Yau c. Kalas | 2025 QCTAL 8765 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Longueuil |
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No dossier : | 844592 37 20250117 G | No demande : | 4590549 |
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Date : | 11 mars 2025 |
Devant le juge administratif : | Robin-Martial Guay |
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Mok Yong Yau | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Tadyk Kalas | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Le 17 janvier 2025, la locatrice introduit une demande pour obtenir l’autorisation de reprendre le logement concerné afin de s’y loger à la fin du bail, le 1er juillet 2025.
- Les parties sont liées par un bail couvrant la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 1 150 $ (Pièce P-1).
- Le 9 décembre 2024, la locatrice avise le locataire qu’elle entend reprendre le logement concerné afin de s’y loger à la fin du bail; ce qui est admis à l’audience.
- L’avis de reprise du logement est conforme aux dispositions des articles 1960 et 1961 du Code civil du Québec.
- Le locataire n’a pas répondu à la locatrice de sorte qu’il est réputé avoir refusé de quitter le logement.
- La locatrice a donc introduit la présente demande, et ce, dans le délai prévu à l’article 1963 C.c.Q. qui prévoit que :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »
- Présent à l’audience, le locataire conteste les intentions de la locatrice quant à la reprise du logement.
- Le logement concerné est constitué d’une unité de condominium de 4.5 pièces détenue en copropriété divise d’une superficie de 912 pieds carrés, situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages comportant deux logements par étage et jumelé à un autre immeuble identique.
- Le logement concerné est la seule propriété que possède la locatrice.
- La locatrice a fait l’acquisition du condominium en 2008.
- La locatrice a occupé les lieux pendant 10 ans, soit jusqu’à 2018 lorsqu’qu’en raison de l’état de santé précaire de sa mère, elle met en location son condominium et va s’établir dans celui de sa mère.
- C’est ainsi que le locataire est entré au logement concerné en 2018.
- Appelée à témoigner, la locatrice explique son parcours de vie des dernières années. À cet égard, elle témoigne que sa mère, avec qui elle habitait depuis 2018 en raison de problèmes de santé, a été hospitalisée en juillet 2024 puis s’est retrouvée aux soins intensifs jusqu’à ce qu’elle décède en février 2025.
- Lorsque sa mère s’est retrouvée dans une chambre appropriée à sa condition médicale et pour laquelle elle devait payer un loyer de 2 200 $ par mois, il fut décidé de vendre le condominium de sa mère afin de payer cette mensualité que d’affirmer la locatrice.
- Sitôt la transaction conclue avec un acheteur pour la vente du condominium de sa mère, la locatrice a signé un bail pour la location d’un condo dans lequel elle s’est établie le 24 novembre 2024 et dont le bail se termine le 30 juin 2025, d’où la présente demande de reprise de son logement présentement occupé par le locataire.
- Notons que la vente du condominium de sa mère s’est réalisée devant le notaire instrumentant en date du 2 décembre 2024. Le revenu de la vente a servi à payer le loyer mensuel de 2 200 $ qu’elle devait payer, et ce, jusqu’à son décès en février 2025 de relater Madame Yau.
- La locatrice accepte de payer une indemnité au locataire pour ses frais de déménagement et de branchement de services qu’il pourra compenser à même les derniers mois de loyer ainsi qu’elle accepte qu’il puisse quitter le logement concerné avant la fin du bail sans pénalité moyennant un préavis écrit de 15 jours.
- Invitée à faire connaître sa défense et les motifs pour lesquels il estime qu’il ne s’agit pas d’une reprise de bonne foi de la part de la locatrice, mais d’un prétexte pour atteindre une autre fin, le locataire insiste pour dire que la locatrice avait déjà tenté de reprendre possession de son logement pour le 1er juillet 2024 mais que sa demande avait été rejetée par le Tribunal administratif du logement, le 20 juin 2024 (Pièce L-1).
- Aussi, le locataire exprime son attachement au logement dont il en apprécie l’environnement et le milieu social ainsi qu’il invoque son âge avancé et sa situation financière qui ne lui permettent pas de payer un loyer supérieur à celui qu’il paie présentement.
- Le locataire fait aussi valoir que sa situation rend difficile qu’il ait à quitter les lieux cette année; incertain qu’il est de trouver un logement convenable au loyer équivalent à celui qu’il paie présentement.
- Le locataire évalue ses frais de déménagement et de branchement de services à la somme de 2 700 $.
- Pour le reste, il n’existe aucun contentieux passé et présent entre la locatrice et le locataire.
- Tel est l’essentiel de la preuve pertinente administrée à l’audience.
Discussion
- Il convient de rappeler que l'article 2805 du Code civil du Québec édicte que « La bonne foi se présume toujours à moins que la loi n'exige expressément de la prouver ».
- En matière de reprise de logement, il appartient au locataire de renverser cette présomption en faisant la preuve de la mauvaise foi du locateur.
- L’article 1936 C.c.Q, consacre en faveur du locataire, un droit au maintien dans les lieux, et ce, tant et aussi longtemps qu'il respecte les obligations prévues au bail.
- Toutefois, ce droit au maintien dans les lieux peut être compromis dans certains cas: ceux prévus par la loi.
- Il s'agit, entre autres, en cas de de reprise de logement ou en cas d'éviction tel que prévus aux articles 1957 et suivants du Code civil du Québec.
- En matière de reprise du logement, selon l'article 1963 du Code civil du Québec, le locateur doit démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
- Afin de protéger le droit du locataire au maintien dans les lieux, le législateur impose des conditions au locateur au chapitre de la reprise de logement. Il appartient à ce dernier de démontrer que son projet de reprise du logement repose sur des faits raisonnables et probables et non sur des prétextes.
- En cela, l'intention d'un locateur doit être analysée en fonction de l'ensemble de la preuve des faits et des circonstances démontrées.
- Et tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[1], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent: d'une part le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit des locataires au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit des locataires que le législateur impose des conditions au locateur.
- Dans la décision Houssam Hajjali c. Theodore Tsikis et la Régie du logement[2], le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec, après avoir répertorié quelques décisions rendues sur le fardeau de preuve applicable en matière de reprise de logement, tire la conclusion suivante :
« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
- Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[3], le Tribunal s'exprimait de la façon suivante :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent les locateurs à requérir le logement: cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »
Décision
- En l’espèce, après examen de l’ensemble de la preuve, le Tribunal juge que la locatrice a démontré, suivant la prépondérance de preuve, qu’elle entend réellement reprendre possession du logement concerné afin de s'y loger et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.
- À l’opposé, la locataire n’a pas démontré que la locatrice n’entend pas réellement reprendre le logement concerné pour s’y loger.
- Le fait qu’une décision du Tribunal administratif du logement ait rejetée une demande d’autorisation à reprendre possession du logement concerné pour le 1er juillet 2024, n’impacte pas sur la présente décision, compte tenu des circonstances nouvelles dans la situation de la locatrice depuis cette décision.
- Pour tout dire, la locatrice qui est encore très affectée par le décès de sa mère et qui est sous le coup d’un diagnostic de dépression majeure avec anxiété nous a convaincu qu’il est temps pour elle de retourner vivre chez elle, dans son unité de condo qu’elle avait quitté pour prendre soin de sa mère.
- Par conséquent, le Tribunal autorise la locatrice à la reprise du logement concerné afin de s’y loger à la fin du bail, le 30 juin 2025 à minuit.
- De plus, les stipulations de l’article 1967 du Code civil du Québec édictent que lorsque le Tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.
- En l’instance, le Tribunal accorde au locataire une indemnité de 2 500 $ pour le paiement de ses frais de déménagement et de branchement de services, ayant considéré le fait que le logement est semi meublé.
- De plus, le Tribunal donne acte au consentement de la locatrice à ce que le locataire puisse compenser l’indemnité de 2 500 $ avec les derniers mois de loyer et aussi, à ce qu’il puisse quitter le logement concerné sans pénalité avant la date de la reprise, le tout moyennant un préavis écrit de 15 jours à la locatrice.
- À titre d’information aux parties, il convient d’ajouter que l’article 1968 C.c.Q. prévoit un recours en faveur du locataire en recouvrement de dommages‑intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.
- De plus, l’article 1970 C.c.Q. précise qu’un logement qui fait l’objet d’une reprise ne peut, sans l’autorisation du Tribunal administratif du logement être reloué ou utilisé pour une autre fin que celle pour laquelle le droit a été exercé.
- La locatrice assume les frais judiciaires de la demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande de la locatrice qui en assume les frais de justice;
- AUTORISE la locatrice à reprendre le logement concerné afin de s’y loger à compter du 30 juin 2025 à minuit;
- AUTORISE le locataire à quitter le logement avant le 30 juin 2025 sans pénalité moyennant un préavis écrit de 15 jours à la locatrice;
- CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 2 500 $;
- AUTORISE le locataire à opérer compensation entre l’indemnité de 2 500 $ et les loyers à venir; la balance lui étant payable le cas échéant, le jour du départ du logement;
- ORDONNE l’éviction du locataire et des occupants du logement concerné à compter du 30 juin 2025 à minuit.
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| Robin-Martial Guay |
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Présence(s) : | la locatrice le locataire |
Date de l’audience : | 3 mars 2025 |
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[1] Dagostino c. Sabourin, R.D.L., 2000-01-26, SOQUIJ AZ-50736447.
[3] Simard-Godin c. Gibeault, R.D.L., 1987-03-17, J.L. 87-82.