Décision

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Zurich Insurance Company Ltd. c. Procureur général du Québec

2024 QCCA 819

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-09-010464-227

(150-05-000594-970) (150-05-001903-998) (150-05-002008-995)

 

DATE :

19 juin 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

ZURICH INSURANCE COMPANY LTD

AFFILIATED FM INSURANCE COMPANY

APPELANTES – demanderesses

et

AIG INSURANCE COMPANY OF CANADA

AVIVA INSURANCE COMPANY OF CANADA

FACTORY MUTUAL INSURANCE COMPANY, faisant affaire sous le nom de FM GLOBAL

MARC LIPMAN, en sa qualité de fondé de pouvoir de HISCOX LONDON MARKET, souscripteur du Lloyd’s

INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE

COMPAGNIE D’ASSURANCE ALLIANZ RISQUES MONDIAUX É-U, faisant affaire sous le nom de ALLIANZ GLOBAL & CORPORATE SPECIALTY

APPELANTES – demanderesses en reprise d’instance

et

SOCIÉTÉ D’ASSURANCE WESTPORT

 APPELANTE EN REPRISE D’INSTANCE – demanderesse en reprise d’instance

 

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DES INFRASTRUCTURES

INTIMÉS – défendeurs

et

GAUTHIER BÉDARD, S.E.N.C.R.L.

MILLER THOMPSON LLP

INTERVENANTS

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Le jugement entrepris fut rendu le 24 janvier 2022 dans le district de Chicoutimi par l’honorable Jacques G. Bouchard de la Cour supérieure.

[2]                Les appelantes sont les assureurs de trois entreprises qui, en 1996, lors d’inondations catastrophiques qu’on désigne souvent comme le « déluge du Saguenay », subirent d’importants dommages. Après avoir indemnisé leurs assurées, les appelantes ont chacune intenté entre 1997 et 1999 un recours subrogatoire contre les intimés.

[3]                Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Rancourt et Baudouin, LA COUR :

[4]                ACCUEILLE l’appel;

[5]                INFIRME le jugement de la Cour supérieure, district de Chicoutimi, rendu le 24 janvier 2022 par l’honorable Jacques G. Bouchard;

[6]                RENVOIE les dossiers portant les numéros de greffe 150-05-002008-995, 150-05-001903-998 et 150-05-000594-970 en Cour supérieure afin que les instances suivent leur cours;

[7]                LE TOUT, avec frais de justice en appel et en première instance sur la requête en rejet des intimés.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Martin Pichette

Me Laurence Bich-Carrière

Me Frédéric Laflamme

Lavery, de billy

Pour les appelantes et l’appelante en reprise d’instance

 

Me Lizann Demers

bernard, roy

Me Annick Dupré

lavoie, rousseau

Pour les intimés

 

Me Marie-Hélène Bétournay

Me Émilie Bilodeau

stein, monast

Pour les intervenants

 

Date d’audience :

14 septembre 2023

 


 

 

MOTIFS DU JUGE MORISSETTE

 

 

I. Nature du litige en appel

[8]                Le jugement entrepris fut rendu le 24 janvier 2022 dans le district de Chicoutimi par l’honorable Jacques G. Bouchard de la Cour supérieure[1].

[9]                Les appelantes sont les assureurs[2] de trois entreprises qui, en 1996, lors d’inondations catastrophiques qu’on désigne souvent comme le « déluge du Saguenay », subirent d’importants dommages. Après avoir indemnisé leurs assurées, les appelantes ont chacune intenté entre 1997 et 1999 un recours subrogatoire contre les intimés.

[10]           Le jugement maintenant attaqué par les appelantes accueillait un moyen d’irrecevabilité fondé sur l’article 177 de l’actuel Code de procédure civile (« n.C.p.c. »). Il statuait sur une demande de rejet des intimés. Ceux-ci souhaitaient par ce moyen que soit constaté le désistement présumé des appelantes dans les trois instances distinctes commencées contre eux et portant les numéros 150-05-001903-998 (dossier « Cascades »), 150-05-002008-995 (dossier « Abitibi-Price ») et 150-05-000594-970 (dossier « Alcan »).

[11]           Outre ce moyen d’irrecevabilité, les intimés soutenaient également que les demandes en justice des appelantes dans les instances Cascades et Abitibi-Price devaient être rejetées pour motif d’abus de procédure. Après avoir statué en faveur des intimés sur le désistement présumé des appelantes, le juge fait droit, subsidiairement et en ces termes, à cette seconde demande :

[51] Ainsi, s’il n’avait pas retenu que l’article 177 [n.]C.p.c. trouve application au présent cas, le Tribunal aurait également rejeté les recours dans les dossiers « Abitibi-Price » et « Cascades » en vertu de l’article 51 [n.]C.p.c.

[12]           Les appelantes ont fait cause commune en appel et se sont pourvues au moyen d’une déclaration d’appel unique – il sera donc question dans la suite de ces motifs « du pourvoi » plutôt que « des pourvois ». Celui-ci était accompagné le même jour d’une demande de permission d’appeler de bene esse dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades. Les intimés ont chacun réagi par une requête en rejet d’appel. Ils y font valoir que l’appel ne présente aucune chance raisonnable de succès. Ils plaident en outre que l’appel est irrégulièrement formé dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades puisque, aux termes du paragraphe 3 du deuxième alinéa de l’article 30 n.C.p.c., une permission d’appeler était requise dans ces dossiers et que les appelantes ont omis d’en demander une avant de se pourvoir. La demande de permission d’appeler de bene esse et la requête en rejet d’appel ont toutes deux été déférées à la formation saisie du fond du pourvoi[3].

[13]           Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il y a lieu de faire droit à la demande de permission d’appeler de bene esse, de rejeter la requête en rejet d’appel et d’accueillir l’appel, tant en ce qui concerne le désistement présumé des appelantes que la question du rejet des demandes dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades pour cause d’abus de procédure.

II. Contexte et cadre procédural de l’affaire

a. Circonstances particulières à l’origine du dossier

[14]           Dans les faits, l’origine lointaine du pourvoi, comme je le mentionnais plus haut, survient au moment des inondations catastrophiques de juillet 1996 au Saguenay. C’est le fond du litige entre les parties. Mais cette situation désastreuse n’a que peu à voir avec l’enjeu, beaucoup plus précis et circonscrit, du pourvoi en cours.

[15]           Outre les recours qui nous intéressent ici, les inondations de 1996 provoquèrent plusieurs autres actions en justice et menèrent même à la nomination d’une commission scientifique et technique chargée d’enquêter sur la gestion des barrages, surnommée la commission Nicolet du nom de son président, dont le rapport fut déposé en janvier 1997.

[16]           L’action dans le dossier Alcan fut intentée le 17 janvier 1997. Les actions dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades le furent respectivement les 9 et 14 juillet 1999. Il importe de garder ces dates en mémoire.

[17]           Pendant très longtemps, dans le cas de ces actions intentées par les assureurs des sinistrées, les affaires en Cour supérieure ne semblèrent guère progresser, du moins si l’on ne consulte que les dossiers du greffe de la Cour supérieure. Cela ressort nettement du plumitif de ces dossiers, et ce, malgré de nombreuses démarches que les avocats responsables des demandes en justice effectuèrent en marge des procédures pendantes devant la cour. Je reviendrai plus loin sur ces démarches : le juge de première instance en était conscient et il y fait allusion au paragraphe 31 de ses motifs.

[18]           Quoi qu’il en soit, on voit que, exception faite de plusieurs substitutions d’avocats, et en dépit de pourparlers stériles entre les parties, il ne se passe rien d’apparent pendant des années dans les dossiers de la Cour supérieure – aucune procédure utile n’y est versée. C’est ainsi qu’il est admis, dans l’instance Cascades, qu’aucun acte de procédure ne s’ajoute au dossier entre le 5 août 1999 et le 21 avril 2015. Dans le dossier Abitibi-Price, la même chose s’observe entre le 7 septembre 1999 et le 1er mars 2019. Dans le dossier Alcan, commencé en janvier 1997, aucune procédure n’est déposée entre le 14 mars 2001 et le 18 janvier 2018. Il ne peut faire de doute que, même dans un litige complexe, de tels délais sont inhabituellement longs.

[19]           L’une des raisons de cette inaction prolongée semble avoir été, pour un temps du moins, l’existence d’autres recours entre d’autres parties (dont au moins deux « recours collectifs », comme on les appelait à l’époque[4]), tous issus de la même catastrophe. Y aurait également contribué le fait que plusieurs de ces recours se soldèrent par des règlements à l’amiable, ce qui pouvait laisser croire entre autres choses qu’il en irait éventuellement de même ici. Mais le fait demeure que de telles lenteurs surprennent.

b. Jugement entrepris

[20]           Le jugement entrepris, qui est succinct, traite dans l’ordre qui suit des deux moyens des intimés sur lesquels les parties continuent de s’affronter en appel.

[21]           Le premier de ces moyens constitue la prétention centrale des intimés. Le juge l’énonce en empruntant leurs propres termes, que je reprendrai à mon tour :

Les demanderesses sont-elles présumées s’être désistées de leur recours tel que le stipule l’article 177 [n.]C.p.c., puisqu’elles n’ont produit aucune demande d’inscription pour instruction et jugement ni aucune autre procédure utile depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile le 1er janvier 2016?

[22]           Le deuxième moyen, qui ne vise que les appelantes Abitibi-Price et Cascades, qualifie leur inactivité depuis 1999 d’abus de procédure au sens de l’article 51 n.C.p.c. : selon les intimés, est abusif le seul écoulement du temps pendant cette très longue période d’inactivité dans le dossier judiciaire, plus précisément en ce qu’il a été porté atteinte à leur droit à une défense pleine et entière.

[23]           Sur le premier moyen, le juge reproduit d’abord les dispositions de l’actuel Code de procédure civile qu’il considère ici applicables, soit les articles 173, 177 et 833 n.C.p.c., et il renvoie à l’article 179 de la Loi portant réforme du Code de procédure civile[5] (la « LPRCRC ») invoqué par les appelantes.

[24]           Puis, il reporte son attention vers l’arrêt Jean c. Agence de revenu du Québec[6] l’arrêt Jean »), qu’il estime déterminant en l’espèce, et dont il cite de longs extraits.

[25]           À la lumière de ce qui précède, le juge livre sa conclusion en deux courts paragraphes que je reproduis ici :

[19] La Cour d’appel ajoute toutefois que si le défaut d’inscription en temps utile résulte d’une impossibilité d’agir, la sanction pourrait être levée. Dans le présent cas, une telle impossibilité d’agir n’a pas été invoquée par les demanderesses.

[20] Le Tribunal en conclut que l’article 177 [n.]C.p.c. s’applique aux présents dossiers et constate que les demanderesses sont présumées s’être désistées de leurs recours.

Dans son essence, le raisonnement du juge tient au fait qu’il se considère lié par l’arrêt Jean, décision fondée sur une analyse des principes pertinents de droit transitoire dans la mise en application de l’article 177 n.C.p.c.

[26]           Sur le deuxième moyen, le juge relève d’abord deux faits. Aucune procédure utile n’a été déposée dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades entre 1999 et 2019. En novembre 2021, date de l’audience en Cour supérieure, les faits à l’origine des litiges remontent à plus de 25 ans. Cela, observe-t-il plus loin, risque entre autres choses d’avoir altéré la mémoire des témoins pertinents.

[27]           Or, les articles 51 et suivants n.C.p.c. permettent de sanctionner les délais abusifs, notamment par le rejet de la demande problématique. Le démontrent plusieurs jugements de première instance énumérés au paragraphe 26 de ses motifs et dont certains furent confirmés en appel. Dans ces décisions, la durée des délais entre la date de la procédure introductive d’instance et celle du rejet s’échelonnait entre cinq et vingt et un ans.

[28]           Le juge conclut son analyse comme suit :

[31] Le Tribunal ne doute pas qu’un travail important ait pu être réalisé en pourparlers, négociations et recherches de toutes sortes, mais rien ne justifie ou n’explique l’absence de procédures utiles sur une période aussi longue. Ce délai est manifestement déraisonnable et abusif. Il ne se justifie ni en droit ni en fait.

[29]           Les appelantes contestent le bien-fondé du jugement sur deux plans. Elles s’en prennent d’abord à la justesse de la conclusion quant à l’applicabilité de l’article 177 n.C.p.c., ce qui soulève une question de droit et des considérations de droit transitoire au sujet de la présomption de désistement. Puis, elles critiquent la conclusion sur le caractère abusif du délai à procéder en demande et, surtout, sur le remède choisi pour sanctionner cet abus, ce qui soulève des questions mixtes de droit et de fait (derrière lesquelles se profile peut-être, ce n’est pas à exclure, une question de droit pure et simple).

III. Fond du pourvoi

a. La présomption de désistement et le droit transitoire

1. Cadre législatif en cause

[30]           Abordée sous cet angle, l’analyse du pourvoi a nécessairement pour point de départ les textes de loi applicables. Pour plus de commodité, j’en reproduis les extraits pertinents dans l’annexe qui accompagne ces motifs (« l’Annexe »), en me limitant à ceux qui, selon moi, recèlent la solution de ce volet du pourvoi. Sous cette première rubrique, « Cadre législatif en cause », je me contenterai dans les commentaires qui suivent de bien situer ces textes dans le temps, sans vider la question de leur portée en l’espèce. L’Annexe présente ces dispositions en ordre chronologique. On se souviendra en effet qu’entre 2002 et 2014, le Code de procédure civile a connu deux réformes majeures. Sauf exception, dont aucune ne nous concerne ici, ces réformes entrèrent respectivement en vigueur le 1er janvier 2003 et le 1er janvier 2016.

[31]           Mais il convient tout d’abord de tenir compte de l’état des textes avant l’entrée en vigueur de la réforme du 1er janvier 2003. L’Annexe prend donc pour point de départ la situation qui existait le 1er janvier 1997. Cela s’explique parce que les actions dans les dossiers Alcan, Abitibi-Price et Cascades furent toutes trois intentées après cette date.

[32]           Au moment où les appelantes intentent leurs actions, les articles 110 et 265 à 269 de l’ancien Code de procédure civile a.C.p.c. »), qu’on pourrait qualifier de « régime de la péremption d’instance », prévalent en droit québécois. C’était déjà le cas depuis longtemps à cette époque et les dispositions relatives à la péremption d’instance demeureront en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002[7]. Selon ces textes, une partie demanderesse qui tarde à agir s’expose à la sanction de l’article 268 a.C.p.c., soit la péremption d’instance à la demande de la partie adverse. Mais l’article 269 a.C.p.c. permet assez facilement à cette partie demanderesse de redresser la situation, en déposant une procédure utile dans le délai prévu par la loi[8]. Et, ce faisant, cette partie n’est pas tenue de démontrer que sa tardiveté s’explique parce qu’elle était en fait dans « l’impossibilité d’agir » plus tôt. Jusqu’à leur abrogation, quelques années après que les actions furent intentées dans les dossiers Alcan, Abitibi-Price et Cascades, les articles 265 à 269 a.C.p.c. sur la péremption d’instance demeurèrent en vigueur sous une forme presque identique à leur version d’origine, apparue il y a fort longtemps. Les modifications survenues avant leur abrogation sont dénuées d’importance pour nos fins actuelles.

[33]           Par la suite, comme je l’ai noté plus haut, les articles 265 à 269 a.C.p.c. seront abrogés en 2003. À la même occasion, cette loi introduira dans le Code les articles 110.1, 151.1 et 274.3 a.C.p.c.[9]. Commentant la disparition de la péremption d’instance, le professeur Hubert Reid écrivait en 2002 : « Ces articles ont été abrogés, car les règles de la péremption d’instance ne peuvent plus s’appliquer dans le cadre des nouvelles règles relatives au déroulement de l’instance »[10].

[34]           Un élément important de ces nouvelles règles sera l’inscription pour « enquête et audition », parfois aussi appelée pour « instruction et jugement ». Antérieurement à 2002, l’idée d’un délai de rigueur de 180 jours entre la signification de la requête introductive d’instance et l’inscription pour enquête et audition était déjà apparue dans le Code en 1997[11], en quelque sorte à titre expérimental. Cela découlait, cette année-là, des nouveaux articles 481.1 à 481.11 a.C.p.c. D’application limitée, ces articles instauraient et encadraient un changement qui, selon ce que l’on faisait valoir à l’époque, permettrait de modifier la « culture judiciaire » ambiante et accélérerait le déroulement des instances civiles. Les articles en question étaient cependant d’application limitée parce qu’ils ne visaient que certaines catégories d’affaires dont ne faisaient manifestement pas partie à l’époque les actions intentées par les appelantes. La caractéristique commune des affaires visées par l’article 481.1 a.C.p.c. paraît avoir été qu’elles étaient, plus que d’autres, simples à traiter, ou moins lourdes de conséquences pour les parties : par exemple, confor­mément au premier alinéa de l’article 481.1 a.C.p.c., on vise les affaires où la valeur de la réclamation est égale ou inférieure à 50 000 $. Par ailleurs, l’article 481.11 a.C.p.c. introduisait dans le code la notion d’« impossibilité d’agir », qu’une partie pouvait invoquer pour être relevée de son défaut d’inscrire dans le délai prévu.

[35]           Avec la réforme qui entre en vigueur en 2003, l’innovation de 1996 devient applicable à presque toutes les affaires civiles, d’où évidemment l’observation précitée du professeur Reid. Cela résulte des articles 110.1, 151.1 et 274.3 a.C.p.c. Le délai de rigueur de 180 jours de l’ancien article 481.11 a.C.p.c. devient de la sorte la règle générale. Ici encore, il peut être fait exception à cette règle si la partie défaillante démontre « qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir dans le délai prescrit ».

[36]           Puis, lors de l’entrée en vigueur d’un nouveau Code en 2016, ce dernier absorbe le régime de 2003 qu’il reprend, avec divers réaménagements, souvent mineurs – ainsi, on parle maintenant d’un délai de rigueur de six mois plutôt que de 180 jours, et d’un délai d’un an en matière familiale. Le point de départ du calcul de ce délai change lui aussi. Cela dit, il n’y a pas lieu d’insister ici sur ces dernières modulations des textes, car, quelle que soit l’issue du pourvoi actuellement devant la Cour, ces modulations n’auraient aucune incidence sur la situation des parties. On note seulement que l’orientation générale de ces règles ne change pas. Ce sont désormais les articles 173 et 177 n.C.p.c. qui traitent de la question du délai d’inscription et des effets de l’omission d’inscrire dans le délai prescrit. En somme, devant les « lenteurs de la justice », un thème récurrent et toujours préoccupant en droit judiciaire, le législateur persiste dans son souhait d’accélérer les choses.

[37]           On ne peut dissocier les règles précédentes de celles qui en aménagent les effets dans le temps et qui, par conséquent, relèvent du droit transitoire. À vrai dire, l’une des clés du pourvoi en cours réside justement dans ces règles de droit transitoire, parmi lesquelles j’ai également reproduit en partie dans l’Annexe l’article 179 de la LPRCPC et l’article 833 n.C.p.c. Ces dispositions nous obligent à regarder de plus près l’arrêt Jean et à revenir sur la lecture que le juge en a faite en première instance.

2. Portée générale de l’arrêt Jean

[38]           L’arrêt Jean a pour origine l’appel d’une contribuable, madame Katy Jean, qui prétendait contester un avis de cotisation devant la Division administrative et d’appel de la Cour du Québec. Laissant de côté ici certains incidents procéduraux survenus en Cour du Québec et m’en tenant à la trame des faits susceptibles de permettre une analogie avec le pourvoi actuellement devant la Cour, je retiens les circonstances suivantes :

        L’appel de madame Jean avait été validement formé le 8 décembre 2015;

        S’il était applicable à ce type de contestation, le délai de rigueur de six mois pour demander l’inscription pour instruction et jugement expirait le 8 juin 2016;

        Or, ce n’est que le 3 août 2017 – soit presque quatorze mois après l’expiration du délai de rigueur – que madame Jean avait notifié à l’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») sa demande d’inscription pour jugement par défaut;

        En outre, madame Jean n’avait pas préalablement demandé d’être relevée de son défaut d’inscrire dans le délai imparti;

        Devant cela, l’ARQ, comme c’était à prévoir, présenta une demande en irrecevabilité de l’inscription afin que soit constaté le désistement présumé de madame Jean;

        Le juge de la Cour du Québec accueille la demande de l’ARQ, constate le désistement de madame Jean et fait droit à la demande en irrecevabilité. La Cour d’appel partage son avis après une minutieuse analyse des textes applicables.

[39]           Une première question débattue devant la Cour d’appel, et que le juge de la Cour du Québec avait tranchée en faveur de l’ARQ, concernait l’assujettissement de la procédure d’appel d’un avis de cotisation au délai de l’article 173 n.C.p.c. La Cour d’appel confirme cette conclusion du juge, vu le libellé de cet article après le 1er janvier 2016, mais vu aussi le libellé, au moment de l’institution de l’appel de madame Jean, des articles 93.1.17 et 93.1.19 de la Loi sur l’administration fiscale[12]. En somme, le délai de rigueur de six mois s’applique à la procédure d’appel d’un avis de cotisation.

[40]           Se posait ensuite le problème qui confère à l’arrêt Jean la portée que les intimés veulent lui prêter ici. C’est un problème de droit transitoire. La Cour d’appel l’énonce sous la forme d’une question ainsi rédigée au paragraphe 11 de l’arrêt (je précise entre crochets le sens de certains éléments constitutifs du problème)[13] :

Advenant que le Code de procédure s’applique à ces appels [on sait désormais que c’est le cas, la Cour ayant répondu par l’affirmative à cette question dans ce même arrêt Jean], doiton, en l’espèce, appliquer les règles de l’ancien Code de procédure civile [il s’agit de celles entrées en vigueur le 1er janvier 2003 par l’effet de la Loi portant réforme du Code de procédure civile de 2002] ou celles du nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2016 [il s’agit de celles contenues dans la plus récente réforme du Code]?

[41]           Pour les raisons que j’explicite ci-dessous, la Cour poursuit et décide (i) que, conformément à la lettre de la loi, la réforme du 1er janvier 2016 est d’application immédiate, et (ii) que par l’effet combiné du troisième alinéa de l’article 173 n.C.p.c. et du paragraphe 1° du deuxième alinéa de l’article 833 n.C.p.c., madame Jean devait déposer son inscription dans les six mois impartis, soit le 8 juin 2016.

[42]           Ce raisonnement est-il intégralement applicable au pourvoi en cours? Je crois que non, mais avant d’aborder cette question, j’estime utile de reproduire deux paragraphes de l’arrêt de la Cour d’appel où celle-ci livre le substrat de son analyse. Elle écrivait (je ne reproduis pas les notes de bas de page) :

[34] En l’espèce, aucun protocole d’instance ni aucune « entente sur le déroulement de l’instance » n’a été établi ou proposé, aucune conférence de gestion n’a été tenue ni aucune date fixée ou prolongée par le tribunal pour le dépôt d’un tel protocole ou d’une telle entente. Par conséquent, des quatre cas de figure évoqués au paragr. [32] cidessus, c’est le dernier qui s’impose [lequel est ainsi formulé : « date de la signification de la demande dans le cas où ni les parties ni le demandeur n’ont produit de protocole ou de proposition de protocole […] » conformément à l’art. 173, 3e al. C.p.c., l’appelante disposait de six mois à compter de la signification de sa demande (c.àd. de son appel à la Cour du Québec) pour procéder à l’inscription de celle-ci pour instruction et jugement.

[35] Et quelle est la date de la signification de cette demande? Dans les circonstances, on peut – et c’est là l’hypothèse la plus favorable à l’appelante – considérer, à l’instar du juge de première instance, que cette signification – ou ce qui en tient lieu – est survenu le 8 décembre 2015, c’est-à-dire lorsque, du consentement des parties, le dossier a été transféré à la chambre civile, division administrative et d’appel, de la Cour du Québec en vertu de l’art. 93.8 [Loi sur l’administration fiscale] et reçu par elle. L’appelante devait donc formuler sa demande d’inscription pour instruction et jugement dans les six mois suivants, au plus tard le 8 juin 2016.

Comme ce raisonnement a notamment pour assise un élément essentiel dans l’affaire Jean, élément qui en revanche est absent du dossier actuel, c’est erronément, à mon sens, que le juge s’est considéré comme lié par l’arrêt Jean et tenu pour ce motif de donner raison aux intimés.

 3. Incidence de ce raisonnement en l’espèce

[43]           Au moment où elles intentent leur action, en 1997 et en 1999, les appelantes ne sont tenues à aucune obligation de s’entendre avec leurs adversaires sur un protocole d’instance, pas plus qu’elles ne sont tenues d’inscrire pour enquête et audition dans un délai de rigueur fixé par la loi. Cela ressort sans aucun doute possible de l’article 481.1 a.C.p.c., dont il est patent que l’énumération qu’il contient ne s’applique pas aux recours des appelantes; par voie de conséquence, l’article 481.11 a.C.p.c. ne peut non plus s’appliquer à elles (voir Annexe, Partie A.).

[44]           À compter du 1er janvier 2003, la situation change de façon marquée : l’inscription dans un délai de rigueur de 180 jours devient la règle, comme le précise l’article 274.3 a.C.p.c. (voir Annexe, partie B.1.). Mais cette modification n’atteint pas tous les recours déjà commencés. Une disposition transitoire, l’article 179 de la LPRCRC, précise que « [l]es demandes introduites avant le 1er janvier 2003 sont régies par la loi ancienne, sauf aux parties à convenir de procéder suivant les règles nouvelles » (voir Annexe, Partie B.2.).

[45]           Sur ce point précis et essentiel, la situation des appelantes diverge nettement de celle de madame Jean dans l’arrêt éponyme. Celle-ci avait déposé sa procédure le 8 décembre 2015, donc avant la réforme qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016, mais après celle entrée en vigueur le 1er janvier 2003. Sa procédure était donc assujettie, avant 2016, à la règle de l’inscription dans les 180 jours conformément à l’article 110.1 a.C.p.c. (voir Annexe, Partie B.1.). Ce n’est pas le cas des appelantes qui, en 2016, demeuraient exemptées d’un tel délai comme avant 2003. En effet, les parties n’ayant jamais convenu de procéder selon les règles nouvelles, on doit considérer qu’en fait d’obligation d’inscrire, la situation des appelantes au 1er janvier 2003 demeurait ce qu’elle était en janvier 1997 et en juillet 1999 conformément à l’article 179 de la LPRCPC (voir Annexe, Partie B.2.).

[46]           Survient quelques années plus tard la réforme qui entre en vigueur le 1er janvier 2016. Certes, les règles relatives à la gestion d’instance se resserrent et il est permis de supposer que le régime de l’inscription obligatoire dans un délai de rigueur de six mois – ou d’un an en matière familiale – acquiert alors une portée presque universelle. Mais qu’advient-il dans ces circonstances d’un recours toujours pendant et intenté presque dix-neuf ans auparavant, comme dans le dossier Alcan, ou environ seize ans et demi plus tôt, comme dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades, recours à l’égard desquels il n’existe encore aucun protocole d’instance au 1er janvier 2016 et auxquels de ce fait l’exception de l’entente entre les parties prévue par l’article 179 de la LPRCPC ne peut s’appliquer? On pourrait pourtant penser que les raisons qui avaient dicté en 2003 l’adoption de la distinction tracée par l’article 179 de la LPRCPC sortiraient renforcées en 2016 par le simple effet du passage du temps.

[47]           Rien, en tout cas, ne permet d’extrapoler à partir de l’arrêt Jean un principe selon lequel toute affaire antérieure au 1er janvier 2016 aurait dû être inscrite pour enquête et audition au plus tard six mois après cette dernière date, à défaut de quoi le désistement de la partie en demande est présumé. Il en est ainsi parce qu’une telle lecture de l’arrêt Jean lui prêterait une portée de principe qui était inutile pour résoudre la question précise qui s’y posait. Madame Jean, je le répète, avait commencé sa procédure d’appel le 8 décembre 2015. Cette dernière ne tombait donc pas sous le coup de l’article 179 de la LPRCPC (voir Annexe, Partie B.2.), ce qui signifie qu’elle était soumise à l’obligation d’inscrire pour enquête et audition dans un délai de 180 jours, prévue à l’article 274.3 a.C.p.c., et ce, même si l’article 173 n.C.p.c. ne s’était pas appliqué. Bref, madame Jean était présumée s’être désistée tant sous la loi ancienne que sous la loi nouvelle, ce qui distingue nettement sa situation de celles des appelantes qui, ayant introduit leurs trois instances bien avant le 1er janvier 2003, étaient encore, au 1er janvier 2016, expressément exemptées de l’obligation d’inscrire leur affaire dans un quelconque délai de rigueur conformément à l’article 179 de la LPRCPC (voir Annexe, Partie B.2.).

[48]           Par ailleurs, le principe qu’invoquent les intimés a potentiellement des effets ravageurs sur les droits des parties. Soulevé ici ex nihilo et sans assise formelle dans la loi, il faudrait un texte considérablement plus explicite que le deuxième alinéa de l’article 833 n.C.p.c. et le renvoi elliptique à la notion d’application immédiate (voir Annexe, Partie C.) pour lui donner l’effet sur les droits des appelantes que veulent lui attribuer les intimés.

[49]           Cette notion d’application immédiate en droit transitoire est une abstraction doctrinale à laquelle on tend à prêter des vertus de clarté et de simplicité. Elle peut cependant se révéler plus opaque et plus dense qu’il n’y paraît à première vue. À l’examen, elle apparaît problématique dans certains de ses effets et considérablement plus compliquée qu’on aurait pu le penser avant de la confronter comme ici à un complexe de faits réels étalés sur plusieurs années. Les règles de droit transitoire, qu’on souhaite transparentes, devraient notamment permettre aux sujets de droit de faire le nécessaire dans le sillage de lois nouvelles pour minimiser les effets annoncés de celles-ci lorsqu’ils risquent d’être préjudiciables à la situation de ces sujets de droit et, au premier chef, préjudiciables à la préservation même de leurs droits d’action actuels. En l’occurrence, si l’on en juge par le comportement des appelantes postérieur au 1er janvier 2016, l’article 833 n.C.p.c. semble ne pas avoir atteint cet objectif.

[50]           Les lois qui introduisent de nouvelles règles de procédure, c’est indéniable, obéissent généralement à la notion d’application immédiate. Mais il est fréquent aussi que les choses se compliquent lorsque ces règles portent sur des délais dont le non-respect entraîne la perte de droits au fond. Face à cela, la jurisprudence se montre circonspecte, voire franchement casuiste. Les auteurs Côté et Devinat écrivent ce qui suit sur le sujet[14] :

iii) Les lois relatives aux délais

719. La jurisprudence est très partagée quant à la qualification à donner à des lois qui modifient les délais d’action, de recours, de prescription, etc. On trouve des décisions difficilement conciliables au plan logique si bien qu’il est risqué, sinon impossible, de proposer une théorie qui permette de rendre compte de tous les arrêts.

720.  Sous toute réserve, il semblerait que les lois qui modifient les délais sont considérées comme des lois de pure procédure si leur application à une espèce a pour seul effet d’abréger ou de prolonger un délai. Si, par contre, l’application de la loi nouvelle en matière de délai implique soit l’abrogation rétroactive d’un droit qui existait, soit la résurrection d’un droit qui n’existait plus, alors le tribunal sera plutôt porté à considérer que la loi en question n’a pas, dans les circonstances, le caractère d’une loi de pure procédure. Il faut donc, dans chaque cas, se demander quel serait l’effet pratique de l’application de la nouvelle règle.

De ce point de vue, la situation, ici, était ambiguë, ce que démontre par son effet le jugement entrepris. Il donne raison aux intimés sur une question de procédure, mais a pour effet d’anéantir des réclamations en dommages-intérêts qui auraient pu ou qui pourraient s’avérer fondées en droit substantiel (au sens de substantive law). En évaluant la portée de l’application immédiate prévue par l’article 833 n.C.p.c., doit-on, comme le fait souvent la jurisprudence, tenir compte de la distinction entre ce qui a valeur de règle de procédure, sans plus, et ce qui déborde le cadre de procédure au point d’atteindre et même d’anéantir des droits? À mon avis, on doit le faire, bien que ce soit toujours une affaire de contexte.

[51]           Il n’est guère étonnant, par ailleurs, qu’en l’absence d’un texte explicite en janvier 2016 (de même, longtemps avant, qu’en l’absence de clarifications additionnelles dans la LPRCPC), une certaine confusion paraît avoir régné dans l’esprit de toutes les parties sur ce qui devait les guider dans la conduite de la procédure. C’est ainsi que, déjà, bien avant 2016, elles étaient incertaines sur leurs obligations respectives quant au déroulement des instances en cours. Les démarches infructueuses entreprises par certains avocats des appelantes auprès des intimés entre 2004 et 2008 pour arrêter un échéancier, et l’absence de réaction de la part de ces derniers, confirment que les parties ne parvinrent jamais à « convenir de procéder suivant les règles nouvelles », conformément à l’article 179 de la LPRCPC (voir Annexe, Partie B.2.). J’ajoute qu’en tout état de cause, il incombait également aux intimés de faire diligence dans la conduite de leurs dossiers. Si sur ce point une partie du blâme peut certainement retomber sur les appelantes, les intimés de leur côté semblent n’avoir fait aucun effort sérieux pour faire avancer les choses; selon ce qui figure dans le dossier, leur attitude laisse plutôt entrevoir le contraire.

[52]           Vu les termes des articles 265 a.C.p.c. et suivants, en vigueur au 1er janvier 1997 et après, les intimés, conformément à une lecture de cette disposition qui s’impose à l’esprit comme allant de soi, auraient pu invoquer la péremption d’instance contre chacune des parties appelantes, dès le 5 février 2000 dans le cas du dossier Cascades, à compter du 7 mars 2000 dans le cas du dossier Abitibi-Price et à compter du 14 septembre 2001 dans le cas du dossier Alcan. Ils auraient pu se prévaloir de cette possibilité même après le 1er janvier 2003, considérant que l’abrogation des articles 265 a.C.p.c. et suivants n’affectaient pas les instances qui, par choix, échappaient toujours aux règles nouvelles après le passage de la réforme[15]. Or, les intimés se sont abstenus de le faire : ils ont plutôt choisi de laisser les procédures s’enliser pendant plusieurs années – un état de choses auquel ils ne se sont pas privés de contribuer par leur propre inertie – avant de brandir la menace d’un désistement présumé en mai 2019, puis en octobre 2021.

[53]           Cela soulève d’emblée la question de savoir quelle pouvait être leur justification pour attendre si longtemps – environ 33 mois dans le cas d’Abitibi-Price et Cascades, environ 64 mois dans le cas d’Alcan – avant de réagir. C’est ce qu’ils firent en 2019, en invoquant l’article 173 n.C.p.c., alors que, selon leur propre interprétation des textes pertinents, ils auraient pu demander le constat d’un désistement présumé dès juillet 2016, sans compter la possibilité d’une péremption d’instance qui s’était matérialisée longtemps avant. Posée à l’audience par un membre de la formation saisie du pourvoi, cette question est demeurée sans réponse valable. À l’intérieur des balises fixées par la loi, les parties sont évidemment libres de mener leurs dossiers comme bon leur semble. Néanmoins, dans les circonstances très particulières de l’espèce, on peut difficilement résister à la conclusion que l’initiative prise par les intimés en mai 2019, puis en octobre 2021, constituait un revirement majeur, une manière de liquider unilatéralement et sans procès un litige longtemps en préparation au vu et au su de tous les intéressés.

[54]           L’erreur du juge de première instance dans l’interprétation de l’arrêt Jean, erreur déjà relevée au paragraphe [45] ci-dessus, ajoutée au contexte d’ensemble de l’affaire, justifie que la Cour intervienne et réforme le jugement entrepris. L’article 177 n.C.p.c. en vigueur depuis le 1er janvier 2016 n’était pas opposable aux appelantes en mai 2019 ou en octobre 2021. Il y a donc lieu sur ce volet du pourvoi de faire droit aux conclusions recherchées par les appelantes dans leurs mémoires.

b. La conclusion subsidiaire sur l’abus des appelantes et l’article 51 n.C.p.c.

[55]           Cet aspect du pourvoi est difficilement dissociable de celui traité dans les pages qui précèdent. Aussi y a-t-il lieu de faire droit à la requête de bene esse des appelantes pour permission d’appeler dans les dossiers Abitibi-Price et Cascades.

[56]           À partir du moment où il est acquis que les appelantes n’étaient pas tenues de se conformer à l’article 173 n.C.p.c., la question de l’abus du droit d’ester en justice ne se pose plus tout à fait de la même façon. Si, conformément à une lecture correcte des articles 173 et 833 n.C.p.c., les appelantes avaient dû inscrire pour enquête et audition avant juillet 2016, les tergiversations que leur reprochent les intimés auraient été aggravées d’autant par leur omission d’inscrire. Ce n’est cependant pas ce que leur imposaient les articles 173 et 833 n.C.p.c. Les appelantes pouvaient donc croire que leur situation demeurait en règle et continuer de procéder comme elles l’avaient fait jusque-là.

[57]           Sur ce second volet du litige comme sur le premier, le jugement entrepris, j’y ai déjà fait allusion, est fort concis et ne s’étend pas en de longues explications sur les raisons pour lesquelles il est fait droit à la demande des intimés. Au titre de l’abus du droit d’ester en justice, ceux-ci, je le répète, ne visaient que les assureurs d’Abitibi-Price et de Cascades, et non ceux d’Alcan. Le juge reprend ainsi la question qu’on lui demande de trancher : « … l’inaction procédurale qui perdure depuis le dépôt [des poursuites] il y a près d’un quart de siècle constitue-t-elle une utilisation déraisonnable ou nuisible de la procédure ou encore un détournement des fins de la justice au sens de l’article 51 [n.]C.p.c. justifiant le rejet des demandes? ».

[58]           L’absence de procédure utile, note le juge, « apparaît à la simple consultation des plumitifs en cause », circonstance qui était d’ailleurs admise par les avocats des demanderesses appelantes devant nous. Le juge observe ensuite que le défaut de mener des demandes à terme dans un délai raisonnable est en soi un élément que les tribunaux ont pu traiter comme concluant dans plusieurs affaires. Comme je l’ai déjà dit, le juge mentionne onze affaires de ce genre, dont trois furent confirmées lorsque portées en appel, et dans lesquelles le dossier judiciaire était demeuré inactif pour des périodes s’échelonnant entre cinq et vingt et un ans. Comme il revenait aux appelantes de démontrer que « leurs demandes ne sont pas exercées de manière excessive ou déraisonnable » et qu’elles ne l’ont pas fait, le juge conclut en les termes que j’ai déjà cités au paragraphe [11] ci-dessus.

[59]           Devant la Cour d’appel, les appelantes ont annoncé en quelques mots ce qu’elles développent dans leur mémoire : le juge a commis des « erreurs dans le défaut de considérer la preuve et d’en motiver le rejet ».

[60]           Il y a toutefois plus ici qu’une simple question d’appréciation de la preuve, au sujet de laquelle le juge se borne d’ailleurs à écrire dans ses motifs, sans autre commentaire, que « [l]a preuve offerte ne convainc pas le Tribunal que les délais sont justifiés ni que PGQ (sic) ne subira pas de préjudice, bien au contraire ».

[61]           Si, dans le raisonnement qui tranche une demande formée en vertu de l’article 51 n.C.p.c., la durée d’inactivité d’un dossier judiciaire constitue habituellement un élément suffisant pour établir sommairement une apparence d’abus de procédure au sens des articles 52 et 53 al. 2 n.C.p.c., cet élément à lui seul n’est guère suffisant pour conclure à un abus de procédure et pour rejeter une demande au titre de l’article 53 al. 1 n.C.p.c.

[62]           En effet, pour conclure à un abus de procédure méritant le rejet préliminaire d’une demande au titre de l’article 53 al. 1 n.C.p.c., il faut sous-peser cet élément avec les autres considérations pertinentes et parfois déterminantes entourant le déroulement de l’instance et susceptibles d’expliquer ou justifier, en tout ou en partie, cette inactivité procédurale.

[63]           Des circonstances étrangères à ce qui est en litige, ou une accumulation de certaines d’entre elles (par exemple, une pandémie, une grève légale, la disparition de protagonistes ou de témoins importants, la recherche d’une preuve dont l’existence est connue mais délibérément dissimulée, l’incapacité d’une partie, etc.) peuvent expliquer le non-respect de délais légaux, de rigueur ou autres. Et, bien sûr, la manière dont les parties se sont comportées les unes envers les autres, de même que les inconvénients comparatifs liés au maintien de la demande (quitte à l’assujettir à certaines conditions) par contraste à son rejet pur et simple, figurent eux aussi parmi les facteurs que tout tribunal doit examiner, lorsqu’ils sont applicables, avant de rejeter une demande avant l’instruction.

[64]           C’est dans cet ordre d’idées que les appelantes contestent la partie du jugement fondée sur l’article 53 al. 1 n.C.p.c. On constate qu’elles atteignent la cible lorsqu’elles reprochent au juge de s’être arrêté à tort sur un unique élément, l’écoulement du temps. Cela en soi, comme on va le voir, ne pouvait être concluant dans des dossiers de l’ampleur de ceux-ci, survenus dans un contexte d’exception. Et le jugement laconique que le juge porte sur la preuve faite par les appelantes ne permet pas de savoir s’il a pris en compte ces circonstances au-delà des seuls délais accumulés selon les plumitifs.

[65]           Dans cette optique, les appelantes ont beaucoup insisté sur la stratégie que les intimés avaient adoptée en défense au cours du temps. Il importe de se rappeler ici que le litige se déroulait parallèlement à plusieurs autres affaires (dont des recours collectifs) pas toutes menées à procès et qui toutes gravitaient autour du « déluge du Saguenay ». Diverses parties, dans ces actions en justice, recherchaient les intimés en responsabilité civile.

[66]           Les appelantes ont ainsi mis en évidence trois caractéristiques précises de la stratégie des intimés. Tout au long des procédures, selon elles, les intimés ont insisté pour que la confidentialité de chacun des trois dossiers soit préservée et que chacun procède, en quelque sorte, de façon hermétiquement cloisonnée par rapport aux autres. Pareillement, les intimés se sont constamment opposés à la jonction des dossiers pilotés par les appelantes, en dépit du fait que ces dossiers, selon les appelantes, soulevaient plusieurs questions à la fois communes et complexes. Enfin, au moyen de transactions et de règlements conclus avec d’autres parties victimes des inondations de 1996, les intimés ont acquis la propriété de plusieurs expertises en demande restées confidentielles. Elles pouvaient donc par ce moyen priver les appelantes de certains moyens de preuve utiles ou essentiels à leur cause (la complexité et la diversité des questions techniques ou scientifiques pertinentes, ainsi que la rareté des experts compétents et disponibles, ajoutaient à la difficulté d’instruire ces dossiers).

[67]           L’arrêt Centre Marcel-Boivin inc. c. Société immobilière du Québec[16], où le Procureur général du Québec et la Société immobilière du Québec (prédécesseur de la Société québécoise des infrastructures) apparaissent aussi comme intimés, illustre bien ce dernier procédé, en marge justement des inondations de 1996 au Saguenay.

[68]           Il serait fastidieux et inutile de commenter en détail tous ces aspects du pourvoi. À partir de la preuve abondante versée dans le dossier, je me contenterai de citer ici quelques extraits d’une déclaration sous serment de Me Emmanuelle Doyon, avocate des assureurs d’Alcan, sur la manière dont le dossier évoluait. Certes, ce qu’elle y livre est sa perception personnelle des choses, ce dont on doit rester conscient. Mais ce qu’elle y décrit donne une bonne idée des nombreuses embûches caractéristiques des dossiers en cause. Et rien dans la preuve administrée en première instance ne contredit sa déposition. Les extraits suivants sont longs, mais ils méritent une lecture attentive, car ils campent fort bien le problème auquel faisaient face les appelantes.

9.

Il s’agit d’un dossier d’envergure, complexe et hors normes, un dossier ayant requis un somme considérable de travail, tout à fait hors normes également, et il va de soi qu’au fil des ans, de 2001 à 2017, j’ai travaillé sans relâche et entrepris d’innombrables démarches, eu d’innombrables communica­tions et tenu d’innombrables rencontres, avec de nombreux experts, ainsi qu’avec certains procureurs au dossier, de même qu’avec certains procureurs impliqués dans d’autres actions liées à la gestion de la crue de juillet 1996 (« inondations du Saguenay ») (actions liées au paragraphe 48), la présente déclaration portant essentiellement sur mes échanges avec les procureurs des défenderesses et plus spécifiquement avec Me France Bonsaint, avocate séniore du bureau des procureurs du Procureur Général du Québec;

16.

En résumé, ces travaux donneront lieu à plusieurs expertises coûteuses, de nature diverse, impliquant d'abondants travaux techniques, lesquelles ont été élaborées tout au long de ce dossier, et lesquelles, pour certaines, ont nécessité plusieurs années et ont impliqué une coordination délicate des travaux des experts de disciplines diverses, à savoir:

 

a.

Simulations hydrodynamiques des rivières en cause (hydrologue et hydrologue météorologue);

 

b.

Simulations d'apports naturels au réservoir Kéno­gami (hydrologues);

 

c.

Simulations hydrodynamiques de la rivière Chicoutimi entre le réservoir Kénogami et le barrage d'Elkem-Métal (hydrologue);

 

d.

Une première expertise géologique relative aux causes de la destruction de la station de pompage  de l'assurée des demanderesses;

 

e.

Une étude des apports intermédiaires des rivière-aux-Sables et rivière Chicoutimi;

 

f.

Plusieurs séries de nombreuses simulations alternatives de la gestion de la crue de juillet 1996;

 

g.

Une seconde expertise géologique portant sur les causes de la destruction de la station de pompage de l'as­surée des demanderesses ainsi que des opinions com­­­­plé­mentaires portant sur certaines questions d'ordre géomorphologique;

 

h.

Diverses opinions météorologiques portant sur les pluies et diverses questions d'ordre météorologique pertinentes à la responsabilité du Ministère de l'Environnement;

 

i.

Une opinion principale portant sur la responsabilité du Ministère  de  l'Environnement pour sa gestion de la crue de juillet 1996, opinion assise sur les rapports men­tionnés aux sous-paragraphes précédents;

 

j.

Diverses opinions complémentaires issus d'un hydrologue et d'un hydraulicien relatives aux diverses questions qui seront par la suite soulevés dans le cadre des échanges que j'ai eus avec les procureurs du Procureur Général du Québec, brièvement mentionnés au paragraphe 26  et plus amplement détaillé dans la présente déclaration;

 

k.

Un rapport sur le quantum des dommages de l'assurée des demanderesses, consécutifs aux fautes de gestion du réservoir Kénogami;

48.

Aussi, le Procureur Général du Québec, en plus des recours collectifs mentionnés plus haut (Dossier 150-06-000002-964) a, à compter de 1999, fait l'objet de six autres actions également intentées en rapport avec la gestion du réservoir Kénogami lors des inondations de juillet 1996 (Dossier 150-05-002008-995 pour $39,482,283; Dossier 150-05-001903-998 pour $16,307,825; Dossier 150-05-002004-994 pour $3,100,000; Dossier 150-05-002007-997 pour $2,997,081; Dossier 150-05-001912-999 pour $3,991,578; Dossier 150-05-001913-997 pour $150,000), de sorte que ses procureurs avaient toutes les raisons de se soucier de ses témoins et des éléments pertinents à la responsabilité du Ministère, faisant face à sept actions en justice et à trois recours collectifs;

50.

Le 16 septembre 2011, par voie de conférence téléphonique, j'ai fait valoir à Me France Bonsaint, procureur du Procureur Général, la ferme intention de mes clients d'aller de l'avant avec cette affaire. Me France Bonsaint, procureur du Procureur Général du Québec, alors en charge du dossier depuis trois ans et demie (sic) m'a expliqué avoir été impliquée dans la défense de l'entente de confidentialité des rapports d'expertises déposés sous scellé dans le cadre d'un recours collectif liés aux inondations du Saguenay ayant fait l'objet d'un règlement hors Cour et à l'issue duquel les rapports d'expertise étaient devenus la propriété du Procureur Général du Québec en l'échange d'un règlement hors Cour;

196.

J'ai effectivement rencontré Me Bonsaint et Me Trépanier, le 18 octobre 2016, à leurs bureaux de Québec, pour une durée de deux heures vingt­ cinq minutes, rencontre au cours de laquelle :

 

a.

nous avons longuement discuté de la distinction à faire entre ce litige et les autres litiges pendants liés aux inondations du Saguenay (listés au paragraphe 48);

 

b.

nous avons à nouveau discuté des ententes intervenues dans le cadre des recours collectifs mentionnés au paragraphe 19 de la demande des défenderesses (le Gouvernement du Québec étant devenu propriétaire des expertises déposées sous scellé dans cette affaire et ayant obtenu un engagement signé des experts impliqués de ne pas divulguer à quiconque quelque information en rapport avec ces expertises);

 

c.

tel que déjà exposé aux paragraphes 44, 112 g. eth., 151 et 153, nous avons ainsi discuté de la stratégie envisagée dans l'éventualité d'un règlement hors Cour, c'est-à-dire qu'à l'instar de ce qui avait été fait dans le cadre des recours collectifs, le gouvernement du Québec pourrait  devenir  propriétaire  des  rapports  d'exper­tise  des demanderesses, en l'échange d'un règlement hors Cour, le tout sous le sceau de la confidentialité (débattue par Me Bonsaint elle-même en ce qui a trait aux expertises déposées dans le cadre du recours collectif), ce qui permettrait au Gouvernement de contester les autres actions intentées en rapport avec les inondations du Saguenay (listées au paragraphe 48) et de préserver ainsi une bonne image face à la population;

 

d.

nous avons discuté du fait que si nous devions produire notre expertise au dossier, plusieurs requêtes en réunion d'actions seraient en toute probabilité produites par les autres et notre rapport d'expertise deviendrait public;

 

e.

nous avons discuté du fait que Me Bonsaint n'avait toujours pas la position du Gouvernement du Québec ni d'instructions à cet égard quant à la position à adopter dans ce dossier, mais celle-ci m'a indiqué que si jamais ses instructions étaient de contester ce dossier, elle se joindrait à nous dans la contestation de requêtes en réunion d'actions puisque cela constituerait un long processus procédural en ce que les litiges tourneraient sur la faute commune relative à la gestion du Réservoir et pourrait confondre un tribunal alors que les causalité sont différentes ou pour chacune des rivières ou pour certains poursuivants;

 

f.

et la perspective de tenir une rencontre, ou à tout le moins une conférence téléphonique entre experts a, de nouveau, été abordée;

[69]           On voit par ce qui précède pourquoi j’évoquais plus haut, au paragraphe [53], les « circonstances très particulières de l’espèce ». Comme je le notais aussi plus haut, on est ici en présence de dossiers d’une grande ampleur, aux enjeux importants, issus d’un contexte d’exception, dans le cadre desquels les intimés devaient se défendre sur plusieurs fronts. Toutes choses égales par ailleurs, les avocats avaient besoin de temps pour y voir clair et la stratégie adoptée en défense n’était pas de nature à accélérer les choses.

[70]           Une fois écartée la proposition que les appelantes devaient succomber en raison de leur désistement présumé, il fallait scruter l’ensemble des circonstances des dossiers Abitibi-Price et Cascades pour déterminer si le rejet préliminaire des demandes dans ces dossiers était un redressement approprié, notamment au vu de l’apport que semble avoir eu les intimés à l’atermoiement qu’ils ont dénoncé in extremis, plus d’une décennie après que ceux-ci aient pu soulever la péremption d’instance. Cet examen ne laissait d’autre choix que de donner raison aux appelantes, ce qui emporte le rejet de la requête en rejet d’appel des intimés. Une gestion rigoureuse en première instance devrait permettre qu’il soit mis fin dans un délai raisonnable à ces procédures qui ont déjà trop duré.

[71]           Pour ces raisons, je ferais droit à l’appel des appelantes dans le sens des motifs qui précèdent. Le tout, avec frais de justice en faveur des appelantes.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 


ANNEXE

Partie A. Dispositions en vigueur le 1er janvier 1997

Code de procédure civile, c. C-25

110. À moins qu’il n’en soit autrement prescrit, une demande en justice est introduite par une déclaration.

 

 

110. Unless otherwise provided, every judicial proceeding is introdu­ced by a declaration.

 

265. Toute instance sera déclarée périmée, à la demande du défendeur, six mois après la production du dernier acte de procédure utile.

 

 

265. Any proceeding will be declared perempted, upon the application of the defendant, six months after the last useful written proceeding is filed.

 

268. La péremption est prononcée par le tribunal, sur requête signifiée au procureur, ou à la partie elle-même si elle n’a pas de procureur, au moins 30 jours avant la date fixée pour sa présentation.

 

Tant qu’il n’a pas été statué sur cette requête, le demandeur peut encore empêcher que la péremption ne soit prononcée, en produisant un acte de procédure utile; et en ce cas, le tribunal fera droit à la requête, mais pour les dépens seulement.

 

 

268. Peremption is declared by the court upon motion served upon the attorney or upon the party himself if he has no attorney, at least 30 days before the date fixed for its presentation.

 

As long as judgment has not been rendered on such motion, the plaintiff may still prevent peremption from being pronounced by filing a useful proceeding, and in such case the court will grant the motion, but for costs only.

269. La péremption est couverte par tout acte de procédure utile fait par l’une ou l’autre des parties, dans les six mois qui précèdent immé­diatement la signification de la requête prévue à l’article 268.

 

Tant qu’il n’a pas été statué sur cette requête, le demandeur peut encore empêcher que la péremption ne soit prononcée, en produisant un acte de procédure utile; et en ce cas, le tribunal fera droit à la requête, mais pour les dépens seulement.

 

 

269. Peremption is covered by any useful proceeding taken by either party within the six months immediately preceding the service of the motion provided for in article 268.

 

 

As long as judgment has not been rendered on such motion, the plaintiff may still prevent peremption from being pronounced by filing a useful proceeding, and in such case the court will grant the motion, but for costs only.

 

481.1. À moins qu’il n’en soit autrement prescrit, les règles particu­lières prévues au présent Titre s’appliquent à toutes les demandes dans lesquelles le montant réclamé ou la valeur de l’objet du litige est égal ou inférieur à 50 000 $, sans compter les intérêts courus à la date de l’introduction de la demande ni l’indemnité visée à l’article 1619 du Code civil.

 

 

481.1. Unless otherwise provided, the special rules contained in this Title apply to all proceedings in which the amount claimed or the value of the object of the dispute is equal to or less than $50,000, excluding the interest accrued up to the date of the introduction of the proceeding and the indemnity referred to in article 1619 of the Civil Code.

Ces règles particulières s’appliquent également au recouvrement d’une créance, quel que soit le montant en jeu, dans les matières suivantes:

 

a)  le prix de vente d’un bien meuble;

 

 

b)  le prix d’un contrat de service ou d’entreprise, à l’exclusion du contrat portant sur un ouvrage immobilier, si la valeur de l’objet du litige est supérieure à 50 000 $, de crédit-bail ou de transport;

 

c)  les créances liées au contrat de travail, de dépôt ou de prêt d’argent;

 

 

d)  la rémunération d’un mandat ou d’une caution, ainsi que celle due pour l’exercice d’une charge;

 

e)  les lettres de change et chèques, billets à ordre ou reconnaissances de dette;

 

f)  les taxes, contributions, coti­sa­tions imposées par une loi ou en vertu de quelqu’une de ses dispositions.

 

 

These special rules also apply to the recovery of a claim, irrespective of the amount in issue, in any matter concerning

 

(a)  the sale price of movable prop­er­ty;

 

(b)  the price in a contract for services or of enterprise, other than a contract pertaining to an immovable work, if the value of the object of the dispute is more than $50,000, or in a contract of leasing or a contract of carriage;

 

(c)  claims related to a contract of employment, of deposit or of loan of money;

 

(d)  the remuneration of a mandatary, a surety or an office holder for services rendered;

 

(e)  bills of exchange, cheques, promissory notes or acknowled­gements of debt;

 

(f)  taxes, rates and assessments imposed by or under any law of Québec.

 

481.11. L’inscription pour enquête et audition doit avoir été faite au plus tard 180 jours après la signification de la déclaration et de l’avis. À défaut d’inscription à l’intérieur de ce délai, le demandeur est réputé s’être désisté de sa demande. Ce délai est de rigueur; il ne peut être prolongé que si la partie démontre qu’elle était dans l’impossibilité d’agir.

Le greffier doit refuser de recevoir et de porter au dossier toute inscription faite hors délai.

 

481.11. Inscription for proof and hearing must be effected not later than 180 days after service of the declaration and notice. Failing inscription within that time, the plaintiff is deemed to have discontinued his suit. Such time limit is imperative; it can be extended only if the party shows that it was impossible for him to act.

The clerk must refuse to receive or file in the record any inscription after expiry of such time limit.

 

Partie B. Dispositions en vigueur le 1er janvier 2003

1. Code de procédure civile, c. C-25

 

110. Les demandes en justice sont introduites par requête. Elles suivent la procédure prévue au présent titre, sous réserve des règles particulières autrement prévues. […]

 

 

110. Actions and applications are introduced by means of a motion. They are pursued according to the procedure set out in this Title, subject to special rules otherwise prescribed. […]

 

110.1. Les demandes en justice doivent, si elles sont contestées oralement, être entendues ou fixées pour enquête et audition et, dans ce dernier cas, être référées sur ordonnance au greffier pour fixation d’audition ou, si elles sont contestées par écrit, être inscrites pour enquête et audition, dans le délai de rigueur de 180 jours à compter de la signification de la requête.

 

Le tribunal peut, sur demande présentée au plus tôt dans les 30 jours précédant l’expiration du délai de 180 jours, prolonger ce délai lorsque la complexité de l’affaire ou des circonstances spéciales le justifient.

 

Le tribunal peut également relever une partie des conséquences de son retard si cette dernière démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir dans le délai prescrit.

 

La décision doit, dans tous les cas, être motivée.

 

 

110.1. Actions and applications that are to be contested orally must be heard or scheduled for proof and hearing and, in the latter case, referred by order to the clerk for scheduling of the hearing, and those that are to be contested in writing inscribed for proof and hearing, within a peremptory time limit of 180 days after service of the motion.

 

 

The court may, upon a request presented no earlier than 30 days before the expiry of the 180-day time limit, extend the time limit if warranted by the complexity of the matter or special circumstances.

 

 

The court may also relieve a party from the consequences of failure to act within the time limit upon proof that it was in fact impossible for the party to act within the time limit.

 

 

The decision must in all cases contain reasons.

 

151.1. Les parties, à l’exception de celles qui sont mises en cause, sont tenues, avant la date indiquée dans l’avis au défendeur pour la présentation de la demande intro­ductive au tribunal, de négocier une entente sur le déroulement de l’instance précisant leurs conven­tions et établissant le calendrier des échéances à respecter à l’intérieur du délai de rigueur de 180 jours.

 

[…]

 

 

151.1. Before the date indicated in the notice to the defendant for presentation of the action or application, the parties, except impleaded parties, must negotiate an agreement as to the conduct of the proceeding, specifying the arran­gements between them and the timetable with which they are to com­ply within the 180-day peremptory time limit.

 

[…]

 

274. Lorsque la défense est écrite, l’une ou l’autre des parties peut, sitôt la contestation liée, inscrire la cause pour enquête et audition.

 

 

274. If the defence is in writing, either party may, as soon as the issue is joined, inscribe the case for proof and hearing.

 

274.3. L’inscription doit être produite au greffe dans le délai de rigueur de 180 jours à compter de la signification de la requête intro­ductive, à moins que le tribunal n’ait, conformément à l’article 110.1, prolongé ce délai, auquel cas l’inscription doit être produite avant l’expiration du délai ainsi fixé et faire mention de l’ordonnance de prolongation. Le demandeur qui fait défaut d’inscrire dans le délai fixé est réputé s’être désisté de sa demande.

 

 

[…]

 

Le greffier doit refuser de recevoir toute inscription faite hors délai.

 

 

274.3. The inscription form must be filed at the office of the court within a peremptory time limit of 180 days from service of the motion to institute proceedings, unless the court extends the time limit in accordance with article 110.1, in which case the inscription form must be filed before the expiry of the extended time limit, and make a reference to the extension order. A plaintiff who fails to inscribe within the time limit is deemed to have discontinued the action or application.

 

[…]

 

The clerk must refuse any inscription after expiry of the time limit.

2. Loi portant réforme du Code de procédure civile

 

179. Les demandes introduites avant le 1er janvier 2003 sont régies par la loi ancienne, sauf aux parties à convenir de procéder suivant les règles nouvelles. […]

 

 

179. Actions instituted before 1 January 2003 are governed by the former legislation, unless the parties agree to proceed under the new rules. […]

181. Les dispositions de la présente loi entreront en vigueur le 1er janvier 2003 […].

 

181. The provisions of this Act come into force on 1 January 2003 [….].

 

Partie C. Dispositions en vigueur le 1er janvier 2016

Code de procédure civile

 

173. Le demandeur est tenu, dans un délai de six mois ou, en matière familiale, d’un an à compter de la date où le protocole de l’instance est présumé accepté ou depuis la tenue de la conférence de gestion qui suit le dépôt du protocole, ou encore depuis la date où celui-ci est établi par le tribunal, de procéder à la mise en état du dossier et, avant l’expiration de ce délai de rigueur, de déposer au greffe une demande pour que l’affaire soit inscrite pour instruction et jugement.

 

Le tribunal peut néanmoins, lors d’une conférence de gestion, prolonger ce délai si le degré élevé de complexité de l’affaire ou des circonstances spéciales le justifient. Il peut également le faire, même par la suite avant l’expiration du délai de rigueur, si les parties lui démontrent qu’elles étaient en fait dans l’impossibilité, lors de cette confé­rence, d’évaluer adéquatement le délai qui leur était nécessaire pour mettre le dossier en état ou que, depuis, des faits alors imprévisibles sont survenus. Le délai fixé par le tribunal est aussi de rigueur.

 

Si les parties ou le demandeur n’ont pas déposé le protocole de l’instance ou la proposition de protocole dans le délai imparti de 45 jours ou de trois mois, le délai de six mois ou d’un an se calcule depuis la signification de la demande. Le tribunal ne peut alors prolonger ce délai que si l’une ou l’autre des parties était en fait dans l’impossibilité d’agir.

 

 

173. The plaintiff is required to ready the case for trial within six months, or one year in family matters, after the date on which the case protocol is presumed to be accepted or the case management conference following the filing of the case protocol is held, or after the date the case protocol is established by the court, and, before that strict time limit expires, to file a request with the court office to have the case set down for trial and judgment.

 

 

Nevertheless, if warranted by the high level of complexity of the case or by special circumstances, the court may extend the time limit at a case management conference. Even after the case management conference, the court may extend the time limit before it expires, if the parties show that it was impossible in fact, at the time of that conference, to properly assess how long they would need to ready the case for trial, or that circumstances unforeseeable at that time have since occurred. The new time limit set by the court is also a strict time limit.

 

If the parties or the plaintiff have not filed a case protocol or a proposed case protocol within the prescribed 45-day or three-month time limit for doing so, the six-month or one-year time limit under this article is counted from service of the application. In such an instance, the court cannot extend the latter time limit unless it was impossible in fact for one of the parties to act.

 

177. Faute de demander l’inscription dans le délai de rigueur, le demandeur est présumé s’être désisté de sa demande à moins qu’une autre partie n’ait demandé l’inscription dans les 30 jours de l’expiration du délai.

 

Le tribunal peut lever la sanction contre le demandeur s’il est convaincu qu’il était en fait dans l’impossibilité d’agir dans le délai imparti. Dans ce cas, le tribunal modifie le protocole de l’instance et fixe un nouveau délai qui ne pourra être prolongé que si un motif impérieux l’exige.

 

 

177. A plaintiff who fails to file a request for setting down within the strict time limit is presumed to have discontinued the application, unless another party files such a request within 30 days after the expiry of the time limit.

 

The court may relieve the plaintiff from this sanction if it is satisfied that it was impossible in fact for the latter to act within the time limit. In such an instance, the court modifies the case protocol and sets a new time limit, which cannot be extended except for compelling reasons.

833. Le nouveau Code de procédure civile (chapitre C-25.01) remplace le Code de procédure civile (chapitre C-25).

 

Ce Code est, dès son entrée en vigueur, d’application immédiate. Cependant:

 

 en première instance, les demandes introductives d’instance déjà déposées demeurent régies par la loi ancienne en ce qui concerne uniquement l’entente sur le déroulement de l’instance et sa présentation au tribunal et les délais pour y procéder;

 

  les affaires qui deviennent de la compétence d’une autre cour se poursuivent devant le tribunal qui en est déjà saisi et celles qui deviennent de la compétence de la division des petites créances de la Cour du Québec se poursuivent devant la Cour du Québec qui en est déjà saisie;

 

  en appel, les délais relatifs à la constitution du dossier d’appel continuent de s’appliquer à l’égard des affaires déjà portées en appel;

 

  l’exécution déjà entreprise d’un jugement, d’une décision ou d’un acte juridique ayant valeur exécutoire se poursuit suivant la loi ancienne, sauf s’il s’agit d’une exécution déjà entreprise selon les règles du dépôt volontaire;

 

 

 

  pour l’application du livre VIII, la publication des avis au registre des ventes est, jusqu’à la publication d’un arrêté du ministre de la Justice à la Gazette officielle du Qué­bec indiquant que le registre des ventes est opérationnel, faite comme suit:

 

a)  l’avis qui précède la vente, prévu à l’article 748, est publié confor­mément aux règles établies par le nouveau Code de procédure civile pour la notification par avis public et notifié aux personnes mentionnées au deuxième alinéa de l’article 749;

 

b)  l’avis indiquant que la vente n’a pas lieu ou qu’elle est suspendue est notifié aux personnes qui ont été notifiées de l’avis de vente;

 

 

c)  l’avis indiquant que la vente a été effectuée, prévu à l’article 757, est déposé au greffe du tribunal où est déposé l’avis d’exécution;

 

d)  l’avis de vente publié avant la date fixée par l’arrêté ministériel n’a pas à être publié au registre des ventes; les règles prévues aux sous-paragraphes b et c s’appli­quent alors, comp­te tenu des adaptations nécessaires.

 

 

833. The new Code of Civil Procedure (chapter C-25.01) repla­ces the former Code of Civil Procedure (chapter C-25).

 

The Code applies as soon as it comes into force. However,

 

 

(1)  in first instance, originating applications that have already been filed continue to be governed by the former Code solely as regards agreements concerning the conduct of the proceeding and the presentation of the application before the court and time limits;

 

(2)  cases that would be under the jurisdiction of a different court continue before the court already seized of the matter and those that would be under the jurisdiction of the Small Claims Division of the Court of Québec continue before the division of the Court of Québec already seized of the matter;

 

(3)  in appeal, the time limits for preparing the appeal record continue to apply to cases already in appeal;

 

 

(4)  if already under way, the execution of a judgment, of a decision or of a juridical act that has the same force and effect as a judgment continues in accordance with the former Code, except in the case of execution proceedings already under way in accordance with the rules governing voluntary deposit;

 

(5)  for the purposes of Book VIII, until an order of the Minister of Justice is published in the Gazette officielle du Québec indicating that the sales register is operational, the publication of notices in the sales register is to be as follows:

 

 

(a)  the notice preceding the sale, required by article 748, is to be published in accordance with the rules established by the new Code for notification by public notice and to be notified to the persons mentioned in the second paragraph of article 749;

 

 

(b)  the notice indicating that the sale will not take place or is suspended, if such is the case, is to be notified to the persons to whom the notice of sale was notified;

 

(c)  the notice following the sale, required by article 757, is to be filed at the office of the court where the notice of execution is filed;

 

(d)  a notice of sale published before the date set in the ministerial order is not required to be published in the sales register; the rules prescribed in subparagraphs b and c apply in such a case, with the necessary modi­fications

 

 


[1]  American Home Insurance Company c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 186.

[2]  Je précise qu’elles sont les assureurs ou les ayants droit d’assureurs précédents qui indemnisèrent les sinistrées. Cet aspect des choses est toutefois sans importance ici et, dans la suite de ces motifs, je parlerai des « appelantes » comme des assureurs parties aux recours contre les intimés.

[3]  Zurich Insurance Corporation c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 939.

[4]  Ainsi, parmi les allégations contenues dans les procédures des intimés, on peut lire ce qui suit : « […] Plutôt que de faire avancer leur dossier les demanderesses se sont placées à la remorque de deux (2) recours collectifs autorisés par la Cour supérieure en 1997 dans les dossiers Lemay et Arsenault. Après le règlement de ces deux (2) recours collectifs, dont la transaction a été entérinée par la Cour supérieure en juillet 2001, les demanderesses n’ont rien fait pour faire progresser leur dossier […]. »

[5]  L.Q. 2002, c. 7.

[6]  Jean c. Agence de revenu du Québec, 2019 QCCA 458, demande pour autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême, no 38766.

[7]  Elles sont abrogées par la LPRCPC, supra, note 5, art. 58. Voir, toutefois, infra, paragr. [46].

[8]  La requête qui demande que la péremption d’instance soit prononcée par le tribunal doit être signifiée au moins trente jours avant sa date de présentation. Aux termes de l’art. 269, al. 2 a.C.p.c., qui sur ce point ne sera pas modifié avant son abrogation en 2002, la partie demanderesse peut éviter la péremption en déposant une procédure utile dans ce délai de trente jours ou n’importe quand avant qu’un jugement ne soit rendu sur cette requête.

[9]  Par les art. 14, 19 et 64 de la LPRCPC, supra, note 5.

[10]  Hubert Reid, La réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, c. 7 (P.L. 54) – étude comparative du code actuel et des règles nouvelles, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, p. 92.

[11]  Loi modifiant le Code de procédure civile, la Loi sur la Régie du logement, la Loi sur les jurés et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1996, c. 5, art. 40. Cette réforme entra en vigueur le 1er janvier 1997.

[12]  RLRQ, c. A-6.002.

[13]  Supra, note 6, paragr. 11.

[14]  Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, p. 220.

[15]  Du moins, la jurisprudence majoritaire penche nettement pour cette thèse : D.T. c. Lauzon, 2011 QCCS 5473, paragr. 27 et s.; Feldman c. RBC Dominion valeurs mobilières inc., 2011 QCCS 6553, paragr. 9; Roussel c. Hôpital St-François-d'Assise, 2011 QCCS 3639, paragr. 20-21; Fecteau c. Bombardier inc. (Produits Récréatifs Bombardier), 2012 QCCQ 2727, paragr. 4-5; Isoco Construction inc. c. Hydro-Mécanique Construction inc., 2016 QCCS 758, paragr. 2; 3092-8949 Québec inc. c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCS 3173, paragr. 20, permission d’appeler rejetée par la Cour dans 2018 QCCA 967 et par la Cour suprême du Canada dans 2019 CanLII 35200 (CSC), no 38357.

[16]  2007 QCCA 749.

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