Witmer c. Gillies | 2022 QCTAL 8563 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Gatineau | ||||
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No dossier: | 577168 22 20210628 F | No demande: | 3281766 | |
RN :
| 3312862
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Date : | 24 mars 2022 | |||
Devant la greffière spéciale : | Me Shuang Shuang | |||
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Julie Witmer
Lori Doran
Ryan McDonald | ||||
Locateurs - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Linda Gillies | ||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[1] Les locateurs ont produit une demande de fixation de loyer et de modification d’autres conditions du bail, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec.
[2] Les parties sont liées par un bail verbal à durée indéterminée, à un loyer mensuel de 550,00 $, comprenant le coût de l’espace de stationnement et un espace de rangement.
[3] Les locateurs demandent au Tribunal de statuer sur les modifications suivantes, et ce, à compter du 1er juillet 2021 :
« 1. Rent is due on the 1st day of each month;
2. Hydro costs are the responsibility of lessee and exclusive of the rent paid to owners;
3. Appliances (fridge, oven) in your rental unit are the property of the owners. Should they fail, replacement of appliances is the responsibility of the lessee;
4. The lessee may not store items outside of your rental unit anywhere on the property – inside or out. Any items currently stored outside of your rental unit must be removed;
5. Your rental unit includes space to park one vehicle. There is no visitor parking on the property for the lessee;
6. Outdoor living/leisure space is limited to an area of 6 x 8 feet immediately outside the entrance to your rental unit. Personal use for leisure/living/activities anywhere else on the property must be approved by the owners;
7. Smoking is not permitted inside your rental unit;
8. Lessee may not possess more than 3 cats. No other pets are allowed without the approval of the owner;
9. Lessee may not make modifications to the interior or exterior of their rental unit without the approval of the owner. »
[4] Les locateurs demandent également au Tribunal de modifier la durée du bail afin que le bail soit dorénavant d’une durée de 12 mois.
[5] Les locateurs ont produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements, sauf quant à la preuve des revenus de loyers totaux perçus en décembre 2020, aux relevés des taxes municipales de 2021 et 2020, aux relevés des taxes scolaires de 2020-2021 et de 2019-2020 et aux factures des travaux relatifs au remplacement du chauffe-eau et aux travaux en lien avec la pompe pour eaux usées.
[6] Le Tribunal a autorisé les locateurs à produire au dossier les documents manquants au plus tard le 25 janvier 2022.
[7] Le 25 janvier 2022, les locateurs ont produit au dossier certains documents requis, sauf quant aux factures des travaux relatifs au remplacement du chauffe-eau et aux travaux en lien avec la pompe pour eaux usées.
[8] En l’absence de preuve au soutien de ces deux postes de dépenses, le Tribunal ne les retiendra pas dans son calcul du réajustement de loyer.
[9] Les locateurs admettent, lors de l’audience, qu’ils ne sont pas en mesure de fournir les polices d’assurance en vigueur au 31 décembre 2020 et au 31 décembre 2019. Séance tenante, le Tribunal leur explique que considérant l’absence de preuve quant aux primes payées, aucune variation au chapitre de ce poste de dépenses ne sera prise en compte dans le calcul.
[10] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[1] est de 5,28 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires | 2,44 $ |
Assurances | 0,00 $ |
Gaz | 0,00 $ |
Électricité | 0,00 $ |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,00 $ |
Frais de services | 0,00 $ |
Frais de gestion | 0,33 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
0,00 $ |
Ajustement du revenu net | 2,51 $
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TOTAL |
5,28 $ |
DEMANDE DE MODIFICATION
[11] La locataire ne conteste pas les modifications suivantes :
- Le loyer est payable le premier jour de chaque mois;
- La locataire est responsable du coût d’électricité qui est exclu du loyer mensuel;
- Interdiction de fumer dans le logement;
- Aucun animal est permis dans le logement sans le consentement préalable des locateurs;
- Interdiction de modifier l’intérieur ou l’extérieur du logement sans le consentement préalable des locateurs.
[12] En ce qui concerne la modification relative au paiement du loyer qui est payable le premier jour de chaque mois, le Tribunal constate qu’il s’agit d’une obligation déjà prévue par la loi. Dans les faits, cette clause proposée ne modifie rien au bail.
[13] Vu le consentement de la locataire, le Tribunal autorise la modification du bail pour y ajouter les clauses 2, 7, 8, 9 et ne fera l’analyse que des clauses suivantes :
3. Les appareils électroménagers (frigo, four) dans le logement appartiennent aux locateurs. En cas de bris, la locataire est responsable de les remplacer;
4. La locataire ne peut pas entreposer d’articles de son logement n’importe où sur la propriété – ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Tous les articles actuellement entreposés à l’extérieur de son logement doivent être retirés;
5. Le loyer comprend un espace de stationnement. Il n’y a pas d’espace de stationnement pour les visiteurs de la locataire;
6. L’espace de vie et de loisirs extérieur est limité à une zone de 6 x 8 pieds carrés immédiatement à l’extérieur du logement. L’utilisation personnelle du terrain pour les loisirs/les activités ailleurs sur la propriété doit être approuvée par les locateurs.
Preuve des locateurs
[14] Les locateurs ont fait l’acquisition de l’immeuble en mai 2021.
[15] L’immeuble est un triplex.
[16] Lors de l’acquisition, la locataire habitait déjà un des logements de l’immeuble. Elle était liée par un bail verbal à durée indéterminée ayant commencé en novembre 2018 avec l’ancien propriétaire, à un loyer mensuel de 550 $.
[17] Selon leur témoignage, les locateurs cherchent à responsabiliser la locataire dans la prise en charge des appareils électro-ménagers dans son logement par la modification relative au remplacement de ceux-ci en cas de bris qui incombe à la locataire et à ses frais.
[18] En ce qui concerne l’espace de rangement, les locateurs demandent à avoir l’usage exclusif de cet espace qui loge une laveuse et une sécheuse, ainsi qu’un réservoir d’eau chaude. Ils souhaitent reconfigurer cet espace pour le transformer en une salle mécanique, pour installer le réservoir d’eau chaude de manière adéquate et pour dégager l’accès à la sortie d’urgence.
Preuve de la locataire
[21] La locataire a habité le logement pour une première période de janvier 2015 jusqu’en avril 2016 et ensuite, de novembre 2018 jusqu’à présent.
[22] Elle témoigne qu’en vertu de son bail avec l’ancien locateur, elle n’a jamais été responsable de remplacer les appareils électro-ménagers en cas de bris et est d’avis qu’il ne doit pas être de sa responsabilité de le faire.
[23] Relativement à l’espace de rangement, elle témoigne qu’elle en a toujours eu l’usage depuis qu’elle habite dans le logement et qu’il est inclus dans son loyer. Selon elle, l’usage de cet espace de rangement est une condition essentielle de son bail, étant donné les dimensions de son logement qui mesure environ 500 pieds carrés. Il n’y a donc pas assez d’espace dans son logement pour entreposer ses effets personnels, incluant notamment les équipements de sports, les valises, les matériels et équipement de camping, une table à dîner, les outils de jardinage et les pneus d’automobile.
[24] La locataire témoigne qu’elle est au courant que ses visiteurs stationnent sur la propriété voisine, mais qu’il n’y a pas eu de problème avec le propriétaire voisin qui n’a jamais requis l’usage de cette partie de son terrain. Elle admet qu’il n’y a pas eu d’entente avec l’ancien locateur au sujet du stationnement pour les visiteurs. Elle soutient que durant l’hiver, il est impossible de stationner l’auto le long de la route principale à cause du banc de neige.
[25] En ce qui concerne l’utilisation du terrain, la locataire témoigne qu’elle a toujours eu accès au terrain et peut l’utiliser à sa guise. Elle estime donc que la modification demandée par les locateurs est déraisonnable et empiète sur sa liberté.
Droit applicable
[26] Selon la loi, le locateur a la possibilité de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis à cet effet au locataire dans les délais prescrits.
[27] Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec se lisent comme suit :
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois. »
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre.
« 1943. L’avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l’augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l’objet d’une demande de fixation ou de révision.
L’avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »
[28] En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au Tribunal d’autoriser la modification demandée dans le mois de la réception du refus :
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s’il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »
[29] D’autres articles du Code civil du Québec régissent la relation juridique entre le locateur et le locataire. Parmi ceux-ci, soulignons l’article 1936 qui prévoit le principe fondamental du maintien dans les lieux et l’article 1941 C.c.Q. qui, quant à lui, prévoit le droit du locataire à la reconduction de plein droit du bail :
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »
« 1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.
Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède 12 mois, pour une durée de 12 mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d’un terme de reconduction différent. »
[30] Par ailleurs, il appartient au demandeur de toute demande en justice de démontrer le bien-fondé de sa demande en faisant une preuve prépondérante :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[31] En l’instance, il incombe aux locateurs de prouver le bien-fondé de leur demande en établissant les motifs au soutien des modifications au bail demandées et que ces modifications ne portent pas atteinte au droit de la locataire au maintien dans les lieux.
Analyse et décision
[32] Les locateurs demandent au Tribunal de modifier la durée du bail en la limitant à une durée de 12 mois couvrant la période du 1er juillet 2021 jusqu’au 30 juin 2022. Cette demande n’est pas contestée par la locataire. Par conséquent, le Tribunal autorise cette modification.
Remplacement des appareils électro-ménagers en cas de bris
[33] Le Tribunal estime que les locateurs n’ont pas prouvé le bien-fondé de cette clause. Il est pratiquement impossible de vérifier la règle établie. Quand est-ce que la locataire est tenue de remplacer les appareils électroménagers? Est-ce lorsqu’ils tombent totalement en panne ou lorsqu’ils sont partiellement brisés? De plus, le Tribunal est d’avis que la clause impose à la locataire une obligation qui est déraisonnable, contrevenant ainsi à l’article 1901 C.c.Q. Considérant le caractère imprécis et abusif de cette clause, le Tribunal refuse son ajout au bail liant les parties.
Retrait du droit d’usage de l’espace de rangement
[34] Le Tribunal estime que les motifs soulevés par les locateurs semblent plutôt hypothétiques, c’est-à-dire qu’ils souhaitent reprendre l’espace de rangement actuellement utilisé par la locataire avec pour projet sa transformation en une salle mécanique et la reconfiguration des lieux afin d’installer de manière adéquate le réservoir d’eau chaude.
[35] Ces motifs hypothétiques et hautement subjectifs ne peuvent l’emporter sur l’inconvénient créé à la locataire par la modification d’une condition du bail dûment négocié par elle avec l’ancien propriétaire et reconduit depuis 2015.
[36] Une telle modification permettra sans doute aux locateurs de réaliser leur projet de transformation de cet espace. Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’une telle modification aurait des conséquences négatives pour la locataire et portera atteinte à son droit au maintien dans les lieux loués.
Interdiction aux visiteurs de stationner sur la propriété
[37] De l’aveu des parties, le loyer n’inclut qu’un espace de stationnement pour la locataire. Aucun espace de stationnement n’est réservé aux visiteurs aux termes du bail. Le Tribunal estime qu’il est dans leur pouvoir de gestion, en tant que locateurs de l’immeuble, d’imposer une condition exigeant que les visiteurs stationnent leur véhicule ailleurs que sur leur propriété. Cette modification n’a aucun caractère arbitraire et n’est pas guidée par des considérations personnelles ou l’exercice abusif de leur droit de propriété. De plus, elle ne porte pas non plus atteinte au droit de la locataire au maintien dans les lieux loués.
Accès et utilisation du terrain
[38] Les locateurs souhaitent restreindre la superficie du terrain auquel la locataire aurait accès. La locataire prétend qu’elle a toujours eu la libre jouissance et l’accès au terrain au complet. Le Tribunal est d’avis que les locateurs n’ont pas prouvé le bien-fondé de cette modification proposée. De plus, cette dernière portera atteinte au droit au maintien dans les lieux de la locataire et, en conséquence, refuse la modification demandée.
[39] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[40] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 5,28 $ est justifié;
[41] CONSIDÉRANT le consentement de la locataire quant aux certaines modifications proposées;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 555,00 $ par mois du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, comprenant le coût de l’espace de stationnement;
[43] AUTORISE la modification de la durée du bail qui couvre une période d’un an à compter du 1er juillet 2021 jusqu’au 30 juin 2022;
[44] AUTORISE les locateurs à intégrer au bail les clauses 2, 5, 7, 8, 9 à compter du 1er juillet 2021;
[45] REFUSE les clauses 1, 3, 4 et 6 et leur ajout au bail;
[46] Les autres conditions du bail demeurent inchangées;
[47] Les locateurs supportent les frais de la demande.
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Me Shuang Shuang, greffière spéciale | ||
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Présence(s) : | les locateurs la locataire | ||
Date de l’audience : | 21 janvier 2022 | ||
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[1] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
AVIS :
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