Décision

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Vesnaver (Syndic de)

2015 QCCS 3357

JM1838

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-11-048718-155

 

 

 

DATE :

  Le 16 juillet 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ROBERT MONGEON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

DANS L’AFFAIRE DE LA FAILLITE DE :

 

CARL VESNAVER

                Débiteur

-et-

ANDRÉ GABBAY ET ASSOCIÉS INC.

     Syndic/Intimé

-et-

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                Requérant

-et-

OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE SHEFFORD

                Mis-en-cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT 

 1)    Requête amendée en revendication de biens et pour directives

2)    Requête en irrecevabilité

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           Le Syndic à la faillite du Débiteur Carl Vesnaver s’adresse à la Cour afin d’obtenir des directives face à une situation inusitée :  en effet, le Débiteur est propriétaire d’un Duplex qui fait l’objet, depuis 2010, d’une ordonnance de blocage de la part du Services des poursuites pénales du Canada.  Cette ordonnance empêche le Syndic d’enregistrer ses droits sur l’immeuble en question et d’en utiliser la valeur nette pour payer les créanciers.  D’où la présente demande de directives du Syndic dont les conclusions se lisent ainsi :

DÉCLARER que l’immeuble composé des lots  1 141 163, 1 141 166 et 1 141 169 de la circonscription foncière de Shefford, Cadastre du Québec (l’ « Immeuble »), est un actif du débiteur Carl Vesnaver qui a été dévolu à André Gabbay et associés inc., ès qualités de syndic à la faillite de Carl Vesnaver, par l’effet de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et dont le syndic a la saisine.

AUTORISER le Syndic à enregistrer ses droits sur l’Immeuble auprès du bureau de la circonscription foncière de Shefford.

ORDONNER au Procureur général du Canada, agissant par le Service des poursuites pénales du Canada de surseoir aux procédures instituées à l’encontre de l’Immeuble, incluant dans les dossiers de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, portant les numéros 460-26-002436-104 et 460-26-002437-102.

ORDONNER l’exécution provisoire de l’ordonnance à être rendue, nonobstant appel.

[2]           Le Services des poursuites pénales du Canada (SPPC) prétend que l’ordonnance de blocage fait partie intégrante d’un processus de confiscation de l’immeuble en question, laquelle confiscation pourra être concrétisée lors du prononcé de la peine de Carl Vesnaver, qui a déjà plaidé coupable à une série d’infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la « LRCDAS »).  Car Vesnaver est toujours incarcéré en attente de sa sentence.

[3]           C’est en 2010, lors de la mise en accusation de Carl Vesnaver, que l’ordonnance de blocage a été émise, soit plus de 4 ans avant la faillite.

[4]           Le Procureur Général du Canada (PGC) s’objecte à la requête pour directives et plaide que depuis la signification de l’ordonnance de blocage, celle-ci est opposable au Débiteur et au Syndic, et que ce dernier ne peut en avoir la saisine tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas eu d’adjudication lors d’une éventuelle audition sur la confiscation du Duplex en question.

[5]           Ainsi, le PGC prétend que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité n’a aucune application en l’instance et qu’aucune procédure ne peut affecter le processus criminel entrepris, pouvant mener à la confiscation de l’immeuble comme « bien-infractionnel » ayant servi à la perpétration de crimes.

[6]           La présente affaire vise donc à déterminer si la LFI a préséance sur la LRCDAS.

LES FAITS ET LE CONTEXTE

[7]           Le Syndic a pris possession des biens et actifs du Débiteur le 11 décembre2014.

[8]           Celui-ci déclare être propriétaire d’un immeuble situé au 175-205, rue Bruce, à Granby, dont il estime la valeur à 500 000,00$ (le Duplex).

[9]           Le Duplex a été acquis par Vesnaver Entreprises Inc. le 21 juillet 2004 mais en vertu d’une contre-lettre dénoncée comme pièce R-3, Vesnaver Entreprises Inc. agissait alors pour le Débiteur.

[10]        Depuis 2007, le Duplex est grevé d’une hypothèque au montant de 500 000,00$ en faveur du père du Débiteur.

[11]        Selon le dernier rôle d’évaluation de la ville de Granby, le Duplex est évalué à la somme de 810 000,00$, ce qui laisserait croire à une valeur nette, après remboursement de l’hypothèque, d’un montant supérieur à 300 000,00$.

[12]        Le 20 septembre 2010, l’honorable Serge Champoux, j.c.Q. rendait, à la demande du SPPC, une ordonnance de blocage (R-6) en vertu des articles 14 et 14.1 LRCDAS.

[13]        Il faut noter que cette ordonnance a été émise lors d’une audition Ex Parte, sur la foi d’un affidavit signé par un membre de la Gendarmerie Royale du Canada dont nous n’avons pas copie.

[14]        L’ordonnance de blocage contient une série d’ordonnances spécifiques ayant notamment pour effet :

a)        de nommer le Ministre des travaux publics et des services gouvernementaux du Canada administrateur du Duplex;

b)        de prohiber toute transaction sur le Duplex;

c)        d’enjoindre Vesnaver Entreprises Inc. de fournir un état financier complet relatif au Duplex;

d)        de procéder à l’évaluation du Duplex;

e)        d’enjoindre, néanmoins, Vesnaver Entreprises Inc. et ses prête-noms de continuer à acquitter toutes les charges hypothécaires, de taxes municipales et scolaires, etc., de le maintenir en bon état;

et ce, jusqu’à ce qu’il soit adjugé sur la confiscation du Duplex par la Cour ayant juridiction pour se prononcer sur la sentence à être infligée au Débiteur et sur la confiscation totale ou partielle du Duplex, dorénavant qualifié de « bien infractionnel » au sens de la LRCDAS.

[15]        Le Syndic se plaint donc du fait que le SPPC et/ou le PGC refusent de se conformer à l’avis de surseoir à toute procédure concernant les « biens du failli » et que l’ordonnance de blocage l’empêche d’enregistrer ses droits au Registre foncier.

[16]        Le Syndic prétend, en effet, que le Duplex est un bien dont il a la saisine en vertu de la LFI, que la LFI est une loi d’ordre public à laquelle il faut donner une interprétation large et libérale et qui lie la Couronne fédérale.  Ainsi, la LFI aurait préséance sur la LRCDAS et dès que le Débiteur fait faillite, le Duplex ne peut plus être assujetti à une telle ordonnance de blocage.

[17]        Le PGC réplique que c’est plutôt la LRCDAS qui a préséance sur la LFI et que même si le processus de confiscation n’est pas encore complété, la faillite du Débiteur n’a aucun effet sur l’ordonnance de blocage et du processus qui s’ensuit.

[18]        La LRCDAS fait partie de la compétence exclusive du Parlement du Canada en matière de droit criminel (article 91(27) de la Constitution canadienne) et il appartiendra donc au juge chargé de prononcer la sentence du Débiteur de décider de la confiscation du Duplex au cours d’une enquête et selon la preuve qui lui sera présentée.  Cette audition pourra prendre en compte plusieurs facteurs dont :

-        la gravité des crimes commis par le Débiteur;

-        l’implication du Duplex dans la commission de ces crimes;

-        la nécessité ou l’opportunité de confisquer tout ou une partie du Duplex;

-        les droits des tiers de bonne foi sur le Duplex.

[19]        A la fin de ce processus, le Duplex pourra être confisqué en tout ou en partie ou même entièrement libéré de l’ordonnance de blocage.  C’est alors que le Syndic pourra faire valoir ses droits sur le reliquat ou la totalité de l’immeuble.

[20]        Procéder autrement pourrait avoir pour effet d’en arriver à des conclusions « absurdes », selon le PGC car il suffirait à un débiteur de déclarer faillite pour s’assurer qu’un « bien infractionnel » ne puisse être confisqué et que le syndic à sa faillite puisse, néanmoins, payer les dettes dudit débiteur en utilisant la valeur nette dudit bien infractionnel, ce qui violerait le vieil adage voulant que « le crime ne paie pas ».

[21]        Le PGC présente donc une requête en irrecevabilité de la requête pour directives du Syndic.  A cet égard, le PGC soulève aussi d’autres arguments qui, pour les fins du présent jugement, ne seront examinés que s’il est nécessaire de les considérer.

[22]        La question centrale de la présente affaire étant la question de la préséance de l’une de ces deux lois fédérales d’ordre public sur l’autre, je me propose donc d’examiner cette question d’entrée de jeu.  Si cette analyse met fin au débat, les autres moyens invoqués par le PGC n’auront pas à être analysés.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[23]        Tout d’abord, voyons les dispositions législatives applicables.

a)    La LRCDAS L.C., 1996, ch. 19

[24]        L’article 2 de cette loi définit ce qu’est un bien infractionnel :

« bien infractionnel »  Bien situé au Canada ou à l’extérieur du Canada, à l’exception des substances désignées, qui sert ou donne lieu à la perpétration d’une fraction désignée ou qui est utilisé de quelque manière dans la perpétration d’une telle infraction, ou encore qui est destiné à servir à une telle fin.

Il s’agit donc d’un bien meuble ou immeuble utilisé dans la perpétration d’une infraction.  Il peut s’agir d’une automobile, d’une maison, d’un bateau, d’un avion, etc.

[25]        L’article 14 de cette loi détermine ce qu’est une ordonnance de blocage et dans quelles circonstances elle peut être rendue :

14. (1)  Le procureur général peut, sous le régime du présent article, demander une ordonnance de blocage d’un bien infractionnel.

(2)    La demande d’ordonnance est à présenter à un juge par écrit mais peut être faite ex parte; elle est accompagnée de l’affidavit du procureur général ou de toute autre personne comportant les éléments suivants :

                   a)  désignation de l’infraction à laquelle est lié le bien;

b)  désignation de la personne que l’on croit en possession du bien;

c)  description du bien.

(3)  Le juge saisi de la demande peut rendre une ordonnance de blocage s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le bien est un bien infractionnel; l’ordonnance prévoit qu’il est interdit à toute personne de se départir du bien mentionné dans l’ordonnance ou d’effectuer des opérations sur les droits qu’elle détient sur lui, sauf dans la mesure où l’ordonnance le prévoit.

(4)    Les ordonnances de blocage visées au présent article peuvent être rendues à l’égard de biens situés à l’étranger, avec les adaptations nécessaires.

(5)     L’ordonnance de blocage peut être assortie des conditions raisonnables que le juge estime indiquées.

(6)     L’ordonnance de blocage est rendue par écrit.

(7)     Une copie de l’ordonnance de blocage est signifiée à la personne qu’elle vise; la signification se fait selon les règles du tribunal ou de la façon dont le juge l’ordonne.

(8)     Une copie de l’ordonnance de blocage est enregistrée à l’égard d’un bien conformément aux lois de la province où ce bien est situé.

(9)     L’ordonnance de blocage demeure en vigueur jusqu’à ce que l’une des circonstances suivantes survienne :

a)     une ordonnance est rendue à l’égard du bien conformément aux paragraphes 19(3) ou 19.1(3) de la présente loi ou aux paragraphes 490(9) ou (11) du Code criminel;

b)     une ordonnance de confiscation du bien est rendue en vertu des paragraphes 16(1) ou 17(1) de la présente loi ou de l’article 490 du Code criminel.

       (10)   Toute personne à qui une ordonnance de blocage est signifiée en conformité avec le présent article et qui, pendant que celle-ci est en vigueur, contrevient à ses dispositions est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable par déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[26]        C’est l’article 16 de cette loi qui détermine le processus de confiscation.  Les passages pertinents de cet article sont les suivants :

16. (1)  Sous réserve des articles 18 à 19.1 et sur demande du procureur général, le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction désignée et qui est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que des biens infractionnels sont liés à la perpétration de cette infraction ordonne :

a)   dans le cas de substances inscrites à l’annexe VI, que celles-ci soient confisquées au profit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le ministre en dispose à sa guise;

b)  que les autres biens infractionnels soient confisqués au profit :

      (i)  soit de Sa Majesté du chef de la province où les procédures relatives à l’infraction ont été engagées, si elles l’ont été à la demande du gouvernement de cette province et menées par ce dernier ou en son nom, pour que le procureur général ou le solliciteur général de la province en dispose en conformité avec la loi;

         (ii)  soit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l’application du présent sous-alinéa en dispose en conformité avec la loi, dans tout autre cas.

(2)     Sous réserve des articles 18 à 19.1, le tribunal peut rendre une ordonnance de confiscation aux termes du paragraphe (1) à l’égard de biens dont il n‘est pas convaincu qu’ils sont liés à l’infraction désignée dont la personne a été reconnue coupable, à la condition toutefois d’être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’il s’agit de biens infractionnels.

[27]        Avant de rendre une ordonnance en vertu de l’article 16 précité, le Tribunal compétent doit, selon l’article 14 LRCDAS, donner un avis à toutes les personnes qui lui semblent avoir un droit sur le bien.  Il peut (mais n’en est pas obligé)[1] les entendre :

19. (1)  Avant de rendre une ordonnance en vertu des paragraphes 16(1) … à l’égard d’un bien, le tribunal exige qu’un avis soit donné à toutes les personnes qui lui semblent avoir un droit sur le bien; il peut aussi les entendre.

(2)  L’avis mentionné au paragraphe (1) :

a)   est donné ou signifié de la façon que le tribunal l’ordonne ou que prévoient les règles de celui-ci;

b)    prévoit le délai que le tribunal estime raisonnable ou que fixent les règles de celui-ci;

c) mentionne l’infraction désignée à l’origine de l’accusation et comporte une description du bien en question.

(3) Le tribunal peut ordonner que des biens qui autrement seraient confisqués en vertu des paragraphes 16(1) ou 17(2) soient restitués en tout ou en partie à une personne - autre que celle qui est accusée d’une infraction désignée ou celle qui a obtenu un titre ou un droit de possession sur ces biens de la personne accusée d’une telle infraction dans des circonstances telles qu’elles permettent raisonnablement d’induire que l’opération a été effectuée dans l’intention d’éviter la confiscation des biens - à la condition d’être convaincu que cette personne en est le propriétaire légitime ou a droit à leur possession et semble innocente de toute complicité ou collusion à l’égard de l’infraction.

On constate aussi que ce même tribunal peut restituer un bien infractionnel à un tiers propriétaire légitime ou à une personne détenant des droits à l’égard dudit bien.  Cela inclut le Syndic.

Pour cela, le Tribunal en question doit pouvoir être informé de l’existence des droits des tiers, y compris des droits du Syndic.

[28]        L’article 19.1 LRCDAS prévoit certains avis spécifiques aux habitants ou occupants d’une maison d’habitation membres de la famille immédiate de l’accusé.

[29]        Puis, l’article 20 de cette loi prévoit que quiconque (incluant le Syndic) prétend avoir un droit sur un bien infractionnel confisqué peut s’adresser au Tribunal dans les 30 jours pour faire valoir ses droits[2] :

20. (1)  Quiconque prétend avoir un droit sur un bien infractionnel confisqué au profit de Sa Majesté en vertu des paragraphes 16(1) ou 17(2) peut, dans les trente jours suivant la confiscation, demander par écrit à un juge de rendre en sa faveur l’ordonnance prévue au paragraphe (4); le présent paragraphe ne s’applique pas aux personnes suivantes :

a)   celle qui a été reconnue coupable de l’infraction désignée commise relativement à un bien confisqué  aux termes du paragraphe 16(1);

b)    celle qui a été accusée de l’infraction désignée commise relativement à un bien confisqué aux termes du paragraphe 17(2);

c)   celle qui a obtenu, de l’une ou l’autre des personnes visées aux alinéas a) ou b), un titre ou un droit de possession sur ce bien dans des circonstances telles qu’elles permettent raisonnablement d’induire que l’opération a été effectuée dans l’intention d’éviter la confiscation du bien.

(2)     Le juge saisi de la demande fixe la date de l’audition, laquelle doit être postérieure d’au m oins trente jours à celle du dépôt de la demande.

(3)     le demandeur fait signifier un avis de sa demande et de la date d’audition au procureur général au moins quinze jours avant celle-ci.

(4)     Le juge peut rendre une ordonnance portant que le droit du demandeur n’est pas modifié par la confiscation et précisant la nature et la portée ou la valeur de ce droit, s’il est convaincu lors de l’audition de la demande que l’auteur de celle-ci :

a)   d’une part, n’est pas l’une des personnes visées aux alinéas (1)a), b) ou c) et semble innocent de toute complicité ou collusion à l’égard de l’infraction désignée qui a donné lieu à la confiscation;

b)    d’autre part, a pris bien soin de s’assurer que le bien en cause n’avait vraisemblablement pas servi à la perpétration d’un acte illicite par la personne à qui il avait permis d’en prendre possession ou de qui il en avait obtenu la possession ou, dans le cas d’un créancier hypothécaire ou d’un titulaire de privilège ou de droit semblable, par le débiteur hypothécaire ou le débiteur assujetti au privilège ou au droit en question.

(5)     Le demandeur ou le procureur général peut interjeter appel à la cour d’appel d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe (4), auquel cas les dispositions de la partie XXI du Code criminel qui traitent des règles de procédure en matière d’appel s’appliquent, avec les adaptations nécessaires.

(6)     Le ministre est tenu, à la demande de toute personne à l’égard de laquelle une ordonnance a été rendue en vertu du paragraphe (4) et lorsque les délais d’appel sont expirés et que l’appel interjeté a été tranché, d’ordonner :

a)   soit la restitution, au demandeur, du bien ou de la partie du bien sur laquelle porte le droit de celui-ci;

b)  soit le paiement, au demandeur, d’une somme égale à la valeur de son droit déclarée dans l’ordonnance.

            b)         La LFI, L.R.C. 1985, ch. 13-3

[30]        La LFI contient les dispositions pertinentes suivantes.  Plutôt que de les citer toutes au long, j’en rappelle les grands principes, tels qu’énoncés dans le plan d’argumentation du Syndic, sauf certaines dispositions qui nécessitent une citation plus élaborée.

[31]        Dans un premier temps, dès qu’il y a faillite, toutes les procédures instituées contre le débiteur et contre ses biens sont suspendues.

[32]        L’article 69.3 LFI stipule notamment ce qui suit :

69.3 (1)  Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2) et des articles 69.4 et 69.5, à compter de la faillite du débiteur, ses créanciers n’ont aucun recours contre lui ou contre ses biens et ils ne peuvent intenter ou continuer aucune action, mesure d’exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite.

                         (1.1)  Le paragraphe (1) cesse de s’appliquer à tout créancier le jour de la libération du syndic.

            Notons que cet article s’applique aux créanciers du débiteur.  Le Procureur général du Canada prétend qu’il n’est pas un « créancier » mais plutôt l’exécutant d’un processus de sanction d’un acte criminel.  Ainsi, le PGC n’a pas à déposer une réclamation prouvable en matière de faillite et donc la LFI lui est inopposable en l’espèce.

[33]        Le Syndic prétend, pour sa part, que l’ordonnance de blocage émanant de l’article 14 LRCDAS est assimilable à une saisie avant jugement et donc, en vertu de son article 70, la LFI a priorité sur ladite ordonnance :

70. (1)  Toute ordonnance de faillite rendue et toute cession faite en conformité avec la présente loi ont priorité sur toutes saisies, saisies-arrêts, certificats ayant l’effet de jugements, jugements, certificats de jugements, hypothèques légales résultant d’un jugement, procédures d’exécution ou autres procédures contre les biens d’un failli, sauf ceux qui ont été complètement réglés par paiement au créancier ou à son représentant, et sauf les droits d’un créancier garanti.

            Ainsi, selon le Syndic, tant et aussi longtemps que le processus de confiscation n’est pas complété au moment de la faillite, l’ordonnance de blocage n’a plus d’effet et les biens visés par cette ordonnance de blocage sont dévolus au Syndic, aux termes de l’article 71 LFI.

[34]        L’article 72 LFI se lit ainsi :

72. (1)  La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.

                         (2)  Nulle ordonnance de faillite, cession ou autre document fait ou souscrit sous l’autorité de la présente loi n’est, sauf disposition contraire de celle-ci, assujetti à l’application de toute loi en vigueur à toute époque dans une province relativement aux actes, hypothèques, jugements, actes de vente, biens ou enregistrements de pièces affectant le titre afférent aux biens, meubles ou immeubles, personnels ou réels, ou les privilèges ou charges sur ces biens.

            Si le Syndic peut se prévaloir de toute disposition de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, ce qui lui donne effectivement tous les droits du débiteur dans le bien infractionnel visé, il faut alors se poser la question suivante :  le pouvoir de confiscation d’un bien infractionnel constitue-t-il une entorse à la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils ou constitue-t-il l’exercice de la compétence fédérale en matière criminelle?  Dans le mesure où il s’agit ici de l’exercice de la juridiction fédérale en matière pénale, le PGC plaide que les dispositions de la LRCDAS constituent une extension de ce pouvoir et donc que ce processus a préséance sur toute autre loi fédérale sauf la Charte canadienne.

            Le Syndic, au contraire, plaide que la LFI conserve sa préséance mais n’attaque pas la constitutionnalité des dispositions précitées de la LRCDAS.

[35]        Les autres articles pertinents de la LFI portent sur :

-           l’obligation pour toute personne qui réclame un bien du failli doit produire une preuve de réclamation aux termes des articles 81(1) et (5) LFI;

-           le fait que les biens du failli doivent être colloqués selon l’ordre prévu à l’article 136 LFI.

-           le fait que seule la Cour supérieure du Québec a compétence pour trancher toute question relevant de l’application de la LFI (articles 183(1.1) et 187(2) LFI).

ANALYSE ET DISPOSITION

[36]        Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que la LRCDAS a effectivement préséance sur les dispositions de la LFI, et ce, même si la LFI lie la Couronne et que la LFI prévoit expressément que lorsque la Couronne est créancière d’un droit ou d’un bien faisant partie du patrimoine du Débiteur, cette créance n’est pas prioritaire à moins que la LFI ne lui accorde une telle priorité.

[37]        Pour conclure ainsi, il faut respecter la logique du droit criminel par rapport au droit civil et au traitement des créances civiles.  Pour cela, il faut regarder attentivement l’objet recherché par le législateur en adoptant un régime exceptionnel qu’est celui de la confiscation des biens d’un criminel tant sous l’empire du Code criminel, de la LRCDAS ou de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes[3].  Dans son plan d’argumentation, le Syndic ne cite aucune autorité sur la question de la préséance entre la LFI et la LRCDAS.  Son argument s’articule autour des grands principes dégagés de la LFI.

[38]        Il est bien établi, notamment depuis la décision de la Cour suprême dans Century Services Inc. c. Canada (Procureur général) [2010] 3 R.C.S. 379, que les fiducies réputées du gouvernement du Canada en matière de TPS ne s’appliquent pas lorsque la débitrice se réclame de la protection de la LACC ou de la LFI mais cette autorité ne discute pas de la question soumise en l’instance, soit la préséance de la LRCDAS sur la LFI.  Dans Century Services, les dispositions de la LFI et de la LACC font que la Couronne détentrice d’une créance fiscale perd toute priorité ou caractère privilégié face à un syndic de faillite ou à un contrôleur en matière de réorganisation.  En l’instance, il s’agit d’une toute autre question et je ne vois pas comment l’affaire Century Services peut recevoir application.

[39]        L’affaire Levy c. Azco Mining, [2001] 3 R.C.S. 978, n’est pas non plus d’une grande utilité, traitant plutôt d’une demande portant sur des droits contractuels purement privés.  On est loin, ici, d’un quelconque enseignement nous permettant de résoudre la question soulevée ici.

[40]        Idem pour les principes de l’arrêt Vachon c. Commission de l’emploi et de l’immigration, [1985] 2 R.C.S. 417 ou encore de l’affaire Banque Fédérale de Développement c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 1061, sur lesquels je ne crois pas utile de commenter.

[41]        Je suis, d’ailleurs, tout à fait d’accord avec les conclusions de ces deux arrêts tout comme je le suis avec les commentaires de la Cour d’appel de l’Ontario dans Canada (Superintendent of Bankruptcy v. 407 ETR Concession Company Limited) 2013 ONCA 769, qui traite de la doctrine de la préséance d’une loi fédérale (en l’occurrence la LFI) sur une loi provinciale (la « loi 407 ») et où la juge Pepall reprend les grands principes de la jurisprudence précitée (voir les paragraphes 27 à 41 de son opinion).  Malheureusement pour le Syndic, on traite, ici comme dans les autres arrêts précités, de montants réclamés par des créanciers qui sont des dettes à caractère civil plutôt que des sommes ou des biens que l’on cherche à confisquer dans un contexte de droit criminel.

[42]        Même si l’objet général de la LFI « consiste à assurer la bonne administration des affaires du failli en maintenant un juste équilibre entre les droits des créanciers et l’opportunité de permettre au failli de repartir à neuf »[4], on doit faire les distinctions qui s’imposent dans un contexte d’application de sanctions reliées à des crimes.

[43]        Je dois faire le même commentaire face à l’arrêt de la Cour suprême dans Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, [2009] CSC 49; [2009] 3 R.C.S. 286, où la créance de Revenu Québec pour la TVQ a été jugée comme une créance ordinaire.  En l’absence de la spécificité découlant d’une loi à caractère criminel, la question ne se pose tout simplement plus :  la LFI a une très large portée, les créances privilégiées prioritaires ou affectées d’une fiducie présumée de la Couronne perdent leur rang prioritaire et deviennent des créances ordinaires soumises à l’ordre de collocation de l’article 136 LFI sauf si ces mêmes créances sont « protégées » par l’article 67 de cette même loi.

[44]        Le Syndic s’appuie sur l’affaire Fitzgibbon en Cour suprême du Canada pour justifier la préséance de la LFI sur les dispositions du Code criminel prévoyant des ordonnances de remboursement sous l’empire de l’article 726 C.c. (anciennement l’article 653).

[45]         Dans ce cas particulier, l’accusé Fitzgibbon était un ancien avocat, condamné pour fraude à l’égard de ses clients.  Dans sa sentence, le juge a ordonné à l’accusé de rembourser certains montants à un client et à la Société du barreau du Haut-Canada sous forme d’ordonnance de remboursement.  Fitzgibbon était alors un failli non libéré.

[46]        La Cour suprême a jugé que le juge pouvait prononcer une telle ordonnance sans obtenir préalablement l’autorisation de la Cour de faillite mais que les bénéficiaires devaient s’adresser à cette même Cour pour percevoir leur dû.  En d’autres termes, l’ordonnance de remboursement fait partie du « sentencing » de l’accusé mais l’exécution de cette ordonnance en faveur du bénéficiaire est assujettie au processus de la LFI.

[47]        Une telle approche est tout à fait logique car l’exécution d’une dette civile entre un créancier (le Barreau et/ou le client) et le Débiteur (le failli) n’est pas créée par la sentence.  Celle-ci ne fait qu’en ordonner l’exécution comme partie intégrante de la sentence.  Le juge Cory écrit :

«  Le juge Martin a jugé de plus que l’ordonnance de dédommagement faisait partie intégrante du processus de détermination de la peine.  Il a affirmé qu’elle ne constituait pas une action, exécution ou autres procédures pour le recouvrement d’une réclamation prouvable en matière de faillite au sens du par. 49(1) de la Loi sur la faillite.  En conséquence, il a décidé qu’il n’était pas nécessaire de demander ni d’obtenir l’autorisation du tribunal de faillite avant de rendre une ordonnance de dédommagement dans le cadre du prononcé d’une peine.

    Selon le juge Martin, bien qu’une ordonnance de dédommagement soit exécutoire comme un jugement civil, l’ordonnance elle-même n’accorde pas de priorité de rang à la Société du barreau ou à Gatien.  Elle a plutôt l’effet d’accorder à la Société du barreau et à Gatien le même rang que les autres créanciers non garantis de Fitzgibbon dans les procédures de faillite.  Cependant, il a fait remarquer que l’exécution forcée de l’ordonnance de dédommagement pourrait entraîner la création d’une telle priorité de rang.  Il a aussi signalé que l’art. 148 de la Loi sur la faillite prévoyait que la libération d’un failli ne le libérait pas de ses dettes ou obligations qui découlaient d’actes frauduleux commis à titre de fiduciaire.  En conséquence, l’ordonnance rendue contre Fitzgibbon pourrait être exécutée même après sa libération comme failli quand il aurait reçu crédit pour les reliquats de comptes du syndic de faillite.

[48]        Mais, l’ordonnance de remboursement n’est pas comparable à l’effet d’une ordonnance de blocage suivie d’une confiscation aux termes de la LRCDAS.

[49]        Dans un cas, le bénéficiaire (le Barreau ou le client) peut percevoir la somme qui lui est due en enregistrant le jugement de la Cour pénale et ce jugement est alors « exécuté contre l’accusé de la même manière que s’il était un jugement rendu contre lui devant cette Cour dans des procédures civiles »[5].  Ainsi, la disposition spécifique du Code criminel prévoit que l’exécution de l’ordonnance de remboursement est une affaire purement civile et « l’intégrité de la Loi sur la faillite se trouve donc préservée »[6].

[50]        Par ailleurs, le juge Cory ajoute ce qui suit[7] :

«  Il y a lieu de souligner que, dans l’arrêt In re Lévis Automobiles Inc. :  Gingras v. Cour des Sessions de la Paix, [1973] C.A. 670, 12 C.C.C.(2d) 182, la Cour d’appel du Québec a confirmé l’importance du maintien de la distinction entre la procédure criminelle et la procédure civile.  Le juge Crête (tel était alors son titre) fait remarquer que les dispositions de l’art. 40 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1952, ch. 14 (ensuite S.R.C. 1970, ch. B-3, art. 49 et aujourd’hui L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 69), ne pourraient pas s’appliquer à des procédures pénales ou criminelles qui viseraient l’imposition d’une peine d’amende ou d’emprisonnement.  Dans le même arrêt, le juge Turgeon mentionne qu’en principe, les tribunaux criminels ne doivent pas être soumis au contrôle des tribunaux civils.  Cet arrêt étaye les conclusions auxquelles j’arrive.

    Je suis d’avis de conclure que l’on peut rendre l’ordonnance de dédommagement prévue au par. 653(1) sans obtenir le consentement du tribunal de faillite.  Ce n’est qu’au moment où les bénéficiaires de l’ordonnance de dédommagement voudront se prévaloir du par. 653(2) et produire l’ordonnance à la cour supérieure d’une province qu’ils devront obtenir le consentement préalable du tribunal de faillite.

[51]        Ainsi, l’affaire Fitzgibbon ne solutionne pas le problème qui nous occupe.

[52]        Le Syndic se replie finalement sur le jugement de mon collègue, le juge Gaétan Dumas, dans l’affaire Re :  Bouloud (syndic de), 2010 QCCS 4840.

[53]        Dans cette affaire, l’Agence des services frontaliers du Canada a saisi du débiteur Bouloud un montant de 53 157,83$ alors qu’il revenait au Canada.  De plus, la Gendarmerie Royale du Canada a saisi la somme de 26 000,00$, suite à une perquisition à la résidence du débiteur.

[54]        Le juge Dumas a donc eu à décider quel était le tribunal qui avait juridiction sur les sommes saisies et quelle loi a préséance sur l’autre (la LFI, le Code criminel ou la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la LRPC).

[55]        Bouloud a fait faillite le 23 janvier 2009.

[56]        En date du 19 octobre 2009, il est accusé de 18 chefs de fraude.

[57]        Préalablement à ces accusations mais après sa faillite, Bouloud se fait intercepter alors qu’il tentait de quitter le pays avec 53 157,83$.

[58]        Le juge Dumas est confronté à des dispositions de la LRPC qi prévoit la confiscation au profit de la Couronne de toute somme saisie selon les dispositions de ladite loi quant à la somme de 53 157,83$.

[59]        Il est aussi confronté aux dispositions du Code criminel en vertu desquelles la somme de 26 000,00$ a été saisie par la GRC.

[60]        Malgré cela, le Syndic prétend que sa juridiction sur les biens du failli fait obstacle à toute saisie ou confiscation d’actifs de la part de la Couronne fédérale, peu importe le processus prévu au Code criminel ou à la LRPC.

[61]        Après une longue et fort complète analyse et une revue fort exhaustive de la jurisprudence, le juge Dumas s’exprime préalablement ainsi qu’il suit :

[65]      Le syndic rappelle que si le législateur avait voulu accorder une priorité aux victimes de fraude, il aurait très bien pu accorder une priorité à ceux-ci en les ajoutant à l’ordre de collocation prévue à 136 LFI.  D’ailleurs, le législateur accorde une certaine reconnaissance aux victimes de fraude en mentionnant que le failli ne sera pas libéré de ce genre de dettes.

[66]      En somme, selon le syndic, le législateur fédéral a décidé que les victimes d’actes criminels n’auront pas un rang supérieur aux autres pour les fins de distribution du patrimoine du failli mais leurs réclamations survivront à l’ordonnance de libération.

[62]        Puis, il ajoute :

[104]    L’article 67(1) LFI prévoit :

            « 67.(1)  Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :

                         (…)

                         Mais ils comprennent :

c)              tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération, y compris les remboursements qui lui sont dus au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année civile - ou à l’exercice lorsque celui-ci diffère de l’année civile - au cours de laquelle il a fait faillite, mais à l’exclusion de la partie de ces remboursements qui (…)

d)              les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice. »

[105]    Aux termes de l’article 67 LFI, il suffit que le bien appartienne au failli au moment de la faillite pour qu’il fasse partie du patrimoine de ce dernier et soit automatiquement dévolu au syndic.

[112]    Le crime ne paie pas.  C’est pourquoi, la Cour d’appel, dans Oerlikon Aerospatiale Inc. c. Ouellette, mentionne :

            «  Le législateur par ces diverses mesures entend, en quelque sorte, signaleur au public que la justice ne saurait tolérer que le crime tourne ou même paraisse tourner à l’avantage économique, même provisoire du délinquant. »

[113]    Par contre, cela ne dispose pas du litige.  Bien qu’il s’agisse de biens volés ou frauduleusement obtenus, la question est de savoir ce qui adviendra de ces biens.

[63]        Le juge Dumas a conclu que la juridiction des cours criminelles et celle de la Cour de faillite sont concurrentes, chacune pour la partie de l’actif du failli qui peut leur revenir lorsqu’il s’agit d’appliquer les pouvoirs de la Couronne sous l’empire du Code criminel.

[175]    En conséquence, le tribunal de faillite doit donc laisser la Cour du Québec épuiser sa juridiction.  En principe, le juge de la Cour du Québec, après le plaidoyer, rendra une ordonnance à l’égard des biens prévoyant la remise de ceux-ci à leur propriétaire légitime ou à la personne qui a droit à leur possession légitime, s’ils sont connus.  Une fois que la Cour du Québec a décidé de la légalité de la possession, elle n’a d’autre choix que d’ordonner la remise au syndic de faillite.  Lorsqu’elle a affaire à un failli, il ne lui appartiendra pas de déterminer qui est le possesseur légitime puisque sa décision n’a pas force de chose jugée devant le Tribunal de faillite.  Peu importe que les sommes d’argents puissent être individualisées ou non, elles devront être remises au syndic.  Dans le cas où les victimes d’un vol peuvent identifier les objets, elles devront produire une preuve de réclamation au syndic qui en disposera.

[176]    En principe, il pourrait y avoir confiscation au profit de Sa Majesté si le propriétaire légitime ou la personne qui a droit à la possession légitime ne sont pas connus, mais cela n’est pas possible dans un cas de faillite.  En conséquence, le seul cas où il pourra y avoir confiscation au profit de Sa Majesté serait en cas d’illégalité de la possession de la chose.

[177]    Le juge de la Cour du Québec ne pourrait donc ordonner la confiscation que ce soit au profit de Sa Majesté ou même au profit du syndic.

[178]    Il ne pourrait non plus ordonner la remise des sommes aux victimes de la fraude du failli.  Cela n’est possible que s’il n’y a pas de faillite et qu’une ordonnance de confiscation au profit de Sa Majesté est prononcée afin qu’il en soit disposé selon les instructions du Procureur général ou de quelques autres façons.  Ces « autres façons » pourraient être la remise aux créanciers, mais nous n’avons pas à en décider.

[64]        Quant aux sommes saisies en vertu de la LRCP, il écrit :

[179]    Encore une fois, les procédures judiciaires prévues à la LRCP doivent suivre leur cours.  La loi a pour objet de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à en faciliter les enquêtes et les poursuites.  Le tribunal de faillite n’est certainement pas un tribunal spécialisé en ce domaine.  Il s’agit donc pour le ministre et la Cour fédérale d’épuiser leurs juridictions en conformité avec la loi et en suivant les procédures auxquelles réfère la Cour fédérale dans Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile).  Il appartiendra donc au ministre de confirmer la contravention à l’article 12 LRCP et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 29 qui consiste à déterminer s’il y a lieu de soustraire le demandeur aux conséquences de la contravention prévue à l’article 12.

[180]    Une fois cet exercice complété et  une fois la juridiction épuisée, le tribunal de faillite pourra exercer sa juridiction concurrente.  En conséquence, si le ministre décide, par exemple, de soustraire le demandeur aux conséquences de la contravention, il pourra ordonner la remise des sommes au syndic seulement.

[181]    Si le ministre décide, comme il aurait été possible de le faire dans l’affaire Sellathurai, qu’il a reçu une preuve qui confirme la légitimité de la provenance de l’argent, il ne pourra remettre ces sommes aux personnes qui prétendent avoir prêté de l’argent au failli.

[182]    Remettre l’argent directement aux créanciers du failli créerait, à leur égard, une priorité interdite en vertu de la LFI.  Toute remise d’argent devrait donc être faite au syndic s’il n’y a pas confiscation des sommes.

[183]    Par courtoisie, le ministre a avisé qu’il suspendait les recours jusqu’à ce que le tribunal de faillite ait décidé de la requête.  Le tribunal comprend que le ministre permettra au syndic de faire les représentations à la place du failli qui avait illégalement produit une opposition sans en aviser le syndic.

[65]        Le dispositif de sa décision stipule donc ce qui suit :

[193]    ACCUEILLE en partie la requête;

[194]    AUTORISE la continuation des procédures en regard de la somme de 53 157,83$, détenue par l’Agence des services frontaliers du Canada suite à la saisie du débiteur Ergun Bouloud.  Laquelle somme a été remise au ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux en conformité avec la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes;

[195]    DÉCLARE que cette somme devra être remise au syndic-requérant si le ministre en vient à la conclusion qu’il n’y a pas eu contravention à l’article 12 LRPC ou si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à soustraire le failli des conséquences de la contravention;

[196]    DÉCLARE que si le ministre conclut à la légitimité de la provenance des fonds, il ne pourra remettre lesdites sommes aux créanciers du failli mais devra les remettre directement au syndic-requérant;

[197]    LÈVE la suspension d’instance ordonnée par jugement de la Cour le 16 septembre 2010 dans les instances suivantes, pendantes devant la Cour du Québec, chambre criminelle, dans les dossiers d’Ergun Bouloud, à savoir :

                         -           500-73-003222-094

                         -           500-73-003268-097

                         -           500-73-003267-099

[198]    DÉCLARE qu’i appartient à la Cour du Québec d’exercer sa juridiction en conformité avec le Code criminel;

[199]    DÉCLARE que le propriétaire légitime et la personne qui a droit à la possession légitime de la somme de 26 000 $ saisie par la Gendarmerie royale du Canada est le syndic-requérant;

[200]    LE TOUT avec dépens en faveur du syndic sur une base avocat/client.

[66]        Somme toute, le juge Dumas donne préséance aux lois fédérales à caractère pénal sur la LFI en matière de saisies ou de confiscations de biens et réserve au Syndic ses droits résiduels sur ses mêmes biens.

[67]        La Cour d’appel s’est penchée sur l’opinion du juge Dumas dans Bouloud et a confirmé celle-ci sauf en ce qui a trait à la condamnation aux dépens sur la base avocat/client.  Le juge Beauregard :

18        Il est incorrect d’affirmer que celui qui est détenteur d’un droit de propriété dans un bien - donc détenteur d’un droit absolu - est lié par la LRP, alors que le syndic de faillite, qui n’a pas plus de droits que le propriétaire de ce bien, ne l’est pas.

19         La LRP a préséance sur la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.  La première loi transcende la seconde.  Dès l’instant que le fonctionnaire constate une violation au paragraphe 12 (1) de la LRP, il y a une fiction légale : du coup la propriété du bien passe à l’État (article 23).  Comme s’il s’agissait d’une expropriation sans indemnité.  Mais le propriétaire affecté par une saisie n’est pas sans recours.

20         Quelles sont les voies de recours du propriétaire d’un bien confisqué?  Elles sont seulement celles prévues à la LRP (article 24) et sont de deux ordres.

21         Premièrement, en application de l’article 25, le propriétaire - y compris le syndic - peut, dans les 90 jours de la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12 (1) de la LRP, par suite de quoi le ministre agira selon les dispositions des articles 28 et 29, et par suite de quoi encore il y aura possibilité d’un appel à la Cour fédérale en application du paragraphe 30 (1).

22         Deuxièmement, en application du paragraphe 32 (1), celui qui prétend avoir un droit en qualité de propriétaire dans le bien saisi peut demander à la Cour supérieure de confirmer ce droit et, si les conditions de l’article 33 sont satisfaites, de déclarer que la saisie ne porte pas atteinte à ce droit.

23         La LRP est une loi spéciale d’ordre public.  Elle comporte un code de procédure qui lui est propre et que doit suivre celui qui désire s’opposer à la saisie et faire annuler la confiscation.

24         Finalement, la proposition des intimés selon laquelle le juge n’avait aucune raison de les condamner à des dépens « sur une base avocat/client » est bien fondée.  De fait, comme la partie de la requête de l’appelant quant à la somme de 53 157,83 $ était irrecevable, en accueillant la partie de cette requête qui concernait la somme de 26 000 $, le juge aurait dû déclarer que chaque partie devait payer ses dépens.

                                                                                         (soulignements ajoutés)

[68]        Il faut donc conclure que des conclusions similaires à celles du juge Dumas dans Bouloud précitée seraient appropriées.

[69]        Plusieurs autres décisions ont conclu dans le même sens :

a)            R. c. Van Kessel, [2013] BCCA 221

Cette décision de la Cour d’appel de Colombie-Britannique confirme la préséance de la LRCDAS sur le droit privé (propriété et droit civil).  Bien qu’il s’agisse essentiellement de la contestation constitutionnelle de la LRCDAS par rapport au droit civil (de compétence provinciale aux termes de l’article 92(23) de la Constitution de 1867), on y retrouve l’ensemble du raisonnement portant sur l’objet de cette loi, qui constitue la base même de la proposition voulant que la LRCDAS ait préséance sur la LFI à cause de son rattachement intime avec le droit criminel.

S’appuyant sur les arrêts Craig c. R. [2009] R.C.S. 762 et R. c. Gisby [2000] ABCA 261, la Cour d’appel de Colombie-Britannique écrit :

19             Craig provides some assistance in arriving at a fair description.  This was a case of statutory interpretation, not a constitutional challenge.  However, it dealt with the same provisions at issue here.  Justice Abella, who gave the decision for the majority discussed the forfeiture regime before and after the amendments in this way :

[16] This scheme received extensive judicial consideration in R. v. Gisby, 2000 ABCA 261, 148 C.C.C. (3d) 549.  Wittmann J.A. described the purposes of the legislation as follows :

           The CDSA was enacted by Parliament to combat the illicit drug industry.  A review of the CDSA and in particular, the provisions related to the forfeiture of property, indicate that the CDSA does so both through punishment and deterrence.  The forfeiture provisions are punitive to the extent that they deprive one of offence-related property, broadcasting the message that Canadian society regards designated substance offences with abhorrence.  But they also introduce an element of deterrence in relation to designated substance offences.  In this respect, the forfeiture provisions attach a very real cost to the business of drug crime directly equivalent to the monetary value of the offence-related property that is subject to forfeiture, thus raising the stakes associated with the commission of those offences. [para. 19]

[17] He also concluded that forfeiture served a preventative purpose, helping « prevent or at least reduce the likelihood fo future offences by removing from the illicit drug industry property which, by virtue of the definition found at s. 2(1), is being used to facilitate the commission of a designated substance offence » (para. 20).  Finally, he noted that « it is often the case that offence-related property is not owned by the offender, but by a culpable third-party with some sort of relationship to him or her, and continues to be used for illicit purposes by other persons » (para. 21).

[18]   The Controlled Drugs and Substances Act was amended by Bill C-24 in 2001.  It contained two important changes of relevance to this appeal :  it expanded the definition of offence-related property to include any real property, including property not built or significantly modified for criminal purposes, and it set out a proportionality test in s. 19.1(3).

[20]    Do the amendments have substantially different purposes from those listed in Gisby?  They appear to be in pursuit of the same objectives: punishment, deterrence, and removal of property from the drug trade, even in relation to third party interest holders who have not been convicted of any designated drug offence.  As Mr. Riley argued on behalf of the respondent, only those interest holders who have allowed their property to be used for crime or who were complicit or colluded in the crime are subject to forfeiture.  He argued that the expanded range of property caught by the amendments still maintains a close connection to the drug offence.

[21]    The appellant argues that Craig effectively uncoupled forfeiture from sentencing and attenuated or diminished forfeiture’s criminal law characteristics.  The trial judge rejected that interpretation of Craig and I respectfully agree with him.

[22]     The concern of the majority in Craig was the potential unfairness in treating forfeiture interdependently with sentencing so that for an identical offence an offender with property to be forfeited may receive a lesser custodial sentence than an offender without property.  The solution was to separate the primary sentence from forfeiture and to confine the forfeiture analysis to s. 19.1(3) as a complete code.  The approach demanded that sentencing occur first in sequence, applying the general principles of sentencing with a focus on the offender.  Forfeiture goes second: the focus is on the property, and the only guiding principles are those expressed in s. 19.1(3).

[23]        I do not accept that the regime moved forfeiture in the CDSA any further away from its criminal law basis.  The following passage from the reasons of Abella J. set out the rationale in Craig

[40]   In addition to my concern that those without property should not be treated more harshly than those who have it, I see the purpose and statutory language underlying the forfeiture scheme as a reflection of Parliament’s intention that forfeiture orders be treated independently, pursuant to a separate rationale and as a distinct response to distinct circumstances.  The sentencing inquiry focuses on the individualized circumstances of the offender; the main focus of forfeiture orders, on the other hand, is on the property itself and its role in past and future crime.

[41]      For a start, the fact that forfeiture may apply to property owned by a complicit individual who is neither sentenced nor even charged with an offence is, to me, an indication that forfeiture orders and terms of imprisonment or other aspects of a sentence were intended to be treated as separate and distinctive consequences.  The forfeiture scheme is focused in part on taking offence-related property out of circulation and on confronting organized crime, whether or not the property is owned by the offender.  Individuals who have allowed their property to be used for criminal purposes, even if their conduct does not rise to the level of criminal liability with respect to the particular offence, may, as a result, also be subject to forfeiture orders, as reflected in s. 19(3), which provides a recovery mechanism for third-party owners of offence-related property to be forfeited.  Under that section, a court must be satisfied that individuals are innocent of any complicity or collusion in the offence before they can recover their property.  This is consistent with the historic roots of forfeiture as punishment for negligently allowing one’s property to be used for wrongful purposes, a consequence connected to, but not identical to, punishment for the offence. 

 [24] Forfeiture remains rooted in a criminal offence notwithstanding its separation from the primary sentencing process.

[25]     So in answering the pith and substance question “what does the law do and why?”, I would say that each of the articulations by the judge and counsel capture something essentially true about the law.  A synthesis of their versions might be expressed as a scheme to protect the public by taking real property used in a drug offence from those involved in the offence, or who permitted the unlawful use, in order to combat the illicit trade in drugs.

b)           Houle c. R., [2003] RJQ 436 (C.A.)

              Reprenant essentiellement le raisonnement de la Cour d’appel de l’Alberta dans Gisby précitée, le juge en chef Bisson, confirme la validité constitutionnelle de la LRCDAS et du processus de confiscation de biens infractionnels.  Ainsi, dans la mesure où ce régime est ainsi validé, l’ordonnance de blocage et le processus de confiscation des articles 14, 16, 19 et 20 de la LRCDAS ont pour effet de retirer les biens infractionnels du régime de droit civil conventionnel jusqu’à ce qu’il soit statué sur lesdits biens par la Cour criminelle compétente.

c)            R. c. Fercan Developments Inc. et al., Ontario Court of Justice, Court files nos. 11-04549 et 11-04550 (non rapporté), Monsieur le juge West écrit :

[21]      The forfeiture provisions in the CDSA are very similar to the forfeiture provisions contained in the Criminal Code, for example, sections 462.37, 462.38, 462.41, 462.42, which deal with forfeiture of proceeds of crime and sections 490.1, 490.2, 490.3 and 490.41 which deal with forfeiture of offence-related property.  It is of interest that a number of cases dealing with these provisions treat forfeiture as part of the sentencing process.  In R. v. Lavigne, [2006] 1 S.C.R. 392, the Supreme Court of Canada, in referring to the forfeiture provisions of the Criminal Code, stated at paragraphs 10 and 16 :

           

10           The sentence imposed for an offence under Part XII.2 on proceeds of crime consists of two elements :  the penalty for committing a designated offence (s. 462.3(1)), and forfeiture of the proceeds of crime (s. 462.37(1)).  The new provisions are in addition to existing methods.  The intention of Parliament is clear.  Not only must the act itself be punished, but it must not benefit the offender.  Parliament’s purpose in doing this is to ensure that crime does not pay.

 

16           Parliament’s intention in enacting the forfeiture provisions was to give teeth to the general sentencing provisions.  While the purpose of the latter provisions is to punish an offender for committing a particular offence, the objective of forfeiture is rather to deprive the offender and the criminal organization of the proceeds of their crime and to deter them from committing crimes in the future.  The severity and broad scope of the provisions suggest that Parliament is seeking to avert crime by showing that the proceeds of crime themselves, or the equivalent thereof, may be forfeited.

 

 

[25]      It is my opinion therefore, in light of the preceeding paragraphs, that the criminal forfeiture provisions contained in the CDSA are separate from the determination of an appropriate sentence to be imposed for a person convicted of a designated substance offence but are nonetheless part of the sentencing process or sentencing phase of the criminal proceeding.  I adopt the conclusion of McKinnon J., in Van Kessel, supra, at paragraph 49 :

 

             In my view, all Craig does is oblige judges to consider and sentence an offender regardless of real property interests.  Once that sentence has been impose then the Court considers the forfeiture provisions, having regard to the factors described in section 19.1 of the CDSA, including « the nature and gravity of the offence, the circumstances surrounding the commission of the offence and the criminal record, if any, of the person charged with or convicted of the offence ».

 

 

[40]       The effect of the CDSA’s forfeiture provisions is that upon a conviction for a designated substance offence, offence-related property is forfeited to the Crown, unless a court exercises its discretion not to order forfeiture pursuant to several statutory considerations, including the court being satisfied that a third party owner was innocent of complicity or collusion in the offence.  Property which is not used in relation to a criminal offence is unaffected by these provisions.  In my view, the effect of these provisions is very narrow and focused and only prescribes a consequence as a result of a conviction.

 

[41]      In my view, the impugned provisions of the CDSA are, in pith and substance, concerned with the forfeiture of offence-related property, after a conviction is entered, from either the offender or an uncharged complicit third party owner.

d)            Re :  Faillite de 9073-7453 Québec Inc., [2003] R.J.Q. 2545; J.E.2003-1600

Dans cette affaire, mon collègue le juge Michel Caron est confronté à une situation similaire que l’on retrouve ici.  Il est saisi d’une requête du syndic recherchant la radiation d’une ordonnance de blocage alléguant qu’une telle ordonnance équivaut à une saisie inopposable au syndic aux termes des dispositions de la LFI.  Il faut préciser que l’ordonnance de blocage avait été émise non pas en vertu de la LRCDAS mais en vertu des articles 462.33(3) et suivants du Code criminel.  Citant R. c. Martino, [1998] O.J. no. 6444 (Q.L.), laquelle s’appuie sur plusieurs autres décisions dont l’affaire Québec (Procureur général) c. Laroche, [2003] 3 R.C.J. 708, le juge Caron écrit :

[30]       Le tribunaux ont maintes fois décidé qu'une ordonnance de blocage est une saisie au sens de l'article 8 de la Charte.

[31]      Il est incontestable que toute loi du Québec relative aux biens et au droit civil en conflit avec les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité devient inapplicable.

[32] Les dispositions du Code criminel concernant les ordonnances de blocage ont été sanctionnées postérieurement aux articles de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité qui nous concernent.

[33]     Il s'infère que le législateur connaissait les prescriptions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité lors de l'adoption des articles 462 et suivants du Code criminel.

[34]   Les articles 462 et suivants du Code criminel ont été adoptés en vue de permettre d'immobiliser un bien obtenu par le biais de la criminalité.

[35]     Les dispositions prévues aux articles 462.33(3) du Code criminel prévoient spécifiquement que l'ordonnance interdit à toute personne de se départir des biens qui y sont mentionnés ou d'effectuer toute opération à l'égard des droits qu'elle détient sur ceux-ci sauf dans la mesure prévue par l'ordonnance.

[36]    L'ordonnance de blocage réfère à une relation entre l'État et un contrevenant alors que les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité impliquent une relation débiteur/créancier.

[37]    Permettre au syndic de disposer immédiatement de l'immeuble faisant l'objet du présent litige aurait pour conséquence de rendre sans effet et inopérante l'ordonnance de confiscation qui pourrait être éventuellement rendue.  À ce sujet, les procureurs ont indiqué au Tribunal que l'audition des plaintes pouvant conduire à telle ordonnance se tiendra au cours du mois d'octobre 2003.

[38]   D'autre part, si une telle ordonnance n'est pas prononcée, le syndic pourra disposer de l'immeuble et répartir l'équité en provenant lors d'une vente éventuelle.

[39]     L'esprit et l'économie de la loi ne peuvent conduire le Tribunal à conclure qu'un bien, réputé à ce stade-ci comme ayant été obtenu à l'aide d'un acte criminel, puisse servir à acquitter les dettes contractées par un débiteur.

[40]    Après analyse des autorités déposées par les parties et à la lumière des éléments ci-dessus mentionnés, le Tribunal conclut que les dispositions des articles 462 et suivants du Code criminel ont priorité sur les articles 70 et suivants sur la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

[70]        Face à une telle analyse, force est de constater que l’effet de l’ordonnance de blocage, en vertu de la LRCDAS, du Code criminel ou d’autres lois similaires est de retirer littéralement les droits de son propriétaire à l’égard du bien infractionnel visé.  Même si l’ordonnance de blocage est l’équivalent d’une saisie au sens de la Charte canadienne des droits et libertés, elle est, à mon sens, plus que cela car elle retire littéralement le bien infractionnel du marché, sous réserve de son possible retour, en tout ou en partie, à son ancien propriétaire lors de l’audition sur la confiscation.

[71]        Entretemps, le bien infractionnel ne fait tout simplement pas partie du patrimoine du Débiteur et est exclu de la saisine du Syndic.  M. le juge LeBel dans Laroche, paragraphe 55, pages 735-736 :

55   Tout d’abord, l’ordonnance de blocage immobilise le bien.  Comme le prévoit l’al. 462.33(3)a) (maintenant 462.33(3)), cet ordre interdit d’aliéner le bien visé et de l’utiliser autrement que de la manière prescrite par le tribunal.  Le possesseur se retrouve alors réduit au statut de gardien ou d’administrateur de son propre bien.  Il lui faut même obtenir une autorisation judiciaire pour en tirer des revenus ou des ressources.  Comme on l’a vu plus haut, il doit présenter une requête à cette fin sous le régime du par. 462.34(4) C. cr.  De plus, en vertu de l’al. 462.33(3)b) (maintenant par. 462.331(1)), le juge peut ordonner le transfert de la gestion des biens à un administrateur qu’il désigne.  Dans ce cas, la décision implique la dépossession pure et simple du possesseur.  Dans les deux hypothèses, le bien se trouve placé sous le contrôle juridique et effectif de la justice pénale.  Par surcroît, cette mesure de contrôle vise alors deux objectifs.  D’abord, on entend faciliter les enquêtes criminelles, par des dispositions procédurales qui rendent les biens et les informations qui s’y rattachent plus facilement accessibles à la police et au ministère public.  Ensuite, ces procédures cherchent à prévenir la disparition ou la dilapidation des biens.  Ceci permet de punir plus efficacement les crimes visés et facilite la mise à exécution des ordonnances de confiscation qui pourraient être prononcées dans l’avenir.  Ces caractéristiques, ce contexte et ces objectifs permettent de conclure que l’ordonnance de blocage doit être assimilée à une saisie au sens de l’art. 8 de la Charte.

[72]        Dans Lumen précitée, 151 D.L.R. (4d) 661; 119 C.C.C. (3D) 91, le juge Fish siégeant alors à la Cour d’appel du Québec, est catégorique :  les créanciers d’un débiteur failli n’ont aucun droit sur les biens d’un débiteur acquis ou utilisé dans un contexte criminel

[73]        Finalement, je suis d’avis que le processus de retrait du bien du patrimoine du failli se fait dès la signification de l’ordonnance de blocage et non lors de la confiscation proprement dite.

[74]        En conséquence, je dois conclure que les arguments du Procureur général du Canada sont convaincants et que ceux du Syndic requérant ne me permettent pas de lui donner raison, sauf en ce qui a trait à la protection de ses droits résiduaires.

[75]        Sur ce dernier point, je ne vois pas de problème à accepter partiellement la requête du Syndic en lui permettant d’enregistrer ses droits sur l’immeuble auprès du bureau de la circonscription foncière de Shefford, comme cela a été fait dans Bouloud.

[76]        L’enregistrement des droits du Syndic n’affecte en rien les droits du Procureur général du Canada.

[77]        Ce faisant, le syndic s’assure que le Procureur général sera mis au fait de la réclamation du Syndic sur l’immeuble dans le contexte de l’exécution de ses propres droits et pourra ainsi la considérer.

[78]        Si le Procureur général n’obtient pas la confiscation totale du Duplex en question, c’est effectivement au Syndic que devra revenir l’immeuble, dans sa totalité ou en partie.

[79]        Mais au-delà de cela, le Procureur général doit avoir gain de cause.

[80]        Ce dernier pourra se pourvoir devant le Tribunal de juridiction criminelle pour faire valoir que le bien infractionnel ne devrait pas être confisqué, en tout ou en partie.  S’il réussit, ce bien reviendra dans le patrimoine du Débiteur failli.

[81]        Par contre, je suis d’avis que vu la complexité du débat et le résultat mitigé pour les deux parties, il y a lieu d’exercer ma discrétion judiciaire et de ne pas statuer sur les dépens en faveur de l’une ou de l’autre d’entre elles.

 

POUR L’ENSEMBLE DE CES MOTIFS, le Tribunal :

[82]        ACCUEILLE en partie la requête du Syndic aux seules fins suivantes :

AUTORISE le Syndic à publier ses droits auprès de l’Officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Shefford à l’égard de l’immeuble ci-après décrit, savoir :

L’immeuble composé des lots 1141163, 1141166 et 1141169 de la circonscription foncière de Shefford

le tout sujet aux droits du Procureur général du Canada.

[83]        REJETTE toutes les autres conclusions de la requête du Syndic;

[84]        DÉCLARE que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a priorité sur la Loi sur la faillite et l’insolvabilité; et

[85]        DÉCLARE que le bien infractionnel visé par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ayant priorité sur la Loi sur la faillite et l’insolvabilité dans la présente instance (soit l’immeuble décrit au paragraphe 82 ci-haut) peut faire l’objet d’un processus de confiscation sous l’empire de l’article 14 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sans égard aux dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;

[86]        DÉCLARE que le Syndic aura la saisine de tout reliquat, s’il en est, dudit bien infractionnel une fois le processus de confiscation complété;

[87]        LE TOUT, sans frais.

 

 

________________________________

ROBERT MONGEON, J.C.S.

 

 

 

Me Antoine Lippé

Ministère de la Justice Canada

          Pour le Procureur général du Canada

 

Me Mathieu Thibault et Me Jean Legault

Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l.

          Pour le Syndic André Gabbay et Associés Inc.

 

 

Date d’audience :

Le 6 mai 2015

 



[1] Pour que le Tribunal puisse donner avis aux intéressés et les entendre, encore faut-il qu’il en soit informé.  A cet égard, le Syndic pourrait donc avoir un intérêt à pouvoir enregistrer ses droits sur le Duplex.

[2] Là aussi, encore faut-il que le Syndic soit informé de la décision du Tribunal ayant prononcé la confiscation.

[3] L.C. 2000, c. 17.

[4] Husky Oil Ltd v. MRN, [1995] 3 R.C.S. 453, ainsi que les mots du juge Jean-Yves Lalonde dans Re :  Location Bristar Idealease Inc. (Syndic de), 2012 QCCS 211, au paragraphe 96.

[5] Texte de l’article 653 C.cr. en vigueur à l’époque.

[6] Per. Cory J., page 1017(c).

[7] Page 1017(h) à 1018(b).

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