Groupe Raf Ray (4067240 Canada inc.) c. Okoli | 2025 QCTAL 19106 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 580593 31 20210722 G | No demande : | 3302303 |
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Date : | 29 mai 2025 |
Devant le juge administratif : | Ross Robins |
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Groupe Raf Ray 4067240 Canada Inc | |
Locateur - Partie demanderesse |
c. |
Amadi Okoli | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- Cette affaire dure depuis le 22 juillet 2021.
- Ce jour-là, le locateur a déposé une demande dans laquelle il soutient que le locataire n'a pas payé le loyer de 750 $ pour le mois de juillet 2021.
- Il demande la résiliation du bail, l'expulsion concomitante du locataire et le recouvrement de 750 $ ainsi que des arriérés supplémentaires dus à la date de l'audience.
- Les parties ont été convoquées le 7 septembre 2021, mais le président du tribunal - et non le soussigné - a reporté l'audience par manque de temps.
- Depuis, l'affaire a connu trois (3) amendements, tous par le locateur, et a donné lieu à cinq (5) audiences additionnelles et deux (2) décisions interlocutoires.
- Dans son premier amendement (31 août 2021), le locateur a précisé que le locataire occupait l'appartement 2, et non l'appartement 1. Il déclare avoir attribué par erreur l'appartement 1 au locataire dans sa demande initiale.
- Dans son deuxième amendement (11 novembre 2023), le locateur soutient que le locataire n'a pas payé l'énergie qu'il a consommée dans le logement (appartement 2) et qu'Hydro-Québec a coupé le courant. Il ajoute que le locataire a par la suite procédé au chauffage du logement au propane et demande qu'il lui soit ordonné de mettre fin à cette pratique dangereuse. Autrement, le locateur demande la résiliation du bail et l'expulsion du locataire.
- Dans son troisième amendement (1er février 2024), le locateur allègue que le locataire a illégalement entreposé une quantité démesurée de ses effets personnels - valises, vélos et autres objets divers - dans la cave de l'immeuble et qu'il a ainsi empêché les plombiers du locateur d'accéder aux canalisations. Il a demandé une ordonnance d'exécution en nature qui enjoindrait au locataire de retirer ses biens du sous-sol.
- La première décision interlocutoire a été rendue le 17 janvier 2022 et la seconde le 26 juin 2024.
- Dans sa décision du 17 janvier 2022, le tribunal a exposé les positions opposées des parties.
- Lors de l'audience du 21 octobre 2021, le mandataire du locateur a témoigné que ce dernier avait acquis l'immeuble résidentiel d'un certain Makoni en mai 2021.
- Le mandataire a ensuite déclaré que le locataire n'avait pas payé le loyer de 750 $ pour les mois de juin, juillet, août, septembre et octobre 2021 et qu'il était redevable d'arriérés d'un montant de 3 750 $.
- À l'appui de cette affirmation, il produit un bail que Makoni et le locataire ont signé le 1er avril 2021. Le bail stipulait que le terme courrait du 1er avril 2021 au 1er mars 2022 pour un loyer mensuel de 750 $.
- Le locataire insiste sur le fait que sa signature a été falsifiée, mais il n'apporte aucune preuve à l'appui de cette allégation facile.
- Il a toutefois souligné, avec raison, que le document susmentionné révélait que les termes et conditions qu'il contenait s'appliquaient à l'appartement 1 et non à l'appartement 2.
- Cela dit, le locataire, M. Okoli, a admis qu'à un moment donné, il avait occupé les deux appartements simultanément. Il a ajouté qu'il résidait actuellement dans l'appartement 2, mais qu'il continuait à entreposer certains de ses meubles dans l'appartement 1.
- Okoli a insisté sur le fait que le loyer qu'il était tenu de payer pour l'appartement 2 était de 500 dollars par mois.
- À l'appui de cette affirmation, il a produit un document censé être un bail résidentiel entre Amadi Okoli et une personne morale connue sous le nom de Horizon Lion inc. (« Horizon »)
- Le document désigne Horizon comme propriétaire et Okoli comme locataire.
- Okoli a déclaré être l'unique actionnaire d'Horizon.
- Le prétendu contrat de bail entre Okoli et Horizon (qu'il désigne comme « sa » société) a été signé le 27 juillet 2017. Il porte deux (2) signatures, toutes deux celles d'Okoli. Il apparaît qu'il a signé en son nom personnel, en tant que locataire et au nom d'Horizon, en sa qualité de locateur (d'Okoli).
- Le logement loué est désigné comme l'appartement 2 et prévoit une durée de sept (7) ans du 1er juillet 2018 au 30 juin 2025 pour un loyer mensuel de 500 $.
- Okoli, en sa qualité de signataire autorisé d'Horizon, semble ne pas avoir été dérangé par l'interdiction des conflits d'intérêts qui sont définis sans ambiguïté dans le Code civil du Québec, la Loi sur les compagnies du Québec ou la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
- Cependant, Okoli a ensuite témoigné qu'il ne pouvait pas dire s'il avait acquis l'immeuble personnellement ou au nom d'Horizon. À un moment donné, il a suggéré qu'il aurait pu acquérir l'immeuble au nom de son épouse, Linda Marcotte. Là encore, il n'a pas pu dire avec certitude de qui l'immeuble avait été acquis, que ce soit par Okoli personnellement, par Horizon ou par Marcotte.
- Devant la nature kaléidoscopique des témoignages, le tribunal a jugé bon d'ajourner l'audience et, dans sa décision interlocutoire du 17 janvier 2022, a rendu l'ordonnance suivante :
« [27] ORDERS the tenant, Amadi Okoli to bring, to the next hearing, the following documents:
A detailed extract from the Registraire des Entreprises with regard to the legal person known as Horizon Lion Inc;
A copy of the notarized Deed of Sale and the annexes thereto evidencing the acquisition by Amadi Okoli and/or Horizon Lion Inc. and/or Linda Marcotte of the property situated at [...] in Lachine, Quebec;
A copy of the Deed of Sale and the annexes thereto evidencing the sale of the property situated at [...] in Lachine, Quebec, by Amadi Okoli and /or Horizon Lion Inc. and/or Linda Marcotte to Tofara Makoni.
An extract from the Land Register (Index of Immovables) with regard to any and all entries involving Amadi Okoli, Horizon Lion Inc. or Linda Marcotte pertaining to the immovable property bearing the civic address [...] in Lachine, Quebec;
Copies of any and all residential leases between Tofara Makoni and Amadi Okoli and/or Horizon Lion Inc. and /or Linda Marcotte for any of the dwellings situated at [...] in Lachine, Quebec. »
- Il a également ordonné au locataire de payer au locateur un loyer de 500 $ par mois jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de ce dernier.
- Lors de la reprise des parties le 17 mai 2023, le locataire soutient qu'il n'a jamais reçu copie de la décision interlocutoire susmentionnée.
- Le tribunal a subordonné son scepticisme justifié (sans parler de la présomption de réception encapsulée dans l'article 16 du Règlement de procédure du Tribunal) aux dictats de audi alteram partem et a ajourné l'audience.
- Mais pas avant d'avoir assuré que le locataire avait en main une copie de la décision.
- Lorsque les parties sont convoquées à nouveau le 28 mars 2024, le mandataire du locateur fait une preuve prépondérante de son allégation à l'effet que le locataire s'est approprié illégalement le sous-sol de l'immeuble comme lieu d'entreposage personnel et que ses multiples biens, empilés du plancher au plafond, empêchent les plombiers du locateur de réparer les tuyaux que le locataire a cavalièrement obstrués.
- Cependant, le locataire a ensuite déclaré qu'il était malade et, une fois de plus, le tribunal a ajourné l'audience. L'ajournement n'a pas permis au tribunal de vérifier si le locataire s'était conformé à l'ordre de produire les documents décrits dans l'ordonnance du 17 janvier 2022.
- Néanmoins, les preuves apportées concernant le sous-sol encombré ont contraint le tribunal à émettre l'ordonnance de sauvegarde suivante dans sa décision interlocutoire du 26 juin 2024 :
« [13] ORDONNE au locataire, dans un délai de TRENTE (30) jours à compter de la date de la présente décision, de retirer, dans leur intégralité, ses biens du sous-sol de l'immeuble. »
- Lors de l'audience finale du 28 février 2025, la mandataire du locateur était présente mais le locataire, M. Okoli, était inexplicablement absent.
- La mandataire a témoigné que le locataire n'avait pas payé plus de 500 $ par mois de juin 2021 à février 2025 et qu'à ce titre, il devait un manque à gagner de 250 $ sur une période de quarante-cinq (45) mois pour un total de 11 250 $.
- Dans sa décision interlocutoire du 17 janvier 2022, le tribunal a pris connaissance du témoignage ahurissant et fantasmagorique du locataire au sujet du bail qui l'autorisait à ne pas payer plus de 500 $ par mois de juillet 2018 à juin 2025 inclusivement.
- Le locataire n'a pas daigné se présenter à l'audience finale et n'a pas apporté la preuve prépondérante - que ce soit par des témoignages complémentaires de témoins compétents ou par les documents ordonnés par le tribunal - de la validité ou de l'opposabilité du prétendu bail sur lequel il a apposé - à deux reprises - sa signature.
- Par conséquent, le tribunal arrivera à la conclusion inéluctable que le document signé le 27 juillet 2017 est juridiquement sans valeur.
- Cela dit, le locateur avait le fardeau de la preuve en vertu des articles 2803 et 2804 C.c.Q., mais il n'a pas été en mesure de produire un document concurrent, ni un témoignage à l'effet que M. Okoli a accepté de payer 750 $ par mois pour l'appartement 2.
- La mandataire a indiqué que l'appartement 1 avait été loué à un nouveau locataire le 1er janvier 2022, mais n'a pas divulgué le loyer que ce dernier s'était engagé à payer.
- Il suffit de dire que lorsque le locateur, une personne morale, a acquis l'immeuble du vendeur Makoni en mai 2021, il lui incombait d'insister pour obtenir une copie d'un bail en cours pour chaque logement de l'immeuble.
- Si Makoni avait été contraint de témoigner, il aurait pu nous éclairer sur sa compréhension du contrat qui régissait sa relation avec Okoli.
- Le locateur ne nie pas qu'Okoli est son locataire et que l'occupation de l'appartement 2 par ce dernier précède son acquisition de l'immeuble.
- Toutefois, son manque apparent de diligence au moment de l'achat a engendré une situation singulièrement anormale dans laquelle le locataire a attribué seul une valeur locative au logement qu'il occupe.
- La question de l'appropriation du sous-sol par le locataire est beaucoup moins nuancée.
- Lors de l'audience finale, la mandataire a témoigné, sans contradiction, que le locataire n'a pas respecté la décision interlocutoire du 26 juin 2024, qui lui ordonnait de retirer ses biens dans un délai de trente (30) jours.
- Cette ordonnance était fondée sur les articles 1973 et 1863 C.c.Q.
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
- La stabilité de notre système judiciaire exige que les ordonnances de nos tribunaux soient prises au sérieux. C’est surtout le cas lorsque le défaut de respecter une ordonnance du Tribunal engendre un préjudice grave pour l’autre partie.
- Le défaut d'exécution du locataire suggère également qu'il a adopté une attitude de propriétaire à l'égard d'un immeuble dans lequel il n'a pas d'intérêt patrimonial.
- Cela n'est pas acceptable.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande du locateur en partie ;
- RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les autres occupants du logement portant l'adresse civique [...], appartement 2, Lachine, Québec ;
- ORDONNE l'exécution provisoire de la décision - nonobstant appel - le ONZIÈME (11e) jour à compter de la date de la présente décision ;
- AUTORISE l'huissier exécutant à disposer des biens que le locataire a entreposés au sous-sol du [...] à Lachine et à en disposer conformément à la loi ;
- REJETTE les autres conclusions de la demande du locateur et ses amendements ;
- CONDAMNE le locataire à payer au locateur ses frais judiciaires au montant de 89 $.
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| Ross Robins |
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Présence(s) : | la mandataire du locateur |
Date de l’audience : | 28 février 2025 |
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