Décision

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Badr c. Kone

2024 QCTAL 42147

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Sherbrooke

 

No dossier :

777694 26 20240325 S

No demande :

4440009

 

 

Date :

20 décembre 2024

Devant la juge administrative :

Annie Hallée

 

Mohamed Badr

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Mohamed Kone

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le Tribunal est saisi d’une demande du locateur, déposée le 26 août 2024, en résiliation du bail, au motif que l'ordonnance enjoignant au locataire de payer le loyer le premier de chaque mois à compter du 1er août 2024 émise dans la décision du 16 juillet 2024 n'a pas été respectée, exécution provisoire de la décision malgré l’appel et frais.
  2.          Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, au loyer mensuel de 705 $, payable par virement bancaire.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

  1.          Le locateur allègue que le locataire a payé le loyer le 6 août 2024, soit en contravention de l’ordonnance émise dans la décision du 16 juillet 2024.
  2.          Il admet cependant que le loyer de septembre, octobre et novembre a été payé à temps.
  3.          Il confirme que le paiement du loyer se fait par virement bancaire, comme prévu au bail.
  4.          De son côté, le locataire affirme avoir reçu la décision vers la fin du mois de juillet 2024.
  5.          Il explique avoir eu des problèmes avec sa banque durant cette période. Son compte ayant été bloqué, il n’a pas été en mesure d’effectuer le paiement du loyer par virement bancaire pour le 1er août 2024. Il a donc payé en argent comptant dès qu’il a été en mesure de le faire.

ANALYSE ET DROIT APPLICABLE

  1.          En l’espèce, l’article 1973 du Code civil du Québec est pertinent et se lit comme suit :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »


  1.          Ainsi, le juge Gilles Lareau, dans la décision Rotter c. Namer[1], interprétait l’article 1973, alinéa 2, du Code civil du Québec et s’exprimait ainsi :

« L'interprétation de l'article 1973 en cas de défaut

[30] L'émission d'une ordonnance en vertu de l’article 1973 C.c.Q. s’inscrit dans un contexte bien particulier. (…)

[31] Ce pouvoir relève d'une discrétion judiciaire qui permet à la Régie de prononcer une sanction autre que la résiliation à un défaut constaté du locataire. Lorsque la preuve permet à la RÉGIE de prononcer la résiliation du bail, mais que le régisseur est d’avis que la sanction est, en l’espèce, trop sévère et qu’il ne s’agit pas d’un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, ce dernier peut émettre une ordonnance contraignant au locataire d’exécuter son obligation dans un délai qu’il détermine. C’est en quelque sorte une dernière chance que la RÉGIE accorde à un locataire pour lui permettre d’éviter la résiliation du bail et son éviction.

[32] Ceci étant, la décision de la RÉGIE de déclarer qu’un locataire ne s’est pas conformé à une ordonnance ne doit pas être un automatisme qui ne se satisfait que d'une simple preuve technique d'un défaut. Elle requiert par la RÉGIE l’exercice d’une fonction juridictionnelle. La RÉGIE doit premièrement interpréter l’ordonnance, un exercice souvent fort simple, mais qui peut s'avérer particulièrement pertinent lorsque l'ordonnance est imprécise ou équivoque. La RÉGIE doit ensuite analyser la preuve factuelle afin de déterminer si l’ordonnance a été respectée ou non.

[33] Si le constat d’un défaut volontaire et substantiel laisse peu de place à la RÉGIE pour prononcer autre chose que la résiliation du bail, sa décision de conclure qu’il y a ou non un défaut de cette nature peut considérer plusieurs facteurs. À titre d’exemples non limitatifs, le défaut peut résulter d’un geste attribuable au locateur, il peut avoir été provoqué par une mauvaise interprétation de l’ordonnance, le locataire peut avoir été dans une impossibilité d’agir ou encore le comportement du locateur peut établir qu’il avait renoncé aux effets de l’ordonnance.

[34] Dans l’affaire Eggspectations[6], la Cour d’appel devait décider du défaut d’avoir respecté une ordonnance de sauvegarde qui a entraîné pour le locataire la résiliation du sous-bail et du contrat de franchise et son expulsion immédiate des lieux loués. L'appel faisait suite à un jugement de la Cour supérieure qui avait refusé à l'appelante la possibilité de faire une preuve sur les défauts allégués et accueilli une inscription pour jugement par défaut de plaider. La Cour écrit :

« [3] Avant d'imposer une sanction aussi sérieuse que le rejet du droit de présenter une défense et d'y joindre une demande reconventionnelle pour défaut de se conformer à une obligation préjudicielle imposée par le tribunal consistant, entre autres, à verser périodiquement divers montants pendant l'instance, un juge doit s'assurer que la partie qu'on veut priver de ses droits a manqué, volontairement et substantiellement, à son obligation.

[4] En l'instance, hormis un retard d'un jour à deux ou trois reprises, il semble que l'appelante a effectué tout un chacun des divers paiements hebdomadaires prévus à l'ordonnance de sauvegarde (loyers, droits de franchise et frais de publicité), a fourni les informations décrites à la même ordonnance de sauvegarde et exploité le restaurant franchisé conformément aux termes de cette dernière.

[5] Dans les circonstances, le rejet de la défense et de la demande reconventionnelle n'est pas justifié et la juge de première instance n'aurait pas dû permettre l'inscription pour jugement par défaut de plaider. »

[35] Le droit au maintien des lieux (art. 1936 C.c.Q.) est un droit fondamental qui relève de l'ordre public de protection.[7] Avant de priver un locataire d'un tel droit en raison du défaut de respecter une ordonnance, il faut s'assurer qu'il y a effectivement un défaut, qu'il est important et qu'il est intentionnel »

(Références omises)

  1.      À la lumière de ces principes, le Tribunal peut exercer sa discrétion pour accorder ou refuser une demande en résiliation de bail pour non-respect d’une ordonnance rendue selon l’article 1973, al. 2, du Code civil du Québec.
  2.      Ainsi, lors de l’audience, le locataire a offert un témoignage crédible pour expliquer qu’il n’était pas responsable du retard dans le paiement de son loyer du mois d’août puisqu’il était dû à une situation hors de son contrôle, soit le gel de son compte bancaire.
  3.      Cette explication est appuyée par le respect de l’ordonnance par le locataire pour tous les mois subséquents jusqu’à la date de l’audience, incluant celui de novembre 2024.

  1.      Par conséquent, le locataire ne peut être considéré en défaut d’avoir respecté l’ordonnance de payer le loyer le 1er jour de chaque mois à compter du 1er août 2024, émise dans la décision du 16 juillet 2024.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      REJETTE la demande du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Annie Hallée

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Date de l’audience : 

29 octobre 2024

 

 

 


 


[1] Rotter c. Namer, 2017 QCCQ 1572.

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