R. c. Binet |
2019 QCCA 669 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-10-003590-184 |
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(400-01-086360-179, séq. 003) (400-01-087214-177) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
12 avril 2019 |
CORAM : LES HONORABLES |
LOUIS ROCHETTE, J.C.A. (JR0983) |
PARTIE REQUÉRANTE |
AVOCATE |
SA MAJESTÉ LA REINE |
Me ÉMILIE GOULET (AG0GT8) (Directeur des poursuites criminelles et pénales)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCATES |
JEAN-CLAUDE BINET |
Me ANNIE LAHAISE (AZ0397) Me MYLÈNE LAREAU (AU4253) (Absente)
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DESCRIPTION : |
1. Requête en autorisation d’appel de la sentence rendue le 6 novembre 2018 par l’honorable David Bouchard de la Cour du Québec, district de Trois-Rivières, déférée à la formation; 2. Trafic de substances - Possession non autorisée d’autres armes (infraction délibérée) - Possession non autorisée d’une arme à feu - Omission de se conformer à un engagement. |
Greffière audiencière : Gisèle Tendeng Diène (TT1595) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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9 h 40 |
Observations de Me Goulet; |
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Observations de la Cour; |
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Me Goulet poursuit; |
9 h 56 |
Observations de Me Lahaise; |
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Observations de la Cour; |
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Me Lahaise poursuit; |
10 h 16 |
Suspension; |
10 h 20 |
Reprise; |
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Arrêt, les motifs seront ajoutés au procès-verbal; |
10 h 23 |
Fin de l’audience. |
(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 novembre 2018 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Trois-Rivières (l’honorable David Bouchard), qui impose une peine d’une journée d’emprisonnement en considérant une période de 25 mois et 24 jours de détention provisoire[1] et prononce d’autres ordonnances.
[2] Alléguant que le juge n’a pas respecté la suggestion commune des parties d’imposer une peine de 28 mois d’emprisonnement, l’appelante demande la permission d’appeler de ce jugement.
Le contexte
[3] L’arrestation de l’intimé remonte à 2017. Il est mis en accusation dans le cadre d’une opération policière de la Sûreté du Québec nommée « projet OUEST » visant des réseaux de trafiquants de cocaïne et méthamphétamine en Mauricie. Le 2 février 2019, douze individus se voient imposer des peines au terme des procédures découlant de cette enquête policière. Celles-ci vont de trois mois d’emprisonnement discontinu à 39 mois et demi. L’intimé n’est pas du nombre.
[4] L’intimé comparaît le 31 mai 2017 sous des chefs d’accusation de criminalité organisée, complot pour trafic, trafic de cocaïne et méthamphétamine ainsi que recyclage des produits de la criminalité. Le 12 juillet 2017, il comparaît de nouveau pour des accusations de possession dans le but de trafic de cocaïne et de recel de 4 880 $.
[5] Il comparait une troisième fois le 14 août 2017 pour des accusations de trafic de cocaïne, de possession de haschich dans le but d’en faire le trafic, de possession de six armes prohibées, d’entreposage négligent d’une arme à feu, de possession illicite d’une arme à feu, de défaut de respecter un engagement remis à un juge de paix (2 chefs) et de défaut de respecter une ordonnance de probation.
[6] Au total, l’intimé fait donc face à quatorze chefs d’accusation. Une ordonnance de détention provisoire est prononcée le 16 août 2017 à la suite d’une enquête sur remise en liberté. Il est détenu à compter de cette date.
[7] L’enquête préliminaire doit débuter le 26 juin 2018. Dès l’ouverture, les parties conviennent que l’intimé plaidera coupable et qu’il y aura une suggestion commune d’une peine de 28 mois d’emprisonnement et de diverses ordonnances. L’intimé renonce à la tenue de l’enquête préliminaire et le dossier est reporté au 21 décembre 2018. À cette date, l’entente prévoit que le juge pourra imposer une peine d’emprisonnement d’une journée.
[8] Le 1er novembre 2018, l’intimé demande toutefois de devancer la date à laquelle il doit enregistrer ses plaidoyers de culpabilité. Les dossiers sont mis au rôle le 6 novembre 2018.
[9] Lors de l’audition, les parties informent le juge qu’elles ont fait un exposé conjoint des faits contenant les quatre chefs d’accusation sur lesquels elles se sont entendues. Celui-ci relate le rôle de l’intimé dans les réseaux de vente de cocaïne et de méthamphétamine, sa possession d’armes prohibées constatée lors d’entrées subreptices à son domicile et son engagement remis à un juge de paix dans un dossier en matière de violence. Les parties n’ont pas changé leur suggestion commune concernant la peine d’emprisonnement de 28 mois, ce qui a pour résultat qu’une peine de deux mois et six jours devrait être prononcée pour respecter l’entente intervenue.
[10] L’intimé enregistre des plaidoyers de culpabilité sur les chefs suivants : trafic de substances (cocaïne et méthamphétamine), possession d’une arme prohibée (six poings américains), possession illicite d’une arme à feu (carabine 10/22) et bris de condition (garder une bonne conduite). La poursuite retire les autres accusations pendantes contre lui et il est déclaré coupable sur les quatre chefs d’accusation.
[11] L’intimé présente alors une requête en vertu de l’article 523(2)a) C.cr. afin d’annuler l’ordonnance de détention provisoire du 16 août 2017. Il désire se rendre au chevet de sa mère qui est en phase terminale d’un cancer diagnostiqué en octobre 2018. Sa santé se détériore très rapidement. L’intimé souhaite que le prononcé de la peine soit reporté afin qu’il puisse se rendre trois jours auprès de sa mère. Il reviendrait ensuite purger les deux mois restant sur la peine convenue entre les parties. Cette demande est faite au juge car les autorités carcérales ont refusé de lui permettre de se rendre trois jours auprès de sa mère. La permission accordée ne serait que pour une période de deux heures et il devrait être accompagné d’agents du service correctionnel en plus de porter les menottes.
Le jugement de première instance
[12] Le juge rejette la requête en vertu de l’article 523(2)a) C.cr. et prononce la peine oralement le jour même. Il justifie le rejet de la requête en mentionnant qu’une alternative est possible, soit revoir la peine de l’intimé.
[13] Il impose une peine d’une journée d’emprisonnement, ce qui équivaut à une peine de 23 mois et 25 jours avec la détention provisoire. Selon le juge, cette peine est juste et appropriée au regard des objectifs et principes de détermination de la peine. Il prononce également des ordonnances de suivi probatoire de six mois, d’interdiction de contact avec différents individus, d’interdiction de possession pour dix ans d’armes et de prélèvement d’un échantillon d’ADN, en plus d’imposer une suramende de 800 $. Il ordonne en outre la confiscation et la destruction de l’ensemble de ce qui a été saisi, à l’exception du Ipad.
L’analyse
[14] L’appelante reproche au juge d’avoir commis une erreur de droit en ne respectant pas les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[2]. Un juge ne peut écarter une suggestion commune des parties en matière de peine que s’il estime que celle proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est contraire à l’intérêt public. En l’espèce, le juge n’avait aucun motif de ne pas retenir la suggestion commune.
[15] Dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, la Cour suprême indique ceci :
[32] Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. […]
[…]
[52] Deuxièmement, les juges du procès doivent appliquer le critère de l’intérêt public lorsqu’ils envisagent d’infliger une peine plus lourde ou plus clémente que celle recommandée conjointement (DeSousa, le juge Doherty). Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyse sera la même dans les deux cas. Au contraire, du point de vue de l’accusé, l’infliction d’une peine plus clémente ne suscite pas chez lui de préoccupations relativement au droit à un procès équitable, ni ne mine sa confiance envers la certitude des négociations sur le plaidoyer. De plus, quand il se demande si la sévérité d’une peine recommandée conjointement irait à l’encontre de l’intérêt public, le juge du procès doit être conscient de l’inégalité du rapport de force qu’il peut y avoir entre le ministère public et la défense, surtout lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat ou est détenu au moment de la détermination de la peine. Ces facteurs peuvent atténuer l’intérêt qu’a le public dans la certitude et justifier l’imposition d’une peine plus clémente dans des circonstances limitées. Par contre, lorsque le juge du procès envisage d’infliger une peine plus clémente, il doit se rappeler que la confiance de la société envers l’administration de la justice risque d’en souffrir si un accusé profite des avantages d’une recommandation conjointe sans avoir à purger la peine convenue (voir DeSousa, par. 23-24).[3]
[Soulignement ajouté]
[16] À la lumière de ces principes, la Cour est d’avis que le juge a commis une erreur révisable en rejetant la suggestion conjointe. Il ne s’est pas interrogé à savoir si la peine suggérée était susceptible de déconsidérer la justice ou encore si elle était contraire à l’intérêt public. Il modifie la peine proposée afin de permettre à l’intimé d’aller auprès de sa mère. Pour en arriver à cette conclusion, il se demande si la peine suggérée par les parties, soit 28 mois de prison, atteindrait davantage les objectifs et principes de détermination de la peine qu’une peine équivalente à 25 mois et 25 jours. Il reproche aux parties de ne pas revoir leur suggestion en raison de la situation factuelle différente de celle prévalant au moment des négociations en juin 2018.
[17] C’est donc pour imposer une peine plus appropriée à la situation particulière de l’intimé que le juge n’accepte pas la suggestion commune des parties. Or, la Cour suprême écarte le critère de la « justesse » d’une peine lorsqu’un juge doit déterminer s’il accepte la proposition des parties[4].
[18] Le juge ne pouvait pas écarter la suggestion commune comme alternative au rejet de la requête en vertu de l’article 523(2)a) C.cr. Les suggestions communes ont une très grande importance dans le système de justice pénale et les juges ne peuvent les refuser que si elles sont contraires à l’intérêt public, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
[19] La Cour d’appel d’Alberta, dans une affaire récente, indique bien la distinction entre les principes devant guider un juge pour accepter ou refuser une suggestion commune et ceux applicables à la détermination d’une peine. Elle s’exprime ainsi :
[17] After a review of the case law, the sentencing judge summed up the test as follows:
51 The principles to be drawn from these cases suggest that a joint submission will bring the administration of justice into disrepute or otherwise be contrary to the public interest when it does not adequately reflect the general principles of sentencing identified in the Criminal Code and where the benefits of accepting the joint submission do not outweigh these concerns. (Emphasis added)
This, however, is not the test for accepting a joint submission set in Anthony-Cook. It echoes the “fitness” or “demonstrable unfitness” tests that were specifically rejected in that case.
[18] While the sentence that might have resulted after trial is relevant, it is an unhelpful approach to start the analysis by reverse engineering the joint submission. In other words, it is inappropriate to first determine what sentence would have been imposed after a trial, and then compare it to the joint submission. This inevitably invites a conclusion that the joint submission would bring the administration of justice into disrepute merely or primarily because it departs from the conventional sentence. Rather, the analysis should start with the basis for the joint submission, including the important benefits to the administration of justice, to see if there is something apart from the length of the sentence that engages the broader public interest or the repute of the administration of justice.[5]
[20] La Cour partage ce point de vue. Le juge a commis une erreur de principe en refusant la suggestion commune des parties. Sous le couvert de l’intérêt public, il a plutôt imposé une peine qu’il trouvait plus appropriée dans les circonstances.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[21] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;
[22] ACCUEILLE l’appel;
[23] INFIRME le jugement de première instance du 6 novembre 2018;
[24] IMPOSE la peine suggérée par les parties le 6 novembre 2018 quant à la durée totale d’emprisonnement, soit :
- Durée totale d’emprisonnement : 28 mois;
- Moins détention équivalente déjà purgée : 25 mois et 25 jours;
- Détention à purger à compter du présent arrêt : 2 mois et 5 jours.
[25] ORDONNE à l’intimé de se constituer prisonnier au plus tard lundi à 10h;
[26] MAINTIENT les autres ordonnances prononcées en première instance.
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LOUIS ROCHETTE, J.C.A. |
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JULIE DUTIL, J.C.A. |
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
AVIS :
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