[1] Le Syndicat des métallos, section locale 7065 se pourvoit contre un jugement rendu le 23 décembre 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marie-Claude Lalande), qui accueille une demande de révision judiciaire d’une décision de la Commission des relations du travail (le Commissaire Bernard Marceau) rendue le 6 juillet 2012. Cette décision accueillait la demande d’amendement du Syndicat, de même que sa requête en accréditation amendée à l’égard des salariés de l’intimée, Entreprises de construction de Québec ltée.
[2] Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Émond, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec dépens;
[4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
[5] REJETTE la requête en révision judiciaire avec dépens;
[6] RÉTABLIT la décision rendue le 6 juillet 2012 par le Commissaire Bernard Marceau de la Commission des relations du travail.
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MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE |
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[7] Le Syndicat des métallos, section locale 7065 (« Syndicat ») se pourvoit contre un jugement rendu le 23 décembre 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marie-Claude Lalande), qui accueille une demande de révision judiciaire d’une décision de la Commission des relations du travail (« CRT ») (le Commissaire Bernard Marceau, « Commissaire ») rendue le 6 juillet 2012. Cette décision accueillait la demande d’amendement du Syndicat, de même que sa requête en accréditation amendée à l’égard des salariés de l’intimée, Entreprises de construction de Québec ltée (« Employeur »)[1].
[8] L’appel porte à la fois sur le degré de déférence qui doit être accordé à la CRT dans l’examen d’une requête en accréditation syndicale, de même que sur le niveau de formalisme exigé par le Code du travail dans le cadre d’une demande d’accréditation.
[9] L’Employeur, une entreprise de construction spécialisée dans les grands travaux et dans les projets miniers et énergétiques, mène des activités d’excavation au complexe minier du Mont-Wright exploité par ArcelorMittal Mines Canada, sur la Côte-Nord.
[10] Il s’agit d’activités saisonnières qui se déroulent de mai à octobre. Toutefois, en 2012, en raison de nouveaux projets, certaines activités débutent dès janvier. L’Employeur procède donc, plus tôt qu’à l’habitude, au rappel d’employés mis à pied et à de nouvelles embauches.
[11]
Le 8 mai 2012, une requête en accréditation en vertu de l’article
[12] L’établissement visé par cette requête est « le site de ArcelorMittal Mines Canada sur site minier du Mont-Wright » et le groupe de salariés est constitué de « tous les salariés au sens du Code du travail, à l’exception des employés de bureau ainsi que tous ceux automatiquement exclus par la loi ».
[13]
Quoique la requête ait été rédigée au nom du Local 5778, les documents
requis par l’article
[14] Le 9 mai 2012, la CRT transmet la requête à l’Employeur et le convoque le même jour, avec le Local 5778, pour une audience fixée au 5 juin 2012.
[15] Le 14 mai 2012, l’Employeur envoie à l’agent des relations de travail en charge du dossier la liste des salariés visés par la requête.
[16] Le 17 mai 2012, le procureur du Syndicat écrit à cet agent pour l’informer qu’il désire amender la requête pour corriger le numéro de la section locale désignée comme le Local 5778 en le remplaçant par le Local 7065, en raison d’une « erreur cléricale ».
[17] Le 23 mai 2012, l’Employeur avise par écrit la CRT qu’il ne conteste pas l’unité de négociation proposée dans la requête, mais s’oppose à la demande d’amendement relative au nom de l’association requérante, puisqu’il s’agit selon lui de la substitution d’une partie pour une autre.
[18] Le 5 juin 2012, l’audience a lieu devant la CRT.
[19] Le 6 juillet 2012, la CRT rend sa décision.
[20] Le Commissaire accueille la demande d’amendement du Syndicat relative au nom de l’association requérante. Bien qu’il finira par accueillir la demande d’accréditation de la section locale 7065, il affirme que la véritable association requérante est le Syndicat des Métallos et que les sections locales ne sont pas des personnes distinctes. Il ajoute que l’Employeur ne subit aucun préjudice du fait de l’amendement, dont le rejet ferait triompher la forme sur le fond et priverait les salariés de leur droit à la syndicalisation.
[21] Se penchant ensuite sur le caractère représentatif du Syndicat, le Commissaire détermine que la liste de salariés comprend 79 personnes et que le Syndicat bénéficie du caractère représentatif requis. Il l’accrédite en conséquence.
[22] Il souligne que la liste des salariés doit se limiter à ceux qui travaillent pour l’Employeur au jour du dépôt de la requête, en plus des salariés absents qui se trouvent en réalité prochaine de retour au travail à ce jour. Il détermine que 6 salariés, dont le transport et la formation d’intégration ont eu lieu le jour du dépôt de la requête, doivent être inclus à la liste, puisqu’ils travaillaient alors pour l’Employeur, alors que 3 autres salariés, soit MM. Legault, Mailloux et Saumure, ne peuvent en faire partie, faute pour l’Employeur d’avoir démontré qu’ils étaient en réalité prochaine de retour au travail.
[23] Le 25 juillet 2012, l’Employeur dépose une requête en révision judiciaire de la décision de la CRT auprès de la Cour supérieure. Le 8 août 2012, il demande le sursis de la décision de la CRT et de toute procédure en découlant, incluant la négociation et la conclusion d’une première convention collective, ainsi que l’obligation de remettre des cotisations syndicales, jusqu’au jugement final sur la requête en révision judiciaire. Le sursis est accordé par jugement du 22 août 2012.
[24] Le 23 décembre 2013, la Cour supérieure accueille la demande de révision judiciaire, annule la décision de la CRT et déclare l’accréditation nulle et non avenue. C’est ce jugement qui fait l’objet du présent pourvoi.
[25] Après avoir établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, la juge détermine que la décision d’accueillir la demande d’amendement était déraisonnable.
[26] Elle souligne d’abord le caractère laconique des motifs du Commissaire à l’égard de l’amendement et constate qu’il fonde sa décision sur l’affirmation erronée voulant que les deux sections locales en cause ne soient pas des personnes distinctes.
[27]
Après avoir qualifié les autres motifs du Commissaire de
« surenchère qui ne trouve pas sa source dans la loi ou la
jurisprudence », la juge procède néanmoins à leur analyse. Concernant
l’absence d’un préjudice pour l’Employeur découlant de l’amendement, elle signale
que ce dernier peut subir un préjudice si le processus d’accréditation établi
par le Code du travail n’est pas respecté, car il en est exclu et n’a
pas les moyens de vérifier si le processus a été suivi. En ce qui concerne
l’argument de formalisme susceptible de priver les salariés de leur droit de se
syndiquer, la juge estime que ce droit n’aurait pas été bafoué si le Commissaire
avait refusé l’amendement, puisque le Local 5778 n’aurait eu qu’à se désister
de sa requête, de manière à permettre au Syndicat de présenter une nouvelle
requête, sans être assujetti au délai de trois mois prescrit par l’article
[28] La juge souligne en outre que le législateur a voulu que le processus d’accréditation soit empreint d’un certain formalisme et que sa volonté doit être respectée.
[29] Elle conclut qu’il y a lieu d’annuler la décision du Commissaire, sans se prononcer sur les questions subsidiaires soulevées à l’égard du caractère représentatif du Syndicat et de la liste des salariés.
[30] Le 4 février 2014, le Syndicat dépose une requête pour permission d’appeler du jugement devant cette Cour, qui est accueillie par jugement de mon collègue, le juge Morissette, le 7 mars 2014.
[31] Les questions en litige en appel peuvent être reformulées comme suit :
1. La juge de la Cour supérieure a-t-elle correctement identifié et appliqué la norme de révision applicable à la décision de la CRT qui accueille l’amendement?
2. La juge a-t-elle erré en droit en ne retournant pas le dossier à la CRT, après avoir conclu que la décision était déraisonnable?
3. La décision de la CRT d’exclure MM. Legault, Mailloux et Saumure de la liste des salariés était-elle déraisonnable?
4. La décision de la CRT à l’égard de la liste des salariés était-elle déraisonnable?
[32] Le Syndicat plaide que la décision de la CRT qui accueillait l’amendement visant à corriger le nom de l’association requérante était raisonnable et s’inscrivait dans la jurisprudence rendue en matière de relations de travail. Cette jurisprudence rejette l’excès de formalisme et considère qu’une erreur dans la requête en accréditation constitue un vice de forme auquel il peut être remédié.
[33] Bien qu’il reconnaisse que le Commissaire a erré en concluant que le véritable requérant était le Syndicat plutôt que l’une de ses sections locales, le Syndicat plaide qu’il ne s’agit pas d’une erreur fatale, vu les motifs additionnels du Commissaire, à savoir que la mauvaise désignation de l’association requérante est un vice de forme auquel il peut être remédié, en l’absence de préjudice pour l’Employeur, par souci de ne pas priver les salariés de leur droit à la syndicalisation alors qu’ils ont exprimé leur volonté de se syndiquer.
[34] Le Syndicat plaide que la juge aurait dû considérer ces motifs qui trouvaient leur fondement dans la preuve et avoir déférence à l’égard de la décision du Commissaire.
[35] L’Employeur répond que la décision du Commissaire relative à l’amendement était déraisonnable, puisque fondée sur une prémisse erronée voulant que la véritable association requérante soit le Syndicat des Métallos. Il ajoute que la Cour supérieure, siégeant en révision, ne pouvait réécrire le raisonnement du Commissaire. Il rappelle que les exigences du Code du travail à l’égard de la requête en accréditation ont pour but de protéger les droits des parties impliquées, notamment ceux de l’Employeur, et doivent être respectées, d’autant plus que le droit des salariés à la syndicalisation ne sera pas brimé en cas de rejet de l’amendement, puisque le Syndicat n’aura alors qu’à soumettre une nouvelle requête en accréditation. Il signale en outre que la juge a tenu compte de la preuve présentée par le Syndicat qu’elle a jugée, à bon droit, sans pertinence.
[36]
Le Code du travail prévoit un mécanisme qui permet à une association
de salariés d’être accréditée à l’égard d’un groupe de salariés, à certaines
conditions, en vue de se voir conférer le droit de représenter ces salariés
auprès de l’employeur en matière de relations de travail[2].
L’expression « association accréditée » est définie ainsi à l’article
b) «association accréditée»: l'association reconnue par décision de la Commission comme représentant de l'ensemble ou d'un groupe des salariés d'un employeur; |
b) “certified association”: the association recognized by decision of the Commission as the representative of all or some of the employees of an employer; |
[37] L’association qui souhaite être accréditée doit déposer une requête en accréditation auprès de la CRT qui, sur réception, transmet cette requête à l’Employeur[3].
[38]
L’article
25. L'accréditation est demandée par une association de salariés au moyen d'une requête déposée à la Commission qui, sur réception, en transmet une copie à l'employeur avec toute information qu'elle juge appropriée. |
25. Certification shall be applied for by an association of employees by means of a petition filed with the Commission which shall, upon receipt of the petition, send a copy to the employer together with any information it considers appropriate. |
La requête doit être autorisée par résolution de l'association et signée par ses représentants mandatés, indiquer le groupe de salariés qu'elle veut représenter et être accompagnée des formules d'adhésion prévues au paragraphe b du premier alinéa de l'article 36.1 ou de copies de ces formules ainsi que de tout document ou information exigé par un règlement.
|
The petition must be authorized by a resolution of the association and signed by its authorized representatives, indicate which group of employees the association wishes to represent, and be accompanied with the applications for membership provided for in subparagraph b of the first paragraph of section 36.1 or with copies of those applications and of any document or information required by a regulation.
|
L'employeur doit, au plus tard le jour ouvrable suivant celui de sa réception et pendant au moins 5 jours consécutifs, afficher une copie de cette requête et de l'avis d'audience de la Commission dans un endroit bien en vue. Il doit également, dans les 5 jours de la réception de la copie de la requête, afficher, dans un endroit bien en vue, la liste complète des salariés de l'entreprise visés par la requête avec la mention de la fonction de chacun d'eux. L'employeur doit transmettre sans délai une copie de cette liste à l'association requérante et en tenir une copie à la disposition de l'agent de relations du travail saisi de la requête. |
The employer must post a copy of the petition and of the notice of the Commission hearing in a conspicuous place on or before the first working day following the day the petition is received, and keep it posted for at least five consecutive days. The employer must also, within five days after copy of the petition is received, post, in a conspicuous place, the complete list of the employees of the undertaking concerned by the petition indicating the function of each. The employer must send forthwith a copy of the list to the petitioning association and place a copy thereof at the disposal of the labour relations officer seized of the petition. |
[Je souligne]
[39] La requête en accréditation ne peut ainsi être présentée que par une « association de salariés » qui doit satisfaire un certain nombre de critères, dont celui de regrouper à titre de membres individuels des salariés au sens du Code du travail et d’avoir pour but l’avancement des intérêts de ses membres. Il y a une certaine souplesse entourant la forme juridique que peut revêtir l’association[4]. Les sections locales des syndicats sont d’ailleurs reconnues comme des associations de salariés distinctes qui peuvent prétendre à l’accréditation. Il suffit en effet qu’un groupement de salariés remplisse la condition d’exister « réellement » pour être qualifié d’« association de salariés », aux termes de l’article 1.a) C.t., sans qu’il soit tenu d’être d’abord constitué en personne morale[5].
[40] Une association de salariés peut donc être formée simplement « de facto »[6], la condition étant qu’elle existe « réellement »[7]. Cette condition sera par exemple satisfaite par « la tenue d'une réunion de formation, la signature de cartes de membres, le paiement de cotisations syndicales, l'adoption d'une constitution ou de statuts et l'élection de dirigeants »[8].
[41]
L’article
9. Une
requête en accréditation doit être accompagnée d'une copie certifiée
conforme de la résolution prévue à l'article |
9. Any petition for
certification shall be accompanied by a certified true copy of the
resolution provided for in section |
a) le nom de l'association requérante et, le cas échéant, l'organisme auquel elle est affiliée; b) une description de l'unité de négociation recherchée; c) le nom de l'employeur et l'adresse du ou des établissements visés. |
(a) the name of the petitioning association and, if applicable, the body to which it is affiliated; (b) a description of the bargaining unit sought; (c) the employer's name and the address of the establishment(s) concerned. |
[Je souligne]
[42]
Ainsi, suivant une lecture combinée de l’article
[43]
La requête en accréditation qui ne respecte pas, à sa face même, les
conditions de recevabilité de l’article
[44] La Cour doit d’abord décider si la juge de la Cour supérieure a correctement identifié la norme de contrôle applicable à la décision du Commissaire, avant de déterminer si elle a correctement appliqué cette norme[12].
[45]
Considérant l’expertise spécialisée de la CRT à l’égard de l’application
du Code du travail et des dispositions concernant le processus
d’accréditation[13],
de même que la clause privative qui figure à l’article
[46] En effet, même s’il est indéniable que le Commissaire a erré en concluant que les sections locales n’étaient pas des personnes distinctes du Syndicat lui-même, cette seule erreur ne permettait pas de conclure au caractère déraisonnable de la décision du Commissaire, au vu des autres motifs de sa décision.
[47] Au-delà de l’erreur du Commissaire sur l’identité véritable de la partie requérante, les trois autres motifs qui figuraient dans sa décision n’étaient pas déraisonnables eu égard aux faits et au droit applicable et pouvaient le mener à conclure de manière raisonnable que l’amendement recherché devait être autorisé, puisque (1) l’Employeur ne subissait aucun préjudice du fait de l’amendement, (2) l’erreur dans le nom était un vice de forme et qu’empêcher l’amendement aurait pour effet de faire primer la forme sur le fond et (3) le fait de refuser l’amendement priverait des salariés qui ont indiqué leur volonté de se syndiquer de leur droit à la syndicalisation, alors que le Code du travail vise à favoriser ce droit.
[48] La juge de la Cour supérieure a déterminé qu’il s’agissait d’arguments supplémentaires visant à confirmer une décision qui était fondée sur un argument principal erroné et qu’ils ne trouvaient pas appui dans la loi ou la jurisprudence.
[49] Avec égards, j’estime qu’elle a commis une erreur.
[50] D’abord, la juge ne pouvait mettre de côté les autres arguments qui venaient soutenir le caractère raisonnable de la décision, en s’arrêtant sur une erreur qui n’affectait pas la décision dans son ensemble[15]. De plus, même si elle jugeait les autres motifs lacunaires, elle devait tenter de compléter ces motifs, plutôt que de les écarter[16], dans la mesure où ils constituaient néanmoins une base adéquate et défendable permettant de justifier la décision d’autoriser l’amendement.
[51] Concernant le motif d’absence de préjudice de l’Employeur, le Commissaire était fondé en droit d’invoquer cet argument reconnu en jurisprudence pour permettre l’amendement.
[52] Ici, l’Employeur soutenait qu’il pourrait subir un préjudice si l’amendement était permis, puisque étant exclu du processus d’accréditation et n’ayant pas accès aux formules d’adhésion et à la requête en accréditation rédigées au nom du Syndicat, il aurait pu se retrouver à négocier avec le mauvais syndicat, d’autant plus que le Local 5078 est une association existante déjà accréditée pour représenter les salariés d’ArcelorMittal du complexe minier du Mont-Wright.
[53]
Or, il s’agissait d’un préjudice hypothétique et il n’a pas été démontré
dans les faits. En effet, l’Employeur a été rapidement informé de la demande
d’amendement du Syndicat, qu’il a d’ailleurs contestée dès le 23 mai 2012. Il
s’est écoulé au plus huit jours entre la transmission de la requête à
l’Employeur et l’avis du Syndicat concernant l’erreur de désignation de la
section locale. L’Employeur n’a jamais été appelé à négocier entre le dépôt de
la requête et la décision sur l’accréditation rendue en vertu de l’article
[54] C’est sans compter que la CRT n’a pas hésité par le passé à reconnaître l’absence de préjudice pour l’employeur qu’on avait mal désigné dans une requête et que le fait pour lui de s’être présenté à l’audience permettait de conclure qu’il se savait visé par la requête et ne subissait aucun préjudice du fait de la correction recherchée[17]. De plus, face à une désignation d’établissement inexacte, le CRT a également considéré que lorsque l’employeur savait quel établissement était véritablement en cause, il y avait lieu de conclure à l’absence de préjudice[18].
[55] En l’espèce, au vu de la preuve au dossier et de la jurisprudence de la CRT, qui reconnaît l’opportunité de tempérer le formalisme en permettant de corriger l’erreur figurant à une requête en accréditation, le Commissaire était justifié de conclure à l’absence de préjudice de l’Employeur.
[56] Le motif du Commissaire selon lequel la thèse de l’Employeur ferait indûment primer la forme sur le fond était également raisonnable et fondé en droit.
[57]
En matière de relations de travail, le législateur et les tribunaux
administratifs et judiciaires tendent à privilégier le fond plutôt que la forme,
conformément à l’article
151. Aucun acte de procédure fait en vertu du présent code ne peut être rejeté pour vice de forme ou irrégularité de procédure. |
151. No proceeding under this Code may be dismissed by reason of any defect of form or irregularity of procedure. |
[58]
Dans Syndicat
indépendant Weldco c.
Weldco Inc.[19], le Tribunal du travail soulignait
que l’article
[59] De plus, dans l’affaire Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du Québec (CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec[21], notre cour a eu à se pencher sur la révision judiciaire d’une décision de la CRT rendue en vertu d’une loi qui établit un régime comparable à l’accréditation syndicale, soit la « reconnaissance » pour les familles d’accueil et les ressources intermédiaires[22]. La demande rédigée par l’association visait les « familles d'accueil destinées aux enfants », alors que la loi exige qu’une association représente « les familles d'accueil et les ressources intermédiaires destinées aux enfants ». S’appuyant sur le courant jurisprudentiel de la CRT visant à faire primer le fond sur la forme[23], ainsi que sur une lecture téléologique de la loi en cause et de la demande de reconnaissance qui avait été présentée[24], la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour la CRT de décider que la demande, malgré son libellé, visait également les ressources intermédiaires[25] et qu’il était raisonnable de lire la demande de reconnaissance à la lumière de l’intention de l’association.
[60]
En ce qui concerne l’affaire Rodrigues c. Bibeault[26]
à laquelle réfère la juge de première instance, elle ne milite pas, à mon avis,
comme le soutient la juge, en faveur d’un haut degré de formalisme, lorsqu’on
en examine le contexte. Dans ce cas, la Cour supérieure devait évaluer
l’étendue des obligations imposées à l’association requérante par l’article
[61] J’estime que la décision du Commissaire s’inscrit à la fois dans la tendance jurisprudentielle de notre cour et de celle de la CRT, qui distinguent le formalisme exigé à l’égard des conditions d’octroi de l’accréditation de celui qui encadre les conditions de recevabilité d’une requête en accréditation et qui a pour but principal d’assurer que le processus d’étude de la requête en accréditation ne soit pas mis en marche inutilement[27].
[62] D’ailleurs, plusieurs décisions provenant de la CRT et du Tribunal du travail ont accepté des demandes d’amendement dans des contextes semblables à celui qui est en cause ici, dont la plus pertinente demeure l’affaire Krack-O-Pop inc.[28]. Dans ce cas, le Tribunal du travail a permis l’amendement du nom de l’association requérante qui aurait dû apparaître sur la requête, n’eût été l’erreur de la personne qui l’avait dactylographiée. Comme il était évident que seul ce syndicat avait été impliqué dans la démarche d’accréditation, qu’il avait adopté une résolution visant à représenter les salariés mentionnés à la requête et que les adhésions portaient son nom, le Tribunal du travail a conclu que l’amendement réclamé ne visait qu’à rectifier la désignation d’une partie déjà au dossier, alors que l’employeur n’en subissait aucun préjudice. Il signalait également qu’en vertu du Code du travail, un employeur n’a aucun intérêt dans le choix de l’association qui représentera ses salariés et que le commissaire aurait fait preuve d’un formalisme de mauvais aloi s’il avait refusé l’amendement[29].
[63] De plus, dans d’autres circonstances bien que différentes, les tribunaux ont accepté de corriger des erreurs dans la requête relativement au nom de l’employeur[30], à la désignation de l’établissement[31], à la désignation de l’association accréditée déjà présente[32] ou à la date inscrite sur la requête[33].
[64]
En l’espèce, si le Commissaire avait refusé l’amendement demandé, il
aurait été forcé de conclure à l’irrecevabilité de la requête qui contrevenait
à l’article
[65] Ici, le témoignage de M. Hugo Doucet sur l’erreur de transcription[34] cumulé au contenu des formules d’adhésion et de la résolution signée au nom du Syndicat sont autant d’indications que la présence sur la requête du nom du Local 5778, plutôt que celui du Syndicat, résultait d’une erreur d’écriture.
[66] Selon moi, face à une requête d’accréditation comportant une erreur certaine, tel que révélé par les contradictions entre la requête, d’une part, et la résolution et les formules d’adhésion, d’autre part, le Commissaire était fondé à permettre l’amendement recherché et à présumer de l’intention de l’association requérante de donner un effet à sa requête en accréditation.
[67] Soit, il était logique pour le Commissaire, qui avait erronément déterminé que la véritable association requérante était le Syndicat des Métallos, de conclure par la suite que l’Employeur faisait preuve d’un formalisme indu en s’opposant à l’amendement. Dans cette perspective erronée, l’amendement n’avait nécessairement pour but que la simple rectification du nom d’une partie déjà au dossier. Le troisième motif additionnel formulé par le Commissaire pouvait donc sembler en quelque sorte « contaminé » par son constat erroné relativement à l’identité de l’association requérante. Malgré tout, ce motif, combiné aux deux autres, contribue néanmoins à soutenir la décision du Commissaire, puisqu’il s’appuie sur un principe de droit confirmé par la jurisprudence voulant qu’un formalisme trop prononcé ne soit pas souhaitable en matière d’accréditation syndicale.
[68] Finalement, il n’était pas non plus déraisonnable pour le Commissaire d’interpréter les dispositions pertinentes du Code du travail comme visant à favoriser la syndicalisation et l’exercice du droit d’association. D’une part, il relève de l’expertise spécialisée de la Commission d’interpréter les dispositions du Code du travail[35]. D’autre part, la position du Commissaire trouve écho dans la jurisprudence, puisque notre cour a énoncé que la finalité du Code du travail « s'appuie sur la reconnaissance et la protection de la liberté d'association de ceux et celles auxquels il s'adresse », c’est-à-dire les salariés[36]. On retrouve également une interprétation favorable à l’accréditation dans la jurisprudence de la CRT[37].
[69] Il est vrai que la cour de révision ne doit pas, lorsqu’elle est en accord avec le résultat du décideur mais que les motifs invoqués sont déraisonnables, reformuler entièrement la décision afin d’y substituer le raisonnement qu’elle considère approprié[38]. J’estime toutefois que nous ne sommes pas devant une telle situation et que le raisonnement du Commissaire considéré dans son ensemble n’était pas déraisonnable, malgré son erreur à l’égard de la personnalité distincte des sections locales[39]. Une analyse globale de la décision du Commissaire aurait dû mener la juge à conclure que la décision qui permettait l’amendement était raisonnable, puisque le résultat faisait partie des issues acceptables au regard des faits et du droit, d’autant que les autres motifs du Commissaire, bien que lacunaires, répondaient aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité exigés par la jurisprudence[40]. La juge ne pouvait donc ici substituer sa propre opinion à celle du Commissaire[41].
[70] Vu la conclusion à laquelle j’en viens sur la première question, à savoir que la décision du Commissaire était raisonnable et n’aurait pas dû être infirmée, il devient théorique de se pencher sur ce deuxième moyen.
[71] Le Commissaire a conclu que MM. Legault, Mailloux et Saumure devaient être exclus de la liste des salariés, car ils n’étaient pas au travail au moment du dépôt, n’avaient pas encore commencé à travailler pour l’année 2012 et n’étaient pas en réalité prochaine de retour au travail. Il rappelle dans sa décision qu’il incombait à l’Employeur de démontrer que ces salariés étaient en réalité prochaine de retour au travail et qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Selon lui, ce dernier n’a pas réussi à prouver que les trois « anciens » bénéficiaient d’un véritable droit de rappel au sein de l’entreprise, le rappel des employés mis à pied s’effectuant au sein de l’entreprise selon ses besoins et les compétences de ses employés[42].
[72] L’Employeur plaide de manière subsidiaire que si la Cour choisissait d’infirmer le jugement entrepris, elle devrait nécessairement intervenir à l’égard de la décision de la Commission d’exclure MM. Legault, Mailloux et Saumure de la liste des salariés visés par la requête, sur laquelle la Cour supérieure ne s’est pas prononcée. Il plaide à cet égard que la décision du Commissaire à l’endroit de MM. Mailloux, Legault et Saumure est déraisonnable, car elle ignore la preuve non contredite qui démontre que ceux-ci étaient en réalité prochaine de retour au travail au moment du dépôt de la requête. Selon l’Employeur, les parties ont admis que MM. Mailloux et Saumure avaient été appelés pour rentrer au travail avant le dépôt de la requête et que les trois « anciens » étaient au travail au moment de l’audience. Il réfère par ailleurs au témoignage de M. Anoop Singh qui démontre que les trois « anciens » bénéficiaient d’un véritable droit de rappel.
[73] Le Syndicat répond que la décision d’exclure MM. Legault, Mailloux et Saumure était raisonnable, puisque conforme à la jurisprudence et à la preuve qui ne démontre pas qu’ils bénéficiaient d’un véritable droit de rappel ou qu’ils auraient accepté un rappel au travail au moment du dépôt de la requête.
[74] Le processus d’accréditation entamé par le dépôt d’une requête en accréditation se termine par la vérification du caractère représentatif de l’association requérante. Cette vérification se fait soit selon la méthode du calcul des effectifs syndicaux, soit au moyen d’un vote au scrutin secret[43]. L’association sera considérée comme représentative et sera accréditée pour représenter l’unité de négociation en cause si elle reçoit l’appui de la majorité absolue des salariés visés[44].
[75] La méthode du calcul des effectifs syndicaux a été appliquée en l’espèce. Il s’agit de la première méthode à utiliser pour vérifier si une association requérante devrait être accréditée. Elle consiste à dénombrer les salariés qui sont membres de l’association et à calculer s’ils forment la majorité absolue des salariés qui constituent l’unité de négociation en cause[45].
[76]
L’article
36.1 Aux fins de l'établissement du caractère représentatif d'une association de salariés ou de la vérification du caractère représentatif d'une association accréditée, une personne est reconnue membre de cette association lorsqu'elle satisfait aux conditions suivantes: |
36.1. For the purposes of establishing the representative character of an association of employees or assessing the representative character of a certified association, a person shall be recognized as a member of such association when he meets the following conditions: |
a) elle est un salarié compris dans l'unité de négociation visée par la requête; |
(a) he is an employee included in the bargaining unit contemplated in the petition; |
b) elle a signé une formule d'adhésion dûment datée et qui n'a pas été révoquée avant le dépôt de la requête en accréditation ou la demande de vérification du caractère représentatif; |
(b) he has signed an application for membership, duly dated and not revoked before the filing of the petition for certification or the demand for assessment of the representative character of the association; |
c) elle a payé personnellement à titre de cotisation syndicale une somme d'au moins 2 $ dans les douze mois précédant soit la demande de vérification du caractère représentatif, soit le dépôt de la requête en accréditation ou sa mise à la poste par courrier recommandé ou certifié; |
(c) he has personally paid as union dues an amount of not less than $2 within the twelve months preceding the demand for assessment of the representative character of the association or the filing of the petition for certification or its mailing by registered or certified mail; |
d) elle a rempli les conditions prévues aux paragraphes a à c soit le ou avant le jour de la demande de vérification du caractère représentatif, soit le ou avant le jour du dépôt de la requête en accréditation. |
(d) he has met the conditions provided for in subparagraphs a to c on or before the day the demand for assessment of the representative character of the association or of the filing of the petition. |
La Commission ne doit tenir compte d'aucune autre condition exigible selon les statuts ou règlements de cette association de salariés. |
The Commission shall not take account of any other condition exigible under the constitution and by-laws of such association of employees. |
[Je souligne]
[77] L’article 1.l) C.t. fournit la définition de ce que constitue un salarié :
l) «salarié»: une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération (…) |
(l) “employee”: a person who works for an employer and for remuneration (…) |
[78]
Suivant une lecture combinée des articles
[79] L’exigence jurisprudentielle d’une « réalité prochaine de retour au travail » s’applique aux salariés qui sont absents au jour du dépôt de la requête en accréditation en raison d’une maladie, d’une mise à pied, ou du caractère occasionnel, temporaire ou saisonnier de leur travail. Ils doivent se trouver en « réalité prochaine de retour au travail », au jour du dépôt de la requête, pour être inclus à la liste des salariés visés par la requête[47].
[80] Cette exigence a notamment pour but de « permettre à toutes les personnes réellement au service d’un employeur d’exprimer leur volonté d’être, ou non, représentées par une association de salariés »[48] et de permettre aux acteurs impliqués, y compris les syndicats tiers, de savoir à qui s’adresser[49].
[81] La jurisprudence a développé plusieurs principes en matière d’analyse de la réalité de retour au travail, qui sont résumés dans la décision Eaux Vives Water inc.[50] que cite le Commissaire dans sa décision[51].
[82] Suivant cette jurisprudence, la réalité de retour au travail doit s’apprécier à partir des faits tels qu’ils existaient au moment du dépôt de la requête en accréditation[52]. Le décideur doit également faire preuve de circonspection dans son analyse de faits postérieurs au dépôt de la requête, tel que le retour réel ou non au travail[53]. Il doit s’agir d’une réalité « sérieuse, probable et prochaine » de retour au travail[54], de sorte que le retour au travail n’a pas à être certain[55]. Finalement, l’analyse relative à ce concept demeure généralement restrictive[56].
[83] En ce qui concerne la jurisprudence qui traite de la notion de « droit de rappel » et de la situation des travailleurs saisonniers, elle n’est pas uniforme.
[84] Le Tribunal du travail a déjà statué qu’il fallait tenir compte de la notion de « droit de rappel » dans la détermination de la liste des salariés, que les travailleurs saisonniers qui bénéficient d’un droit de rappel d’une saison à l’autre conservent leur statut de salariés[57] et que le droit de rappel implique l’obligation de retourner au travail de la part de la personne rappelée[58].
[85] D’autres décisions de la CRT ont cependant reconnu qu’une personne peut bénéficier d’un droit de rappel sans être en réalité prochaine de retour au travail[59], que le caractère saisonnier des opérations de l’employeur doit être considéré dans l’analyse de la réalité de retour au travail[60] et que l’on peut également « supposer qu’un employé saisonnier qui demeure en poste jusqu’à la fin de la haute période d’exploitation et qui bénéficie d’un droit de rappel présente une expectative sérieuse de retour au travail »[61].
[86] Tel qu’énoncé précédemment, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’égard d’une décision de la CRT en matière d’accréditation, qui constitue d’ailleurs le « noyau dur de la compétence spécialisée » de la Commission[62]. Ceci inclut les décisions relatives à la détermination de la liste des salariés au moment du dépôt de la requête en accréditation.
[87] En l’espèce, j’estime que notre cour n’a pas à intervenir à l’égard de la décision du Commissaire concernant l’exclusion de trois anciens employés, MM. Legault, Mailloux et Saumure, laquelle découle d’un processus décisionnel transparent et intelligible qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »[63].
[88] En effet, les motifs du Commissaire à ce sujet, quoique courts, sont néanmoins transparents et intelligibles. Ils font référence à la nécessité de démontrer que les salariés visés par l’accréditation travaillent au jour du dépôt de la requête ou que, si « le salarié est absent du travail pour diverses raisons (CSST, maladie, travail occasionnel, temporaire ou saisonnier, mise à pied, etc.), il doit se trouver en réalité prochaine de retour au travail, au jour du dépôt de la requête, pour être inclus à la liste des salariés visés par l’unité de négociation »[64]. Le Commissaire détermine que les éléments au dossier ne permettaient pas de conclure à une probabilité de retour au travail de la part des anciens employés en question, au moment de la requête en accréditation.
[89] Cette décision fait partie de l’éventail des solutions acceptables au regard du droit et des faits. Les notions de « droit de rappel » et de « réalité prochaine de retour au travail » évoquées par le Commissaire sont toutes deux des créations jurisprudentielles largement utilisées dans l’interprétation du Code du travail, dont il appartenait au Commissaire, dans le cadre de son expertise spécialisée, d’analyser la pertinence relative et l’application au vu de la preuve administrée. La norme de la décision raisonnable reconnaît qu’il peut exister plusieurs solutions raisonnables à une même situation[65], quoiqu’il s’agisse de solutions diamétralement opposées[66], et qu’il n’appartient pas à une cour de révision de substituer son choix à celui du décideur administratif[67]. J’estime que les conclusions du Commissaire commandent ainsi la déférence et qu’il n’est pas le rôle de cette Cour d’intervenir à leur égard.
[90] L’Employeur plaide subsidiairement que la Cour devrait intervenir relativement à la décision de la Commission d’exclure de la liste des salariés visés par la requête les 23 salariés dont l’embauche a eu lieu au plus tard au jour du dépôt de la requête, mais dont le transport ou la formation ont eu lieu après cette date.
[91] Selon lui, la décision de la Commission à l’égard des 23 salariés n’est pas motivée, ce qui constitue une violation de l’équité procédurale et, au surplus, elle est déraisonnable. Il rappelle qu’en l’absence de subterfuge de l’employeur, les décideurs doivent accorder de l’importance aux embauches qui sont « confirmées » à la date du dépôt de la requête, comme c’était le cas ici, selon la preuve non contredite. De plus, les décideurs administratifs doivent tenir compte de la réalité particulière des entreprises saisonnières dans les dossiers d’accréditation, pour éviter d’accorder un avantage démesuré aux syndicats en leur permettant de déposer stratégiquement leurs requêtes au moment où une entreprise saisonnière ne compte qu’un petit nombre de salariés et d’ainsi priver des salariés embauchés de se prononcer sur l’accréditation.
[92] L’Employeur ajoute que la décision d’exclure Mme Audrey Girard n’était pas raisonnable vu la preuve qu’elle a été embauchée et qu’elle a reçu une formation avant le dépôt de la requête.
[93] Le Syndicat répond que la décision de la Commission d’exclure les 23 salariés était raisonnable, à la lumière de la jurisprudence citée par le Commissaire relativement à la notion de « réalité prochaine de retour au travail », et de l’exposé qu’a fait le Commissaire des arguments du Syndicat, lesquels constituaient des motifs à l’appui de sa décision qui suffisaient à la rendre raisonnable et permettaient à la Cour supérieure, siégeant en révision de cette décision, d’en compléter la teneur. De plus, cette décision se basait sur des dates admises en preuve par les parties, ainsi que sur la jurisprudence voulant que la notion de « réalité prochaine de retour au travail » ne s’applique pas aux personnes n’ayant pas encore travaillé pour un employeur.
[94]
L’article
132. Toute décision de la Commission doit être communiquée en termes clairs et concis. |
132. Every decision of the Commission must be communicated in clear and concise terms. |
Toute ordonnance ainsi que toute décision qui, à l'égard d'une personne, termine une affaire doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux personnes ou parties intéressées, même si elle a été portée oralement à leur connaissance. |
Every order of the Commission and every decision of the Commission which, as far as a person is concerned, terminates a matter must give reasons and be set out in writing, signed and notified to the interested persons or parties, even if it has been communicated to them orally. |
[95] Lorsque la loi impose à un organisme administratif une telle obligation, les tribunaux l’interprètent de manière stricte. Cela dit, même en l’absence d’une telle obligation dans la loi, la jurisprudence reconnaît que l’obligation de motiver peut découler des règles d’équité procédurale[68].
[96] Cela dit, la seule présence de motifs brefs ou laconiques n’équivaut pas à une absence totale de motifs, puisqu’il est établi que le décideur administratif, dont la décision obéit à la norme de la décision raisonnable, n’a pas à se prononcer sur toutes les questions et tous les arguments soulevés par les parties[69]. La déférence que commande la norme de la décision raisonnable requiert par ailleurs d’examiner la décision dans son ensemble et de tenter de compléter les motifs lacunaires[70].
[97] Bien que les motifs du Commissaire soient laconiques, ils ne sont pas inexistants. Une analyse globale de la décision du Commissaire permet en effet d’en déduire logiquement les motifs qui appuient la conclusion relative à l’exclusion des 23 salariés. Aux paragraphes 15 à 19 de la décision, le Commissaire traite de l’exigence que le salarié soit au travail ou en réalité prochaine de retour au travail au jour du dépôt pour figurer à même la liste des salariés. On peut ainsi conclure qu’il a considéré que les 23 salariés, qui ne travaillaient pas au jour du dépôt, n’étaient pas en réalité prochaine de retour au travail à cette date.
[98] Sa décision appartient ainsi « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et émane d’un processus décisionnel transparent et intelligible, même si elle s’avère lacunaire à certains égards.
[99] Elle est justifiable par ailleurs au regard des faits, car le Commissaire s’est basé sur les dates d’embauche, de transport et de formation présentées de consentement par les parties lors de l’audience[71].
[100] En effet, selon la preuve admise par les parties sur les 23 salariés embauchés pour la première fois en 2012, 22 n’avaient pas été transportés vers le site du Mont-Wright et n’avaient pas suivi la formation d’intégration exigée en date du dépôt de la requête. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour le Commissaire de conclure que ces 22 personnes n’étaient pas des salariés au jour du dépôt. Cette conclusion trouve son fondement à la fois dans la preuve, dans les motifs de la décision et dans la jurisprudence de la CRT.
[101] La décision est aussi fondée en droit en ce qu’elle s’inscrit dans un certain courant jurisprudentiel, qui reconnaît que la notion de réalité prochaine de retour au travail ne s’applique pas aux personnes embauchées qui n’ont jamais accompli de prestation de travail pour l’employeur dans l’établissement visé en date du dépôt de la requête[72].
[102] L’affaire Provigo St-Georges[73] invoquée par l’Employeur, qui concerne des embauches confirmées avant la date de dépôt de sa requête, doit par ailleurs être distinguée. Dans ce cas, les salariés, qui avaient été embauchés mais n’avaient pas encore travaillé, avaient suivi une formation avant la date de dépôt de la requête[74]. Ce n’est pas le cas de 22 des 23 salariés qui sont en cause ici. Seul le cas de Madame Girard pourrait donc s’apparenter à la situation des employés visés par cette affaire. Toutefois, tenant compte de la preuve présentée à l’audience à l’égard de Mme Girard, qui s’est limitée à une énumération de ses dates d’embauche, de formation et de transport[75], il n’était pas déraisonnable pour le Commissaire de conclure que l’Employeur n’avait pas ici fait la preuve qu’elle travaillait ou qu’elle était en réalité prochaine de retour au travail au moment du dépôt de la requête. À mon avis, cette conclusion faisait aussi partie de l’éventail des issues acceptables.
[103] En l’espèce, le processus décisionnel du Commissaire est transparent et intelligible. Il s’appuie sur les articles 1.l) C.t. et 36.1 C.t., ainsi que sur deux décisions récentes de la CRT, pour conclure que seuls les salariés qui travaillent ou les salariés absents qui sont en réalité prochaine de retour au travail au jour du dépôt de la requête peuvent être inclus dans la liste des salariés visés. Il indique également que les six salariés qui ont été transportés et formés le jour du dépôt satisfont à la condition d’être des salariés de l’entreprise.
[104] Pour l’ensemble de ces motifs, je propose donc d’accueillir l’appel avec dépens et d’infirmer le jugement de la Cour supérieure de manière à rejeter la requête en révision judiciaire avec dépens et de rétablir la décision rendue le 6 juillet 2012 par le Commissaire Bernard Marceau de la CRT.
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
[1]
Syndicat des Métallos, section locale 7065 c. Entreprises de
construction de Québec ltée,
[2] Nicola DI IORIO, « La procédure d’accréditation », dans Collection de droit 2014-2015, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, à la page 125.
[3] C.t., art. 25, al. 1.
[4] Robert GAGNON, Le droit du travail au Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, nº 487.
[5]
Ibid., nº 485.
Voir également : Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation
et du commerce c. Syndicat des travailleurs (euses) indépendant du
Québec, 2002 CanLII 23921 (QC TT), paragr. 16-17; Pierre VERGE et
Gregor MURRAY,
[6] En pratique, plusieurs associations choisissent de se constituer en syndicats professionnels en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, RLRQ, c. S-40, ce qui leur confère la personnalité juridique : R. GAGNON, supra, note 4, no 485.
[7] Une
telle association de salariés non constituée en personne morale peut ester en
justice aux conditions établies par l’article
[8]
Ibid. Voir : Gravel & Fils ltée c. Syndicat
d'entreprises funéraires,
[9] RLRQ, c. C-27, r. 4.
[10]
Union des employées et employés de service, section
locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du
Québec (CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec,
[11]
Syndicat
indépendant Weldco c.
Weldco Inc.,
[12]
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of
British Columbia,
[13] Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du Québec (CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec, supra, note 10, paragr. 52.
[14]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de ADF - CSN c. Syndicat
des employés de Au Dragon forgé inc.,
[15]
Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan,
[16]
Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor),
[17]
Syndicat des travailleuses et travailleurs des banquets de l’Hôtel Bonaventure
(CSN) c. Union des travailleurs et travailleuses industriels et de
service (UTIS),
[18]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de L.M. Glasfiber (CSN) c.
LM Glasfiber Canada inc.,
[19] Syndicat indépendant Weldco c. Weldco inc., supra, note 11.
[20] Ibid., paragr. 27.
[21]
Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association
démocratique des ressources à l'enfance du Québec
(CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec, supra, note 10, paragr. 68.
Voir également : Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la
chimie, local 105 (F.T.Q.) c. Transport Matte ltée,
[22] Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d'une entente collective les concernant, RLRQ, c. R-24.0.2.
[23] Ibid., paragr. 68-69.
[24] Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du Québec (CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec, supra, note 10, paragr. 71.
[25] Ibid., paragr. 67.
[26]
[27]
Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie, local 105
(F.T.Q.) c. Transport Matte ltée, supra, note 21, p. 11-12 ; Krack-O-Pop
inc. c. Syndicat du vêtement, du textile et autres industries (Bureau
conjoint de Montréal) (F.T.Q.-C.T.C.), [1998] nº
[28] Krack-O-Pop inc. c. Syndicat du vêtement, du textile et autres industries (Bureau conjoint de Montréal) (F.T.Q.-C.T.C.), supra, note 27.
[29]
Voir également : Syndicat des employés-es des Industries Verreault -
CSN et Syndicat des travailleurs (euses) des industries Verreault - CSN,
[30]
Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie, local 105
(F.T.Q.) c. Transport Matte ltée, supra, note 21; Syndicat
des travailleurs forestiers de Barrette & Saucier Opérations forestières
Saucier Ltée, [1980] nº
[31]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de L.M. Glasfiber (CSN) c.
LM Glasfiber Canada inc., supra, note 18; Métallurgistes unis d'Amérique,
section locale 7625 et
Les Carrières Ducharme inc.,
[32]
Syndicat des travailleurs unis du Québec (local 2004) c. Vitrerie
Brunelle inc.,
[33]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de Métro Ste-Julienne et
Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section
locale 500,
[34] Notes sténographiques de l’audience tenue devant la Commission, Pièce R-8, p. 117-118.
[35] Syndicat des travailleuses et travailleurs de ADF - CSN c. Syndicat des employés de Au Dragon forgé inc., supra, note 14.
[36]
Martin c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de
l'industrie et du commerce, numéro 705,
[37]
Voir notamment : Syndicat des travailleuses et travailleurs de L.M.
Glasfiber (CSN) c. LM Glasfiber Canada inc., supra, note 18,
paragr. 26 ; Entreprises H. Pépin (1991) inc. c. Union des employés
du secteur industriel, section locale 791, [1993] nº
[38]
Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta
Teachers' Association,
[39]
Voir à titre indicatif Petro-Canada v. British
Columbia (Workers’ Compensation Board),
[40]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[41] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), supra, note 16, paragr. 17.
[42] Décision de la Commission, paragr. 19.
[43] R. GAGNON, supra, note 4, nº 522.
[44] C.t., art. 21, al. 1 et 2.
[45] R. GAGNON, supra, note 4, nº 523.
[46]
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, locale
3057-47 c. Eaux Vives Water inc.,
[47]
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, locale
3057-47 c. Eaux Vives Water inc., supra, note 46, paragr. 89;
Syndicat des travailleurs de la mine Noranda (CSN) c. Noranda Mines
Limited et Les métallurgistes unis d’Amérique, section locale 4278,
[1979] T.T.
20, citée dans Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du
commerce, section locale 509 c. Connexion Technic inc.,
[48]
Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414 c. Industries
Prodam inc.,
[49]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de Tapis IBE c. Syndicat
des Métallos, locale 9414,
[50]
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, locale
3057-47 c. Eaux Vives Water inc., supra, note 46, paragr. 99.
Voir également : Syndicat des Métallos, section locale 7065 c. Métallurgie
Brasco - Entretien inc.,
[51] Décision de la Commission, paragr. 15.
[52]
Syndicat des Métallos, section locale 8922 c. Services McKinnon
inc.,
[53]
Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce,
section locale 509 c. Connexion Technic inc., supra, note 47,
paragr. 24-25; Akstel inc. c. Syndicat des travailleurs d'Akstel
(C.S.N.), [1991] nº
[54]
Syndicat des Métallos, section locale 7065 c. Construction
Tshiuetin inc,
[55] Teamsters Québec Local 106 et Autobus Maheux ltée, supra, note 50, paragr. 34.
[56]
Syndicat des travailleuses et travailleurs des organismes communautaires
du Saguenay et Portes ouvertes sur le Lac,
[57]
Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre d'accueil
Anne-Le-Seigneur (C.E.Q.) c. Syndicat des employés et employées du service
Bétournay (C.S.N.),
[58] Ibid., p. 51.
[59] Syndicat des Métallos, section locale 8922 c. Services McKinnon inc., supra, note 52, paragr. 113.
[60]
Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'Auberge du Lac Morency —
CSN et Pauljen Investments inc,
[61] Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'Auberge du Lac Morency — CSN et Pauljen Investments inc, supra, note 60, paragr. 54.
[62] Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Association démocratique des ressources à l'enfance du Québec (CSD)—Mauricie—Centre-du-Québec, supra, note 10, paragr. 52.
[63] Dunsmuir, supra, note 40, paragr. 47.
[64] Décision de la Commission, paragr. 19.
[65] Dunsmuir, supra, note 40, paragr. 47.
[66]
Béton Brunet ltée c. Syndicat canadien des communications, de
l'énergie et du papier (SCEP), section locale 700,
[67] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), supra, note 16, paragr. 17.
[68]
Patrice GARANT,
[69]
Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc.,
[70] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), supra, note 16, paragr. 12.
[71] Décision de la Commission, paragr. 13; Notes sténographiques de l’audience tenue devant la Commission, Pièce R-8, p. 15-19. Voir admissions, p. 20 à 62 des notes.
[72]
Voir notamment : Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414
c. Industries Prodam inc., supra, note 48, paragr. 16; Conseil
du Québec - UNITE HERE c. Groupe Aldo inc.,
[73]
Syndicat des employé-es de Provigo St-Georges (CSN) c. Travailleurs
et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, local 500,
[74] Ibid., paragr. 16.
[75] Notes sténographiques de l’audience tenue devant la Commission, Pièce R-8, p. 40-41.
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