Décision

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Montréal II Value-Add Holdings Ltd. c. Albano

2024 QCTAL 17158

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

696474 31 20230330 F

No demande:

3865481

RN :

 

4286507

 

Date :

21 mai 2024

Devant le greffier spécial :

Me Philippe Manuguerra

 

Montréal II Value-Add Holdings ltd.

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Anita Albano

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

Introduction

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec[1] (C.c.Q.), ainsi qu’une demande de remboursement des frais.

[2]         Plusieurs dossiers de fixation de loyer visant des logements du même immeuble ou du même ensemble immobilier et concernant la même période de référence ont été entendus en même temps, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL)[2].

[3]         Le Tribunal, lorsque saisi d'une demande de fixation de loyer, détermine le montant du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[3] (ci-après : « Règlement »).

[4]         Suivant ce Règlement, l'ajustement du loyer est calculé à partir du loyer payé au terme du bail, en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par la locatrice durant l'année de référence.

[5]         En tant que demanderesse, la locatrice assume le fardeau de prouver[4], lors de l'audience, les montants inscrits au formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (ci-après : « Formulaire »).

[6]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, à un loyer mensuel de 567,00 $.

[7]         Il est à noter que, suivant le Règlement, le loyer considéré inclut non seulement le prix du logement, mais également celui des accessoires prévus au bail, comme l’espace de stationnement par exemple, même s’il fait l’objet d’un contrat distinct[5].


[8]         Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.

Formulaires amendés

[9]         Après avoir initialement produit un seul Formulaire pour l’ensemble des dossiers entendus en même temps, le jour de l’audience, les mandataires de la locatrice ont soumis au Tribunal quatre Formulaires amendés :

 

-          Un pour l’immeuble sis au [Adresse 1], Montréal;

-          Un pour l’immeuble sis au [Adresse 2], Montréal;

-          Un pour l’immeuble sis au [Adresse 3], Montréal;

-          Un pour l’immeuble sis au [Adresse 4], Montréal;

[10]     Le Tribunal a suspendu l’audience afin de permettre aux locataires de prendre connaissance de ces Formulaires et a informé les parties qu’il considérerait toute demande d’ajournement à cet égard. Vu l’absence de telle requête, l’audience s’est poursuivie.

[11]     Les mandataires de la locatrice ont expliqué, par le passé, avoir déjà utilisé un seul Formulaire pour tous les immeubles concernés.

[12]     Ils ajoutent toutefois que lors d’une audience récente de fixation de loyer portant sur des dossiers autres que ceux concernés, le Tribunal avait attiré leur attention sur l’importance accrue désormais, pour le Tribunal, de soumettre un Formulaire par immeuble ou ensemble immobilier.

[13]     Forte de cette dernière information, la locatrice décida de préparer un Formulaire « par compte de taxes »[6].

[14]     La notion d’« ensemble immobilier » peut, de prime abord, sembler vague. L’article 45 LTAL la définit ainsi :

« 45. Dans la présente sous-section, on entend par «ensemble immobilier» plusieurs immeubles situés à proximité les uns des autres et comprenant ensemble plus de douze logements, si ces immeubles sont administrés de façon commune par une même personne ou des personnes liées au sens de la Loi sur les impôts (chapitre I3) et si certains d’entre eux ont en commun un accessoire, une dépendance ou, à l’exclusion d’un mur mitoyen, une partie de la charpente. »

[15]     Point notable, dans la Loi sur le Tribunal administratif du logement, cette disposition ne porte pas sur la fixation de loyer, mais sur le cas particulier de l’aliénation d’un immeuble dans un ensemble immobilier. Malgré tout, l’article 45 LTAL demeure utile pour éclairer le Tribunal en ce qui nous concerne.

[16]     En réalité, pour déterminer quels immeubles peuvent être regroupés au sein d’un seul Formulaire, il faut se demander si tel regroupement facilite ou non, pour le Tribunal, l’administration de la preuve. Comme le notait Me Émilie Pelletier, greffière spéciale :

« Dans le cas d'un recours en fixation de loyer, il y a lieu de regrouper les dossiers qui font partie d'un ensemble immobilier ou qui sont considérés ainsi par le tribunal aux fins du recours. La Régie du logement procède ainsi puisque la preuve ou une partie de la preuve est commune. Dans un souci d'assurer une bonne gestion de l'administration de la justice, le tribunal instruit alors en même temps les dossiers concernés. Le Tribunal souligne qu'il n'est pas saisi d'une demande visant à déclarer si les immeubles regroupés par la locatrice aux fins du calcul de fixation de loyer font partie ou non d'un ensemble immobilier. Le Tribunal doit plutôt répondre si les immeubles concernés doivent être regroupés ensemble dans le cadre des demandes de fixation de loyer.

Dans le cas d'un recours en fixation de loyer, il y a lieu de regrouper les dossiers qui font partie d'un ensemble immobilier ou qui sont considérés ainsi par le tribunal aux fins du recours. La Régie du logement procède ainsi puisque la preuve ou une partie de la preuve est commune. Dans un souci d'assurer une bonne gestion de l'administration de la justice, le tribunal instruit alors en même temps les dossiers concernés. »[7]

[17]     Ainsi, la pratique consistant à regrouper plusieurs immeubles qui n’ont pas ou peu d’éléments de preuve en commun est à proscrire. À l’inverse, le Tribunal n’exigera pas nécessairement que tous les éléments de preuve soient absolument identiques pour tous les immeubles désignés par un même Formulaire. Une analyse au cas par cas s’impose.


[18]     En l’espèce, le seul point commun entre les immeubles inscrits au Formulaire initial était les dépenses d’entretien. Le Tribunal est d’avis que cela est insuffisant pour justifier leur regroupement dans un même Formulaire.

[19]     Le Tribunal conclut que les regroupements proposés par le biais des formulaires amendés par la locatrice sont conformes à l’objectif poursuivi de faciliter l’administration de la preuve.

[20]     Les propos qui suivent ne porteront donc que sur le Formulaire amendé pertinent pour le dossier en cause.

Ajustement du loyer

[21]     La partie demanderesse a soumis au Tribunal les pièces justificatives au soutien du Formulaire.

[22]     Le Tribunal a procédé à certaines corrections du Formulaire séance tenante en fonction de la preuve administrée. Notamment, furent écartées les dépenses reliées au personnel d’entretien.

[23]     Pour le reste, certains des locataires présents ont exprimé plusieurs motifs pour lesquels ils estiment que des dépenses encourues par la locatrice devraient être exclues du calcul de l’ajustement de leur loyer.

[24]     En substance, ces motifs sont les suivants :

 

a)      État et salubrité des lieux concernés, qualité de l’entretien assuré par la locatrice insuffisant et insatisfaisant ;

b)      Doutes sur la réalité de certaines dépenses, lesquelles porteraient sur des montants non encourus pendant la période de référence ou sur des immeubles autres que celui concerné ;

c)      Absence de bénéfice personnel pour l’entretien et les travaux réalisés ;

d)      Dépenses excessives de la part de la locatrice ;

[25]     Bien que la position exprimée par les locataires soit compréhensible à certains égards, les motifs qu’ils invoquent ne suffisent pas à faire échec à la prise en compte des dépenses en question pour l’ajustement du loyer, le tout pour les raisons suivantes.

[26]     Premièrement, il est essentiel de rappeler que, si la demanderesse doit bien faire la preuve des dépenses qu’elle allègue, le seuil à franchir pour elle est seulement celui de la prépondérance de preuve[8]. Il n’est pas exigé par la loi de la locatrice de faire une preuve « hors de tout doute »[9].

[27]     Au vu des explications et pièces justificatives offertes par ses mandataires, le Tribunal considère que locatrice s’est déchargée de son fardeau de démontrer que les dépenses en discussion ont été encourues pendant la période de référence pour l’immeuble concerné.

[28]     Effectivement, les locataires ne sont pas parvenus à renverser la présomption légale de véracité[10] dont bénéficient les factures soumises par la locatrice.

[29]     À cet égard, le Code civil du Québec[11] nous enseigne ce qui suit :

« 2830. L’acte sous seing privé n’a point de date contre les tiers, mais celle-ci peut être établie contre eux par tous moyens.

Néanmoins, les actes passés dans le cours des activités d’une entreprise sont présumés l’avoir été à la date qui y est inscrite.

[…]

2831. L’écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours des activités d’une entreprise pour constater un acte juridique, fait preuve de son contenu.

[…]

2860. L’acte juridique constaté dans un écrit ou le contenu d’un écrit doit être prouvé par la production de l’original ou d’une copie qui légalement en tient lieu.

Toutefois, lorsqu’une partie ne peut, malgré sa bonne foi et sa diligence, produire l’original de l’écrit ou la copie qui légalement en tient lieu, la preuve peut être faite par tous moyens.

À l’égard d’un document technologique, la fonction d’original est remplie par un document qui répond aux exigences de l’article 12 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1) et celle de copie qui en tient lieu, par la copie d’un document certifiée qui satisfait aux exigences de l’article 16 de cette loi. »

[Soulignements du Tribunal]

[30]     L’article 76 LTAL est au même effet que l’article 2860 C.c.Q. :

« 76.  Peut se prouver par la production d'une copie qui en tient lieu si le membre du Tribunal est satisfait de sa véracité :

    Un acte juridique constaté dans un écrit; ou

    Le contenu d'un écrit autre qu'authentique.

Toutefois, la preuve peut être faite par tout moyen lorsqu'une partie établit que, de bonne foi, elle ne peut produire l'original de l'écrit, non plus que toute copie qui en tient lieu. »

[Soulignement du Tribunal]

[31]     Deuxièmement, le Tribunal considère de manière constante que les dépenses d’entretien encourues par un locateur pour un immeuble doivent être prises en compte pour l’ajustement du loyer, même si le logement concerné n’en a pas directement bénéficié, car ces dépenses concourent au maintien de l’état général d’un immeuble. Les frais d’entretien ont en quelque sorte un caractère collectif faisant partie des dépenses d’exploitation de l’immeuble[12].

[32]     Nous citerons Me Nathalie Bousquet, greffière spéciale, dans la décision Rochecouste c. Rochefort[13] :

« [21]  Les règles de la fixation du loyer prévoient un traitement différent selon qu’ils s’agissent d’une dépense de la nature de l’entretien, d’une amélioration majeure ou une réparation majeure. Il s’agit de notions distinctes auxquelles le Règlement sur les critères sur la fixation du loyer prévoit des traitements différents et un pourcentage différent.

[22]   Ainsi, les frais d’entretien sont des réparations usuelles, récurrentes, qui visent à entretenir l’immeuble, de l’extérieur tout comme de l’intérieur, que ce soit dans les aires communes ou privatives, et sont réparties sur l’ensemble de toutes les unités résidentielles de l’immeuble une fois appliqué le pourcentage de récupération pour le locateur, selon le pourcentage attribué à cet item par le décret annuel. »

[Soulignement du Tribunal]

[33]     Troisièmement, le fait que des travaux majeurs n’aient pas été réalisés dans le logement concerné ne limite pas la prise en compte, pour le calcul de l’ajustement du loyer, des dépenses pour réparations ou améliorations majeures des aires communes ou des éléments structurels de l’immeuble. Le soussigné souscrit aux mots de Me William Durand, greffier spécial, dans la décision ELM Immo inc. c. Rodriguez :

« [7]      Dans le cadre d’une demande de fixation, le Tribunal doit, lorsqu’il s’agit d’évaluer la preuve présentée concernant des travaux majeurs, s’assurer que les travaux ont bénéficié[2] au logement concerné par la demande. Les travaux de rénovation ou d’amélioration ne doivent pas obligatoirement avoir été faits à l’intérieur du logement concerné. Des travaux visant la structure de l’immeuble et son intégrité seront également pris en compte puisque le logement visé en bénéficiera indirectement. On peut penser, par exemple, aux travaux de toiture, de maçonnerie sur les murs extérieurs, ou encore le remplacement d’un drain français. »

[Soulignement du Tribunal et référence omise]

[34]     Quatrièmement, quant à l’appréciation des sommes engagées par la locatrice, elles relèvent de son droit de gérance, comme le rappelait Me Francine Jodoin, juge administrative, dans l’affaire 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis[14] :

« L’encadrement législatif applicable à l’exécution de travaux dans le logement se divise en plusieurs catégories. De façon générale, le locateur est libre de faire les travaux qu’il souhaite sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance. La locataire ne peut, sauf exception dont la preuve n’a pas été faite, s’immiscer dans les choix pratiqués par le locateur quant à l’opportunité, la nature ou la manière d’exécuter les travaux. (…). »

[35]     Conséquemment, comme exprimé notamment dans la décision Berlioux c. Jeanson[15] :

« Il n'appartient pas au Tribunal de la Régie du logement, dans le cadre de ce processus, de statuer sur la qualité, la nature ou la nécessité des réparations exécutées par un locateur sur son immeuble à moins qu'elles ne soient insolites, farfelues, abusives ou somptuaires. »

[36]     En l’espèce, la preuve administrée ne permet pas de considérer que les dépenses en discussion sont insolites, farfelues, abusives, ou somptuaires.


[37]     Cinquièmement, les problématiques soulevées par les locataires quant à l’état, la salubrité et la pleine jouissance des lieux concernés, lesquelles échappent par ailleurs au champ de l’article 8 du Règlement, n’entrent pas dans le cadre de la fixation de loyer. Par conséquent, le Tribunal ne peut s’en saisir à l’occasion de la présente décision. Il appartiendra à chaque locataire qui le souhaite de former les recours appropriés devant les autorités compétentes afin qu’il soit statué à ces égards.

[38]     Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[16] est de 42,24 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

3,57 $

Assurances

 3,06 $

Gaz

 15,07 $

Électricité

 0,10 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

5,30 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 0,99 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 8,54 $

Ajustement du revenu net

 5,61 $

 

TOTAL

 

 42,24 $

 

[39]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[40]     CONSIDÉRANT la jurisprudence unanime à l’effet que le loyer fixé par règlement peut être supérieur ou inférieur à celui mentionné dans l’avis de modification;

[41]     CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 42,24 $ est justifié;

[42]     CONSIDÉRANT l’absence de représentation pour les frais de justice et qu’il n’y a pas lieu de condamner la partie défenderesse à les supporter;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]     FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 609,00 $ par mois du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.

[44]     La locatrice assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Philippe Manuguerra, greffier spécial

 

Présence(s) :

les mandataires de la locatrice

Date de l’audience :

17 avril 2024

 

 

 


[1] Chapitre CCQ-1991.

[3] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[4] Art. 2803 du Code civil.

[5] Coop d'Habitation Lezarts c. Lampron, 2012 CanLII 125509 (QC TAL).

[6] Témoignage de la mandataire de la locatrice.

[7] Habitations Terrasse St-Michel c. Côté J-C, R.L. Montréal, 31-100415-121, le 12 août 2011, Pelletier E. g.s.

[8] Arts. 2803 et 2804 C.c.Q.

[9] Boivin c. Boucher, 2012 CanLII 137533 (QC TAL).

[10] 9178-4843 Québec inc. c. Griffin, 2021 QCTAL 25130.

[11] Arts. 2830, 2831 et 2860 C.c.Q.

[12] Voir notamment Immo MPED inc. c. Ciccone, 2024 QCTAL 5316 (CanLII); Agagnier c. Parent, 2018 QCRDL 3893 (CanLII).

[13] 2018 QCRDL 10929 (CanLII).

[14] 2014 CanLII 130981 (QC RDL).

[15] 2013 CanLII 106172 (QC TAL).

[16] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

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