Décision

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Décision

9229-5294 Québec inc. c. Bélanger

2015 QCRDL 10861

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

184816 31 20141114 G

No demande :

1620615

 

 

Date :

07 avril 2015

Régisseure :

Francine Jodoin, juge administratif

 

9229-5294 QUÉBEC INC

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Luc André Bélanger

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le Tribunal est saisi d’une demande pour statuer sur l’opportunité de l’évacuation de la locataire suite à l’envoi d’un avis pour réparations ou améliorations majeures, et le cas échéant, d’établir les conditions de cette évacuation.

[2]      Le Tribunal a autorisé la réunion de trois (3) dossiers qui concernent autant de locataires du même immeuble pour fins d’enquête et audition. Une décision distincte est prononcée dans chacun des dossiers[1].

CONTEXTE

[3]      Le locateur achète l’immeuble en janvier 2014. Celui-ci contient six (6) unités d’habitation. Tout de suite après l’achat, trois logements se libèrent (par entente ou non-reconduction). Des travaux sont entrepris dans ces logements, puis il y a relocation de ses unités. Pour les trois (3) autres logements, le locateur envoie un avis de réparation ou d’amélioration majeure en novembre 2014.

[4]      La nature des travaux y est décrite comme suit :

« Rénovation complète du logement : Plancher, mur, plafond, plomberie, électricité.

Remplacement complet de la cuisine et de la salle de bain. »

[5]      Ces travaux doivent débuter le 1er juillet 2015 et requièrent une évacuation du logement pour une durée prévue de quatre (4) mois.

[6]      Le locateur offre une indemnité de 2 500 $.

[7]      Les locataires contestent cet avis qu’ils considèrent inutile puisque les logements sont adéquats selon eux et leur conviennent ainsi.


LES FAITS :

[8]      Monsieur Nader Hanna explique que l’immeuble date de 1925-1929 et qu’il n’a pas, pour l’essentiel, subi de rénovations depuis. Ainsi, l’électricité et la plomberie sont d’origine. Il entend procéder au dégarnissage complet des murs et des planchers, ceux-ci étant devenus vétustes ou de mauvaise qualité, dit-il, (ex : plancher flottant dans le logement de madame Haag). Il en profitera pour rénover complètement la cuisine et la salle de bain ainsi que pour mieux isoler les murs (ce dont se plaint monsieur Bergeron). Il créera un espace fermé pour la laveuse/sécheuse dans les logements.

[9]      Monsieur Hanna explique que ce sont de tels travaux qu’il a réalisés dans les logements vacants qui ont subi une hausse moyenne de la valeur locative de 60 %. Les travaux ont duré trois mois et demi et les coûts par logement sont évalués à 67 000 $.

[10]   Monsieur Francis Dumais, entrepreneur général, a préparé une soumission pour l’exécution des travaux dans le logement des locataires bien qu’il n’en ait pas fait la visite ou l’inspection. Celle-ci correspond à un coût de 66 857,98 $ mais inclut la réfection d’une descente d’escalier (espace commun).

[11]   Il a pour mandat de démolir le logement jusqu’à la structure et de le refaire à neuf (pièce P-5). Il soutient que l’électricité et la plomberie de l’immeuble ne sont pas aux normes actuelles, mêmes si fonctionnelles. Il n’a pas visité les logements des locataires mais se fie à ce qu’il a vu dans les autres logements vacants. Il mentionne qu’en cas de rénovation, il doit remettre l’immeuble aux normes. Les murs de plâtre sont fissurés par endroit et les planchers sont à la fin de leur vie utile.

[12]   Il a, aussi, pour mandat de créer un placard qui servira aux appareils laveuse-sécheuse des locataires qu’il construira en empruntant de l’espace dans deux pièces.

[13]   Les locataires formulent, pour l’essentiel, les mêmes arguments quant à l’inutilité de procéder, selon eux, aux travaux annoncés. Ils reconnaissent qu’au point de vue esthétique, le remplacement des planchers serait approprié mais n’insistent pas pour l’exécution de ces travaux.

[14]   À travers leurs années d’occupation, des travaux électriques ponctuels ont été faits, disent-ils, (panneau à disjoncteur installé) ou de plomberie (suite à un dégât d’eau). Ils ne voient, donc, pas la nécessité de procéder aux travaux envisagés.

[15]   Ils ajoutent, aussi, que les travaux dans les autres appartements n’ont pas duré trois mois et étaient plutôt intermittents. Aucun permis pour l’exécution des travaux n’a été visible durant les travaux. Monsieur Bergeron qui a visité un des logements « rénovés » affirme que les travaux sont demeurés mineurs.

[16]   Dans le cas de la locataire madame Haag, la situation diffère quelque peu puisque son plancher a été changé avant son arrivée par du plancher flottant et, selon les photographies produites, il appert en bon état ainsi que les murs.

QUESTIONS EN LITIGE 

- Les dispositions sur les réparations ou améliorations majeures s’appliquent-elles aux travaux envisagés ?

- Le locateur a-t-il démontré le caractère raisonnable des travaux et la nécessité de l’évacuation ?

- Quelles sont les conditions de juste et raisonnable pour cette évacuation ?

ANALYSE 

-  Les principes généraux

[17]   Le locateur qui désire entreprendre une amélioration majeure ou une réparation majeure non urgente doit aviser son locataire et si une évacuation est requise, une indemnité doit être offerte (article 1922 Code civil du Québec).

[18]   Dans tous les cas, le locataire a un droit absolu de réintégrer son logement à l’expiration de la période d’évacuation.


[19]   Au sens commun du terme, « une amélioration » consiste à un ensemble de travaux ou de dépenses faites sur un bien en lui procurant une plus-value. De façon générale, une amélioration dans le logement visera à donner un aspect plus agréable ou de rendre plus fonctionnel les équipements même s'ils ne sont pas détériorés.

[20]   Quant aux réparations, elles visent la remise en état de ce qui est détérioré. Il s'agira, en somme, de corriger les éléments défectueux, de les remplacer ou les restaurer.

[21]   Le terme « majeur » quant à lui réfère à ce qui est important, considérable, substantiel ou significatif.

[22]   Il faut interpréter ces dispositions comme visant les améliorations et réparations majeures à réaliser à l'intérieur du logement du locataire.

[23]   Ainsi, il apparaît logique que le locataire ait à subir de tels travaux alors qu'il en retirera éventuellement un certain bénéfice ou avantage lors de son réaménagement.

[24]   Dans son traité, « Vente, Louage, Contrat d'entreprise ou de Service », le professeur, Me Jacques Deslauriers, écrit :

« 1620. On entend par travaux majeurs les améliorations et réparations importantes dans un logement, par exemple, la rénovation de la salle de bain et de la cuisine. Il peut s'agir aussi de travaux nécessaires pour assurer la stabilité et l'imperméabilité ou la sécurité de l'immeuble. Dans ces derniers cas, il pourra s'agir de travaux urgents et nécessaires de plomberie, d'électricité ou le renforcement des structures. En somme, il s'agit de travaux qui conservent l'immeuble, améliorent sa plus-value et la qualité de vie des occupants. Les travaux visés par l'article 1922 C.c.Q. sont donc les réparations et améliorations majeures non urgentes, quoique nécessaires à moyen terme dans un logement, et non des changements destinés à parer le logement avec des matériaux au goût du jour. »[2].

(Notre soulignement).

[25]   Le législateur a, ainsi, adopté des règles particulières afin d'encourager le maintien et même l'amélioration de la qualité des logements. Il va sans dire que les travaux projetés doivent contribuer à participer à cet objectif.

[26]   L'encadrement législatif applicable aux travaux majeurs dans le logement vise à protéger le locataire, dont la vie privée et la jouissance paisible sont affectées par ceux-ci.

[27]   La demande du locateur est faite conformément aux articles suivants du Code civil du Québec :

« 1925.      Lorsque l'avis du locateur prévoit une évacuation temporaire, le locataire doit, dans les dix jours de la réception de l'avis, aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter les lieux.

                            En cas de refus du locataire, le locateur peut, dans les dix jours du refus, demander au tribu­nal de statuer sur l'opportunité de l'évacuation. »

« 1927.      La demande du locateur ou celle du locataire est instruite et jugée d'urgence. Elle suspend l'exécution des travaux, à moins que le tribunal n'en décide autrement.

                            Le tribunal peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables. »

« 1928.      Il appartient au locateur, lorsque le tribunal est saisi d'une demande sur les conditions dans lesquelles les travaux seront effectués, de démontrer le caractère raisonnable de ces travaux et de ces conditions, ainsi que la nécessité de l'évacuation. »

(Nos soulignements).

[28]   Ainsi, le locateur doit prouver le caractère raisonnable des travaux, des conditions ainsi que la nécessité de l'évacuation.

[29]   En matière de bail de logement, l'exercice des attributs du droit de propriété du locateur doit céder le pas à la protection du droit au maintien dans les lieux et l'évacuation d'un locataire dans ce contexte ne peut s'effectuer hors du cadre de la loi et des modalités prévues.

[30]   Le régime particulier applicable aux travaux majeurs doit s'interpréter restrictivement puisqu'il risque de mettre en péril le droit du locataire au maintien dans les lieux et affecte la jouissance paisible du logement.


[31]   C'est d'ailleurs en ce sens que se prononce la jurisprudence au sujet du caractère raisonnable des travaux à entreprendre[3]. Considérant, en effet, que deux droits s'affrontent alors, à savoir l'exercice du droit de propriété du locateur et le droit au maintien dans les lieux du locataire, les tribunaux ont établi des critères à rencontrer pour établir le caractère raisonnable des travaux (nature et nécessité). À cet égard, on peut dégager, sur cette question, les éléments suivants :

- L'urgence des réparations, le cas échéant;

- La nécessité des travaux;

- L'intérêt des parties;

- Les inconvénients causés.

[32]   Les auteurs, Pierre Gagnon, juge administratif et Me Isabelle Jodoin, énoncent ce qui suit dans leur ouvrage, Louer un logement[4] :

« L’ampleur de ces mesures d’appui au locataire peut paraître disproportionnée. Un des objectifs visés est sans doute d’éviter que le locateur utilise l’exécution de travaux comme prétexte pour se débarrasser d’un locataire peu rentable ou encombrant. Le locataire, de son côté, peut craindre que les coûts engagés à cette fin se traduisent par une augmentation substantielle du loyer. En pratique, la grande majorité des projets de réparations se négocient dans l’harmonie, puisque l’amélioration du logement profite en principe à tous les intéressés. »

-  Les dispositions sur les réparations ou améliorations majeures s’appliquent-elles aux travaux envisagés ?

[33]   La finalité de l'avis transmis par le locateur est de procéder à une rénovation complète du logement (cuisine, salle de bain, murs, planchers, plafonds) et divers éléments structuraux (électricité, plomberie). Il entend, également, par ce biais, modifier la configuration des logements (ajout d’une salle de lavage).

[34]   Déjà sur cet aspect, l’avis pose un problème puisque la loi interdit le changement de forme en cours de bail[5].

[35]   Mais il y a plus. L’ampleur des travaux envisagés permet de conclure que le logement deviendrait en lui-même une construction neuve avec toutes les contraintes applicables à la fixation du loyer[6] ou perte de l’objet du bail.[7]

[36]   Les travaux du locateur s’apparentent davantage à une transformation complète du logement au point où il n’aura rien en commun avec celui présentement occupé par le locataire.

[37]   Cette distinction n’est pas sans importance. À titre d’exemple, lorsqu’un logement a été endommagé suite à un incendie et que le locateur démolit le logement pour le construire, la jurisprudence constate qu’il s’agit d’un nouveau logement et parfois même, on applique la théorie des risques pour déclarer la résiliation du bail.[8]

[38]   Ce « tout nouveau logement » vient modifier en quelque sorte « l’objet » du bail puisque les changements dépassent la simple amélioration du logement.

[39]   Le but des dispositions permettant une évacuation pour les fins d’une réparation ou d’une amélioration n’est pas de permettre au locateur de modifier ou transformer en entier le logement dans le but de le moderniser. Il ne peut s’agir d’une démolition pour restauration complète car ce serait alors faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement.

[40]   Les articles 1922 et suivants du Code civil du Québec visent à maintenir le parc locatif mais non de faire une profonde transformation, une démolition du logement ou une remise à neuf, qui affecte l’objet même du bail.


-  Le locateur a-t-il démontré le caractère raisonnable des travaux ?

[41]   Pour les motifs énoncés plus haut, le Tribunal conclut que les travaux projetés dans leur ensemble ne sont pas raisonnables car ils ne respectent pas les conditions d’application prévues par la loi.

[42]   Ceci dit, il se peut que des travaux électriques et de plomberie puissent s’avérer utiles ou nécessaires dans cet immeuble qui date de plusieurs années.

[43]   Quant aux planchers, la preuve révèle que dans les logements de madame Bergeron et de monsieur Bélanger, ils sont devenus vétustes. Il pourrait, donc, s’avérer que ces travaux soient requis.

[44]   Dans le logement de madame Haag, ils ont été récemment rénovés par l’installation d’un plancher flottant. Dans les circonstances et même si le locateur estime qu’il s’agit d’un recouvrement bon marché, il n’apparaît pas nécessaire ou raisonnable de procéder à un remplacement complet.

[45]   Les quelques fissures apparaissant aux murs peuvent être colmatées sans qu’ils soient démolis entièrement et refaits. Ces travaux extensifs envisagés par le locateur de dégarnissage ne constituent pas des travaux nécessaires ou raisonnables dans les circonstances et n’apporteront rien à la jouissance des locataires. Les locataires ne tireront aucun bénéfice direct de cette situation mais en vivront plutôt les conséquences fâcheuses.

[46]   Quant à la rénovation complète de la cuisine et de la salle de bains, rien n’indique qu’il y a ait une nécessité de procéder à ces travaux. Certes, ils sont possiblement d’origine, toutefois, la preuve produite au dossier démontre que les armoires de cuisine ne sont ni détruites, ni vétustes, qu’elles ont été bien entretenues au cours des années et sont toujours fonctionnelles.

[47]   Il s’agirait essentiellement d’une dépense somptuaire qui vise, essentiellement, à les mettre au goût du jour. Ces travaux ne sont pas jugés nécessaires ou raisonnables considérant l’impact pour les locataires.

[48]   Le Tribunal doit conclure que les travaux projetés par le locateur ne sont pas nécessaires ou raisonnables en ce qui concerne l’ajout d’une salle de lavage (contraire à la loi), le dégarnissage complet des murs dans les logements et la réfection complète de la cuisine et de la salle de bain.

[49]   Tel qu’indiqué plus haut, il est possible que certains travaux (de moindre envergure) puissent être autorisés mais un nouvel avis devra en faire état, le cas échéant, si c’est là le choix du locateur de procéder à moindre échelle.

[50]   Dans les circonstances, le Tribunal conclut que l’évacuation n’est pas opportune puisque les travaux envisagés par l’avis ne peuvent être autorisés. Il n’y a, donc, pas lieu de se prononcer sur les conditions d’évacuation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[51]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

Me Jean-Olivier Reed, avocat du locateur

le locataire

Yuan Gao, stagiaire en droit pour le locataire

Date de l’audience :  

23 février 2015

 

 

 


 



[1] 184814 et 189478.

[2] 2013, 2ième édition, Wilson & Lafleur Ltée, p. 538.

[3] Klein c. Caprera [1996] J.L. 280; Bercovitch c. Caprera et al, EYB 1996-30197 (C.Q. Montréal, j. B. Tellier); Les immeubles Rive Sud c. Kadr (2005) J.L. 247 (R.L.).

[4] 2ième édition, Éditions Yvon Blais inc., 2012, p. 108.

[5] Article 1856 C.c.Q.; Almonde c. Lemieux [2001] J.L. 46; Merchant c. Ulrich R.L. Montréal 35-870407-073G.

[6] Article 1955 C.c.Q.

[7] Moran c. Gestion Gerfa Inc., C.Q. Montréal, 500-02-005150-904 (22 mai 1990); Gauthier c. Perreault, R.L. 31-910219-017G, 12-07-1991 (juge administratif Christine Bissonnette); Brodeur et al. c. Auclair, R.L. Montréal, 31-920429-034L, 27-07-1992 (juge administratif Christine Bissonnette); Gervais c. Serveau, 2010 QCRDL 32079.

[8] Voir note 7.

AVIS :
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