Agence du revenu du Québec c. Groupe immobilier Eddy Savoie inc.

2017 QCCA 1968

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-09-025457-151, 500-09-025464-157

 

(500-80-021640-124, 500-80-021669-123)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 8 décembre 2017 

 

CORAM :  LES HONORABLES

     JULIE DUTIL, J.C.A.

     MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

     ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

N:  500-09-025457-151 (500-80-021640-124)

APPELANTE

AVOCAT

 

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

 

 

Me MARC RICHARD LESAGE

(Revenu Québec)

 

INTIMÉ

AVOCATS

 

GROUPE IMMOBILIER EDDY SAVOIE INC.

 

 

Me WILFRID LEFEBVRE

Me VINCENT-FRANCIS DIONNE

(Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L.,s.r.l.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N:  500-09-025464-157 (500-80-021669-123)

APPELANTE

AVOCAT

 

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

 

 

Me MARC RICHARD LESAGE

(Revenu Québec)

 

INTIMÉE

AVOCATS

 

         6674381 CANADA INC.     

 

 

Me WILFRID LEFEBVRE

Me VINCENT-FRANCIS DIONNE

(Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L.,s.r.l.)

 

 

500-09-025457-151, 500-09-025464-157

 

En appel de deux jugements rendus le 19 juin 2015 par l'honorable Martine L. Tremblay de la Cour du Québec, district de Montréal.

 

 

NATURE DE L'APPEL :

500-09-025457-151, 500-09-025464-157 : Fiscalité- Taxe sur le capital- Calcul du capital versé-  Art. 1138 de la Loi sur les impôts
     
     

 

Greffière d’audience :  Alya Elisio

Salle :  Pierre-Basile-Mignault

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 30

Audition continuée du 5 décembre 2017. Les parties sont dispensées de se présenter.

PAR LA COUR : Arrêt prononcé par l’honorable Julie Dutil, J.C.A.-voir p. 4

Fin de l’audience

 

Alya Elisio

Greffière d’audience

 


PAR LA COUR

                             

 

ARRÊT

 

 

[1]          L’appelante se pourvoit contre deux jugements[1] rendus le 19 juin 2015 par la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Martine L. Tremblay), lesquels accueillent les appels formés par les intimées en vertu de l’article 93.1.10 de la Loi sur l’administration fiscale[2] contre des avis de cotisation transmis par l’appelante le 4 juin 2010 concernant les années d’imposition 2007 et 2008.

[2]          Le pourvoi porte sur l’interprétation qu’il faut donner à l’article 1138 de la Loi sur les impôts (L.I.)[3]. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

 

1138. 3. Le montant de l’actif d’une société est celui montré à ses états financiers, […] auquel doit être ajouté :

 

[…]

 

 

b)  le montant de l’actif d’une société de personnes […] dans la proportion représentée par le rapport entre la part de cette société du revenu ou de la perte de la société de personnes […] et le revenu ou la perte de la société de personnes […] moins le montant de l’intérêt de la société dans la société de personnes ou l’entreprise conjointe montré à l’actif de ses états financiers.

 

3.1.  Pour l’application du paragraphe 3, une société peut déduire dans le calcul du montant de son actif un montant montré à ses états financiers résultant d’une opération intervenue entre une société de personnes ou une entreprise conjointe et ses membres, sauf dans la mesure où l’opération a augmenté le montant de l’intérêt de la société dans la société de personnes ou l’entreprise conjointe, montré à l’actif de ses états financiers.

 

1138. (3) The amount of the assets of a corporation is that shown in the corporation’s financial statements, [...] to which is added

 

[...]

 

(b)  the amount of the assets of a partnership […] in the proportion that the share of that corporation of the income or loss of the partnership […] is of the income or loss of the partnership […] reduced by the amount of the interest of the corporation in the partnership or joint venture shown as an asset in its financial statements.

 

 

(3.1)  For the purposes of subsection 3, a corporation may deduct, in computing the amount of its assets, an amount shown in its financial statements resulting from a transaction between a partnership or a joint venture and its members, except to the extent that the transaction increased the amount of the corporation’s interest in the partnership or joint venture, shown as an asset in its financial statements.

 

4. Pour l’application du sous-paragraphe b du paragraphe 3, une société ne doit pas inclure dans le calcul du montant de son actif un montant montré aux états financiers de la société de personnes ou de l’entreprise conjointe résultant d’une opération intervenue entre la société de personnes ou l’entreprise conjointe et ses membres.

(4) For the purposes of paragraph b of subsection 3, a corporation shall not include in computing the amount of its assets any amount shown in the financial statements of the partnership or joint venture resulting from an operation between the partnership or joint venture and its members.

 

[3]          Le litige ne concerne pas une question d’évitement fiscal. Il soulève uniquement une pure question d’interprétation statutaire, laquelle peut être formulée ainsi :

[4]          La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l’article 1138 paragraphe 4 de la Loi sur les impôts permet à une société de ne pas inclure dans le calcul du montant de son actif un montant montré aux états financiers d’une société de personnes résultant d’une opération intervenue entre cette société et cette société de personnes, et ce, même si cette opération a par ailleurs augmenté l’intérêt de la société dans cette société de personnes et dont le montant est déjà déduit de son actif en application du sous-paragraphe 3 b) in fine?

[5]          La Cour est d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur révisable en accueillant les appels des intimées et en annulant les avis de cotisation. Elle a interprété la L.I. correctement, en s’appuyant sur une comparaison entre les libellés des paragraphes 3.1. et 4 de l’article 1138 L.I.

[6]          La juge de première instance note la différence dans la rédaction des paragraphes 3.1 et 4 de l’article 1138 L.I. À son avis, il est déterminant que le législateur, lorsqu’il a ajouté le paragraphe 3.1 à l’article 1138 L.I., n’ait pas ajouté au paragraphe 4 l’exception que l’on retrouve au paragraphe 3.1 in fine : « sauf dans la mesure où l’opération a augmenté le montant de l’intérêt de la société dans la société de personnes ». Elle estime que l’appelante propose d’interpréter le paragraphe 4 comme si cette mention y était inscrite[4].

[7]          La juge examine ensuite l’argument de l’appelante selon lequel l’article 1138 L.I. « comporte un principe sous-jacent de consolidation »[5]. Elle souligne que l’article 1136 paragraphe 3, alinéa 3 L.I., qui fait partie des dispositions relatives au calcul du capital versé, comprend également une référence à un « montant résultant d’une opération intervenue entre la société de personnes et ses membres »[6]. Or, contrairement à la position soutenue par l’appelante devant la juge de première instance, dans son bulletin d’interprétation IMP.1136-14/R3, l’appelante indique plutôt que cette expression désigne autant les opérations courantes que les opérations en capital[7].

[8]          La juge souligne en outre que dans une lettre d’interprétation datant du 4 avril 1997, l’appelante aurait reconnu que le même montant montré au passif des états financiers d’une société peut donner lieu à une double inclusion dans le calcul du capital versé pour des corporations membres de cette société et, en conséquence, donner également lieu à une réduction supérieure pour la corporation prêteuse[8].

[9]          La juge est d’avis qu’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de l’article 1138 paragr. 4 L.I. « permet de conclure que cet article ne distingue pas les « opérations intervenues entre la société de personnes et ses membres » selon qu’elles sont de nature courante ou en capital. »[9].

[10]       Essentiellement, l’appelante ne conteste pas que l’interprétation textuelle des paragraphes 3 et 4 de l’article 1138 L.I. ne lui soit pas favorable. Malgré ce constat, et en l’absence d’argument sur l’évitement fiscal, elle reproche à la juge de ne pas avoir fait une lecture consolidée de ces paragraphes qui leur donnerait un sens plus conforme à leur objectif. Elle soutient que l’objectif de ces dispositions est d’éviter qu’une société puisse déduire deux fois un même élément d’actif résultant d’opérations intervenues entre elle et une société de personnes dont elle est membre. Les éléments d’actifs qui peuvent être retranchés en vertu du paragraphe 3 b) in fine de l’article 1138 L.I. ne pourraient donc être soustraits (retranchés) une deuxième fois en vertu du paragraphe 4 du même article.

[11]       Bref, l’appelante souhaite que la Cour interprète le paragraphe 4 de l’article 1138 L.I. comme incluant implicitement l’exception que le législateur a expressément prévue au paragraphe 3.1 ou une exception similaire qui éviterait de considérer les mêmes actifs sous les paragraphes 3 in fine et 4 de l’article 1138 L.I. Or, le paragraphe 4 ne comporte pas une telle exception et les principes modernes d’interprétation ne permettent pas à la Cour d’ajouter au texte adopté par le législateur.

 

 

 

 

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[12]       REJETTE les appels, avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 



[1]    Groupe immobilier Eddy Savoie inc. c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCQ 6803; 6674381 Canada inc. c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCQ 6804 [jugements entrepris].

[2]    Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002, art. 93.1.10.

[3]    Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3, art. 1138.

[4]    Jugements entrepris, paragr. 39.

[5]    Jugements entrepris, paragr. 41.

[6]    Jugements entrepris, paragr. 45.

[7]    Jugements entrepris, paragr. 47.

[8]    Jugements entrepris, paragr. 48.

[9]    Jugements entrepris, paragr. 52.

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