Décision

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Décision

Lacasse c. Bourgie

2019 QCRDL 21611

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

431665 31 20181210 G

No demande :

2646745

 

 

Date :

02 juillet 2019

Régisseure :

Lise Gélinas, juge administrative

 

Sonia Lacasse

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Bernard Bourgie

 

Carmen Di Maria

 

Carmen Veronica Zarruck

 

Anciens locateurs - Partie défenderesse

et

Jean-François Beaudet

 

Nouveau locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire demande le remboursement de 825 $ payé en trop pour le loyer du mois d’août 2018, une diminution de loyer de 20 % rétroactivement au 1er août 2018, l’exécution de réparations nécessaires, des dommages moraux de 500 $ pour troubles et inconvénients, des dommages-intérêts de 200 $, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, plus les frais.

[2]      Le 14 mars, la locataire amende sa demande pour ajouter le nouveau locateur, Jean-François Beaudet.

[3]      Les parties sont liées par un bail du 1er août 2018 au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 1 200 $.

[4]      Malgré le commencement du bail au 1er août 2018, la locataire prend possession de son logement le 21 août 2018. Elle témoigne qu’il lui a été impossible d’en prendre possession avant cette date car plusieurs objets de l’ancien locataire étaient restés sur place. Qui plus est, plusieurs réparations, promises à la signature du bail n’avaient pas encore été effectuées. La locataire a dû se loger ailleurs chez ses parents.

[5]      D’abord, elle n’a pas eu accès au logement avant le 14 août, il n’y avait pas d’installation sanitaire avant cette date.


[6]      Par surcroît, elle est instable et l’eau coule du réservoir. La locataire avise le locateur. À l’audition, l’eau ne coule plus, mais la toilette est toujours instable, elle branle. Des plaques de prises électriques sont manquantes dans la majorité des pièces, les calorifères ne sont pas vissés au mur, la cuisinière de l’ancien locataire est restée là jusqu’au 14 août, la sonnette ne fonctionne pas, le comptoir de la cuisine est encombré de débris, de pots de peinture, d’outils et il n’y a pas de coupe-froid aux portes d’entrée avant et arrière. De plus, le logement est encombré de biens appartenant à l’ancien locataire.

[7]      La locataire a aussi accès au sous-sol qui est une cave de service. Il n’y a pas de chauffage, c’est excessivement humide.  La locataire démontre à l’aide d’un hygromètre que l’humidité s’élève à 72 %. On y retrouve des feuilles de gypse moisies, des ballots de laine isolante et des palettes de bois. L’installation pour les laveuse et sécheuse au sous-sol est déficiente et il n’y a pas de tuyau menant vers l’extérieur pour la sécheuse.

[8]      La cour est également encombrée de détritus et donc inutilisable.

[9]      Au mois d’octobre 2018, le chauffe-eau est défectueux, il boucane. Les installations pour les laveuse et sécheuse n’ont été effectuées qu’à la fin du mois de septembre 2018. Le 29 novembre 2018, le locateur, Bernard Bourgie, lui retire le déshumidificateur. Il allègue la vente de l’immeuble à Jean-François Beaudet et mentionne que ce déshumidificateur lui appartient.

[10]   L’installation du chauffage au sous-sol s’effectuera le 9 janvier 2019. Au mois de mars 2019, la porte avant du logement est vandalisée : il n’y a plus de vitre dans la porte d’entrée avant et celles de deux fenêtres sont cassées. Une planche de bois est installée dans la porte avant au lieu de la vitre.

ANALYSE ET DÉCISION

[11]   La locataire fonde son recours sur les articles 1854, 1863, 1864 et 1910 du Code civil du Québec qui se lisent comme suit :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.

1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.

1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.

La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.

[12]   Les obligations du locateur mentionnées au premier paragraphe de l'article 1854 du Code civil du Québec sont dites de résultat dont il ne pourra se soustraire qu'en invoquant la force majeure.

[13]   À ce sujet, les auteurs Baudouin et Jobin s'expriment ainsi :

« ...Dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une absence de faute. »[1]


[14]   Donc, l'obligation du locateur à l'article 1854 al. 2 du Code civil du Québec est encore plus sévère puisqu'il s'agit d'une obligation de garantie :

« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[2]

[15]   Des témoignages soumis, le Tribunal constate que le locateur a fait défaut à son obligation de fournir à la locataire un logement en bon de réparation et d’habitabilité, l’empêchant de jouir paisiblement des lieux loués pendant plusieurs mois. Cependant, la locataire témoigne que cette perte de jouissance a cessé le 29 novembre 2018, à la vente de l’immeuble.

[16]   Pour obtenir une diminution de loyer, il faut que la perte soit réelle, sérieuse et substantielle. Le critère sérieux réfère à quelque chose d’importance.  Comme l’indiquait le juge administratif Gilles Joly dans Gagné c. Larocque[3] :

« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.

Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. » (Notre soulignement)

[17]   Quant au fardeau de la preuve, les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec stipulent qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit ou son extinction d’en faire la démonstration au moyen d’une preuve ayant force probante. Ce principe est capital, car comme l’ont exprimé les auteurs Ducharme et Nadeau au sujet des conséquences reliées au manque de preuves ou à une preuve insuffisante :

« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre et contradictoire et que le juge se trouve dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[4]

[18]   Il appartient donc à la locataire de démontrer, par preuve prépondérante, un défaut d'exécution des obligations du locateur ayant résulté en une perte sérieuse et substantielle de jouissance des lieux.

[19]   Le 3 avril, soit le jour de l’audition, la locataire affirme que la cave est désencombrée de tous les détritus et objets moisis, le chauffage est rétabli et les installations pour les laveuse et sécheuse sont fonctionnelles. La preuve n’a pas démontré la nécessité de remettre un déshumidificateur dans la cave.  Cependant, elle témoigne que les coupe-froid aux portes avant et arrière ne sont toujours pas installés et les vitres de la porte d’entrée avant et des fenêtres ne sont pas encore remplacées. Le Tribunal ordonnera d’effectuer ces réparations.

[20]   Ainsi, de l’ensemble de la preuve soumise, par son témoignage et les photos, la locataire a prouvé par preuve probante qu’elle a perdu la jouissance paisible des lieux et qu’elle a subi des troubles et inconvénients. Le Tribunal évalue la diminution de loyer à laquelle la locataire a droit à une somme globale de 2 000 $ et accordera 500 $ à titre de dommages moraux. Quant aux dommages matériels, la preuve est absente.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]   ACCUEILLE la demande;

[22]   CONDAMNE le locateur, Bernard Bourgie, à payer à la locataire la somme de 2 500 $ avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 24 octobre 2018, date de la mise en demeure, plus les frais;

[23]   ORDONNE au locateur, Jean-François Beaudet, d’installer les coupe-froid aux portes d’entrée avant et arrière et de remplacer les vitres de la porte d’entrée avant et des fenêtres dans les 20 jours du présent jugement;

[24]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lise Gélinas

 

Présence(s) :

la locataire

le locateur Bernard Bourgie

le nouveau locateur Jean-François Beaudet

Date de l’audience :  

3 avril 2019

 

 

 


 



[1] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 5e Édition, Cowansville, Y. Blais, 998, pages 36-37.

[2] Idem.

[3] R.L., 31-970501-054-G, 1er décembre 1997.

[4] Ducharme, Léo et Nadeau, André, Traité de droit civil du Québec, Tome 9, Montréal, Wilson et Lafleur, p.98.

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