Barsemian c. Sayad |
2018 QCRDL 2821 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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Nos dossiers : |
267009 31 20160317 J 288093 31 20160722 J |
No demande : |
2376692 |
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Date : |
24 janvier 2018 |
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Régisseure : |
Anne Mailfait, juge administrative |
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SATENIK BARSEMIAN |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Naima Sayad |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande de récusation déposée à l’encontre du régisseur Me Lavigne dans les deux dossiers suivants :
- Dossier 267009, la locatrice demande, le 17 mars 2016, l’autorisation de relouer le logement.
- Dossier 288093, la locataire demande, le 22 juillet 2016, des dommages pour reprise de mauvaise foi et la réunion avec le dossier 267009.
[2] La demande de récusation repose sur une lettre de Me Champagne, procureur de la locatrice :
« Régie du logement
A qui de droit
DOSSIER NUMÉRO : 267009 et 288093
OBJET: Demande (requête) en vertu de
l'article
La présente se veut une demande de récusation du juge administratif Marc Lavigne au motif que l'ancien employé du juge administratif, en la personne de Daniel Normandin est venu témoigner contre moi dans un procès aux petites créances.
Le tout a commencé dans le procès numéro de dossier 267009. Dans cette audience du 8 septembre 2017 le juge administratif contrairement a la première audition du 18 mai 2017 dans laquelle il avait été mentionné qu'un interprète qui n'était pas un témoin pouvait agir comme traducteur, et que ce n'était pas nécessaire d'avoir un interprète officiel. Lors de l'ouverture le juge administratif demande si c'est un interprète officiel, je réponds que non, pourtant la juge administrative Chantal Bouchard dans l'enregistrement track 2 a 19 minutes et 16 secondes mentionne qu'elle inscrit cela dans le dossier. Et delà, l'autre partie exige un interprète officiel. En écoutant le CD de cette audition il a été mentionné que nous n'avions pas besoin d'un interprète officiel.
Dans un autre dossier numéro 253634 audience du 20 octobre 2017 le juge administratif refuse que je dépose en preuve une facture de l'agent immobilier ainsi que le paiement de cette facture qui est pertinent. Je mentionne en plus que c'est suite à une décision de la juge administratif Luce Di Palma de la Régie du Logement, le juge administratif refuse le dépôt de cette preuve. De plus, dans ce dossier, j'ai voulu amender ma demande et le juge administratif a dit que si l'autre partie s'objecte, la réponse était non avant même l'objection. Il est évident que lorsque je recevrai la décision je devrai demander la rétractation de la décision. Prendre note que j'ai déposé dans ce dossier une décision de la Cour du Québec qui mentionne que lorsqu'il y a déguerpissement la personne ne peut sous-louer ou céder son Bail.
Suivant le Code de déontologie des régisseurs de la Régie du logement le juge administratif doit être impartial et objectif. Selon mes prétentions la primauté du droit et la démocratie ainsi que l'impartialité n'existent pas dans mon dossier.
Je suis en droit de m’attendre que la qualité fondamentale du juge administratif soit présente, ce qui selon mes prétentions, manquent vis-à-vis moi.
La cour Suprême rappelle dans l'arrêt Bande Indienne Wewaykum c. Canada 2003 CSC que l'impartialité est la clé du processus judiciaire et que son existence doit être présumée.
L'essence de l'impartialité réside dans l'obligation qui incombe au juge administrtif de divulguer lorsque je l'ai mis au courant que je connaissais son ancien employé qu'il avait eu pendant plusieurs années et que j'avais déjà été a son ancien bureau sur la rue St-Denis.
Je croyais qu'en abordant ce sujet que le juge administratif aurait eu un esprit ouvert dans le dossier que nous devions trancher devant lui. Je croyais selon mes prétentions que le fait d'avoir dénoncés les faits ci haut mentionnés, aurait permis de bénéficier d'une audition impartiale sans penser ou avoir l'impression que le juge favorise un résultat particulier.
Je suis en droit de m'attendre que le droit et non ma personnalité soit au coeur même du dossier.
Je suis une personne sensée et raisonnable et j'ai l'impression que le juge administratif privilégie un résultat particulier. » (sic)
[3] En audience, Me Champagne précise ses arguments et points de droit :
[4] Lors de l’audience du 18 mai 2017, une régisseure refuse qu’un témoin du locateur agisse également comme traducteur et elle ordonne en conséquence « que la locatrice devra se munir d’un traducteur (qui ne sera pas appelé comme témoin » (Procès-verbal du 18 mai 2017 - dossier 288093).
[5] Me Champagne explique que lors de l’audience suivante, le 8 septembre 2017, Me Lavigne lui demande si le traducteur est un traducteur officiel. La réponse étant négative, Me Lavigne exige que ce soit le cas.
[6] Selon Me Champagne, il s’agirait là de la première expression du biais de partialité de Me Lavigne, car la régisseure n’avait jamais exigé la qualité d’officiel du traducteur. Elle avait seulement indiqué qu’il suffisait que la personne ne cumule pas les fonctions de témoin et de traducteur.
[7] Comme second élément au soutien de sa demande de récusation, Me Champagne témoigne qu’un ancien employé de Me Lavigne a témoigné contre lui dans un procès aux petites créances tenu 90 jours avant l’audience en litige. Cependant, Me Champagne admet que Me Lavigne ne l’a pas reconnu comme tel lors de sa comparution. Il admet également n’avoir aucune preuve que cet employé et Me Lavigne demeurent en contact.
[8] Finalement, Me Champagne invoque le refus de Me Lavigne d’accepter un amendement verbal qu’il a voulu faire dans un autre dossier. Me Champagne précise que le régisseur a indiqué que l’amendement serait accepté si l’autre partie ne s’opposait pas à cet amendement. Me Lavigne aurait dit « Moi je n’accepte pas cela » et Me Champagne prétend que le régisseur aurait pu au moins lui laisser déposer cette preuve.
La preuve de Me Flambard, procureure de la locataire
[9] Me Flambard indique que c’est elle qui s’est opposée à ce que la fille de la locatrice témoigne et traduise d’une même voix. La remise est alors consentie afin de permettre la présence d’un traducteur, mais souligne Me Flambard, les propos de la régisseure Bouchard ne lient pas Me Lavigne.
[10] En outre, lors de l’audience du 8 septembre, Me Flambard constate que la nouvelle traductrice est la copine de la fille de la locatrice. Or, s’agissant d’une cause en reprise de logement, la crédibilité des témoins et la preuve de l’intention sont déterminantes. Selon elle, la décision prise par Me Lavigne de rejeter la traductrice était non seulement fondée, mais elle constitue une décision interlocutoire dont l’appel est possible.
[11] Me Champagne ne dépose aucune note sténographique pour préciser son argument qui reste vague, alors même que l’intégrité professionnelle et l’éthique d’un régisseur sont mises en cause.
[12] Sur la question de la preuve et amendement refusés dans un autre dossier, Me Flambard rappelle qu’il s’agit d’une question d’administration de la preuve.
[13] Finalement, elle souligne que le dossier date de 2015.
QUESTION EN LITIGE
[14] Le comportement et/ou les décisions de Me Lavigne ont-ils été de nature à susciter une crainte raisonnable de partialité ?
ANALYSE
[15] Le droit à une audience impartiale est inscrit dans la Charte :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
[16] Le test pour s’assurer
que ce droit est respecté repose sur le critère de la crainte raisonnable de
partialité, c’est-à-dire qu’« une personne sensée, raisonnable et bien
renseignée estimerait que le décideur a, consciemment ou non, été influencé
d’une manière inappropriée par le motif en question. » (Bande
indienne Wewaykum c. Canada
[17] Le but est de s’assurer que le décideur a un état d’esprit capable de le mener à une décision juste.
[18] Pour cela, « les
motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la
Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui
d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » (Committee for
Justice and Liberty c. Office national de l’énergie
[19] Le critère doit être objectivé, c’est-à-dire ne pas être analysé en fonction de la subjectivité de celui qui l’invoque. Il doit être apprécié au travers du tamis d’une personne, qui présenterait les qualités d’être bien renseignée, d’être sensée, de penser de façon réaliste et pratique.
[20] L’analyse de cette
norme d’appréciation qu’est la crainte raisonnable de partialité s’exerce
également en regard du principe de la présomption d’impartialité. L’autorité du
juge, la crédibilité du processus judiciaire et la stabilité du système
judiciaire dépendent de cette présomption, de sorte qu’il ne doit pas être
possible de l’évoquer imprudemment (Bande indienne Wewaykum c. Canada
[21] Finalement, la demande de récusation ne saurait être le court-circuit procédural permettant un appel déguisé d’une décision ou une tentative de choisir son juge.
[22] Ainsi, les motifs de récusation sont circonscrits dans la Loi sur la Régie du logement :
64. Un régisseur peut être récusé:
1° s'il est conjoint ou parent ou allié jusqu'au degré de cousin germain inclusivement de l'une des parties;
2° s'il est lui-même partie à une demande portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans la cause;
3° s'il a donné conseil sur le différend, ou s'il en a précédemment connu comme arbitre ou comme conciliateur;
4° s'il a agi comme mandataire pour l'une des parties, ou s'il a exprimé son avis extrajudiciairement;
5° s'il a déjà fourni des services professionnels à l'une des parties;
6° s'il est directement intéressé dans un litige mû devant un tribunal où l'une des parties sera appelée à siéger comme juge;
7° s'il y a inimitié capitale entre lui et l'une des parties ou s'il a formulé des menaces à l'égard d'une partie depuis l'instance ou dans les six mois précédant la récusation proposée;
8° s'il est tuteur, curateur ou conseiller, successible ou donataire de l'une des parties;
9° s'il est membre d'un groupement ou personne morale, ou s'il est syndic ou protecteur d'un ordre ou communauté, partie au litige;
10° s'il a un intérêt à favoriser l'une des parties;
11° s'il est parent ou allié de l'avocat, du représentant ou de l'avocat-conseil ou de l'associé de l'un ou de l'autre soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu'au deuxième degré ou conjoint de l'un d'eux.
65. Le régisseur est inhabile si lui ou son conjoint sont intéressés dans la demande.
[23] Qu’en est-il des faits en regard de ces principes de droit ?
[24] En premier lieu, la preuve de Me Champagne est vague, particulièrement concernant l’argument de l’ancien employé et l’administration de la preuve dans un dossier distinct de celui en litige.
[25] Il est lui-même incapable de savoir si l’ancien employé a encore des liens avec Me Lavigne et de quelle nature ils seraient.
[26] Outre cela, quand bien même Me Lavigne connaîtrait celui contre qui Me Champagne a un litige devant la Cour du Québec, rien dans le comportement de Me Lavigne dans le dossier sous étude ne vient renverser la présomption d’impartialité dont il bénéficie.
[27] Quant à la gestion d’un autre dossier, c’est précisément un autre dossier. La décision de Me Lavigne de rejeter l’amendement verbal est en outre conforme aux dispositions réglementaires du Règlement sur la procédure de la Régie du logement. L’existence même éventuelle d’une inimitié entre Me Champagne et Me Lavigne, n’est en outre, pas démontrée et telle qu’alléguée, elle vise l’avocat et non la partie dont ce dernier est le procureur.
[28] En ce qui concerne la question du traducteur, il s’agit d’une décision judiciaire qui ne révèle aucun biais ou erreur de droit pouvant traduire une volonté de diriger la preuve selon un intérêt personnel hors des sentiers du strict droit. Me Lavigne conservait sa discrétion judiciaire d’accepter ou non un traducteur officiel et il est pour le moins étonnant qu’un avocat permette à la copine d’un témoin clé de sa preuve d’agir comme traducteur. Il s’agit des règles élémentaires de droit et de bon sens. Le fait d’exiger un traducteur officiel permet précisément d’éviter la multiplication de ces cas de figure et cette décision s’inscrit donc dans le devoir déontologique du régisseur de décider en droit.
[29] En conclusion, les
arguments de Me Champagne sont vagues et ils ne rencontrent aucun
des cas cités aux articles
[30] Me Champagne va à la pêche en invoquant quelques faits, tous conformes en droit, pour tenter d’induire un comportement général défavorable à son égard. Les réelles intentions de Me Champagne semblent être celles évoquées par Me Flambard, soit de retarder le processus judiciaire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] REJETTE la demande de récusation;
[32] LE tout sans frais.
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Anne Mailfait |
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Présence(s) : |
la locatrice Me André Champagne, avocat de la locatrice Me Marie Flambard, avocate de la locataire |
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Date de l’audience : |
11 décembre 2017 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.