Chenichene c. Leb Immobilier inc. | 2023 QCTAL 34634 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 680721 31 20230210 T | No demande : | 4011588 | |||
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Date : | 09 novembre 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Manon Talbot | |||||
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Amine Chenichene |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Leb Immobilier Inc. |
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Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locataire demande la rétractation d’un jugement prononcé le 28 juin 2023 à la suite d’une audience tenue le 14 juin précédent lors de laquelle il était absent.
[2] Le jugement attaqué condamne le locataire à payer 8 208,26 $ pour loyer impayé avant le départ du locataire et en dommages-intérêts pour pertes locatives et indemnité de relocation. Le locataire allègue à sa procédure qu’il n’était pas présent à l’audience au motif qu’il n’a pas reçu l’avis de convocation sans qu’il y ait faute de sa part.
[3] Concernant ses moyens de défense sommaires à faire valoir à la demande originaire de la locatrice, le locataire indique à sa procédure ceci : « il a quitté le logement car le propriétaire refusait d’effectuer les réparations dues à un dégât d’eau qui n’était pas la responsabilité du demandeur dans la présente demande ».
[4] Devant la soussignée, le locataire mentionne que l’avis de convocation a été expédié à sa nouvelle adresse à Montréal alors qu’il travaillait à Québec. Son frère avec qui il partage le logement, l’a informé de la réception de l’avis de convocation, mais il était impossible pour lui de revenir à Montréal à la date prévue. Il n’a toutefois pas jugé utile d’informer la locatrice et le Tribunal de son absence.
[5] Concernant ses moyens de défense à faire valoir à la demande originaire de la locatrice, le locataire admet ne pas avoir payé une partie des loyers réclamés pour lesquels il a été condamné par la décision du 28 juin 2023. Il fait valoir que le logement était insalubre en raison du refus de la locatrice de procéder aux réparations. Il a donc quitté le 10 mai 2021.
[6] La locatrice s’oppose à la demande de rétractation.
[7] Le locataire a-t-il démontré un motif valable de rétractation ?
[8] Les moyens de défense passent-ils l'analyse sommaire sur la demande de rétractation ?
ANALYSE ET DÉCISION
[9] L'article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement du logement (Loi)[1] permet la rétractation d'une décision si une partie a été empêchée par surprise, fraude, ou autre cause jugée suffisante de se présenter à l'audience.
[10] À maintes reprises, les tribunaux ont déterminé que la rétractation est une dérogation au principe de l'irrévocabilité des jugements d'où le sérieux que doivent revêtir les motifs invoqués[2].
[11] De plus, l'absence d'une partie à l'audience ne justifie pas automatiquement la rétractation de jugement[3]. Le Tribunal doit s'assurer que la négligence de la partie n'est pas en cause, car la négligence n'est pas un motif de rétractation accepté par les tribunaux[4].
[12] En l'occurrence, il revenait au locataire de démontrer qu'il a été empêché de se présenter pour une cause jugée suffisante.
[13] Or, les explications du locataire pour justifier son absence à l’audience devant le Tribunal ne permettent pas de faire droit à la demande de rétractation. Le Tribunal est d’avis que toute personne sérieuse et raisonnable qui reçoit signification d’une procédure lui réclamant plus de 18 000 $ en loyer impayé et en dommages-intérêts, prendrait les mesures adéquates pour faire valoir ses prétentions en désignant un mandataire ou pour demander une remise de l’audience. L’inaction du locataire décèle l’illustration d'un comportement insouciant. Le Tribunal ne peut cautionner le peu d’empressement d’une partie pour faire valoir ses droits.
[14] Les procédures devant un tribunal sont chose sérieuse et commandent d’agir avec diligence.
[15] L’étude de la jurisprudence permet de conclure que la négligence d’une partie n’est pas un motif sérieux de rétractation de jugement.
[16] Dans la décision Lettrage Graphico-Tech inc. c. Quden inc.[5] maintes fois citée, le juge François Marchand de la Cour du Québec énonce ce qui suit :
« En matière de rétractation de jugement, il faut trouver un juste équilibre entre deux principes qui s'affrontent, soit celui de la stabilité des jugements rendus et celui du droit à une défense pleine et entière. Il est donc essentiel de déterminer si la négligence de la partie défenderesse de protéger adéquatement ses droits est excusable ou non. La jurisprudence la considère excusable lorsqu'elle a été en quelque sorte causée par des circonstances extérieures à la partie elle-même, soit parce qu'elle a été induite en erreur ou surprise par la partie adverse ou par des tiers dont elle ne répond pas. La situation est fort différente, lorsque la partie défenderesse a fait preuve d'un manque de sérieux flagrant dans la conduite de ses affaires, en ne faisant pas un suivi adéquat de son dossier. »
[17] Mais ce n’est pas tout.
[18] Il y a aussi lieu de souligner que, même si les moyens sommaires de défense soulevés sont sérieux, la Cour du Québec mentionne dans l'affaire Marin c. Guindon[6], que ceux-ci ne peuvent toujours pallier l'insuffisance de motifs de rétractation :
« La théorie des « vases communicants » entre les motifs justifiant la rétractation de jugement et les moyens de défense Cour d'appel a maintes fois été réitérée par la Cour d'appel. Ainsi, « plus les moyens de défense sont sérieux, plus sont vraisemblables et recevables les motifs du défendeur pour expliquer que son défaut « est dû à la surprise, à l'oubli, à l'inadvertance, à la méprise, à une erreur, peut-être même stupide, mais sincère » [...](4).
Toutefois, de bons moyens de défense ne peuvent suffire à eux seuls pour rétracter un jugement. Autrement, comme l'indique cette Cour :
Cela aurait pour effet d'évacuer complètement la nécessité de démontrer des motifs sérieux de rétractation et reviendrait à dire qu'en présence d'excellents moyens de défense à faire valoir, il n'y a pas lieu de s'attarder aux motifs de rétractation.
En l'espèce, le sérieux des moyens de défense ne saurait compenser pour l'insuffisance des motifs de rétractation. »
[19] À la lumière de ces principes, le Tribunal est d’avis que le locataire n’a pas établi avoir été empêché de se présenter à l’audience pour une cause juste et suffisante ou tout autre motif.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[20] REJETTE la demande en rétractation du locataire;
[21] MAINTIENT la décision rendue le 28 juin 2023.
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Manon Talbot | ||
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Présence(s) : | le locataire la mandataire de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 11 septembre 2023 | ||
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[1] RLRQ c. T-15.01
[2] Entreprises Roger Pilon inc. et al. c. Atlantis Real Estate Co.,
[3] Thérèse ROUSSEAU-HOULE et Martine DE BILLY, Le bail de logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur Ltée (1989) Montréal, p. 307.
[4] Fattal c. Pilon, 500-02-035546-824, (C.Q.), M. le juge Bernard Desjarlais, le 15 novembre 1982. Voir aussi : Mondex Import inc. c. Victorian Bottle inc.
[5] Lettrage Graphico-Tech inc. c. Quden inc.
[6] Marin c. Guindon,
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