Qayyum Chaudhary c. Gauthier |
2020 QCRDL 9948 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
480184 31 20190909 G |
No demande : |
2842556 |
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Date : |
08 avril 2020 |
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Régisseure : |
Marilyne Trudeau, juge administrative |
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Abdul Qayyum Chaudhary |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Roger Gauthier |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande la résiliation du bail, l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement, celui-ci troublant la jouissance paisible des lieux des autres locataires de l’immeuble.
[2] Comme deuxième motif de résiliation du bail, le locateur invoque le retard fréquent dans le paiement du loyer, lui causant un préjudice sérieux.
[3] Le locateur demande également l’exécution provisoire malgré l’appel de la décision et les frais de justice.
[4] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 740 $.
APERÇU
[5] Le locateur explique recevoir des plaintes des locataires de l’appartement numéro 3, situé au-dessus du logement concerné.
[6] Mathieu Chartrand, locataire de cet appartement, explique vivre l’enfer, depuis son arrivée dans l’immeuble le 1er décembre 2018, à cause du locataire et de sa conjointe.
[7] Dès le premier soir, les occupants du logement concerné cognent à sa porte et leur indiquent à lui et son colocataire de faire moins de bruit. Pourtant, seul le téléviseur était allumé. Il estime être victime de harcèlement de la part du locataire et de sa conjointe, ceux-ci ayant contacté les services de police à plus de 20 reprises depuis son emménagement. Aucune de ces visites n’ayant par ailleurs donné lieu à l’émission de constat d’infraction.
[8] Il indique que les occupants du logement concerné frappent sur leur plafond en lui criant des insultes. Il ajoute recevoir la visite de la conjointe du locataire au moins une fois par semaine, celle-ci s’étant par ailleurs introduite dans le logement sans permission à une occasion.
[9] Monsieur Chartrand ajoute avoir installé des tapis dans son logement afin de minimiser les bruits provenant de son logement qu’il juge cependant normaux, mais la problématique demeure. La situation étant invivable pour lui, il quittera à la fin de son bail s’il n’y a pas de changement.
[10] Le locataire admet avoir possiblement appelé la police à 20 reprises. Il explique entendre énormément de bruit en provenance de l’appartement numéro 3. Il ajoute avoir mentionné la situation au locateur, mais n’avoir jamais expédié de mise en demeure ou déposé de recours auprès de la Régie du logement, n’ayant pas le temps de s’occuper de cette affaire.
[11] Marie-Josée Grenier, conjointe du locataire, témoigne occuper également le logement concerné. Selon elle, tout allait bien avant l’arrivée de M. Chartrand. Elle ajoute entendre la sécheuse fonctionner à minuit le soir, des chicanes de couple et de la musique forte de manière quotidienne. Elle admet avoir appelé la police à environ cinq (5) reprises et avoir déjà frappé avec un objet sur le plafond de son logement.
ANALYSE ET DÉCISON
Fardeau de preuve
[12] Le Tribunal juge pertinent
de rappeler que les articles
[13] Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie demanderesse perdra[1].
Les troubles de jouissance
[14] Le locateur allègue
donc que le locataire ferait défaut d'exécuter les obligations que la loi lui
impose, en contrevenant aux dispositions des articles
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
1862. Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu'il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Néanmoins, lorsque le bien loué est un immeuble, le locataire n'est tenu des dommages-intérêts résultant d'un incendie que s'il est prouvé que celui-ci est dû à sa faute ou à celle des personnes à qui il a permis l'accès à l'immeuble.
(Nos soulignements)
[15] En présence d'un manquement d'un locataire à ses obligations, le locateur pourra exiger la résiliation du bail, dans la mesure où il est établi que l'inexécution cause au demandeur même, ou aux autres occupants de l'immeuble, un préjudice sérieux. La résiliation du contrat étant une sanction fort importante, en ce sens, la preuve et les motifs y conduisant devront l'être tout autant.
[16] Pour réussir dans son recours, le locateur doit établir de façon prépondérante que le locataire a manqué à ses obligations en troublant leur jouissance paisible des lieux.
[17] À ce sujet, dans une affaire similaire[2], le juge administratif Serge Adam a examiné la doctrine et la jurisprudence en matière de troubles de jouissance d'un logement en raison du bruit excessif provenant des autres locataires d'un même immeuble. La soussignée souscrit entièrement à son analyse :
« [35] Les règles régissant le bon voisinage
sont également pertinentes à la présente affaire. À cet égard, l'article
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leur fonds, ou suivant les usages locaux. »
[36] Aussi, cette disposition établit comme critère applicable le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Dans la décision Lacasse c. Picard, il fut décidé :
« Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l'accès au logement a eu, au cours d'une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »
[37] Comme le souligne l'auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son traité portant sur le louage :
« 98. Conditions. Deux conditions, à notre avis, s'attachent à la responsabilité pour troubles de voisinage entre locataires. D'abord, comme le suggère le texte même de l'article 1860, [L.Q. 1991, c. 64 article 1860 alinéa 1], le locataire voisin doit avoir subi des inconvénients anormaux. Qu'est-ce qu'un inconvénient normal? Cette première question nous amènera à préciser notamment si le trouble doit être persistant et si le locataire voisin doit avoir subi un préjudice sérieux. Deuxièmement, le comportement reproché au locataire doit être illégitime de sa part.
Relativement à la première condition, on relève parfois l'affirmation que le trouble causé au locataire voisin doit être « anormal». Pour juste qu'elle soit, l'expression n'en demeure pas moins vague. Afin de mieux cerner le niveau d'exigence imposé au locataire, on peut maintenant se tourner vers le langage utilisé par le législateur lui-même pour définir l'abus de droit et surtout pour poser les critères des troubles de voisinage : «Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux». Conciliation d'intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif. Ainsi, le niveau critique d'un trouble de voisinage peut varier sensiblement d'un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l'usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu'un couple sans enfant). [...]
Par ailleurs, on notera que le trouble doit être persistant. Dans l'esprit des tribunaux, un fait isolé ne saurait constituer des inconvénients anormaux. [...]
La seconde condition pour que le trouble de voisinage entraîne la responsabilité du locataire est que celui-ci doit avoir agi de façon illégitime.»
[38] Le tribunal fait siens les propos de la juge administrative Suzie Ducheine, laquelle s'exprimait ainsi dans un dossier similaire :
« La Régie ne peut fonder son appréciation de la preuve sur des facteurs subjectifs et personnels puisque le seuil de tolérance aux bruits peut varier d'une personne à une autre et selon les circonstances de leur vie. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres. La Régie doit donc se fonder sur des critères objectifs et probants établis par la jurisprudence et la doctrine. »
[...]
[41] Il n'est nullement illégal, anormal ou déraisonnable pour de très jeunes enfants de pouvoir marcher, courir un peu et de s'adonner à leurs jeux préférés.
[42] En l'instance, la preuve ne permet pas au tribunal de conclure que les bruits dont se plaint la locataire sont excessifs, déraisonnables et anormaux.
[43] Les heures acceptables sont celles établies par une société qui vit en interactivité et non celles d'une individualité. Le respect et la bonne foi dans l'exercice de ses droits s'avèrent alors d'autant plus pertinents. Chaque occupant d'un logement voisin devra moduler ses comportements pour tenir compte de la situation et de l'usage des lieux.
[44] Il paraît plus que probable que la locataire souffre d'intolérance au bruit et qu'elle ne soit pas toujours capable d'exprimer son mécontentement de façon saine, entraînant ainsi une escalade d'événements malheureux qui viennent enflammer une situation déjà tendue au départ.
[45] Notons que la cohabitation d'un immeuble à logements multiples où l'insonorisation est faible, voire inexistante, nécessite des concessions de part et d'autre.
[46] La locataire ne doit pas perdre de vue qu'elle ne peut aspirer à la même liberté d'action que si elle habitait une maison unifamiliale et elle doit, dans sa propre jouissance des lieux, tenir compte de celle de ses voisins. De sorte que tous les occupants voisins l'un de l'autre se doivent aussi d'accepter les inconvénients inhérents à ce type de logis, lorsqu'ils ne sont pas excessifs, ce qui est vraisemblablement le cas en l'instance, du moins pour les bruits engendrés par les enfants des locataires voisins. » (références omises)
[18] En l’instance, en l’absence de preuve prépondérante de bruits excessifs, déraisonnables ou anormaux, engendrés par les locataires du logement situé au-dessus, le Tribunal conclut que la conjointe du locataire, Madame Grenier, souffre d’intolérance au bruit en provenance de ce logement et exprime souvent son mécontentement de manière peu appropriée contribuant au climat d’animosité qui s’est installé.
[19] Le Tribunal conclut qu’il a été démontré que le locataire et sa conjointe n’agissent pas de manière à permettre aux autres locataires de l’immeuble de jouir paisiblement de leur logement.
[20] Malgré cela, le
Tribunal accepte de surseoir à la résiliation du bail et d'y substituer une
ordonnance selon l'article
[21] Ainsi, il sera ordonné au locataire et à tous les occupants du logement de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
[22] L'ordonnance est
rendue selon l'article
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, [...]
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
[23] Advenant le non-respect de cette ordonnance, le Tribunal, à la demande du locateur, résiliera le bail.
Les retards fréquents
[24] Quant au deuxième motif de résiliation, le locateur invoque les retards fréquents du locataire à payer son loyer. Pour obtenir cette conclusion, la loi impose qu'il fasse également la preuve du préjudice sérieux que ces retards lui occasionnent.
[25] Il mentionne que le loyer a été payé en retard à trois (3) reprises au cours des 12 derniers mois, soit le 9 mai 2019, le 4 juillet 2019 et le 3 août 2019.
[26] Le Tribunal juge que
ces défauts ne sont cependant pas assez réguliers et continuels pour rencontrer
le critère de fréquence de l’article
[27] Le Tribunal rappelle
par contre au locataire son obligation légale de payer son loyer le premier de
chaque mois en vertu de l’article
[28] L'exécution provisoire
de la présente décision n’est pas justifiée aux termes de l'article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ACCUEILLE en partie la demande;
[30] ORDONNE au locataire et à tous les occupants du logement, tant et aussi longtemps qu'il sera locataire du logement concerné, de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres occupants de l'immeuble;
[31] CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 85 $;
[32] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Marilyne Trudeau |
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Présence(s) : |
le locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
14 février 2020 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.