Décision

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R. c. Plamondon

2021 QCCQ 4192

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

200-01-222081-188

 

 

DATE :

19 février 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARIO TREMBLAY, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

La Reine

Poursuivante-intimée

 

c.

 

Annie Plamondon

Accusée-requérante

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR UNE REQUÊTE EN CONTESTATION DE LA VALIDITÉ D’UNE AUTORISATION JUDICIAIRE ET D’UNE SAISIE

(Articles 7, 8, 9, 10 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés)

______________________________________________________________________

 

L’INTRODUCTION

[1]           Bien que l’usage d’un téléphone cellulaire en conduisant ne soit pas la seule source de distraction, il est la cause d’un nombre important d’accidents. D’un océan à l’autre, les policiers considèrent désormais cette cause de collision plus fréquente que la conduite avec facultés affaiblies[1].

[2]           Près de cinquante pour cent des Canadiens admettent avoir texté ou envoyé un message vocal en conduisant[2].

[3]           Envoyer ou lire un texto vous fait quitter la route des yeux pendant cinq secondes. À 90 km/h, c’est comme traverser un terrain de football sur toute sa longueur les yeux fermés[3].

[4]           Soixante-dix-sept pour cent des Québécois possèdent un téléphone cellulaire[4].

LE CONTEXTE

[5]           Le 20 août 2017, la requérante est impliquée dans un accident aux conséquences tragiques. Apparemment, sans avoir freiné, elle a percuté des motocyclistes immobilisés à l’arrière d’un bouchon de circulation sur une autoroute. Un homme est mort et deux personnes ont été blessées.

[6]           Un policier sur les lieux observe la présence d’un « selfie stick » sur le plancher au pied de la conductrice. Il est donc raisonnable de suspecter la présence et l’utilisation d’un appareil cellulaire.

[7]           Toutefois, les lois criminelles actuelles et les pouvoirs d’enquête codifiés au Canada ne permettent pas aux pouvoirs publics d’avoir accès à l’appareil portable d’une personne qui vient d’être impliquée dans un accident afin de vérifier s’il a été manipulé.

[8]           Les pouvoirs d’enquêtes généraux doivent alors être utilisés et les règles générales et spécifiques relatives aux perquisitions et saisies doivent être respectées de même que les garanties constitutionnelles.

[9]           Une seule rencontre d’une heure entre un premier enquêteur et la requérante qui venait tout juste d’obtenir son congé de l’hôpital, a conduit à l’obtention de son téléphone cellulaire. L’inscription de quelques brèves notes dans un calepin inspirera la trame factuelle présentée pour l’obtention d’un mandat de perquisition par une deuxième enquêteuse.

[10]        La contestation actuelle porte sur la manière dont les policiers ont obtenu le téléphone cellulaire de la requérante et sur l’autorisation d’accéder à son contenu.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]        La première question porte sur la validité apparente du mandat de perquisition qui a permis d’accéder au contenu de l’appareil.

[12]        La deuxième question porte sur la validité au fond de ce mandat.

[13]        La troisième question porte sur la façon dont les policiers ont obtenu l’appareil perquisitionné. Pour la requérante, qualifier de remise volontaire la prise de possession du téléphone est inexacte en droit. Pour celle-ci, il s’agit clairement d’une fouille abusive. Pour la poursuivante, soit la requérante a renoncé dans le respect des principes juridiques applicables, soit le policier était en droit de saisir le téléphone considérant le risque qu’un élément de preuve ne disparaisse.

LES FAITS

Le témoignage de l’enquêteur Poulin

[14]        Le samedi 20 août 2017, l’enquêteur Martin Poulin, en congé pour cette fin de semaine, reçoit un appel vers 15 h 30. On l’invite à se rendre sur les lieux d’un accident mortel qui s’est produit vers 14 h 10 dans une région voisine de la sienne. Aucun enquêteur n’est disponible dans la région où s’est produite la collision.

[15]        Il inscrit ses démarches dans un calepin de notes.

[16]        Ce calepin de notes et deux autres courts formulaires seront les seuls documents rédigés de façon contemporaine à l’événement. Ce sont ces documents qui seront utilisés par l’enquêteuse Annie Manseau, le 6 septembre 2017, pour rédiger la dénonciation contestée.

[17]        Toutefois, l’enquêteur Poulin a témoigné à l’enquête préliminaire le 14 mars 2019 et dans le cadre du voir-dire le 16 novembre 2020. Son témoignage à l’enquête préliminaire a ajouté beaucoup aux quelques notes consignées dans son calepin. Son témoignage du 16 novembre 2020 apporte également d’autres éléments.

[18]        Le Tribunal précise que la poursuivante ne s’est pas objectée à ce qu’il témoigne à l’enquête préliminaire et qu’aucune permission ne fut demandée au juge qui présidait. Le 16 novembre 2020, il est appelé à la barre par la poursuivante pour soutenir le caractère constitutionnel de la saisie sans mandat.

[19]        Donc, ce 20 août 2017, l’enquêteur Poulin arrive sur les lieux de l’accident vers 17 h 00. Il rencontre l’agent Berthelot et reçoit quelques éléments préliminaires. Le véhicule conduit par la requérante aurait « rentré dans le trafic arrêté ». À l’enquête préliminaire, il témoigne n’avoir aucune information sur les causes possibles.

[20]        L’agent Veilleux, un enquêteur en collision qualifié, est sur place, mais l’enquêteur Poulin dit qu’il ne lui a pas parlé ou si peu. En fait, il a une note dans son calepin relative à l’échange avec l’agent Berthelot, mais aucune concernant l’agent Veilleux. À l’enquête préliminaire, le 14 mars 2019, il témoigne ne pas se souvenir avoir parlé à l’agent Veilleux. Le 16 novembre 2020, il reconnaît qu’il lui a parlé un peu, qu’il a été question du « selfie stick ».    

[21]        L’agent Veilleux est assigné sur la requête par la défense et a témoigné le 16 novembre 2020. À son arrivée, la conductrice est à l’intérieur de son véhicule attendant d’être secourue. Il affirme avoir fait part sur place, à l’enquêteur Poulin, de ses premières observations, des causes possibles de l’accident, du « selfie stick » et du fait qu’il soupçonnait la présence d’un cellulaire, mais n’en avait pas vu. L’enquêteur Poulin lui a répondu qu’il allait vérifier l’information.

[22]        Le 20 août 2017, à 17 h 30, l’enquêteur Poulin se dirige ensuite vers l’hôpital pour rencontrer la conductrice impliquée, la requérante.

[23]        À 17 h 45, il reçoit un appel du coroner. Le coroner discute avec lui des causes possibles de l’accident et ce dernier lui déclare n’avoir rien constaté. Il témoigne ensuite avoir reçu une demande du coroner pour vérifier si l’utilisation d’un cellulaire pouvait être en cause. Il témoigne le 16 novembre 2020 et je cite: « Et puis, lui, (le coroner), il m’avise qu’il cherche le cellulaire ». Il dit : « On pourrait peut-être chercher du côté du cellulaire de madame Plamondon ».

[24]        Il note dans son calepin : « Avis qu’on cherche le cellulaire de Mme Plamondon ».

[25]        Il apprend que la requérante a quitté l’hôpital vers 17 h 15.

[26]        De 18 h 08 à 19 h 25, il annonce aux proches des victimes les conséquences tragiques de l’accident.

[27]        À 20 h 30, il se présente chez la requérante. Il témoigne être allé à sa rencontre pour tenter d’établir les causes et les circonstances de l’accident. Cette dernière vient d’avoir son congé de l’hôpital. Elle a été blessée dans l’accident. Elle est sous médication. Dans son calepin, l’enquêteur Poulin note : « ++médicaments ».

[28]        Le 16 novembre 2020, il déclare à l’audience qu’il portait trois chapeaux. Il explique qu’il devait dans l’ordre :

·        Assister le coroner dans son enquête;

·        Produire un rapport d’enquête en vertu des articles 174 à 176 du Code de la sécurité routière[5] (C.S.R.); et

·        Ne pas perdre de vue la possibilité d’une enquête criminelle.

[29]        Dans son calepin, il n’y a aucune référence aux motifs de la rencontre. Il note simplement : « Rencontre Annie Plamondon chez elle ».

[30]        Le 16 novembre 2020, il témoigne qu’il est entré chez madame Plamondon après s’être identifié à titre de policier. Il lui dit simplement qu’il est là pour l’accident dans lequel elle est impliquée. Il constate immédiatement que la requérante pleure et a beaucoup pleuré. Elle lui dit qu’elle est sous médication. Il lui demande de raconter sa journée. Elle lui explique ses déplacements tout en lui parlant de sa vie privée, toujours en pleurs.

[31]        L’enquêteur déclare qu’il « essaie de la ramener ». Il lui demande : « Racontez-moi ce que vous avez fait aujourd’hui ». Il dit qu’elle aborde, sans qu’il en ait été question, l’utilisation de son cellulaire. Elle reconnaît avoir texté son copain avant de prendre la route, qu’il est possible qu’il lui ait répondu, mais qu’elle n’a pas touché à son cellulaire. L’enquêteur dit que c’est cette réponse qui a fait naître en lui des motifs de croire que le cellulaire était en cause et qu’à partir de ce moment, la requérante devenait suspecte d’un crime.

[32]        Le 20 août 2017, immédiatement après avoir noté l’heure d’arrivée à la résidence de l’accusée, il écrit dans son calepin : « rencontre Annie Plamondon chez elle; magasiné power center Duplessis; allait au Costco et changeait de poste de radio. »

[33]        Le 14 mars 2019 à l’enquête préliminaire, il commente ses inscriptions ainsi : « Puis là, elle me dit… : « J’ai texté mon chum », elle dit « avant de partir, puis là quand c’est arrivé… » Là, elle me parle de … là, on se rapproche de l’accident. Puis là, elle me dit : « Je ne sais pas s’il m’a répondu, en tout cas, je n’ai pas tou… t’sais, je n’ai pas touché à mon cellulaire. » Puis quand c’est… là, elle dit : « Quand c’est arrivé, l’accident, j’étais en train de changer le poste de radio, je me suis levé les yeux puis j’ai vu les motos. » Ça fait que c’est un peu ça, là, qu’elle m’explique. »

[34]        Immédiatement en dessous de ces notes, on peut lire : « Cell. Nexus prépayé avec Koodo 418-XXX-XXXX ».

[35]        Lorsqu’il témoigne le 16 novembre 2020, il reprend la même réponse. Il lui posait des questions. Il dit que le fait que la requérante lui ait répondu ne pas avoir touché à son cellulaire l’a rendu perplexe. Il dit qu’il a appris à ce moment-là qu’elle avait un cellulaire. Il lui demande si elle l’a encore. Elle répond que oui. Elle va le chercher dans sa chambre et le dépose sur la table devant lui.

[36]        Il déclare « qu’on » va devoir faire expertiser son cellulaire.

[37]        Elle aurait déclaré qu’il n’y avait pas de problème. L’enquêteur ajoute que c’était clair pour lui qu’il allait devoir saisir le téléphone. Il avait à vérifier si le cellulaire était en cause dans l’accident. Il considère qu’il avait les motifs de le saisir.

[38]        Il témoigne que la plus grande préoccupation de la requérante était que cela la privait de son seul et unique moyen de communication avec l’extérieur, notamment avec sa fille qui était avec son père. Il lui permet d’utiliser son cellulaire pour rejoindre ses proches et les avertir qu’ils ne pourront plus la rejoindre à ce numéro. Il précise cependant qu’elle devra faire les appels devant lui et qu’elle ne doit pas manipuler le cellulaire.

[39]        Il témoigne, le 16 novembre 2020, ne pas avoir vu le contenu du cellulaire ce 20 août 2017, que c’est la requérante qui le manipulait devant lui tout en lui expliquant ce qu’elle montrait.

[40]        On trouve dans le calepin ces notes rédigées avec l’heure de référence 9 h 25 :

Mme Plamondon m’explique en montrant son cellulaire qu’elle fréquente un dénommé Nicholas. C’est à lui qu’elle a texté en dernier avant l’accident. Elle l’a texté avant de partir du secteur Duplessis. On peut voir que le Nicholas en question lui a répondu, mais les heures ne correspondent pas exactement avec l’heure de l’accident. Impossible de voir si les messages ont été vus au moment de l’accident. Elle a re-texté Nicholas, mais environ 30 minutes après l’accident. Elle parle de l’accident.

[nos soulignements]

[41]        L’enquêteur témoigne le 16 novembre 2020 lui avoir fait une mise en garde dès le moment où elle a parlé du cellulaire, soit dès le moment où elle est devenue suspecte dans le cadre de ce qu’il considérait maintenant être une enquête criminelle.

[42]        Il a utilisé un vieux formulaire de « déclaration », approuvé le 31 mai 2012. L’en-tête fait référence à une personne arrêtée ou détenue. Les droits constitutionnels prévus avant l’obtention d’une déclaration y sont très sommairement énoncés. Il est signé par l’enquêteur à 21 h 00 et par la requérante à 21 h 05, le 20 août 2017. Voici la déclaration de la requérante :

« Je suis en état de choc et médicamenté. Vous pouvez prendre mon cellulaire  pour l’analyser. Je vais vous faire une déclaration plus tard. »

[nos soulignements]

[43]        L’enquêteur Poulin témoigne le 16 novembre 2020 avoir fait signer ce formulaire pour avoir un support de plus pour que, visuellement, elle voit qu’il y a quelque chose d’officiel. Il ajoute que cela lui servait de support pour les explications sur « … la mise en garde, le droit au silence, et cetera. »

[44]        En témoignant, il précise que la requérante devenait un suspect à ce moment-là, mais qu’elle n’est ni détenue, ni arrêtée.

[45]        Il ajoute :

Ben, c’est ça, je lui dis que j’ignorais là la présence d’un cellulaire, première des choses, avant d’arriver, mais que là c’est elle qui m’apporte le cellulaire, qu’elle l’a utilisé juste un peu avant, donc je lui mentionne que le cellulaire peut devenir important dans l’enquête, donc que je vais le - qu’on va le faire expertiser, que pour l’expertiser, ça va prendre un mandat pour fouiller à l’intérieur du cellulaire. T’sé, que je lui dis : « Je pars avec votre cellulaire, mais j’ai dit, il va être placé, scellé dans un poste de police et puis, après ça, on va aller rencontrer un juge pour obtenir un mandat. »

[nos soulignements]

[46]        Questionné sur la nécessité d’obtenir un mandat pour saisir le cellulaire, il répond :

Parce que je n’en avais pas besoin, parce que j’étais là, là pour faire l’enquête et puis, le cellulaire était là, puis à ma connaissance là, c’est assez connu que je pouvais - pour empêcher de détruire des données à l’intérieur du cellulaire ou peu importe, faulait (SIC) que je parte avec le cellulaire immédiatement. Je pouvais pas le laisser là, pi retourner chercher un mandat et revenir. C’était - pour préserver la preuve, j’avais pas le choix de garder le cellulaire immédiatement, fait que c’est pour ça que j’ai pas obtenu de mandat.

[nos soulignements]

[47]        Dans son calepin, il n’y a aucune trace que l’enquêteur lui ait donné ses droits. Il est uniquement question d’une déclaration et du fait qu’elle ne sait pas quoi faire. Sa fille est avec son père à Longueuil, elle prend des médicaments, elle est anxieuse et elle pleure beaucoup. On peut observer que ce passage suit immédiatement l’inscription des coordonnés dudit cellulaire.

[48]        L’enquêteur Poulin quitte vers 21 h 30 ce soir du 20 août 2017.

Le témoignage de l’enquêteuse Manseau

[49]        Le 6 septembre 2017, une dénonciation est soumise à un juge de paix par l’enquêteuse Annie Manseau, afin d’obtenir l’autorisation de procéder à une analyse technique du contenu du cellulaire de madame Plamondon.

[50]        Le texte de la dénonciation est reproduit en annexe pour faciliter la compréhension du lecteur.

[51]        Le Tribunal a autorisé un contre-interrogatoire limité de la déclarante Manseau afin de permettre au procureur de la requérante de questionner la déclarante sur ce qu’elle savait ou aurait dû savoir le 6 septembre 2019 relativement à certaines questions importantes sur les motifs présentés au juge de paix tels que : la remise du cellulaire et l’état psychologique de la requérante, mais surtout, sur les affirmations relatives aux causes de distractions et sur l’absence d’explication sur d’autres causes que l’utilisation du cellulaire.

[52]        L’enquêteuse Manseau a témoigné qu’à l’époque, il s’agissait d’une de ses premières dénonciations assermentées. En contre-interrogatoire, elle reconnaît aujourd’hui qu’elle aurait pu faire mieux, mais elle estime que la dénonciation est suffisante.

[53]        Elle n’a eu aucun échange avec l’enquêteur Poulin avant de rédiger le texte de la dénonciation. Elle aurait donc interprété les brèves notes et les deux formulaires pour préparer la dénonciation.

[54]        Questionnée sur l’absence de référence à une autre explication que l’utilisation du cellulaire, soit l’utilisation de la radio, elle répond qu’elle n’en voyait pas la pertinence. Elle ne voyait pas non plus la pertinence de déclarer que la requérante a montré les messages textes du cellulaires à l’enquêteur Poulin et que celui-ci a noté que les heures ne concordaient pas.

L'ANALYSE

La validité apparente de la dénonciation

[55]        La requérante suggère que la dénonciatrice n’avait pas de motifs raisonnables de croire qu’elle était impliquée dans la commission d’une infraction criminelle.

[56]        Elle suggère également que l’affidavit ne contenait aucune information permettant de croire que des éléments de preuve touchant la commission d’une infraction se trouvaient dans son téléphone.

[57]        La poursuivante estime que la requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau à cette étape. Elle reconnaît que le texte de l’affidavit n’est pas parfait, mais est suffisant.

[58]        Les principes applicables se retrouvent dans l’arrêt O’Reilly c. La Reine[6] et sont repris dans R. c. Audigé de la Cour d’appel du Québec :

[12] L’intimé avait donc le fardeau de démontrer que la dénonciation contenait des éléments insuffisants pour satisfaire à la norme prévue. Cette norme des « motifs raisonnables de croire » est fondée sur une probabilité raisonnable (et non pas sur une possibilité) soutenue par une preuve crédible et fiable. Le juge Watt décrit cette norme comme suit dans R. v. Sadikov :

[81] The statutory standard - “reasonable grounds to believe” - does not require proof on the balance of probabilities, much less proof beyond a reasonable doubt. The statutory and constitutional standard is one of credibly-based probability: Hunter v. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (SCC), [1984] 2 S.C.R. 145, at p. 167; and R. v. Law, 2002 BCCA 594, 171 C.C.C. (3d) 219, at para. 7. The ITO must establish reasonable grounds to believe that an offence has been committed and that there is evidence to be found at the place of the proposed search: Hunter, at p. 168. If the inferences of criminal conduct and recovery of evidence are reasonable on the facts disclosed in the ITO, the warrant could be issued: R. v. Jacobson (2006), 2006 CanLII 12292 (ON CA), 207 C.C.C. (3d) 270 (Ont. C.A.), at para. 22.

[13] Lorsque confronté à une requête en exclusion de la preuve, le rôle du juge réviseur est de déterminer si le mandat satisfait à la norme des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que la preuve se trouve dans le lieu ciblé par le mandat. Le rôle du juge siégeant en révision d’une autorisation judiciaire est d’ailleurs décrit comme suit par la juge Charron dans R. c. Campbell :

[14] […] Le tribunal siégeant en révision n’a pas à se demander s’il « aurait lui-même délivré le mandat, mais s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables » pour permettre au juge de délivrer le mandat (Morelli, par. 40). Lorsqu’il effectue cette analyse, le tribunal siégeant en révision doit faire abstraction des renseignements inexacts figurant dans la dénonciation, et il peut avoir recours à l’« amplification », c’est-à-dire à d’autres éléments de preuve admis à bon droit (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 58; Morelli, par. 41). Il appartient à l’accusé de démontrer que la dénonciation ne justifiait pas l’autorisation (Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708, par. 68; Morelli, par. 131).[7]

[références omises]

[59]        Lorsqu’interrogée, l’enquêteuse Manseau reconnaît clairement avoir effectué une certaine sélection dans les faits en s’inspirant des notes de l’enquêteur Poulin, mais elle estime néanmoins avoir satisfait au critère de la suffisance.

 

 

[60]        Cette déclaration doit s’apprécier à la lumière du paragraphe suivant de la dénonciation :     

1. Considérant que j’ai des motifs de croire que l’utilisation d’un téléphone cellulaire au volant pourrait être l’élément contributif le plus plausible à la collision mortelle, n’ayant aucune autre explication au niveau humain, mécanique, météorologique ou de l’infrastructure.

[61]        Ces éléments sont appuyés dans l’affidavit. On y lit :

-       Que la dame a heurté trois véhicules sur une autoroute;

-       Que ces véhicules étaient complètement arrêtés;

-       Que l’accident a eu lieu en plein jour, par temps clair;

-       Qu’il y a eu un mort et des blessés;

-       Qu’il n’y a aucune trace de freinage avant l’accident;

-       Que la température était belle;

-       Que la route est droite;

-       Que la chaussée est sèche et en bon état;

-       Que le véhicule de la requérante a été inspecté et qu’aucun bris mécanique ne fut trouvé;

-       Qu’un bâton à autoportrait était aux pieds de la conductrice à gauche de la pédale de frein;

-       Qu’elle aurait déclaré spontanément à l’enquêteur Poulin avoir échangé des messages textes plusieurs minutes avant et après l’accident, mais aurait reçu un ou des messages textes de la part de celui-ci sans lui répondre (selon ses dires);

-       Qu’elle aurait remis volontairement son cellulaire à l’enquêteur Poulin.

[62]        La dénonciatrice affirme qu’il n’y a aucune autre explication que la distraction de la conductrice pouvant expliquer les circonstances de l’accident. En procédant par élimination des autres facteurs de distraction ou des autres explications plausibles, la dénonciatrice présente à la juge autorisatrice une preuve circonstancielle qui tend à démontrer que la conclusion raisonnable la plus probable est l’utilisation d’un cellulaire.

[63]        La dénonciatrice a également démontré qu’il était raisonnable et probable de croire, à la face même de la dénonciation soumise, qu’une preuve susceptible d’établir que la conductrice utilisait son cellulaire au moment de l’accident se trouvait dans celui-ci. Compte tenu de la nature de l’enquête et de l’objet de la perquisition, le Tribunal n’est pas prêt à déclarer que la dénonciation était insuffisante à sa face même.

[64]        Il faut se rappeler que les motifs raisonnables et probables sont très souvent une conclusion tirée de l’examen d’une preuve circonstancielle.

[65]        Une perquisition est une technique d’enquête, la dénonciatrice n’a pas à être convaincue qu’un crime a été commis. Elle déclare et n’a qu’à déclarer qu’elle a des motifs raisonnables et fiables de croire qu’un crime a été commis. 

[66]        Certains renseignements déclarés le 6 septembre 2017 pourraient aujourd’hui recevoir un traitement différent. Certains renseignements auraient pu ou peut-être auraient dû être révélés.

[67]        Toutefois, à cette première étape, le Tribunal estime que la dénonciation était suffisante pour justifier l’autorisation.

La validité au fond de la dénonciation

[68]        La requérante estime qu’en ne faisant pas référence à sa déclaration sur l’utilisation de la radio, la dénonciatrice a enfreint les principes suivants de l’arrêt Morelli :

En omettant de fournir ces détails, le dénonciateur a manqué à l’obligation qui lui incombe en tant que policier d’exposer les faits de manière complète et sincère au juge.  Lorsqu’il demande une autorisation ex parte, comme dans le cas d’un mandat de perquisition, un policier — en fait, tout dénonciateur — doit faire particulièrement attention de ne pas faire un tri des faits pertinents dans le but d’obtenir le résultat souhaité.  Le dénonciateur est tenu de présenter tous les faits pertinents, favorables ou non.  Il peut omettre des détails non pertinents ou sans importance au nom de l’objectif louable de la concision, mais il ne peut pas taire des faits essentiels.  Le policier dénonciateur doit donc éviter de présenter un exposé incomplet des faits connus et veiller à ne pas orienter le juge vers une inférence ou une conclusion à laquelle ce dernier ne serait pas parvenu si les faits omis lui avaient été divulgués.[8]

[69]        Aussi, la requérante soutient qu’en comparant les témoignages de l’enquêteur Poulin et le témoignage de l’enquêteuse Manseau, elle a démontré que la juge autorisatrice a été induite en erreur et que, si elle avait eu un portrait complet, elle n’aurait pas lancé le mandat de perquisition.

[70]        Les principes applicables en matière de rédaction ont été résumés ainsi dans l’arrêt Araujo[9] de la Cour suprême, fréquemment cité :

D’un point de vue pratique, la police devrait présenter à l’appui d’une demande d’autorisation d’écoute électronique un affidavit qui énonce les faits de manière complète et sincère pour que le juge saisi de la demande d’autorisation puisse déterminer s’ils remplissent le critère juridique applicable et justifient l’autorisation.  En outre, l’affidavit devrait être clair et concis.  Il ne devrait jamais viser à tromper le lecteur.  Sur ce point, on devrait éviter le recours à un libellé standard.  Enfin, les affidavits devraient être obtenus des personnes ayant la connaissance la plus directe des faits.  Cela donnerait plus de poids aux documents du fait qu’ils seraient plus fiables.

[71]        Ces principes furent également repris en 2016 dans la décision Groupe de la Banque mondiale c. Wallace :

En règle générale, il existe deux motifs de contestation d’une autorisation d’écoute électronique : le dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation ne permettait pas d’établir l’existence des conditions légales préalables, ou le dossier ne représentait pas fidèlement ce que le déposant savait ou aurait dû savoir et, s’il avait constitué un reflet fidèle, n’aurait pas justifié l’autorisation (R. c. Araujo2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 50-54; Pires, par. 41; voir également R. c. Grant[1993] 3 R.C.S. 223, à propos de l’exclusion de renseignements obtenus de manière inconstitutionnelle et consignés dans les dénonciations en vue d’obtenir le mandat). En l’espèce, la contestation repose sur le deuxième motif (parfois appelée contestation au fond).

Étant donné que la contestation au fond porte sur ce que le déposant savait ou aurait dû savoir au moment où il a souscrit l’affidavit, la fidélité de ce dernier est déterminée à la lumière de la croyance raisonnable du déposant au moment pertinent. Le juge Smart de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a résumé ainsi l’analyse relative à une contestation au fond d’une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition :

[traduction] Si le requérant démontre que le déposant savait ou aurait dû savoir la preuve fausse, inexacte ou trompeuse, cette preuve doit être retranchée de la [dénonciation] lorsqu’il s’agit de statuer sur la légalité du mandat. De même, si la défense démontre l’existence d’une autre preuve connue du déposant ou que ce dernier aurait dû connaître et inclure dans la [dénonciation] pour assurer une communication entière, impartiale et sincère, cette preuve peut être ajoutée lorsqu’il s’agit de statuer sur la légalité du mandat.(R. c. Sipes2009 BCSC 612, par. 41 (CanLII))[10]

[72]        La requérante a donc premièrement, le fardeau d’établir que la dénonciatrice savait qu’en partie, la dénonciation renfermait des éléments substantiels faux, inexacts et trompeurs. Deuxièmement, si ces éléments sont retranchés ou modifiés, la requérante doit établir, par prépondérance de preuve, que la dénonciation ne justifie pas l’autorisation. La poursuivante n’a pas soutenu qu’une certaine amplification était possible.

[73]        Les éléments substantiels litigieux sont :

-       L’absence de référence à la version de la requérante sur la cause de la distraction (utilisation de la radio);

-       La référence aux messages textes échangés, mais sans préciser que les heures ne concordent pas;

-       Qualifier de spontané cette déclaration de la requérante relativement à l’échange de messages textes;

-       Déclarer que la requérante n’a pas été capable de donner une déclaration à l’enquêteur parce qu’elle se disait en état de choc;

-       Qualifier la remise du téléphone de volontaire.

L’absence de référence à l’utilisation de la radio

[74]        Il faut garder à l’esprit que l’enquêteuse Manseau n’a eu accès qu’aux documents rédigés par l’enquêteur Poulin le 20 août 2017 pour préparer sa dénonciation. Elle affirme ne pas lui avoir parlé avant la rédaction du texte.

[75]        Dans ses brèves notes au calepin, l’enquêteur Poulin inscrit trois lignes dès son arrivée vers 20 h 30 chez la requérante :

-       Magasiné power center Duplessis;

-       Allait au Costco;

-       Changeait de poste de radio.

[76]        Sur un autre document, un formulaire de rédaction, il inscrit, vers 21 h 25, que la requérante explique, en lui montrant son cellulaire, qu’elle a envoyé des messages textes avant de prendre la route. Elle lui montre qu’elle a reçu des messages textes, mais que les heures ne correspondent pas au moment de l’accident. Elle a utilisé la messagerie 30 minutes après l’accident pour répondre. Il écrit : « Elle parle de l’accident ».

[77]        Lors de son témoignage, l’enquêteuse Marseau a expliqué ne pas avoir fait référence à la radio parce qu’elle trouvait que ce n’était pas pertinent. Le Tribunal pourrait lui donner le bénéfice du doute puisqu’il fallait extrapoler un peu pour comprendre que la requérante donnait une explication à l’enquêteur qui lui demandait de raconter sa journée.

[78]        Toutefois, le traitement, pour ne pas dire le tri, que fait la dénonciatrice dans le paragraphe relatif aux échanges de messages textes, est plutôt indicateur d’une volonté d’orienter le lecteur dans un sens défavorable à la requérante.

[79]        Le résumé qu’elle fait n’est pas fidèle. L’ajout des mots « (selon ses dires) » entre parenthèses est trompeur puisque l’enquêteur Poulin s’est fait montrer et a vu que la requérante n’avait pas répondu au moment de l’accident.

[80]        Enfin, l’enquêteur Poulin a témoigné deux fois, et a affirmé deux fois que la brève note se voulait le résumé des propos tenues par la requérante : « Je ne sais pas s’il m’a répondu, en tout cas, je n’ai pas tou..t’sais, je n’ai pas touché à mon cellulaire. » […] « Quand c’est arrivé, l’accident, j’étais en train de changer le poste de radio, je me suis levé les yeux puis j’ai vu les motos. »

[81]        Si la dénonciatrice avait eu un échange avec l’enquêteur Poulin, elle n’aurait pu affirmer que l’utilisation d’un téléphone cellulaire est l’élément le plus « plausible », n’ayant aucune autre explication au niveau humain.

[82]        L’absence de référence à l’utilisation de la radio et la restriction dans la description des échanges par messages textes donnaient une fausse impression à la juge autorisatrice. Cela est d’autant plus critique que la dénonciatrice utilisait une technique de rédaction par élimination.

L’absence de la mention que les heures ne concordent pas

[83]        Il n’y a aucune note dans le calepin de l’enquêteur Poulin relativement à l’utilisation d’un cellulaire. Il n’y a qu’une description du cellulaire et la mention : « remise volontaire du cellulaire ».

[84]        Sur le formulaire de rédaction utilisé et complété par l’enquêteur Poulin, on peut lire les mots : « …en montrant son cellulaire », « on peut voir que… » et « …impossible de voir... ». Étrangement, l’enquêteur a témoigné que la requérante lui montrait la conversation suspecte dans son cellulaire, mais qu’il ne pouvait la voir correctement.

[85]        Quoi qu’il en soit, il les a notés de façon intelligible et l’utilisation de ses termes donne à penser que la requérante lui exhibait les échanges de messages textes qu’il recherchait et que ces échanges, à première vue, ne soutenaient pas qu’elle était en train de répondre au moment de l’accident.

[86]        La dénonciatrice a plutôt choisi d’affirmer : « …mais aurait reçu un ou deux messages textes de la part de celui-ci sans lui répondre (selon ses dires). »

[87]        Encore une fois, ce paragraphe est trompeur et inexact.

[88]        La dénonciatrice aurait pu continuer de croire et d’affirmer que l’utilisation du cellulaire était la cause la plus probable de l’accident. Il n’y a pas qu’une façon d’utiliser un cellulaire. Cependant, en résumant de façon réductrice la déclaration rédigée par l’enquêteur Poulin, elle la dénaturait.

Qualifier de spontanée la déclaration relative à l’échange de messages textes avant et après l’accident

[89]        Cette affirmation de la dénonciatrice ne se retrouve pas dans les notes du calepin ou sur un des deux formulaires. Le Tribunal n’est pas convaincu que cela a pu influencer la juge autorisatrice. De toute façon, puisque cette affirmation constitue la dernière phrase du paragraphe inexact et trompeur, elle recevra le même traitement.

Déclarer que la requérante n’a pas été capable de donner une déclaration parce qu’elle se disait en état de choc

[90]        En fait, il est plus que probable que la requérante se trouvait en état de choc selon les témoignages rendus par l’enquêteur Poulin. Elle venait d’être impliquée dans un accident important aux conséquences funestes. Elle venait de recevoir son congé de l’hôpital et était médicamentée. Elle avait pleuré beaucoup et pleurait encore beaucoup au moment de la rencontre. Elle avait le visage bouffi.

[91]        Dans le calepin de notes, l’enquêteur Poulin écrit : « ++médicaments, anxieuse, pleure beaucoup… ».

[92]        Dans le formulaire utilisé par l’enquêteur Poulin, lors de la remise du téléphone, il écrit : « Je suis en état de choc et médicamenté. Vous pouvez prendre mon cellulaire pour l’analyser. Je vais vous faire une déclaration plus tard ».

[93]        Comment interpréter l’affirmation de la dénonciatrice? La requérante a fait des déclarations relativement aux circonstances de l’accident et au contenu de son cellulaire. D’après les témoignages de l’enquêteur Poulin, elle a parlé beaucoup plus qu’il n’a écrit.

[94]        D’ailleurs la dénonciatrice fait mention de l’existence d’une déclaration volontaire.

[95]        Alors, pourquoi insinuer que la requérante « …se dit en état de choc » plutôt que de déclarer qu’elle l’est.

Qualifier la remise du téléphone de volontaire

[96]        Sans, à ce stade, examiner la question sous l’angle de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), la requérante questionne la justesse de cette affirmation par la dénonciatrice, l’enquêteuse Manseau.

[97]        Le Tribunal observe que cet élément factuel est noté textuellement dans le calepin de notes.

[98]        Toutefois, dans le formulaire de rédaction, l’enquêteur Poulin, après avoir noté que la requérante lui montre les messages textes et les heures dans son téléphone, écrit : « Je lui explique que nous devrons vérifier son cellulaire. Elle veut collaborer et me remet le cellulaire ».

[99]        De même, dans le formulaire de déclaration utilisé pour informer la requérante de ses droits, il inscrit : « Vous pouvez prendre mon cellulaire pour l’analyser ».

[100]     Le Tribunal estime qu’en reprenant à son compte l’affirmation de l’enquêteur Poulin, la dénonciatrice n’a pas manqué à son obligation. Toutefois elle aurait dû procéder à une vérification supplémentaire auprès de l’enquêteur Poulin.

[101]     En résumé, en ce qui a trait à la contestation de la validité au fond, le Tribunal estime que la requérante a démontré par prépondérance de preuve que la dénonciation présentée par l’enquêteuse Manseau ne présentait pas un portrait juste et honnête de la situation factuelle qu’elle savait ou devait savoir.

[102]     D’une part, la dénonciatrice n’ayant pas une connaissance directe des faits et n’ayant que de brèves notes à interpréter pour justifier sa demande, il était évident que le risque de se tromper était présent. Au minimum, l’enquêteuse Manseau aurait dû valider auprès de l’enquêteur Poulin sa compréhension des notes au calepin.

[103]     Par ailleurs, en choisissant de procéder par l’élimination des autres causes probables pour obtenir le mandat visant le cellulaire, l’enquêteuse devait s’assurer que la conclusion la plus probable qu’elle suggérait à la juge autorisatrice était juste et soutenue raisonnablement par la preuve.

[104]     En l’espèce, le fait de ne pas révéler que la requérante avait donné une autre explication pour sa distraction que l’utilisation du cellulaire était trompeuse et renforçait l’affirmation que l’utilisation du cellulaire était la cause la plus probable de l’accident.

[105]     Les commentaires pour dénigrer la requérante sont injustes et superflus. Ils sont néanmoins indicateurs de la volonté d’orienter la compréhension de la juge autorisatrice.

[106]     Ensuite, le fait de taire que la requérante avait montré à l’enquêteur Poulin qu’elle n’avait pas utilisé le service de messagerie au moment de l’accident était trompeur.

[107]     Si ces faits avaient été traités correctement, les inférences que la dénonciatrice souhaitait que la juge autorisatrice tire du passage substantiel que le Tribunal a repris au paragraphe 33 auraient, selon la balance des probabilités, été toutes autres. Le Tribunal est convaincu que la juge autorisatrice n’aurait pas lancé le mandat.    

 

La renonciation, la remise volontaire ou la saisie sans mandat du téléphone cellulaire

[108]     Bien que l’enquêteur Poulin ait noté que factuellement, le cellulaire lui avait été remis volontairement, certains constats s’imposent à la suite de ses deux témoignages, en mars 2019 et en novembre 2020.

[109]     Premièrement, il est évident que l’enquêteur Poulin n’ignorait pas qu’un cellulaire pouvait être en cause pour expliquer l’accident. En contre-interrogatoire, le 16 novembre 2020, il reconnaît avoir parlé à l’agent Veilleux, un enquêteur en collision qualifié. L’agent Veilleux a témoigné le 17 novembre 2020 et a affirmé avoir fait part à l’enquêteur Poulin de ses premiers constats, de la présence du « selfie stick » et de ses soupçons sur la présence et l’utilisation d’un cellulaire.

[110]     En plus, avant même d’arriver chez la requérante, le coroner l’avise qu’on recherche un cellulaire.

[111]     Ensuite, comment interpréter son témoignage lorsqu’il dit « qu’il la ramenait », en parlant de la requérante lorsqu’elle lui racontait sa journée? N’était-ce pas ce qu’il lui avait demandé en tout premier lieu? Il est manifeste qu’il souhaitait qu’elle arrive assez rapidement aux circonstances de l’accident et à l’utilisation de son téléphone cellulaire. 

[112]     Selon ce qu’il savait, avant même qu’il ne rencontre la requérante, il était à tout le moins possible, sinon probable à ses yeux, que l’utilisation d’un cellulaire était la cause de la distraction à enquêter ou à éliminer lors de sa rencontre avec madame Plamondon.

[113]     Comment comprendre son témoignage, lorsqu’il déclare se mettre « en mode enquête criminelle » uniquement lorsque la requérante lui explique qu’elle a utilisé la messagerie du cellulaire avant de prendre la route et 30 minutes après l’accident et qu’elle lui exhibe la preuve de ce qu’elle lui dit?

[114]     Il lui demande si elle a encore son cellulaire. Elle répond affirmativement, va chercher le cellulaire et lui exhibe le contenu de la boite de messagerie au moment de l’accident. Le Tribunal estime plutôt que l’enquêteur attendait d’avoir la preuve de l’existence du cellulaire pour aller plus rapidement dans son enquête criminelle, puisque tel était son objectif dès son arrivée chez la requérante.

[115]     Deuxièmement, que doit comprendre le Tribunal des propos de l’enquêteur Poulin et de ses notes? Il déclare à la requérante qu’il va devoir faire expertiser son cellulaire après qu’elle lui ait exhibé son contenu. Je rappelle qu’il note dans le formulaire de rédaction : « Je lui explique que nous devrons vérifier son cellulaire. Elle veut collaborer et me remet le cellulaire. »

[116]     Dans le formulaire de déclaration, il note : « Vous pouvez prendre mon cellulaire pour l’analyser. »

[117]     Lors de son témoignage du 14 mars 2019, il déclare : « Oui, il y eut une discussion sur la remise volontaire de bien. Là, je lui ai expliqué, j’ai dit : Écoutez, votre cellulaire est là, vous m’en faites part puis tout ça, ça fait que moi, je vous demande : est-ce que vous acceptez de nous le remettre pour qu’on fasse une expertise ? » « Oui, pas de problème », mais là qu’elle commence : « quand est-ce que je vais le ravoir? »

[118]     Lors de son témoignage du 16 novembre 2020, il ajoute qu’à ce moment : « dans ma tête à moi, c’est clair que je vais saisir le cellulaire. »

[119]     En ce qui a trait aux droits de la requérante, il témoigne qu’il lui a lu intégralement ce qui est écrit sur le formulaire. Par contre, le formulaire ne contient que des énoncés généraux sur les droits constitutionnels en jeu lors de la prise d’une déclaration tels que le droit à l’avocat et le droit au silence.

[120]     La poursuivante suggère, d’une part, que le bien a été remis volontairement et/ou, d’autre part, que le policier était en droit de saisir le cellulaire sans mandat.

[121]     Elle a le fardeau d’établir par prépondérance de preuve l’une ou l’autre des situations.

[122]     Dans l’arrêt Reeves[11], la Cour suprême mentionne que lorsqu’une personne consent à remettre volontairement et valablement quelque chose aux autorités, elle renonce aux protections que l’article 8 de la Charte lui garantit. Toutefois, cette renonciation aux droits garantis doit être éclairée. Pour ce faire, la personne qui renonce doit être bien informée.

[123]     Une partie de l’information peut être connue de la personne au moment de renoncer, tels que l’accident et ses conséquences funestes. Une autre partie de l’information doit être communiquée par les autorités et être ajustée en ayant à l’esprit des préoccupations particulières considérant l’objet et l’étendue de la saisie. Un téléphone cellulaire, tout comme un ordinateur, renferme énormément de renseignements éminemment personnels susceptibles d’être utiles à une enquête policière[12].

[124]      Il y a une différence entre un consentement véritable et un simple acquiescement[13].

[125]     Le Tribunal comprend que l’enquêteur Poulin s’intéressait avant tout au contenant, puisque par sa taille, il peut facilement disparaître. Toutefois, la requérante a rapidement exhibé l’appareil. Il était maintenant visible.

[126]     Cependant, la preuve révèle que même avant de voir l’appareil, l’enquêteur savait très bien que le véritable objet de son enquête était son contenu, c’est-à-dire l’information susceptible d’être analysée et utile pour les fins de l’enquête qui s’amorçait.

[127]     L’arrêt Wills de la Cour d’appel de l’Ontario, cité plus haut, énumère les critères à respecter pour déterminer la validité du consentement en semblable circonstance:

The application of the waiver doctrine to situations where it is said that a person has consented to what would otherwise be an unauthorized search requires that the Crown establish on the balance of probabilities that:

(1) there was a consent, express or implied;

(2) the giver of the consent had the authority to give the consent in question;

(3) the consent was voluntary and was not the product of police oppression, coercion or other external conduct which negated the freedom to choose whether or not to allow the police to pursue the course of conduct requested;

(4) the giver of the consent was aware of the nature of the police conduct to which he or she was being asked to consent;

(5) the giver of the consent was aware of his or her right to refuse to permit the police to engage in the conduct requested; and

(6) the giver of the consent was aware of the potential consequences of giving the consent.[14]

[128]     Premièrement, comme le précise le quatrième critère en l’espèce, la requérante n’a jamais été informée de la nature et de l’étendue des expertises prévisibles auxquelles on lui demandait de consentir. Dans le contexte de son échange avec le policier où elle lui exhibe volontairement son cellulaire pour démontrer qu’elle n’a pas utilisé l’application de messagerie avant l’accident, le fait que l’enquêteur Poulin lui dise « …on va devoir vérifier tout ça » est nettement insuffisant.

[129]     Est particulier également, le fait que la requérante déclare : « Vous pouvez prendre mon cellulaire ». Le Tribunal rappelle que le fardeau d’établir que la requérante a consenti volontairement à se départir de l’appareil et à permettre l’accès au contenu appartient à la poursuivante.

[130]     Sur ce point, le Tribunal s’interroge aussi sur la capacité, pour la requérante médicamentée et en état de choc, de percevoir les limites entre ce que l’enquêteur Poulin appelle « ses trois chapeaux ».

[131]     Il a abordé la requérante en lui demandant de lui exposer ses déplacements précédant l’accident et les circonstances de celui-ci. Il savait déjà qu’il recherchait un cellulaire. Il dit être passé en mode - enquête criminelle - dès que la requérante a évoqué avoir utilisé un cellulaire, et ce, avant même de prendre la route plusieurs minutes avant l’accident.

[132]     Le Tribunal estime plutôt qu’il était en mode enquête criminelle dès son arrivée, mais qu’il avançait prudemment vers son objectif de récupérer le cellulaire. D’ailleurs, il n’a pas été établi qu’il ait fait un rapport d’accident pour la sécurité routière ou un rapport au coroner et ses quelques notes ne soutiennent pas qu’il ait pu le faire ou qu’il l’ait fait.

[133]     Il n’est pas interdit d’agir de bonne foi dans le cadre de pouvoirs prévus dans les lois autres que criminelles, mais le consentement ne sera valable que s’il permet à la personne qui accepte de se départir de son bien, de bien pouvoir se situer dans le processus au moment où elle a la faculté de consentir.

[134]     Au moment de lui expliquer les droits prévus sur le formulaire de déclaration et après avoir pris possession du cellulaire, l’enquêteur Poulin dit à la requérante qu’elle n’est pas arrêtée ou détenue, mais qu’elle est interrogée concernant une négligence criminelle ou une conduite dangereuse causant la mort.

[135]     Deuxièmement, rien dans le dossier n’indique que la requérante savait ou a été informée qu’elle n’était pas obligée de consentir tel que le prévoit le cinquième critère.

[136]     Dans les notes du calepin, il est question de remise volontaire. Dans le formulaire signé par la requérante, parce que l’enquêteur Poulin voulait avoir un appui pour les droits constitutionnels en jeu, il n’est question que du droit à l’avocat et de droit au silence.

[137]      Lorsqu’il témoigne le 16 novembre 2020, le procureur de la requérante lui demande s’il y a eu une discussion sur la remise volontaire du bien et l’enquêteur répond : « Oui, il y a eu une discussion sur la remise volontaire de bien. Là, je lui ai expliqué, j’ai dit : Écoutez, votre cellulaire est là, vous m’en faites part, puis tout ça, ça fait que moi, je vous demande : est-ce que vous acceptez de nous le remettre pour qu’on fasse une expertise? »

[138]     Le Tribunal lui demande s’il a expliqué à la requérante que s’il n’avait pas son consentement, il allait devoir obtenir un mandat. L’enquêteur répond par la négative.

[139]     En définitive, même si la requérante n’a pas témoigné, la preuve est sans équivoque, l’enquêteur n’a jamais informé la requérante qu’elle n’était pas tenue de consentir.

[140]     Troisièmement, et c’est le dernier critère énuméré dans l’arrêt Wills, la requérante, au moment de consentir, était-elle consciente des conséquences potentielles de la renonciation?

[141]     En l’espèce, le Tribunal répond par la négative pour deux raisons. Tout d’abord, il faut se rappeler que l’ « accord » de la requérante, sans le qualifier de remise volontaire, s’inscrivait dans une démarche où elle avait démontré qu’elle n’avait pas utilisé le service de messagerie dans les moments critiques.

[142]     Puisque l’enquêteur Poulin s’est concentré sur la saisie du téléphone, il n’a donné aucune information à la requérante sur l’étendue ou les limites des vérifications qui devenaient possibles une fois en possession de celui-ci. Il s’est borné à dire qu’il obtiendrait un mandat pour faire expertiser le contenu.

[143]     Ce n’est qu’après avoir obtenu le cellulaire que l’enquêteur Poulin a informé la requérante qu’elle était « interrogée » en rapport avec une possible négligence criminelle ou une conduite dangereuse causant la mort. Qu’est-ce qui justifiait à ce moment ce changement dans l’enquête? Il venait de voir que l’application de messagerie n’était pas en cause. S’il envisageait déjà d’autres expertises, il n’en a soufflé mot à la requérante.

[144]     Ensuite, le Tribunal s’interroge sur l’état de conscience de la requérante. Elle venait d’avoir son congé de l’hôpital, avait été impliquée dans un accident mortel, était médicamentée (l’enquêteur note ++) et visiblement en état de choc.

[145]     Le Tribunal ne conclut pas qu’elle ne pouvait consentir, mais il estime que la poursuivante n’a pas démontré par prépondérance de preuve la valeur de son consentement. À tout le moins, le dossier aurait dû faire étalage de certains ajustements à la situation pour témoigner d’une recherche d’un consentement éclairé.

[146]     En résumé, sur ce point, le Tribunal conclut que la poursuivante n’a pas rencontré son fardeau et qu’il n’y a pas eu de consentement valable à la remise du téléphone cellulaire.

[147]      Finalement, puisque l’enquêteur a déclaré lors de ses témoignages qu’il n’aurait jamais quitté la résidence sans emporter le téléphone, la poursuivante suggère qu’il pouvait le saisir sans mandat, non pas de façon accessoire à une arrestation légale, mais en vertu de l’article 487.11 du Code criminel.

[148]      Cette disposition particulière doit être interprétée dans le contexte où la situation rend presque impossible l’obtention d’un mandat ou d’un télémandat. Le Tribunal estime que la poursuivante n’a pas démontré que ces conditions préalables existaient. Il n’y a aucune preuve que l’enquêteur Poulin ait envisagé obtenir une autorisation au préalable ou qu’il n’était pas dans une situation où cela était possible.

[149]     Le téléphone était visible, la requérante s’était vue autorisée à s’en servir pour placer des appels et avait accepté les consignes de l’enquêteur. À ce moment, il n’existait aucun risque imminent que le bien et la preuve qu’il contenait disparaissent.

[150]     En l’espèce, il est plutôt permis de se demander si les conditions de délivrance d’un mandat ou d’un télémandat auraient été de nature à satisfaire un juge autorisateur.

LA DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[154]    Casse le mandat de perquisition 200-26-031830-178;

[155]   DÉCLARE que la saisie du téléphone cellulaire de la requérante Annie Plamondon, le 20 août 2017, était abusive et contraire aux droits de la requérante à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

[156]   AJOURNE l’audience sur l’exclusion de la preuve à une date ultérieure.

 

 

__________________________________

MARIO TREMBLAY, J.C.Q.

 

Me Julie Roy

Procureure de la poursuivante-intimée

 

Me Charles Levasseur

Me Philippe Levasseur

Procureurs de l’accusée-requérante

 

 

 

 



[1]     Association canadienne des automobilistes (CAA), Distraction au volant - Statistiques, en ligne : <https://www.caa.ca/fr/distraction-au-volant/statistiques/>

[2]     Institut national de santé publique du Québec, Effet de l’utilisation du cellulaire au volant sur la conduite automobile, le risque de collision et pertinence d’une législation, Mémoire déposé à la Commission des transports et de l’environnement de l’Assemblée nationale du Québec, 2006.

[3]     Association canadienne des automobilistes (CAA), préc., note 1.

[4]     Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO), Portrait numérique des foyers québécois, vol. 10, numéro 4, 2019, en ligne : <https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2020/09/netendances-2019-portrait-numerique-des-foyers-quebecois.pdf>

[5]     Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2.

[6]     O’Reilly c. La Reine, 2017 QCCA 1283.

[7]     R. c. Audigé, 2020 QCCA 1572, par. 12 et 13.

[8]     R. c. Morelli, 2010 CSC 8, par. 58.

[9]     R. c. Araujo, 2000 CSC 65, extrait du résumé de la décision.

[10]    Groupe de la Banque mondiale c. Wallace, 2016 CSC 15, par. 120 et 121.

 

[11]    R. c. Reeves, 2018 CSC 56.

[12]    R. c. Morelli, préc., note 8; R. c. Marakah, 2017 CSC 59.

[13]    R. v. Wills, 1992 CanLII 2780 (ON CA).

[14]    Id.

AVIS :
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