Décision

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Association des juristes de l'état c. Godbout

2014 QCCS 4931

JB4651

 
 COUR SUPÉRIEURE
(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-019230-135

 

DATE :

 11 juillet 2014

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

MICHEL BEAUPRÉ, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

ASSOCIATION DES JURISTES DE L’ÉTAT

 

Demanderesse

c.

 

Me ANNIE GODBOUT

 

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR AVIS DE GESTION
AFIN DE FAIRE TRANCHER DES OBJECTIONS

______________________________________________________________________

 

[1]           Dans le cadre d’un litige où la demanderesse, Association des juristes de l’état (ci-après « l’Association »), recherchait à l’origine la destitution de la défenderesse (ci-après « Me Godbout ») à titre de dirigeant et administratrice, les procureurs de cette dernière ont requis la communication de certains documents et d’un élément matériel de preuve.

 

 

[2]           Les documents et l’élément matériel de preuve dont Me Godbout requiert la communication, et qu’elle énumère à son avis de gestion d’instance du 7 avril 2014,  sont les suivants :

1)         Copie des procès-verbaux des délibérations du comité exécutif de l’Association depuis août 2012;

2)         Pour la même période, copie de toute note adressée par l’un ou l’autre des membres du comité exécutif à la permanence de l’Association concernant Me Godbout;

3)         Copie des avis de convocation de toutes les réunions du comité exécutif de l’Association pour la période du 1er janvier 2013 au 24 octobre 2013;

4)         Copie des engagements de confidentialité signés par les membres du comité exécutif concernant la plainte et le grief de harcèlement psychologique formulés par Me Godbout et mettant en cause le président de l’Association;

5)         L’intégralité de l’enregistrement des délibérations tenues lors d’une réunion des membres du comité exécutif et de la permanence dans la salle de conférence de l’Association, tenue à Québec le 5 novembre 2013;

6)         Les procès-verbaux du conseil des représentants de mars 2013 et du 12 octobre 2013.

[3]           Les parties ont informé le Tribunal lors de l’audience qu’elles ont réglé leur différend concernant les demandes de communication 4) et 6) et qu’une décision à ces sujets n’est donc pas nécessaire.

[4]           En début de l’audience, l’Association dépose un document contenant sa position et intitulé « Réponses à l’encontre des motifs au soutien d’une demande de gestion notifiée par Me Godbout », de même que les pièces RG-1 à RG-7.

[5]           À noter que Me Godbout a signifié son avis de gestion d’instance le 7 avril 2014, mais qu’au moment de l’audience devant le soussigné le 29 mai 2014, elle avait signifié et produit au dossier une défense et demande reconventionnelle. Comme nous le verrons plus loin, l’Association tire un argument de cette séquence procédurale pour s’opposer à certaines demandes de Me Godbout.

 

 

Le contexte

[6]           Par sa requête introductive d’instance du 1er novembre 2013, l’Association recherchait la destitution de Me Godbout à titre de vice-présidente et administratrice, selon les conclusions interlocutoires et permanentes suivantes :

A) CONCERNANT L’ÉMISSION D’UNE INJONCTION INTERLOCUTOIRE :

-          ACCUEILLIR la requête en injonction interlocutoire, pour valoir jusqu’au jugement au fond;

-          ENJOINDRE à Me Annie Godbout, défenderesse, de ne poser aucun geste relevant des fonctions de vice-présidente au sein du comité exécutif;

-          DISPENSER l’AJE de fournir une caution;

-          LE TOUT, frais à suivre;

B) CONCERNANT LA REQUÊTE INTRODUCTIVE D’INSTANCE EN DESTITUTION D’UN DIRIGEANT ADMINISTRATEUR ET POUR L’ÉMISSION D’UNE INJONCTION PERMANENTE :

-          ACCUEILLIR la requête introductive d’instance;

-          DESTITUER Me Annie Godbout de sa fonction de vice-présidente du comité exécutif de l’AJE;

-          INTERDIRE à Me Annie Godbout d’exercer toute fonction d’administrateur au sein du comité exécutif de l’AJE pour une durée de cinq (5) ans débutant à la date du jugement devant intervenir;

-          ORDONNER l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel;

-          LE TOUT, avec dépens.

[7]           Toutefois, il a été admis à l’audience que Me Godbout n’a finalement pas soumis sa candidature afin de solliciter un nouveau mandat de vice-présidente aux élections prévues à cette fin lors des assemblées générales des membres des 20 et                  21 novembre 2013, soit trois semaines environ après le dépôt de la requête de l’Association. Il a aussi été admis à l’audience par les procureurs de l’Association que Me Godbout est toutefois toujours membre de l’Association.

 

 

[8]           Des suites de cette décision de Me Godbout de ne pas solliciter un nouveau mandat, seules les conclusions de la requête de l’Association visant à lui interdire d’exercer toute fonction d’administratrice au sein du comité exécutif de l’Association pour une durée de cinq (5) ans et l’exécution provisoire nonobstant appel demeurent d’actualité.

[9]           Sans reprendre en détail les faits allégués aux 132 paragraphes de la requête de l’Association et les 65 pièces invoquées à son soutien, il suffit de résumer ici que l’Association justifie ses conclusions visant à interdire à Me Godbout d’exercer toute fonction d’administratrice au sein du comité exécutif pour une durée de cinq (5) ans débutant à la date du présent jugement par ce qu’elle qualifie globalement de                 « manquements graves et répétés » de Me Godbout à diverses obligations, pendant la période où elle était vice-présidente. Les manquements en question seraient les suivants, que l’Association allègue au paragraphe 8 de sa requête :

-          Elle aurait refusé ou négligé de participer aux séances du comité exécutif;

-          Elle aurait refusé ou négligé de respecter les règlements généraux et le règlement de régie interne;

-          Elle se serait placée en situation de conflit entre son intérêt personnel et ses obligations d’administratrice;

-          Elle aurait violé ses obligations d’agir avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de l’Association;

-          Elle aurait communiqué des informations confidentielles obtenues dans le cadre de séances du comité exécutif de l’Association;

[10]        Avant d’interroger un représentant de l’Association au préalable, les procureurs de Me Godbout ont requis, par vois de correspondances datées des 9 janvier 2014 et 27 mars 2014, la communication des documents et de l’enregistrement précités au paragraphe [2] du présent jugement.

[11]        Comme déjà mentionné, les documents mentionnés aux points 4 et 6 de l’avis de gestion de Me Godbout ne sont plus en litige. Restent donc les documents demandés aux points 1 à 3, de même que l’enregistrement décrit au point 5, soit :

1)         Copie des procès-verbaux des délibérations du comité exécutif de l’Association depuis août 2012;

2)         Pour la même période, copie de toute note adressée par l’un ou l’autre des membres du comité exécutif à la permanence de l’Association concernant Me Godbout;

3)         Copie des avis de convocation de toutes les réunions du comité exécutif de l’Association pour la période du 1er janvier 2013 au 24 octobre 2013;

            (…)

5)         L’intégralité de l’enregistrement des délibérations tenues lors d’une réunion des membres du comité exécutif et de la permanence dans la salle de conférence de l’Association tenue à Québec le 5 novembre 2013;

            (…)

[12]        Comme aussi mentionné ci-avait, entre la signification de l’avis de gestion de   Me Godbout du 7 avril 2014 et le débat devant le soussigné le 29 mai 2014, Me Godbout a signifié et produit au dossier de la Cour une défense et demande reconventionnelle de 296 000 $. Cette procédure compte 103 paragraphes.

[13]        À l’audience, les procureurs de Me Godbout ont requis du tribunal qu’il considère la pertinence des documents et de l’enregistrement demandés en fonction non seulement de la «demande» au sens de l’article 397 du Code de procédure civile, mais aussi en considérant les allégations de la défense et demande reconventionnelle, soit le « litige » au sens de l’article 398 du Code. Les procureurs de l’Association ont contesté cette façon de procéder. Ils avancent que le Tribunal doit évaluer la pertinence des documents et de l’enregistrement demandés en se plaçant au moment de la signification de l’avis de gestion du 7 avril 2014 dont il est saisi, soit au moment où seule la requête introductive d’instance faisait partie du dossier. L’Association propose donc qu’aux fins du présent débat sur objections, le Tribunal fasse abstraction des allégations de la défense et demande reconventionnelle qui a été produite près de deux mois après l’avis de gestion. En d’autres termes, ils voudraient qu’aux fins du présent débat sur objections, le Tribunal considère un dossier cristallisé le 7 avril 3014.

[14]        Il conviendra donc de décider de cette question préliminaire avant de trancher les objections en litige.

Le Tribunal peut-il tenir compte des allégations contenues à la défense et demande reconventionnelle produite le 22 mai 2014 aux fins d’évaluer la pertinence des documents et de l’enregistrement mentionnés à l’avis de gestion d’instance du 7 avril 2014?

 

 

 

 

[15]        Une saine gestion de l’instance commande de répondre affirmativement à cette question. Le Tribunal voit mal en quoi la position étonnante de l’Association est conforme à ces impératifs de sains gestion, d’efficacité et d’économie que posent les articles 4.1 et 4.2 du Code de procédure civile et qu’accentue la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile[1].

[16]        Une réponse négative à la question posée dénoterait quant à elle un formalisme rigide et n’aurait vraisemblablement pour conséquence que de reporter un débat qu’une saine gestion de l’instance et l’intérêt même des parties commandent de trancher dès maintenant. En l’espèce, ne doit-on pas considérer les procédures des parties et la contestation comme elles se présentent au moment de l’audience, plutôt que les dates auxquelles les procédures de l’une et l’autre ont été produites au dossier? Poser la question c’est y répondre.

[17]        L’économie du droit en matière d’interrogatoire et de communication de documents au préalable pose aussi obstacle à l’argument de l’Association.

[18]        D’abord, l’article 396.3 du Code de procédure civile prévoit que d’un commun accord, les parties peuvent soumettre au juge, avant la tenue d’un interrogatoire au préalable, toute objection prévisible pour qu’il en décide. Or, à l’échéancier de l’instance amendé, signé par les procureurs des parties le 23 mai 2014 et entériné par la Cour le même jour, soit le lendemain de la production de la défense et demande reconventionnelle, les parties ont prévu un « débat sur objection à la communication de documents requis par la défense les 9 janvier et 27 mars 2014 ». Aucune réserve n’a été émise à ce moment pour limiter ce débat sur objection au cadre établi par la seule requête introductive d’instance.

[19]        La voie souple proposée par Me Godbout est conforme aux objectifs de la Loi instituant le Nouveau Code de procédure civile[2] en matière d’interrogatoire et de communication de documents au préalable, notamment l’abolition de la distinction entre l’interrogatoire avant ou après défense. Malgré que ces orientations législatives adoptées et sanctionnées les 20 et 21 février 2014 ne soient toutefois pas encore en  vigueur, le Tribunal peut s’en inspirer aux fins de réaliser sa mission d’assurer la saine gestion de l’instance, à plus forte raison lorsque ce faisant, un droit de l’une ou l’autre des parties n’est pas mis en péril. 

 

 

 

[20]        La Cour d’appel a même déjà appuyé les motifs de certains de ses arrêts sur certaines dispositions de l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile, notamment en matière de communication de documents à l’occasion d’interrogatoires au préalable[3]

[21]        La disposition préliminaire de la Loi instituant le Nouveau Code de procédure civile[4] prévoit ce qui suit :

Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit      de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à          assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application         juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et l’exercice des        droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le          respect des personnes qui apportent leur concours à la justice.

(Soulignements ajoutés)

[22]        À l’article 221 du nouveau Code de procédure civile, contenu aux «DISPOSITIONS GÉNÉRALES» du chapitre I du titre III concernant « la constitution et la communication de la preuve avant l’instruction », le législateur a prévu ce qui suit :

221. L’interrogatoire préalable à l’instruction, qu’il soit écrit ou oral, peut porter         sur tous les faits pertinents se rapportant au litige et aux éléments de preuve qui       les soutiennent; il peut également avoir pour objet la communication d’un      document. Il ne peut être fait que s’il a été prévu dans le protocole de l’instance, notamment quant aux conditions, au nombre et à la durée des interrogatoires.

(Soulignements ajoutés)

[23]        À la lumière de ces principes et orientations législatifs et compte tenu de l’entente sur le déroulement de l’instance entérinée par la Cour le 23 mai 2014, le Tribunal estime qu’une saine gestion de l’instance commande d’évaluer la pertinence des demandes de communication en litige en fonction des allégations de la requête introductive d’instance et de la défense et demande reconventionnelle produites au dossier. Les interrogatoires préalables à l’instruction qui suivront n’en seront que plus efficients.

[24]        Avant de procéder à l’analyse à proprement dite des objections formulées par l’Association, il convient de rappeler d’abord certains principes.

 

 

Principes applicables

[25]        Il est d’abord utile de rappeler certains extraits du jugement de la Cour suprême, rendu par le juge Lebel, dans l’affaire Glegg c. Smith and Nephew inc.[5] :

La procédure d’interrogatoire préalable favorise la divulgation de la preuve dans l’intérêt de la conduite juste et efficace des procès. Son emploi permet ainsi à un plaideur de mieux connaître les fondements de la réclamation présentée contre       lui, d’évaluer la qualité de la preuve et, à l’occasion, d’évaluer l’opportunité de maintenir la contestation ou, au moins, de mieux définir le cadre de celle-ci. Bien employée, cette procédure peut contribuer à accélérer la marche du procès et la résolution des débats judiciaires. Dans ce contexte, l’accès à la preuve          pertinente demeure inévitablement lié au droit du défendeur de préparer et de présenter une défense pleine et entière. Si la pertinence de la preuve demeure contestée, le juge est appelé à trancher.

À l’occasion d’un interrogatoire préalable ou de la communication de la preuve         au cours de la mise en état du dossier, ce concept de pertinence s’apprécie largement. Il correspond à une notion d’utilité pour la conduite de l’instance.

(…)

L’appréciation de l’impact de la divulgation doit se faire en retenant qu’elle se         situe dans le cadre des interrogatoires préalables, où une obligation implicite de confidentialité s’impose aux parties (Lac d’Amiante).

[26]        Dans l’affaire Industries G.D.S. c. Carbo-Tech inc.[6], la Cour d’appel rappelle les principes applicables développés par sa jurisprudence :

[4]    Notre Cour, dans l’arrêt Westinghouse Canada inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Co, [1993] R.J.Q. 2735], établit, sous la plume        du juge Proulx, les principes applicables :

En résumé de tous ces arrêts, j’estime que l’on peut en dégager les principes suivants :

1.  qu’au stade de l’interrogatoire préalable, tant avant qu’après défense,            il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;

2.  qu’à ce stade, comme il s’agit d’une communication de la preuve, la     preuve divulguée n’est ultimement produite au procès qu’au choix des       parties;

 

 

3.   que le défendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence             de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d’un           procès, mais que la communication de l’écrit est utile, appropriée,        susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif           acceptable qu’il cherche à atteindre dans le dossier, que l’écrit dont il     recherche la communication se rapporte au litige;

4.  que cette communication ne peut constituer une « recherche à   l'aveuglette »;

5.   que l’écrit soit susceptible de constituer une preuve en soi.

[…]

[16]    Le juge Baudouin, dans l’arrêt Blaikie c. Commission des valeurs          mobilières du Québec, [1990] R.D.J. 473, 476-477 (C.A.).], résume bien la portée     de l’article 398 C.p.c.:

Le principe général posé à l’article 398 C.P. est que tout écrit se           rapportant au litige peut être produit, à la demande d’une des parties en l’instance, après la production de la défense. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Hôtel de la Grande Allée Inc. c. Canada            Permanent Trust Company, ce texte doit recevoir une interprétation    généreuse, puisque son but est de permettre une plus vaste divulgation           de la preuve, avant le procès, aux fins de mieux circonscrire le débat et            de permettre une meilleure recherche de la vérité. Toutefois, cet article            ne saurait être interprété comme créant un droit absolu. Il ne permet pas        ainsi à l’une des parties d’obtenir des informations non nécessaires ou impossibles à obtenir, ni d’exiger la production d’un écrit qui ne saurait de     toute façon constituer une preuve pertinente, ni de forcer son adversaire             à dévoiler ses moyens de preuve ou l’identité de témoins indépendants,     encore moins de procéder, à l’aide d’allégations vagues et générales, à            ce que l’on appelle communément une « recherche à l’aveuglette » dans         les dossiers et documents de l’adversaire dans le seul but de bonifier sa     cause, d’étayer ses prétentions ou de mettre la main sur une simple           source de renseignements additionnels.

[27]        Dans l’arrêt Eagle Globe Management Ltd c. Bombardier inc.[7], la Cour d’appel ajoute :

[16] Une demande de communication trop large peut justifier le maintien d’une objection. À cet effet, la Cour s’exprimait ainsi dans Commercial Union         Assurance Co. Of Canada c. Nacan Products Ltd., [1991] R.D.J. 399 (C.A.) :

 

 

 

Enfin, la façon extrêmement générale et globale dont est rédigée la liste des        écrits dont on veut prendre connaissance me paraît indiquer clairement qu’il         s’agit pour l’appelante d’aller à la pêche et de pratiquer une fouille exhaustive        dans la documentation interne de l’intimée, .. pour le cas où elle pourrait y          trouver matière à servir sa cause (Douglas Investments Ltd c. Hoult et al -          (1963) B.R. 967).

[28]        Finalement, dans Tate & Lyle North American Sugars c. Somavrac[8] et Marché Lionel Landry inc. c. Métro inc.[9], la Cour d’appel souligne que dans un procès civil, les parties ont droit à la communication de documents, même confidentiels, lorsque ceux- ci sont pertinents au litige. À ce sujet, la Cour suprême a reconnu le pouvoir des tribunaux québécois, lorsque nécessaire, d’encadrer la transmission et l’accès de certaines informations confidentielles, par ailleurs considérées pertinentes[10].

[29]        Ces principes étant rappelés, Le Tribunal en vient aux demandes de communication et aux objections en litige.

Application au cas en l’espèce

[30]        Le Tribunal reprendra dans l’ordre chacune des demandes de communication qui demeurent en litige, résumera la position des parties et énoncera les motifs au soutien de sa décision dans chaque cas.

1.  Copie des procès-verbaux des délibérations du comité exécutif de l’AJE depuis août 2012

[31]        Lors de l’audience, le procureur de Me Godbout a précisé que cette demande vise les procès-verbaux à compter du 26 octobre 2012.

[32]        L’Association s’oppose à la communication de ces procès-verbaux. Elle invoque que Me Godbout n’est plus administratrice de l’Association et qu’à ce titre, elle n’a pas accès à ces documents. Elle ajoute que, de toute façon, ils ne sont pas pertinents et qu’au surplus ces procès-verbaux contiennent beaucoup d’informations qui concernent d’autres membres ou encore des informations relatives à divers sujets non pertinents au litige, dont la stratégie de l’Association dans le cadre de griefs ou de négociations.

[33]        À l’audience, ces procès-verbaux ont été remis au Tribunal afin qu’il en prenne connaissance in camera pour mieux en apprécier la pertinence.

 

[34]        Le procureur de Me Godbout rappelle quant à lui que l’Association a été constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[11] et qu’à ce titre, elle a en vertu de l’article 5 de cette loi l’obligation de tenir des registres contenant les procès-verbaux des assemblées du conseil d’administration.

[35]        Il ajoute qu’indépendamment de son statut d’administratrice au moment des événements, Me Godbout a aussi droit d’accès à ces procès-verbaux compte tenu de son statut de membre de l’Association et de l’article 352 du Code civil du Québec relatif au « fonctionnement des personnes morales », lequel se lit comme suit :

 

 «342. Le conseil d'administration tient la liste des membres, ainsi que les livres et registres nécessaires au bon fonctionnement de la personne morale.

 

Ces documents sont la propriété de la personne morale et les membres y ont     accès.

 

(Soulignement ajouté)

 

[36]        Le procureur de Me Godbout invoque aussi la pertinence de ces procès-verbaux compte tenu des allégations de la requête introductive d’instance et des conclusions toujours recherchées à son endroit en raison de son absence à ces réunions ou de son indiscrétion relativement à des sujets confidentiels qui y auraient été discutés. Il invoque le droit de sa cliente d’obtenir ces procès-verbaux afin de présenter une défense pleine et entière aux reproches de « manquements graves et répétés » que lui adresse l’Association.

[37]        Il ajoute que les procès-verbaux des réunions auxquelles elle a assisté sont eux aussi pertinents pour lui permettre d’apprécier, par comparaison, la prétendue gravité de ses absences aux autres réunions.

Décision :

[38]        L’objection de l’Association est rejetée.

[39]        Le Tribunal est d’avis que les procès-verbaux dont Me Godbout demande la communication sont pertinents. Leur communication est utile, appropriée et susceptible de faire progresser le débat. Compte tenu de la nature des « manquements graves et répétés » formulés à son endroit en lien avec sa participation ou son absence à ces réunions, Me Godbout a droit à la communication de ses documents aux fins de préparer une défense pleine et entière.

 

[40]        Il convient toutefois de limiter pour l’instant la communication des procès-verbaux à ceux compris dans la période du 26 août 2012 au 5 novembre 2013, soit la dernière réunion tenue alors que Me Godbout était dirigeante de l’Association.

[41]        L’Association communiquera ces procès-verbaux après en avoir préalablement caviardé les informations nominatives concernant des tiers.

[42]        Enfin, malgré le privilège implicite de confidentialité rattaché aux documents communiqués au stade préalable, cette communication sera au surplus assujettie à l’engagement de confidentialité que Me Godbout a pris à l’audience, confirmé par une lettre de ses procureurs le 4 juin 2014[12].

2. Pour la même période, copie de toute note adressée par l’un ou l’autre des membres du comité exécutif à la permanence de l’AJE concernant Me Annie Godbout

[43]        À l’audience, le procureur de Me Godbout précise que les engagements de confidentialité  que l’Association a déjà accepté de lui communiquer, lesquels figurent sous E-9 à E-17 à la pièce RG-3 produite à l’audience, réfèrent à une «note de service de l’AJE du 9 avril 2013» dont il n’a pas eu copie. Selon lui, si l’Association n’a pas contesté la pertinence de ces engagements de confidentialité E-9 à E-17, elle devrait en toute logique admettre la pertinence de la note de service à laquelle ils réfèrent.

[44]        La procureure de l’Association fait remarquer qu’un « projet » non signé de cette note de service du 9 avril 2013 a déjà été versé au dossier de la cour, sous scellés, comme pièce P-33. Elle s’engage à faire les vérifications, à savoir si la version finale de cette note de service est conforme à ce projet et à communiquer cette note finale dûment signée, le cas échéant, au procureur de Me Godbout.

[45]        La demanderesse s’oppose par ailleurs à la communication de «toute note» concernant Me Godbout, tel que requis par cette dernière. Elle propose que cette demande est trop large. Il appartenait selon elle à Me Godbout de préciser sa demande et que, dans les circonstances, à ce stade, une telle demande, aussi large et non précisée, constitue une recherche à l’aveuglette de Me Godbout afin de bonifier sa cause.

Décision :

[46]        Le Tribunal prend acte du consentement de l’Association à communiquer à     Me Godbout la note de service du 9 avril 2013.

 

[47]        En ce qui concernant toutefois la demande de Me Godbout d’obtenir la communication de « toute note adressée par l’un ou l’autre des membres du comité exécutif à la permanence de l’AJE » la concernant, l’Association a raison d’y voir une demande trop large et imprécise. À ce stade-ci, cette demande constitue en effet ce que la jurisprudence a qualité d’une recherche dans les dossiers et documents d’un adversaire dans le but de mettre la main sur une simple source de renseignements.

[48]        La pertinence de l’une ou l’autre de ces notes de service, si elles existent, pourrait toutefois ressortir lors de l’interrogatoire au préalable d’un représentant de l’Association. Rien n’empêchera les parties de saisir le Tribunal de tout débat qui pourrait survenir alors, le cas échéant.

3. Copie des avis de convocation de toutes les réunions du comité exécutif de l’AJE pour la période du 1er janvier 2013 au 24 octobre 2013

[49]        Suivant un échange entre les parties à l’audience, les seuls avis de convocation non encore communiqués sont ceux des réunions des 17 janvier, 13 février et              26 juin 2013. À noter que les avis de convocation incluent un projet d’ordre du jour de la réunion concernée.

[50]        L’Association maintient son objection à la communication de ces trois avis de convocation parce que, dit-elle, ils ne concernent pas Me Godbout et pours les motifs additionnels suivants :

-          En ce qui concerne la réunion du 17 janvier 2013, Me Godbout était présente et a donc nécessairement reçu l’avis de convocation;

-          Pour la réunion du 13 février 2013, Me Godbout était présente et a donc nécessairement reçu l’avis de convocation;

-          Quant à la réunion du 26 juin 2013, elle n’y a pas été convoquée et en conséquence, la pertinence de cet avis de convocation n’est pas     pertinente.

Décision :

[51]        En ce qui concerne les avis de convocation aux réunions des du 17 janvier et   13 février 2013, le Tribunal est d’avis qu’ils sont pertinents au sens généreux et libéral et qu’il faut donner à la notion de pertinence au stade préalable. Et ce n’est pas parce que Me Godbout a été présente à ces réunions qu’elle a nécessairement reçu l’avis de convocation ou que, l’ayant dûment reçu, elle est forclose d’en demander la communication à l’Association aux fins du litige maintenant engagé entre elles.

 

[52]        En ce qui concerne la réunion du 26 juin 2013, ce n’est pas parce qu’elle n’y aurait pas été convoquée que sa demande de communication de cet avis de convocation n’est pas pertinente.

[53]        L’objection de l’Association à la communication de ces avis de convocation est donc rejetée. Toutefois, comme pour les procès-verbaux des réunions, l’Association communiquera ces avis après en avoir préalablement caviardé les informations nominatives concernant les tiers qui figurent aux projets d’ordre du jour. S’il l’estime pertinent, le juge qui présidera le procès au fond pourra évidemment revoir la possibilité pour Me Godbout d’avoir accès à ces informations nominatives et, le cas échéant, décider des mesures propres à préserver les droits de ces tiers.

5) L’intégralité de l’enregistrement des délibérations tenues lors d’une réunion des membres du comité exécutif et de la permanence dans la salle de conférence de l’AJE à Québec le 5 novembre 2013.

[54]        Me Godbout invoque la pertinence de l’enregistrement des délibérations tenues lors de cette réunion, qu’elle allègue d’ailleurs aux paragraphes 163 et 164 de sa défense, lesquels se lisent comme suit :

163.    À la dernière réunion du Comité exécutif à laquelle Me Annie Godbout participe, le 5 novembre 2003, les procédures contre Me Godbout viennent d’être entreprises;

164.   Les propos des membres du Comité exécutif sont alors les suivants : 

-       Ils sont estomaqués que Me Godbout participe à la réunion compte tenu        de la requête introductive d’instance;

-       Ils mentionnent qu’ils n’ont plus confiance en elle;

-       Me André Couture, le plus loquace à cette occasion, affirme ouvertement     que la décision de recourir à l’injonction fut entreprise en espérant qu’elle ne      serait pas élue et que si elle l’était, ils aviseraient ensuite;

-       Me Sébastien Rochette ajouta qu’il ne voulait plus jamais parler à Me   Godbout parce que celle-ci est dangereuse pour lui;

-       Me Marc Dion enchaîna en prétendant que Me Godbout a toujours          éprouvé de l’inimitié à l’égard de Me Sébastien Rochette à propos duquel il dit :          «Sébastien Rochette, c’est mon choix»;

 

 

 

-       Ensuite, Me André Couture reproche à Me Godbout d’avoir menti au sujet de l’ancien président, Me Marc Lajoie - Me Godbout ignore de quoi il s’agit                   - et qu’il semble bien qu’elle reproduisait avec Me Rochette le même modèle       d’un comportement qu’elle aurait eu avec l’ancien président consistant à refuser     de coopérer;

-       À la même occasion, Me André Couture demande à Me Godbout si ce          qui se déroule à la Commission Charbonneau l’inspire;

-       À la fin de la réunion, Me Godbout se montre tout à fait estomaquée       puisque les deux réunions précédentes de l’exécutif s’étaient très bien déroulées    et qu’elle avait même eu droit, en septembre, à un gâteau d’anniversaire, ce à      quoi Me Lucie Martineau répondit que les membres de l’exécutif avaient voulu lui donner une deuxième chance et c’est pour cela qu’elle avait été si bien accueillie aux deux réunions précédentes.

[55]        Il est à noter qu’à l’audience l’allégation contenue au paragraphe 164 de la défense a été amendée quant à la date pour se lire dorénavant le 5 novembre 2013.

[56]        La procureure de l’Association confirme qu’il existe effectivement un enregistrement de l’intégralité des délibérations tenues lors de cette réunion des membres du comité exécutif et de la permanence de l’Association le 5 novembre 2013. Elle ajoute que l’enregistrement de ces délibérations résulte d’ailleurs d’un accord à cet effet entre les instances de l’Association et Me Godbout. Elle s’oppose tout de même à la communication de cet enregistrement au motif qu’il ne serait pas pertinent au litige. Elle admet toutefois que « peut-être » cet enregistrement pourrait devenir pertinent ultérieurement dans le cadre des procédures.

Décision :

[57]        D’abord, il est établi depuis plusieurs années déjà qu’un enregistrement audio d’une conversation est un « écrit » au sens des articles 397 et 398 C.p.c.[13] Il s’agit au surplus d’un élément matériel de preuve au sens de l’article 2854 C.c.Q.[14]

[58]        Le Tribunal est d’avis qu’il est pour le moins curieux que l’Association soulève une objection à communiquer à Me Godbout l’enregistrement de cette réunion à laquelle cette dernière a participé et qui a été effectué d’un commun accord entre les parties. À plus forte raison quand, à l’audience, ses procureurs admettent que cet enregistrement pourrait être pertinent plus tard durant l’instance.

 

 

[59]        Compte tenu des allégations précitées de la défense de Me Godbout, cet enregistrement est pertinent et il y a lieu dès maintenant d’en autoriser la communication à Me Godbout. L’objection de l’Association est donc rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[60]        REJETTE l’objection de la demanderesse à la communication d’une copie des procès-verbaux des délibérations du comité exécutif de la demanderesse compris dans la période du 26 octobre 2012 au 5 novembre 2013 inclusivement.

[61]        ORDONNE à la demanderesse de communiquer copie de ces procès-verbaux à la défenderesse en ayant préalablement caviardé les informations nominatives concernant des tiers.

[62]        DONNE ACTE à la défenderesse et à ses procureurs de leur engagement de maintenir la confidentialité de ces procès-verbaux; la consultation et l’utilisation de ces derniers devant être limitées aux procureurs de la défenderesse, et ce, aux strictes fins de la défense de ses intérêts dans le présent dossier, et à la défenderesse elle-même,  à ces mêmes fins.

[63]        ACCUEILLE l’objection de la défenderesse à la communication de toute note adressée par l’un ou l’autre des membres du comité exécutif de la demanderesse à la permanence de la demanderesse concernant la défenderesse depuis le                      26 octobre 2012.

[64]         DONNE ACTE à la demanderesse de son engagement de communiquer à la défenderesse une copie de la version finale, dûment signée le cas échéant, de la note de service du 9 avril 2013.

[65]        REJETTE l’objection de la demanderesse à la communication d’une copie des avis de convocation de toutes les réunions du comité exécutif de la demanderesse des 17 janvier, 13 février et 26 juin 2013.

[66]        ORDONNE à la demanderesse de communiquer copie de ces avis de convocation à la défenderesse en ayant préalablement caviardé les informations nominatives concernant des tiers.

[67]        ORDONNE à la défenderesse et à ses procureurs de maintenir la confidentialité de ces avis de convocation; la consultation et l’utilisation de ces derniers devant être limitées pour l’instant aux procureurs de la défenderesse, et ce, aux strictes fins de la défense de ses intérêts dans le présent dossier, et à la défenderesse elle-même, à ces mêmes fins.

 

[68]        REJETTE l’objection de la demanderesse à la communication de l’intégralité de l’enregistrement des délibérations tenues lors d’une réunion des membres du comité exécutif et de la permanence dans la salle de conférence de l’Association demanderesse à Québec le 5 novembre 2013.

[69]        ORDONNE à la défenderesse et à ses procureurs de maintenir la confidentialité de cet enregistrement et de sa teneur; l’audition de cet enregistrement de même que toute transcription écrite qui en serait faite ou de tout résumé ou toute note qui en seraient tirées ne devant servir qu’aux strictes fins de la défense des intérêts de la défenderesse dans le présent dossier.

[70]        LE TOUT FRAIS À SUIVRE.

 

 

 

 

__________________________________

MICHEL BEAUPRÉ, j.c.s.

 

Me Johanne Drolet
Me David Richard

Melançon Marceau Grenier & Sciortino

(Casier 89)

Pour la demanderesse

 

Me André Bois

Tremblay Bois Mignault Lemay

(Casier 4)

Pour la défenderesse

 

Date d’audience :

29 mai 2014

 

 



[1]     L.Q. 2014, ch. 1.

[2]     Id.

[3]     Aviva, compagnie d’assurance du Canada c. Procureur général du Canada, [2012] QCCA 223; Sobeys Québec inc. c. Normand Dagenais et al, [2012] QCCA 2219.

[4]     Id. note 1.

[5]     [2005] 1 R.C.S. 724, P. 736-738.

[6]     [2005] QCCA 655.

[7]     2010 QCCA 938.

[8]     2005 QCCA 458, par. 2.

[9]     2004 CanLII 73143, par. 7.

[10]    Glegg c. Smith and Nephew inc., précité note 4; voir aussi Elitis Pharma inc. c. RX Job inc., 2012 QCCA 1348, par. 89.

[11]    L.Q. c. S-40.

[12]   Technologies Interactives Mediagrif inc. c. Procureur général du Québec et als, 2006 QCCA 704, par. 1.

[13]    Corporation de financement commercial Transamerica Canada c. Beaudoin, (1995) RDJ 633 (C.A.).

[14]    Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, no 770, p. 312.

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