Décision

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Parisien c. Procureur général du Québec

2022 QCCS 4483

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No :

500-17-090302-152

 

 

 

DATE :

30 novembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PHILIPPE BÉLANGER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

GUILLAUME PARISIEN

JONATHAN DUBÉ

AUDREY DULONG-BÉRUBÉ

GAËL GHIRINGHELLI

Demandeurs

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

et

VILLE DE MONTRÉAL

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

TABLE DES MATIÈRES

APERÇU …………………………………………………………………………………………………………………. 1

CONTEXTE ……………………………………………………………………………………………………………… 3

A. Le climat social à l’été 2012 ………………………………………………………………………. 3

B. Le mandat confié à la SQ …………………………………………………………………………… 5

C. Le mandat confié au SPVM ……………………………………………………………………….. 7

D. La collaboration entre la SQ et le SPVM le jour du vote …………………………….. 8

E. Le déroulement de la soirée électorale du 4 septembre 2012 …………………… 9

F. Les demandeurs à l’arrière du Métropolis ………………………………………………… 11

Audrey Dulong-Bérubé ………………………………………………………………………………. 12

 Jonathan Dubé …………………………………………………………………………………………… 12

 Gaël Ghiringhelli …………………………………………………………………………………………. 13

 Guillaume Parisien ………………………………………………………………………………………. 13

G. L’attentat de Richard Henry Bain tel que perçu par les demandeurs ……. …….. 14

LES QUESTIONS EN LITIGE ……………………………………………………………………………………….. 14

ANALYSE ………………………………………………………………………………………………………………….. 16

  1. La SQ et le SPVM ont-ils commis une faute en n’assurant aucune présence

policière ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis au cours de la

soirée du 4 septembre 2012? ………………………………………………………………………. 16

  1.1 Le cadre juridique …………………………………………………………………………….. 16

  1.2 Discussion relative à la faute …………………………………………………………….. 19

   1.2.1 Les communications et mesures de coordination entre la SQ

  1.                   et le SPVM ……………………………………………………………………………. 19
    1. Les entretiens entre le capitaine Bergeron (DPP) et
  2. l’inspecteur Pichet (SPVM) ………………………………………. 19

   1.2.1.2 Le Service d’ordre local du 27 août 2012 …………………. 21

   1.2.1.3 Le Service d’ordre préparé par le SPVM (DPO) en date

    du 31 août 2012 ………………………………………………………. 22

   1.2.1.4 La demande d’assistance de la SQ (DPP)au SPVM (DPO)

    datée du 3 septembre 2012 …………………………………….. 23

3.2.1         La mise en œuvre par le SPVM de la demande d’attention

  1. Spéciale de la SQ ………………………………………………………………… 24

 1.3 Constats et conclusions quant à la faute …………………………………………… 26

 1.4 Était-il prévisible pour des agents normaux placés dans les mêmes

  circonstances qu’un attentat ou une autre forme de violence survienne

  à l’arrière du Métropolis en soirée le 4 septembre 2012 ………………….. 33

 1.5 L’évolution des pratiques policières suite aux événements ………………. 38

2. Quels sont les dommages subis par les demandeurs? …………………………………. 39

 2.1 Cadre juridique applicable aux dommages ……………………………………….. 39

 2.2 Les dommages non-pécuniaires ……………………………………………………….. 43

  2.2.1 Les dommages non-pécuniaires subis par Dulong-Bérubé ……. 44

  2.2.2 Les dommages non-pécuniaires subis par Dubé ……………………. 45

  2.2.3 Les dommages non-pécuniaires subis par Ghiringhelli ………….. 46

  2.2.4 Les dommages non-pécuniaires subis par Parisien ………………… 47

  2.2.5 La quantification des dommages non-pécuniaires subis ………… 47

 2.3 Les dommages pécuniaires réclamés par les demandeurs………………….. 51

 

3.  La faute commise par la SQ et le SPVM a-t-elle causé le préjudice des

demandeurs ? …………………………………………………………………………….……..………….. 52

3.1 Cadre juridique applicable à l’établissement du lien causal …………….... 52

3.2 Analyse du lien causal entre la faute du SPVM et de la SQ et

  1.                  les dommages réclamés …………………………………………………………............ 55

4. Le recours des demandeurs est-il prescrit ? ………………………………………..……….. 62

  4.1 Quel est le délai de prescription applicable au recours contre le

  1.                  SPVM ? ……….…………………………………………………………………………………….. 62
  2.                  4.1.1 Le cadre juridique concernant la nature du préjudice et le
  3.                   délai de prescription …………………………………………………………….. 64
  4.                   4.1.1.1 Le traumatisme psychologique en tant que préjudice
  5.                 corporel …………………………………………………………………… 65
  6.                4.1.1.2 Les arrêts Tarquini et Dorval ……………………………………. 68
  7.               4.1.2 Conclusions quant à la nature du préjudice subi par les
  8.                demandeurs ………………………………………………………………………… 70

 4.2 Dulong-Bérubé, Dubé et Ghiringhelli ont-il respecté le délai de

  prescription de trois ans ? ……………………………………………………………….. 74

  1.               4.2.1 Le cadre juridique concernant le départ de la prescription
  2.                et à la question de l’impossibilité d’agir ? ……………………………. 75
  3.               4.2.2 La preuve d’expertise ………………………………………………………….. 81
  4.                4.2.2.1 L’expertise du Dr Alain Brunet ………………………………… 82
  5.                4.2.2.2 L’expertise du Dr Jean-Robert Turcotte …………………… 83
  6.                4.2.2.3 Les conclusions tirées par les experts ……………………… 83
  7.                4.2.2.4 L’appréciation de la force probante des expertises …. 84
  8.               4.2.3 Le point de départ de la prescription …………………………………… 87
  9.               4.2.4 L’impossibilité d’agir ……………………………………………………………. 89
  10.                4.2.4.1 Dulong-Bérubé démontre-t-elle avoir été dans
  11.                 l’impossibilité d’agir plus tôt ? ……………………………….. 89
  12.                4.2.4.2 Dubé démontre-t-il avoir été dans l’impossibilité
  13.                d’agir plus tôt ? ………………………………………………………… 92

   4.2.4.3 Ghiringhelli démontre-t-il avoir été dans l’impossibilité

    d’agir plus tôt ? ………………………………………………………… 96

5. Les demandeurs ont-ils droit à des dommages punitifs ? …………………………….. 99

6. Condamnation solidaire de la SQ et du SPVM ………………………………………………… 103

CONCLUSION ……………………………………………………………………………………………………………….. 104

POUR CES MOTIFS ……………………………………………………………………………………………………….. 104

 


Aperçu

[1]                À 23 h 58, le 4 septembre 2012, la vie des demandeurs bascule. En cette soirée électorale, alors qu’ils attendent à l’arrière du Métropolis la fin du discours couronnant la victoire électorale de Pauline Marois pour débuter leur quart de travail, Richard Henry Bain se présente à quelques mètres d’eux, vêtu d’une robe de chambre, coiffé d’une cagoule et muni d’une arme semi-automatique à répétition. Par miracle, il ne réussit à tirer qu’une seule balle avant que son arme ne s’enraye. Avec cette seule balle, il atteint mortellement Denis Blanchette et blesse grièvement Dave Courage, deux amis et collègues des demandeurs, tous techniciens de la scène.

[2]                Guillaume Parisien, Audrey Dulong-Bérubé, Jonathan Dubé et Gaël Ghiringhelli soutiennent avoir souffert de troubles de stress post-traumatique  TSPT »[1]) et d’autres troubles psychologiques dans les années suivant cet événement tristement historique. Ils reprochent aux corps de police impliqués d’avoir failli à leur mission de veiller à leur sécurité en omettant de mettre en place les mesures et effectifs qui auraient permis d’éviter cette tragédie. Ils demandent au Tribunal de condamner solidairement le Service de police de la Ville de Montréal (« SPVM [2]») et la Sûreté du Québec (« SQ »[3]) à les indemniser des dommages qu’ils ont subis en lien avec cet attentat.

[3]                Le SPVM et la SQ nient avoir commis quelque faute que ce soit dans leur évaluation des risques associés à cette soirée électorale ainsi que dans l’établissement et l’exécution des mesures de sécurité entourant ce rassemblement du Parti québécois PQ »). Ils soutiennent aussi qu’il n’existe aucun lien causal entre la faute reprochée et les dommages réclamés et plaident la prescription du recours intenté par les demandeurs en octobre 2015.

[4]                Avant d’aborder les événements survenus en fin de soirée le 4 septembre 2012 et l’analyse de la preuve suivant le prisme usuel applicable en matière de responsabilité civile (faute, dommages et lien de causalité), il paraît particulièrement important de tout d’abord situer le contexte particulier dans lequel s’est déroulée cette soirée électorale. L’appréciation des mesures de sécurité et effectifs déployés par la SQ et le SPVM il y a déjà 10 ans est en effet largement tributaire de ce contexte. Il paraît également essentiel de cerner le rôle joué tant par la SQ que le SPVM dans l’élaboration et la mise en place du plan de sécurité des chefs de parti et de leur entourage. Comme on le verra, lors de cette soirée électorale, le Parti libéral du QuébecPLQ ») et Québec solidaire QS ») tiennent aussi un rassemblement sur le territoire de la Ville de Montréal, de sorte que la SQ et le SPVM doivent interagir et collaborer afin d’assurer la protection des chefs de partis et de leurs familles, ainsi que celle du public.

[5]                Ce survol contextuel est ci-après subdivisé comme suit :

  1. le climat social à l’été 2012;
  2. le mandat confié à la SQ;
  3. le mandat confié au SPVM;
  4. la collaboration entre la SQ et le SPVM le jour du vote;
  5. les demandeurs et leur arrivée à l’arrière du Métropolis;
  6. l’attentat de Richard Henry Bain tel que perçu par les demandeurs.

 

Contexte

A. Le climat social à l’été 2012

[6]                Au début du mois d’août 2012, le PLQ, alors au pouvoir depuis 2008, déclenche les élections qui seront tenues le lundi 4 septembre 2012 au terme d’une campagne électorale d’une durée de 35 jours.

[7]                On se souvient qu’il règne alors un climat social tendu au Québec. Le mouvement de contestation étudiante, en réaction à la hausse projetée des frais de scolarité, mène à ce qu’on baptise alors le « printemps érable » et à des manifestations étudiantes qui perdurent depuis 204 jours à la date des élections[4].

[8]                À cette époque, la SQ, par le biais de sa Division de la protection des personnalités (« DPP »), procède à une évaluation des enjeux susceptibles d’être défendus ou dénoncés par des groupes militants et du même fait susceptibles d’entraîner des perturbations ou de poser des risques pour la sécurité des chefs de partis impliqués.

[9]                Le plan de sécurité initial préparé par la SQ en date du 31 juillet 2012[5], à l’aube du déclenchement des élections, fait état des enjeux sociaux et politiques suivants :

-          la tenue à l’automne de la commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction;

-          la hausse annoncée des frais de scolarité et les manifestations étudiantes en découlant;

-          l’opposition par des groupes environnementalistes au « Plan Nord » annoncé par le Parti Libéral à sa plate-forme électorale;

-          le mouvement de contestation lié à l’exploitation des gaz de schiste;

-          les difficultés financières de l’industrie forestière et papetière;

-          les protestations survenues dans le domaine agricole en lien avec un projet de loi visant à priver l’Union des productions agricoles de son statut de porte-parole unique;

-          l’opposition par une coalition de 136 organismes communautaires, syndicaux et étudiants à la tarification et à la privatisation des services publics;

-          la dénonciation par des groupes indépendantistes radicaux de la corruption et de la collusion des instances politiques, dont le Parti Libéral du Québec.

[10]           Ce contexte social, économique et politique constitue en quelque sorte la toile de fond au regard de laquelle les autorités policières doivent tenter d’anticiper les menaces et perturbations envisageables durant la campagne électorale et, du même fait, la mise en place d’un plan de sécurité établi en fonction de celles-ci.

[11]           Ce contexte mène la SQ à évaluer le niveau de la menace et des risques de violence comme étant « faible » en date du 31 août 2012[6]:

Le SRS n’a pas reçu d’information laissant croire que des gestes de perturbation pourraient être posés durant la journée du 4 septembre 2012 ou durant les manifestations prévues le soir. Les actions de visibilité tenues par les différents groupes de pression durant la campagne n’ont pas été perturbatrices jusqu’à maintenant. Toutefois, l'issue du scrutin pourrait avoir un impact sur la mobilisation et l’humeur des manifestants. Advenant une victoire du PLQ, voire de la CAQ, des manifestants pourraient exprimer leur déception en posant des gestes de perturbation. Cependant, le SRS évalue le niveau de la menace et des risques à l'endroit des trois chefs des principaux partis et de leurs différentes soirées électorales comme étant FAIBLE.[7]

[12]           Le plan de sécurité fait état d’une échelle qui grade les niveaux de menace entre « Aucune menace connue » (niveau de risque le plus bas) à « Extrême » (niveau de risque le plus haut). Le niveau de menace « faible » est décrit comme suit :

 

FAIBLE

Aucune information fiable ne fait état d’une menace précise de la part d’un groupe ou d’un individu. Cependant, il existe une faible possibilité que des actes de violence ou de perturbation soient commis compte tenu de facteurs de risque minimes.[8]

B. Le mandat confié à la SQ

[13]           En vertu de la Loi sur la police[9], les corps de police et chacun de leurs membres ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime. À cette fin, ils doivent notamment assurer la sécurité des personnes et des biens.

[14]           La SQ, à titre de corps de police national, est habilitée à exercer sa compétence sur l’ensemble du territoire québécois[10]. Dans le cadre d’une campagne électorale, elle est fréquemment appelée à établir des liens et à travailler en collaboration avec les services policiers municipaux. Elle se voit en effet confier la responsabilité d’assurer la sécurité des chefs de partis politiques et de leur famille au cours de la campagne électorale et le jour du scrutin[11]. Ceux-ci bénéficient tous durant cette période de la même protection que celle généralement offerte par la SQ au Premier ministre du Québec. Ces chefs se déplaçant sur l’ensemble du territoire québécois durant la campagne, la SQ doit coordonner avec les corps policiers municipaux la logistique des mesures de sécurité à mettre en place lors de la visite d'un des chefs de parti.

[15]           Cette mission générale confiée à la SQ s’articule par des mandats spécifiques qu’elle résume comme suit à son plan de sécurité du 31 juillet 2012 :

-          maintenir une liaison avec les partis politiques;

-          réaliser les pré-visites des lieux visités par les chefs;

-          établir les liaisons avec les districts;

-          établir les liaisons avec les services policiers municipaux;

-          évaluer les menaces et les risques;

-          déployer des mesures de sécurité;

-          procéder aux enquêtes spéciales de sécurité.[12]

[16]           Pour la réalisation de ce mandat, plusieurs services et divisions de la SQ doivent être mobilisés, dont principalement le service de la sécurité gouvernementale et institutionnelle dont relève la DPP, et le service de renseignement de sécurité (« SRS ») une division de la SQ chargée d’identifier toute menace d’atteinte à la sécurité ou à l’intégrité de l’état.

[17]           Au jour des élections, la division DPP de la SQ assume la protection des chefs de partis en mobilisant 22 policiers de cette division et 27 autres policiers mis à sa disposition par d’autres unités. Leurs rôles et fonctions respectifs sont résumés comme suit au plan de sécurité :

  • […]

Un capitaine, qui agira comme chef du Poste de commandement

Un lieutenant, qui agira comme Officier responsable de l’opération

Deux sergents, qui agiront comme chef d’équipe et liaison avec chacun des partis

Un agent en fonction supérieure, qui agira comme sergent-chef d’équipe et liaison avec les parties

Trois agents qui agiront comme adjoint au chef d’équipe et responsable des précurseurs.

Douze (12) agents en garde rapprochée (4 par chef de parti)

Deux agents en garde rapprochée pour la sécurité de la conjointe du premier ministre.

Vingt et un (21) policiers précurseurs, soit sept (7) par équipe de travail.

Deux policiers qui seront assignés à la garde rapprochée de la conjointe du premier ministre.

Quatre (4) policiers qui seront assignés à la garde rapprochée des conjoints des deux autres partis politiques.

[18]           L’agent Dominique Langelier agit alors à titre de superviseur de cette équipe et se voit confier la tâche de veiller à la protection de Pauline Marois, alors cheffe du PQ et de sa famille durant toute la campagne électorale. Son équipe, composée d’agents généralement habillés en civil, constitue une garde rapprochée qui se déplace avec Mme Marois et qui maintient en tout temps un contact visuel avec celle-ci et son entourage[13]. La mission première de cette unité de la SQ, telle que la conçoivent ses agents, consiste en somme à veiller à la sécurité des dignitaires et non, à proprement parler, à celle du public en général.

C. Le mandat confié au SPVM

[19]           Le SPVM constitue un corps policier indépendant et autonome de la SQ exerçant sa compétence sur l’ensemble du territoire de la Ville[14] qui regroupe 28 circonscriptions électorales provinciales. Au jour du scrutin, la mission première des agents du SPVM consiste à superviser les bureaux de vote afin de « s’assurer que le tout se déroule dans la paix, le bon ordre et d’assurer la sécurité des personnes et des biens »[15].

[20]           Les jours de vote par anticipation et le jour du scrutin[16] constituent donc, selon le jargon parfois hermétique du SPVM, des « événements corporatifs » en raison du fait qu’ils sollicitent les effectifs de tous les postes de quartier du SPVM se trouvent des bureaux de scrutin; ces effectifs doivent être coordonnés pour assurer le bon déroulement du vote et des nombreux rassemblements qui auront lieu sur le territoire de la Ville.

[21]           Le soir des élections, cette coordination des effectifs déployés par les divers postes de quartier relève du « Centre de commandement et du traitement de l’information (« CCTI ») » composé d’agents du SPVM; le CCTI a pour mission de procéder à l’exécution de la stratégie d’encadrement élaborée par la Division de la planification opérationnelle du SPVM  DPO ») en lien avec les événements prévus le jour du scrutin. Cette stratégie est consignée dans un plan d’action préparé en date du 31 août 2012 intitulé « Service d’ordre » (le « Service d’ordre »)[17]. Ce document préparé à peine quatre jours avant la soirée électorale, fait état du contexte dans lequel sera tenu le vote et des effectifs qui devront être déployés par le SPVM en fonction de l‘évaluation du niveau de risque envisagé. Il y est confirmé que trois partis tiendront un rassemblement sur le territoire de la Ville le soir des élections, soit :

-          le PQ dont le rassemblement aura lieu au Métropolis sur Sainte-Catherine Est (sur le territoire du poste de quartier 21);

-          le PLQ dont le rassemblement aura lieu au Théâtre Plaza sur la rue Saint-Hubert (sur le territoire du poste de quartier 31);

-          QS dont le rassemblement aura lieu à l’Olympia sur la rue Sainte-Catherine Est (sur le territoire du poste de quartier 22).

[22]           Le Service d’ordre détaille également le contexte social dominé depuis plusieurs mois par les manifestations étudiantes, et précise que le SPVM devra augmenter le nombre d’effectifs requis pour bien encadrer les manifestations annoncées. Au 31 août 2012, il est en effet déjà prévu que trois manifestations étudiantes auront lieu le jour du scrutin à 18 h, 20 h 30 et 21 h 30 au Parc Émilie-Gamelin, situé à 500 mètres à l’est du Métropolis et à 300 mètres de l’Olympia. La supervision et l’encadrement de ces manifestations constituent la principale préoccupation du SPVM et de son CCTI, de sorte qu'on envisage alors le déploiement d’entre 250 et 300 policiers pour assurer le maintien de la paix et de l’ordre ce soir-là[18].

D. La collaboration entre la SQ et le SPVM le jour du vote

[23]           Dans le cadre de cette campagne électorale, la SQ perçoit son rôle essentiel comme étant celui de veiller à la protection des chefs de parti et de leur entourage immédiat et non celle du public en général. À ce sujet, les représentants de la SQ appelés à témoigner sont formels, la SQ veille d’abord et avant tout à la protection des chefs de parti : « on protège la personne, on protège pas l'événement »[19].

[24]           Le mandat de la SQ, ainsi axé sur la protection des chefs de parti, l’amène à requérir le support et l’assistance du SPVM lorsque des événements impliquant des chefs de parti se déroulent sur le territoire de la Ville. Du point de vue de la SQ, les forces policières des postes de quartier du SPVM connaissent mieux leur territoire[20], de sorte que la SQ fait preuve de déférence lorsqu’elle formule au SPVM une demande d’assistance complémentaire afin d’assurer la sécurité et le bon déroulement d’un événement. Comme on le verra en détail, cette impartition des tâches, jumelée à la mission de la SQ liée à la protection des chefs de parti, amène la SQ à déléguer au SPVM la sécurité du paramètre extérieur des divers endroits où se trouvent les chefs de parti.

[25]           À cette époque, suivant la pratique alors établie, le jour précédant un événement, la SQ fait parvenir au SPVM un courriel qui confirme cette demande d’assistance et les effectifs additionnels requis. Cette pratique vise historiquement, de manière automatique, le déploiement de quatre policiers, soit deux « duos » d’agents à bord de véhicules de patrouille. Le 3 septembre 2012, la demande d’assistance de la SQ (Division DPP) pour chacun des trois rassemblements ne vise toutefois que le déploiement par le SPVM d’un seul « duo » de policiers à bord d’un véhicule de patrouille du SPVM.

[26]           Cette demande d’assistance[21] reçue par le SPVM la veille du vote est par la suite acheminée à chacun des postes de quartier concernés afin que le responsable de la répartition des effectifs de chacun de ces postes assigne les agents requis.

 

E. Le déroulement de la soirée électorale du 4 septembre 2012

[27]           Le jour du vote, le CCTI passe en mode « commandement » à compter de 17 h en raison des manifestations devant débuter à 18 h et de la nécessité de les encadrer afin d’éviter des perturbations potentielles. Ces manifestations se déroulent finalement sans grabuge, ni débordements et tirent à leur fin lorsque la victoire du PQ est annoncée en fin de soirée.

[28]           En cette fin de campagne, les instances du PQ ont établi leur quartier général au Théâtre du Nouveau-Monde, à quelques centaines de mètres à l’Ouest du Métropolis; il est initialement prévu que Mme Marois se rende à pied au Métropolis. Il tombe toutefois une pluie fine au moment de l’annonce des résultats et Yves Desgagnés, metteur en scène et l’un des responsables de l’organisation de cet événement au sein de l’équipe du PQ, convainc Mme Marois de plutôt s'y rendre en voiture. Elle franchit le Métropolis vers 23 h 30 et y accède par l’entrée principale ayant front sur la rue Sainte-Catherine Est. Accompagnée des membres de sa famille et escortée par les agents du SRS et de la DPP, Mme Marois doit y livrer son discours de la victoire et, fait important, quitter immédiatement par la suite en empruntant l’une des portes arrière du Métropolis située sur la rue Boisbriand, soit la porte généralement utilisée par les techniciens de scène et les artistes qui s’y donnent en spectacle.

[29]           Le croquis ici-bas permet de situer les accès au Métropolis, lui-même situé sur un quadrilatère délimité au sud par la rue Sainte-Catherine, au nord par l’avenue Boisbriand, à l’est par l’avenue De Bullion et à l’ouest par l’avenue Saint-Dominique :

 

 

 

[30]           Plus de 1 200 partisans en liesse attendent Mme Marois lorsqu’elle pénètre dans la salle de spectacle. Tel que prévu, quatre membres du SRS assurent sa garde rapprochée et deux membres du SRS assurent la garde de son conjoint et de sa famille. Suivant le plan de déploiement des effectifs élaboré par la SQ, 10 agents du SRS et 11 agents de sécurité relevant du Métropolis sont positionnés à divers points de faction, dont un devant l’entrée principale du Métropolis et un à l’intérieur de la salle, tout juste à côté de la porte arrière de l’établissement[22]. Suivant les instructions communiquées par la SQ, les sacs des membres du public sont fouillés de manière systématique par les agents de sécurité et il est interdit de brandir des drapeaux à l’intérieur du Métropolis[23].

[31]           Au moment où Mme Marois débute son discours, on retrouve donc au total 21 policiers et agents de sécurité à l’intérieur du Métropolis afin d’assurer le bon déroulement de cette fin de soirée qui marque également la fin de la campagne électorale. Dans environ trente minutes, Mme Marois quittera l’enceinte par la porte arrière sous escorte des agents du SRS qui l'accompagneront jusqu’à un véhicule déjà stationné sur la rue Saint-Dominique.

[32]           Au même moment, en périphérie du Métropolis, deux agents du SPVM, les agents Mathieu Brassard et Pascal Joly, soit le duo désigné afin de donner suite à la demande d’assistance de la SQ, se trouvent au coin des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine, d’où ils regardent l’écran géant installé devant le Métropolis qui diffuse le discours de Mme Marois. Outre ces deux agents, depuis 22 h 38[24], deux autres agents du poste de quartier 21 se trouvent à bord de leur véhicule de patrouille stationné au coin de la rue Saint-Dominique et du boulevard de Maisonneuve. Ces agents, Ken Leblond et Cynthia Marcil, y ont été dépêchés en soirée par leur supérieur, le sergent Simon Durocher, afin de bloquer la circulation automobile vers le sud sur la rue Saint-Dominique.

[33]           Des barrières de métal ont également été installées à l’angle des rues Saint-Dominique et Boisbriand mais aucun agent de la SQ ou du SPVM ne se trouve à l’arrière du Métropolis afin d’en contrôler l’accès durant la soirée, ni, de façon plus particulière, à 23 h 30 lorsque Pauline Marois amorce son discours et que les techniciens chargés de démonter la scène arrivent tour à tour sur les lieux.

F. Les demandeurs et leur arrivée à l’arrière du Métropolis

[34]           Audrey Dulong-Bérubé  Dulong-Bérubé »[25]), Jonathan Dubé (« Dubé »), Gaël Ghiringhelli Ghiringhelli ») et Guillaume Parisien (« Parisien ») œuvrent tous à cette époque à titre de techniciens de la scène. Leurs services sont retenus sur une base régulière par Les Productions du Grand Bambou, une entreprise de placements d’employés impliquée dans le domaine du spectacle qui les embauche à titre de travailleurs autonomes. Ils se décrivent tous comme faisant partie d’une grande famille solidarisée par leurs horaires de travail atypiques et leur passion pour les arts de la scène.

[35]           Il convient à ce stade de présenter brièvement chacun des demandeurs et leurs parcours respectifs jusqu’à cette soirée fatidique du 4 septembre 2012.

Audrey Dulong-Bérubé

[36]           Originaire de Rouyn et alors âgée de 26 ans, Dulong-Bérubé déménage à Montréal en 2003 afin d’y jouer de la musique à titre de bassiste d’un groupe rock. Elle œuvre dans divers métiers avant de devenir technicienne de scène, un métier idéal pour elle qui lui permet de combler ses intérêts artistiques vu les horaires de travail flexibles de ce métier.

[37]           Ce soir-là, elle doit rejoindre Ghiringhelli aux Foufounes Électriques, un bar situé à quelques pas du Métropolis afin d’y prendre un verre avant le début de son quart de travail. Vers 11 h 30, Ghiringhelli ne se présentant pas au rendez-vous, elle quitte pour le Métropolis en empruntant la rue Sainte-Catherine vers l’ouest, la rue Saint-Dominique vers le nord et la rue Boisbriand vers l’est. Elle est alors surprise de constater qu’il n’y a aucune présence policière à l’arrière du Métropolis, « c’est désert » mentionne-t-elle lors de son témoignage.

[38]           Elle accède au Métropolis par l’entrée des artistes à l’arrière de l’établissement afin de suivre les résultats du vote dans le boudoir situé au sous-sol et ressort vers 11 h 45 pour fumer une cigarette avec ses collègues dans les marches recouvertes d’une marquise qui permettent d’accéder à l’entrée des artistes, soit les marches couvertes d'un auvent communément appelées « les marches bleues » par tous les techniciens de la scène. Quelques minutes plus tard, un agent qui surveille la porte de l’intérieur lui bloque l’accès à la salle lorsqu’elle tente d’y retourner.

[39]           Elle patiente donc dans les marches avec ses collègues en attendant qu’on leur permette d’entrer pour débuter le démontage de la scène sur laquelle Mme Marois finira bientôt son discours.

Jonathan Dubé

[40]           Originaire de Rimouski et alors âgé de 31 ans, Dubé déménage à Montréal en 2009 afin d’y vivre pleinement sa passion pour la musique heavy metal. Sa vie tourne autour de la musique; il organise des spectacles, voyage régulièrement en Europe pour assister à divers festivals de musique métal et agit même parfois comme reporter chargé de couvrir ces événements, faisant de lui un personnage incontournable du monde montréalais du heavy metal.

[41]           Il travaille comme portier et chef de sécurité dans divers bars du centre-ville avant d’être retenu comme technicien de scène par Les Productions du Grand Bambou, initialement à titre de machiniste et par la suite comme éclairagiste.

[42]           Le 4 septembre 2012, ses services sont retenus pour procéder au montage de la scène en avant-midi et à son démontage le soir. Il retourne donc au Métropolis en fin de soirée en empruntant le métro. À sa sortie du Métro Saint-Laurent, vers 11 h 45, il emprunte la rue Saint-Dominique et par la suite la rue Boisbriand pour se rendre à l’arrière du Métropolis. Il fume une cigarette avec ses collègues et amis qui attendent dans les marches bleues, car l’un des agents situés à l’intérieur de la salle lui en bloque l’accès.

Gaël Ghiringhelli

[43]           Ghiringhelli est originaire du sud de la France où il réside jusqu’en 2009 avant de tomber en amour avec le Québec où il cherche à s’y établir. Titulaire d’un bac en électronique et de formations en techniques du son et de la lumière, il est surqualifié pour agir à titre de technicien de la scène mais se plaît à travailler pour Les Productions du Grand Bambou à compter de l’été 2010, initialement comme technicien du son et par la suite à l’éclairage. Il rêve alors d’être un jour directeur photo sur des plateaux de cinéma.

[44]           Il ne travaille pas le soir des élections mais il a prévu prendre un verre avec son amie Dulong-Bérubé pour ensuite aller à l’Olympia offrir son soutien à l’un de ses amis, candidat de QS. Il manque son rendez-vous avec Dulong-Bérubé et décide de se rendre tout de même au Métropolis afin d’aller narguer ses collègues et amis qui eux travailleront sous peu. Il se rend donc à l’arrière du Métropolis vers 11 h 45 en empruntant la rue Sainte-Catherine vers l’ouest, la rue Saint-Dominique vers le nord et la rue Boisbriand vers l’est. Il constate également avec étonnement l'absence de policiers à l'arrière du Métropolis.

Guillaume Parisien

[45]           Alors âgé de 26 ans, Parisien déménage de Québec à Montréal pour y suivre des études de cinéma au Collège Dawson où il produit des courts métrages ainsi que divers projets audio-visuels. Il fonde en 2006 sa propre compagnie de production et travaille régulièrement pour Les Productions du Grand Bambou à compter de 2009.

[46]           Le 4 septembre 2012, il reçoit un appel urgent d’Yves Savard, patron des Productions du Grand Bambou, qui lui demande de participer au démontage de la scène en fin de soirée. Parisien accepte et se rend au Métropolis en métro en fin de soirée pour y rejoindre ses amis et collègues qui patientent dans les marches bleues. Il y règne une atmosphère détendue parmi les techniciens jusqu’à ce qu’un coup de feu ne se fasse entendre tout juste avant minuit.

                        G. L’attentat de Richard Henry Bain tel que perçu par les demandeurs

[47]           Dulong-Bérubé ne voit pas Bain s’approcher de l’arrière du Métropolis avant qu’il n’ouvre le feu. Elle entend la détonation et voit son ami Dave Courage tomber tout juste à côté d’elle et de Ghiringhelli. Dans ce contexte complètement chaotique, on lui permet d’accéder à l’intérieur de la salle pour y transporter Courage avec l’assistance de Ghiringhelli. Elle apprend peu de temps après que son ami Denis Blanchette est décédé.

[48]           Retenue à titre de témoin par des agents du SPVM qui l’escortent jusqu’au poste de quartier pour qu’elle y fasse une déposition écrite, elle quitte le poste de quartier vers 6 h et passe le reste de la journée à boire.

[49]           Dubé patiente lui aussi dans les marches bleues lorsque la détonation se fait entendre. Il discute avec Denis Blanchette lorsque la balle l’atteint. Pris de panique, Dubé se met à courir en direction de la rue Sainte-Catherine et constate alors qu’il a du sang au visage et sur les mains. Il retournera sur les lieux le lendemain après avoir bu profusément durant la nuit; il interpelle alors un policier pour lui offrir sa déposition à titre de témoin de l’attentat.

[50]           Ghiringhelli fait face à la porte arrière du Métropolis de sorte qu’il ne voit pas Bain s’approcher avant qu’il ne tire. Après avoir transporté Dave Courage à l’intérieur du Métropolis, il apprend la mort de Denis Blanchette et passe par la suite la nuit avec deux policiers jusqu’à ce qu’un enquêteur de la SQ prenne sa déposition écrite[26].

[51]           Parisien se trouve sur le trottoir à proximité des marches arrière lorsqu’il entend le coup de feu. Il voit alors le sac à dos de Denis Blanchette éclater et ce dernier s’effondrer sur lui. Pris de panique à la vue de Bain et de son arme longue, il laisse choir le corps de Blanchette et se met à courir vers la rue Sainte-Catherine pour échapper à cette scène qu’il décrit comme étant « la terreur absolue »[27].

 

Questions en litige

[52]           Les demandeurs soutiennent essentiellement que la SQ et le SPVM ont commis une faute d’omission en n’assurant pas une présence policière et un périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis; selon eux, n’eut été cette faute, l'attentat de Bain n'aurait pas eu lieu et ils n’auraient pas subi de préjudice. Les demandeurs réclament par ailleurs des dommages punitifs.

[53]           À ces éléments du fardeau de preuve que le Tribunal évaluera consécutivement, s’ajoutent les arguments de prescription soulevés tant par le SPVM que par la SQ. Le SPVM plaide en effet que le délai de la prescription de six mois prévu à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes  LCV ») doit s’appliquer au recours de chacun des demandeurs puisqu’il s’agirait de dommages moraux et non, à proprement parler, de « dommages corporels » pour lesquels ce court délai de prescription ne trouve pas application et cède le pas à la prescription triennale prévue à l’article 2925 C.c.Q. Cet argument est propre au SPVM puisqu'il ne profite qu’aux mandataires de la Ville de sorte que la SQ ne peut invoquer les dispositions de la LCV à son propre bénéfice.

[54]           Tant la SQ que le SPVM soulèvent également le non-respect par trois des quatre demandeurs de la prescription triennale dans la mesure où le recours de ceux-ci, à l’exception de Parisien, a été intenté par modification les ajoutant à titre de demandeurs 47 jours après l’expiration du délai de trois ans calculé à compter du soir de l’attentat.

[55]           L’analyse de la preuve et des arguments soulevés de part et d’autre est ci-après abordée en fonction des cinq questions en litige suivantes :

1. La SQ et le SPVM ont-ils commis une faute en n’assurant aucune présence policière ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis au cours de la soirée du 4 septembre 2012?

2. Quels sont les dommages subis par les demandeurs?

3.  La faute commise par la SQ et le SPVM a-t-elle causé les dommages non-pécuniaires réclamés par les demandeurs?

4. Le recours des demandeurs est-il prescrit?

5.  Les demandeurs ont-ils droit à des dommages punitifs?

*       *   *

 

 

 

Analyse

1. La SQ et le SPVM ont-ils commis une faute en n’assurant aucune présence policière ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis au cours de la soirée du 4 septembre 2012 ?

1.1. Cadre juridique

[56]           En vertu de l’article 1457 C.c.Q., « [t]oute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». Chacun est ainsi susceptible d’engager sa responsabilité si sa conduite s’écarte de celle qu’une personne raisonnable, prudente et diligente aurait eue dans les mêmes circonstances[28]. Une telle faute peut résider tant dans l’action que dans l’omission de faire quelque chose[29].

[57]           Cette norme fondamentale vaut tout autant pour les corps policiers, qui ne bénéficient d’aucune immunité particulière devant la loi[30]. Au Québec, leur mission et leurs compétences sont énoncées dans la Loi sur la police[31] :

48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les personnes victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.

[…]

50. La Sûreté du Québec, corps de police national, agit sous l’autorité du ministre de la Sécurité publique et a compétence pour prévenir et réprimer les infractions aux lois sur l’ensemble du territoire du Québec.

La Sûreté a également compétence pour prévenir et réprimer les infractions aux règlements municipaux applicables sur le territoire des municipalités sur lequel elle assure des services policiers.

[…]

69. Chaque corps de police municipal a compétence, sur le territoire de la municipalité à laquelle il est rattaché ainsi que sur tout autre territoire sur lequel il assure des services policiers, pour prévenir et réprimer les infractions aux règlements municipaux.

[…]

70. Le territoire de toute municipalité locale doit relever de la compétence d’un corps de police.

[…]

La Sûreté assure les services du niveau supérieur à celui requis d’un corps de police municipal, à moins que le ministre n’autorise celui-ci à fournir les services d’autres niveaux qu’il détermine. Les corps de police travaillent en collaboration dans l’exercice de leur compétence respective.[32]

[…]

[Soulignements du Tribunal]

[58]           À juste titre, les forces policières jouissent d’une grande latitude dans l’accomplissement de leurs fonctions[33] et il n’appartient habituellement pas aux juges de leur dicter les meilleures pratiques à adopter pour assurer la sécurité du public[34]. Cela dit, les tribunaux interviendront pour réparer le préjudice causé par les policiers s’ils exercent leurs pouvoirs de manière déraisonnable[35].

[59]           En cette matière, le comportement policier s’évalue selon le critère du policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances[36]. Il ne s’agit pas d’une norme d’excellence ou de perfection[37] ; les forces policières sont faillibles et peuvent être excusées pour de simples erreurs ou accidents, même lourds de conséquences[38]. Elles sont soumises, en d’autres termes, à une « obligation de moyens »[39].

[60]           Lorsqu’on allègue l’omission de prémunir contre un danger, il faut se demander si un policier normal aurait été en mesure de le prévoir et de l’éviter. Il ne s’agit pas d’exiger des policiers qu’ils parent à toutes les éventualités possibles, « mais seulement [celles] qui, dans les circonstances, [étaient] raisonnablement probables »[40]. Il serait facile pour le Tribunal d’en décider à partir de l’information complète dont il bénéficie avec le recul[41], ou de se laisser impressionner par l’ampleur de la tragédie survenue suite au travail policier[42]. Or, sa tâche consiste plutôt à apprécier la faute au moment de la survenance des faits et à la lumière des faits et circonstances connus à l’époque[43].

[61]           Par ailleurs, les méthodes d’enquête ou d’intervention ou, comme en l’espèce, de protection des personnes « évoluent avec le temps, l’expérience acquise et l’assimilation des connaissances » par les forces policières[44]. Le fait qu’on les ait améliorées après coup ne contribue pas à établir une faute; de tels correctifs ne sont en aucun cas un aveu de responsabilité[45].

[62]           Ceci étant dit, les pratiques policières en vigueur constituent un facteur pertinent, mais non déterminant quant à l’existence d’une faute[46]. Il revient ultimement aux tribunaux de décider ce que la norme du policier normalement prudent, diligent et compétent exigeait dans les circonstances de l’affaire[47].

1.2. Discussion relative à la faute

[63]           Pour les motifs détaillés ci-après, le Tribunal conclut que la SQ et le SPVM ont bel et bien commis une faute en n’assurant aucune présence policière, ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis. Par manque de communication et de coordination dans le déploiement de leurs effectifs, tant la SQ que le SPVM ont manqué à leur obligation d’assurer la sécurité du public, en l’occurrence celle des demandeurs, en exécutant un plan de sécurité qui n’assurait aucune protection policière à l’endroit même où devait être évacuée la nouvelle Première ministre du Québec à la suite de son discours.

[64]           Pour bien cerner les considérations qui sous-tendent cette conclusion, il paraît essentiel de tout d'abord analyser encore plus en détails les communications et mesures de coordination mises en place par la SQ et le SPVM en amont de la soirée électorale. Cette analyse démontre en effet une incompréhension tant de la SQ que du SPVM de leurs rôles et fonctions respectifs afin d’assurer la sécurité de tous les abords du Métropolis.

[65]           Alors que la SQ tient pour acquis que le SPVM constitue « ses yeux » à l’égard de tout le périmètre de cette salle de spectacle, le SPVM n’y voit qu’une simple demande d’assistance pour laquelle elle ne mobilise aucun agent chargé de superviser l’accès immédiat à l’arrière du Métropolis. Ce manque de coordination entraîne une faille importante du plan de sécurité dont Bain a pu profiter pour commettre son crime.

1.2.1 Les communications et mesures de coordination entre la SQ et le SPVM

1.2.1.1  Les entretiens entre le capitaine Bergeron (DPP) et l’inspecteur Pichet (SPVM)

[66]           Peu de temps après le lancement de la campagne électorale, le capitaine Louis Bergeron, aujourd’hui retraité et alors responsable de la DPP, se voit confier la tâche de procéder à l’élaboration d’un plan de sécurité[48] des chefs des partis politiques durant la campagne.

[67]           À ce titre, il rencontre en juillet Philippe Pichet, alors inspecteur haut gradé au sein du SPVM, afin de planifier la division des tâches de leurs corps policiers respectifs durant la campagne. Lors de cet entretien, suivant ce que le capitaine Bergeron décrit comme étant « la recette du moment », il est clairement établi que la SQ assume uniquement la garde rapprochée des dignitaires et la pré-visite des lieux où se dérouleront les événements auxquels participeront les chefs de partis[49].

[68]           Ils conviennent que la SQ sera responsable d’assurer la sécurité du périmètre intérieur de ces lieux, tandis que le SPVM devra assurer la sécurité du périmètre extérieur. Tous les représentants de la SQ et du SPVM appelés à témoigner au procès corroborent cette division des tâches[50].

[69]           À cet égard, le capitaine Bergeron mentionne ce qui suit :

Me Dufresne-Lemire :  Est-ce que vous avez parlé avec M. Pichet de cette répartition des tâ ches ?

M. Bergeron :  […] oui oui on en a parlé parce qu’on parlait de demande d’assistance et c’était sur le périmètre extérieur considérant que la Sûreté du Québec était responsable du périmètre intérieur ou de la dignitaire qui était à l’intérieur et le Métropolis de la sécurité des portes intérieures, comme je l’ai fait mention tout à l’heure.

Me Dufresne-Lemire : Donc, M. Pichet était au courant que la sécurité de l’extérieur revenait à son organisation 

M. Bergeron : Effectivement

Me Dufresne-Lemire : Donc, ça l’a été dit pendant la conversation 

M. Bergeron : […] je me rappelle de la conversation, dans cette conversation nous avons eu une discussion concernant la sécurisation du périmètre extérieur, à cet moment-là, et il m’a fait mention qu’il allait eux-mêmes déterminer le nombre de policiers, considérant qu’ils avaient une connaissance pointue du périmètre extérieur et qu’ils allaient assigner les policiers nécessaires.

[Soulignements du Tribunal]

[70]           Au Rapport Exécutif[51] rédigé par le capitaine Bergeron en janvier 2013 à la suite des événements du Métropolis, il est fait mention que le SPVM « a refusé que la Sûreté [SQ] effectue une évaluation des besoins ». Ils ont préféré « garder la latitude d’évaluer les besoins extérieurs et d’assigner les ressources selon leur évaluation uniquement »[52].

[71]           Dans le cadre de son témoignage au procès, le capitaine Bergeron mentionne qu’il regrette l’usage du mot « refusé » au Rapport Exécutif[53] et précise que l’inspecteur Pichet réservait plutôt au SPVM le privilège d’avoir le dernier mot quant à la protection du périmètre extérieur vu sa connaissance intime du territoire relevant de la juridiction du poste de quartier 21.

[72]           Quoi qu’il en soit, le Tribunal retient du témoignage du capitaine Bergeron qu’il est alors clairement établi que le SPVM évaluera les besoins d’effectifs pour assurer la protection du périmètre extérieur du Métropolis et déploiera les agents requis suivant cette évaluation. Fait important à souligner, la preuve révèle qu’aucune telle évaluation n’a été menée par le SPVM qui s’est contenté ce soir-là de suivre les directives contenues à la demande d’assistance de la SQ[54].

1.2.1.2 Le Service d’ordre local du 27 août 2012

[73]           À la suite des entretiens tenus entre le capitaine Bergeron et l’inspecteur Pichet, le 27 août 2012, le poste de quartier 21 consigne son propre plan d’action en vue de la soirée électorale dans un court document intitulé « Service d’ordre local »[55].

[74]           Ce service d’ordre local résume la mission du poste de quartier 21 en ces termes :

Lors des élections, la mission du Service consiste à maintenir l’ordre et la paix publique, ainsi qu’a assuré (sic) à tous les citoyens le libre exercice de leurs droits civiques.

Journée du scrutin :

Le Mardi 4 septembre, chaque PDQ aura la responsabilité d’assurer à chaque citoyen, le libre exercice de son droit civique. En conséquence, le PDQ21 à (sic) établi son service d’ordre local qui prévoi (sic) ; un véhicule duo (21-150) qui effectuera des visites aux bureaux de scrutin et ce, de 9h30 à 21h30.

[75]           Aucune mention n’y est faite quant à la nécessité d’assurer la sécurité des abords du Métropolis; la seule référence aux divers événements partisans prévus le 4 septembre 2012 sur le territoire du poste de quartier 21 se limite à ceci :

Info.

Québec Solidaire se rassembleront à la salle de spectacle l’Olympia située au 1004 Ste-Catherine E.

 

 Présence de Pauline Marois au :

 TNM, 84, rue Ste-Catherine Ouest, Montréal

 Heure de l’événement : 18 h 45

 Et le Métropolis, 59 Ste-Catherine Est, Montréal

Heure de l’événement : 23 h 00

Responsable DPP de l’événement : Frédéric Desgagné tel : 418 [...], (Prendre contact)

1.2.1.3 Le Service d’ordre préparé par le SPVM (DPO) en date du 31 août 2012[56]

[76]           Le 31 août 2012, le SPVM, par le biais de sa division de planification opérationnelle, émet également un « Service d’ordre » destiné aux postes de quartier appelés à superviser les bureaux de scrutin situés sur leur territoire. Ce document fait état des trois manifestations étudiantes prévues le soir des élections et envisage le déploiement d’un effectif global de 200 à 250 policiers[57] afin d’encadrer les manifestants. On y mentionne que le SPVM portera une attention particulière à des manifestations étudiantes spontanées « advenant la réélection du libéral (sic) à la tête du gouvernement »[58].

[77]           Le SPVM y résume ainsi sa mission et les objectifs spécifiques de son implication :

MISSION

La mission du personnel affecté au service d’ordre est d’encadrer l’événement afin de s’assurer que le tout se déroule dans la paix, le bon ordre et d’assurer la sécurité des personnes et des biens, ainsi que le libre exercice des droits civiques de tous les citoyens. Cela en application des lois et règlements, dans le respect des droits et libertés garantis par la Charte.

Objectifs spécifiques

Impact sur la population

Nous devons prendre en considération l’affluence de la circulation autour de certains emplacements le jour du scrutin et des votes par anticipation, l’affichage électoral, les assemblées publiques, sans oublier les méfaits envers certains biens ou immeubles visant une personne ou un parti politique.

[78]           On y mentionne que les lieux de rassemblement des trois partis politiques le soir du scrutin sans faire état d’une demande d’assistance de la SQ, ni du besoin d’assurer la sécurité du périmètre extérieur des lieux concernés.

1.2.1.4 La demande d’assistance de la SQ (DPP) au SPVM (DPO) datée du 3 septembre 2012[59]

[79]           En fin de journée le jour précédant le scrutin, la SQ achemine au SPVM, à l’attention de l’agente Johanne Matte, une « demande d’assistance pour trois événements de Pauline Marois dans le cadre de la campagne électorale »[60]. Matte achemine tôt le lendemain matin (7 h 46) à 11 agents du SPVM[61] en vue de sa prise en charge par les postes de quartier du SPVM concernés.

[80]           En prévision de l’événement qui sera tenu par le PQ au Métropolis le lendemain soir, la SQ y décrit ses besoins comme suit :

3e événement

Voici nos besoins :

Date : Le 4 septembre 2012

Lieu : Le Métropolis, 59 Ste-Catherine Est, Montréal

Heure requise des policiers : 22 h 30

Heure de l’événement : 23 h 00

Nombre de policiers : 2 policiers

Nombre de véhicules marqués : 1 véhicule

Responsable DPP de l’événement : Frédéric Desgagnés tel : [caviardé]

SVP confirmer au responsable le nom des agents et leurs coordonnées le plus tôt possible.

 

Alain Dubuc, lieutenant

Division de la protection des personnalités

 

[81]           Ce document, que les agents de la SQ décrivent aussi comme étant une « attention spéciale »[62], ne contient pas la demande standard requérant l’assistance de quatre agents du SPVM mais plutôt une demande visant l’attention spéciale de deux policiers et d’un seul véhicule de patrouille à compter de 22 h 30 le 4 septembre.

[82]           Cette demande[63] qui concerne les événements à être tenus par le PQ, le PLQ et QS vise à assurer le déploiement d’effectifs minimum et constitue alors une demande automatique formulée par la SQ au SPVM pour tous les événements tenus par les divers partis durant la campagne électorale 2012. Notons qu’elle ne reflète pas le besoin d’établir un périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis que la SQ choisit d’impartir au SPVM selon sa propre évaluation des besoins et des risques, tel que convenu avec l’inspecteur Pichet quelques semaines auparavant.

[83]           On constate également que les mêmes effectifs (un duo de policiers et un véhicule) ont été déployés par le SPVM quelques jours plus tôt, le 30 août, lors d’un autre événement partisan du PQ aussi tenu au Métropolis.

[84]           Il découle de ce qui précède qu’alors qu’elle limite son rôle à celui de la garde rapprochée de Pauline Marois et de sa famille à l’intérieur du Métropolis, la SQ choisit de formuler une demande d’attention spéciale qui ne requiert du SPVM qu’un seul duo de policiers afin d’assurer la sécurité du périmètre extérieur de la salle une fois annoncés les résultats des élections.

[85]           Voyons maintenant comment mettent en œuvre cette demande d’attention spéciale les agents du poste de quartier 21 du SPVM.

1.2.2 La mise en œuvre par le SPVM de la demande d’attention spéciale de la SQ

[86]           Le sergent Simon Durocher agit à titre de sergent de relève au sein du poste de quartier 21 pour superviser le quart de travail et la répartition opérationnelle des agents en fonction entre 15 h et 12 h 45 le soir du 4 septembre 2012. Ce soir-là, à compter de 21 h 30, il dispose d’un effectif total de 27 policiers pour patrouiller le territoire que couvre ce poste.

[87]           À la suite de la fermeture des bureaux de scrutin à 20 h, afin de donner suite à la demande d’assistance de la SQ, il choisit d’affecter les agents Mathieu Brassard et Pascal Joly (duo alors en patrouille dans le véhicule portant le matricule 21-14) afin qu’ils assurent une présence « aux abords du Métropolis ». Dans le jargon policier, il désigne ce véhicule de patrouille comme étant inscrit sous le code « 21-150 », soit un véhicule qui, en principe, ne peut être réparti à d’autres fonctions.

[88]           Le sergent Durocher résume ainsi cette assignation des agents Brassard et Joly :

Me Dufresne-Lemire : Ok et c’était quoi exactement que vous leur avez demandé de faire, c’était quoi leur, leur assignation exacte ?

Simon Durocher : Dans le … oui, ben leur assignation dans le fond c’est, c’est d’être présent aux abords, comme j’ai dit, du Métropolis et détecter tout événement qui pourrait être dérangeant ou regroupement, on s’entend qu’on était, on était dans une période où qu’y’avait eu beaucoup de manifestations en 2012, donc c’était vraiment être des yeux pour voir euh tout dérangement possible, faque c’est, c’est pour ça que je les attitrais pas, d’une façon fixe à un endroit, mais c’était pour qu’ils soient mobiles aux abords du Métropolis.

[Soulignements du Tribunal]

[89]           Il résume ainsi ses attentes quant à l’attention spéciale devant être portée aux abords du Métropolis :

Me Dufresne-Lemire : Ok. Et quand vous leur informez de vos attentes, d’être aux abords du Métropolis, pouvez-vous être plus précis, par rapport, qu’est-ce que ça signifie être aux abords du Métropolis ?

Simon Durocher : Ben, comme j’vous disais, être aux abords du Métropolis, je leur demande, j’y dit… si vous voyez quelque chose de particulier, si vous voyez une problématique, pis je les informe de la problématique de circulation que j’avais eue à l’ext… à l’arrière, donc je leur ai dit, si jamais vous voyez un flot de circulation qui déborde, à un autre endroit, vu qu’on avait fait des restrictions, avisez-moi si vous voyez une situation particulière, vous voyez quelqu’un de louche, si vous voyez, euh… interpellez-le et informez-nous sur les ondes si vous avez besoin de, de relève ou de support policier, ben juste à l’dire sur les ondes.

[90]           Au cours de la soirée, les agents Brassard et Joly doivent intervenir brièvement pour contrôler un individu louche mais pour le reste, ils ne se rendent pas à l’arrière du Métropolis. Au moment du discours de Mme Marois, ils sont tous deux hors de leur véhicule de patrouille, au coin sud-est de l’intersection du boulevard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine et regardent le discours de la nouvelle Première ministre sur écran géant.

[91]           Plus tard en soirée, vers 22 h, le sergent Durocher constate un problème de circulation potentiel pouvant survenir si des véhicules empruntent la rue Saint-Dominique vers le sud, en direction de la rue Sainte-Catherine. Il choisit donc de jumeler les agents Ken Leblond et Cynthia Marcil et de les assigner, à bord de leur véhicule, au coin de la rue Saint-Dominique et du boulevard Maisonneuve (tout juste à côté du Métro Saint-Laurent). À compter de 22 h 38[64], leur véhicule est garé, pointé vers l’est, gyrophares allumés. Selon le sergent Durocher, cette démarche a pour but principal de bloquer la circulation automobile et non de prévenir la circulation des piétons vers l’arrière du Métropolis. Suivant les instructions reçues, les agents Leblond et Marcil ne doivent d’ailleurs pas, en principe, quitter leur véhicule de patrouille. À tout événement, ils ne peuvent, de l’endroit où ils sont stationnés, voir la sortie arrière du Métropolis et ne cherchent pas à limiter la circulation piétonne en cette direction.

1.3. Constats et conclusions quant à la faute

[92]           Il convient de faire état des constats et conclusions que tire le Tribunal de la preuve, telle que tout juste résumée, avant d’aborder la question de savoir si une présence policière et un périmètre de sécurité auraient dû être mis en place ce soir-là par la SQ et le SPVM.

[93]           Premièrement, Le Tribunal note que contrairement à ce qui fut convenu entre le capitaine Bergeron (SQ) et l’inspecteur Pichet (SPVM) en amont de la soirée électorale, le SPVM n’a pas procédé à sa propre évaluation des besoins et effectifs requis pour les fins d’assurer la sécurité des abords du Métropolis. Les lieux ont fait l’objet de pré-visites par les agents précurseurs de la SQ et le SPVM a procédé à l’évaluation de ses besoins d’effectifs pour les fins du contrôle des manifestations annoncées, mais le SPVM n’a pas procédé à une analyse spécifique des effectifs requis pour sécuriser tout le périmètre extérieur du Métropolis lors de la soirée électorale du PQ. Il a essentiellement donné suite à la demande d’assistance de la SQ en affectant un duo de policiers et un véhicule de patrouille sans préciser le lieu exact où ils devraient se trouver aux abords du Métropolis.

[94]           Il s’agit là d’une conduite qui relève d’une insouciance certaine, notamment au regard du contexte social qui règne alors mais aussi au regard de l’envergure de l’événement devant se tenir au Métropolis.

[95]           Deuxièmement, il se dégage de l’ensemble de la preuve une certaine dissonance entre le rôle que la SQ cherche à impartir au SPVM et ce rôle tel que le perçoit le SPVM dans le cadre de sa collaboration avec la SQ pour les fins de l’exécution du plan de sécurité. Le mandat confié par la SQ au SPVM en ce qui a trait au périmètre extérieur du Métropolis ne constitue pas du tout une demande d’assistance claire au SPVM d’assurer la sécurité de tout le quadrilatère du Métropolis. Pour les agents du SPVM, ce dernier n’agit qu’en support de la SQ[65] et son rôle se limite à « assurer une visibilité [66]» autour du Métropolis. Dit autrement, la demande d’assistance de la SQ n’enjoint pas au SPVM d’être « les yeux de la SQ » aux abords du Métropolis.

[96]           Troisièmement, on note que le plan de sécurité conçu par la SQ pour les fins de la soirée électorale n’a pas été modifié ni ajusté en cours de route, que ce soit en raison des menaces proférées sur les réseaux sociaux à l’égard de Mme Marois[67] ou en raison du résultat des élections annoncé en fin de soirée.

[97]           La SQ, avec l’assistance du SPVM, met donc en œuvre le même plan de sécurité que celui exécuté à tous les autres événements partisans tenus par les partis politiques lors de cette campagne électorale, soit le plan que les représentants de la SQ qualifient de « recette du moment ». Or, avec égards, on peut raisonnablement inférer qu’un rassemblement tenu dans le cadre d’une campagne électorale n’entraîne pas les mêmes risques qu’une célébration faisant suite à la victoire électorale d’une formation politique.

[98]           Quatrièmement, on note du même fait que l’absence de policiers à l’arrière du Métropolis au cours de la soirée du 4 septembre 2012 ne résulte pas, à proprement parler, d’un cafouillage, ni de l’exécution fautive d’un plan de sécurité qui aurait pu prévoir une telle présence policière tout autour du Métropolis. On l’a vu, la demande d’assistance de la SQ, suivant la recette du moment, n’enjoint pas au SPVM d’assurer une présence policière à l’arrière de la salle de spectacle.

[99]           Pour le Tribunal, il ne s’agit donc pas de déterminer si le plan de sécurité envisagé a été ou non exécuté de manière adéquate par la SQ et le SPVM. Ce n’est pas l’exécution de ce plan qui est en cause mais plutôt son caractère adéquat ou non. Il faut en réalité répondre à la question suivante : Un corps policier raisonnablement prudent placé dans les mêmes circonstances aurait-il adopté et exécuté un plan de protection qui n’envisage aucune présence policière fixe, ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis lors d’un événement politique d’envergure posant des risques inhérents de sécurité ?

[100]       Le Tribunal répond par la négative à cette question et conclut que la SQ et le SPVM commettent une faute, que l’on pourrait qualifier d'omission[68], en n’assurant aucune présence policière fixe, ni périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis, à l’endroit même où sortira la nouvelle Première ministre et où attendent les demandeurs avant le début de leur quart de travail.

[101]       La SQ et le SPVM invitent le Tribunal à conclure qu’ils n’ont commis aucune faute puisqu'ils n'auraient dérogé à aucune norme alors applicable dans la planification et l’exécution de leur plan de sécurité le soir du 4 septembre 2012. Suivant cet argument, en suivant cette norme, la soi-disant « recette du moment », les corps de police ne sauraient avoir dérogé au comportement d'un corps de police raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

[102]       Le Tribunal ne partage pas ce point de vue. Il y a plutôt lieu de conclure que l’absence de présence policière et d’un périmètre de sécurité à l’arrière du Métropolis constituait une faille importante de ce plan de sécurité, dont a tragiquement profité Richard Henry Bain.

[103]       Cette conclusion s’appuie sur les considérations suivantes.

[104]       Dans un premier temps, le Tribunal ne peut raisonnablement conclure que le fait qu’aucune présence policière ne soit assurée à l’arrière des lieux où étaient tenus les divers événements partisans durant la campagne était alors conforme à une véritable norme de conduite établie. Le fait que cette pratique ait été suivie durant la campagne électorale 2012 ne permet pas d’inférer qu’il s’agit là d’une norme reflétant la conduite d’un corps policier raisonnablement prudent et diligent.

[105]       À cet égard, le Tribunal accorde un poids important aux témoignages du capitaine Bergeron et du sergent Durocher.

[106]       En 2012, rappelons que le capitaine Bergeron agit à titre de responsable de la division DPP de la SQ et supervise à ce titre les équipes qui veillent à la protection des chefs de parti et de leurs familles durant toute la campagne. Il participe activement à la préparation du plan de sécurité[69] et rédige le Rapport Exécutif du 6 janvier 2013[70] qui devait faire état des améliorations et correctifs à apporter à la suite des événements du 4 septembre 2012[71].

[107]       Lorsque contre-interrogé quant à la nécessité d’assurer une présence policière à l’arrière du Métropolis, Bergeron répond candidement qu’une présence policière au périmètre extérieur du Métropolis était à son avis essentielle :

Cpte Bergeron :  Ce que j’ai eu à ma connaissance [comme information pour les fins de la préparation du Rapport Exécutif.], c’est que j’avais des policiers de la Sûreté du Québec qui étaient à l’extérieur, qui étaient des gens du renseignement de sécurité.

Me Dufresne-Lemire :  Donc, on vous a donné l’information que avant l’attaque, donc avant l’attentat, il y avait des agents du service de renseignement, qui étaient à l’extérieur ?

Cpte Bergeron : Exact

Me Dufresne-Lemire : Ok. S’il n’y avait pas d’agents du Service de renseignement qui étaient à l’extérieur, est-ce que vous auriez ajouté des conclusions à votre rapport ? Donc si y’avait pas eu aucun agent à l’extérieur du Métropolis, à l’arrière, donc la porte de sortie de Mme Marois, si vous aviez eu connaissance qu’il n’y avait aucun agent à l’extérieur, auriez-vous fait une recommandation supplémentaire dans votre rapport ?

Cpte Bergeron : Euh… effectivement, d’avoir des policiers au périmètre extérieur était essentiel

Me Dufresne-Lemire : Était essentiel, pourquoi ?

Cpte Bergeron : Pour avoir euh… des policiers sur le périmètre extérieur afin d’assurer de tout ce qui pourrait provenir de l’extérieur.

[Soulignements du Tribunal]

[108]       Le sergent Durocher qui, on l’a vu, assume la tâche de répartir les effectifs du poste de quartier 21 durant la soirée électorale, explique que le déploiement de ces effectifs du SPVM devait permettre d'assurer une supervision « derrière, devant, côté, côté » aux abords du Métropolis. Il s’explique en ces termes :

Me Dufresne-Lemire :  […] donc, qu’est-ce que, qu’est-ce que vous mettez en place pour vous assurer de la sécurité extérieure ?

Sgt Durocher :  ben, je demande à mes policiers, comme je disais tout à l’heure, au rassemblement, j’ai demandé aux policiers de, de porter une attention spéciale au, au Métropolis, aux abords du Métropolis et au Théâtre du Nouveau Monde et je m’assure d’ça, en, en demandant à mes policiers d’être présents, de patrouiller lorsqu’y’ont du temps et d’assurer une présence et je mets le véhicule 21-150, qui est le 21-14 pour assurer la suite et j’avais un véhicule qui contrôlait la… la circulation qui était Saint-Denis Maisonneuve, […] qui était le 21-14, qui était aussi des yeux, mais c’était vraiment, y’avait été positionné dans un, dans un danger de … un enjeu de circulation et de fluidité, donc

[…]

Me Dufresne-Lemire : Le 25-14 (sic) [Il s’agit en fait du véhicule de patrouille 21-14] est-ce qu’il avait des indications par rapport à l’avant ou à l’arrière du Métropolis ?

Sgt Durocher : Pas du tout, y’avait pas d’indications

Me Dufresne-Lemire : Donc, vous vous assurez pas d’avoir des yeux devant et derrière ?

Sgt Durocher : Ben, lorsque je dis aux abords du Métropolis, je m’assure d’avoir des yeux derrière, devant, côté, côté

Me Dufresne-Lemire : Ok. Comment vous vous êtes assurés d’avoir des yeux derrière, devant, côté, côté ?

Sgt Durocher : Ben en demandant au véhicule 21-14 d’assurer une présence aux abords du Métropolis. Donc aux abords du Métropolis, ça veut dire que les policiers peuvent patrouiller aux abords et faire le tour du quadrilatère.

Me Dufresne-Lemire : Ok. Est-ce que vous savez si les agents Joly et Brassard ont fait le tour du quadrilatère ?

Ste Durocher : Je peux pas vous dire

Me Dufresne-Lemire : Non, ok. Est-ce que vous savez s’ils sont allés en arrière ?

Sgt Durocher : Je peux vraiment pas vous dire, si y’ont fait une patrouille préventive avant, à l’arrière, avant d’intervenir

Me Dufresne-Lemire : Ok. Donc pour vous là, les agents Joly et Brassard sont vos yeux arrière, avant, côté, côté ?

Sgt Durocher : Oui et les autres véhicules qui passeront selon l’attention particulière que j’avais demandé à l’ensemble de mes véhicules.

[Soulignements du Tribunal]

[109]       Selon Durocher, tous ses agents connaissent le quadrilatère visé par la demande d’attention spéciale : « Tout le monde le sait que le quadrilatère correspond aux abords du Métropolis, je n’ai pas besoin de leur dire les rues exactes. […] [Ç]a correspond aux rues Sainte-Catherine, Boisbriand, De Bullion, Saint-Dominique. ».

[110]       Ces propos tenus par Bergeron et Durocher mènent à plusieurs constats.

[111]       Tout d’abord, la demande d’assistance spéciale pour un seul duo et un véhicule de la SPVM se révélait, à sa face même, insuffisante pour assurer une vision « arrière, avant, côté, côté » des abords du Métropolis. En l’absence d’instructions plus précises, les agents Joly et Brassard n’ont assuré une présence qu’à l’avant du Métropolis, tandis que les agents Leblond et Marcil, dépêchés au coin du boulevard Maisonneuve et de la rue Saint-Dominique pour contrôler la circulation automobile, ne pouvaient voir l’arrière du Métropolis de cet endroit.

[112]       Ensuite, on ne peut que constater un manque de coordination et de communication tant au sein du SPVM qu’entre le SPVM et la SQ. Au sein du SPVM, on comprend la mission confiée par la SQ comme étant celle d’assurer une « visibilité » autour du Métropolis et non une présence fixe et un véritable périmètre de sécurité. Comme le mentionne l’agent Brassard, qui ignore où sont situés les agents de la SQ, « en vertu de l’attention spéciale, on peut faire de la patrouille, circuler à pied. »[72]

[113]       Les policiers affairés à la demande d’assistance ne reçoivent donc aucune directive claire quant à leur positionnement aux abords du Métropolis. Les agents de la SQ ne savent d’ailleurs pas, en temps réel, où ils sont situés.

[114]       L’agent Pascal Joly, collègue de l’agent Brassard ce soir-là, résume ainsi les implications d’une attention spéciale :

On a une attention spéciale, c’est la SQ qui gère ça. Ça fait que nous on n’est pas impliqué directement dans la sécurité autour, vu que c’est la SQ qui prenait en charge l’événement.[73]

[115]       L'inspecteur Riopel confirme cette compréhension du SPVM: « On n'a pas la responsabilité des lieux où ont lieu les rassemblements, ça relève de la SQ […] »[74]

[116]       Ainsi, alors que la SQ considère que le SPVM a la mission d’être « ses yeux » aux abords du Métropolis[75], cette vision n’est pas adéquatement communiquée au SPVM ni partagée par ce dernier. L’inspecteur Riopel, alors responsable des postes de quartier 20, 21 et 22 et responsable du CCTI, nie qu’un tel rôle soit attribué à la SPVM par une demande d’attention spéciale : « La SQ nous demande d’être disponibles avec un véhicule aux abords s’il y a un besoin au cours de la soirée »[76].

[117]       Cette compréhension des responsabilités imparties au SPVM contraste avec celle de la SQ que son agent Frédéric Desgagnés résume ainsi: « il y a un événement sur son territoire [i.e. celui du SPVM] c'est lui [le SPVM] qui décide comment ça va se passer »[77].

[118]       Ainsi, même en acceptant, pour fins de discussion, que la « recette du moment » constituait bel et bien une norme à cette époque, il paraît crucial de souligner que cette soi-disant norme était alors appliquée à des événements partisans de moindre envergure tenus par les partis et non à la mise en place d’un plan de sécurité faisant suite à la culmination de cette campagne électorale par la victoire électorale de la nouvelle Première ministre du Québec.

[119]       De l’avis du Tribunal, le plan de sécurité mis en place pour les autres rassemblements partisans tenus durant la campagne devait être adapté par la SQ et le SPVM afin de prendre en considération que la Première ministre du Québec (et non une cheffe de parti) sortirait du Métropolis par l’arrière entre 11 h 45 et 12 h ce soir-là. L’agent Langelier reconnaît d’ailleurs que la soirée du 4 septembre 2012 constituait l’événement le plus important de la campagne[78].

[120]       Avec égards, il paraît incongru qu'un plan de sécurité identique à celui mis en place lors d’événements antérieurs, dont lors de la soirée partisane tenue par le PQ au Métropolis le 30 août 2012, soit appliqué sans adaptation à l’événement le plus important de toute la campagne[79] auquel on retrouve non seulement une foule considérable mais également la nouvelle cheffe de l’État.

[121]       Ce problème de coordination et d'arrimage entre la SQ et les corps de police municipaux est d'ailleurs abordé au Rapport Exécutif: « Le premier constat ressorti de cet évènement concerne l'arrimage avec les partenaires externes de la SQ. En effet, des améliorations devraient être apportées aux procédures encadrant la sécurisation des sites lors d'événements d'une envergure, telle que celle des soirées électorales »[80].

[122]       En somme, cette pratique jusqu’alors appliquée à des événements partisans ne pouvait être celle appliquée, sans adaptation, à la protection de la nouvelle Première ministre et du public, dont notamment les techniciens de scène contraints d’attendre le début de leur quart de travail dans les marches situées à l’arrière du Métropolis.

[123]       À compter du dévoilement des résultats du scrutin, le périmètre extérieur arrière du Métropolis posait un risque inhérent plus élevé tant pour Mme Marois que pour toutes les personnes s’y trouvant, dont les techniciens de scène, compte tenu de la victoire électorale du PQ. Le Tribunal ne tire aucune inférence particulière du fait qu’il s’agisse de la première femme à occuper cette fonction mais il parait raisonnable de conclure que les risques liés à la sécurité de la Première ministre sont nécessairement plus élevés que ceux posés à l’endroit des autres chefs de partis.

[124]       Il parait d’ailleurs pertinent de noter que tous les demandeurs ont été surpris de constater l’absence de policiers à l’arrière de la salle de spectacle. Ghiringhelli témoigne à l’effet qu’il y avait des agents de la paix à l’extérieur du Métropolis lors de certains concerts, dont celui offert par l’artiste Prince à cette salle de spectacle. Les techniciens de la scène avaient d’ailleurs insisté à ce que soit installée une caméra de surveillance à l’arrière afin d’assurer leur sortie en toute sécurité.

[125]       Enfin, même en acceptant que la pratique établie que la SQ et le SPVM cherchent à qualifier de norme était tout autant applicable en fin de soirée le 4 septembre 2012, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent démontrer que cette pratique professionnelle revêt un caractère raisonnable[81].

[126]       Pour les motifs et considérations tout juste exprimés, le Tribunal en conclut que cette pratique de ne pas superviser l’arrière des lieux de rassemblement ne saurait être qualifiée de raisonnable lorsqu’appliquée sans aucune adaptation, à la suite de l’élection d’une nouvelle première ministre.

[127]       Cela dit, dans le cadre de l’analyse de la faute d’omission reprochée à la SQ et au SPVM, il paraît essentiel de se demander également si les risques que les corps policiers se doivent de parer étaient alors prévisibles pour des agents normalement prudents et compétents placés dans les mêmes circonstances. Il s’agit là d’une autre facette du prisme d’analyse de la faute[82], qui peut recouper le critère de la prévisibilité raisonnable parfois applicable au stade de l’analyse du lien causal, et qui revêt une importance particulière lorsqu’il est question d'une faute d’omission comme celle qu’on impute aux policiers en l’espèce. Pour les fins de l’établissement de la faute, se pose ainsi la sous-question de savoir s'il était raisonnablement prévisible qu'un attentat ou une autre forme de violence survienne à l'arrière du Métropolis ce soir-là.

1.4. Était-il prévisible pour des agents normaux placés dans les mêmes circonstances qu’un attentat ou une autre forme de violence survienne à l’arrière du Métropolis en soirée le 4 septembre 2012 ?

[128]       Les défendeurs plaident que Bain a agi à titre de loup solitaire et qu’à ce titre, son attentat constitue un méfait absolument rare et imprévisible et donc impossible à détecter.

[129]       S’il est vrai qu’on ne peut exiger des corps policiers qu’ils protègent le public et les dignitaires contre n’importe quels gestes dommageables tout à fait imprévisibles, le Tribunal ne peut accéder à cet argument dans le contexte particulier de cette soirée électorale et du rôle que les forces policières devaient y jouer.

[130]       Dans l’appréciation du travail accompli par la SQ et le SPVM ce soir-là, l’une des questions fondamentales qui se pose est celle de savoir s’il existait des risques de violence ou autres méfaits raisonnablement prévisibles aux abords du Métropolis et non celle de savoir s’il était ou non envisageable qu’un loup solitaire de la trempe de M. Bain s’en prenne à Mme Marois ou au public dans des circonstances comme celles qui se sont produites le soir du 4 septembre 2012. Les corps policiers ont le devoir de gérer les risques de manière générale et non uniquement ceux liés à des menaces annoncées ou éminemment prévisibles; suivant cet argument du SPVM et de la SQ, un corps policier ne serait jamais responsable de gestes posés par un loup solitaire puisqu’imprévisibles et indétectables.

[131]       Il ne paraît pas raisonnable ni souhaitable de réduire le rôle et la responsabilité des forces de l’ordre à celui de parer des méfaits potentiels lorsqu’ils sont annoncés d’avance ou télégraphiés comme le furent, par exemple, les six menaces proférées sur les médias sociaux à l’égard de Mme Marois le jour même des élections. Dit autrement, il ne faut pas se demander si les méfaits d’un loup solitaire étaient prévisibles ce soir-là, il faut plutôt s’interroger, plus largement, quant au niveau de risques et de menaces raisonnablement prévisibles aux abords du Métropolis à la suite de la victoire électorale du PQ.

[132]       Le Tribunal s’appuie sur les considérations suivantes pour conclure que les risques de violence à l’arrière du Métropolis en fin de soirée le 4 septembre 2012 étaient prévisibles pour des policiers normalement prudents et compétents placés dans les mêmes circonstances que ceux du SPVM et de la SQ.

[133]       Tel que déjà mentionné, l’endroit même auquel se trouvera la nouvelle Première ministre à la fin de son discours constitue en soi un lieu qui pose un niveau inhérent de risque plus élevé que celui posé dans le cadre d’autres événements tenus durant la campagne. Au risque de le répéter, ce n’est plus une cheffe de parti qui est sur le point de quitter la salle de spectacle : c’est la Première ministre du Québec.

[134]       Il convient par ailleurs de mentionner que d’autres formes de violence ou de méfaits auraient pu survenir ce soir-là, compte tenu du contexte électoral généralement, et ce sans parler du climat social tendu qui régnait à cette époque, par exemple, un débordement des manifestations envisagées aux abords du Métropolis ou même un débordement festif des partisans.

[135]       À ce sujet, grand état fut fait au procès des six menaces proférées à l’endroit de Mme Marois sur les réseaux sociaux tout juste avant la soirée électorale, les demandeurs reprochant à la SQ et au SPVM de ne pas avoir ajusté leur plan de sécurité à la lumière de ces menaces. Ceux-ci plaident pour leur part que ces menaces furent promptement enquêtées et qu’elles ne requéraient pas une réaction immédiate des forces de l’ordre, ni une réévaluation du plan de sécurité.

[136]       L’agent Benoît Dubé de la SQ alors mandaté d’enquêter les menaces en question, toutes émises le 4 septembre 2012, les résume ainsi:

-          La publication sur Facebook d’une invitation à se réunir au Métropolis. Cette publication comporte « une photo de Mme Marois en vache qui rit et des photos de fusils et d’armes de tous genre »[83]. La photo en question était accompagnée du commentaire « Pour moi, les séparatiste (sic) sont des rats, il faut les exterminer »[84].

-          La publication sur Facebook du propos tenu par une personne mineure de 17 ans « Even M’a Haitian Goonz gonna come for you », « IMMA find you Pauline, then you gonna be found in a ditch by someone else ».

-          La publication sur Twitter par un individu clamant « If I see Pauline Marois in the street, I’m gonna shank that bitch ».

-          La publication sur Twitter d’un message émanant d’une personne âgée de 14 ans : « If Pauline Marois wins, I will be the one to assasin (sic) her[85].

-          Les propos tenus par un individu frustré du fait que ses enfants ne pouvaient voter au bureau de scrutin de Laval (secteur Vimont). Cet individu aurait menacé de « mettre le feu » au bureau de scrutin.[86]

-          La publication sur Twitter du propos « I just wanna punch Pauline Marois in the face».[87]

[137]       La preuve[88] démontre que les agents de la SQ et le SPVM ont promptement mené une enquête à l’égard de ces menaces et ont conclu qu’il ne s’agissait pas de propos qui, en eux-mêmes, justifiaient de reconsidérer l’exécution du plan de sécurité envisagé. En effet, la SQ en a conclu « qu’il était peu probable qu’une des six menaces […] se concrétise à l’occasion de la soirée électorale [89]».

[138]       De l’avis du Tribunal, il n’y a pas lieu de remettre en cause la manière dont cette enquête des six menaces a été menée pour les fins d'apprécier la responsabilité civile des défendeurs.

[139]       Cela dit, la seule émission de ces menaces, même non fondées, contribue au contexte déjà tendu dans lequel s’est tenue cette soirée électorale et illustre tout de même un risque de comportements violents à l’égard de Mme Marois. À nouveau, on ne peut raisonnablement conclure que les corps policiers n’ont pour mission que de prévenir l’exécution de menaces proférées d’avance. Bien au contraire, il tombe sous le sens que bien des crimes sont commis sans avertissement préalable, ni menaces écrites comme celles publiées sur les médias sociaux le jour des élections.

[140]       Dans son évaluation de la prévisibilité raisonnable des risques, le Tribunal accorde aussi un poids important à l’ampleur des effectifs déployés par la SQ et le SPVM ce soir-là. On l’a vu, un total de 21 policiers de la SQ et agents de sécurité se trouvent à l’intérieur du Métropolis à la suite de l’arrivée de Mme Marois; en considérant aussi les quatre agents du SPVM[90], on compte ainsi pas moins de 25 policiers et agents de sécurité à l’intérieur et à l’avant du Métropolis. Dans un tel contexte, il paraît pour le moins difficile de conclure qu’il n’existait aucun risque raisonnablement prévisible de violence. Si le risque était à ce point faible, comment peut-on expliquer raisonnablement et logiquement la présence de pas moins de 21 agents de la paix à l’intérieur du Métropolis, de quatre agents du SPVM à l'extérieur et l’absence totale de policiers affectés à la supervision de l’arrière de la salle de spectacle?

[141]       La SQ et le SPVM se devaient de mieux répartir leurs effectifs de manière à assurer la sécurité de tout le périmètre extérieur du Métropolis et d'ainsi colmater la brèche dont Bain a profité. Le risque était peut-être très faible, comme le soutiennent le SPVM et la SQ, mais ils ne peuvent soutenir qu’il était tout à fait imprévisible pour des corps policiers qui ont pour mission de protéger un événement politique d’envergure.

[142]       Le Tribunal considère aussi un autre élément contextuel important pour en conclure à la prévisibilité raisonnable des risques: l’exécution du plan de sécurité a fait en sorte que les demandeurs ne pouvaient accéder à l’intérieur de la salle tant et aussi longtemps que Mme Marois n’aurait pas terminé son discours et quitté les lieux. La preuve démontre en effet que les agents en charge de surveiller la porte arrière[91] ont bloqué l’accès aux techniciens de scène, de sorte qu’ils ont été contraints d’attendre le début de leur quart de travail dans les marches à l’arrière de la salle.

[143]       On ne peut que constater que les demandeurs sont captifs et vulnérables dans les moments qui précèdent l’attentat de Bain. Ils se trouvent ainsi, bien malgré eux, aux premières loges de toute attaque entreprise depuis l’arrière du Métropolis.

[144]       Les demandeurs faisaient ainsi partie du public lors de cette attente et en droit de se fier aux corps policiers qui, faut-il le rappeler, ont le devoir d’assurer la protection du public et non uniquement celle des dignitaires[92].

[145]       Avec beaucoup d’égards pour les agents de la SQ impliqués, il semble que ces derniers aient été en quelque sorte aveuglés par leur devoir de protection de Mme Marois et de sa famille au détriment de la protection du public présent à cette soirée électorale.

[146]       Notons que l’agent Desgagnés résume ainsi la mission de la SQ à l’égard du public :

Me Dufresne-Lemire :  On parle de la soirée du 4 septembre 2012 au Métropolis, y’a l’équipe de garde rapprochée, l’équipe précurseur, l’équipe de renseignements, est-ce qu’une de ces équipes-là avait comme mission la protection du public ?

M. Desgagnés : Non

Me Dufresne-Lemire : Personne de la SQ n’était responsable de la protection du public ?

M. Desgagnés : Non

Me Dufresne-Lemire : Qui était responsable de la protection du public ?

M. Desgagnés : Ben normalement, on est sur le territoire de la Ville de Montréal, c’est le service de police de la Ville de Montréal.

[…]

Me Dufresne-Lemire : Est-ce que vous savez si cette répartition-là était la même que eu, donc celle que vous avez, donc que vous venez de nous expliquer, est-ce que vous savez si le SPVM partageait la même vision ?

M. Desgagnés : J’ai jamais discuté de d’ça…

Me Dufresne-Lemire : Vous avez jamais discuté de ça avec eux à savoir qui était responsable de la protection du public pour le 4 octobre (sic) 2012 au Métropolis ?

M. Desgagnés : Non

[Soulignements du Tribunal]

[147]       La SQ ne pouvait ainsi impartir au SPVM le devoir qui lui incombe d’assurer la protection du public sans s’assurer que le SPVM prenne bel et bien en charge ce volet du devoir qui incombe à tous les corps de police en vertu de l’article 48 de la Loi sur la police.

[148]       La SQ et le SPVM ne peuvent non plus soutenir, tel qu’ils le font, que le blâme doit être imputé aux demandeurs qui auraient remarqué l’absence de policiers à l’arrière du Métropolis et fait défaut de communiquer leurs préoccupations aux policiers présents. Il ne revient pas aux membres du public de donner instructions aux forces de l’ordre pour assurer leur protection, ce devoir incombe aux corps policiers eux-mêmes.

[149]       De même, le fait que pas moins de 15 véhicules de patrouille circulent régulièrement dans les environs du Métropolis[93] ne convainc pas le Tribunal du fait que l’arrière du Métropolis fut adéquatement sécurisé ce soir-là. Les véhicules patrouillaient de manière aléatoire sur l’ensemble du territoire desservi par le poste de quartier 21 mais ne permettaient aucunement d’assurer une présence policière fixe, ni un véritable périmètre de sécurité.

[150]       Avant de quitter l’analyse de la faute commise par la SQ et le SPVM, il paraît utile de dire quelques mots sur les modifications apportées à cette soi-disant norme à la suite des événements du Métropolis.

1.5. L’évolution des pratiques policières suite aux événements

[151]       La preuve révèle en effet que la « recette du moment » a subséquemment été modifiée. Le témoignage de l’agent Langelier à ce sujet, visé par une objection soulevée par les avocats du SPVM fondée sur l’absence de pertinence, est à l’effet suivant :

Dominique Langelier : […] On fonctionne différemment aujourd’hui. […] On fait ce qu’on peut appeler une boîte alentour de, de, de l’endroit où ce que le le dignitaire va se déplacer, faque, porte de sortie arrière ou non, on fait une boîte, on s’arrange, pis des fois ça peut être juste deux agents, trois agents, mais on s’arrange pour avoir une vue d’ensemble, nord-sud, est-ouest, que… de l’endroit

Me Dufresne-Lemire :  Donc, quand vous voulez dire une boîte, c’est comme un périmètre extérieur ?

Dominique Langelier : Oui

Me Dufresne-Lemire : Ok, donc maintenant vous faites un périmètre extérieur ? à

Dominique Langelier : Oui

[152]       Cette preuve paraît pertinente au sens large dans la mesure où elle éclaire le Tribunal en ce qui a trait à l’évolution des pratiques policières courantes à la suite des événements du Métropolis. Il est en effet établi[94] que la preuve de faits survenus postérieurement aux faits en litige n’est pas, en soi, irrecevable. Cela dit, on ne saurait tirer de la preuve des changements apportés aux plans de sécurité des dignitaires à la suite des événements du 4 septembre 2012 quelconque inférence négative concernant la faute des autorités policières[95]. Il semble en effet louable que les techniques policières soient périodiquement améliorées par les forces de l’ordre.

[153]       L’objection à ce sujet est donc rejetée. Le Tribunal souligne qu’il ne tire toutefois aucune inférence particulière du fait que ces pratiques aient été améliorées après l’attentat du 4 septembre 2012. Le fait que les corps de police sécurisent désormais tout le périmètre extérieur lors d’un événement similaire ne mène pas, en soi, à conclure au caractère fautif du plan de sécurité mis de l’avant le soir du 4 septembre 2012.

[154]       Ayant conclu que la SQ et le SPVM ont commis une faute, il y a maintenant lieu d'aborder l'analyse et la quantification des divers chefs de dommages réclamés.

 

2. Quels sont les dommages subis par les demandeurs?

[155]       Chacun des demandeurs réclament à la SQ et au SPVM, sur une base solidaire, (1) 175 000 $ à titre de dommages non pécuniaires (2) des dépenses encourues en lien avec les diverses thérapies suivies à la suite de l’attentat; ces dépenses se chiffrant à 5 600 $ pour Dubé, Dulong-Bérubé et Parisien et à 3 899 $ pour Ghiringhelli, ainsi que (3) des dommages punitifs de 20 000 $ (payable par le SPVM) et de 100 000 $ (payable par la SQ),

[156]       Avant d’aborder ces chefs de dommages et les tristes conséquences des événements du Métropolis sur la vie de chacun des demandeurs, il y a lieu de situer le cadre d’analyse applicable à ce volet de la réclamation des demandeurs.

2.1. Cadre juridique applicable aux dommages

[157]       Le recours en responsabilité civile vise à réparer le préjudice porté à autrui[96]. Cette réparation se fait au moyen de dommages-intérêts[97], lesquels doivent compenser le demandeur pour « la perte qu’il subit » et pour « le gain dont il est privé », tel que le prévoit l’art. 1611 C.c.Q. Le fardeau de la preuve appartient encore ici aux demandeurs.

[158]       Qu’il soit matériel, corporel ou moral, le préjudice permet de réclamer une indemnisation, tant pour les conséquences pécuniaires que non pécuniaires de la faute[98]. On parle souvent, dans ce dernier cas, de « dommages moraux »[99], qu’il ne faut pas confondre avec un préjudice qualifié de moral de par la nature de l’atteinte initiale aux droits du demandeur. En effet, un préjudice corporel peut très bien donner lieu à des dommages non pécuniaires. Ceci inclut bien sûr les souffrances psychologiques :

1-516 Dommage psychologique – On peut également inclure dans la catégorie générale des souffrances, les traumatismes psychologiques entraînés par l'accident, par exemple les névroses ou psychoses post-traumatiques, les dépressions accompagnées ou non de tentatives de suicide et les changements de personnalité. À cet égard, la gravité de même que le caractère permanent ou temporaire des séquelles psychologiques entrent en ligne de compte. L'être humain étant un tout, cette atteinte à la personnalité de l'individu constitue un dommage directement causé à son intégrité. […][100]

[Références omises]

[159]       La réclamation principale des demandeurs vise les conséquences non-pécuniaires de la faute qu'ils reprochent à la SQ et au SPVM. Bien que les pertes non pécuniaires soient souvent réparties sous plusieurs chefs distincts (« perte de jouissance de la vie », « souffrances », « dommage psychologique », etc.), la jurisprudence en favorise généralement une évaluation globale[101].

[160]       Par ailleurs, quantifier des dommages non pécuniaires ne constitue pas une science exacte[102]. Comme l’écrit la Cour d’appel :

[306] […] la réparation des pertes non pécuniaires diffère qualitativement de l’indemnisation des pertes pécuniaires. Il s’agit là d’un préjudice qui, strictement, ne peut être réparé. Qu’il suffise de réitérer que « [l]e bonheur et la vie n’ont pas de prix », ce qui fait en sorte que l’évaluation de ces pertes est « plus un exercice philosophique et social qu’un exercice juridique ou logique ». L’indemnité allouée doit néanmoins être équitable et raisonnable.[103]

[Références omises]

[161]       Malgré cette difficulté inhérente, certaines méthodes ont été mises au point pour permettre de quantifier les dommages non pécuniaires. L’approche dite « conceptuelle » tend à donner une valeur objective aux différentes composantes de l’être humain, dont la perte se traduirait par des sommes monétaires définies[104]. À l’inverse, l’approche « personnelle » cherche à évaluer les dommages d’un point de vue subjectif, dans la mesure des douleurs et des inconvénients ressentis par chaque victime individuellement[105]. Enfin, l’approche « fonctionnelle » cherche à déterminer la somme qui permettra raisonnablement de consoler la victime pour son malheur, c’est-à-dire lui donner les moyens matériels requis pour rendre son préjudice plus supportable[106].

[162]       Les méthodes conceptuelle, personnelle et fonctionnelle s’appliquent conjointement en droit québécois[107]. En pondérant ces trois approches, le Tribunal tient compte de la gravité objective de la perte subie mais considère aussi les sensibilités propres à chaque personne souffrante et garde en tête l’objectif réparateur des dommages-intérêts[108].

[163]       Cette démarche requiert de comparer le cas à l’étude à d’autres dossiers où des dommages non pécuniaires ont été accordés dans des circonstances analogues[109].

[164]       Bien que les principes et autorités cités précédemment concernent pour la plupart l’évaluation des dommages non pécuniaires découlant d’un préjudice corporel, la démarche jusqu’ici ne diverge pas fondamentalement lorsqu’il est question d’un préjudice essentiellement moral[110] ou de dommages résultant d’une atteinte à l’intégrité physique d’autrui[111]. En ce qui concerne l’indemnisation du préjudice subi à la suite du décès d’un proche, la démarche appropriée est décrite ainsi par la Cour suprême :

[34] […] Ce qui importe véritablement est que la réparation du préjudice moral effectivement subi soit aussi exacte et complète que possible. Dans cette optique, la juge L’Heureux-Dubé a établi, dans l’arrêt Augustus, une liste non exhaustive de facteurs à considérer dans l’examen d’une telle demande d’indemnisation. Ces facteurs sont les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès, ainsi que l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres […]. L’examen de l’ensemble de ces facteurs donne au juge une vue d’ensemble de l’impact émotionnel du décès de la victime sur chacun de ses proches pour permettre l’indemnisation intégrale du préjudice moral, incluant le préjudice psychologique, qui en a résulté, et ce, dans la mesure où s’y prêtent la nature et la complexité de ce type de dommages-intérêts.[112]

[Référence omise]

[165]       Une autre différence[113] tient du fait qu’en matière de préjudice corporel spécifiquement, la Cour suprême a fixé en 1978 un plafond limitant à 100 000$ les dommages non pécuniaires qui peuvent être accordés par les tribunaux[114]. En tenant compte de l’inflation[115], ce maximum se situe aujourd’hui aux environs de 395 000$[116]. Il ne s’agit cependant pas là d’un repère à partir duquel doivent être calculés, par une règle de trois, des dommages jugés moindres[117]. Corollairement, la référence à un pourcentage d’incapacité ou de déficit anatomo-psydiologique (« DAP ») peut constituer en certaines circonstances une donnée pertinente afin d’aborder la gravité d’une blessure physique ou psychologique, mais ne constitue pas nécessairement un élément déterminant dans l’analyse des dommages non pécuniaires[118].

[166]       Enfin, quel que soit le type de préjudice, la somme accordée ne peut évidemment inclure des dommages qui résultent d'une autre source que l’atteinte résultant directement de la faute du défendeur[119]. Par contre, une victime souffrant déjà d’une condition antérieure, psychologique ou autre, qui affecte l’ampleur de son préjudice   est en droit de rechercher sa réparation intégrale. Si cette condition est aggravée par le défendeur, celui-ci n’en est responsable que dans cette mesure[120]. Il ne répond pas, par ailleurs, d’une aggravation subséquente du préjudice que le demandeur pouvait éviter[121].

2.2 Les dommages non-pécuniaires

[167]       Il ne fait absolument aucun doute que Dubé, Dulong-Bérubé, Parisien et Ghiringhelli ont subi et continuent de subir des préjudices substantiels découlant de l’horreur qu’ils ont côtoyée en fin de soirée le 4 septembre 2012. Le cours même de leur existence, leur capacité d’être heureux et de profiter de la vie ont été irrémédiablement affectés par l’horreur qu’ils ont vécue ce soir-là, bien malgré eux.

[168]       Deux commentaires s’imposent à ce stade en ce qui a trait à la quantification des dommages non pécuniaires subis.

[169]       D’une part, il y a lieu de préciser que les préjudices subis par chacun des demandeurs excèdent ceux liés au TSPT dont ils ont tous été victimes. Il ne s’agit là que d’une facette de leurs dommages; comme on le verra ci-après, chacun des demandeurs évoque essentiellement le même sentiment d’avoir vu sa vie irrémédiablement ruinée par les événements du Métropolis.

[170]       D’autre part, compte tenu du fait que les demandeurs réclament des dommages non-pécuniaires par opposition à des dommages pécuniaires liés, à titre d’exemple, à la perte de revenus causée par la faute des défendeurs, il n’y a pas lieu de retenir la méthode de quantification des dommages proposée par le Dr Jean-Robert Turcotte, l’expert retenu par les défendeurs, à ses rapports d’expertise.

[171]                                   Ce dernier propose en effet une méthode de calcul établie en fonction du DAP subi par chacun des demandeurs. Se fondant sur diverses échelles (le « Brief Psychiatric Rating Scale », le « Psychiatric Imparement Rating Scale » et le « Global Assessment of Functionning – GAF) », le Dr Turcotte cherche à quantifier les dommages réclamés en fonction de cette approche et conclut à un DAP global de : 0 % pour Parisien, 5 % pour Dulong-Bérubé, 0 % pour Ghiringhelli et 0 % pour Dubé.

[172]       Le Tribunal écarte cette méthode de calcul pour deux motifs distincts.

[173]       D’une part, comme le fait remarquer le Dr Brunet, l’expert retenu par les demandeurs, l’échelle GAF à laquelle réfère le Dr Turcotte est désuète depuis la publication en 2013 du DSM-5. Selon lui, ce questionnaire historiquement utilisé en contexte de psychose ne peut être utile afin de calculer l’incapacité liée à un TSPT.

[174]       D’autre part, le DAP paraît un instrument plus pertinent afin de calculer des pertes ou dommages de nature pécuniaire plutôt que des dommages non-pécuniaires tels que ceux réclamés en l’instance. Cette échelle semble donc plus utile et pertinente afin de calculer, à titre d’exemple, la perte de revenus encourue par la victime d’un accident de travail; la notion de DAP est d’ailleurs définie au Règlement sur le barème des déficits anatomo-physiologiques[122] adopté en vertu de la Loi sur les accidents de travail[123].

[175]       Cela dit, malheureusement, les rapports d’expertise du Dr Brunet et le plan d’argumentation soumis par les avocats des demandeurs n’éclairent que très peu le Tribunal dans l’exercice de sa discrétion en ce qui a trait à la quantification des dommages non pécuniaires réclamés.

[176]       Ainsi, au-delà du TSPT subi par chacun des demandeurs, il y a lieu d’analyser l’impact qu’ont eu les événements du Métropolis à l’endroit de chacun des demandeurs afin de quantifier la somme qu’ils sont en droit de recevoir de la SQ et du SPVM à titre de dommages non pécuniaires.

2.2.1 Les dommages non-pécuniaires subis par Dulong-Bérubé

[177]       Le témoignage de Dulong-Bérubé, corroboré par celui de son frère, Jocelyn Dubé et d’un ami de longue date, Tommy Dugas, confirme l’ampleur des conséquences de l’attentat sur sa vie et sa capacité d’en jouir. À ce sujet, le Tribunal retient les éléments factuels suivants :

-          Elle souffre de trous de mémoire, de manque de concentration, de stress et d’anxiété pendant plusieurs années après le 4 septembre 2012.

-          Elle développe un problème de consommation d’alcool qui l’amène à boire jusqu’à perdre conscience sur une base régulière.

-          Elle doit se faire prescrire divers antidépresseurs et antipsychotiques (Efixor, Abilify, Epoxil) alors qu’elle ne consommait auparavant que des médicaments pour combattre la maladie de Crohn dont elle est affligée.

-          Elle effectue trois tentatives de suicide (en juin 2015, juillet 2016 et décembre 2019)[124] qu’elle attribue à l’épuisement mental lié aux événements du Métropolis qui lui reviennent en boucle.

-          Elle a cessé à toutes fins pratiques de jouer de la musique devant public et arrêté de travailler depuis décembre 2021 en raison de l’anxiété accrue qu’elle subit depuis l’attentat.

-          Son frère et son ami Tommy Dugas confirment qu’elle n’est plus la jeune femme rieuse et joyeuse appréciée de tous; elle est devenue dépressive, refermée sur elle-même et anxieuse.

-          Elle est hospitalisée à nouveau en décembre 2021 pour avoir de l'aide alors qu'elle considère commettre une quatrième tentative de suicide.

-          Elle ressent encore aujourd'hui les conséquences de l'attentat, étant fréquemment la proie de crises de panique et d'anxiété.

-          Elle a perdu son ami Denis Blanchette.

2.2.2 Les dommages non-pécuniaires subis par Dubé

[178]       La preuve révèle les conséquences suivantes de l’attentat sur le déroulement de la vie de Dubé :

-          L'horreur qu’il a vécue ce soir-là l’emmène à recommencer à consommer des drogues dures (Kétamine par intraveineuse, héroïne et LSD).

-          Cette rechute mène à son hospitalisation en janvier 2013 pour une durée de 23 jours afin que soit traitée l’insuffisance rénale causée par sa consommation excessive de substances.

-          Ce n’est qu’en 2016 qu’il réussit à se sevrer en s'inscrivant, sur une base volontaire, à un centre de désintoxication.

-          Il a subi une dépression majeure[125].

-          Il a vécu le deuil de son meilleur ami, Denis Blanchette; il a vécu l'horreur de voir ses mains et son visage maculés du sang de son meilleur ami.

-          Il repense sans cesse à l’attentat : « À chaque jour, à chaque minute, je pense à Denis et à sa petite de 4 ans qui n’a plus de père »[126].

-          Dubé se décrit comme vivant désormais en hermite, refermé sur lui-même, coupé du monde et, en particulier, coupé du monde du spectacle qui l’a toujours passionné. Sa réclusion, sa perte de jovialité et ses réactions colériques depuis l’attentat, sont par ailleurs corroborées par ses amies de longue date Audrey Bissonnette et Nathalie Soucy.

-          Il subit encore les conséquences découlant de l'attentat, étant fréquemment en proie de cauchemars et victime d'une cause importante de l'estime de soi.

2.2.3 Les dommages non-pécuniaires subis par Ghiringhelli

[179]       Ghiringhelli exprime avec éloquence l’impact général qu’ont eu les événements du Métropolis sur sa vie:

« J’ai perdu 10 ans de ma vie.

Je souffre et j’en ai marre de souffrir. Je voulais être directeur photo. J’ai perdu mes rêves.

J’ai été forcé à quitter le Québec [où il désirait s’établir]. Je n’avais plus d’amis. Je n’ai plus le goût de rien. »

[180]       Les événements du Métropolis ont par ailleurs entraîné les conséquences suivantes:

-          Ghiringhelli développe un tempérament colérique et rageur à la suite de l’attentat. Il réagit avec colère, même parfois avec violence, à toute contrainte.

-          Il éprouve des problèmes d’insomnie, de cauchemars et développe une humeur dépressive qui l’amène à se faire prescrire des antidépresseurs et des somnifères.

-          Il entretient des pensées suicidaires au début de l’année 2016 qui l’amènent à consulter le psychologue Havé.

-          Il entretient à nouveau des pensées suicidaires en assistant au procès criminel de Bain.

-          Il abandonne finalement son rêve de s’établir au Québec pour y devenir directeur-photo et devient ébéniste en France où il réside désormais[127].

-          Il ne s'intéresse plus vraiment aux arts de la scène ni à la reconstruction historique qui le passionnaient pourtant avant l'attentat.

-          D’un naturel introverti, il devient encore plus refermé sur lui-même, intériorisant tout ce qu’il ressent.

-          Il ressent aujourd'hui encore de la honte, de la culpabilité et de la colère.

 

2.2.4 Les dommages non-pécuniaires subis par Parisien

[181]       Parisien témoigne à l’effet qu’il a subi les préjudices suivants à la suite de l’attentat :

-          Il a développé une dépendance à l’alcool et aux drogues illicites.

-          Depuis plusieurs années, il est en proie à des attaques de panique quasi-hebdomadaires qui peuvent s’étendre sur deux jours : « Je me sens comme si mon cœur allait éclater dans ma poitrine »[128].

-          Il souffre d’anxiété, de troubles somatiques[129].

-          Il se referme sur lui-même et ne discute avec personne de ce qu’il a vécu le 4 septembre 2012, à telle enseigne qu’il reconnaît avoir dû consommer de la drogue avant d’être interrogé hors-cour en 2017 dans le cadre de ce litige.

-          Il vit depuis avec la culpabilité de ne pas avoir pu porter secours à son ami Denis Blanchette, état que le Dr Brunet décrit comme étant la culpabilité du survivant.

-          Il est en proie à des cauchemars récurrents encore à ce jour.

-          Il est devenu fréquemment colérique et hyper-vigilant rendant ses relations amoureuses et amicales plus complexes à gérer[130].

2.2.5 La quantification des dommages non-pécuniaires subis

[182]       En tenant compte de l'analyse et des faits qui précèdent, le Tribunal doit maintenant quantifier la compensation financière qui doit être versée aux demandeurs par la SQ et le SPVM en raison des préjudices non pécuniaires qu'ils ont subis.

[183]       Cet exercice de quantification s'avère particulièrement difficile en l'espèce puisqu'il s'agit en fait de monnayer une perte qualitative subie par chacun des demandeurs. Comme le rappelle la Cour suprême dans Andrews « le bonheur et la vie n'ont pas de prix ».

[184]       À cette fin, il y a lieu de suivre les enseignements de la Cour suprême selon lesquels la fixation d'un seul montant pour couvrir l'ensemble des les pertes non pécuniaires constitue une pratique fort sage.

[185]       Compte tenu de ces enseignements et de l'ensemble de la preuve soumise, le Tribunal établit à 70 000 $ le montant des dommages non-pécuniaires subis par chacun des demandeurs. Bien que ceux-ci aient tous subi et continuent de subir les contrecoups de cette horreur de manière personnelle et distincte, les dommages réclamés paraissent suffisamment similaires pour justifier le versement d’une indemnité équivalente à chacun des demandeurs.

[186]       Le Tribunal en arrive à cette somme de 70 000 $, en considérant l'ensemble de la preuve relative à l'impact énorme qu'a eu l'attentat de Richard Henry Bain sur leurs vies jusqu'à présent et vraisemblablement sur le reste de leur passage éphémère sur terre. Il faut en effet rappeler que tous les demandeurs ont témoigné avec crédibilité quant au fait qu'ils ressentent et subissent encore les contrecoups de cette horrible soirée du 4 septembre 2012. Le cours de leur vie et leur capacité d'aspirer au bonheur ont sans aucun doute été irrémédiablement affectés par l'horreur qu'ils ont vécue et par le fait qu'ils auraient pu être eux-mêmes assassinés ce soir-là n'eut été l'enrayement de l'arme de Bain. Le fait que les demandeurs souffrent depuis maintenant plus de 10 ans constitue une considération particulièrement importante aux yeux du Tribunal.

[187]       Le Tribunal considère aussi le fait que chacun des demandeurs éprouvait déjà, avant le 4 septembre 2012, certains troubles psychologiques dont la SQ et le SPVM ne sauraient être tenus responsables. Comme le plaide le SPVM :

- Dulong-Bérubé souffre déjà, avant septembre 2012, d'un trouble anxieux.

- Ghiringhelli connaît une enfance difficile et des relations tendues avec son père qui l'aurait violenté physiquement et psychologiquement; il souffre déjà avant le 4 septembre 2012, en raison de son emploi et en raison du manque de compagne et d'enfant.

- Dubé fonctionne déjà difficilement dans l'exécution des tâches de la vie quotidienne, manque de motivation et vit dans le désordre.

- Parisien connait déjà des troubles anxieux.

[188]       La condition antérieure des demandeurs doit donc être considérée pour les fins de quantifier les dommages causés par la faute de la SQ et du SPVM. Cela dit, le SPVM manque d'empathie envers les demandeurs lorsqu'il soutient, à tort, qu'ils ont tenté de démontrer que leur vie était « un jardin de roses » avant les événements du Métropolis et n’était plus qu’un « jardin de ronces » par la suite. Comme tout être humain, chacun des demandeurs était confronté à des défis personnels et à des difficultés avant de vivre l'horreur ce soir-là. Ces défis et difficultés antérieurs ne se comparent en rien à leur souffrance liée aux événements du Métropolis.

[189]       Certes, l'état psychologique des demandeurs avant les événements du Métropolis rend difficile la tâche de quantifier l'ampleur des dommages causés par la faute de la SQ et du SPVM. Cela dit, il y a lieu de réitérer que l'horreur vécue le 4 septembre 2012 a exacerbé ces problèmes existants; cette « rencontre avec le mort » constitue sans l'ombre d'un doute l'événement le plus horrible que les demandeurs aient vécu jusqu'alors. Comme le mentionne le Dr Brunet au sujet de Dubé:

Bien qu'il ait eu une vie ponctuée d'événements difficiles, jamais il n'avait côtoyé la mort d'aussi près lorsqu'il a vu la balle de fusil tuer son ami et blesser gravement un collègue de travail.

[190]       Conformément aux enseignements de la Cour suprême[131], dans l’exercice de sa discrétion, le Tribunal considère également les indemnités accordées en d’autres instances en contexte similaire, tout en l’adaptant aux circonstances particulières dont il est saisi.

[191]       Les jugements traitant de dommages psychologiques subis à la suite d’une faute d’omission policière ne sont pas légion, de sorte que les balises fixées par la jurisprudence en circonstances similaires paraissent difficiles à identifier. Le Tribunal note toutefois que dans l’affaire Gounis[132], la Cour supérieure aurait accordé[133] une indemnité de 30 000 $ à l’épouse qui assiste, en présence de ses deux enfants, à une fusillade aux termes de laquelle son conjoint tue un policier.

[192]       Considérant également la quantification des dommages non-pécuniaires accordés en d’autres instances, le Tribunal note que des montants de l’ordre de ceux réclamés par les demandeurs n’atteignent que rarement la somme de 175 000 $ :

-          À titre d’exemple, dans l’affaire Dubé c. Morneau[134], la Cour supérieure accorde une indemnité de 135 000 $ en lien avec un TSPT subi par une jeune fille sauvagement attaquée par trois pitbulls[135].

-          Dans Lussier c. Émond, la Cour d’appel confirme l’octroi de dommages non-pécuniaires de 100 000$ à une propriétaire souffrant d’un TSPT suite à d’importants troubles de voisinage incluant menaces et intimidation[136].

-          Dans Roy c. Privé, le demandeur reçoit 90 000$ en dommages moraux en raison d’un TSPT et, dans une moindre mesure, d’un traumatisme crânien résultant d’un coup de poing reçu sournoisement à la tête[137].

[193]       Dans beaucoup des décisions comparables répertoriées par les parties ou par le Tribunal, les sommes accordées au même chapitre se situent bien en-deçà de ces montants[138].

[194]       De même, le Tribunal note que des dommages non-pécuniaires du montant de l’ordre de ceux réclamés par les demandeurs sont parfois accordés en lien avec des agissements policiers encore plus graves[139] que ceux dont le Tribunal est saisi en l’espèce. Des indemnités de l’ordre de 100 000 $ ou plus sont parfois accordées à des victimes d’agression sexuelle[140] et des sommes substantielles sont aussi octroyées en matière de violence conjugale[141]. Il est bien sûr fort délicat d’assimiler le préjudice dont il est question ici avec ces situations puisque tout est affaire de contexte.

[195]       Tenant compte de l’ensemble de la preuve, des balises établies par la jurisprudence et des approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle applicables[142], le Tribunal exerce sa discrétion afin d’attribuer à chacun des demandeurs une indemnité de 70 000 $ pour les dommages non-pécuniaires qu’ils ont subis.

 

 

2.3. Les dommages pécuniaires réclamés par les demandeurs

[196]       Ce volet de la réclamation des demandeurs est détaillé comme suit à leur Demande introductive d'instance remodifiée:

Guillaume Parisien

a)                   5 600 $ pour suivre 56 séances de thérapie pour une période d'un an;

Gaël Ghiringhelli

b)                   1 500 $ pour suivre 10 séances d'hypnose;

c)                    2 880 $ pour les thérapies passées;

d)                   491,04 $ pour les médicaments;

Audrey Dulong-Bérubé

e)                   5 600 $ pour suivre 56 séances de thérapie pour une période d'un an;

Jonathan Dubé

f)                     5 600 $ pour suivre 56 séances de thérapie pour une période d'un an.

[197]       La preuve révèle que les demandeurs ont tous participé à des séances de thérapie ou d’hypnose à la suite des événements du Métropolis. À l’appui de cette réclamation, ils ne produisent cependant que des factures détaillant les coûts encourus par Ghiringhelli pour l’achat de médicaments (491,04 $[143]). Aucune facture détaillée n’est déposée au soutien des 56 séances de thérapies suivies par Parisien, Dubé et Dulong-Bérubé, ni au soutien des 10 séances d’hypnose suivies par Ghiringhelli.

[198]       Le Tribunal accorde beaucoup de crédibilité aux demandeurs en ce qui a trait au fait qu’ils ont bel et bien participé à ces diverses thérapies pour tenter de composer avec les problèmes psychologiques ressentis à la suite de l’attentat. Bien que le dépôt des factures constitue la meilleure preuve des dépenses encourues à cet égard, l’absence de telles factures ne mène pas toujours pour autant au rejet complet de ce volet de la demande[144].

[199]       Les parties n’ont par ailleurs pas beaucoup insisté sur ce volet de la réclamation dans leurs plans d’argumentation respectifs.

[200]       Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal accordera la réclamation de Ghiringhelli liée aux médicaments (491,04 $) et réduira de 50 % les frais encourus pour les séances de thérapie et d’hypnose subies par les demandeurs, soit un montant équivalent à 2 800 $ pour Parisien, Dulong-Bérubé et Dubé et 2 190 $ pour Ghiringhelli.

[201]       La faute et les dommages non-pécuniaires et pécuniaires étant établis, il faut maintenant se demander si les dommages en question ont été causés par la faute du SPVM et de la SQ.

 

3. La faute commise par la SQ et le SPVM a-t-elle causé le préjudice des demandeurs ?

3.1. Cadre juridique applicable à l’établissement du lien causal

[202]       La preuve d'un lien causal entre la faute et le préjudice constitue un autre élément essentiel à tout recours en responsabilité civile[145]. Le second alinéa de l’article 1457 C.c.Q. stipule qu’une personne est « responsable du préjudice qu’elle cause par [sa] faute à autrui ». L’article 1607 C.c.Q. précise qu’un tel que ce préjudice est sujet à réparation s’il constitue une « suite immédiate et directe » de la faute.

[203]       Établir la causalité s'avère parfois complexe et les auteurs et les tribunaux ont mis au point plusieurs théories pour aborder cette question[146]. Parmi elles, on retient généralement la doctrine de la « causalité adéquate »[147], qui consiste à isoler la ou les causes véritables du préjudice « parmi l’ensemble des circonstances, des comportements ou des événements qui ont pu mener à la réalisation du préjudice »[148].

[204]       Pour ce faire, il importe d’abord de déterminer si la faute constitue une condition sine qua non du préjudice, c’est-à-dire un fait sans lequel les dommages en question n’auraient pas eu lieu[149]. En effet, il ne peut y avoir de causalité lorsqu'un demandeur aurait subi les mêmes pertes sans égard à la conduite du défendeur[150]. En ce sens, le fait qu’une faute crée ou aggrave une situation de risque, en soi, n’en fait pas une cause du préjudice[151].

[205]       Par ailleurs, il ne suffit pas d’établir que le préjudice ne se serait pas produit, « n’eut été » ("but for") l’acte ou l’omission du défendeur[152]. Le droit québécois exige en plus que les dommages constituent une conséquence directe, logique et immédiate de la faute[153]. Sans ce lien étroit, la faute n’est que l’occasion du dommage et il n’existe pas de lien causal au sens juridique du terme[154].

[206]       Cette règle a notamment pour effet d’exclure l’indemnisation du préjudice dit « en cascade »[155], soit un dommage qui résulte d’une chaîne d’événements ayant pour origine la faute, mais qui en demeure trop lointain pour en constituer la suite immédiate et directe[156]. Cela ne signifie toutefois pas pour autant qu’il faille écarter toute faute causale outre la plus majeure ou la dernière dans le temps[157] – à moins que celle-ci ne rompe totalement le lien de causalité avec les faits antérieurs[158].

[207]       Un même préjudice peut être causé par plusieurs fautes dites communes ou contributoires commises par plus d’un défendeur[159], comme le reconnaît l’article 1478 C.c.Q.[160] Par exemple, la jurisprudence conclut à de nombreuses reprises que la faute de policiers ou d’autres professionnels chargés de protéger des personnes ou des biens participe au préjudice découlant également des actes illicites d’un tiers. S'il fallait écarter toute responsabilité policière lorsque les corps de police manquent à leur devoir de protéger le public en raison du fait que les dommages sont d'abord et avant tout causés par le criminel non appréhendé, une telle responsabilité ne serait jamais retenue[161].

[208]       Dans tous les cas, il appartient aux demandeurs de démontrer que la faute a causé leur préjudice, selon la prépondérance des probabilités[162].

[209]       Cet exercice soulève son lot de difficultés lorsqu'il est question d'une faute d’omission, comme en l'espèce. Les parties invitent en effet le Tribunal à considérer diverses hypothèses de ce qui serait survenu si le policier n’avait pas fait défaut d'agir – et par le fait même, à évaluer la probabilité de faits qui n’ont jamais pu se réaliser[163]. Si le fardeau des demandeurs ne s’en trouve pas pour autant allégé[164], il leur est toujours permis de faire leur preuve par des présomptions de faits qui sont suffisamment graves, précises et concordantes[165]. Sans être certains, les faits inférés doivent néanmoins être probables et ne doivent pas reposer sur de simples conjectures[166].

[210]       Enfin, les tribunaux adoptent un autre prisme d’analyse dans les cas qui s’y prêtent, soit celui de la prévisibilité raisonnable[167], que la Cour d’appel résume ainsi :

[665] La théorie de la prévision raisonnable des conséquences, quant à elle, « retient une relation causale entre l’acte fautif et le dommage, lorsque le type de dommage causé était normalement prévisible pour l’agent ». Issue du droit anglo-américain, elle permet, dans certaines circonstances, « d’écarter des dommages inhabituels, inusités ou qui sont, par rapport à la faute, d’une gravité tout à fait exceptionnelle ».

[666] […] La théorie de la prévision raisonnable des conséquences est parfois appliquée de concert avec celle de la causalité adéquate, mais c’est cette dernière qui a le plus largement cours en jurisprudence.[168]

[Références omises]

[211]       L’affaire Mainville c. Ville de Laval en offre une illustration. Un service de police est poursuivi pour des dommages corporels résultant des gestes d’une rare violence commis par un homme à l’égard de son ex-conjointe et des autres personnes se trouvant dans une même voiture. La Cour supérieure conclut qu’un tel préjudice pouvait être raisonnablement prévu par les policiers alors qu’ils ont fait défaut de donner suite aux plaintes de la victime, alors que l’agresseur avait déjà menacé de décharger son arme à feu sur cette dernière et sur les gens qui l’accompagneraient[169]. La Cour d’appel confirme cette conclusion en notant qu’il était probable, selon la preuve au dossier, que l’agresseur aurait été rapidement désarmé si les plaintes avaient été prises au sérieux[170].

[212]       Les tribunaux se placent donc, dans une certaine mesure, dans la position du défendeur au moment de la commission de la faute pour déterminer les types de dommages qu’il pouvait raisonnablement envisager comme suite de ses actes ou omissions. Cette démarche s'assimile à celle qui, lors de l’analyse de la faute d’omission des policiers, consiste à évaluer les dangers qu’aurait dû prévoir un corps de police raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances[171]. Les conclusions énoncées plus haut dans le cadre de l'analyse de la faute et de la prévisibilité raisonnable des risques trouvent donc aussi application à cette facette de l'analyse du lien causal.

3.2. Analyse du lien causal entre la faute du SPVM et de la SQ et les dommages réclamés

[213]       Il découle du cadre juridique tout juste exposé que les demandeurs assument le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils n’auraient pas subi les dommages dont ils tiennent la SQ et le SPVM responsables n’eut été leur défaut d’assurer une présence policière et un périmètre de sécurité aux abords du Métropolis; il leur faut aussi démontrer un lien de causalité logique, direct et immédiat[172].

[214]       En l’espèce, l’analyse du lien causal entre la faute et les dommages réclamés revêt en l’espèce une difficulté particulière puisque les parties invitent le Tribunal à s’adonner à un exercice de projection et inévitablement, à envisager, à la lumière de la preuve, ce qui serait probablement survenu si une présence policière et un périmètre de sécurité avaient été mis en place lors de la soirée électorale.

[215]       Les demandeurs soutiennent que la faute imputée à la SQ et au SPVM rend objectivement possible la réalisation du préjudice[173]; selon eux, n’eut été cette faute, l’attentat commis par Bain aurait été évité.

[216]       La SQ et le SPVM plaident au contraire que cette attaque perpétrée par un loup solitaire constituait alors un événement tout à fait imprévisible et indétectable qui, à tout événement, n'aurait pu être évité même si des agents s'étaient trouvés à l'arrière du Métropolis ce soir-là.

[217]       Ils rappellent également que les six menaces formulées sur les réseaux sociaux à l’égard de Mme Marois tout juste avant la soirée électorale n’étaient aucunement liées à Bain, furent l’objet d’une enquête immédiate et furent jugées inoffensives.

[218]       Le Tribunal conclut que la faute d’omission du SPVM et de la SQ a entraîné une faille, une brèche dans leur plan de sécurité dont Bain a profité pour passer à l’acte. N’eut été cette faille, il est raisonnable de conclure que Bain aurait probablement été dissuadé de passer à l’acte ou appréhendé et mis hors d’état de nuire avant qu’il n’ouvre le feu en direction des demandeurs. Il parait raisonnable de conclure qu’une présence policière et un périmètre de sécurité adéquat auraient empêché Bain de s’approcher du Métropolis et d’ouvrir le feu en direction des demandeurs. Il y a donc lieu de conclure à l’existence d’un lien direct et immédiat entre la faute d'omission de la SQ et du SPVM et les dommages réclamés.

[219]       Pour bien cerner les inférences tirées par le Tribunal pour étayer cette conclusion, il importe de procéder à une analyse des instants qui suivent l’arrivée de Bain à l’arrière du Métropolis en fin de soirée.

[220]       La preuve à ce sujet consiste en de nombreuses bandes vidéo[174] captées par des caméras de surveillance ainsi que par le dépôt des journaux de bord[175] et rapports[176] préparés par les agents impliqués. Ces extraits vidéo permettent de voir Bain stationner son véhicule avant de revêtir son étrange accoutrement et de diriger sans interférence aucune vers l'arrière du Métropolis.

[221]       De façon plus particulière, la preuve découlant de ces bandes vidéo et documents révèle ce qui suit :

-          Bain arrive sur les lieux vers 23 h 48 au volant d’un véhicule utilitaire noir qu’il stationne illégalement dans un espace hachuré du stationnement des Habitations Jeanne-Mance, une coopérative d'habitations à loyer modique, située tout juste au nord de la rue Boisbriand[177].

-          Des véhicules de patrouille du SPVM circulent sur la rue Boisbriand, non loin du véhicule de Bain tout juste avant et après son arrivée[178].

-          À 23 h 56, Bain sort de son véhicule, en ouvre la portière arrière du côté conducteur et revêt une robe de chambre et une cagoule avant de commencer à s’éloigner de son véhicule en direction de l’arrière du Métropolis. Il transporte alors une arme longue à répétition de style AK-47.

-          À 23 h 57[179], Bain déambule d’un pas lent vers l’arrière du Métropolis. Il traverse le stationnement des Habitations Jeanne-Mance et se dirige vers les marches bleues en empruntant la rue Boisbriand. Il s’écoule environ 74 secondes entre le moment où il quitte son véhicule et le moment auquel il se retrouve à 50 mètres des demandeurs et ouvre le feu en leur direction[180].

-          Suite à ce seul coup de feu, un peu avant minuit, deux agents de la SQ (Division SRS), habillés en civil alors situés à proximité, soit les agents Champagne et Rochon, interpellent Bain en l’avertissant de leur présence et l’invitent à déposer son arme. Bain fait fi de cet avertissement et lance une fusée routière allumée qui provoque un feu à côté des marches bleues[181].

-          Bain tente alors de prendre la fuite en empruntant la rue Boisbriand vers l’est, mais il est rapidement rattrapé par les agents de la SQ qui le clouent au sol et lui passent les menottes un peu après minuit[182]. Il s’écoule environ 95 secondes entre le moment du coup de feu et la mise hors d’état de nuire de Bain[183].

-          L’agent Brassard, positionné avec son collègue l’agent Joly au coin de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent au moment du coup de feu, se rend à la course à l’arrière du Métropolis et constate que Bain est déjà menotté et maintenu au sol sous le contrôle des deux agents de la SQ[184].

-          Peu de temps après, les agents Joly et Brassard, avec l’aide des autres policiers présents, installent Bain dans leur véhicule de patrouille afin de le transporter au centre de détention.

-          À 12 h 15, alors que les agents Brassard et Joly transportent Bain vers le Centre opérationnel sud du SPVM, Bain leur mentionne « ton security était pas bon, the gun jammed, Grace of God; the gun jam »[185].

[222]       Pour les fins de ses conclusions concernant le lien causal entre la faute reprochée et les dommages, le Tribunal tire les inférences et constats suivants en ce qui a trait à la démarche et au comportement de Bain et des agents impliqués entre 23 h 58 et 12 h 15 ce soir-là.

[223]       Tout d’abord, il semble probable que l’accoutrement pour le moins étrange de Bain, soit la longue robe de chambre grise et la cagoule noire qui couvre son visage « du milieu du front en haut et au-dessus de sa lèvre supérieure tout près du nez, en bas[186] », ainsi que son port d’une arme longue de style AK-47, auraient mené un agent raisonnablement prudent à rapidement identifier Bain comme étant suspect. Ainsi alerté, un ou des agents de police auraient vraisemblablement réussi à le dissuader de passer à l’acte ou à l’appréhender par la force, au besoin, avant qu’il ne commette l’irréparable.

[224]       L’agent Desgagnés reconnaît que l’accoutrement de Bain constituait effectivement un signe avant-coureur d’un attentat :

Me Dufresne-Lemire : Vous nous avez parlé de, qu’y’avait aucun signe avant-coureur par rapport à l’attentat de, commis par M. Bain, est-ce qu’une personne en robe de chambre avec une cagoule, armée d’une arme longue semi-automatique à moins de 50 mètres de l’endroit où se trouve Mme Marois, est-ce que c’est un indice avant-coureur d’une attaque ?

M. Desgagnés : Oui.

[…][187]

[225]       Une présence policière minimale à l’arrière du Métropolis aurait ainsi eu un effet dissuasif pour Bain qui constate ce soir-là l’absence totale de policiers à l'arrière du Métropolis et du même fait la voie libre jusqu’à sa porte arrière.

[226]       D’autre part, le Tribunal accorde un poids important au fait que la démarche de Bain pour se rendre, ainsi étrangement vêtu et armé, du stationnement des Habitations Jeanne-Mance à l’arrière du Métropolis s’avère plutôt lente; il déambule en effet pendant environ 74 secondes avant de se retrouver à 50 mètres des marches bleues et d’y ouvrir le feu sur Courage et Blanchette. Compte tenu de cette lenteur, il paraît probable que Bain aurait pu être intercepté et maîtrisé rapidement par la force si une présence policière fixe et un périmètre de sécurité avaient été mis en place par la SQ et le SPVM à l'arrière de la salle de spectacle. Il parait pertinent de noter que la configuration ouverte des lieux permet d’inférer que Bain n’aurait pu se cacher pour se rendre à la sortie arrière du Métropolis; Bain marche en effet à découvert lorsqu’il déambule du stationnement des Habitations Jeanne-Mance jusqu’aux abords des marches bleues.

[227]       Bain a ainsi profité de l’omission des forces de l’ordre d’établir une présence et un périmètre de sécurité et ne s’en cache pas lorsqu’il claironne à l’agent Brassard que « ta security était pas bonne ».

[228]       De l’avis du Tribunal, cette faille du plan de sécurité dont profite Bain établit une causalité adéquate au sens de l’article 1607 C.c.Q. entre la faute d’omission commise par la SQ et le SPVM et les dommages subis par les demandeurs.

[229]       Avant de quitter ce volet de l’analyse du lien causal, il convient de traiter sommairement des autorités citées de part et d’autre à ce sujet en matière de responsabilité policière liée à une faute d’omission. Évidemment comme tout est affaire de contexte en matière de responsabilité civile, il est pour le moins difficile de transposer le raisonnement suivi dans d’autres instances aux faits particuliers de la présente affaire.

[230]       Sans pour autant commenter chacune des décisions citées, il paraît utile de préciser que dans la plupart des décisions citées par la SQ et le SPVM, l’absence de lien causal entre l'auteur de la faute et les dommages réclamés s’explique du fait que plusieurs inférences découlant de faits successifs doivent être tirées de la preuve pour établir la causalité.

[231]       À titre d’exemple, dans l’affaire Hogue[188], Armande Côté assassine son mari mais se voit acquittée de ce meurtre en raison d’un arrêt des procédures lié aux nombreuses violations de ses droits constitutionnels par les policiers de la SQ. La succession du défunt intente un recours à l’endroit de la SQ, soutenant que celle-ci est responsable de l’acquittement de la meurtrière et des dommages en résultant. La Cour rejette ce recours, concluant qu’il n’a pas été démontré que n’eut été faute des policiers, un verdict de culpabilité aurait été rendu à l’endroit de l’accusée :

Pour ce qui est du lien de causalité, la juge expose qu’en vertu de l'article 1607 C.c.Q., le dommage doit être une suite immédiate et directe de la faute commise. Ainsi, le préjudice dit « en cascade » n'est pas indemnisable en droit québécois puisqu’il s'agit d'un dommage indirect. La juge ajoute que, pour établir le lien de causalité, il faut se demander si le préjudice découle nécessairement de la faute.[189]

[Référence omise]

[232]       Cette affaire se distingue de la présente puisqu’elle implique une forme de préjudice « en cascade »[190]; pour en conclure au lien causal, il faut non seulement conclure à la faute des policiers mais également conclure qu’aucune défense n’aurait pu être mise de l’avant par l’accusée. Comme le mentionne la Cour d’appel « c’est l’acquittement de Mme Côté qui est la cause adéquate du préjudice subi par les appelants, et non la faute des policiers »[191].

[233]       Tel n’est pas le cas en l’espèce. Le raisonnement suivi pour en conclure à l’existence d’un lien causal ne repose pas sur une cascade d’événements qui ont pour effet d’étioler la causalité directe. À charge de redite, en l’absence de faille dans le plan de sécurité de la SQ et du SPVM, il paraît probable que Bain aurait été démotivé ou appréhendé avant qu'il ne passe à l'acte.

[234]       Les faits du présent dossier se distinguent aussi de ceux des affaires Boisvenu[192]et Lessard[193] soumises par les défendeurs.

[235]       Dans l’affaire Boisvenu, tristement célèbre, une jeune femme est assassinée par un homme rencontré au hasard sur la rue, en pleine nuit. Durant l’heure précédant le crime, le meurtrier est intercepté par des policiers à deux reprises pour diverses raisons, mais ment sur son identité et est finalement libéré. Si les agents avaient fait des vérifications plus approfondies, ils auraient pu découvrir que l’homme devant eux était en probation pour des antécédents semblables aux actes qu’il s’apprêtait à commettre[194]. Selon le juge, trop d’éléments devaient toutefois être tenus pour acquis ou inférés pour conclure à un lien causal entre l’omission et la tragédie survenue. Il aurait fallu que la vérification mène effectivement à identifier la personne, ce qui demeure incertain selon les faits du dossier[195]. Ensuite, les policiers auraient dû conclure à un motif suffisant pour l’arrêter sans mandat[196], ou le surveiller pour le reste de la nuit, alors qu’ils patrouillaient déjà un secteur animé[197]. Pour la Cour, le lien de causalité reposait donc sur de simples « possibilités »[198]. Vu autrement, l’omission de vérifier l’identité du meurtrier constitue dans ce contexte une occasion du préjudice et non sa cause adéquate[199].

[236]       Enfin, dans Lessard, le demandeur a été victime d’une attaque à main armée de la part d’un ex-détenu en cavale, après avoir fait défaut de respecter ses conditions de remise en liberté. L’assaillant obéissait aux ordres d’une tierce personne qui souhaitait se venger du demandeur pour des torts passés. On plaide en demande que des fautes commises par le service correctionnel dans l’évaluation des risques présentés par le détenu ont permis sa libération avec pour conséquence le préjudice du demandeur. Le juge conclut à l’absence de causalité, puisque la Commission des libérations conditionnelles n’est pas liée par les recommandations du service correctionnel[200]. De même, selon le juge, la personne qui a commandé l’attaque est animée par un esprit de vengeance tel qu’elle aurait probablement trouvé un autre moyen pour arriver à ses fins si son complice était resté détenu.

[237]       Pour le Tribunal, ces décisions constituent des exemples de situations où le rapport entre la faute alléguée et le préjudice subi est trop ténu, ou trop distant, pour créer un véritable lien de causalité. C’est le cas, notamment, parce qu’il aurait fallu pour ce faire accepter une série d’hypothèses qui ne reposaient pas sur la preuve au dossier : par exemple, présumer que des policiers auraient probablement identifié, puis arrêté un individu, s’ils avaient fait certaines vérifications (Boisvenu), ou qu’il y aurait probablement eu condamnation d’une accusée si la preuve obtenue illégalement n’avait pas été exclue à son procès (Hogue).

[238]       En l’espèce, au contraire, le lien entre la faute d’omission de la SQ et du SPVM et le préjudice subi par les demandeurs est beaucoup plus direct. La preuve permet de conclure logiquement, et selon la prépondérance des probabilités, que la présence d’agents normalement prudents et compétents aurait dérouté le plan de Bain avant qu’il ne puisse s’en prendre aux demandeurs et à leurs collègues. Pour tisser ce lien, le Tribunal n’a pas à présumer de la réunion parfaite d’une série d’événements possibles, mais improbables dans les faits. Dit simplement, il y a eu brèche dans le périmètre de sécurité, l’assassin s’en est prévalu et ses victimes étaient les premières personnes lui barrant la route.

[239]       Quant à la question de la prévisibilité raisonnable pour les défendeurs du préjudice subi par les demandeurs suite à l’attaque de M. Bain, le Tribunal renvoie encore une fois à son analyse des questions similaires sous le thème de la faute. Il y a lieu de conclure que si des policiers normaux placés dans les mêmes circonstances étaient en mesure de prévoir la survenance d’un incident de violence mettant en danger le public lors d’une soirée politique d’envergure, ils sont aussi capables d’imaginer les dommages qui pourraient en résulter pour les victimes, y compris le grave traumatisme psychologique comme celui vécu en l’espèce. Il faut noter d’ailleurs que les montants accordés par le Tribunal pour chaque demandeur ne sont pas astronomiques et ne dépassent pas l’ampleur de la responsabilité à laquelle pouvaient s’attendre la SQ et le SPVM au moment de la faute.

[240]       Le Tribunal conclut donc que les demandeurs ont démontré un lien causal entre la faute policière et leur préjudice.

 

                           *   *   *

[241]       Jusqu'à présent, il a été établi que les demandeurs se déchargent de leur fardeau de démontrer la faute des défendeurs, les dommages qu’ils ont subis et le lien causal entre la faute et ces dommages. Il y a maintenant lieu d'aborder l'analyse des arguments soulevés par la SQ et le SPVM qui concernent la prescription du recours.

 

4. Le recours des demandeurs est-il prescrit ?

4.1. Quel est le délai de prescription applicable au recours contre le SPVM?

[242]       Il faut tout d’abord réitérer que le délai de prescription extinctive applicable à ce recours diffère entre la SQ et le SPVM. Tous admettent que la prescription triennale prévue à l’article 2925 C.c.Q. trouve application en ce qui a trait à la responsabilité civile de la SQ.

[243]       Le SPVM soumet toutefois que le droit d’action des demandeurs à son égard s’est éteint après l’expiration du court délai de six mois prévu à la LCV. Si le SPVM a raison à ce sujet, les demandeurs doivent justifier un retard d’au moins deux ans et demi, entre l’expiration de ce délai et la date à laquelle ils ont déposé leur demande introductive d’instance, ou s’y sont joints, sans quoi leurs réclamations seront prescrites en ce qui concerne les fautes commises par le SPVM.

[244]       Les demandeurs soulignent que le délai de six mois dont cherche à se prévaloir le SPVM est exceptionnel et constitue un « privilège exorbitant et dérogatoire au droit commun »[201]. Ils soumettent que la prescription de trois ans s’applique à leur recours en entier, puisque fondé sur l’obligation des défendeurs de réparer un préjudice corporel, faisant ainsi échec à l’application de la courte prescription prévue à la LCV[202]. Ils plaident que la notion de préjudice corporel doit être interprétée de manière large et rappellent que dans l’état actuel de la jurisprudence, un tel préjudice se définit en fonction de la source de l’action plutôt que selon chaque chef de dommages réclamés.

[245]       Ainsi, les demandeurs soutiennent que leur préjudice doit être qualifié de corporel puisqu’ils ont tous fait l’objet d’une tentative de meurtre de la part de Bain, c’est-à-dire, dans les termes du Code criminel, une infraction contre leur personne[203] et donc une atteinte à leur intégrité physique. Par ailleurs, ils allèguent, expertises à l’appui, que leurs troubles de santé constituent un TSPT, ce qui en ferait une forme de préjudice corporel selon la doctrine et la jurisprudence qui dictent une interprétation large de cette notion pour les fins d’application des dispositions applicables en matière de prescription.

[246]       Les arguments du SPVM à ce sujet sont plus détaillés. Elle convient que le préjudice doit être qualifié de corporel selon la nature de l’atteinte initiale aux droits d’une personne, plutôt que suivant les conséquences de cette violation. Par contre, selon l’argument de la Ville, un recours fondé sur l’angoisse, l’anxiété, la tristesse ou la perte de sommeil résultant d’une intervention policière, en est un fondé sur un préjudice moral et non un préjudice corporel. Selon elle, considérant que les demandeurs n’ont pas subi « la moindre ecchymose ou égratignure » le soir du 4 septembre 2012, ils ne peuvent échapper à la prescription de leur recours. Sans pour autant banaliser le choc que les demandeurs ont pu subir et les troubles psychologiques qui en ont découlé, la Ville plaide que ce préjudice est « par essence » moral.

[247]       Par ailleurs, la Ville soutient que seuls Blanchette et Courage subissent un préjudice corporel. Elle admet que la famille et les proches de ces derniers auraient pu se prévaloir de l’article 2930 C.c.Q. en tant que victimes « par ricochet » de l’atteinte à leur intégrité physique[204]. Toutefois, le SPVM insiste que ce n’est pas le cas des demandeurs, dont le préjudice serait « tout à fait indépendant » de celui subi par Blanchette et Courage. En effet, selon l’argument présenté, Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé auraient été simplement traumatisés par le fait d’avoir été la cible des actes violents de Bain et auraient pu intenter exactement le même recours si l’arme de l’agresseur n’avait atteint personne ce soir-là. Ce « recours autonome » qu’ils feraient valoir se prescrirait de la même manière que celui, hypothétique, du propriétaire d’un véhicule abîmé par une balle perdue ou de l'action éventuelle du Métropolis pour les pertes liées à l'incendie provoqué par Bain.

[248]       Ainsi, puisque les demandeurs n’auraient, selon le SPVM, subi aucun préjudice corporel et qu’ils ne peuvent s’appuyer sur celui de leurs collègues, leur recours demeurerait sujet à la prescription de six mois prévue à la LCV.

4.1.1 Le cadre juridique concernant la nature du préjudice et le délai de prescription

[249]       L’article 586 LCV prévoit un délai de prescription qui fait exception à l’application de la prescription triennale d’un recours en dommages-intérêts[205] contre une municipalité; ce recours doit être intenté dans les six mois du jour auquel le droit d’action a pris naissance :

586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

[250]       L’article 2930 C.c.Q. fait toutefois échec à cette courte prescription[206] lorsque l’action contre la municipalité « est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui » :

2930. Malgré toute disposition contraire, lorsque l’action est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui, l’exigence de donner un avis préalablement à l’exercice d’une action, ou d’intenter celle-ci dans un délai inférieur à un délai prévu par le présent livre, ne peut faire échec au délai de prescription prévu par ce livre.

[251]       Un préjudice peut être corporel, moral ou matériel[207]. Dans les deux derniers cas de figure, en principe la prescription de six mois doit trouver application s’il s’agit d’un recours contre une municipalité.

[252]       Trois observations générales s’imposent concernant la portée de l’article 2930 C.c.Q.

[253]       Premièrement, il est bien établi que cette disposition doit être interprétée de façon large et libérale[208] et de manière à réaliser l’intention du législateur « de mieux protéger l’intégrité de la personne et d’assurer la pleine indemnisation des victimes d’atteinte à cette intégrité »[209].

[254]       Deuxièmement, la qualification du préjudice dépend de la nature de l’« atteinte initiale »[210] aux droits du demandeur, c’est-à-dire la source de l’action entreprise, par opposition aux conséquences pécuniaires ou non-pécuniaires (les chefs de dommages) occasionnées par cette atteinte[211].

[255]       Troisièmement, il ne fait pas de doute que tout préjudice corporel doit impliquer une atteinte initiale à l’intégrité physique d’une victime[212].

[256]       Ainsi, dans l’arrêt Dorval, la Cour suprême mentionne que :

[26]  […] l’énoncé « lorsque l’action est fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui » […] nous invite clairement à qualifier le fondement de l’action intentée pour décider de l’application de l’art. 2930 C.c.Q. à un cas d’espèce. Le fondement de l’action correspond alors à l’acte fautif générateur de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime décédée, soit le préjudice corporel subi. C’est donc dire que, pour l’application de cet article, c’est la nature de l’atteinte initiale plutôt que le chef de dommages-intérêts réclamé qui qualifie de corporel le préjudice et qui constitue la source ou le fondement de l’action.[213]

[Soulignements du Tribunal]

[257]       On constate à la lumière de ce qui précède que la doctrine et la jurisprudence dominante considèrent que l’article 2930 C.c.Q. s’applique à un demandeur démontrant un préjudice qui soit lui-même de nature corporelle, ou alors un préjudice qui puisse être autrement rattaché à une atteinte initiale de cette nature.

4.1.1.1 Le traumatisme psychologique en tant que préjudice corporel

[258]       La Cour suprême enseigne que la notion de préjudice corporel doit être « souple dans son application »[214] et qu’elle ne se limite pas aux cas où des blessures visibles sont infligées à une victime. Dans l’arrêt Schreiber, elle rappelle en effet que la notion d’intégrité physique peut englober une « vaste gammes d’atteintes à l’intégrité de la personne » :

63 La notion d’intégrité physique demeure à la fois souple et susceptible d’englober une vaste gamme d’atteintes à l’intégrité de la personne ainsi que les conséquences en découlant. Cette notion ne se limite pas aux cas précis où du sang a coulé ou des ecchymoses sont apparues sur le corps. Le choc nerveux causé par une intervention policière brutale a été jugé constituer un cas de « préjudice corporel » au même titre que la douleur et la souffrance physiques causées par une contrainte physique de la personne; de même, la torture ne laissant aucune trace sur le corps serait visée par la définition.[215]

[Soulignements du Tribunal et références omises]

[259]       À titre d’exemple, la démonstration d’un « choc nerveux » peut permettre à un demandeur de se prévaloir de l’article 2930 C.c.Q. et d’éviter la courte prescription de six mois[216]. La preuve doit toutefois être convaincante pour conclure à l’existence d’un préjudice corporel de cette nature. À ce sujet, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent que :

[…] si on a pu prétendre que tout stress, toute angoisse ou anxiété entraînent des séquelles aux cellules cérébrales, seul devrait normalement être reconnu comme constituant une forme de préjudice corporel le choc nerveux entraînant des conséquences physiques médicalement objectivées.[217]

[Soulignements du Tribunal, références omises]

[260]       Le Professeur Gardner consacre quelques paragraphes de son ouvrage de référence sur le préjudice corporel à la question du choc nerveux :

19.1 — Préjudice corporel versus choc nerveux. On peut poser comme règle de base qu'un préjudice corporel sera présent lorsque l'atteinte première à l'intégrité d'une personne entraîne des conséquences, physiques ou psychiques, contemporaines à l'évènement et qui peuvent être médicalement prouvées. Le choc nerveux peut donc constituer un cas de préjudice corporel, comme démontré dans les décisions mentionnées ci-dessus, mais tout choc émotionnel n'entre pas nécessairement dans la catégorie […].

[…]

21 — […] [Le] « choc nerveux »[est] souvent allégué pour échapper aux courts délais des lois municipales en matière d'arrestation injustifiée. Il suffit d'exiger du demandeur une preuve médicale permettant de constater l'existence de ce choc, contemporain à l'arrestation, afin d'éviter les abus. Rien d'autre, en somme, que l'application de la règle de base en matière de preuve énoncée à l'article 2803 C.c.Q. […] En l'absence d'un suivi médical contemporain aux évènements à la source de la réclamation, il sera difficile pour la victime de remplir les exigences de son fardeau de preuve.[218]

[Soulignements du Tribunal, références omises]

[261]       Les jugements qui concluent à l’existence d’un choc nerveux permettant d’écarter la prescription de six mois sont rares[219]. Notons que la jurisprudence est parfois sceptique à l’idée qu’une autre forme d’atteinte à l’intégrité psychologique puisse donner lieu à un préjudice corporel au sens de l’article 2930 C.c.Q.[220].

[262]       Dans un autre contexte, la Cour suprême écrit qu’il est futile de distinguer le « préjudice psychologique » associé au deuil d’un proche des autres « facettes du préjudice moral », évoquant « [l]a nature variée et complexe des sentiments humains »[221]. La même Cour reconnaît que « selon les connaissances médicales actuelles, il est souvent difficile de distinguer le préjudice physique du préjudice psychologique »[222].

[263]       En effet, comme le souligne la Cour d’appel, « [l]a personne humaine doit […] être considérée comme un tout, c’est-à-dire dans son aspect matériel (le corps, la santé physique) mais aussi dans son aspect psychologique ou immatériel (le bien-être, la santé mentale) »[223].

[264]       Dans un arrêt plus récent, elle suggère donc que « le préjudice corporel [peut] découler d’un acte qui constitue une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la victime »[224], alors que le préjudice moral concerne plutôt « toute atteinte aux droits extrapatrimoniaux, comme le droit à la liberté, à l’honneur, au nom, à la liberté de conscience ou de parole »[225].

4.1.1.2 Les arrêts Tarquini et Dorval

[265]       Ceci étant dit, le droit reconnaît qu’une atteinte à l’intégrité physique fait souvent d’autres victimes que la victime immédiate atteinte physiquement[226]. En interprétant l’article 2930 C.c.Q. de façon libérale, les tribunaux ont progressivement élargi le bénéfice de cette disposition à ceux qui ont souffert du préjudice corporel d’une autre personne causé par la faute d’une municipalité[227].

[266]       C’est en effet la solution retenue par la majorité de la Cour d’appel dans l’arrêt Montréal (Ville de) c. Tarquini[228], où il est question du recours personnel de la veuve d’un cycliste ayant trouvé la mort sur une voie asphaltée de la Ville appelante. Alors que le juge minoritaire se dit d’avis qu’un tel recours est soumis à la prescription de six mois du droit municipal[229], les juges majoritaires concluent que Mme Tarquini à titre de survivante du préjudice corporel subi par son époux, peut se prévaloir de la prescription triennale.

[267]       En particulier, la juge Otis écrit qu’en adoptant l’article 2930 C.c.Q., le législateur :

[…] tenait à assurer qu'aucun objectif purement économique ne puisse transcender la protection de l'intégrité physique de la personne et justifier une réduction arbitraire du délai de prescription des actions en justice dont le préjudice corporel est le fondement juridique.[230]

[268]       Or, « en matière de prescription, c’est l’atteinte au droit qui fonde la règle et constitue l’intérêt que le législateur veut protéger, et non seulement le seul chef de dommage réclamé »[231]. Dans cette affaire, « le point d’ancrage du recours de l’intimée [Mme Tarquini] est une atteinte à l’intégrité physique de la personne » et son recours procède donc « de la même source » que celui du défunt, « soit l’événement qui cause le préjudice »[232]. Toute dissociation entre les deux recours est donc artificielle aux fins de la prescription[233].

[269]       La conclusion des juges majoritaires a par ailleurs été avalisée par la Cour suprême dans l’arrêt Dorval, où il est question du recours des proches parents d’une femme assassinée par son ex-conjoint après avoir alerté en vain les services policiers de la Ville appelante[234].

[270]       La Cour explique que puisque le préjudice se qualifie en fonction de sa source, « la victime d’une atteinte fautive à son intégrité physique » ainsi que « toute autre victime qui subit également les conséquences immédiates et directes de l’atteinte » sont en droit « de réclamer leurs pertes pécuniaires ou non-pécuniaires […] dans une action fondée sur la même atteinte fautive ». Par conséquent, « [c]omme ils fondent leur recours sur l’obligation qu’aurait la Ville de réparer le préjudice corporel causé à Mme Dorval, les parents bénéficient de la prescription de trois ans suivant les articles 2925 et 2930 C.c.Q.[235] ».

[271]       Il parait donc contraire au texte et à l’objet de la loi de libérer les municipalités de leur obligation de réparer le préjudice corporel après trois ans pour certaines victimes, mais seulement six mois pour d’autres[236].

[38] L’interprétation large et libérale de l’art. 2930 C.c.Q. que je privilégie offre une solution à la fois cohérente, équitable et juste. Toutes les victimes qui subissent les conséquences directes et immédiates d’une même atteinte fautive doivent bénéficier du même délai de prescription extinctive pour entreprendre leur recours […].

[39] Une telle interprétation est également de nature à faciliter l’accès à la justice des victimes de conséquences qui sont la suite immédiate et directe d’une atteinte fautive à l’intégrité physique d’une personne. Elle accorde en effet à tous le temps nécessaire pour colliger l’information voulue et entreprendre en temps utile une action en responsabilité civile contre l’auteur de l’atteinte.[237]

[Soulignements du Tribunal et références omises]

[272]       La Cour suprême se garde bien de qualifier le préjudice des parents endeuillés de Mme Dorval (chagrin, perte de soutien affectif, frais funéraires) de corporel, à strictement parler. La règle posée par cet arrêt permet toutefois d’appliquer l’article 2930 C.c.Q. à un préjudice qui, en lui-même, pourrait être moral ou matériel[238]. En somme, si l’atteinte fautive initiale est de nature corporelle, toutes les victimes qui en subissent les conséquences doivent pouvoir profiter de l‘interprétation large de l’article 2930 C.c.Q. et du même délai de prescription.

[273]       Les affaires Tarquini et Dorval concernent l’hypothèse de proches d’une personne morte ou blessée qui ne sont pas témoins de l’atteinte à son intégrité physique, mais en subissent les contrecoups par après. Le même principe fut appliqué par la Cour supérieure dans Tremblay c. Lapointe[239], où une mère avait elle-même assisté à l’irruption de policiers en sa demeure et à l’arrestation brutale de sa fille. La Cour écrit que le « spectacle » d’une telle « atteinte et de ses conséquences peut causer à un tiers une souffrance morale qui lui est personnelle en raison du lien affectif l’unissant à la victime immédiate ». Le recours de la mère « procède de la même source et est indissociable du même événement » et est donc prescriptible par trois ans[240].

[274]       Finalement, dans Gounis c. Ville de Laval, la Cour supérieure conclut que le « choc post-traumatique » d’une jeune fille, dont la mère fût blessée par balles dans une chambre voisine, est couvert par l’article 2930 C.c.Q. à la fois de par lui-même et par l’entremise du préjudice corporel subi par sa mère :

[437] Stéphanie a subi un choc post-traumatique causé par l’intervention policière et, par conséquent, elle a subi une atteinte à son intégrité physique et son recours se prescrit par trois ans.

[438] Enfin, la preuve révèle que Stéphanie a été traumatisée par les blessures subies par sa mère. Elle dit d’ailleurs avoir eu peur de perdre sa mère des suites de ses blessures. Le fondement de son action correspond, en partie, à l’acte fautif générateur de l’atteinte à l’intégrité physique de sa mère. Le recours de Stéphanie n’est donc pas prescrit.[241]

[Soulignements du Tribunal et référence omise]

[275]       Dans cette affaire, la Cour rejette toutefois l’action des demanderesses, concluant à l’absence d’une faute et d’un lien de causalité.

4.1.2 Conclusions quant à la nature du préjudice subi par les demandeurs

[276]       Les événements du 4 septembre 2012 se sont déroulés rapidement, il s'écoule à peine 95 secondes[242] entre le moment de l'irruption de Bain à 50 mètres des marches bleues et le moment de son arrestation par les agents de la SQ et du SPVM. Profitant, comme on l'a vu, de l'omission fautive des défendeurs d'assurer une protection policière adéquate à l'arrière du Métropolis, Bain y arrive à 23 h 58 et ouvre le feu sur le groupe de techniciens de scène qui y sont regroupés. Bien malgré eux, les demandeurs sont aux premières loges lorsque Bain ouvre le feu et ne peuvent échapper à l'horreur qui s'en suit. Cet événement a profondément bouleversé Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé, plantant en eux les séquelles psychiques sur lesquelles repose aujourd'hui leur recours.

[277]       De l'avis du Tribunal, ce traumatisme psychologique des demandeurs repose sans contredit sur l'obligation du SPVM (et de la SQ) de réparer le préjudice corporel causé à autrui au sens de l'article 2930 C.c.Q. et ce, pour deux raisons distinctes.

[278]       En premier lieu, les demandeurs ont eux-mêmes fait l'objet d'un préjudice corporel, puisqu'ils ont subi une atteinte à leur propre intégrité physique le soir de l'attentat. En effet, pour les motifs qui seront détaillés plus loin, le Tribunal retient l'opinion de l'expert Brunet selon laquelle les demandeurs ont tous souffert d'un TSPT.

[279]       À priori, on peut douter que ce traumatisme corresponde au sens strict à la définition d'un « choc nerveux » se manifestant par une réaction physique immédiate et contemporaine à l'atteinte. Ce préjudice s'est manifesté graduellement et insidieusement, les premiers symptômes des demandeurs s'étant développés dans les jours et semaines qui ont suivi les événements.

[280]       Cependant, les demandeurs ont vécu un trouble de santé psychologique qui est à la fois sérieux et médicalement objectivé. Les rapports d'expertise et le témoignage de l’expert retenu par les demandeurs (lesquels sont analysés en détail ci-après) sont convaincants à cet égard. Ainsi, le préjudice dont il est question ici se distingue d'un simple sentiment de tristesse, d'angoisse ou d'inconfort, qu'on le classe ou non dans la catégorie du choc nerveux[243].

[281]       Par ailleurs, et surtout, le préjudice doit être qualifié en fonction de la nature de l'atteinte initiale aux droits des demandeurs. Or, sous cet angle, il est difficile d'assimiler leur situation à un préjudice d'ordre purement moral. Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé n'ont pas été, à titre d’exemple, victimes d'une arrestation ou d'une poursuite abusive[244] ni d'un autre type d'atteinte à leur dignité, à leur liberté, à leur vie privée ou à leur réputation.

[282]       Les dommages d'ordre psychologique qu'ils ont subis constituent la conséquence d'une menace grave et directe à leur intégrité physique, occasionnée par des gestes, d'une rare violence, posés à leur égard[245]. Les demandeurs sont en réalité les survivants d'une attaque armée sur leur personne; il parait pertinent de garder à l'esprit qu'un jury a déclaré Bain coupable d'une tentative de meurtre à leur endroit. Bien qu'à la différence de leurs collègues, aucun des demandeurs n'ait été atteint par l'assassin, il est établi que Bain a fait feu en leur direction générale sans viser quelqu'un précisément. Ce n'est que le fruit du hasard si les demandeurs n'ont pas été eux-mêmes atteints ce soir-là. Tel qu'il ressort des témoignages de Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé, ils sont tous bien conscients de cette réalité qui constitue un facteur essentiel à la source de leur traumatisme.

[283]       Par conséquent, les dommages des demandeurs découlent, selon le Tribunal, d'une atteinte à leur intégrité physique et constituent un préjudice corporel couvert par l'article 2930 C.c.Q.

[284]       En second lieu, même si le Tribunal qualifiait de strictement moral le préjudice psychologique, il conclurait sans hésitation que le recours de chacun d'entre eux est fondé sur l'obligation du SPVM de réparer le préjudice corporel causé à Blanchette et Courage, en application des arrêts Tarquini et Dorval. Ce préjudice constitue une conséquence directe et immédiate de cette atteinte physique. On ne peut bien sûr contester que l'attaque de Bain cause une atteinte à l'intégrité physique de ces deux victimes. Or, de l'avis du Tribunal, le préjudice des demandeurs est lui-même indissociable de cette atteinte première.

[285]       Il faut reconnaître que le cas des demandeurs diffère de l'exemple-type de la « victime par ricochet » dont il est question dans ces arrêts, c'est-à-dire le membre de la famille d'une personne morte ou blessée qui subit les contrecoups de cette atteinte (chagrin, perte de soutien et de confort) en raison principalement du lien affectif qui l'unit à la victime initiale. Le Tribunal est aussi conscient de la particularité historique du droit d'action des victimes appartenant à cette catégorie[246].

[286]       Par contre, d'une part, rien n'empêche en principe les amis ou autres proches d'une personne physiquement atteinte de réclamer les dommages subis en lien avec le préjudice corporel causé à autrui, pour autant qu'ils soient en mesure de prouver ses propres dommages en découlant[247]. C'est le cas en l'espèce. Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé connaissaient tous Blanchette et Courage, dont ils étaient collègues et amis.

[287]       D'autre part, les demandeurs furent témoins de l'atteinte brutale à l'intégrité physique de Blanchette et Courage. Parisien a vu le corps de Blanchette tomber sur lui après avoir été touché et il a dû repousser son ami pour se sauver de la scène. Dubé se trouve éclaboussé du sang de son ami, tandis que Ghiringhelli et Dulong-Bérubé portent Courage vers l'intérieur de la salle de spectacle alors qu'il saigne abondamment et qu’on craint pour sa vie. Chacun des demandeurs a personnellement vécu cet événement atroce qui donne lieu au préjudice corporel qu'ils réclament.

[288]       Ce faisant, on ne saurait retenir la position du SPVM selon laquelle le recours des demandeurs est « tout à fait indépendant » de celui que Dave Courage et la succession de Denis Blanchette auraient pu intenter à son égard. Il est en fait impossible de soustraire leur préjudice de l'équation. Quoiqu'on puisse, en théorie, imaginer qu'un trouble psychologique aurait pu se développer chez tous ou certains des demandeurs si l'arme de Bain avait par chance manqué la cible ce soir-là, ce n'est pas ce qui s'est produit en réalité.

[289]       L'ampleur des traumatismes de Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé tient éminemment compte du fait qu'ils ont vu une personne être abattue et une autre blessée par balle tout juste à côté d'eux. Cette tragédie occupe une très grande place dans les souvenirs pénibles qu'ils décrivent à l'audience, sans parler des remords que disent avoir ressentis Parisien et Dubé, de n'avoir rien pu faire pour sauver leurs amis.

[290]       Par ailleurs, les gestes commis sur les personnes de Blanchette et Courage ont rendu soudainement plus plausible la possibilité que les demandeurs ne deviennent les prochaines cibles de Bain, n'eût été la défaillance de son arme. Ce scénario est venu hanter Ghiringhelli dans les années qui ont suivi l'attentat. Comme l'ont expliqué les experts, le TSPT se développe après avoir vécu une situation de danger grave et immédiat, où l'on frôle la mort de près. Le préjudice des demandeurs se trouve donc inextricablement lié au meurtre de Blanchette et aux blessures de Courage.

[291]       L'application des principes des arrêts Tarquini et Dorval s’impose car elle remplit l'objectif réparateur de l'article 2930 C.c.Q., qui s'applique à toutes les victimes directes et immédiates d'une atteinte à l'intégrité physique. Selon le Tribunal, il serait pour le moins incongru de nier le bénéfice de la prescription de 3 ans à une personne au motif qu'elle était elle-même présente et exposée au danger lors de l'atteinte, pouvant donc, en principe, justifier un recours autonome de celui du défunt[248]. Conclure ainsi permettrait au SPVM d'esquiver sa responsabilité pour un préjudice corporel envers certaines victimes directes d'« un même acte fautif commis par le même auteur dans les mêmes circonstances »[249].

[292]       Il ne parait pas utile, ni souhaitable, de tenter de subdiviser, aux fins de la prescription, le préjudice des demandeurs entre les dommages qui découleraient directement de l'atteinte à l'intégrité de Blanchette et Courage et ceux liés au fait d'avoir été eux-mêmes confrontés par Bain pendant son attaque. Ces deux atteintes se sont produites quasi simultanément, en l'espace de quelques secondes dans un même continuum, et résultent des mêmes gestes. Il ne s'agit pas d'une suite d'événements séparés dans le temps ayant pu causer plusieurs types de préjudices identifiables distinctement[250]. Par ailleurs, la preuve ne permet pas de faire une telle distinction entre les sources du traumatisme psychologique vécu par les demandeurs. Procéder ainsi serait ignorer toutes les nuances et la complexité d'un syndrome comme le TSPT. Enfin, quoi qu’il en soit, le Tribunal demeure d'avis que Parisien, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé ont subi une atteinte à leur propre intégrité physique, pour les motifs décrits plus haut.

[293]       Le Tribunal considère donc que, dans les circonstances particulières du présent dossier, le recours des demandeurs relève de l'article 2930 C.c.Q. en ce qu'il repose sur l'obligation du SPVM de réparer, à la fois, leur propre préjudice corporel ainsi que celui de Blanchette et Courage duquel leurs dommages sont indissociables. Il doit être souligné qu'une telle conclusion repose sur les faits précis mis en preuve, y compris le rare contexte de violence mortelle, la proximité physique des demandeurs lors de l'attentat, le fait qu'ils en firent eux-mêmes l'objet en plus de connaître le défunt et le blessé, ainsi que les effets objectivement graves de l'événement sur leur santé mentale. Le Tribunal ne suggère pas que n'importe quel témoin passif d'un geste d'agression puisse justifier un préjudice corporel ou se prévaloir autrement de l'article 2930 C.c.Q.

[294]       L'application de la prescription triennale mène à conclure que le recours de Parisien contre la Ville n'était pas prescrit au moment où il a été déposé, le 4 septembre 2015.

[295]       Cela dit, puisque Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé se sont joints au recours le 21 octobre 2015, soit 3 ans et 47 jours après le 4 septembre 2012, ces trois demandeurs doivent justifier leur retard à exercer leurs droits, tant à l'égard du SPVM qu'à l'égard de la SQ. Ils doivent ainsi démontrer avoir été dans l’impossibilité en fait d’agir plus tôt.

4.2. Dulong-Bérubé, Dubé et Ghiringhelli ont-il respecté le délai de prescription de trois ans?

[296]       Les trois demandeurs concernés plaident l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2904 C.c.Q., invoquant que le TSPT qu'ils ont subi par la faute des défendeurs, était tel qu’ils se sont tous trouvés, durant un certain temps, dans l’impossibilité en fait d’agir en justice[251], suspendant de ce fait la prescription à leur égard[252]. Les demandeurs suggèrent également que la prescription ne peut avoir commencé à courir[253] dès la première manifestation de leur préjudice au jour des événements[254].

[297]       Pour leur part, la SQ et le SPVM avancent essentiellement que les demandeurs avaient conscience dès le 4 septembre 2012 de la faute qui leur est reprochée, ayant constaté l’absence d’agents à l’arrière du Métropolis. Leur préjudice psychologique se serait alors manifesté de façon tangible dès les premiers jours et semaines qui ont suivi les événements, alors qu’ils ont vécu leurs tous premiers symptômes. Quant à l’impossibilité d’agir, ils admettent que chacun des demandeurs concernés a souffert de troubles psychologiques, mais soutiennent que ceux-ci  n’ont pas rendu impossible l’exercice de leurs droits devant les Tribunaux suivant les critères établis par la jurisprudence, lequel est très élevé.

[298]       Comme nous le verrons ci-après les questions liées au point de départ de la prescription et à l’impossibilité d’agir relèvent d’une analyse éminemment factuelle et contextuelle des circonstances propres à chacun des trois demandeurs concernés. La détermination du point de départ de la prescription tout comme la démonstration de l’impossibilité d’agir en justice ne peuvent en effet être abordées in vacuo.

4.2.1 Le cadre juridique concernant le départ de la prescription et à la question de l’impossibilité d’agir

[299]       Bien que ces moyens soient souvent abordés de manière interchangeable par les tribunaux, les questions relatives au point de départ de la prescription se distinguent de celles liées à sa suspension, notamment en cas d’impossibilité d’agir[255].

[300]       Suivant le 2e alinéa de l’article 2880 C.c.Q., le point de départ de la prescription extinctive débute au « jour où le droit d’action a pris naissance ». En matière de responsabilité civile, il s’agit du « moment où les trois éléments constitutifs du recours en responsabilité – la faute, le préjudice et le lien de causalité entre les deux – sont réunis »[256]. À ce sujet, la Cour d’appel précise que :

[41] […] Le demandeur doit être en mesure de savoir qu’une faute a été commise à son endroit[257] et que celle-ci lui a causé un préjudice[258]. De simples doutes, craintes, soupçons ou conjectures quant aux éléments constitutifs de la responsabilité sont insuffisants pour constituer le point de départ de la prescription. Un fondement sérieux pour chacun des éléments constitutifs du recours en responsabilité est nécessaire[259].

[Références omises et soulignements du Tribunal]

[301]       Il importe donc qu’un demandeur ait connaissance des trois éléments de la responsabilité extracontractuelle qui sous-tendent son recours pour que la prescription commence à courir à son endroit[260].

[302]       En particulier, le préjudice doit être « concret, matérialisé, né et actuel (même s’il ne peut pas toujours être immédiatement quantifié) »[261]. L’article 2926 C.c.Q. prévoit d’ailleurs une règle spécifique lorsque le préjudice se manifeste graduellement ou tardivement :

2926. Lorsque le droit d’action résulte d’un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.

[Soulignements du Tribunal]

[303]       Dans l’arrêt DSD International inc. c. Construction Gosselin-Tremblay inc., la Cour d’appel explique que cette règle, qui tire son origine du Code civil du Bas-Canada, exige de situer dans le temps « le premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice »[262] :

[8] L'article 2926 C.c.Q. traite du point de départ au délai de prescription lorsque le préjudice se manifeste de façon graduelle […]:

[9] La détermination du moment où commence à courir la prescription est une question cruciale. La solution n'est pas facile lorsque la présence des trois éléments qui fondent le recours en responsabilité – faute, préjudice, lien de causalité – n'est pas simultanée.

[10] Lorsque la faute et le dommage n'apparaissent pas en même temps, l'article 2926 C.c.Q. précité indique que la prescription commence à courir à compter du moment où il se manifeste pour la première fois.

[11] Selon la doctrine et la jurisprudence, cette expression réfère au premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice. À cet égard, les auteurs Baudouin et Deslauriers écrivent:

1919 – Dommage graduel – Qu'en est-il lorsque le dommage, au lieu de se manifester d'un seul coup, se manifeste de façon graduelle ou progressive? L'article 2926 C.c. a apporté une réponse au problème en prévoyant que la prescription du recours commence à courir du jour où il se manifeste pour la première fois. Le législateur entend probablement, par cette expression, la faire débuter au jour où le réclamant constate le premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice, alors même qu'il ne s'est pas totalement réalisé et donc qu'une partie même importante de celui-ci se produira dans le futur. On ne doit pas confondre, en effet, le caractère graduel du préjudice et son aggravation. Ainsi, il est logique que le propriétaire, constatant que certains travaux pourront nuire à sa propriété, attende une manifestation apparente du préjudice pour poursuivre. Il n'en est pas de même de la victime de lésions corporelles actuelles, pour le préjudice futur.

[12] Cette interprétation n'est pas nouvelle, elle résulte du sens commun. Déjà en 1948, la Cour retenait cette thèse dans l'arrêt Gingras c. Cité de Québec:

Mais s'agit-il de dommages progressifs, c'est-à-dire d'un préjudice qui naît, se dessine et se développe par une sorte d'évolution qui tire toute sa force nuisible ans une même cause et où ne se révèle pas encore tous ses effets pernicieux, on ne peut certes imposer comme point de départ à la prescription, le jour même où la plus simple, la plus minime manifestation du dommage s'est produite. Ce serait accorder un droit d'action, mais refuser l'efficacité de son exercice.[263]

[Références omises et soulignements du Tribunal]

[304]       Dans l’arrêt Garand c. Fiducie Elena Thouprounova, où il est question d’un recours pour vices cachés mais dont les propos demeurent pertinents en matière de responsabilité civile, la Cour d’appel reprend ce principe en ces termes :

[6] At first blush the text of these articles might appear to suggest an inconsistency to the extent that Art. 2926 states that time runs from when a progressing injury or damage first appears while Art. 1739 states that time runs from the time when the buyer could first suspect the seriousness and extent of a defect that appears gradually. The jurisprudence concerned with these articles reconciles any apparent inconsistency by insisting that the right of action runs from the moment when a prospective plaintiff is in a position to appreciate the nature and extent of the damage or defect. The jurisprudence is thus sensitive to a distinction between a person’s first apprehension of damage or defects and a person’s appreciation of their nature and extent. In this sense there is a meaningful distinction between perception of a tip and knowledge that it is the tip of an iceberg.  This is consistent with the view that prescription runs from the time when all of the elements of an action exist and from the moment when a prospective plaintiff is aware of those elements. For this reason the jurisprudence affirms that prescription runs from the moment that a prospective plaintiff is aware of the nature of the damage or defect and its relative order of magnitude.[264] 

[Soulignements du Tribunal]

[305]       En somme, la première tâche du Tribunal consiste à déterminer la date à laquelle chaque demandeur était en mesure de connaître l’existence d’une faute, d’un lien causal et d’un préjudice – c’est-à-dire, si ce dernier s’avère tardif ou graduel, lorsque les dommages se manifestent de façon suffisamment tangible pour en mesurer l’ampleur réelle. Cette date indiquera le départ de la prescription triennale.

[306]       Surviennent également des circonstances factuelles qui suspendent temporairement l’écoulement de la prescription extinctive[265]. La suspension de la prescription implique que le délai cesse al ors de s’écouler et recommence du même point lorsque les faits en question cessent de se produire[266].

[307]       Le fait pour un demandeur d’avoir été « dans l’impossibilité en fait d’agir » suspend de cette manière la prescription de son recours conformément à l’article 2904 C.c.Q. :

2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres.

[308]       Depuis 1994, le Code civil du Québec ne parle plus d’une impossibilité « absolue » en fait d’agir, comme le faisait l’ancien article 2232 du Code civil du Bas-Canada[267]. La règle a en effet été assouplie au cours des dernières décennies, notamment à la suite de l’arrêt Gauthier c. Beaumont[268], dans lequel la Cour suprême a reconnu que l’impossibilité d’agir peut être établie dans certains cas en raison de l’état psychologique de la personne contre qui court la prescription[269]:

L'ordre public n'est pas menacé si les tribunaux tiennent compte de la réalité des victimes psychologiquement traumatisées, qu'intentent des recours civils plusieurs années après la survenance des événements. Au contraire, l'ordre public serait plutôt offensé si le mécanisme de la prescription empêchait, en pratique, une certaine catégorie de victimes de poursuivre leur abuseur[270].

[309]       L’autrice Julie McCann résume ainsi cette évolution :

La jurisprudence a, depuis l’arrêt Beaumont, élargi les cas d’impossibilité d’agir à d’autres situations d’impossibilité psychologique d’agir lorsqu’en raison d’un traumatisme psychologique, il est impossible pour la victime d’établir un lien entre la faute qui s’est produite à son endroit et le préjudice subséquent en ayant découlé. Il s’agit d’une défense d’impossibilité d’agir régulièrement alléguée en matière d’abus sexuel ou d’inceste.

Ainsi, celui qui allègue l’impossibilité d’agir n’est pas tenu de faire la preuve qu’il n’avait pas conscience de la faute ou du préjudice, la preuve qu’il était dans l’impossibilité, de façon irrésistible, de faire un lien entre les deux suffira pour autant que cette impossibilité soit assez importante pour qu’on puisse constater que le créancier était dans l’impossibilité d’agir[271].

[Références omises]

[310]       Cette catégorie d’impossibilité d’agir n’est cependant pas illimitée[272] et le fardeau de la prouver demeure sur les épaules de la personne qui invoque la suspension de la prescription. La Cour d’appel énonce clairement ce principe dans Catudal c. Borduas :

[68] La prescription est un concept essentiel au droit civil; elle introduit un élément de sécurité dans les relations juridiques.   En principe, la prescription court contre toutes personnes (art. 2232 C.c.B.-C.); les cas de suspension de la prescription sont les exceptions à ce principe.

[…]

[72] Ceci étant, il faut reconnaître que l'impossibilité psychologique peut, selon les circonstances, constituer l'impossibilité en fait d'agir dont traite l'article 2904 C.c.Q. En effet, il serait tout à fait injuste que l'état psychologique de la victime, la privant de son libre arbitre et de sa volonté d'agir en justice, ne suspende pas la prescription lorsque cet état est causé par la faute du défendeur. Il appartient toutefois au demandeur de démontrer, selon la balance des probabilités, qu'il était dans l'impossibilité psychologique absolue d'intenter une action en justice en temps utile.[273]

[Références omises]

[311]       La même Cour explique plus récemment, dans Luft c. Greif (Succession de Magien) que la preuve à cet égard doit être convaincante et généralement supportée par une preuve d’expert :

[33] L’impossibilité d’agir à laquelle l’article 2904 C.c.Q. fait référence est l’impossibilité en fait d’agir par soi-même ou en se faisant représenter. Quoique la jurisprudence en ait assoupli quelque peu la sévérité, il demeure que la preuve doit démontrer que la personne n’était pas en mesure de faire valoir ses droits, que ce soit parce que le responsable a fait en sorte ou a contribué à ce qu’elle les ignore ou parce qu’elle était dans l’impossibilité physique ou psychologique de les exercer.

[34] Il appartient d’ailleurs à celui qui invoque une impossibilité d’agir d’alléguer les faits sur lesquels il s’appuie et d’en faire la preuve, toute personne étant présumée être en mesure d’exercer ses droits. L’impossibilité d’agir entraînant la suspension de la prescription et une telle suspension étant une exception, cette preuve doit être convaincante.

[35] Ainsi, à moins que l’impossibilité ne ressorte clairement des faits mis en preuve, ce qui serait le cas, par exemple, si la preuve révélait que le créancier de l’obligation était dans le coma, l’impossibilité physique ou psychologique alléguée sera généralement appuyée par une preuve d’expert.[274]

[Références omises et soulignements du Tribunal]

[312]       Par ailleurs, la jurisprudence et la doctrine considèrent que les situations suivantes ne constituent pas, règle générale, des cas d’impossibilité en fait d’agit au sens de l’article 2904 C.c.Q. :

  • la simple décision d’une personne de ne pas agir en justice, sans qu’un obstacle n’empêche l’action[275];
  • l’ignorance de la loi, y compris le fait pour une personne d’ignorer l’existence de son droit d’action[276];
  • le seul diagnostic de trouble de santé mentale, sans qu’il soit démontré que l’état psychologique de la personne l’ait effectivement empêché d’agir[277].

[313]       La seconde tâche du Tribunal consiste donc à déterminer si, une fois commencé le décompte de trois ans, la situation psychologique de chaque demandeur l’a empêché en fait d’agir de façon à suspendre la prescription pendant un certain temps. Voyons ce qu’il en est.

4.2.2 La preuve d’expertise

[314]       Pour les fins de l’étude des arguments soulevés de part et d’autre en lien avec le point de départ de la prescription et l’impossibilité d’agir, il y a lieu de procéder à l’appréciation des rapports d’expertise concernant chacun des trois demandeurs concernés et ce, afin de déterminer si ces demandeurs ont bel et bien subi un TSPT les ayant empêché d’agir en temps utile.

[315]       D’entrée, il convient de mentionner que le plan d’argumentation écrit des demandeurs invoque simplement que « [l]es mécanismes d’évitement, la honte et la culpabilité du survivant sont des facteurs qui s’additionnent et qui créent une impossibilité d’agir pour tous les Demandeurs »[278] [Soulignement du Tribunal].

[316]       Avec égards, ces seuls éléments, évoqués de manière générale, ne permettent pas aux demandeurs de se décharger de leur fardeau de preuve à ce sujet. Une évaluation beaucoup plus méticuleuse de la preuve s’impose.

[317]       Quant à eux, la SQ et le SPVM examinent en détail les circonstances particulières à chacun des demandeurs afin de soutenir que la prescription a commencé à courir dès le 5 septembre 2012 à l’égard de chacun des demandeurs concernés et de plaider qu’aucun de ces trois demandeurs ne s’est trouvé dans l’impossibilité en fait d’agir.

[318]       Les rapports d’expertise et le témoignage au procès de leurs auteurs, le Dr Alain Brunet, retenu par les demandeurs et le Dr Jean-Robert Turcotte, retenu par la SQ et le SPVM, éclairent le Tribunal quant à la nature de la pathologie subie par chacun des demandeurs (s’agit-il ou non d’un TSPT ?) et quant à l’impossibilité d’agir des demandeurs en raison d’un TSPT (le TSPT a-t-il entraîné une telle impossibilité d’agir ?).

4.2.2.1 L’expertise du Dr Alain Brunet

Le profil et les qualifications du Dr Brunet

[319]       Le Dr Brunet est sans contredit une sommité mondiale en matière de TSPT. Titulaire d’un doctorat en psychologie obtenu en 1997 à l’Université de Montréal[279], il complète par la suite des études postdoctorales à la University of California (1997-2000)[280], avant de se joindre au département de psychiatrie de l’Université McGill (Douglas Institute) à titre de chercheur puis à titre de professeur agréé. De 2003 à 2007, il agit à titre de directeur de recherche auprès de l’Hôpital pour Vétérans de Sainte-Anne-de-Bellevue. Le Dr Brunet participe depuis plus de 20 ans à des travaux de recherche en matière de TSPT et compte plus de 200 publications dans le domaine, le classant ainsi mondialement parmi le 1 % des experts en matière de TSPT au cours des 10 dernières années.

[320]       Outre ces qualifications, le Dr Brunet bénéficie d’une expérience clinique auprès de patients qu’il traite en clinique privée. En 2016, à la suite de la tuerie survenue au Bataclan à Paris à l’automne 2015, il a été mandaté par le gouvernement français d’organiser et de superviser la formation de psychologues français en matière de TSPT.

[321]       À l’audience, le Tribunal reconnaît le Dr Brunet comme expert en matière de choc post traumatique et en psychométrie.

La méthodologie suivie par le Dr Brunet

[322]       Pour les fins de la confection de ses quatre rapports d’expertise émis en juin 2016[281], le Dr Brunet rencontre chacun des demandeurs en mars 2016, soit trois ans et demi après les événements du Métropolis. Ces rencontres d’une durée moyenne de quatre heures comportent deux volets distincts; dans un premier temps, chaque demandeur est soumis à divers tests et questionnaires psychométriques[282] et dans un second temps, le Dr Brunet procède à un entretien clinique d’une durée moyenne de 2 heures au terme duquel il pose un diagnostic de TSPT à l’égard de chacun.

4.2.2.2 L’expertise du Dr Jean-Robert Turcotte

Le profil et les qualifications du Dr Turcotte

[323]       Le Dr Turcotte complète ses études en médecine en 1975 à l’Université de Sherbrooke avant d’obtenir son doctorat en psychiatrie en 1991 à l’Université McGill[283]. Il obtient par la suite une maîtrise en santé publique de l’Université de Harvard.

[324]       Depuis 1991, à titre de clinicien, il traite régulièrement, à raison de 200 à 300 consultations par année, des patients victimes de divers traumas et de TSPT. Il bénéficie donc d'une expérience clinique certaine mais ne possède toutefois aucune formation particulière en matière de TSPT de sorte qu’il a été reconnu à l’audience à titre d’expert en psychiatrie.

La méthodologie suivie par le Dr Turcotte

[325]       Pour les fins de la confection de ses rapports, le Dr Turcotte rencontre chacun des demandeurs en novembre 2017 pour une durée d’entre 1 h 10 et 1 h 30. Il consulte également et commente les rapports du Dr  Brunet ainsi que le résultat des divers questionnaires et tests psychologiques auxquels ont été soumis les demandeurs.

4.2.2.3 Les conclusions tirées par les experts

[326]       Sans grande surprise, les experts conviennent du fait que tous les demandeurs ont vécu ce soir-là un événement traumatique susceptible d’entraîner un TSPT. Ils fondent tous deux leurs constats sur les enseignements du Manuel diagnostique et statistique des troubles Mentaux (le « DSM-5 »)[284], qui consigne les critères diagnostiques visant à identifier un TSPT. Le DSM-5 définit le trauma ou stresseur  comme étant « l’exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles »[285].

[327]       Les experts ne s’entendent toutefois pas quant à la qualification de la pathologie subie par chacun des demandeurs ni quant à l’état d’impossibilité d’agir ayant pu en résulter.

[328]       Le Dr Brunet conclut qu’à la suite de l’attentat, les demandeurs ont tous subi un TSPT les ayant empêché d’agir en temps utile. Dans tous les cas, ce TSPT est en voie de rémission partielle lorsque le Dr Brunet pose son diagnostic en 2016.

[329]       Le Dr Turcotte reconnaît pour sa part que Dulong-Bérubé a probablement subi un TSPT à une certaine époque postérieure à l’attentat mais conclut que Parisien et Ghiringhelli ont probablement plutôt souffert d’un trouble de l’adaptation[286], tandis que Dubé aurait souffert d’un « trouble lié à l’usage de multiples substances »[287].

4.2.2.4 L’appréciation de la force probante des expertises

[330]       Comme on le verra ci-après, le Tribunal retient l’essentiel des opinions et conclusions tirées par le Dr Brunet pour conclure que Ghiringhelli, Dulong-Bérubé et Dubé ont probablement tous subi un TSPT ayant entraîné une impossibilité en fait d’agir en justice plus tôt.

[331]       À ce sujet, il paraît important de rappeler que les experts ont été appelés à émettre des opinions et impressions diagnostiques sur la foi de questionnaires et de rencontres auxquelles ont participé les demandeurs plus de trois ans après les événements du 4 septembre 2012. Leurs conclusions ainsi tirées ex post facto reposent inévitablement sur une appréciation de la crédibilité des propos tenus par les demandeurs quant à l’impact qu’ont eu ces événements tragiques sur leur vie. Il s’agit là du volet subjectif de l’appréciation des symptômes justifiant un diagnostic de TSPT dans la mesure où les experts doivent, dans une certaine mesure, se fonder sur les symptômes du TSPT tel qu'ils sont rapportés par les demandeurs, tant dans le cadre de l’entretien clinique que dans les réponses fournies aux tests et questionnaires. Au contraire d'une blessure physique (une jambe cassée, par exemple), les symptômes d'un TSPT sont, de par leur nature, plus difficiles à identifier de manière objective (par radiographie dans l'exemple de la jambe cassée). Tout comme le Tribunal, les experts doivent donc dans une certaine mesure, évaluer la crédibilité des victimes lorsqu'ils rapportent, par exemple, des cauchemars récurrents à la suite d'un événement traumatisant ou la survenance périodique de crises de panique.

[332]       Les conclusions tirées par les experts et leur force probante paraissent donc intimement liées à celle des demandeurs lorsqu’il s’agit de déterminer si ces derniers ont ou non subi un TSPT. Ainsi, plus l’expert se fie sur les faits prouvés, plus son expertise gagne en force probante. Dans la mesure où le Tribunal retient les mêmes constats que ceux retenus par l’un ou l’autre des experts, la conclusion s’impose d’elle-même. Évidemment, comme le rappelle le Dr Brunet, la psychiatrie ne constitue pas une science exacte, de sorte que chaque expert est amené à exprimer un diagnostic en termes de probabilité sur la foi des propos tenus par les demandeurs concernés.

[333]       Cela dit, le Tribunal accorde beaucoup de poids et de crédibilité aux rapports d’expertise et au témoignage du Dr Brunet et ce, pour les raisons suivantes.

[334]       D’une part, on l’a vu, le Dr Brunet possède une expertise particulièrement pointue en matière de TSPT. Sans qu’il soit nécessaire de reprendre les faits saillants de son parcours à titre de chercheur et de clinicien, les avocats de la SQ et du SPVM ne peuvent nier que le Dr Brunet constitue une sommité mondiale en matière de TSPT, un volet de la médecine moderne en évolution constante. C’est pour cette raison que le Dr Brunet a été reconnu comme expert en matière de « choc post-traumatique », une expertise plus pointue que la psychiatrie pour laquelle le Dr Turcotte a été reconnu comme expert.

[335]       D’autre part, pour justifier son désaccord avec les conclusions tirées par le Dr Brunet, le Dr Turcotte lui reproche notamment d’avoir tiré ses impressions diagnostiques de TSPT uniquement sur la foi des divers questionnaires et tests remplis par les demandeurs.

[336]       Or, à juste titre, le Dr Brunet rappelle que les constats et conclusions auxquels il en arrive reposent non seulement sur les tests et questionnaires psychométriques en question, mais également sur les entrevues structurées qu’il a menées avec chacun des demandeurs. Le Dr Brunet confirme clairement cette méthodologie et l’importance de l’entrevue clinique dans ses rapports d’expertise: « seule une entrevue clinique permet d’établir un diagnostic »[288].

[337]       Ce reproche du Dr Turcotte – qui lui se fie sur son intuition clinique[289] ne trouve aucun fondement et ne saurait justifier que soient de ce fait écartées les impressions diagnostiques de TSPT auxquelles conclut le Dr Brunet. Cet élément affecte nécessairement la force probante de l’expertise du Dr Turcotte.

[338]       Enfin, les critiques pour le moins acerbes que formulent les avocats du SPVM à l'égard du Dr Brunet et les erreurs qu’ils lui reprochent ne convainquent pas le Tribunal d’écarter pour autant son témoignage et son expertise. Certaines de ces erreurs, que le SPVM qualifie lui-même de mineures[290], concernent, à titre d’exemple, la date de naissance de Dulong-Bérubé rapportée au rapport d’expertise[291] et n’altèrent en rien les conclusions tirées par le Dr Brunet.

[339]       Il en va de même des reproches formulés par le SPVM quant aux erreurs contenues au rapport du Dr Brunet concernant Ghiringhelli[292] qui aurait omis de constater que ce dernier a perdu une sœur jumelle décédée in utero à la naissance il y a plus de 30 ans. Le SPVM ne peut sérieusement soutenir que cette soi-disant erreur puisse entacher la crédibilité de l’expert.

[340]       On ne peut non plus reprocher au Dr Brunet, comme le fait le SPVM, de référer aux demandeurs comme étant « ses » clients, le menant ainsi à perdre son impartialité et son objectivité à titre d’expert. La relation patient-psychiatre implique nécessairement une alliance thérapeutique qui explique que le Dr Brunet réfère ainsi à « ses » clients. On ne peut en inférer pour autant qu’il en ait perdu son indépendance dans l’expression de ses constats et conclusions.

[341]       Par ailleurs, il n’y a pas lieu de discréditer l’expertise du Dr Brunet et son constat de TSPT en raison du fait que ses rapports ne détaillent pas les huit catégories de critères et de symptômes prévus au DSM-5 permettant de conclure à un diagnostic de TSPT. Le Dr Brunet explique tant à ses rapports que lors de son témoignage que ces critères sont bel et bien remplis par chacun des demandeurs.

[342]       Enfin, les défendeurs reprochent au Dr Brunet d’avoir manqué de rigueur dans la confection de ses quatre rapports d’expertise. Dans chacun de ces rapports[293], le Dr Brunet indique ce qui suit sous la rubrique « Documents et personnes consultées » :

- Wikipedia, Le Devoir : l’Attentat du Métropolis

- Le curriculum vitae [de chaque demandeur]

- Dossier médical

- Le dossier de pharmacie du client

[343]       À son rapport concernant Parisien, il ajoute avoir consulté « l’expertise rédigée par Michèle Bernier, psychologue (Traumastys inc.)[294]. Cette expertise menée en juillet 2015 conclut à « un état de stress post-traumatique, ESPT, de modéré à sévère avec dissociation ».

[344]       À son rapport concernant Ghiringhelli[295], il ajoute avoir aussi consulté « les notes d’évolution du psychologue Didier Havé pour la période du 11 janvier au 22 février 2016, soit les notes recueillies par le psychologue à cette époque consulté par Ghiringhelli en 2016.

[345]       Le SPVM reproche au Dr Brunet d’avoir commis une « gaffe majeure » en témoignant à l’effet qu’il se serait appuyé sur l’impression diagnostique de TSPT reflétée aux notes d’évolution du psychologue Havé[296] consulté par Ghiringhelli, alors que ces notes ne reflètent pas, à proprement parler, un diagnostic. Ils lui reprochent aussi d’avoir laissé entendre à son rapport concernant Dulong-Bérubé qu’il a consulté son dossier médical du CLSC alors que la preuve soumise révèle que ce dossier, s’il existe, n’a jamais été mis à disposition.

[346]       Ces critiques apparaissent sérieuses mais ne mènent pas pour autant le Tribunal à écarter les opinions et impressions diagnostiques du Dr Brunet. Il est certes malheureux qu’il ait utilisé un modèle standard de rapport d’expertise qui réfère à la consultation de dossiers médicaux sans apporter les modifications qui s’imposent lorsqu’aucun dossier médical ne lui a été soumis. Cela dit, cette référence erronée ne change rien à sa propre conclusion suivant laquelle tous les demandeurs ont bel et bien subi un TSPT.

[347]       En ce qui a trait à Ghiringhelli, bien que les notes évolutives du Dr Havé[297] ne contiennent pas un diagnostic de TSPT, elles reflètent néanmoins les propos tenus par Ghiringhelli au début de l’année 2016 qui consulte alors en lien avec « un stress post-traumatique et symptômes dépressifs dont idées suicidaires fréquentes »[298]. Ces notes auront pu éclairer le Dr Brunet quant aux symptômes de TSPT exprimés par Ghiringhelli au psychologue Havé.

[348]       En somme, le fait que le diagnostic de TSPT ne soit pas formellement corroboré par un autre professionnel que dans le cas de Parisien ne discrédite pas pour autant les opinions et impressions diagnostiques du Dr Brunet.

4.2.3. Le point de départ de la prescription

[349]       Le SPVM et la SQ soutiennent qu’à compter du 5 septembre 2012, Dulong-Bérubé, Ghiringhelli et Dubé connaissent les éléments constitutifs de la faute qui sous-tend leur recours ainsi que le préjudice qu’ils ont subi ce soir-là. Suivant cet argument, le fait que l’ampleur de ce préjudice ne se soit révélé que graduellement par la suite ne saurait justifier le report à une date ultérieure du point de départ de la prescription.

[350]       Le Tribunal ne partage pas ce point de vue.

[351]       Même en tenant pour acquis que les trois demandeurs concernés aient été en mesure dès le lendemain des événements d’identifier la faute d’omission qu’ils reprochent aujourd'hui aux corps policiers[299], il paraît plus qu’improbable qu’ils aient pu alors être en mesure d’identifier autre chose que « la pointe de l’iceberg » de leur préjudice, pour paraphraser la Cour d’appel dans l’arrêt Garand[300].

[352]       En effet, aucun des demandeurs concernés ne réalise dans les mois suivants les événements l’ampleur des conséquences terribles sur leur vie qui en découlent. Certes, comme le soutient le SPVM, ils réalisent rapidement que ce qu’ils ont vécu relève de l’horreur et leur cause de la tristesse et du désarroi mais le SPVM a tort lorsqu’il prétend que dès le 5 septembre 2012, les demandeurs concernés connaissent suffisamment la faute et la nature réelle de leur préjudice et sont de ce fait en mesure d’initier leur recours.

[353]       À ce sujet, le Tribunal note ce qui suit en ce qui a trait à la réaction de Dulong-Bérubé à la suite immédiate de l’attentat :

-          Elle souffre de trous de mémoire pendant plusieurs mois;

-          Elle revoit la fusillade en boucles et fait des cauchemars récurrents;

-          Elle reçoit un mois après les événements un diagnostic de TPST obtenu auprès d’un CLSC mais croit que ces problèmes ne sont que temporaires et qu’elle sera capable de s’en sortir par ses propres moyens.

[354]       En ce qui a trait à Ghiringhelli, le Tribunal note que :

- Il ne constate qu’il souffre d’un TSPT que lorsqu’il consulte le Dr Havé en janvier 2016[301];

- Ce n’est qu’en suivant le procès criminel de Bain tenu en 2016 et en écoutant le témoignage de l’expert en balistique qu'il réalise que sa propre vie était en danger ce soir-là[302].

[355]       Enfin, en ce qui a trait à Dubé, le Tribunal note que :

-          À la suite de l’attentat, il ne réalise pas qu’il souffre d’un TSPT et se tourne vers les drogues dures pour éviter de repenser aux événements tragiques qui lui reviennent de manière récurrente;

-          Selon le Dr Brunet, comme bien des hommes, Dubé fait de l’évitement et choisit de s’auto-médicamenter par les drogues dures.

[356]       Bien que cela ne soit pas déterminant en soi, il apparait pertinent de souligner que selon le DSM-5, on ne peut conclure à un diagnostic de TSPT que si la perturbation (i.e. les symptômes) dure plus d’un mois. D’un point de vue médical, aucun des demandeurs concernés n’aurait pu recevoir un diagnostic de TSPT avant le 5 octobre 2012, au plus tôt.

[357]       La preuve ne permet malheureusement pas d’identifier avec précision la date exacte à laquelle chacun des demandeurs a réellement eu connaissance de l’ampleur du préjudice qu’il ou elle a subi. La nature insidieuse du TSPT que le Dr Brunet, citant Roméo Dallaire, qualifie « d’ennemi invisible » rend pour le moins complexe l’identification du moment auquel ils ont été à même de constater l’ampleur du préjudice lié à leur présence lors des événements du Métropolis. Sans pour autant spéculer quant à une date précise à cet égard, il parait raisonnable de conclure que beaucoup plus que 47 jours se sont écoulés avant qu’ils ne réalisent l’ampleur du préjudice subi.

[358]       À un certain niveau, ils sont vraisemblablement conscients du fait qu’ils ont subi un grand malheur le 5 septembre 2012 mais ne sont tout simplement pas en mesure, dans les mois suivant l’attentat, d’en mesurer suffisamment l’ampleur et les répercussions.

[359]       En tout état de cause, cette conclusion concernant le point de départ de la prescription ne paraît pas essentielle afin de disposer de l’argument de prescription soulevé par les défendeurs puisque le Tribunal conclura également ci-après que chacun des demandeurs concernés fut, pendant une certaine période, dans l’impossibilité en fait d’agir en raison d'un TSPT.

4.2.4 L’impossibilité d’agir

4.2.4.1. Dulong-Bérubé démontre-t-elle avoir été dans l’impossibilité d’agir plus tôt?

[360]       Le SPVM soutient que Dulong-Bérubé ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’elle aurait été dans l’impossibilité d’agir entre septembre 2012 et octobre 2015. Selon lui, les éléments suivants devraient mener au rejet de sa demande parce que prescrite :

- Dulong-Bérubé aurait eu peur pour sa vie le 4 septembre 2012;

- Elle aurait tenu la SQ et le SPVM responsables de son malheur dès le 4 septembre 2012, ayant constaté l’absence d’un dispositif de sécurité suffisant.

- Elle aurait subi les conséquences psychologiques de l’attaque de M. Bain immédiatement après cette date, incluant un arrêt de travail d’une semaine, de l’anxiété, de l’insomnie, des cauchemars, des sursauts et du stress, à un degré intense dans tous les cas. Elle serait allée consulter dans un CLSC un mois suivant les événements.

- Elle aurait rapidement fait le lien entre ses symptômes et les événements, mais pensait au début que son état était temporaire et allait partir de par lui-même.

- Dulong-Bérubé aurait reçu un diagnostic de TSPT de la part d’un médecin du CLSC environ un mois après les événements, quoique la preuve à ce sujet soit manquante, le dossier du CLSC n’ayant pas été retracé.

- Malgré ce qui précède, Dulong-Bérubé aurait bel et bien souffert d’un ESPT selon le Dr Turcotte, avec des symptômes intenses pendant les six premiers mois qui se seraient graduellement améliorés par la suite.

- Dulong-Bérubé a souffert d’un trouble anxieux et d’un trouble de consommation d’alcool qu’elle savait liés aux événements du Métropolis et qui n’entraînaient pas chez elle de troubles cognitifs majeurs.

- Son retard à déposer son recours serait en partie expliqué par son désir d’éviter les sources d’anxiété, soit un cas d’« évitement typique de l’E.S.P.T. », qui selon les avocats du SPVM ne constituait pas pour autant un obstacle insurmontable.

- Dulong-Bérubé a entamé des démarches auprès de l’IVAC, ce qui démontrerait sa capacité d’agir.

- De façon générale, elle ignorait simplement ses droits, ce qui ne constitue pas une impossibilité d’agir.

- Dulong-Bérubé aurait aussi une tendance à la procrastination et à un manque de motivation, ce qui ne relève pas non plus de l’impossibilité d’agir.

- L’une des trois tentatives de suicide de Dulong-Bérubé en août 2015 serait liée à une rupture amoureuse et non aux événements du Métropolis. Alternativement, Dulong-Bérubé aurait menti à l’époque aux autorités médicales afin de sortir plus tôt de l’hôpital, ce qui affecterait aujourd’hui sa crédibilité.

- Dulong-Bérubé présentait encore certains symptômes de TSPT après avoir entamé le présent recours, quoiqu’insuffisants pour impacter sur sa vie personnelle et professionnelle.

[361]       On l’a vu, tant le Dr Brunet que le Dr Turcotte concluent que Dulong-Bérubé souffrait au moment de leurs rencontres respectives d’un « TSPT caractérisé ayant commencé du Métropolis et actuellement en rémission partielle »[303]. Le Dr Turcotte précise par ailleurs, à l’instar du Dr Brunet, qu’il semble probable que Dulong-Bérubé ait rencontré tous les critères servant à conclure à un diagnostic de TSPT suivant le DSM5[304].

[362]       Les opinions des experts Brunet et Turcotte convergent aussi en ce qui a trait à l’impossibilité d’agir de Dulong-Bérubé dans les mois suivant le 4 septembre 2012. Selon l’expert Brunet, comme bien d’autres victimes de TSPT, elle a « tenté de s’en sortir principalement seule »[305] et attendu avant de s’adresser à la Cour en raison du fait qu’une telle démarche avait pour effet de faire augmenter le stress et l’anxiété qu’elle cherchait alors à éviter; les experts confirment que selon le DSM-5, l’évitement constitue l’une des quatre catégories de symptômes d’un TSPT[306].

[363]       Le Dr Turcotte s'exprime ainsi à ce sujet :

En fait, elle évitait toute circonstance qui augmentait son anxiété et le fait de poursuivre aurait été une source d’anxiété importante. Elle essayait donc de mettre de côté tout ce qui augmentait son anxiété. On peut donc interpréter son inaction comme étant de l’évitement qui faisait partie de son trouble de stress post-traumatique.[307]

[364]       Le Dr Turcotte nuance toutefois son opinion en précisant que « cet évitement, qui faisait partie de son TSPT n’était pas un obstacle insurmontable »[308], bien qu’il puisse expliquer en partie son retard à agir en justice.

[365]       Avec égards, le Tribunal retient l’opinion du Dr Brunet à ce sujet et conclut que le TSPT dont elle a souffert à la suite de l’attentat constituait bel et bien un obstacle que Dulong-Bérubé ne pouvait surmonter sans replonger dans les souvenirs horribles qu’elle cherchait alors à éviter. Compte tenu de l’horreur qu’elle a vécue ce soir-là, on peut facilement comprendre que dans les mois suivant cette tragédie, sans nécessairement comprendre pourquoi, elle a cherché à tout prix à éviter de revenir sur cet épisode et ainsi augmenter son stress et son anxiété. On ne peut lui reprocher dans un tel contexte de n’avoir pu pas promptement entamer les démarches nécessaires à l'exercice de ses droits afin de franchir cet obstacle qui l’aurait forcément replongé dans l’horreur.

[366]       Le Tribunal en conclut que Dulong-Bérubé était effectivement dans l’impossibilité en fait d’agir durant au moins six mois suivant le 4 septembre 2012.

[367]       Outre les conclusions tirées par le Dr Brunet, le Tribunal accorde beaucoup de crédibilité à l’ensemble du témoignage de Dulong-Bérubé et, de façon plus particulière à ses propos lorsqu’elle explique que même après avoir reçu un diagnostic de TSPT quelques semaines après les événements, elle demeurait convaincue que ses troubles étaient temporaires et qu’elle réussirait à s’en sortir seule.

[368]       Elle témoigne aussi avec aplomb et crédibilité lorsqu’elle explique avoir été dans une « brume constante et en état de choc »[309] durant environ six mois après les événements. Il s’agit là, sans l’ombre d’un doute, d’un symptôme de TSPT suivant le DSM-5[310].

[369]       À la demande d'indemnisation qu’elle dépose finalement auprès de l’IVAC en octobre 2015[311], elle explique ainsi son retard à agir :

Je ne me sentais en mesure d’entreprendre aucune démarche. Je me sentais dans une brume. J’étais en état dépressif. Je ne me souviens pas des mois qui ont suivi l’attentat. Ils se sont effacer (sic) de ma mémoire.

[370]       De l’avis du Tribunal, ces propos illustrent clairement l’impossibilité en fait d’agir de Dulong-Bérubé, telle qu’interprétée et élargie par les tribunaux depuis l'arrêt Gauthier c. Beaumont[312]. Cette impossibilité perdure durant au moins six mois et mène au rejet de l’argument soulevé par les défendeurs quant à la prescription de son recours.

[371]       Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal en conclut que l’évitement pratiqué par Dulong-Bérubé (en soi un symptôme d’un TSPT) fait en sorte que la prescription du recours de Dulong-Bérubé à l’endroit des défendeurs a été suspendue pour une période d’au moins six mois suivant le 4 septembre 2012, faisant ainsi échec à la prescription.

4.2.4.2 Dubé démontre-t-il avoir été dans l’impossibilité d’agir plus tôt?

[372]       Les défendeurs soutiennent que Dubé n’aurait pas souffert d’un TSPT mais plutôt d’un trouble d’adaptation lié à l’usage de substances[313]. Selon le SPVM, les éléments de preuve suivants confirment que Dubé n’aurait pas démontré, par preuve prépondérante, avoir été dans l’impossibilité d’agir plus tôt :

-          Dubé a eu peur pour sa vie le 4 septembre 2012.

-          Le soir des événements, un policier aurait donné certaines instructions à Dubé concernant ses communications avec les journalistes et les autres témoins. Bien que Dubé ait décrit cet échange comme une « menace », la preuve n’établit pas que cela ait suscité une vraie crainte chez lui.

-          Dubé aurait tout de suite réalisé que la police était responsable des dommages survenus le 4 septembre 2012, constatant un manque flagrant de sécurité.

-          La vie de Dubé aurait pris une tournure différente après le 4 septembre 2012. Il aurait alors ressenti une grande tristesse et souffert d’insomnie et de cauchemars, quoiqu’il n’ait pas fait d’arrêt de travail.

-          Il n’y aurait toutefois pas de signes que Dubé a développé un problème psychiatrique majeur dans les jours suivants les événements.

-          Dubé aurait songé à faire une demande à la CSST en septembre 2012.

-          Dubé aurait recommencé à consommer des drogues deux à trois semaines après les événements, afin de faire face aux souffrances liées aux événements.

-          Dubé aurait communiqué à plusieurs reprises avec une avocate du DPCP, à partir du 13 décembre 2012 et jusqu’en 2013, afin notamment de la questionner sur la possibilité d’une poursuite. Il se tenait donc au fait du processus judiciaire.

-          Au début de 2013, Dubé aurait fait un séjour de 23 jours à l’hôpital au début de 2013, au cours duquel il aurait pu effectuer des démarches administratives seul ou avec de l’aide.

-          Entre 2013 et 2014, Dubé aurait fait un long voyage à travers la France, la République Tchèque et la Norvège, afin notamment d’y travailler comme journaliste musical et « roady » pour un groupe de musique. Il aurait alors fait preuve d’une grande débrouillardise.

-          Dubé a tenté de se sortir seul de ses problèmes psychologiques et était réticent à agir afin d’éviter les sources d’anxiété, ce qui pourrait être lié à un TSPT mais dans tous les cas ne relève pas de l’impossibilité d’agir.

-          Dubé aurait attendu jusqu’en septembre 2015 pour se prévaloir de l’IVAC, ce qui s’expliquerait par sa simple ignorance de l’existence de ce recours.

[373]       Les opinions des experts divergent en ce qui a trait à la qualification du préjudice subi par Dubé et, du même fait, quant à son impossibilité d’agir plus tôt.

[374]       Le Dr Brunet conclut que Dubé a bel et bien souffert d’un TSPT dont il n'avait même pas connaissance avant leur rencontre de mars 2016.

[375]       Au moment de cette rencontre, selon le Dr Brunet, Dubé souffre d’un TSPT en rémission partielle et d’un trouble de l’humeur dépressif en lien avec l’attentat du Métropolis; les symptômes dont souffre Dubé sont alors en partie atténués par les antidépresseurs qui lui ont été prescrits[314].

[376]       Selon le Dr Turcotte, les multiples périodes de consommation de substances survenus après les événements du Métropolis rendent pratiquement impossible de déterminer si celles-ci résultent de l’attentat et si Dubé aurait de ce fait souffert d’un TSPT. Le Dr Turcotte semble mettre en doute la véracité des propos tenus par Dubé, lors de leur rencontre, lorsqu'il explique avoir fait une rechute à la suite de l'attentat après avoir cessé de faire usage de narcotiques puissants environ trois ans auparavant. Notons que selon les critères prévus au DSM-5[315] qu’invoque le Dr Turcotte, on ne peut conclure à un diagnostic de TSPT si la perturbation de l’individu ayant subi le trauma est imputable aux effets physiologiques d’une substance.

[377]       Face à ces opinions divergentes des experts, le Tribunal retient les conclusions et opinions du Dr Brunet à l’effet que Dubé a bel et bien souffert d’un TSPT à la suite des événements du Métropolis qui a entraîné son impossibilité d’agir.

[378]       Le Tribunal en vient à cette conclusion en accordant beaucoup de crédibilité au témoignage de Dubé en ce qui a trait à son parcours à la suite du 4 septembre 2012 et, de façon plus particulière, en ce qui a trait au fait qu’il avait effectivement cessé de consommer avant le 4 septembre 2012.

[379]       Dubé explique en effet qu’au moment de l’attentat, il avait cessé de consommer des stupéfiants depuis trois ans; quelques jours après avoir vécu l’horreur de voir son ami Blanchette mourir, il recommence à consommer des stupéfiants, dont le LSD, l'héroïne et la kétamine, une drogue administrée par intraveineuse parfois utilisée comme anesthésiant pour chevaux. Sa consommation excessive à l’automne 2012 entraîne une détérioration tellement grave de sa santé qu’il doit être hospitalisé durant 23 jours en janvier 2013 puisque sa consommation menace alors sérieusement ses fonctions rénales.

[380]       En retenant le témoignage de Dubé à ce sujet, le Tribunal conclut, à l’instar du Dr Brunet, que l’attentat dont il a été témoin aux premières loges a exacerbé sa dépendance et entraîné sa rechute dans la consommation. Cette rechute constitue une conséquence directe et immédiate du TSPT dont Dubé n’est même pas alors conscient. Comme en témoigne le Dr Brunet, « le trauma vient chercher la victime dans sa vulnérabilité, dans sa faiblesse »[316].

[381]       De l’avis du Dr Brunet, Dubé a cherché à s’auto-médicamenter au moyen de stupéfiants pour des fins d’évitement et cherché à s’en sortir, sans requérir d’aide. Il résume ainsi l’évitement pratiqué par Dubé à la suite de l’attentat :

Comme la plupart des personnes souffrant de stress post-traumatique, M. Dubé a tenté de s’en sortir seul, croyant que les choses allaient s’améliorer avec le passage du temps. Il n’est pas rare que des victimes attendent un certain temps avant de déposer une plainte à la cour afin que leur statut de victime soit reconnu. De plus, ces plaintes font augmenter leur stress alors même qu’ils cherchent à aller mieux, ce qui explique en partie leur réticence à agir.[317]

[382]       De l’avis du Tribunal, le Dr Turcotte a tort lorsqu’il exclut un diagnostic de TSPT pour le principal motif que Dubé consommait des stupéfiants puisque sa rechute constitue une conséquence directe du trauma énorme qu’il subit le 4 septembre 2012. En excluant de manière systématique un diagnostic de TSPT en raison de la consommation de drogues par la victime d’une telle pathologie, on en viendrait à conclure que toute personne qui commence ou se remet à consommer à la suite d’un trauma ne souffre jamais de TSPT mais bien d’un problème de consommation. De l’avis du Tribunal, cette interprétation littérale du DSM-5 doit céder le pas à celle proposée par le Dr Brunet :

Nous sommes d’avis que la rechute de M. Dubé dans la drogue après 3 ans de sobriété s’explique par les événements traumatisants du Métropolis au cours duquel il a pensé mourir.[318]

[383]       Sur la foi de ce qui précède, le Tribunal en conclut que Dubé a bel et bien souffert d’un TSPT à la suite de l’attentat, que ce TSPT a entraîné sa rechute et qu’il a ainsi été dans l’impossibilité d’agir durant de longues périodes entre 2012 et 2014.

[384]       Bien qu’il soit difficile d’identifier précisément les périodes en question, on peut inférer de l’ensemble de la preuve qu’il fut impossible pour Dubé d'agir en justice pendant plusieurs mois au cours desquels la prescription triennale fut suspendue à son endroit.

[385]       Il y a par ailleurs lieu de souligner que le SPVM reconnaît qu’en raison de son intoxication, Dubé a pu se trouver dans un état cognitif donnant lieu à une incapacité d’agir pendant une ou des périodes indéterminées entre 2012 et 2014:

En ce qui a trait à l’incapacité d’agir, il faut dire qu’entre 2012 et 2014, Monsieur Dubé a souvent été sous l’influence de drogues dures et durant ces périodes, son état psychologique et cognitif était probablement altéré au point où cela l’empêchait d’agir.[319]

[386]       En retenant que la rechute de Dubé dans la polytoxicomanie est directement liée aux événements du Métropolis, il faut du même fait conclure que Dubé s’est trouvé pendant de longues périodes indéterminées entre 2012 et 2014 dans l’incapacité et l’impossibilité d’agir en justice.

[387]       Le fait que des périodes de consommation intenses aient été entrecoupées de périodes de consommation plus légères[320] ne peut, en soi, mener à conclure qu’il n’a pas été, durant ces périodes, dans l’impossibilité d’agir. Comme le reconnaît le Dr Turcotte « … du point de vue psychiatrique, il y a eu plusieurs périodes où son état psychologique était altéré par des substances le rendant incapable d’agir en justice »[321].

[388]       Donc, lorsqu’il se joint en octobre 2015 au recours intenté par Parisien, le droit d’action de Dubé n’est pas prescrit.

4.2.4.3 Ghiringhelli démontre-t-il avoir été dans l’impossibilité d’agir plus tôt ?

[389]       La SQ et le SPVM soutiennent que Ghiringhelli ne rencontre pas les critères essentiels afin de démontrer qu'il ait été dans l'impossibilité d'agir en justice plus tôt. Le SPVM invoque les éléments de preuve suivants :

-          Ghiringhelli aurait un historique de difficultés personnelles et familiales sérieuses, dont un traumatisme d’enfance, ayant commencé bien avant les événements du Métropolis et dont il continuerait de subir les conséquences psychologiques.

-          Ce n’est qu’en janvier 2016, lors d’une rencontre avec le psychologue Didier Havé que Ghiringhelli réalise pour la première fois qu’il souffre d’un TSPT. Il témoigne à l’effet qu’à la suite de l’attentat, il s’est refermé sur lui-même et s’est mis à intérioriser ses sentiments et pensées liés à la tragédie qu’il a vécue le 4 septembre 2012.

-          Le 4 septembre 2012, Ghiringhelli aurait vécu un « choc » et senti que sa vie était en danger..

-          Le même soir, Ghiringhelli aurait reçu d’une policière des instructions très fermes concernant ses communications avec les journalistes et avec les autres témoins. Il en aurait compris qu’il ne devait entreprendre aucune autre démarche judiciaire, et aurait omis de se renseigner davantage. La preuve semble indiquer que Ghiringhelli n’aurait pas réellement ressenti de crainte ou de menace en raison de cet échange..

-          Par ailleurs, Ghiringhelli aurait vite réalisé que la SQ et le SPVM étaient selon lui responsables des dommages survenus le 4 septembre 2012, ayant identifié un manque anormal de sécuri..

-          Ghiringhelli aurait commencé à subir des conséquences psychologiques dès le lendemain des événements (le 5 septembre 2012), incluant un arrêt de travail, de la colère et de l’incompréhension, de l’anxiété, des cauchemars, de l’insomnie et le début d’une dépression.

-          Ghiringhelli aurait rapidement identifié ses symptômes et les auraient liés à l’attentat. Il aurait entrepris des démarches en psychologie après les événements..

-          Ghiringhelli aurait par la suite fait le deuil d’un ami qui s’est suicidé le 18 décembre 2012..

-          En 2013, Ghiringhelli aurait eu d’importants conflits de colocation avec Dubé, qui l’auraient mené à consulter un travailleur social.. Le fait de vivre seul par la suite aurait contribué à une dépression..

-          Ghiringhelli aurait fait le deuil de son père qui est décédé en 2014.

-          Par ailleurs, Ghiringhelli aurait eu des ennuis financiers et était en attente de sa citoyenneté. Il ignorait les divers recours qui lui étaient disponibles. Il aurait eu de la difficulté à s’avouer tous ses problèmes..

-          En somme, Ghiringhelli aurait souffert non pas d’un TSPT, mais plutôt d’un trouble d’adaptation ou anxieux (selon le Dr. Turcotte) causé en partie par les événements du Métropolis et n’étant pas assez sévère pour avoir un impact significatif sur sa vie personnelle ou professionnelle et, du même fait, sur sa capacité d'agir.

-          Ghiringhelli aurait été suivi par un thérapeute en 2016, après le dépôt de la demande introductive d’instance de Parisien. Contrairement à ce qu’avance le Dr Brunet, ce thérapeute ne semblerait pas avoir corroboré un diagnostic de TSPT, ce qui met en doute son rapport..

[390]       Ces éléments de preuve ne convainquent pas le Tribunal du fait que Ghiringhelli aurait été en mesure d’exercer ses droits, n’ayant pas souffert d’un TSPT.

[391]       À nouveau, les opinions des experts divergent en ce qui a trait à la qualification diagnostique des troubles subis par Ghiringhelli. Le Dr Brunet conclut qu'il a souffert « d’un TSPT caractérisé ayant commencé dans les mois suivant les événements du Métropolis »[322].

[392]       Le Dr Turcotte conclut pour sa part que le diagnostic qui lui apparait le plus probable est celui d’un trouble de l’adaptation qui a évolué surtout entre 2012 et 2016[323]. Il attribue en effet une partie des problèmes psychologiques encourus par Ghiringhelli à d’autres sources de stress et d’anxiété antérieurs au 4 septembre 2012. Il fait notamment état de la relation difficile qu’entretient Ghiringhelli avec son père, de sa relation tendue et difficile avec Dubé avec qui il réside à compter de janvier 2013, des difficultés liées à son intégration au Québec et des difficultés encourues dans ses relations amoureuses[324].

[393]       Le Tribunal retient à ce sujet le diagnostic posé par le Dr Brunet pour conclure que Ghiringhelli a effectivement souffert d’un TSPT dont il n’a eu conscience qu’en janvier 2016 lorsqu'il rencontre le Dr Didier Havé. Cette conclusion s’appuie sur les considérations suivantes.

[394]       D’une part, tel que mentionné plus haut, le Dr Turcotte a tort lorsqu’il avance que le diagnostic du Dr Brunet repose uniquement sur le résultat des tests et questionnaires auxquels Ghiringhelli a été soumis. Le Rapport du Dr Brunet[325] et son témoignage précisent sa démarche suivant laquelle « l’ensemble des données de l’entrevue et des tests psychométriques suggèrent que M. Ghiringhelli a souffert d’un TSPT caractérisé dans les mois suivant les événements du Métropolis. »

[395]       D’autre part, le Tribunal retient le témoignage du Dr Brunet à l’effet que le trauma (stresseur) subi par Ghiringhelli le 4 septembre 2012 s'avère beaucoup plus important et grave que les autres sources de stress et d’anxiété relevées par le Dr Turcotte.

[396]       Selon le Dr Brunet, le trauma subi par Ghiringhelli ce soir-là est à ce point majeur qu’il ne peut avoir mené à un simple trouble de l’adaptation.

[397]       Enfin, le Tribunal retient aussi l’explication du Dr Brunet lorsqu’il mentionne que :

« … ce n’est qu’avec son dernier thérapeute [i.e. le Dr Havé] qu’il a pleinement réalisé qu’il souffrait d’un TSPT. Cet état de fait est fréquent chez les victimes du trauma. Dans ce contexte, il lui était impossible de faire valoir ses droits en tant que victime.[326]

[Soulignements du Tribunal]

[398]       Le Tribunal constate donc que Ghiringhelli n'a jamais été conscient avant cette rencontre de janvier 2016 avec le Dr Havé qu'il a subi une pathologie qui prend la forme d'un TSPT. À la suite de l’attentat, Ghiringhelli a intériorisé ses sentiments et s’est refermé sur lui-même, pratiquant une forme d’évitement propre au TSPT. Ce constat justifie à la fois le report au mois de janvier 2016 du point de départ de la prescription et son impossibilité en fait d'agir en justice auparavant.

[399]       Le recours intenté par Ghiringhelli n'est donc pas prescrit.

*   *   *

[400]       Un dernier commentaire s'impose en ce qui a trait à l'impossibilité d'agir plus tôt des demandeurs concernés. Tant Dulong-Bérubé que Ghiringhelli témoignent à l'effet qu'ils ont été traités comme des témoins et non comme des victimes par les divers policiers rencontrés à la suite de l'attentat pour recueillir leur version des faits. Ils ont reçu l'instruction formelle de ne pas discuter avec quiconque de ce qu'ils avaient vu et vécu ce soir-là et ce, afin de ne pas influencer leur éventuel témoignage au procès criminel de Bain. Selon le Dr Brunet, ces instructions ont contribué à l'impossibilité d'agir de Dulong-Bérubé et de Ghiringhelli puisqu'elles les auraient amenés à ne pas se considérer comme victimes de cet attentat.

[401]       Il apparait certes malheureux que dans le but de préserver l'authenticité d'éventuels témoignages, divers agents aient instruit les demandeurs de garder le silence. On peut facilement comprendre la frustration et la colère de Ghiringhelli qui reproche le manque d'empathie des agents de la paix à son égard et qui déplore qu'aucun véritable support n'ait été offert aux demandeurs à titre de victimes de cet attentat. Cela dit, il n'y a pas lieu d'imputer à la SQ et au SPVM une responsabilité particulière en lien avec ces directives données par leurs agents aux demandeurs, bien que celles-ci illustrent en effet un certain manque d'empathie envers ces victimes des agissements de Bain.

 

5. Les demandeurs ont-ils droit à des dommages punitifs?

[402]       Chacun des demandeurs réclame à la SQ et au SPVM, sur une base solidaire, le versement de dommages punitifs de 120 000 $. Ce volet de la réclamation s'appuie sur les articles 1 et 49 de la Charte des droits et libertés du Québec[327] qui se lisent comme suit :

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.

[…]

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[Référence omise]

[403]       L’article 1 de la Charte doit recevoir une interprétation large et libérale et la notion d’intégrité visée à son premier article « vise à la fois l’intégrité physique, psychologique, morale et sociale »[328]; suivant l’article 1621 C.c.Q., lorsque la loi en prévoit l’attribution, les dommages-intérêts punitifs jouent une fonction préventive[329] ayant pour objectif la dissuasion de comportements constituant une atteinte illicite et intentionnelle au droit protégé .

[404]       Dans l’arrêt St-Ferdinand[330], la Cour suprême résume ainsi la portée de l’article 49 de la Charte :

121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.   Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

[Soulignements du Tribunal]

[405]       Plus récemment, dans l’affaire Hogue[331], précitée, la Cour rappelle que le double critère d’atteinte illicite et intentionnelle fait en sorte que même l’extrême négligence d’une partie fautive ne saurait mener à une condamnation pour dommages punitifs :

[…]

[115] L’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne permet la condamnation à des dommages et intérêts punitifs uniquement en présence d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte.

[116] Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, la Cour suprême indique que pour qu’il y ait « atteinte illicite et intentionnelle » au sens du second alinéa de l’article 49 de la Charte, on doit démontrer que l'auteur de l’atteinte illicite a « un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore qu’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera ».

[117] Ainsi, la Cour suprême conclut que seuls les comportements dont les conséquences sont susceptibles d’être évitées, c’est-à-dire dont les conséquences étaient soit voulues soit connues par l’auteur de l’atteinte illicite, sont sanctionnés par l’octroi de tels dommages punitifs.

[118] Or en l’espèce, la preuve prépondérante ne démontre pas que les policiers avaient l’intention de causer ces conséquences pour les proches de la victime. Certes, ils ont fait preuve d’une négligence extrême, mais ne peuvent être taxés d’avoir voulu délibérément provoquer l’acquittement d’Armande Côté.

[…]

[406]       Les demandeurs assument donc le lourd fardeau de démontrer, par prépondérance de la preuve, que l’atteinte à leur intégrité est à la fois illicite et intentionnelle de la part de la SQ et du SPVM. À l’appui de ce volet de leur réclamation, ils invoquent essentiellement le fait que le SPVM n’a jamais procédé à sa propre évaluation des effectifs requis à la suite des entretiens tenus entre l’inspecteur Pichet et le capitaine Bergeron. Ils invoquent aussi que la rétroaction organisationnelle reflétée au Rapport Exécutif[332], préparé par la SQ en janvier 2013, est à ce point bâclée qu’elle aurait pour effet de perpétuer les mauvaises techniques policières mises de l’avant le 4 septembre 2012.

[407]       Le Tribunal ne peut accéder à ces arguments soulevés par les demandeurs au soutien de leur demande de dommages punitifs. Cette conclusion s’appuie sur les considérations suivantes.

[408]       D’une part, on ne peut aucunement qualifier la faute commise par la SQ et le SPVM d’intentionnelle, tel que l’exige l’article 49 de la Charte, tel qu’interprété dans l’arrêt St-Ferdinand.

[409]       Le Tribunal tient d’ailleurs à préciser qu’il n’impute aucune intention malveillante aux agents de la SQ et du SPVM affairés le 4 septembre 2012 à l’exécution du plan de sécurité jugé déficient. Il n’y a pas lieu non plus de remettre en question la bonne foi de ces agents, ni de qualifier de lourde ou d’extrême leur négligence dans l'élaboration et l'exécution du plan de sécurité ce soir-là.

[410]       D’autre part, en ce qui a trait au Rapport Exécutif[333] préparé à la demande du ministre de la Sécurité publique[334] pour faire la lumière sur les événements du 4 septembre 2012, il ne fait pas de doute que ce rapport ne constitue pas un véritable examen de conscience de la SQ en vue d’identifier les meilleures pratiques policières qui auraient pu permettre d’éviter cette tragédie.

[411]       La preuve révèle en effet que les conclusions tirées à ce rapport furent essentiellement télégraphiées au capitaine Bergeron lorsque son supérieur lui a confié le mandat de le préparer[335]. Pour la confection de ce rapport, le capitaine Bergeron s’est uniquement fondé sur les témoignages recueillis peu de temps après l'attentat auprès de certains de ses collègues et sur leurs rapports et sommaires préparés tout juste après l'attentat; il n’a par ailleurs rencontré aucun agent du SPVM ni l’un ou l’autre des demandeurs afin de recueillir leur version des faits.

[412]       Il est malheureux que la confection de ce rapport ait été ainsi bâclée. Une véritable enquête aurait pu permettre de déceler la faille du plan de sécurité à laquelle conclut le Tribunal. Cela dit, on ne peut pour autant en conclure que le manque d’efforts consacrés à la confection de ce rapport puisse avoir pour conséquence de perpétuer la mise en place de techniques policières déficientes, comme le soutiennent les demandeurs. À tout événement, on l’a vu, la preuve révèle que les plans de sécurité d’un dignitaire mis en place par la SQ ont depuis été modifiés afin que soit formée une boîte qui englobe l’ensemble du périmètre du lieu visé.

[413]       En somme, quoiqu’en disent les demandeurs, on ne peut imputer aux corps policiers en l’espèce une atteinte intentionnelle pouvant justifier l’octroi de dommages punitifs qui, à tout événement, ne serviraient aucun véritable objectif de prévention ou de dissuasion. Ce volet de la demande est donc rejeté.

 

 

 

Condamnation solidaire de la SQ et du SPVM

[414]       Les demandeurs proposent une condamnation solidaire de la SQ et du SPVM.

[415]       Il est bien établi que la solidarité ne se présume pas en matière extracontractuelle, il n'y a solidarité que lorsque la loi le prévoit[336]. L'article 1526 C.c.Q. encadre la responsabilité solidaire en matière de fautes extracontractuelles :

1526. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.

[416]       Cette disposition, qui vise tant les fautes communes que contributoires dès qu’elles causent un préjudice unique[337], s'applique en l'espèce. Le Tribunal conclut en effet que la SQ et le SPVM participent à une faute d'omission commune en n'assurant aucune présence policière ni périmètre de sécurité à l'arrière du Métropolis. Tel que mentionné plus haut, ces deux corps de police ont manqué ensemble à leur devoir de protéger le public, de sorte que leur faute peut se qualifier de commune et a causé à chaque demandeur un préjudice unique, au sens de l'article 1526 C.c.Q.

[417]       Il en résulte que le partage de la responsabilité entre les deux défendeurs se fait sur une base identique[338]. Même s’il avait plutôt conclu à l’existence de fautes contributoires de la SQ et du SPVM[339], le Tribunal aurait réparti de la même manière, puisque la preuve ne révèle pas que l’un a commis des manquements plus graves que l’autre dans la planification et dans la mise en œuvre du plan de sécurité aux résultats que l’on sait. Évidemment, le premier responsable du préjudice des demandeurs, et celui dont la conduite s’impose nettement comme la plus grave, n’a pas été poursuivi ni appelé en garantie par les parties. En l’absence de M. Bain, les défendeurs sont responsables à parts égales de réparer les dommages subis.

[418]       Le Tribunal condamne donc la SQ et le SPVM à verser, sur une base solidaire, les montants suivants:

418.1. À Guillaume Parisien, 70 000 $ à titre de dommages non-pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 4 septembre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

418.2. À Audrey Dulong-Bérubé, 70 000 $ à titre de dommages non-pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 19 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article1619 1619 C.c.Q.

418.3. À Jonathan Dubé, 70 000 $ à titre de dommages non-pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 19 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

418.4. À Gaël Ghiringhelli, 70 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 3 581,04 $, à titre de dommages pécuniaires avec intérêts au taux légal depuis le 19 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

 

Conclusion

[419]       En guise de conclusion, le Tribunal tient à formuler les propos suivants aux parties.

[420]       Aux agents de la SQ et du SPVM impliqués, le Tribunal réitère que les conclusions qui précèdent en ce qui a trait à leur faute ne remettent nullement en question leur intégrité, leur bonne foi et leur bienveillance dans l'exercice de leurs fonctions ce soir-là.  La faute d’omission à laquelle conclut le Tribunal résulte du mauvais arrimage des corps de police dans la mise en place de leur plan de sécurité et non de l’erreur ou de la négligence d’un agent en particulier.

[421]       À Audrey Dulong-Bérubé, Guillaume Parisien, Gaël Ghiringhelli et Jonathan Dubé, le Tribunal tient à réitérer son empathie et ses meilleurs souhaits afin qu'ils puissent retrouver la joie de vivre malgré cet horrible épisode qui a dévié le cours de leur vie et leur capacité d'être pleinement heureux. Comme ils l'ont tous exprimé lors de leur témoignage, les montants accordés ne sauraient compenser pleinement la douleur et la tristesse qu'ils ont ressenties et ressentent encore.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[422]       CONDAMNE la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal à verser, sur une base solidaire, les montants suivants:

422.1. À Guillaume Parisien, 70 000 $ à titre de dommages non-pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 4 septembre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

422.2. À Audrey Dulong-Bérubé, 70 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 21 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

422.3. À Jonathan Dubé, 70 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 2 800 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 21 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

422.4. À Gaël Ghiringhelli, 70 000 $ à titre de dommages non pécuniaires et 3581,04 $ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêts au taux légal depuis le 21 octobre 2015, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

[423]       AVEC les entiers frais de justice incluant les frais d'expertise au bénéfice des demandeurs.

 

 

 

__________________________________PHILIPPE BÉLANGER, J.C.S.

 

Me Virginie Dufresne-Lemire

Me Alain Arsenault

Me Justin Wee

Me Imane Melab

Me M’Mah Nora Tou

ARSENAULT DUFRESNE WEE AVOCATS

Pour Guillaume Parisien, Jonathan Dubé,

Gaël Ghiringhelli et Audrey Dulong-Bérubé

 

Me Julien Bernard

Me Anne-Sophie Brassard

BERNARD ROY – JUSTICE QUÉBEC

Pour le Procureur général du Québec

 

Me Hugo Filiatrault

Me Pierre-Yves Boisvert

GAGNIER GUAY BIRON

Pour la Ville de Montréal

 

Dates d’audience :

29, 30, 31 mars 2022, 1, 4, 5, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 19, 20 et 25 avril 2022, 9, 27 et 28 mai 2022

 

 

 

 

 


[1]  Il existe plusieurs synonymes du TPST dans le domaine médical, dont « choc post traumatique » et « syndrome de stress post-traumatique ». Le Tribunal référera ci-après à l’acronyme TSPT pour désigner cette pathologie.

[2]  Le SPVM relève de la Ville de Montréal qui assume sa défense à la présente instance. Le Tribunal référera tant au SPVM qu’à la Ville pour désigner cette partie.

[3]  Le Procureur général du Québec assume la défense de la SQ à la présente instance. Pour en faciliter la lecture, il sera fait référence à la SQ à titre de défenderesse au présent jugement.

[4]  Voir Pièce VM-1 Service d’ordre du 31 août 2012 préparé par la Division de Planification opérationnelle du SPVM, p. 3.

[5]  Voir Pièce P-8, Plan de sécurité des chefs de parti politique du 31 juillet 2012, p. 8-9.

[6]  Pièce P-9, Évaluation de la menace en date du 31 août 2012, p. 5.

[7]  Pièce P-9, Évaluation de la menace en date du 31 août 2012, p. 5.

[8]  Voir Pièce P-9, Évaluation de la menace, p. 7.

[9]  R.L.R.Q. c. P-13.1, art. 48: Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les personnes victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.

[10]  Voir art. 50 de la Loi sur la police.

[11]  Voir Pièce P-8, Plan de sécurité des chefs de parti politique, p. 8.

[12]  Pièce P-8, Plan de sécurité des chefs de parti politique, p. 12.

[13]  Quatre agents de la SQ assument la garde rapprochée de Mme Marois et deux agents assument celle de son conjoint Claude Blanchet et de de sa famille.

[14]  Voir art. 69 de la Loi sur la police.

[15]  Voir Pièce VM-1, Service d’ordre daté du 31 août 2012, p. 3.

[16]  Le vote par anticipation fut tenu les 26 et 27 août 2012.

[17]  Pièce VM-1, Service d’ordre daté du 31 août 2012, p 3.

[18]  Voir Pièce VM-1, annexe intitulée « Fiche opérationnelle ». Voir également Témoignage de l’agent Johanne Matte.

[19]  Interrogatoire au préalable de l’Agent Dominique Langelier tenu le 20 septembre 2017, p.74.

[20]  Témoignages du capitaine Louis Bergeron (SQ) et de l’Agent Dominique Langelier (SQ).

[21]  Échanges de courriels produits sous les cotes Pièces P-11 et P-11.1.

[22]  Le positionnement des divers agents ce soir-là est reflété au croquis PGQ-25 reproduit à la page 10 du présent jugement; voir également les croquis PGQ-23 et PGQ-24.

[23]  Interrogatoire au préalable de l'Agent Frédéric Desgagnés tenue le 20 septembre 2017, p. 34.

[24]  Voir Pièce VM-37 et témoignage de l’Agent Ken Leblond.

[25]  L'utilisation des noms de familles au présent jugement vise à alléger le texte et on voudra bien n'y voir aucun manque de respect.

[26]  Pièces VM-19 et P-22.

[27]  Témoignage de Guillaume Parisien.

[28]  Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, par. 21; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, par. 42; Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1 « Principes généraux », Montréal, Yvon Blais, 2020, par. 1-195.

[29]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-185, 1-186. Voir aussi Ville de Montréal c. Acier Century inc., 2022 QCCA 747, par. 17; Site touristique Chute à lours de Normandin inc. c. Nguyen (Succession de), 2015 QCCA 924, par. 37 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2016-03-17, 36566); Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre dappels durgence 911) c. Ducharme, 2012 QCCA 2122.

[30]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 39, 40; Popovic c. Montréal (Ville de), 2008 QCCA 2371, par. 63; Dubé c. Gélinas, 2013 QCCS 1681, par. 63 (appel rejeté sur requête, 2013 QCCA 1363).

[31]  RLRQ, c. P-13.1. Voir Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 37.

[32]  Voir le Règlement sur les services policiers que les corps de police municipaux et la Sûreté du Québec doivent fournir selon leur niveau de compétence, RLRQ, c. P-13.1, r. 6.

[33]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 46; Godin c. City of Montreal, 2017 QCCA 1180, par. 19; Désy c. Ville de Montréal, 2021 QCCS 1580, par. 20.

[34]  Voir LaSalle (Ville de) c. Lavigne, [1993] R.J.Q. 1419 (C.S.); 3794873 Canada ltée (Four Points by Sheraton Montreal Centre-ville) c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Four Points Sheraton Centre-ville — CSN, 2009 QCCA 554 (sur l’impossibilité de contraindre les forces policières à agir dans un sens donné par la voie d’un recours en mandamus ou en injonction).

[35]  Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, par. 51-54, 73, cité en droit civil québécois dans Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 46.

[36]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 46; Jauvin c. Québec (Procureur général), [2004] R.R.A. 37, par. 44, 59 (C.A.). Voir aussi Ville de Montréal c. Acier Century inc., préc., note 29, par. 7; Chartier c. P.G. du Québec, [1979] 2 R.C.S. 474.

[37]  Désy c. Ville de Montréal, préc., note 33, par. 17; Gounis c. Ville de Laval, 2019 QCCS 479, par. 26; Jean-Louis BAUDOUIN et Claude FABIEN, « Lindemnisation des dommages causés par la police », (1989) 23 R.J.T. 419, p. 424.

[38]  Jean Pierre c. Benhachmi, 2018 QCCA 348, par. 27; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, préc., note 35, par. 73, citant Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-195.

[39]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 44, 50.

[40]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-195, citant Ouellet c. Cloutier, [1947] R.C.S. 521. Voir aussi Site touristique Chute à lours de Normandin inc. c. Nguyen (Succession de), préc., note 29, par. 45 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2016-03-17, 36566); Wharton c. 7350121 Canada inc. (New City Gas), 2020 QCCS 982, par. 10, citant Pominville c. Costco Wholesale, 2020 QCCS 618, par. 9 (appel rejeté, 2021 QCCA 1753).

[41]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 64, citant Dubé c. Gélinas, 2013 QCCS 1681, par. 68; Godin c. City of Montreal, préc., note 33, par. 21; Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37, par. 29.

[42]  Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), 2009 QCCS 2688, par. 79. Voir aussi J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-197.

[43]  Procureur général du Canada c. Manoukian, 2020 QCCA 1486, par. 68; J.-L. BAUDOUIN et C. FABIEN, « Lindemnisation des dommages causés par la police », préc., note 37, p. 424.

[44]  Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, préc., note 35, par. 76.

[45]  Voir Hervé Matte & Fils camionneurs Ltée c. Donnacona (Ville de), [1984] R.D.J. 495 (C.A.); Bilodeau c. Ville de Saint-Hyacinthe, 2020 QCCS 3260, par. 32.

[46]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 59.

[47]  Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre d'appels d'urgence 911) c. Ducharme, préc., note 29, par. 99 (Cette appréciation ne requiert pas une preuve d’expert.). Voir aussi J.-L. BAUDOUIN et C. FABIEN, « Lindemnisation des dommages causés par la police », préc., note 37, p. 424 (En déterminant la norme du policier normalement prudent, diligent et compétent dans les circonstances, le tribunal « n’est […] pas lié par [les données empiriques] et peut projeter dans ce standard l’idée qu’il se fait de ce qui lui paraît socialement souhaitable. Le “bon père de famille” du Code civil n’est pas une donnée sociologique mais une créature normative ».).

[48]  Pièce P-8, Plan de sécurité des chefs de parti politique du 31 juillet 2012.

[49]  Pièce P-8, p. 3.

[50]  Voir notamment les témoignages de Frédéric Desgagnés, Dominique Langelier, Mathieu Brassard et Simon Durocher.

[51]  Pièce P-6. Le contenu de ce rapport est plus amplement traité ci-bas dans le cadre de l’analyse des dommages punitifs réclamés par les demandeurs.

[52]  Voir Pièce P-6, p. 3.

[53]  Pièce P-6.

[54]  Pièce P-11.

[55]  Pièce P-38.

[56]  Pièce P-10.

[57]  Témoignage de Johanne Matte en ce qui a trait au nombre approximatif de policiers impliqués.

[58]  Pièce P-10, p. 2.

[59]  Pièces P-11 et P-11.1.

[60]  Voir Pièce P-11.

[61]  Voir Pièce P-11.1.

[62]  Pièce P-11.1.

[63]  Témoignages du capitaine Louis Bergeron et des agents Daniel Rondeau et Frédéric Desgagnés.

[64]  Pièce VM-37.

[65]  Voir témoignage de l’inspecteur Marc Riopel (SPMV) à l’effet qu’il ne comprend pas une demande d’assistance spéciale comme inférant que le SPVM soit les yeux de la SQ; selon lui, il s’agit d’un rôle de soutien à la SQ, au besoin.

[66]  Voir témoignage de l’agent Mathieu Brassard (SPVM) qui décrit ainsi une demande d’attention spéciale : « On doit prioriser les appels 911… mais du moment où on a les temps libres, on se doit d’aller faire acte de présence et de se placer en visibilité le plus possible ».

[67]  Les six menaces proférées à l’endroit de Mme Marois peu de temps avant le vote sont abordées au présent jugement.

[68]  Caractérisée plus largement, la faute des corps policiers découle de la mise en place d’un plan de sécurité inadéquat. Le Tribunal réfère à une faute d’omission en raison du fait que ce plan omet de prévoir une présence policière et un périmètre de sécurité à l’extérieur du Métropolis.

[69]  Pièce P-8.

[70]  Pièce P-6.

[71]  L’analyse de ce Rapport Exécutif dont les conclusions furent télégraphiées à son auteur se retrouve plus bas dans le cadre de l'analyse de la réclamation pour dommages punitifs des demandeurs.

[72]  Témoignage de l’agent Mathieu Brassard.

[73]  Voir Pièce P-34, Interrogatoire hors-cour de l’agent Pascal Joly, tenu le 19 septembre 2017, p. 31.

[74]  Interrogatoire au préalable de l'inspecteur Marc Riopel tenue le 19 septembre 2017, p. 39.

[75]  Témoignage de Frédéric Desgagnés.

[76]  Témoignage de l’inspecteur Marc Riopel.

[77]  Interrogatoire au préalable de Frédéric Desgagnés le 20 septembre 2017, p. 67.

[78]  Voir témoignage de Dominique Langelier.

[79]  Voir Pièce P-6, p. 6.

[80]  Pièce P-6, p. 6.

[81]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, préc., note 28, par. 59 et ss.; Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374.

[82]  Voir J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1195, citant Ouellet c. Cloutier, préc., note 40. Voir aussi Site touristique Chute à l’ours de Normandin inc. c. Nguyen (Succession de), préc., note 29, par. 45 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2016-03-17, 36566); Wharton c. 7350121 Canada inc. (New City Gas), préc., note 40, par. 10, citant Pominville c. Costco Wholesale, préc., note 40, par. 9 (appel rejeté, 2021 QCCA 1753).

[83]  Pièce PGQ-39, p. 3; Pièce PGQ-47.

[84]  Pièces PGQ-48 et PGQ-51.

[85]  Pièce PGQ-54.

[86]  Pièce PGQ-55.

[87]  Pièce PGQ-54.

[88]  Voir Pièce P-39, Déclaration sous serment de l’agent Benoit Dubé.

[89]  Pièce P-39, par. 40.

[90]  Les agents Brassard et Joly positionnés au coin Saint-Laurent et Sainte-Catherine, ainsi que les agents Leblond et Marcil, stationnés au coin de la rue Saint-Dominique et du boulevard Maisonneuve.

[91]  Soit la porte 18, voir croquis, Pièce PGQ-23; voir aussi témoignages de Dulong-Bérubé et Dubé.

[92]  Voir article 48 de la Loi sur la Police.

[93]  Plan d’argumentation du SPVM, p. 16.

[94]  Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, p. 868; Poulin c. Collège des médecins du Québec, 2011 QCCS 813, par. 154 (appel rejeté, 2013 QCCA 187; demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2013-06-13, 35289); Catherine PICHÉ, La preuve civile, 6e éd., Montréal, Yvon Blais, 2020, par. 242.

[95]  Voir Hervé Matte & Fils camionneurs Ltée c. Donnacona (Ville de), préc., note 45; Bilodeau c. Ville de Saint-Hyacinthe, préc., note 45, par. 32.

[96]  Art. 1457 al. 2 C.c.Q.; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-319.

[97]  Art. 1608 et suiv. C.c.Q.

[98]  Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48, par. 28.

[99]  Voir par exemple Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.

[100]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-516.

[101]  Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, par. 102; M.G. c. Pinsonneault, 2017 QCCA 607, par. 307; Brière c. Cyr, 2007 QCCA 1156, par. 11; Daniel GARDNER, Le préjudice corporel, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2016, par. 387.

[102]  Voir notamment de De Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 27; Bolduc c. Leclerc, 2022 QCCS 3238, par. 104-105; D. GARDNER, Le préjudice corporel, id., par. 380.

[103]  M.G. c. Pinsonneault, préc., note 101, par. 306, citant Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, p. 260-261.

[104]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de lhôpital St-Ferdinand, préc., note 99, par. 73-74; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 400-404.

[105]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de lhôpital St-Ferdinand, préc., note 99, par. 75-76; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 408-409.

[106]  Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., préc., note 103, p. 262; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de lhôpital St-Ferdinand, préc., note 99, par. 77-78; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 405-407.

[107]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de lhôpital St-Ferdinand, préc., note 99, par. 79-80. Voir aussi Gauthier c. Beaumont, préc., note 101, par. 101; Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 105; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 414.

[108]  Stations de la vallée de St-Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, par. 83.

[109]  Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, par. 147; Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 106; O’Brien c. M.H., 2020 QCCA 1157, par. 35; Stations de la vallée de St-Sauveur inc. c. M.A., id., par. 83.

[110]  Voir Marie Annik GRÉGOIRE, « Réparation à la suite d’une atteinte aux droits à l’honneur, à la dignité, à l’égalité, à la réputation et à la vie privée », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Responsabilité civile et professionnelle, fasc. 12, LexisNexis, Montréal, feuilles mobiles, à jour au 15 avril 2021, par. 19.

[111]  Voir Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 68, par. 48. Voir aussi J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-536, 1-539, 1-540.

[112]  De Montigny c. Brossard (Succession), préc., note 102, par. 34, citant Augustus c. Gosset, id., par. 50.

[113]  En effet, le plafond décrit ci-dessous ne s’applique pas en ce qui concerne les conséquences non pécuniaires d’un préjudice purement moral : Hinse c. Canada (Procureur général), préc., note 109, par. 146. Il n’y a pas non plus de plafond pour le préjudice de la victime « par ricochet » : De Montigny c. Brossard (Succession), préc., note 102, par. 31.

[114]  Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., préc., note 103; Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287. Ce plafond s’applique également au Québec en matière de préjudice corporel : Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 96.

[115]  Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629.

[116]  Voir A c. B, 2022 QCCS 768, par. 271; G.L. c. E.L., 2022 QCCS 3983, par. 121; Bolduc c. Leclerc, préc., note 102, par. 103. Voir aussi D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 397.

[117]  Stations de la vallée de St-Sauveur inc. c. M.A., préc., note 108, par. 78; Brière c. Cyr, préc., note 101, par. 14; A c. B, id., par. 271; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-500.

[118]  Lussier c. Émond, 2011 QCCA 1307, par. 33-34.

[119]  Art. 1607 C.c.Q.

[120]  Suivant la théorie du « thin skull rule » : voir Bonneau c. RNC Média inc., 2017 QCCA 11, par. 80-81; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-408. Voir aussi Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146.

[121]  Art. 1479 C.c.Q.

[122]  RLRQ, C. A-3, art. 2. Le DAP y est défini comme étant: […] « les séquelles d’une lésion établies médicalement causant une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’un accidenté, y compris un préjudice esthétique […]. »

[123]  Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. a-3.001 -.

[124]  Pièces VM-13 et VM-14.

[125]  Voir Pièce P-5, p. 8.

[126]  Témoignage de Dubé.

[127]  Témoignage de Ghiringhelli; voir aussi Pièce VM-15, p. 214.

[128]  Témoignage de Parisien; Pièce PGQ-19 p. 40 et ss.

[129]  Voir Pièce P-1.

[130]  Témoignages de Martin Tougas et de William Rouzier.

[131]  De Montigny c. Brossard (Succession), préc., note 102; Jean Pierre c. Benhachmi, préc., note 38.

[132]  Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37.

[133]  Dans cette affaire, le recours de Mme Gounis est rejeté vu l’absence de lien causal. La Cour évalue toutefois la demande de Mme Gounis liée au préjudice psychologique qu’elle a subi.

[134]  Dubé c. Morneau, 2017 QCCS 4236.

[135]  Voir aussi dans des circonstances similaires : Glaude c. Aviva, compagnie d'assurances du Canada, 2020 QCCS 4530 (45 000$; appel rejeté sur requête, 2021 QCCA 504); M.S. c. Couture, 2008 QCCS 5203 (90 000$; appel rejeté, 2010 QCCA 1758).

[136]  Lussier c. Émond, préc., note 118, par. 38-40.

[137]  Roy c. Privé, 2017 QCCS 986, par. 153.

[138]  Dans un contexte de TSPT dû à une altercation grave ou moins grave : Ricard c. Maltais, 2022 QCCS 1277 (1 500$); Leduc c. Bégin, 2016 QCCS 6763 (10 000$); Ferland c. Langlois, 2015 QCCS 5928 (75 000$, incluant d’importantes séquelles physiques); Laberge-Poirier c. Dastoli, 2014 QCCS 1754 (20 000$); Toulch c. Litvack, 2014 QCCS 1143 (20 000$). Pour un TSPT résultant de harcèlement, d’intimidation et de menaces : Huard c. Derosby, 2022 QCCA 769 (40 000$).

[139]  Voir Gauthier c. Beaumont, préc., note 101, (dommages moraux de 200 000$, alors que le demandeur avait été torturé et menacé de mort par des policiers).

[140]  G.L. c. E.L., préc., note 116 (100 000 $); Bolduc c. Leclerc, préc., note 102 (75 000 $); A c. B, préc., note 116 (150 000 $); J.K. c. S.D., 2009 QCCS 2004 (100 000 $).

[141]  O’Brien c. M.H., préc., note 109, par. 75 (75 000$).

[142]  Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 105-106.

[143]  Pièce P-24.

[144]  Voir D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 329 : « […] L’absence de facture précise n’est pas en soi un motif pour refuser toute indemnité. […] Dans ces affaires, le juge fait le plus souvent référence à la raisonnabilité de la demande présentée et se contente de souligner que la réclamation n’est pas contestée. »

[145]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-663, 1-665.

[146]  Voir Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, par. 661-666; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-669 à 1-677.

[147]  Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, préc., note 146, par. 666.

[148]  Id., par. 663. Voir aussi Montréal (Ville) c. Lonardi, 2018 CSC 29, par. 76 in fine; Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570, par. 51.

[149]  Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, par. 44, 46-48, 61 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2021-02-25, 39400).

[150]  Id.; Voir aussi Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, préc., note 148, par. 60-61.

[151]  Voir St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, par. 116; Lara KHOURY, « Lien de causalité », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Responsabilité civile et professionnelle, fasc. 6, LexisNexis, Montréal, feuilles mobiles, à jour au 31 juillet 2021, par. 27-29. Voir aussi Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149, par. 56-60 (rejet du critère de la « contribution appréciable »).

[152]  Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149, par. 44, 47, 48; Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, préc., note 148, par. 54, 56 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2020-11-05, 39206).

[153]  Id., par. 43, 47-49; Salomon c. MatteThompson, 2019 CSC 14, par. 84; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, par. 140; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, préc., note 146, par. 666; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-683.

[154]  Voir Montréal (Ville) c. Lonardi, préc., note 148, par. 76; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-683, 1-687.

[155]  Aussi appelé « dommage indirect » ou « par ricochet » : voir Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, préc., note 153, par. 142; Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149, par. 45.

[156]  Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149, par. 45, 72-77; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 68.

[157]  Mainville c. Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre dappels durgence 911), 2010 QCCS 1319, par. 321 (appel rejeté, 2012 QCCA 2122). La théorie de la « causalité immédiate » est généralement rejetée en droit québécois : Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, préc., note 146, par. 664, 666; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-674, 1-675.

[158]  L’hypothèse du « novus actus interveniens » : voir Dallaire c. Paul-Émile Martel Inc., [1989] 2 R.C.S. 419, p. 425; Ski Bromont.com c. Jauvin, 2021 QCCA 1070, par. 68 (le j. Hilton); Gargantiel c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 224, par. 24-26 (appel rejeté, 2017 CSC 18).

[159]  Maurais c. Gagnon, 2021 QCCA 564, par. 33; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-685 in fine, 1-721.

[160]  1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l’auteur, entraîne également un tel partage.

[161]  Voir notamment Ville de Montréal c. Acier Century inc., préc., note 29 (service de police et agence de sécurité tenus en partie responsables de dommages liés à un vol par effraction); Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre dappels durgence 911) c. Ducharme, préc., note 29 (policiers tenus en partie responsables de dommages liés aux actes violents d’un ex-conjoint); Bourque c. Poudrier, 2013 QCCA 1663 (notaire tenu en partie responsable de dommages liés au silence dolosif d’un vendeur).

[162]  Art. 2803 et 2804 C.c.Q.; Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149, par. 67. Voir aussi Benhaim c. StGermain, 2016 CSC 48; L. KHOURY, « Lien de causalité », préc., note 151, par. 21, 22.

[163]  Voir 124329 Canada inc. c. Banque Nationale du Canada, 2011 QCCA 226, par. 83.

[164]  Id.

[165]  Art. 2849 C.c.Q.; Benhaim c. StGermain, préc., note 161, par. 56-61; St-Jean c. Mercier, préc., note 151, par. 113-116; Montréal (Ville de) c. Biondi, 2013 QCCA 404, par. 131 (le j. Rochette) (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2013-09-13, 35351); L. KHOURY, « Lien de causalité », préc., note 151, par. 25.

[166]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-706. Voir aussi Lessard c. Procureur général du Canada, 2021 QCCS 3795, par. 259-260 (déclaration d’appel, C.A., 2021-11-02, 500-09-029758-216); Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), préc., note 42, par. 110.

[167]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-676, 1-688.

[168]  Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, préc., note 146, par. 661666. Voir aussi Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre dappels durgence 911) c. Ducharme, préc., note 29, par. 156; Lessard c. Procureur général du Canada, préc., note 166, par. 258.

[169]  Mainville c. Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre dappels durgence 911), préc., note 157, par. 338-341 (Le Tribunal réfère aussi aux par. 317-333 du jugement de la Cour supérieure, qui discutent en détails du critère de la prévisibilité raisonnable.).

[170]  Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre d’appels d’urgence 911) c. Ducharme, préc., note 29, par. 162, 187.

[171]  Voir Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1 « Principes généraux », Montréal, Yvon Blais, 2020, par. 1-685 in fine, 1-677. Par analogie avec la common law, voir aussi Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, par. 78 (les j. Gascon et Brown), 173 (la j. McLachlin, dissidente).

[172]  Art. 1607 C.c.Q.

[173]  Mainville c. Laval (Ville de), préc., note 157.

[174]  Pièces PGQ-31, VM-30, VM-32, VM-34, VM-35 et PGQ-33.

[175]  Pièces VM-2, VM-33, VM-37.

[176]  Pièces VM-5, VM-6, VM-7, VM-8 et VM-9.

[177]  Pièce PGQ-40.

[178]  Pièce PGQ-31.

[179]  Pièce PGQ-31.

[180]  Voir Plan d’argumentation du PGQ.

[181]  Pièces VM-5 et VM-6.

[182]  Pièce VM-5.

[183]  Pièce P-2.

[184]  Pièce VM-6.

[185]  Pièces VM-5 et VM-6.

[186]  Pièce VM-6, p. 5.

[187]  Contre-interrogatoire de Frédéric Desgagnés, 11 avril 2022.

[188]  Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149.

[189]  Id., p. 31.

[190]  Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 770.

[191]  Id., par. 97.

[192]  Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), préc., note 42.

[193]  Lessard c. Procureur général du Canada, préc., note 166.

[194]  Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), préc., note 42, par. 94, 96.

[195]  Id., par. 100, 104.

[196]  Id., par. 14, 103, citant le par. 495(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

[197]  Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), préc., note 42, par. 106, 107.

[198]  Id., par. 110.

[199]  Id., voir les par. 88, 102 (Les patrouilleurs « aurai[ent] pu accidentellement sauver une vie ».).

[200]  Lessard c. Procureur général du Canada, préc., note 166, par. 281. (Ce jugement fait présentement l’objet d’un appel.)

[201]  Andrusiak c. Montréal (Ville de), [2004] R.J.Q. 2655, par. 8 (C.A.) (le j. Baudouin).

[202]  Art. 2930 C.c.Q.

[203]  Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 239 [inclus dans la Partie VIII « Infractions contre la personne et la réputation » (Soulignements du Tribunal).

[204]  Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98.

[205]  Art. 2925 C.c.Q.

[206]  Comme l’a confirmé la Cour suprême dans Doré c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862.

[207]  Art. 1457, 1607 C.c.Q.

[208]  Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98; Andrusiak c. Montréal (Ville de), préc., note 201; Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37, par. 219. Voir J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-324, 1-310.

[209]  Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 33.

[210]  Voir D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 14; Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 102 (« violation initiale »).

[211]  Concernant l’art. 2930 C.c.Q., voir Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 26-27; Ville de Brossard c. Belmamoun, 2020 QCCA 1718, par. 12, 31. Plus généralement, voir Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 102; Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., 2016 QCCA 76, par. 139, 150 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C. 2016-09-08, 36921); Landry c. Audet, 2011 QCCA 535, par. 89-91, 97, 107 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C. 2011-10-13, 34261); Glaude c. Aviva, compagnie d’assurances du Canada, préc., note 135, par. 39; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 20; JeanJ.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-323.

[212]  Doré c. Verdun (Ville), préc., note 206, par. 30; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, par. 62; Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 107, par. 100; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, par. 77; Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 25.

[213]  Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 26.

[214]  Schreiber c. Canada (Procureur général), préc., note 212, par. 62.

[215]  Id., par. 63-64. Voir aussi Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Yvon Blais, 2009, p. 40-41.

[216]  Andrusiak c. Montréal (Ville de), préc., note 201, par. 48-50 (C.A.) (le j. Morin). Voir aussi Lévesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, par. 39; Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37, par. 435-439.

[217]  J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-325. (Voir aussi le par. 1-1312).

[218]  D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 19.1, 21.

[219]  La plupart des décisions pertinentes en cette matière, y compris l’arrêt Andrusiak, ont plutôt été rendues dans le contexte de demandes en rejet ou en irrecevabilité : voir notamment Beauregard c. Ville de Montréal, 2020 QCCS 4470, par. 51-54; Prud’homme c. Mailloux, 2012 QCCS 4753, par. 24-26.

[220]  Voir notamment Ville de Brossard c. Belmamoun, préc., note 211, par. 12 [confirmant sur ce point 2019 QCCS 2979, par. 84-88, mais accueillant l’appel pour un autre motif]; Engler-Stringer c. Montréal (Ville de), 2013 QCCA 707, par. 50-51; Flansberry c. Parent, 2008 QCCA 1760, par. 2, 3 (confirmant 2006 QCCQ 15827, par. 5-6, 9-11, 40-43); Montréal (Ville de) c. Fils-Aimé, J.E. 2004-1989, par. 30 (C.A.) (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2005-04-21, 30674); Lane c. Barry, 2020 QCCS 4040, par. 35-36; Deschênes c. Procureur général du Canada, 2018 QCCS 5812, par. 41; White c. Green, 2016 QCCS 5118, par. 30.

[221]  De Montigny c. Brossard, préc., note 102, par. 33-35. Voir aussi Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 16.

[222]  Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, préc., note 212, par. 78 (Dans cette affaire, toutefois, le demandeur ne plaide aucune forme d’atteinte à son intégrité physique, de sorte qu’il n’y a pas de « dommage corporel » au sens de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, c. S-18. L’arrêt est confirmé sur cet aspect dans Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 53).

[223]  Andrusiak c. Montréal (Ville de), préc., note 201 (ces propos sont ceux tenus par les juges Baudouin auxquels souscrit le juge Rochon, le juge Morin ayant rédigé des motifs distincts).

[224]  Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., préc., note 211, par. 140.

[225]  Id., par. 142, citant Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, p. 841. (La Cour d’appel écarte toutefois le préjudice corporel dans Groupe Enico, où il n’est pas question non plus de prescription).

[226]  Voir Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 18, 36; Montréal (Ville) c. Tarquini, [2001] R.J.Q. 1405, par. 102 (le j. Pelletier), 189 (la j. Otis) (C.A.); Lepage c. Méthot, J.E. 2003-413, par. 37 (C.S.). Voir aussi D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 22-27.

[227]  La jurisprudence utilise les expressions « victime indirecte » ou « par ricochet », tout en mettant en garde de ne pas confondre cette notion avec le cas d’un préjudice qui n’est pas la conséquence directe et immédiate de la faute (aussi appelé « dommage par ricochet » : voir Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 29; Montréal (Ville) c. Tarquini, préc., note 226, par. 94-95 (C.A.) (le j. Pelletier).

[228]  Montréal (Ville de) c. Tarquini, préc., note 226.

[229]  Id., par. 21-49 (le j. Chamberland).

[230]  Id., par. 176 (la juge Otis, qui est dissidente mais non sur ce point).

[231]  Id., par. 180.

[232]  Id., par. 188.

[233]  Id., par. 189.

[235]  Id., par. 30, 31.

[236]  Id., par. 34-35.

[237]  Id., par. 38, 39.

[238]  Id., par. 16.

[239]  Tremblay c. Lapointe, J.E. 2004-1343 (C.S.), cité dans Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 44.

[240]  Tremblay c. Lapointe, id., par. 323-326.

[241]  Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37, par. 437-438.

[242]  Pièce PGQ-27.

[243]  Le Tribunal note incidemment que l'expression « choc nerveux » (« nervous shock ») n'est qu'une manière parmi d'autres de désigner le préjudice psychologique donnant droit à l'indemnisation dans les juridictions de common law: voir Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, par. 1 à la note 1.

[244]  Contrairement à certaines affaires soumises par les défendeurs : Gaspar c. Montréal (Ville de), 2014 QCCS 3140; Flansberry c. Parent, 2006 QCCQ 15827 (appel rejeté, 2008 QCCA 1760); Vranas c. Gatineau (Ville de), 2006 QCCS 6520.

[245]  Voir Gounis c. Ville de Laval, préc., note 37, par. 435-440. Voir aussi Émond c. St-Adolphe-d'Howard (Municipalité de), 2009 QCCS 4132, par. 264-267, 275-286, confirmé par Lussier c. Émond, préc., note 118, par. 30-40 (TSPT résultant notamment de gestes d'intimidation et de menace, traité en tant que préjudice corporel).

[246]  Voir l'ancien art. 1056 du Code civil du Bas-Canada qui limitait ce type de recours au conjoint, aux parents et aux enfants d'une partie décédée; Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson (1887), 14 R.C.S. 105, renversé par Augustus c. Gosset, préc., note 111 (sur l'indemnisation du « solatium doloris »; Montréal (Ville) c. Tarquini, préc., note 226, par. 104-144 (C.A.) (le j. Pelletier); D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 654 et suiv.

[247]  Giesbrecht c. Succession de Nadeau, 2017 QCCA 386, par. 45-46 (demande d'autorisation d'appel rejetée, C.S.C., 2017-11-09, 37545); J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-531; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 685.

[248]  Par ailleurs, le Tribunal ne voit aucune bonne raison d'imposer un délai de prescription différent au seul motif que les victimes premières (Dave Courage et la succession de Denis Blanchette) ont choisi, pour des raisons qui leur appartiennent, de ne pas se joindre à la demande en justice.

[249]  Montréal (Ville) c. Dorval, préc., note 98, par. 49.

[250]  Voir en comparaison Société de l'assurance automobile du Québec c. Ville de Montréal, 2022 QCCA 1165, par. 31-34; Dumais c. Québec (Procureur général), 2011 QCCS 4509, par. 91, 94.

[251]  Plan d’argumentation conjoint des demandeurs, par. 101-106, 117-120.

[252]  Art. 2904 C.c.Q.

[253]  Art. 2880, al. 2, 2926 C.c.Q.

[254]  Plan d’argumentation conjoint des demandeurs, par. 128.

[255]  Voir J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-1332; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 35; C. GERVAIS, La prescription, préc., note 215, p. 107-110.

[256]  Laniel Supérieur inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux, 2019 QCCA 753, par. 41.

[257]  Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Coopératives fédérées du Québec, [1998] R.J.Q. 2261 (C.A.).

[258]  S.C. c. Archevêque catholique romain de Québec, 2009 QCCA 1349, paragr. 141-144 (motifs dissidents du juge Chamberland confirmés par Christensen c. Archevêque catholique romain de Québec, 2010 CSC 44).

[259]  Id., par. 134 (le j. Chamberland, diss.); Girard c. 9220-8883 Québec inc., 2022 QCCA 694, par. 8; Lavoie c. Latouche, 2019 QCCA 2116, par. 69; Bolduc c. Lévis (Ville de), 2015 QCCA 1428, par. 53.

[260]  Pelletier c. Demers, 2021 QCCA 252, par. 33.

[261]  Id.

[262]  DSD International inc. c. Construction Gosselin-Tremblay inc., 2008 QCCA 2533, par. 11.

[263]  Id., par. 8-12, citant Gingras c. Québec (Cité de), [1948] B.R. 171, p. 182, et Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003, no 1919. (Voir au même effet la version la plus récente de ce dernier ouvrage : J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1-1312.)

[264]  Garand c. Fiducie Elena Tchouprounova, 2018 QCCA 876. Voir aussi 9104-2523 Québec inc. c. Syndicat des copropriétaires du 5701 de Normanville, 2022 QCCA 95, par. 16.

[265]  Art. 2904-2909 C.c.Q.

[266]  Voir Julie McCANN, Prescriptions extinctives et fins de non-recevoir, coll. « Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, par. 144. Voir aussi C. GERVAIS, La prescription, préc., note 215, p. 154-155.

[267]  Voir D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 36.2.

[268]  Gauthier c. Beaumont, préc., note 101. Voir aussi Olivier c. Canada (Procureur général), 2013 QCCA 70, par. 65 (demande d’autorisation d’appel rejetée, 2013-07-11, 35284).

[269]  Voir Syndicat des employées et employés de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) c. Fontaine, 2006 QCCA 1642, par. 76; C. GERVAIS, La prescription, préc., note 215, p. 161 et suiv.

[270]  Citation du Professeur Louise LANGEVIN, « Suspension de la prescription extinctive: à l'impossibilité nul n'est tenue » (1996) R. du B. 265, p. 272, citée avec approbation par la Cour suprême dans Gauthier c. Beaumont, préc., note 101, p. 197.

[271]  J. McCANN, Prescriptions extinctives et fins de non-recevoir, préc., note 266, par. 148.

[272]  Olivier c. Canada (Procureur général), préc., note 268, par. 65.

[273]  Catudal c. Borduas, 2006 QCCA 1090, par. 68, 72 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2007-03-08, 31701). Voir aussi F.B. c. Therrien (Succession de), 2014 QCCA 854, par. 68-61.

[274]  Luft c. Greif (Succession de Magien), 2021 QCCA 1387, par. 33-35 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2022-04-21, 39912). Voir aussi Olivier c. Canada (Procureur général), 2013 QCCA 70, par. 66 (demande d’autorisation d’appel rejetée, 2013-07-11, 35284).

[275]  Société d’assurances générales Northbridge c. Lumen, division de Sonepar inc., 2019 QCCA 1555, par. 19; Remer c. Remer, 2013 QCCA 1803, par. 91.

[276]  9261-2738 Québec inc. c. Succession de Nadeau, 2020 QCCA 732, par. 18; 9103-4421 Québec inc. c. Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, 2016 QCCA 15, par. 30; Remer c. Remer, préc., note 275, par. 91; Glaude c. Aviva, compagnie d’assurances du Canada, préc., note 135, par. 31; D. GARDNER, Le préjudice corporel, préc., note 101, par. 36.2.

[277]  Cairns c. Canada Life Assurance Company, 2008 QCCS 729, par. 53; Mobarakizadeh c. Koritar, 2001 CanLII 25395, par. 62 (C.S.).

[278]  Plan d’argumentation conjoint des demandeurs, par. 118.

[279]  Voir Pièce P-2.1 Curriculum Vitae du Dr Brunet en date du 17 mars 2022. Sa thèse de doctorat porte sur l’« Épidémiologie des événements traumatiques et effets des expositions multiples chez des chauffeurs de bus urbains ».

[280]  Il agit alors à titre de co-investigateur d’une étude intitulée « Post-Traumatic stress in Police Officers ».

[281]  Pièces P-2 à P-5.

[282]  Ces divers tests sont énumérés aux rapports du Dr Brunet, voir Pièces P-2, P-3, P-4 et P-5.

[283]  Voir Curriculum Vitae du Dr Turcotte, Pièce PGQ-44.

[284]  Pièce PGQ-45. Ce manuel est mis à jour périodiquement par l’American Psychiatric Association. La plus récente, soit celle consultée par les experts date de 2013.

[285]  Voir Pièce PGQ-45, par. 309, 81.

[286]  Voir Pièce PGQ-34, p. 1; Pièce PGQ-35, p. 2.

[287]  Voir Pièce PGQ-36, p. 15.

[288]  Voir Pièce P-2, p. 8.

[289]  Voir Témoignage du Dr Brunet.

[290]  Plan d’argumentation du SPVM, par. 288.

[291]  Pièce P-4.

[292]  Pièce P-3, Plan d’argumentation du SPVM, par. 317.

[293]  Pièces P-2 à P-5.

[294]  Pièce P-1.

[295]  Pièce P-3.

[296]  Pièce P-25.

[297]  Pièce P-25.

[298]  Pièce P-25, p. 1.

[299]  Une telle conclusion ne s'impose pas d'emblée à la lumière de la preuve. S'il est vrai que tous les demandeurs ont exprimé avoir été surpris par l'absence de présence policière lorsqu'ils se sont rendus à l'arrière du Métropolis, ce constat ne permet pas d'inférer qu'ils aient été en mesure de faire le lien entre cette absence (qui s'avère fautive) et les dommages qui se sont subséquemment manifestés de manière graduelle.

[300]  Garand c. Fiducie Elena Tchouprounova, préc., note 264.

[301]  Pièce P-25.

[302]  Voir Pièce VM-19.

[303]  Rapport d’expertise du Dr Brunet, Pièce P-4, p. 8; Rapport d’expertise du Dr Jean-Robert Turcotte, PGQ-37, p. 15.

[304]  Pièce P-37, p. 15.

[305]  Pièce P-3, p. 9.

[306]  Pièce PGQ-45, p. 351.

[307]  Pièce PGQ-37, p. 2.

[308]  Pièce PGQ-37, p. 2.

[309]  Témoignage de Dulong-Bérubé.

[310]  Voir Pièce PGQ-45.

[311]  Pièce PGQ-14.

[312]  Gauthier c. Beaumont, préc., note 101. Voir Olivier c. Canada (Procureur général), 2013 QCCA 70, par. 65 (demande d’autorisation d’appel rejetée, 2013-07-11, 35284); Catudal c. Borduas, préc., note 273, par. 72; J. McCANN, Prescriptions extinctives et fins de non-recevoir, préc., note 266, par. 148.

[313]  Voir PGQ-36.

[314]  Voir Pièce P-5, p. 9.

[315]  Voir PGQ-45, p. 351, par. 11.

[316]  Témoignage du Dr Alain Brunet.

[317]  Pièce P-5, p. 9.

[318]  Pièce P-5, p. 10.

[319]  Plan d'argumentation du SPVM, p. 436; Pièce P-36, Rapport du Dr Turcotte, p. 2.

[320]  Voir Pièce P-36, Rapport du Dr Turcotte, p. 2.

[321]  Pièce P-36, p. 1 et 2.

[322]  Pièce P-3, Rapport du Dr Brunet, p. 8.

[323]  Pièce P-35, Rapport du Dr Turcotte, p 14.

[324]  Pièce P-35, p. 12.

[325]  Pièce P-3, p. 8.

[326]  Pièce P-3, p. 8.

[327]  RLRQ, c. C-12.

[328]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 99.

[329]  Art. 1621 C.c.Q. : « Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. »

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[330]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 99.

[331]  Hogue c. Procureur général du Québec, préc., note 149.

[332]  Pièce P-6.

[333]  Pièce P-6.

[334]  Pièce P-7.

[335]  Voir Pièce P-36, Notes manuscrites prises par le capitaine Bergeron lors de sa rencontre avec son supérieur Denis Rioux.

[336]  Montréal (Ville de) c. Lonardi, préc., note 148.

[337]  Id.; J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, La responsabilité civile, préc., note 28, par. 1720 à 1-722.

[338]  Id., par. 1-720.

[339]  Voir l’art. 1478 C.c.Q.

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