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Décision

Office municipal d'habitation de Lévis c. Bélanger

2021 QCTAL 15783

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

540630 18 20201014 G

No demande :

3087360

 

 

Date :

21 juin 2021

Devant la juge administrative :

Chantale Trahan

 

Office Municipal d'Habitation de Lévis

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Jacques Bélanger

 

Sylvie Nadeau

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande introduite le 13 octobre 2020, le locateur demande la résiliation du bail et l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement en raison de leurs comportements nuisibles qui troublent la jouissance paisible des autres locataires, lui causant ainsi un préjudice sérieux.

CONTEXTE

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2019 au 30 juin 2020, lequel a été reconduit jusqu’au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 355 $.

[3]      Il s’agit d’un immeuble de 12 logements situé dans un complexe de quatre immeubles de même dimension et reliés par une cour arrière commune.

[4]      La demande fut notifiée par huissier aux deux locataires, mais seule madame Sylvie Nadeau est présente à l’audience, son conjoint étant absent.

DEMANDE DE REMISE

[5]      La locataire Sylvie Nadeau demande une remise de l’audience, mentionnant que son conjoint Jacques Bélanger ne peut être présent puisqu’il a été blessé par arme blanche dans les jours précédents. Elle indique qu’il a la clavicule cassée et qu’il est à la maison. Elle n’appuie pas sa demande de remise par un document médical qui démontre l’impossibilité physique de son conjoint d’être présent à l’audience.


[6]      Dans une décision récente et confirmée en appel par la Cour du Québec, la juge administrative Isabelle Guiral rejetait une demande de remise de la part d’une partie[1] :

« [9] Tel qu'édicté aux articles 28 et 29 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, une partie qui désire obtenir une remise doit produire au Tribunal le consentement de l'autre partie. À l'audience, le juge administratif peut, d'office ou sur demande écrite ou verbale d'une partie, remettre ou ajourner l'audience à une date ultérieure.

[10] Le Tribunal est d'avis qu'en vertu des articles précités, ce dernier conserve la discrétion judiciaire d'accorder ou non une remise selon la preuve qui lui est présentée.

[11] Dans une décision rendue le 1er mars 2006[2], la Cour du Québec rejetait l'appel d'une décision de la Régie du logement qui refusait une demande de remise formulée, comme en l'espèce, via une lettre, en l'absence de toute représentation devant la Régie du logement. La Cour du Québec rappelait alors que :

« La décision d'accorder ou de refuser un ajournement est certes discrétionnaire, mais cette discrétion se doit d'être exercée « judiciairement » comme l'ont statué les plus hautes instances judiciaires.[...] Dans le contexte, cette décision n'apparaît ni déraisonnable ni injustifiée. La régisseure a estimé que les locateurs n'ont pas établi la nature et le sérieux de la maladie de leur fils et surtout de l'impossibilité d'au moins l'un deux à se présenter à la Régie, soit pour présenter sa preuve, soit pour faire une demande de remise en personne. La régisseure a exercé sa discrétion de façon judiciaire en concluant, de façon implicite, au manque de diligence de la partie qui demandait la remise. Il n'y aucune faiblesse dans ce jugement et aucun manquement à un principe de justice naturelle. » (par. 12, 21-23, p. 3-4)

« La régisseure, Jocelyne Gascon, refuse la demande de remise essentiellement au motif que l'un des locateurs n'est pas présent pour la demander, que l'information au soutien de la demande de remise est insuffisante et que, de toute façon, l'un des locateurs aurait pu se libérer pour l'audition et témoigner et présenter la preuve. [...] La régisseure a exercé sa discrétion de façon judiciaire en concluant, de façon implicite, au manque de diligence de la partie qui demandait la remise. » (par. 19, 22, p. 4)

« Les requérants ne peuvent [...] se limiter à invoquer la violation de la règle audi alteram partem devant la Régie pour obtenir l'autorisation d'en appeler de la décision. Encore faut-il établir par une preuve prima facie que le refus de d'accorder la remise n'était pas justifié ou était déraisonnable compte tenu des circonstances. [...] la demande de remise peut être valablement refusée en présence de mauvaise foi, de connivence ou de manque de diligence de la partie ou de son procureur, comme l'écrit le juge Audet dans l'affaire Gagné et Paquette c. Guiomar, précitée. [...] Dans le contexte, cette décision n'apparaît ni déraisonnable ni injustifiée. [...] Les locateurs n'ont pas réussi à démontrer au Tribunal, prima facie, une violation à une règle de justice naturelle [...]. » (par.15-16, 21et 23, p.4)

[12] Le droit d'être entendu est, dans le cadre d'un procès, un droit qui appartient aux deux parties. Les deux parties ont également le droit d'être entendues dans les meilleurs délais.

[13] Une partie qui désire obtenir une remise d'un procès doit donc démontrer le bien-fondé de la demande et sa diligence à poser tout geste qui permettrait à l'instance de procéder.

[14] Pour qu'une remise soit accordée, il faut que le requérant présente un motif sérieux. Il en va d'une saine administration de la justice. C'est également la manifestation d'un respect élémentaire envers la partie adverse.

[15] En l'instance, le Tribunal est d’avis que les motifs invoqués par la locataire ne sont pas sérieux et démontrent une négligence ou une insouciance de cette dernière dans la défense de ses droits. En effet, il appert que la locataire cherche à utiliser la remise afin de retarder indûment l’audition du dossier. »

[7]      En l’instance, le Tribunal considère qu’il y n’a pas de demande de remise motivée de la part de la locataire. Celle-ci n’a pas déposé de preuve médicale permettant de démontrer l’impossibilité pour son conjoint d’être présent devant le Tribunal. Ainsi le Tribunal rejette la demande de remise et procède à l’audition de la preuve dans le présent dossier compte tenu de la nature des reproches dirigés contre les locataires et de l’importance que le Tribunal statue dans les meilleurs délais de la demande.

PREUVE DU LOCATEUR

Témoignage de Jean-Philippe Roy

[8]      Monsieur Roy est policier patrouilleur pour la Ville de Québec depuis juillet 2002. Il connaît les locataires depuis le début de sa carrière, du fait des interventions que lui ou ses collègues sont appelés à faire auprès d’eux. Personnellement, il est intervenu une dizaine de fois auprès des locataires depuis le mois de novembre 2019. La dernière intervention remonte au 30 mai 2021, à l’occasion d’une chicane d’enfants entre résidents. Cet événement a dégénéré entre les adultes car le locataire a été poignardé par un autre adulte quelques jours plus tard.


[9]      Il explique que depuis novembre 2019, il a relevé 184 cartes d’appel au service de police à l’adresse de l’immeuble, dont 37 concernant spécifiquement madame Nadeau et monsieur Bélanger. Il relate qu’il s’agit de chicanes familiales et entre voisins, souvent conjuguées avec une problématique d’intoxication à l’alcool ou par des drogues. En 2021, deux constats d’infractions ont été émis contre les locataires concernant le bruit. Il indique que leurs problèmes de comportement sont récurrents et ne se règlent pas malgré leurs nombreuses interventions. Les locataires adoptent un mode de vie festif et ils ne se soucient pas de leurs voisins.

Témoignage de monsieur Jérôme Métivier

[10]   Monsieur Métivier est directeur des services communautaires et il s’occupe de l’application du règlement de l’immeuble, et ce, depuis le mois de mai 2018.

[11]   Le complexe des quatre immeubles totalisant 48 logements est réservé aux familles. Dès l’arrivée des locataires en novembre 2019, l’Office municipal d’habitation de Lévis transmettait un avis écrit (avertissement) exigeant des correctifs immédiats des comportements des locataires afin d’assurer la quiétude des lieux pour l’ensemble des autres occupants. Par la suite, voyant qu’il n’y avait pas de changement, il a transmis aux locataires le 10 janvier 2020 une mise en demeure formelle. Encore là, il n’y a pas eu d’améliorations de leurs comportements. Le 14 septembre 2020, une nouvelle lettre a été acheminée aux locataires et la demande devant le Tribunal a été introduite en octobre 2020.

[12]   Monsieur Métivier témoigne que les locataires adoptent des comportements qui nuisent à la quiétude des autres occupants malgré les avis leur demandant de cesser de faire du bruit excessif qui dérange les autres locataires. Il demande la résiliation du bail car il doit assurer un milieu sécuritaire et paisible pour les familles qui habitent le complexe immobilier réservé à cette fin, d’autant plus que lors des dernières semaines, la situation est telle qu’elle a dégénéré en une attaque au couteau contre le locataire.

PREUVE DE LA LOCATAIRE

[13]   La locataire admet qu’à l’occasion, ils ont pu faire du bruit jusqu’aux petites heures du matin mais que la situation est exagérée de la part du locateur. De plus, elle mentionne que le logement manque nettement d’insonorisation et c’est la raison pour laquelle des bruits sont perceptibles par les autres résidents.

ANALYSE ET DÉCISION

[14]   Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.

[15]   Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

[16]   Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

[17]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[3].

La résiliation du bail et la jouissance paisible

[18]   La demande du locateur est basée sur les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec qui édictent ce qui suit :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[19]   Le locateur a l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux à tous ses locataires[4].

[20]   La preuve établit de façon non équivoque que les locataires ont des comportements nuisibles et dérangeants envers les autres occupants, ce qui leur cause un préjudice sérieux ainsi qu’au locateur. Ces derniers sont troublés dans la jouissance paisible de leur logement qu’ils sont en droit de s’attendre.

[21]   Le Tribunal ne voit pas d’autres solution que de résilier le bail. La preuve est prépondérante au fait que les locataires ne se sont pas amendés malgré les demandes du locateur et les plaintes à cet égard. Or, le locateur doit assurer aux autres occupants la jouissance paisible des lieux loués et leur procurer un environnement sécuritaire.

[22]   Finalement, en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[5], en raison de la preuve administrée à l’audience, l'exécution provisoire de la présente décision est justifiée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[23]   ACCUEILLE la demande du locateur;

[24]   RÉSILIE le bail des locataires;

[25]   ORDONNE l'expulsion des locataires ainsi que celle de tous les occupants du logement;

[26]   ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision, malgré l’appel;

[27]   LE TOUT sans frais, le locateur les supportant.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Trahan

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Me Antoine Veillette, avocat du locateur

le locataire

Date de l’audience :  

7 juin 2021

 

 

 


 



[1]    Amari c. Chip, 365591, QCTAL, 10 novembre 2020, j. Guiral; Amari c. Chip, 500-80-041094-211, QCCQ, 2021, 1455 J. Forlini.

[2]    Escobar-Patino c. Sigouin, 2006, QCCQ 1780 (J Can) Cour du Québec (chambre civile), juge Virgile Buffoni.

[3]    Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[4]    Article 1854 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[5]    Loi sur le Tribunal administratif du logement, L.R.Q., c. T-15.01.

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