Décision

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Droit de la famille — 171644

2017 QCCA 1088

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025841-164

(500-04-061896-131)

 

DATE :

Le 11 juillet 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

L... K...

K... M...

N... K..., personnellement et en sa qualité de tutrice de X

APPELANTES - Requérantes

c.

 

NO... KA..., sa qualité de tutrice de Y

INTIMÉE - Demanderesse/Intimée

et

 

FEU A... K...

MIS EN CAUSE - Défendeur

et

 

NO... KA...

DIRECTEUR DE L'ÉTAT CIVIL

MIS EN CAUSE - Mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 18 décembre 2015 par l’honorable Micheline Perrault de la Cour supérieure, district de Montréal, qui rejette la requête en rétractation de jugement sur le fond, concluant qu’il n’y a pas lieu d’intervenir sur la reconnaissance de paternité accordée par la juge De Vito le 25 octobre 2013 : Droit de la famille - 153277, 2015 QCCS 6030.

[2]           Pour les motifs du juge Vauclair auxquels souscrivent les juges Hilton et Bouchard, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel, avec les frais de justice contre les appelantes.

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me Ann-Julie Auclair

Me Julie Savonitto

SAVONITTO & ASS.

Pour les appelantes

 

Me Diane Roy

BARRON, ROY, PROULX

Pour l'intimée et la mise en cause

 

Date d’audience :

Le 10 novembre 2016


 

 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[4]           L’unique question soulevée par la présente affaire touche la possibilité de reconnaître la filiation d’un enfant né par procréation assistée à partir d’un embryon issu des forces génétiques du couple. L’embryon avait été congelé après la fécondation jusqu’à son insémination dans l’utérus de la mère, le tout bien après la mort du père biologique.

[5]           La juge Perreault rejette la requête en rétractation présentée par les appelantes puisque rien ne justifie la modification du jugement qui reconnaissait la filiation. En appel, les appelantes prétendent que la juge a eu tort. Selon elles, d’une part, la filiation d’un enfant ne peut être reconnue lorsqu’il a été conçu à partir d’un embryon implanté dans l’utérus de la mère après le décès du père et, d’autre part, que les consentements du père décédé ont été mal interprétés.

La question soulevée par la Cour

[6]           Avant d’aborder le fond de l’affaire, il faut décider d’une question qui est apparue lors de l’étude préliminaire du dossier. La Cour a en effet soulevé une question dont ne discutaient pas les parties, au sens de l’arrêt R. c. Mian, [2014] 2 R.C.S. 689, à savoir le lien entre la filiation et la qualité d’héritier, compte tenu notamment de l’article 617 du Code civil du Québec et de l’impact de ce lien sur l’intérêt juridique des appelantes dans le cadre de l’article 489 du Code de procédure civile. Puisque l’intérêt des appelantes se fondait essentiellement sur leur qualité de cohéritières potentielles, ne fallait-il pas déterminer que l’enfant était lui-même capable d’hériter et, advenant que ce ne soit pas le cas, l’intérêt de demander la rétractation existait-il toujours?

[7]           L’article 617 prévoit ce qui suit :

617. Peuvent succéder les personnes physiques qui existent au moment de l’ouverture de la succession, y compris l’absent présumé vivant à cette époque et l’enfant conçu, mais non encore né, s’il naît vivant et viable.

Peuvent également succéder, en cas de substitution ou de fiducie, les personnes qui ont les qualités requises lorsque la disposition produit effet à leur égard.

 

617. Natural persons who exist at the time the succession opens, including absentees presumed to be alive at that time and children conceived but yet unborn, if they are born alive and viable, may inherit.

In the case of a substitution or trust, persons who have the required qualities when the provision produces its effect in their regard may also inherit.

[8]           Les appelantes ont demandé et obtenu la permission de présenter des observations écrites additionnelles. Or, il appert que la question de l’intérêt des appelantes n’a pas été véritablement contestée et que, de toute évidence, cette question a été tranchée en leur faveur et aucun appel incident n’a été formé. Partant, la reconnaissance de l’intérêt juridique des appelantes n’est pas remise en cause en appel par l’intimée et il ne s’agit pas d’une question qui aurait échappé aux parties au sens de l’arrêt Mian.

[9]           Je suis d’accord. Il faut conclure que l’intérêt des appelantes a été reconnu en première instance en raison de leur qualité de cohéritières potentielles, mais on comprend du jugement que la qualité d’héritier de l’enfant n’a pas fait l’objet d’une détermination puisque, d’une part, les lois congolaises ont été évacuées du débat et, d’autre part, sa qualité d’héritier en droit québécois n’a pas fait l’objet du débat. Manifestement, le sujet n’est pas clos et le législateur pourrait certainement être interpellé à cet égard : COMITÉ CONSULTATIF SUR LE DROIT DE LA FAMILLE, Alain Roy (prés.), Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice du Québec, 2015 (ci-après: « Rapport Roy »).

[10]        Par conséquent, à la lumière des observations additionnelles, tout intéressante que puisse être la question de la successibilité de l’enfant et donc celle de savoir s’il était « conçu » au moment de l’ouverture de la succession, elle n’a pas à être tranchée dans le cadre de cet appel.

Le contexte

[11]        Quant au fond de l’affaire, il faut tout d’abord donner quelques éléments contextuels.

[12]        L’intimée ès qualités et mise en cause (ci-après: « la mère ») et feu A... K...se (ci-après: « le père ») se marient le 31 janvier 2004 en République Démocratique du Congo (« Congo »). En janvier 2007, ils s’installent à Ville A. Ils sont désireux de fonder une famille, mais ne peuvent concevoir de manière naturelle. Le couple décide de recourir aux services d’une clinique spécialisée. Après une démarche de plusieurs mois et ponctuée de plusieurs rendez-vous, c’est le 1er septembre 2011 que se déroule la procédure de procréation. Le père fournit une nouvelle fois du sperme frais. Des ovules de la mère sont prélevés le même jour. On procède à la fécondation in vitro puis les embryons sont congelés. Le couple reçoit les explications nécessaires et des consentements sont signés, notamment celui prévoyant qu’en cas de décès, les conjoints désirent que leurs embryons soient « donnés au conjoint survivant ». Seize embryons sont congelés.

[13]        Par la suite, le père se rend au Congo pendant plusieurs mois pour gérer des problèmes concernant la succession de son propre père. La mère le rejoint au mois d’octobre 2011, puis rentre au Canada en décembre pour une première insémination. Le document de consentement au transfert d’échantillon sera alors signé à distance et renvoyé électroniquement à la mère. L’insémination échoue. Il reste cependant quatorze embryons congelés. Un autre essai est prévu au retour du père au Canada. Malheureusement, il décède au Congo en janvier 2012 des suites d’une chute accidentelle.

[14]        Le 24 septembre 2012, la mère entreprend la deuxième insémination, laquelle fonctionne. Le [...] 2013, elle donne naissance à un garçon, soit 493 jours après le décès du père biologique.

[15]        Le directeur de l’état civil refuse d’inscrire le nom du père décédé sur la déclaration de naissance. À sa suggestion, l’intimée s’adresse à la Cour supérieure par requête en reconnaissance de paternité. Les appelantes ne sont pas informées de cette requête. Le 25 octobre 2013, la juge Sylvie De Vito de la Cour supérieure l’accueille et ordonne au directeur de l’état civil de dresser l’acte de naissance de manière à y lire le nom du père décédé (ci-après: « jugement De Vito). Une analyse d'ADN conclut à la paternité du père selon une probabilité de 99,9999999 %.

[16]        À la fin du mois de juillet 2014, les appelantes apprennent l’existence du jugement De Vito par l’entremise de leur procureur. Elles déposent, le 17 septembre 2014, une requête en rétractation de jugement.

[17]        La juge Perrault constate sans difficulté que les appelantes n’étaient pas parties à la requête en reconnaissance de paternité présentée à sa collègue De Vito. La juge conclut même que la mère a volontairement caché à la juge De Vito sa véritable situation familiale pour tromper sa vigilance et éviter toute contestation, laissant croire qu’aucune autre personne n’avait un intérêt dans la procédure.

[18]        La juge Perrault estime que les appelantes ont été diligentes pour déposer leur requête. Quant à leur intérêt, la juge conclut que le critère est satisfait puisque la filiation de l’enfant pourrait avoir un impact sur la succession.

[19]        Elle procède donc à l’analyse et reconnaît le sérieux des moyens de défense avancés à l'encontre de la requête en reconnaissance de paternité. Cependant, elle les rejette. Elle n’accepte pas la proposition des appelantes voulant que le droit québécois ne permette pas la reconnaissance de paternité de manière posthume, sauf lorsque la naissance de l’enfant survient dans un délai de 300 jours du décès (art. 525 C.c.Q.). Elle ne fait pas droit non plus à l’argument des appelantes qui plaidaient que toute filiation exige une possession d’état constant, impossible dans les circonstances.

[20]        Pour la juge, il s’agit bien ici d’une reconnaissance de filiation par le sang comme permet de le conclure la preuve d’ADN.


Les moyens d’appel

1.         La juge de première instance a-t-elle erré en omettant de considérer le fait qu’au moment du décès [du père], l’embryon n’était pas implanté dans l’utérus de [la mère] et que l’enfant est né 493 jours suivant le décès?

La position des parties

[21]        Les appelantes ne contestent pas que le père soit le père biologique de l’enfant. Elles prétendent cependant que la juge a omis de considérer que l’embryon n’était pas implanté dans l’utérus de la mère avant le décès et que l’enfant est né 493 jours suivant celui-ci. Plus particulièrement, elles lui reprochent de ne pas avoir tenu compte de l’impossibilité pour le père d’exercer ses droits et remplir ses obligations découlant de l’établissement d’une filiation, rendant la filiation impossible. La filiation, prétendent-elles, est un concept juridique qui surclasse le lien biologique. L’absence de mécanisme législatif pour établir la filiation posthume indique que cette dernière ne peut être reconnue. Cela serait justifié en raison de l’instabilité dans les rapports entre les individus, notamment quant aux successions. Citant plusieurs auteurs et le droit français, elles soulignent qu’une filiation exclusivement maternelle est possible, ce qui peut être le cas de la procréation assistée : J. PINEAU et M. PRATTE, La famille, Montréal, Éditions Thémis, 2006; M-F. BUREAU, Le droit de la filiation : entre ciel et terre, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009;  A. LEFEBVRE-TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, P.U.F., 1993.

[22]        La mère répond que le Code civil prévoit déjà la filiation par le sang et son silence sur la possibilité d’une filiation post-mortem n’est pas un indicateur d’exclusion. Au contraire, lorsque tel est son souhait, le législateur légifère pour l’exclure, comme c’est le cas pour l’enfant né d’une procréation assistée avec l’intervention d’un tiers (art. 538.2 C.c.Q.). Le Code civil prévoit alors spécifiquement que l’apport des forces génétiques d’un tiers ne peut fonder un lien de filiation. Le législateur fait de même en prévoyant que nul ne peut réclamer une filiation contraire à l’acte de naissance et la possession d’état conforme à ce titre (art. 530 C.c.Q.). Enfin, le législateur exclut aussi la réalité biologique en matière d’adoption, laquelle fait obstacle à l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant et ses parents par le sang (art. 569 C.c.Q.). Elle reproche aux appelantes de lier les réalités de la filiation et de la succession alors que la première découle d’un droit incontestable qui peut toujours être reconnu.


Analyse

[23]        La proposition des appelantes est inusitée. Prétendre, en définitive, que l’enfant ne pourrait jamais se faire reconnaître une filiation paternelle malgré la vérité quant à l’identité du père biologique a quelque chose de choquant. Je reprends ici les propos tenus par le juge Nuss dans Droit de la famille — 2219, 1996 CanLII 6300, dans un contexte juridique différent certes, mais dont l’écho parvient jusqu’à nous lorsqu’il trouve « aberrant pour une Cour qui est autorisée à statuer sur un litige d'écarter la vérité et la réalité, en l'occurrence que l'intimé est le père de l'enfant, et de rejeter sa demande pour le motif qu'il soit préférable "dans l'intérêt de l'enfant" qu'il ne le soit pas ou qu'une déclaration de paternité ne soit pas faite. » Les appelantes nient la vérité et la réalité en raison de l’absence de disposition législative prévoyant la filiation d’un enfant né à la suite de l’insémination post-mortem de l’embryon fécondé avec les forces génétiques de sa mère et de son père, les deux personnes qui formaient le « projet parental ».

[24]        Je précise immédiatement que je partage tout à fait le point de vue voulant que la vérité biologique ne soit pas absolue. Je trouve particulièrement éclairante cette citation reprise dans le Rapport Roy qui énonce que « le droit de la filiation n’est pas seulement un droit de la vérité́. C’est aussi, en partie, un droit de la vie, de l’intérêt de l’enfant, de la paix des familles, des affections, des sentiments moraux, de l’ordre établi, du temps qui passe [...] » : Rapport Roy, p. 141-142. Cette citation met en lumière, selon moi, que la question de la filiation, au-delà du juridique, comporte une dimension psychosociale pour les personnes visées.

[25]        Voilà pourquoi je refuse, comme le proposent les appelantes, de trancher le débat uniquement sous le rapport du droit successoral. Certes, la successibilité de l’enfant né d’une insémination post-mortem soulève des questions, mais d’une part, les appelantes ont déployé passablement d’énergie pour empêcher que soit abordée la question préliminaire soulevée par la Cour et qui aurait sans doute eu l’avantage d’inclure au débat la portée de l’article 617 C.c.Q. À cet égard, il me semble que l’interprétation du mot « conçu » autorise des arguments divergents. D’autre part, le droit d’hériter n’est qu’une partie de la réalité sociale de la filiation. Je n’accepte pas que la successibilité d’un enfant né d’une insémination post-mortem, comme le proposent les appelantes, soit l’unique intérêt d’établir sa filiation. Encore une fois, la filiation est multidimensionnelle et comporte certainement une valeur identitaire importante.

[26]        Personne ne conteste que le Code civil est silencieux sur la question précise de l’insémination post-mortem. Même le Rapport Roy n’en discute pas, alors qu’il propose de répartir la filiation en deux catégories qui s’opposent, soit la filiation de l’enfant issu de la procréation naturelle et celle de l'enfant issu de la procréation assistée. On y lit que la première « décrit parfaitement la situation couverte […], celle de l’enfant conçu naturellement, par opposition à l’enfant issu d’une procréation assistée, dont la filiation doit être établie conformément aux dispositions du chapitre 1.1 » : Rapport Roy, p. 143. Le rapport ne remet pas en cause la procréation assistée, dite « classique », sinon pour lui ajouter la possibilité du recours à une mère porteuse : Rapport Roy, p. 156.

[27]        Or, au titre de la filiation, le chapitre 1.1 du Code civil traite de celle des enfants nés d’une procréation assistée, et personne ne le conteste, lorsque les forces génétiques d’un tiers participent au projet parental : art. 538 C.c.Q., Rapport Roy, p. 155. Ce chapitre comporte ses propres règles en matière de filiation. Il ne vise aucunement la situation qui nous occupe où les seules forces génétiques en cause sont celles des deux membres du projet parental.

[28]        Le père biologique décédé ne devient pas un tiers au projet parental du simple fait de son décès. Un tel résultat aurait été spécifiquement prévu par le législateur. Comme le souligne l’intimée dans son mémoire, le législateur parle clairement lorsqu’il écarte la réalité biologique comme source de filiation : art. 530, 538.2 et 569 C.c.Q.; Droit de la famille — 2219, 1996 CanLII 6300 (C.A.Q.).

[29]        Comme le résume si bien le Rapport Roy, « [d]epuis la réforme de 1980, la priorité revient aux liens du sang, à une exception près : selon l’article 530 C.c.Q., la filiation résultant à la fois d’un acte de naissance et d’une possession d’état constante qui y est conforme ne pourra être contestée, peu importe l’existence de preuve démontrant hors de tout doute l’absence de lien génétique entre l’enfant et le parent concerné. » : p. 152; Droit de la famille — 1528, 2015 QCCA 59.

[30]        Avec égards, les appelantes s’arrogent un discours et une jurisprudence qui favorisent la reconnaissance de la filiation et les utilisent afin de nier une filiation souhaitée qui repose sur un lien biologique.

[31]        De plus, elles ont tort de suggérer que lorsque le père biologique est incapable d’exercer son rôle de parent autrement que par la transmission de son nom, la filiation ne peut être établie.

[32]        D’une part, il me semble que ce raisonnement place une mère et son enfant dans une situation non souhaitable face à un père fugitif, en permettant à ce dernier de se défiler sans se soucier d’être « rattrapé ». D’autre part, la proposition ne tient pas compte que, si rien ne s’y oppose, l’action relative à la filiation fondée sur le lien biologique peut se manifester en tout temps, étant soumise néanmoins à la prescription trentenaire, et peut survenir après la mort du père biologique et reprise même par les héritiers de l’enfant décédé : art. 536 C.c.Q. La mort n’est donc pas un empêchement à la filiation.

[33]        Au surplus, cet argument voulant que la filiation soit incongrue puisque le père décédé ne peut donner suite à sa paternité a été rejeté par la Cour, comme le souligne la juge, dans Droit de la famille — 111729, 2011 QCCA 1180, par. 62, où il est précisé que la filiation est établie par la loi et ne découle pas de la volonté d'un parent d'assumer les conséquences qui s'ensuivent ou, pourrait-on ajouter, de la capacité de ce faire.

[34]        Ainsi, les règles prévues aux articles 532 et 533 du C.c.Q. permettent à un enfant de réclamer sa filiation en justice lorsqu’elle n’est pas établie par un titre et une possession d’état conforme et de le faire par tous les moyens. Les tribunaux ont parfois mentionné le « droit » de faire reconnaître sa filiation : Droit de la famille - 14259, 2014 QCCS 549, par. 14; M.-C.L. c. Les Héritiers de la Succession de P.C., 2003 CanLII 32610, par. 12; M.K. c. Les Héritiers de J.-L. et als, 2001 CanLII 15318, par. 21 (C.S.Q.); B. (W.) c. E. (M.-J.), [1999] R.L. 657, 659 (C.S.Q.).

[35]        L’intervention du législateur au chapitre 1.1 reflète donc le choix de créer un régime de filiation adapté et spécifique lorsque interviennent les forces génétiques d’un tiers. Autrement, la filiation est démontrée selon le régime de droit commun. Dans l’arrêt Droit de la famille — 111729, précité, la Cour écrit au paragraphe 35 que « … si l'enfant n'est pas née d'une procréation assistée au sens des articles 538 et suivants C.c.Q., les règles de la filiation par le sang s'appliquent » : voir aussi KIROUACK, M.-C., Le projet parental et les nouvelles règles relatives à la filiation : une avancée ou un recul quant à la stabilité de la filiation?, dans Développements récents en droit familial, Vol. 229, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, EYB, 2005.

[36]        Je propose de rejeter ce premier moyen.

2.         La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit et une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve documentaire en omettant de considérer les termes exprès des consentements [du père]?

La position des parties

[37]        De façon subsidiaire, les appelantes plaident que la juge a erré en omettant d’évaluer la preuve documentaire relative aux consentements du père. Elles plaident essentiellement que le consentement donné à la pièce P-2A s’est fait à distance et que le père n’a donc pas reçu l’éclairage complet et concomitant pour conclure à un consentement éclairé. Elles prétendent également que l’absence de mention au document de consentement que le conjoint donneur devra assumer les responsabilités légales liées à l’autorité parentale vicie le consentement. Qui plus est, ajoutent-elles, si le consentement est valide, il ne vise qu’à donner les embryons, sans le consentement à ce qu’on établisse une filiation post-mortem.

[38]        Elles proposent qu’à compter du décès, puisque la mère contrôle dorénavant tout projet de procréation, le père devienne un tiers et que le régime du chapitre 1.1 soit applicable. La question soulève également la question du statut juridique de l’embryon congelé.

[39]        La mère prétend que le père a valablement consenti. L’absence de mention que le conjoint donneur devra assumer les responsabilités légales liées à l’autorité parentale est inutile dans le cas du conjoint qui décède et n’affecte pas le consentement. Enfin, elle souligne que la filiation découle de la loi et non de la volonté d’un parent.

Analyse

[40]        Bien que je reconnaisse que des questions intéressantes et sérieuses sont soulevées dans le cadre de l’argumentation des appelantes, il est possible à mon avis d’y répondre brièvement.

[41]        D’abord, je précise que la preuve démontre que le père a signé le formulaire du 1er septembre 2011 en personne alors qu’il venait de donner du sperme frais qui a servi à féconder les ovules de la mère. Le témoignage de Mme Sylvie Moulin est clair à cet effet : E.A. page 555-556. Le document qui a été signé électroniquement concerne l’autorisation de transfert des embryons pour la première tentative en décembre 2011, qui a échoué.

[42]        Puisque les appelantes invoquent une erreur de la juge quant à l’appréciation de la preuve, elles devaient démontrer une erreur manifeste et déterminante. Elles ne réussissent pas. La décision repose sur une évaluation raisonnable de la preuve qui ne se limite pas aux documents signés, mais aux efforts du couple qui se manifestent par des visites nombreuses et sur une période continue à la clinique spécialisée.

[43]        Ensuite, pour répondre aux autres arguments, il faut rappeler qu’un tribunal doit résister à la tentation de légiférer. À n’en pas douter, il y a des questions éthiques et sociales qui découlent de l’insémination post-mortem. Il n’y a cependant aucun obstacle juridique à ce que soit reconnue la filiation d’un enfant né dans ces circonstances.

[44]        Serait-il préférable que le législateur intervienne afin de baliser la filiation post-mortem à partir d’embryons fécondés par les forces génétiques du couple à l’exclusion de tiers? Voilà une question qui lui revient. Entre-temps, je souligne la remarque du Rapport Roy voulant que devant de possibles dérives éthiques, ce ne soit pas à l’enfant à payer le prix : Rapport Roy, p. 156. Cela dit, je n’affirme pas que c’est le cas en l’espèce, mais le commentaire est pertinent en ce que l’enfant à naître ne peut pas être blâmé pour le comportement de ses parents.


[45]        Je propose de rejeter ce dernier moyen et l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

AVIS :
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