalité de la sanction. Normalement, la peine participe à dénoncer un geste illégal, moralement et socialement répréhensible. Ici le geste de Rondeau relève plus d’une insouciance ou d’une témérité grossière blâmable que d’une volonté de s’inscrire en faux contre des règles sociales. Évidemment, la société doit sanctionner de tels comportements, mais ceux-ci ne requièrent pas le même degré d’opprobre social qu’un geste foncièrement amoral.

[53]           Son accusation, son cheminement dans le processus judiciaire et sa condamnation participent assurément, d’une certaine façon et dans certaines limites, à cette dénonciation publique. Il n’en demeure pas moins que cela demeure vrai pour toute personne condamnée. Le processus ne constitue pas une peine en lui-même, bien qu’il puisse servir d’un des éléments qui contribue à la prise de conscience du délinquant de la gravité de son geste.

[54]           Quant au caractère dissuasif de la peine, encore une fois, la nature particulière de la commission du crime en l’instance milite en faveur d’une approche nuancée. En effet, Rondeau ne circule pas à une vitesse folle. Il ne se trouve pas sous l’effet d’une drogue, incluant l’alcool. Il s’agit d’une personne sensée qui commet une grave erreur de jugement dans des circonstances particulières.

[55]           À cet égard, la demande de la Couronne pour une peine d’emprisonnement de huit mois atteint l’objectif de proportionnalité.

[56]           La défense plaide pour une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Avec égards, le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit là d’une peine appropriée.

[57]           Dans Lemieux c. R.[26] la Cour d’appel traite de la façon dont le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de pondération des critères pertinents pour déterminer de l’opportunité de prononcer une peine avec sursis[27]. Rappelant que la proportionnalité garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation[28], elle conclut que l’atteinte d’un juste équilibre s’avère donc l’objectif cardinal[29].

[58]           Premièrement, en tenant compte du fait que l’imposition de cette peine demeure ouverte, encore faut-il qu’elle s’avère raisonnable dans les circonstances de l’espèce en tenant compte de la gravité des conséquences qu’entraine la conduite de Rondeau[30].

[59]           Deuxièmement, le Tribunal ne peut ignorer que le législateur augmente la durée de la peine possible de 14 ans à la prison à perpétuité, ce qui signifie qu’en semblable matière, le principe de dissuasion générale et de dénonciation demeurent des considérations primordiales en semblable matière[31]. D’ailleurs, dans l’arrêt Paré, la Cour d’appel réfère à l’arrêt Scraire[32] qui énonce qu’une peine avec sursis ne s’avérera appropriée que lorsque l’ensemble des facteurs atténuants favorise réellement la réhabilitation du prévenu. Il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce.

[60]           Troisièmement, comme l’enseigne l’arrêt R. c. Proulx[33],bien qu’aucun fardeau de preuve n’existe à cet égard, il s’avère dans l’intérêt du délinquant de faire la preuve des éléments militant en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement, ce que Rondeau ne fait pas.

[61]           Le Tribunal souligne cependant qu’il demeure conscient que l’utilisation de ces jurisprudences peut s’avérer douteuse, pour reprendre les propos de la Cour d’appel dans Lemieux[34], mais elles indiquent assurément qu’il ne faut pas minimiser la gravité des conséquences du geste posé et qu’il s’agit là d’un élément important à tenir compte dans l’objectif de dénonciation.

[62]           Par ailleurs, le Tribunal note que l’arrêt Lemieux, reprend[35] les propos énoncés dans Proulx quant aux recours à des ordonnances de services communautaires reliés à la nature de l’infraction, pour souligner que ceux-ci nécessitent l’accord du délinquant. Or le Tribunal ne dispose de rien de tel en l’instance.

[63]           De plus, elle souligne que bien que le sursis possède un effet dissuasif, les circonstances d’une affaire peuvent requérir l’incarcération[36].

[64]           Ainsi, le Tribunal conclut que la peine avec sursis ne constitue pas la peine appropriée dans les circonstances de l’espèce et qu’une peine d’incarcération s’impose.

La question de l’interdiction de conduire

[65]           La période de cinq ans, proposée par le ministère public apparait fort longue, sachant que Rondeau utilise un véhicule pour gagner sa vie. En l’espèce, le Tribunal conclut qu’une période d’interdiction de trois ans s’avère justifiée.

[66]           Donc, tout bien considéré, le Tribunal conclut à une peine d’emprisonnement de huit mois, assortie d’une période d’interdiction de conduire de trois ans, ainsi que l’imposition de l’amende prévue à la loi.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[67]           CONDAMNE Éric Rondeau à une peine d’emprisonnement de huit mois et à une amende de mille dollars (1 000 $) aux termes de l’article 320.21(a) C.cr..

[68]           INTERDIT à Éric Rondeau de conduire tout véhicule à moteur pour une période de trois ans aux termes de l’article 320.24(5) C.cr..

 

 

 

__________________________________

MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S.

 

 

Me Alexandre Dubois

dpcp Saint-Jérôme

Me Jade Coderre

Dpcp joliette

Avocat(e)s de Sa Majesté le Roi

 

Me Richard Dubé

Raby, dubé, leborgne avocats

Avocat de l’accusé

 

Date d’audience :

18 avril 2023

 


[1]  R. v. Mercer, 2015 BCCA 330, par.15.

[2]  2023 CSC 2.

[3]  Id., par. 54-55.

[5]  Id., par. 57.

[6]  Id., par. 58.

[7]  Id.

[8]  Id., par. 59-60.

[9]  Id., par. 62.

[10]  Id., par. 64.

[11]  2022 ONSC 3237.

[13]  Id., par. 11.

[14]  2021 QCCM 10.

[15]  Pièce P-5.

[16]  2017 QCCA 907.

[18]  Id., par. 87, 101-102.

[19]  Id., par. 102.

[20]  2008 QCCA 1168.

[23]  2014 QCCA 1952.

[24]  Id., par. 22-24.

[25]  Id., par. 23.

[26]  2023 QCCA 480.

[27]  Id. par. 90-91.

[28]  Id. par. 100.

[29]  Id. par. 104.

[30]  R. v. Gray 2021, 2021 ONCA 86, par.48.

[31]  Paré c. R., C.A., [1999] R.J.Q. 85 ; R. c. Marion-Richard, 2004 CanLII 73076 (QC C.A.).

[32]  Scraire c. R., C.A., 1998-12-04, [1999] R.J.Q. 89, 500-10-001325-982.

[33]  [2000] 1 R.C.S. 61, par. 129.

[34]  Id. par. 108.

[35]  Id. par. 103.

[36]  Id. par. 104.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.