Promutuel Vallée du St-Laurent, société mutuelle d'assurance générale c. Noyrigat-Gleye | 2024 QCCA 447 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(700-17-019104-222) | |||||
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DATE : | 18 avril 2024 | ||||
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PROMUTUEL VALLÉE DU ST-LAURENT, SOCIÉTÉ MUTUELLE D’ASSURANCE GÉNÉRALE | |||||
APPELANTE – mise en cause | |||||
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c. | |||||
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NELLY NOYRIGAT-GLEYE GUILHEM LABERTRANDE | |||||
INTIMÉS – défendeurs | |||||
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GUY BÉLANGER | |||||
MIS EN CAUSE – demandeur | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, du 20 mars 2023 (l’honorable Pierre Nollet), lequel a accueilli la demande de type Wellington des intimés et lui ordonne d’assurer la défense de ces derniers pour l’ensemble du litige.
[2] Pour les motifs du juge Moore, auxquels souscrivent les juges Schrager et Gagné, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| BENOÎT MOORE, J.C.A. | |
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Me Gilbert Hourani Me Samuel Robichon | ||
Borden Ladner Gervais | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Olivier Therrien | ||
SAVOIE & SAVOIE | ||
Pour les intimés | ||
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Date d’audience : | 6 octobre 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE MOORE |
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[4] Ce pourvoi vise un jugement[1] ayant accueilli la demande de type Wellington des intimés et ordonné à l’appelante d’assurer la défense de ces derniers pour l’ensemble du litige les opposant au mis en cause Guy Bélanger. Il soulève une double question liée à l’obligation de défendre de l’assureur prévue à l’article 2503 du Code civil du Québec. Le contexte est le suivant.
[5] Le mis en cause poursuit les intimés au motif que ceux-ci auraient coupé des arbres, modifié le dénivèlement du terrain et construit un mur de soutènement sur sa propriété. Il demande donc des dommages-intérêts compensatoires de 38 098 $ pour les arbres et de 7 500 $ pour stress, ennuis et inconvénients et des dommages punitifs de 24 200 $ aux termes de la Loi sur la protection des arbres[2], ainsi que deux injonctions permanentes visant le démantèlement du mur de soutènement et le rétablissement du dénivelé de l’immeuble.
[6] Les intimés ont souscrit une assurance responsabilité civile auprès de l’appelante. Celle-ci accepte de prendre en charge leur défense pour les dommages compensatoires, mais pas pour les demandes en injonction et en dommages punitifs. Les intimés présentent donc une demande de type Wellington que le jugement entrepris accueille.
[7] Après avoir rappelé les principes applicables à l’obligation de défendre de l’assureur, notamment que celle-ci s’enclenche sur la simple possibilité que la nature véritable de la demande – tel qu’il en ressort des allégations – relève de la police d’assurance, le juge distingue la question de l’injonction de celle des dommages punitifs.
[8] Quant à la première, il conclut que l’injonction n’est « […] qu’une façon de mettre les dommages reliés à l’érection de ce mur à la charge des défendeurs »[3]. Il écrit[4] :
[17] Il n’est donc pas déraisonnable de conclure que la valeur des travaux de remise en état constitue un dommage matériel compensatoire. Dans ce cas, il existe une possibilité que cette partie de la réclamation soit couverte au même titre que les dommages compensatoires réclamés pour les arbres coupés. Le fait que M. Bélanger procède par demande injonctive ne change pas la véritable nature de la demande.
[9] En ce qui concerne les dommages punitifs, le juge convient qu’ils ne sont pas couverts par la police. Cela étant, il serait selon lui « […] déraisonnable et contraire à la règle de la proportionnalité »[5] d’exiger que les intimés soient tenus de s’adjoindre un avocat pour une portion de la réclamation qui est négligeable. Le résultat serait, de plus, contraire au principe d’unicité de la représentation, duquel principe l’obligation de défendre ne permet de s’écarter que dans les dossiers complexes qui le justifient, ce qui n’est pas le cas ici puisque « [l]a défense des allégations couvertes et celles qui pourraient ne pas l’être soulèvent les mêmes questions et les mêmes moyens de preuve pour y répondre »[6]. Enfin, le juge mentionne que l’appelante pourra éventuellement réclamer aux intimés les frais encourus spécifiquement pour les réclamations non couvertes si elle est en mesure d’en établir le partage.
[10] L’appelante conteste la conclusion du juge sur ces deux moyens. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que son appel doit échouer. Voyons les successivement.
[11] Sur ce point, l’appelante fait valoir que le juge erre en concluant que l’injonction constitue un recours en dommages-intérêts compensatoires. Il s’agit plutôt, selon elle, d’un recours en exécution en nature de l’obligation. Elle plaide que la jurisprudence a refusé à plusieurs reprises que des conclusions injonctives puissent être qualifiées d’actions en dommages-intérêts compensatoires et ajoute que l’on ne saurait imaginer qu’elle soit contrainte de démolir elle-même un mur de soutènement.
[12] Le juge aurait également erré dans l’application du test de la nature véritable du litige en se livrant à une « interprétation fantaisiste » et en transformant une action en exécution en nature en une réclamation de dommages. Selon l’appelante, la seule manière pour que les conclusions injonctives puissent devenir pécuniaires est dans l’éventualité où les intimés ne s’y conformeraient pas et où le juge conclurait à un outrage. Or, il s’agirait là d’une faute intentionnelle, laquelle n’est pas couverte par la police.
[13] Enfin, le juge aurait erré en concluant que les questions soulevées par la demande injonctive sont les mêmes que celles soulevées par la demande en dommages-intérêts puisqu’un débat distinct devra être fait aux termes de l’article 992 alinéa 2 C.c.Q.
[14] L’obligation de défendre l’assuré, prévue à l’article 2503 C.c.Q., laquelle est d’ordre public[7], se distingue de l’obligation d’indemniser[8]. En ce sens, il est possible qu’un assureur doive prendre la défense de son assuré, mais qu’au terme du litige il ne soit pas tenu de l’indemniser. La raison de cela réside dans le fait que l’évaluation ne s’opère pas au même moment ni sur les mêmes éléments. Si, dans le cas de l’obligation d’indemniser, l’analyse se fonde sur un dossier complet et bénéficie de la preuve, dans le cas de l’obligation de défendre, elle se fonde essentiellement sur la demande en justice.
[15] Afin de résoudre cette difficulté, la jurisprudence établit que l’obligation de défendre s’enclenche dès lors que, sur la base de la nature véritable de la demande au terme d’une interprétation raisonnable des allégations, il existe une possibilité que l’assureur soit tenu d’indemniser l’assuré[9]. Dans cette analyse, il convient de donner la portée la plus large possible aux allégations de la demande. Autrement dit, pour conclure à l’inexistence de l’obligation de défendre, il faudra qu’il ressorte clairement de ces allégations que l’assuré n’est pas couvert[10].
[16] En l’espèce, et avec égards, l’appelante déforme le jugement lorsqu’elle prétend que le juge conclut que la demande en injonction constitue un recours en dommages‑intérêts compensatoires. Il se limite plutôt à affirmer qu’il n’est « pas déraisonnable de conclure » ou qu’il « existe une possibilité » que la nature du litige consiste dans la compensation d’un dommage matériel. Or, c’est bien là le critère qu’il devait appliquer.
[17] La question est donc de savoir si le juge a eu raison de conclure ainsi en fonction de la police qui couvre « les conséquences financières de la Responsabilité civile » et « se limite aux dommages-intérêts compensatoires »[11]. Pour cela, il faut établir la nature véritable du litige au-delà des termes utilisés dans la demande[12] et de la seule sanction ou conclusion recherchée.
[18] L’appelante prétend que la portion injonctive constitue « l’exécution en nature » d’une obligation et que la jurisprudence refuse de l’associer à une action en dommages‑intérêts compensatoires[13]. Avec égards, elle adopte là une interprétation indûment généreuse de cette jurisprudence. Il est vrai que l’injonction est le véhicule procédural afin d’obtenir l’exécution en nature d’une obligation. Si cette obligation est exclue de la couverture, tout remède cherchant à sanctionner son inexécution le sera. Il va également de soi qu’une injonction visant l’exécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire par l’assuré ne peut être couverte. Ce serait le cas, par exemple, d’une injonction visant à contraindre une partie contractante à exécuter une prestation de service ou à respecter une clause de non-concurrence.
[19] Mais, en l’espèce, l’injonction vise l’exécution d’une obligation d’indemniser un préjudice passé qui porte sur les mêmes faits constitutifs que la réclamation en dommages et ne demandera pas de défense spécifique. La nature véritable de l’action ne saurait dépendre uniquement du mode procédural d’exécution. Le mis en cause aurait pu faire évaluer les travaux et en demander les coûts afin d’exécuter ou de faire exécuter les travaux de réparation, comme il l’a fait pour le coût de remplacement des arbres, dont l’assureur ne conteste pas la couverture. Pourtant, stricto sensu, on peut penser que la sanction recherchée dans le cas des arbres n’est pas tant des « dommages-intérêts compensatoires », comme l’exigerait, selon l’appelante, la police d’assurance, qu’une demande d’exécution en nature par remplacement selon l’article 1602 C.c.Q.[14].
[20] Le fait que le mis en cause procède par une injonction ne modifie donc pas la nature réelle du litige qui est la compensation d’un préjudice matériel qu’aurait causé l’assuré. Si l’injonction est octroyée et que les intimés font exécuter les travaux par un tiers, le prix de ceux-ci pourrait être couvert comme « une conséquence financière de leur responsabilité civile » selon les termes utilisés dans la police d’assurance puisque les frais engagés pour les travaux que les intimés auront fait exécuter auront appauvri leur patrimoine. J’ajoute que le mis en cause pourrait très bien, en cours de litige, modifier la conclusion recherchée pour la remplacer par le remboursement des coûts de destruction sous l’article 1603 C.c.Q. ou même pour des dommages-intérêts, sans que cela change la nature du litige. D’ailleurs, il y a dans la procédure actuelle une conclusion subsidiaire en exécution en nature par équivalent, en destruction et en enlèvement de ce qui a été fait en contravention du droit de propriété du mis en cause.
[21] Je rappelle que c’est justement pour éviter que le domaine de l’obligation de défendre dépende indûment du vocabulaire ou de la stratégie adoptée par le tiers demandeur, ouvrant un risque de résultats aléatoires, arbitraires et inéquitables, que le test de la « simple possibilité de la couverture selon la nature véritable de la demande » a été développé. Il trouve ici son utilité d’autant que l’injonction ne constitue qu’une partie de la réclamation du mis en cause.
[22] En l’absence d’une preuve claire et non équivoque que la réclamation visée par la demande injonctive en l’espèce n’est pas couverte[15], le juge n’a pas commis d’erreur et le premier moyen doit donc être rejeté.
[23] La question des dommages punitifs se présente d’une manière différente puisque le juge conclut qu’ils sont explicitement exclus de la police par la clause suivante :
NOUS NE COUVRONS PAS :
[…]
e) Les sommes qui ne sont pas de nature purement compensatoire, telles que les amendes, les pénalités et les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.
[Renvoi omis]
[24] Bien que les intimés indiquent dans leur mémoire qu’ils « se réservent le droit » de soumettre que ces dommages punitifs, parce qu’ils sont prévus par la Loi sur la protection des arbres et qu’ils n’exigent pas la preuve d’un comportement répréhensible, sont de nature compensatoire, cet argument ne résiste pas à l’analyse. La possibilité de réclamer des dommages punitifs, en droit québécois, n’existe que si une loi le prévoit et selon les conditions qu’elle fixe. Il est dès lors possible qu’un acte malveillant ne soit pas requis, comme c’est le cas, notamment, pour la Loi sur la protection du consommateur[16] ou la Loi sur la protection des arbres[17]. Cela ne les transforme toutefois pas pour autant en dommages compensatoires. Ils demeurent bien des dommages punitifs et, de ce fait, sont exclus de la police.
[25] La question que soulève le présent appel est plutôt de savoir si cette exclusion empêchait le juge d’ordonner à l’appelante, notamment sur le fondement du principe de la proportionnalité et de celui de l’unicité de la représentation, de défendre les intimés pour le tout, quitte à ce qu’il y ait partage des frais de défense et honoraires à la fin du litige dans la mesure où il sera possible d’isoler les frais associés à la seule question des dommages punitifs. C’est ce que fait la jurisprudence lorsque l’assureur accepte d’assumer la défense pour une partie du dossier non couverte par la police[18].
[26] L’appelante plaide que le juge ne le pouvait pas. Au soutien de sa position, elle rappelle les enseignements de la Cour dans l’arrêt Géodex qui, énumérant les différents scénarios quant à l’obligation de défendre, écrit ceci[19] :
[34] Quatrièmement, il se peut que l’analyse mène à la conclusion que les réclamations sont couvertes, ou pourraient être couvertes, mais en partie seulement. En ce cas, l’assureur n’a l’obligation de défendre que les réclamations couvertes; quant à l’assuré, il devra voir à ses intérêts pour le reste (Nichols c. American Home Assurance Co., p. 812-813; Boréal Assurances Inc. c. Réno-Dépôt inc., précité; Fermont (ville de) c. Pelletier, [1998] R.J.Q. 736 (C.A.), p. 739). En effet, l’obligation de défendre est restreinte à une réclamation qui peut relever de la police, comme l’énonce l’art. 2503 C.c.Q. Si l’assureur accepte sous réserve de défendre pour le tout, il devra y avoir partage des frais de défense entre l’assureur et l’assuré, puisque l'avocat agira en vertu de deux mandats distincts. Par contre, si l'assuré désigne son propre avocat, il faudra éviter de créer un fardeau additionnel à la partie adverse. […]
[27] Pour l’appelante, la décision d’assumer ou non la défense des intimés pour les dommages punitifs lui revenait donc de manière exclusive et purement discrétionnaire et son refus, en l’espèce, constitue un obstacle dirimant à la demande de type Wellington.
[28] Il est certain que le principe établi dans l’arrêt Géodex a eu pour effet de consacrer l’obligation de défendre de l’assureur comme une exception possible à la règle de l’unicité de la représentation, ce qu’avait déjà affirmé la Cour dans l’arrêt Fermont[20] dans le contexte où un tiers demandeur avait contesté – sans succès – une deuxième comparution pour l’assuré. Ce principe a été repris par la suite dans l’affaire Gagnon qui concernait aussi l’opposition du tiers demandeur à la présence d’un second avocat pour l’assuré. La Cour écrit[21] :
[44] Il me paraît clair de ces arrêts que les droits et obligations découlant des relations contractuelles entre assureur et assuré, tels que sanctionnés légalement par le Code civil du Québec, constituent une exception indéniable au principe de l'unicité de représentation dès que la complexité d'une instance est telle à soulever des questions en litige visant des intérêts exclusifs propres à l'un ou à l'autre des deux, quelles que soient leur connexité et leur source légale respectives.
[29] En l’espèce, le juge pouvait-il donc conclure qu’en raison de la règle de la proportionnalité et du caractère négligeable de la partie concernant les dommages punitifs, la règle de l’unicité de la représentation devait prévaloir, malgré le refus de l’assureur de défendre l’assuré pour le tout? La doctrine sur ce point semble divisée.
[30] Certains auteurs, bien qu’ils constatent que la double représentation puisse occasionner des difficultés pratiques, s’opposent vigoureusement à la possibilité qu’un avocat nommé par l’assureur doive, sans que ce soit le choix de ce dernier, défendre des éléments non couverts[22] :
Par contre là où le bât blesse, c'est lorsqu'on utilise ce raisonnement pour forcer l'assureur à défendre des éléments non couverts présumant que cette défense n'ajouterait pas réellement de frais et honoraires supplémentaires à la défense des éléments couverts. […] Nous croyons qu'il y a là un sophisme dangereux. En effet, il y a une grande différence entre l'assuré qui profite de la défense d'éléments couverts et décide consciemment que cela répond suffisamment à son besoin de défendre la réclamation, qu'il ne s'engage pas lui-même un avocat, et le fait de forcer un assureur à défendre précisément des éléments non couverts simplement ou sur la base du fait que cela de toute façon ne devrait pas entraîner de frais supplémentaires pour l'assureur.
Nous croyons que cette position est mal fondée en droit. Il ne s'agit pas de forcer un assureur à défendre des aspects non couverts parce qu'il ne lui en coûtera rien. Ce n'est pas une question de sous, de frais ou d'efforts. C'est une question de droit. L'assureur doit défendre les aspects couverts et non les aspects non couverts. C'est ce à quoi il s'est engagé dans sa police d'assurance et les termes de cette police sont très précis. Peu importe le coût d'un acte ou d'un geste, il faut déterminer si l'assureur a l'obligation de le faire ou n'a pas d'obligation de le faire. C'est ce principe qu'il faut examiner et non pas s'il y a un coût ou non pour décider s'il y a obligation. […]
Nous croyons qu'un jugement qui forcerait un assureur à défendre des éléments non couverts ou des personnes non assurées irait directement à l'encontre de l'article 2503 C.c.Q. Cela irait, selon nous, également directement à l'encontre de la liberté contractuelle qui, pour l'instant, existe toujours en matière d'assurance, sauf évidemment les cas très précis pour lesquels le législateur est intervenu, tel que ci-haut mentionné.
[31] D’autres auteurs défendent des positions moins tranchées, lesquelles illustrent la complexité de la question et le difficile arbitrage entre, d’une part, la rigidité manichéenne des limites de l’obligation de défendre et, d’autre part, son application conjuguée à une évaluation à la fois contextuelle et fonctionnelle de l’impact sur le processus judiciaire.
[32] C’est ainsi que, dans l’ouvrage du professeur Lanctôt et de Me Melançon Commentaires sur le droit des assurances, l’autrice Emmanuelle Poupart développe sur le cas de l’assureur faisant face à des allégations couvertes et non couvertes[23] :
Les tribunaux québécois ont accepté deux approches au problème posé par la présence d’allégations couvertes et non couvertes par l’assurance responsabilité : (i) l’allocation des frais de défense et (ii) la nomination de procureurs différents pour l’assureur et pour l’assuré.
[33] Celle-ci se montre par la suite critique à l’égard de la seconde option qui lui « […] apparaît cependant peu avantageuse étant donné qu’elle rend le déroulement des procédures plus complexe et augmente les coûts tant pour l’assureur que pour l’assuré »[24].
[34] D’autres auteurs, discutant du partage des frais à la suite d’un litige où l’assureur a accepté de défendre l’assuré pour une partie non couverte, affirment[25] :
Ainsi, en présence de la simple possibilité que l’assurée soit condamnée à payer des indemnités assurées, la seule existence d’allégations de faute intentionnelle et de conclusions en injonction non assurées dérivées de la même trame factuelle ne justifie pas en soi un partage des frais de défense. L’assureur doit plutôt démontrer qu’une partie « substantielle » des frais de défense sont attribuables spécifiquement aux allégations et conclusions non garanties.
[…]
Ainsi, pour mentionner des exemples typiques, l’assuré ne devrait pas automatiquement être contraint de payer une part des frais de défense ou de nommer son propre procureur simplement parce que les procédures allèguent que ses actes constituent à la fois une négligence et une faute intentionnelle ou lorsqu’elles allèguent à la fois des malfaçons exclues et des dommages qui en découlent qui seraient couverts. Il faut aller plus loin et se demander si les allégations non assurées entraîneront des frais de défense distincts et substantiels.
[35] Ils signalent également la tendance des tribunaux à préférer un partage des frais a posteriori plutôt qu’une division prospective, ce qu’ils jugent favorablement[26] :
On voit donc que cette méthode se prête plus aisément à un partage des frais de défense a posteriori qu’à une allocation prospective. En effet, il n’est pas possible pour le tribunal de prévoir et catégoriser à l’avance toutes les tâches qui seront accomplies par l’avocat de la défense dans le cadre du litige.
[…]
La tendance récente des tribunaux à s’en remettre aux parties pour effectuer un partage équitable sujet à un réexamen éventuel de la question par le tribunal nous semble la plus adaptée au défi que représente le partage des frais futurs.
[Renvois omis]
[36] Alors, qu’en est-il?
[37] L’on ne saurait remettre en doute que l’obligation de défendre en matière d’assurance responsabilité peut devoir imposer, comme la Cour l’affirmait dans l’arrêt Gagnon, une exception au principe de l’unicité de représentation[27]. Mais déjà, dans cet arrêt, la Cour justifiait cette exception par la complexité des questions en litige et des intérêts exclusifs des parties[28]. Il convient en effet de rappeler que l’imposition de deux avocats distincts dans la défense des intérêts de l’assuré soulève d’indéniables tensions entre les intérêts de l’assureur, de l’assuré et du tiers demandeur. Le point d’équilibre de ces tensions ne peut se trouver dans la seule décision unilatérale et discrétionnaire de l’assureur d’étendre ou non le mandat de l’avocat qu’il choisit à la partie de la réclamation non couverte par la police d’assurance. Certes, il s’agit du point de départ, mais il peut arriver, dans des situations exceptionnelles, que l’analyse doive être poussée plus loin et qu’un juge puisse être appelé à procéder à une telle évaluation et à imposer le respect du principe d’unicité de représentation lorsqu’il est déraisonnable et injustifié dans les circonstances qu’il soit écarté.
[38] L’idée n’est pas d’étendre l’obligation de défendre de l’assureur. Celle-ci se limite, selon les termes mêmes de l’article 2503 C.c.Q., à ce qui est couvert par la police ou, plus précisément, possiblement couvert par celle-ci. Il convient toutefois d’adopter dans sa modalité d’exécution une approche conforme aux principes directeurs du droit processuel, notamment de la proportionnalité et de la saine administration de la justice et qui concilie au mieux l’intérêt de toutes les parties, incluant le tiers demandeur qui risque de voir son dossier alourdi par la présence d’un second avocat, de même que des ressources judiciaires.
[39] Dans son évaluation, le juge devra prendre en compte, notamment, l’unicité ou non des faits générateurs, l’importance, la connexité et la complexité de l’enjeu non couvert, la nécessité ou non d’une preuve spécifique à celui-ci, la proportion du litige qui portera sur l’enjeu non couvert ou, encore, le risque d’un conflit d’intérêts, le tout en fonction des principes directeurs du droit processuel. Il n’est pas question ici de créer une nouvelle obligation à l’assureur ou d’étendre le champ d’application de l’article 2503 C.c.Q. sur le fondement du principe processuel de proportionnalité, ce qui ne saurait être[29], mais d’en aménager son exécution, et ce, au profit de tous et parfois même de l’assureur qui subit lui aussi les effets d’un litige alourdi[30]. De tels cas seront rares, car les assureurs, dans ces circonstances, auront généralement accepté l’extension du mandat de l’avocat qu’ils auront retenu.
[40] Il s’agit, en quelque sorte, d’une « obligation procédurale » qui ne se confond pas à l’obligation de l’article 2503 C.c.Q., puisque l’assureur pourra, à la fin du litige, réclamer la part des frais relatifs à ce qui n’était clairement pas couvert par la police, dès lors que ce travail existe et puisse être départagé[31]. Il est vrai que, dans certaines situations, ce partage pourrait être délicat à opérer, mais cela sera généralement la conséquence de la faible importance, voire de l’inexistence, du travail effectué pour l’intérêt exclusif de l’assuré.
[41] Il revient au juge de première instance de procéder à une telle évaluation et la Cour n’interviendra qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante dans l’exercice d’une telle discrétion judiciaire. En l’espèce, le juge a pris en compte les circonstances pertinentes et sa conclusion est raisonnable. On peut d’ailleurs se demander pourquoi, compte tenu des circonstances en l’espèce, l’appelante n’a pas accepté de prendre la défense de son assuré aux frais de celui-ci sur la demande en dommages punitifs.
[42] Le juge a ainsi constaté que les allégations couvertes et celles qui ne le sont pas soulèvent les mêmes questions et les mêmes moyens de preuve. Plus spécifiquement sur les dommages punitifs, il juge que la réclamation est négligeable « en regard du temps à consacrer à l’ensemble de la défense »[32]. Il n’y a pas lieu d’intervenir sur cette appréciation. L’appelante a plaidé que les dommages punitifs allaient justifier une preuve spécifique, que ce soit sur la gravité de la faute ou sur sa situation patrimoniale selon l’article 1621 C.c.Q. Si cet argument peut parfois s’avérer exact, tel n’est pas le cas en l’espèce. Contrairement à ce qui en est sous la Charte des droits et libertés de la personne[33], le droit à des dommages punitifs selon la Loi sur la protection des arbres ne dépend pas du caractère intentionnel de l’atteinte[34]. Certes, l’intention peut jouer sur le quantum, mais celui-ci consiste en un montant unitaire pour chaque arbre coupé jusqu’à un maximum de 200 $ par arbre. En l’espèce, il est allégué que 121 arbres ont été coupés. Si tant est que ce nombre soit contesté, cette preuve sera administrée et débattue dans le cadre de la réclamation visant les dommages compensatoires. Il s’agit d’une illustration du fait qu’en l’espèce, les faits générateurs de la réclamation couverte sur les arbres et la réclamation non couverte en dommages punitifs sont les mêmes. Bref la réclamation des dommages punitifs est marginale eu égard à l’ensemble du dossier et elle ne soulève ni question complexe ni preuve particulière.
[43] Le débat qui lui sera réservé sera donc négligeable, voire inexistant, ce qui ne sera pas toujours le cas, voire ce qui sera rarement le cas. Pour reprendre la formule utilisée par la Cour dans l’arrêt Gagnon, ce débat ne rencontre pas la complexité requise pour justifier d’écarter le principe de l’unicité de la représentation, d’autant qu’aucun risque de conflit d’intérêts découlant des intérêts respectifs de l’assureur et de l’assuré n’a été invoqué ou ne ressort du dossier[35]. Il serait donc déraisonnable d’imposer la présence d’un avocat supplémentaire tout au long du litige – pas uniquement à l’audience – pour un tel rôle négligeable, voire dérisoire.
[44] Le juge a donc eu raison, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, d’appliquer le principe de proportionnalité et celui de l’unicité de la représentation et d’ordonner que l’avocat mandaté par l’assureur prenne en charge la défense sur les dommages punitifs, étant entendu qu’il pourra, au terme du dossier, y avoir un partage des coûts.
CONCLUSION
[45] Pour ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel, avec frais de justice.
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BENOÎT MOORE, J.C.A. |
[1] Bélanger c. Noyrigat-Gleye, 2023 QCCS 856 [jugement entrepris].
[2] RLRQ, c. P-37.
[3] Jugement entrepris, paragr. 16.
[4] Jugement entrepris, paragr. 17.
[5] Jugement entrepris, paragr. 21.
[6] Jugement entrepris, paragr. 23.
[7] Article 2414 C.c.Q.
[8] Hoyos c. Chubb Insurance Company of Canada, 2008 QCCA 1296, paragr. 22.
[9] Non-Marine Underwriters, Lloyd's of London c. Scalera, 2000 CSC 24, paragr. 79; Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., 2001 CSC 49, paragr. 32; Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, 2010 CSC 33; Nichols c. American Home Assurance Co., [1990] 1 R.C.S. 801.
[10] Isabelle Casavant et Michèle Bédard, « La demande de type Wellington : tendances jurisprudentielles des six dernières années », (2021) 505 Développements récents en droit des assurances 69, p. 78-80; Sur l’obligation de défendre, voir : Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Thémis, 2017, p. 397, paragr. 582.
[11] Pièce DNL-1, Police d’assurance R5500016385-19.
[12] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, parag. 20.
[13] Elle invoque notamment : Paquin c. Gilbert, 2015 QCCS 5387, paragr. 50-54; Réseau Internet maskoutain c. Télécommunications Xittel inc., 2012 QCCS 4514, paragr. 2 et 46-48; Clark c. 4107781 Canada inc., 2007 QCCS 6977, paragr. 44-47.
[14] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2013, no 746, p. 877.
[15] Isabelle Casavant et Michèle Bédard, « La demande de type Wellington : tendances jurisprudentielles des six dernières années », (2021) 505 Développements récents en droit des assurances 69, p. 78-80.
[16] RLRQ, c. P-40.1, article 272; Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.
[17] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile – Volume 1 : Principes généraux, 9e éd., Yvon Blais, Montréal, 2020, p. 473, no 1-379.
[18] Voir, notamment, Société d'assurances générales Northbridge (Lombard General Insurance Company of Canada) c. Cirvek Fund I, l.p., 2015 QCCA 168, paragr. 17 [Northbridge]. Sur cette question, voir Hugues Duguay et Nathalie Boulanger Duguay, « Obligation de défendre de l'assureur responsabilité: les cas justifiant un partage des frais de défense », dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit des assurances (2019), volume 467, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, no 111, p. 115-116.
[19] Géodex inc. c. Zurich, compagnie d'assurances, 2006 QCCA 558, paragr. 34. Ce principe a été repris depuis, voire notamment : Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. Roc-Teck Coatings Inc., 2007 QCCA 986, paragr. 28; Kansa General International Insurance Co. Ltd. (Liquidation de), 2008 QCCA 807, paragr. 64.
[20] Fermont (Ville) c. Pelletier, 1998 CanLII 13277 (QC CA).
[21] Gagnon c. Sinotte, 2009 QCCA 1553, paragr. 44 [Gagnon].
[22] Yves Tourangeau et Dominique Giguère, « Le partage de défense entre l’assureur et l’assuré », dans L’assurance de dommages, Collection Blais, vol. 12, Wilson & Lafleur, 2012. Les auteurs tiennent toutefois ces propos dans le contexte d’une décision qui avait refusé de permettre à l’assureur de réclamer la part des honoraires liés à la matière non couverte par la police et rejettent l’extension de l’obligation de défendre sur le fondement qu’il n’y a pas de coûts supplémentaires.
[23] Emmanuelle Poupart, « L’obligation de défendre de l’assureur et l’allocation des frais de défense », dans Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon (dir.), Commentaires sur le droit des assurances, 3e éd., Montréal, Lexis Nexis, 2017, p. 238.
[24] Id., p. 242.
[27] Sur cet arrêt et le principe d’unicité de représentation, voir : Sylvette Guillemard et Séverine Menétrey, Comprendre la procédure civile québécoise, 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 2017, no 210, p. 125.
[28] Id., paragr. 44.
[29] C’est ainsi que l’on ne peut ignorer l’existence d’une convention d’arbitrage afin de maintenir certains membres dans une action collective au nom, notamment, de la proportionnalité : Telus Mobilité c. Comtois, 2012 QCCA 170.
[30] E. Poupart, supra, note 23, p. 242. Voir également les propos du juge Baudouin dans : Nobert c. Lavoie, 1989 CanLII 1175 (QC CA), p. 2.
[32] Jugement entrepris, paragr. 21.
[33] RLRQ, c. C-12.
[34] Desrochers c. Craig, 2021 QCCA 422, paragr. 31.
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