9291-9190 Québec inc. (Gestion immopolis) c. Gnao-Mbatchou | 2024 QCTAL 15465 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Montréal | ||||
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No dossier: | 699713 31 20230411 F | No demande: | 3875856 | |
RN :
| 3924729
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Date : | 09 mai 2024 | |||
Devant le greffier spécial : | Me Philippe Manuguerra | |||
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9291-9190 Québec Inc Faisant affaires sous le nom de Gestion Immopolis | ||||
Locatrice - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Cynthia Gnao-Mbatchou | ||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice a produit une demande de fixation de loyer, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec[1] (ci-après : « Code civil »), sans requérir le remboursement des frais.
[2] Le Tribunal, lorsque saisi d'une demande de fixation de loyer, détermine le montant du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[2] (ci-après : « Règlement »).
[3] Suivant ce Règlement, l'ajustement du loyer est calculé à partir du loyer payé au terme du bail, en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par la locatrice durant l'année de référence.
[4] En tant que demanderesse, la locatrice assume le fardeau de prouver[3], lors de l'audience, les montants inscrits au formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (ci-après : « Formulaire »).
[5] Les parties sont liées par un bail du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2023, à un loyer mensuel de 1 150,00 $.
[6] Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
[7] La partie demanderesse a soumis au Tribunal les pièces justificatives au soutien du Formulaire.
[8] Des corrections furent apportées séance tenante par le Tribunal au Formulaire en fonction de la preuve prépondérante déposée lors de l’audience.
[9] Nonobstant ceci, lors de l’audience, la discussion porta essentiellement sur la question des taxes municipales et scolaires.
[10] À ce stade, l’apport d’éléments factuels s’impose.
[11] En 2022, la locatrice a reçu un compte de taxes municipales pour la période d’imposition 2022 s’élevant à 12 724,92 $[4]. En 2023, la locatrice a reçu, pour la même période d’imposition, une facture pour révision du compte de taxes de 2 907,04 $[5].
[12] S’agissant des taxes scolaires, en 2021, la locatrice a reçu une facture de 1591,61 $ pour la période d’imposition 2021-2022. En 2023, ce compte fut révisé à la hausse et la locatrice a reçu une seconde facture de 95,76 $.
[13] À noter que pour les taxes municipales 2023 et les taxes scolaires 2022-2023, la locatrice a également reçu plusieurs factures mais, à la différence de ce qui précède, ces factures ont toutes été reçues durant les périodes d’imposition qu’elles visent[6].
[14] Cette situation ne pose donc pas de difficulté et le Tribunal retiendra les montants totaux encourus pour les périodes concernées, soit 17 450,58 $ pour la case 180 du Formulaire et 2 196, 78 $ pour la case 181.
[15] Le débat concerne donc les montants de taxes qui ont été facturés de manière rétroactive pour des périodes d’imposition échues.
[16] À cet égard, la locatrice est d’avis que ces montants doivent être pris en compte, pour l’ajustement du loyer, au moment où ils ont été payés, soit en 2023, même s’ils portent sur des périodes d’imposition antérieures.
[17] Pour le calcul de l’ajustement du loyer, le Tribunal considère l’écart entre deux périodes, comme l’énonce l’article 3 du Règlement :
« 3. Le tribunal saisi d’une demande de fixation ou de réajustement de loyer modifie le loyer au terme du bail en tenant compte, le cas échéant, selon la part attribuable au logement, des critères suivants:
1° la variation entre les taxes foncières municipales et de services exigibles au cours de la période de référence et celles exigibles durant l’année suivante et, la variation entre les taxes foncières scolaires exigibles au cours de l’année précédant la période de référence et celles exigibles durant cette période;
[…] »
[18] En somme, s’agissant du cas d’espèce, plus cet écart sera grand, plus l’augmentation du loyer sera importante, et inversement.
[19] La solution préconisée par la locatrice ne sera pas retenue par le Tribunal, lequel l’a déjà écartée à plusieurs reprises car elle générerait un enrichissement injustifié pour elle[7].
[20] Pour autant, il faut également éviter l’écueil, pour la locatrice, d’un appauvrissement injustifié. Pour ce faire, comme le note Me William Durand, greffier spécial[8], il convient de ne pas tenir compte de l’ajustement rétroactif des taxes :
« RÉTROACTIVITÉ DES TAXES MUNICIPALES
[7] Il est allégué à l’audience que des taxes municipales rétroactives supplémentaires ont récemment été émises par la municipalité de Montréal et payées par la locatrice sur ses comptes de 2018 et 2019.
[8] Une somme supplémentaire de 255 $ a été facturée en 2019 pour la période d’imposition de 2019. Cette somme a été payée en 2020 et vient s’ajouter à la somme de 14 173 $ déjà facturée et payée pour la période d’imposition de 2019.
[9] Une somme supplémentaire de 97 $ a également été facturée en 2019 pour la période d’imposition de 2018. Cette somme a été payée en 2020 par la locatrice et vient s’ajouter à la somme de 13 368 $ déjà facturée et payée pour la période d’imposition de 2018.
[10] La somme facturée et payée pour la période d’imposition de 2020 est quant à elle de 15 065 $.
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| 2018
Taxes initiales : 13 368 $ Portion rétroactive : + 97 $ Total exigible : 13 465 $ |
2020
Taxes initiales : 15 065 $ | 2019
Taxes initiales : 14 173 $ Portion rétroactive : + 255 $ |
[11] Dans le cadre de la demande de fixation pour laquelle le Tribunal est saisi, soit celle de 2020‑2021, la variation[3] devant être calculée est celle entre les taxes foncières municipales exigibles au cours des années 2020 et 2019.
[12] Les parties ne s’entendent pas quant aux périodes d’imposition sur lesquelles ajouter les sommes supplémentaires mentionnées (255 $ et 97 $). Le soussigné a donc pris cette question en délibéré.
[13] La locatrice propose ici d’ajouter les montants supplémentaires au compte de taxes de 2020 puisque c’est lors de cette année d’imposition que les sommes rétroactives ont été payées.
[14] Cette façon de faire créerait un enrichissement injustifié contraire à l’esprit du Règlement. En effet, le Règlement demande de tenir compte des taxes foncières « exigibles »[4] lors des années 2020 et 2019. Appliquer les taxes rétroactives de 2018 et 2019 à l’année 2020 équivaudrait à fixer une augmentation de loyer mensuelle totale de 9 $ entre les années 2018 à 2020 :
(15 417 $– 13 368 $) / 100 x 5.28 (part attribuable au logement de la locataire) / 12 (mois)
[15] Dans le scénario idéal, celui où la municipalité émet ses comptes de taxes en temps, la locatrice aurait payé 15 065 $ de taxes en 2020, 14 428 $ en 2019 et 13 465 $ en 2018. Le total des augmentations calculées de 2018 à 2020 est de 7 $ mensuellement sur ces trois années :
(15 065 $ – 13 465 $) /100 x 5.28 (part attribuable au logement de la locataire) /12 (mois)
[16] On voit rapidement que la méthode proposée par la locatrice ne permet pas d’établir une augmentation de loyer adéquate, compte tenu du calcul fait au paragraphe 15. Doit-on plutôt, comme le propose la locataire, comptabiliser l’augmentation rétroactive de 255 $ sur le compte de taxes de 2019 afin de calculer la variation adéquate?
[17] Aux sens stricts du texte du Règlement, oui, cependant, il en résulterait un appauvrissement injustifié pour la locatrice qui n’a pas bénéficié de l’ajout de cette somme lors de la détermination du loyer pour 2019-2020. Cette somme aurait alors justifié une augmentation de loyer pour 2019-2020 considérant que la variation calculée est alors celle entre les taxes de 2018 et 2019.
[18] Pour rétablir l’augmentation totale à laquelle a droit la locatrice en raison de l’augmentation de la taxe municipale de l’année d’imposition 2019, dont il n’a pu être tenu compte lors de l’établissement de son loyer pour la période de 2019-2020, il convient simplement de ne comptabiliser aucun ajustement rétroactif.
[19] De l’avis du soussigné, appliquer aveuglément le Règlement irait à l’encontre des objectifs de celui-ci, qui est d’établir le loyer payable de façon objective et prévisible lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre sur son montant. Permettre un enrichissement ou un appauvrissement injustifié en raison du retard de la municipalité dans l’émission de ses comptes de taxes est tout autant contraire à l’esprit du Règlement que la solution proposée par la locatrice.
[20] Ce que le soussigné cherche à expliquer à l’aide de ces mises en situation et calculs est qu’une somme rétroactive venant modifier un compte de taxes antérieur, qu’elle soit positive ou négative, aura toujours un impact nul, puisque d’une fixation de loyer à l’autre, la somme, s’il s’agit par exemple d’une augmentation, justifiera d’abord une augmentation de la variation entre les deux années prises en compte, puis, lors de la fixation suivante, justifiera une réduction :
Exemple d’une somme rétroactive de
+100 $ au compte de taxes de 2024
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| Fixation 2025-2026 Variation initiale entre 2024 et 2023 : 2 000 $ - 1 500 $ = 500 $
Variation avec rétroaction entre 2024 et 2023 : 2 000 $ - 1 600 $ = 400 $ |
Taxes initiales avant rétroaction
2023 = 1 000 $ 2024 = 1 500 $ 2025 = 2 000 $ | Fixation 2024-2025 Variation initiale entre 2024 et 2023 : 1 500 $ - 1 000 $ = 500 $
Variation avec rétroaction entre 2024 et 2023 : 1 600 $ - 1 000 $ = 600 $ |
[21] L’exemple ci-dessus démontre que la rétroactivité d’une somme n’affecte pas le montant final du loyer déterminable. Dans les deux exemples, une variation totale de 1 000 $ est établie au terme des deux fixations de loyers et le loyer déterminé sera le même pour 2025-2026.
[22] Suivant ces explications, les sommes retenues aux fins de la fixation 2020-2021 au chapitre des taxes municipales seront donc de 14 173 $ pour l’année 2019 et de 15 065 $ pour l’année 2020.»
[21] Appliquant ces enseignements, le Tribunal retiendra donc aux fins du calcul de l’ajustement du loyer 12 724, 92 $ pour la case 185 du Formulaire et 1591, 61 $ pour la case 186 du Formulaire.
[22] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[9] est de 79,42 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires | 24,08 $ |
Assurances | 3,09 $ |
Gaz | 11,54 $ |
Électricité | 0,62 $ |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,26 $ |
Frais de services | 0,00 $ |
Frais de gestion | 2,01 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
21,22 $ |
Ajustement du revenu net | 16,60 $ |
TOTAL |
79,42 $ |
[23] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[24] CONSIDÉRANT la jurisprudence unanime à l’effet que le loyer fixé par règlement peut être supérieur ou inférieur à celui mentionné dans l’avis de modification;
[25] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 79,42 $ est justifié;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 1 229,00 $ par mois, du 1er octobre 2023 au 30 septembre 2024.
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Me Philippe Manuguerra, greffier spécial | ||
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Présence(s) : | le mandataire de la locatrice la locataire | ||
Date de l’audience : | 4 avril 2024 | ||
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[1] Chapitre CCQ-1991.
[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
[3] Art. 2803 du Code civil.
[4] Pièce P-1.
[5] Pièce P-2.
[6] Pièce P-4.
[7] Gestion Lefjal inc. c. Charko,
[8] Gestion Lefjal inc. c. Charko, précité.
[9] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
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