[1] Le procureur général du Québec (le « PGQ ») se pourvoit contre un jugement rendu le 18 juillet 2018 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Pierre Nollet)[1], lequel déclare constitutionnellement invalide l’article 260.35 de la Loi sur la protection du consommateur [2] (« LPC »).
[2] Cette disposition fait partie de cinq articles d’un nouveau titre portant sur le « Jeu d’argent en ligne », ajouté à la LPC par le législateur québécois lors de l’adoption, le 17 mai 2016, de la Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015[3].
[3] Cet article, dont la lecture éclairée requiert celle de l’article 260.34, prévoit ce qui suit :
12. La Loi sur la protection du consommateur (chapitre P-40.1) est modifiée par l’insertion, après l’article 260.32, de ce qui suit :
TITRE III.4
JEU D’ARGENT EN LIGNE
[…]
260.34. La Société des loteries du Québec assure la surveillance de l’accessibilité des jeux d’argent en ligne. Elle établit la liste des sites de jeu d’argent en ligne non autorisés par une loi du Québec et fournit cette liste à la Régie des alcools, des courses et des jeux afin qu’elle la notifie aux fournisseurs de services Internet.
260.35. Le fournisseur de services Internet qui reçoit la liste des sites non autorisés de jeu d’argent en ligne conformément à l’article 260.34 doit, dans les 30 jours suivant sa réception, bloquer l’accès à ces sites.
[…]
[Soulignements ajoutés]
[4] Le juge a conclu que le caractère véritable de l’article 260.35 est d’obliger les fournisseurs de services Internet (« FSI ») à bloquer l’accès des usagers du Web aux sites de jeux de hasard considérés illégaux par la Société des loteries du Québec (« Loto-Québec ») et qu’il relève donc, suivant la Loi constitutionnelle de 1867[4] (la « Loi de 1867 ») des compétences législatives exclusives du Parlement en matière de télécommunications et de droit criminel.
[5] Selon le juge, le rattachement de l’article 260.35 à la compétence provinciale en matière de protection du consommateur, tel que déclaré par le ministre des Finances lors des travaux parlementaires ayant précédé son adoption, « est superficiel, pour ne pas dire opportuniste »[5]. Quant aux compétences en matière d’administration de la justice, de propriété et droits civils, de santé, ainsi que sur toute matière de nature locale ou privée dans la province, le juge est d’avis qu’aucune ne permet de valider la disposition sur le plan constitutionnel.
[6] La Cour conclut que le juge n’a pas commis d’erreur révisable en concluant que le caractère véritable de l’article 260.35 adopté par la législature provinciale constitue essentiellement l’exercice de la compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications et qu’il est donc constitutionnellement invalide. La Cour est toutefois d’avis que cette conclusion permettait de sceller le débat et qu’il n’était pas nécessaire pour le juge d’examiner si l’article 260.35 relevait de la compétence fédérale en droit criminel, ni si les doctrines constitutionnelles du double aspect et de la prépondérance fédérale, ou encore des pouvoirs accessoires, pouvaient trouver application afin de sauvegarder la disposition provinciale.
[7] Cela étant dit, un résumé du contexte et d’une partie du tissu législatif à la base du litige sera d’abord utile à la compréhension du sort de l’appel. Des éléments de fait spécifiques additionnels seront aussi relevés plus après dans le cadre de l’analyse proprement dite des questions que soulève le litige.
1.1 Les FSI, leurs activités et l’encadrement législatif des jeux de hasard et d’argent
[8] L’Association intimée regroupe plus d’une vingtaine d’entreprises canadiennes de télécommunications, de radiocommunications et de radiodiffusion, dont des FSI tels Bell Mobilité, Telus et Rogers, pour ne nommer que ceux-là.
[9] Les FSI possèdent et opèrent des installations et équipements sophistiqués, dont des antennes, ou utilisent ceux d’autres FSI canadiens ou étrangers, permettant la réception et la transmission, filaire ou non filaire, de données ou d’informations, que l’on appelle aussi « signaux » en termes de télécommunications[6]. De façon simplifiée et plus pertinente en l’espèce, ces installations et équipements permettent à leurs abonnés, usagers du Web, d’avoir accès aux sites de jeux de hasard et d’argent offerts en ligne par des exploitants privés à partir du Québec, du Canada, voire d’ailleurs dans le monde[7].
[10] La transmission de signaux et leur réception par les utilisateurs du Web au Québec sont dans certains cas rendues possibles par les antennes, ou sites d’antennes, que possède ou utilise un FSI et qui sont situées en dehors de la province, par exemple en Ontario. Ces antennes, ou sites d’antennes, permettent aussi la transmission et la réception de signaux, voire des mêmes signaux, au bénéfice des usagers ontariens du Web. Il peut être utile de reprendre ici de courts extraits de la description de ce type de réseau, telle qu’en atteste M. Frédéric Dallaire, Vice-Président, Approvisionnement - Technologie, du FSI Rogers[8] :
14. Comme pour les réseaux ferroviaires, les oléoducs et les gazoducs, chaque segment du réseau de télécommunication sans-fil a une utilité limitée s’il n’est pas relié à un réseau aménagé de façon ordonnée; c’est la seule façon d’assurer une couverture maximale et des services de télécommunications de qualité aux abonnés de Rogers.
15. Pour parvenir à assurer de tels services de télécommunication sans-fil, lesquels doivent être continus et réguliers, Rogers a notamment construit un réseau constitué de plus de 6700 sites d’antennes à travers le Canada, que ce soient des tours de télécommunication sans-fil ou de [sic] structures d’antennes sur des immeubles existants.
[…]
18. Chaque structure d’antennes transmet et reçoit des ondes à l’intérieur d’un certain rayon situé autour du site. Afin d’assurer une couverture complète, chaque rayon doit rejoindre un autre rayon (et ainsi de suite), créant l’équivalent des alvéoles d’une ruche d’abeilles (chacune d’elle appelée « cellule »), […].
[…]
27. De fait, le réseau de télécommunication ne sait jamais de façon précise la localisation de chacun des usagers; au moment où une télécommunication est amorcée sur le réseau, des signaux sont envoyés à travers les commutateurs pour assurer le meilleur chemin pour compléter la communication. Ce chemin ne tient pas compte des limites géographiques, telle que le territoire québécois par exemple. Un commutateur à l’extérieur du Québec et une cellule située en Ontario proche de la frontière du Québec pourraient par exemple prendre entièrement en charge une communication d’un abonné physiquement situé dans la province de Québec.
[…]
49. […], tel qu’indiqué précédemment, Rogers ne configure pas son réseau en fonction des limites territoriales des provinces et ne gère pas les communications et la transmission des données venant de ses abonnés du Québec de façon cloisonnée.[9]
[11] Les paragraphes 7a), b), c) et e) et l’article 36 de la Loi sur les télécommunications[10] (« LT ») fédérale édictent par ailleurs ce qui suit :
[Soulignements et caractères gras ajoutés]
[12] Par ailleurs, le jeu, incluant les jeux de hasard, les loteries et tirages (ci-après « JHA », soit les jeux de hasard et d’argent), que le Parlement a définis de façon élargie[11], sont interdits par l’article 206 du Code criminel (« C.cr. »), sous réserve de certaines exemptions et exceptions spécifiques qui ne sont pas pertinentes aux fins du présent pourvoi, sauf celles prévues à l’article 207 C.cr.
[13] Ainsi, l’article 207 C.cr. reconnaît à titre d’exceptions à l’interdiction de mettre sur pied et d’exploiter une loterie celles mises sur pied par une province, ou par une tierce partie autorisée à cette fin au moyen d’une licence consentie par la province. Il en va de même des ententes conclues entre deux provinces ou plus pour la mise sur pied et l’exploitation, par elles, l’une d’entre elles ou par une tierce partie autorisée à cette fin au moyen d’une licence, d’une loterie sur leurs territoires respectifs. Au Québec, le législateur a délégué la mise sur pied et l’exploitation de loteries à Loto-Québec, une société d’État[12].
[14] L’alinéa 207(4)c) exclut toutefois de la définition de « loterie », dont la mise sur pied et l’exploitation peut être confiées par une province à une personne au moyen d’une licence, le « jeu de dés ou les jeux, moyens, systèmes, dispositifs ou opérations » interdits par l’article 206 « qui sont exploités par un ordinateur, un dispositif électronique de visualisation ou un appareil à sous ou à l’aide de ceux-ci ».
[15] Les JHA offerts sur Internet par le biais de sites opérés par des exploitants privés sont donc interdits au Canada et, contrairement au cas des loteries qu’elles sont autorisées à mettre sur pied et à exploiter elles-mêmes, le Code criminel ne prévoit pas d’exception permettant aux provinces d’autoriser par licence les exploitants de tels sites à les offrir aux usagers du Web résidant sur leurs territoires respectifs.
1.2 Loto-Québec, les JHA, le rapport Nadeau et l’adoption par le législateur québécois de modifications à la Loi sur la protection du consommateur
[16] Le 3 février 2010, alors que les revenus de sa société d’État et les redevances que cette dernière lui verse sont en diminution depuis 2008, le gouvernement québécois autorise Loto-Québec à développer l’offre de JHA en ligne et à canaliser l'activité de jeu déjà existante sur le Web vers un site sécurisé qu’elle exploitera.
[17] Le 9 juillet 2010, le gouvernement crée un comité de suivi sur le jeu en ligne, dont le mandat est (i) d’analyser les impacts sociaux du développement de ce type de jeu au Québec, (ii) de proposer des stratégies de prévention du jeu pathologique et (iii) d’analyser les mesures d'ordre réglementaire, technique, économique et juridique permettant de contrer le jeu illégal. Ce comité, présidé par la professeure Louise Nadeau, doit produire son rapport au plus tard trois ans après la mise en exploitation du site de jeu en ligne de Loto-Québec.
[18] En décembre 2010, Loto-Québec lance son site de jeu en ligne : Espacejeux.com.
[19] Dans les années qui suivent, ses revenus continuent néanmoins sur leur pente descendante.
[20] Le 20 novembre 2012, le ministère des Finances et de l’Économie publie un communiqué de presse annonçant le dépôt d’un budget équilibré pour 2013-2014, dont l’atteinte nécessitera toutefois des redressements en raison de l’état des finances publiques. Le quatrième paragraphe de ce communiqué mentionne ce qui suit :
Il [le ministre] a souligné que tout l’appareil gouvernemental est mis à contribution pour atteindre l’équilibre budgétaire, incluant les organismes et les fonds spéciaux : « Nous demanderons également des efforts importants aux sociétés d’État ». La Société des alcools du Québec, Loto-Québec et Hydro-Québec seront mises à contribution.
[Soulignements ajoutés]
[21] En 2013, afin d’attirer davantage la clientèle de joueurs et de tenter d’accroître sa part de marché, le gouvernement autorise Loto-Québec à vendre de l’alcool dans les salons de jeux et casinos qu’elle administre.
[22] Dans son plan stratégique 2014-2017, Loto-Québec, qui verse le fruit intégral de ses activités au gouvernement québécois, dresse un bilan décroissant de son marché et de ses revenus entre 2008-2009 et 2013-2014, et ce, malgré les changements technologiques apportés à son offre de jeu et l’obtention du droit de vendre de l’alcool. Elle souligne alors son besoin de renouveler sa clientèle dans le contexte d’un marché du divertissement de plus en plus jeune, diversifié et compétitif, et de concurrence de plus en plus vive, tout particulièrement celle provenant des sites privés, et donc illégaux, de JHA en ligne. Prenant appui sur une étude effectuée en 2012 et évaluant les revenus totaux du jeu en ligne au Québec à 250 000 000 $, Loto-Québec souligne que la canalisation sur son site de l’offre de JHA demeure un objectif fondamental[13].
[23] Le rapport Nadeau est rendu public le 6 novembre 2014[14].
[24] À cette époque, plus de 2 000 sites de JHA en ligne exploités par des opérateurs privés en violation de l’interdiction contenue dans le Code criminel sont accessibles aux Québécois[15]. Plus de 70 de ces sites illégaux sont incidemment hébergés et exploités au Québec « en toute impunité » par des exploitants privés opérant sur ou à partir du territoire mohawk de Kahnawake, sur la Rive-Sud de Montréal[16].
[25] Les auteurs du rapport constatent ainsi que l’arrivée de Loto-Québec sur Internet n’a pas permis de canaliser l’offre de jeu illégal dans un circuit contrôlé et que les sites considérés illégaux sont toujours visibles et populaires auprès des Québécois. Le chapitre 2 du rapport concernant l’« Hypothèse sociosanitaire » mentionne notamment (i) des pratiques de jeu en ligne plus élevées chez les mineurs au fil des ans et l’impossibilité d’exclure « que les générations montantes adoptent à l’avenir des pratiques de jeu en ligne plus à risque »[17] et (ii) la remise annuelle de 22 000 000 $ par Loto-Québec au ministère de la Santé et des Services sociaux en soutien à la mise en œuvre des mesures du Plan d’action gouvernemental sur le jeu pathologique[18].
[26] Le rapport souligne par ailleurs que le Code criminel et les lois fédérales ne permettent pas d’implanter la solution jugée la plus appropriée par le comité, soit la mise sur pied d’un système de licences de jeu en ligne afin d’ouvrir ce marché aux opérateurs privés de façon encadrée. Dans ce contexte, le rapport formule la suggestion suivante :
Ainsi, la première étape à franchir pour implanter un système de licences est d’apporter des modifications au Code criminel. Malgré la complexité de cette tâche, le Groupe soutient fermement que la solution du système de licences est la plus prometteuse pour contrôler le marché du jeu en ligne. C’est pourquoi le Groupe suggère que le Québec prenne le leadership en matière de jeu auprès des autres provinces et du gouvernement fédéral afin qu’une réforme du Code criminel soit entreprise pour permettre aux provinces la possibilité de se doter d’un système de licences.[19]
[27] Parmi les mesures subsidiaires pouvant être mises en place, le rapport identifie, sur le modèle italien, la possibilité pour le gouvernement de promulguer « des lois permettant aux autorités d’ordonner systématiquement aux fournisseurs de services Internet de bloquer les sites qui offrent des produits et des services considérés comme illégaux »[20]. De même, vu qu’au cours des trois années précédentes « aucune action policière ciblant le jeu en ligne ne semble avoir été déployée »[21], il est proposé de mandater et fournir les ressources nécessaires à la Sûreté du Québec afin qu’elle puisse enquêter et intervenir eu égard aux activités criminelles de jeu en ligne offert aux Québécois « peu importe la provenance de ces activités »[22].
[28] Le 6 novembre 2014, par communiqué de presse, le ministre des Finances confirme accueillir positivement le rapport Nadeau.
[29] Moins de cinq mois plus tard, dans son Plan économique du 26 mars 2015 concernant le budget 2015-2016, et « [d]ans un objectif de santé publique et afin de canaliser davantage les sommes échappant à l'État », le gouvernement annonce la mesure suivante :
Une modification législative sera proposée afin d'instaurer une mesure de filtration des sites illégaux. Celle-ci prévoira qu'aucun fournisseur de services Internet ne pourra permettre l'accès à un site de jeux de hasard et d'argent en ligne dont le nom se retrouve sur une liste de sites à proscrire établie par Loto-Québec. L'application de cette mesure sera assurée par la Régie des alcools, des courses et des jeux, laquelle devra disposer des ressources nécessaires pour exercer ces nouvelles responsabilités.[23]
[30] Le gouvernement justifie cette mesure aux motifs que les sites illégaux représentent un risque pour la population, notamment pour les jeunes, d’une part, et que, d’autre part, l’État pourra ainsi récupérer des revenus annuels qui lui échappent pour financer des services publics au bénéfice de tous les Québécois, soit 13 500 000 $ en 2016-2017 et 27 000 000 $ pour les années financières suivantes[24].
[31] Le 12 novembre 2015, le Projet de loi 74, Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015 (« Loi sur le budget ») est déposé. Son article 13 incorpore des modifications à la LPC sous un tout nouveau titre, dont l’article 260.35 en litige :
13. La Loi sur la protection du consommateur (chapitre P-40.1) est modifiée par l’insertion, après l’article 260.32, de ce qui suit :
TITRE III.4
JEU D’ARGENT EN LIGNE
260.33. Aux fins du présent titre, on entend par « site de jeu d’argent en ligne » un site Internet par lequel une personne peut faire des mises et des paris par l’entremise d’un mécanisme interactif.
260.34. La Société des loteries du Québec assure la surveillance de l’accessibilité des jeux d’argent en ligne. Elle établit la liste des sites de jeu d’argent en ligne non autorisés par une loi du Québec et fournit cette liste à la Régie des alcools, des courses et des jeux afin qu’elle la notifie aux fournisseurs de services Internet.
260.35. Le fournisseur de services Internet qui reçoit la liste des sites non autorisés de jeu d’argent en ligne conformément à l’article 260.34 doit, dans les 30 jours suivant sa réception, bloquer l’accès à ces sites.
260.36. Lorsque la Société constate qu’un fournisseur de services Internet ne se conforme pas à l’article 260.35, elle en fait rapport à la Régie. La Régie transmet alors un avis au fournisseur de services Internet en défaut et en transmet une copie à la Société.
260.37. Pour l’application du présent titre, la Régie et la Société peuvent conclure une entente concernant la fréquence relative à la mise à jour et à la transmission de la liste des sites non autorisés de jeu d’argent en ligne et toute autre modalité rattachée à l’application du présent titre.
[32] L’article 14 du Projet de loi propose quant à lui de modifier l’article 277 de la LPC afin d’y prévoir qu’un FSI qui contrevient à l’article 260.36 commet une infraction pénale et est passible d’une amende de 600 $ à 15 000 $ dans le cas d’une personne physique et de 2 000 $ à 100 000 $ dans le cas d’une personne morale.
[33] La Loi sur le budget est adoptée le 17 mai 2016 et sanctionnée le lendemain. Les articles 13 et 14 du Projet de loi 74 deviennent les articles 12 et 13 de la loi[25].
[34] Le 27 juillet 2016, l’intimée dépose une demande introductive d’instance « en déclaration d’invalidité, d’inapplicabilité et d’inopérabilité constitutionnelle » (la « demande ») de l’article 12 de la Loi sur le budget et des articles 260.33 à 260.37 de la LPC et notifie un avis à l’appelant ainsi qu’à la procureure générale du Canada en vertu des articles 76 et 77 du Code de procédure civile.
[35] L’instruction a lieu les 1, 2 et 3 mai 2018 et la Cour supérieure rend jugement le 18 juillet suivant.
[36] Le juge déclare l’invalidité constitutionnelle de l’article 260.35 sans trancher le sort des autres dispositions du titre III.4 de la LPC. L’appelant demande uniquement d’infirmer le jugement et l’intimée n’a pas formé d’appel incident à l’encontre de la décision du juge de ne pas se prononcer sur la validité des articles 260.33, 260.34, 260.36 et 260.37. La Cour n’a donc pas à se pencher sur cette question, les parties ayant de plus convenu lors de l’audience que, sans l’article 260.35, les autres dispositions du titre III.4 perdent leur raison d’être.
[37] Cela dit, les motifs pour lesquels le juge déclare l’article 260.35 constitutionnellement invalide peuvent être résumés de la façon suivante :
- le caractère véritable, ou objet essentiel, de cette disposition est de forcer les FSI à bloquer, et à rendre ainsi inaccessibles aux utilisateurs québécois du Web, les sites de JHA que Loto-Québec désigne illégaux, et ce, afin d’augmenter les revenus de la province[26];
- ce caractère véritable ne peut être validement rattaché à aucune des compétences législatives de la province en matière de protection du consommateur, de santé, de jeu, d’administration de la justice, de propriété et droits civils ou autre matière de nature locale ou privée, incluant la santé[27];
- il relève plutôt de champs de compétence fédérale exclusifs, soit les télécommunications[28] et le droit criminel, dans ce dernier cas en créant une sanction additionnelle dans le domaine des JHA illégaux[29];
- reconnaître en l’espèce un double aspect et rattacher en conséquence l’article 260.35 à des champs de compétence distincts relevant du fédéral, d’une part, et de la province, d’autre part, serait contraire aux précédents confirmant la compétence fédérale exclusive relativement aux systèmes et réseaux de télécommunications[30] et en droit criminel à l’égard des JHA[31]. Cela aurait de plus pour effet de cautionner une entrave à la réalisation de l’objectif fédéral dans le domaine des télécommunications, tel qu’il ressort entre autres de la politique canadienne contenue à l’article 7 de la LT;
- même si son objectif déclaré se rattachait à une matière sur laquelle la province peut légiférer, en l’occurrence la protection du consommateur, la théorie des pouvoirs accessoires ne permet pas de sauvegarder la validité constitutionnelle de l’article 260.35 vu l’ampleur de son empiètement dans les compétences fédérales, sans compter que son intégration à la LPC n’est que « superficielle et absolument pas nécessaire »[32];
- de plus, en permettant à Loto-Québec d’ordonner aux FSI de bloquer l’accès à certains sites de JHA qu’elle qualifie d’illégaux, la législature, sans compétence pour ce faire, force en quelque sorte les FSI à intervenir à l’égard du contenu de ces sites et à porter ainsi atteinte à la liberté d’expression garantie à leurs exploitants par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés[33].
[38] Le juge clôt ensuite son analyse de la façon suivante :
[165] Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que tant l’objet que les effets de la Disposition provinciale sont, malgré la loi à caractère social où le législateur provincial a choisi de l’insérer, une disposition qui intervient directement dans deux champs de compétence fédérale exclusive, soit les télécommunications et le droit criminel.
[166] Les effets juridiques et pratiques de la Disposition provinciale sont de régir le jeu en ligne par le biais des FSI ce que ni l’une ni l’autre des compétences provinciales n’autorise. Son caractère véritable est d’empêcher les JHA en ligne non mis sur pied et exploité par la province de pouvoir être « communiqués » par les FSI et non pas la protection des consommateurs ou de leur santé.
[39] Étant donné ces conclusions déterminantes sur le sort du litige, et invoquant les enseignements de la Cour suprême[34], le juge s’abstient de trancher les questions subsidiaires débattues par les parties concernant le caractère applicable/inapplicable ou opérant/inopérant de l’article 260.35[35].
[40] Les questions constitutionnelles que l’appelant soulève peuvent être reformulées de la façon suivante :
1. L’article 260.35, ajouté à la LPC par l’article 12 de la Loi sur le budget, est-il constitutionnellement valide?
2. Le cas échéant, est-il néanmoins inapplicable aux FSI?
3. S’il est applicable, est-il néanmoins inopérant?
4. La position des parties
[41] Bien que la Cour n’ait pas à les examiner toutes, vu la conclusion à laquelle elle en arrive sur la première question en litige, les prétentions des parties sur chacune des questions sont les suivantes.
4.1 L’appelant
[42] Le juge a omis de considérer la portée et les exigences du fédéralisme coopératif, que la Cour suprême a fréquemment réaffirmées au cours des dernières années et il a en conséquence erré en droit dans l’application des doctrines constitutionnelles pertinentes.
[43] Le caractère véritable de l’article 260.35 peut être rattaché à plus d’un des champs de compétence octroyés aux législatures provinciales par les paragraphes 92(9)[36], (13)[37], (14)[38], (15)[39] et (16)[40] de la Loi de 1867, ou qui en sont issus selon la jurisprudence, soit celles relatives au jeu[41], à la protection du consommateur, à la santé publique[42] et à l’administration de la justice dans sa dimension relative à la prévention du crime[43]. L’article 260.35 est donc constitutionnellement valide.
[44] Il est aussi pleinement applicable parce qu’aucun précédent n’a établi la compétence exclusive du Parlement sur les communications par Internet, d’une part, et qu’il n’entrave pas un aspect essentiel ou le cœur de la compétence fédérale en matière de télécommunications ou de droit criminel, d’autre part.
[45] Enfin, l’article 260.35 est opérant parce que le blocage des sites Internet qu’il permet à la Régie des alcools, des courses et des jeux (la « Régie ») et à Loto-Québec d’ordonner aux FSI ne donne pas lieu à un conflit d’application avec l’article 36 de la LT fédérale, ni à un conflit d’objet avec la politique canadienne en matière de télécommunications contenue à l’article 7 de cette même loi.
4.2 L’intimée
[46] Le juge n’a pas erré en cernant le caractère véritable de l’article 260.35 et en déterminant qu’il ne peut être rattaché à aucune des compétences législatives provinciales. Il n’a donc commis aucune erreur révisable en concluant à son invalidité constitutionnelle.
[47] Subsidiairement, si la Cour conclut que l’article relève de l’un des champs de compétence de la législature, il est toutefois inapplicable en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences et des précédents qui permettent de confirmer que la réglementation de la transmission et de la réception des signaux transmis par les réseaux et les installations des FSI est de compétence fédérale.
[48] Si toutefois la Cour estime que l’article 260.35 est constitutionnellement valide et applicable, il est à tout le moins inopérant. En effet, en permettant à Loto-Québec et à la Régie d’ordonner à un FSI de bloquer l’accès des usagers québécois du Web à un site de jeu en ligne, il crée un conflit d’application avec l’article 36 de la LT, qui assujettit le blocage d’un site Internet par un FSI à l’obtention d’une autorisation du CRTC, et un conflit d’objet avec la politique canadienne et les objectifs pancanadiens énoncés à l’article 7 de la même loi.
[49] La Loi de 1867, la jurisprudence du Conseil privé et celle de la Cour suprême permettent de confirmer la compétence législative exclusive du Parlement en matière de télécommunications, de radiocommunications, de radiodiffusion[44], ainsi qu’en droit criminel[45].
[50] Il importe toutefois de noter que, contrairement à la compétence en droit criminel qui est expressément reconnue au Parlement au paragraphe 91(27) de la Loi de 1867, comme d’autres chefs de compétence positivement désignés aux autres paragraphes de cet article, la compétence fédérale en matière de télécommunications, de radiocommunications et de radiodiffusion découle plutôt du paragraphe introductif de l’article 91, d’une part, de l’exclusion de la compétence provinciale énoncée aux alinéas 92(10)a) et c), d’autre part, ainsi que de l’interprétation qu’en ont faite le Conseil privé, la Cour suprême et les auteurs :
VI. DISTRIBUTION DES POUVOIRS LÉGISLATIFS POUVOIRS DU PARLEMENT
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir: […]
27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle. […]
POUVOIRS EXCLUSIFS DES LÉGISLATURES PROVINCIALES 92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir: […]
10. Les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:
(a) Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
(b) […]
(c) Les travaux qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le Parlement du Canada être pour l'avantage général du Canada, ou pour l'avantage de deux ou d'un plus grand nombre des provinces; […] |
VI. DISTRIBUTION OF LEGISLATIVE POWERS
91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,
[…]
27. The Criminal Law, except the Constitution of Courts of Criminal Jurisdiction, but including the Procedure in Criminal Matters. […]
EXCLUSIVE POWERS OF PROVINCIAL LEGISLATURES 92. In each Province the Legislature may exclusively make Laws in relation to Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say, […]
10. Local Works and Undertakings other than such as are of the following Classes:
(a) Lines of Steam or other Ships, Railways, Canals, Telegraphs, and other Works and Undertakings connecting the Province with any other or others of the Provinces, or extending beyond the Limits of the Province:
(b) […]
(c) Such Works as, although wholly situate within the Province, are before or after their Execution declared by the Parliament of Canada to be for the general Advantage of Canada or for the Advantage of Two or more of the Provinces. […]
[Soulignements ajoutés] |
[51] La Loi de 1867 et la jurisprudence établissent par ailleurs la compétence législative des législatures concernant l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, l’administration de la justice, la propriété et les droits civils et, généralement, toute matière de nature purement locale ou privée dans la province[46]. Ces deux derniers champs de compétence constituent par ailleurs les fondements principaux de la compétence provinciale générale en santé et santé publique dans la province[47], bien que la Cour suprême ait reconnu que la santé, un sujet diffus, peut relever à la fois des provinces et du fédéral[48]. En somme, comme le souligne le professeur Hogg : « A law dealing with some aspect of health will come within […] provincial jurisdiction depending upon the purpose and effect of the law »[49].
[52] Quant au jeu proprement dit et à sa réglementation, le juge Major concluait ce qui suit pour une Cour unanime dans l’arrêt Siemens c. Manitoba (Procureur général)[50] :
22 […] Comme le juge Stevenson l’a affirmé au nom de notre Cour dans l’arrêt Furtney, précité, p. 103, la règle du « double aspect » s’applique au jeu. En conséquence, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux peuvent légiférer en la matière :
À mon avis, la réglementation des activités de jeu a un aspect provincial manifeste en vertu de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, sous réserve de la compétence prépondérante du Parlement en cas de conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale. [...]. Outre les aspects des jeux susceptibles d’interdiction en matière criminelle, les loteries sont soumises au pouvoir législatif de la province en vertu de divers chefs de compétence énoncés à l’art. 92, y compris, selon moi, la propriété et les droits civils (13), la délivrance de licences (9), l’entretien des institutions de charité (7) […]. La délivrance de licences et la réglementation des activités de jeu par la province ne constituent pas en soi de la législation en matière de droit criminel.
[…]
[Soulignements ajoutés]
[53] Cela dit, la première étape du cadre analytique applicable à un litige en matière de partage de compétences, et ses conséquences constitutionnelles possibles, ont été résumées de la façon suivante par la Cour suprême dans l’arrêt Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville)[51] :
[34] Dans le cadre d’une analyse du partage des compétences, il faut d’abord déterminer si le palier législatif ou l’entité exerçant les pouvoirs délégués est autorisé, en vertu de la Constitution, à adopter la loi ou la mesure contestée : […] Ceci s’accomplit en qualifiant le « caractère véritable » de la loi ou de la mesure contestée : […]
[35] L’analyse du caractère véritable précède l’examen de l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences et celle de la prépondérance fédérale, lesquelles présupposent la validité constitutionnelle de la loi ou de la mesure contestée. En effet, si la théorie de l’exclusivité des compétences s’applique, la mesure contestée demeure valide, mais ne s’applique pas au cœur de la compétence de l’autre palier législatif sur lequel elle empiète : […] Par ailleurs, lorsque la théorie de la prépondérance fédérale s’applique, la mesure provinciale contestée est inopérante dans la mesure du conflit avec la loi fédérale […].
[Soulignements et caractères gras ajoutés; renvois omis]
[54] Pour déterminer le « caractère véritable » d’une loi ou d’une disposition législative, soit « ce à quoi elle a réellement trait »[52], ou « la matière sur laquelle elle porte essentiellement »[53], les tribunaux doivent l’analyser sous deux volets, soit (i) le but visé par le législateur en l’adoptant et (ii) ses effets juridiques et pratiques ou « concrets »[54].
[55] La détermination du but visé par le législateur et des effets de la disposition contestée peut comporter non seulement l’examen de la disposition elle-même, de l’énoncé des objectifs généraux et de la structure générale de la loi dans laquelle elle s’insère (la « preuve intrinsèque »), mais aussi des circonstances dans lesquelles elle a été adoptée[55], des débats parlementaires et autres comptes rendus du processus ayant mené à son adoption[56] (la « preuve extrinsèque »), dans la mesure où ils sont pertinents et fiables et qu’on ne leur donne pas plus de poids qu’ils n’en méritent[57]. Ce faisant, les tribunaux doivent rechercher l’objectif réel de la disposition attaquée, plutôt que son but simplement déclaré ou apparent[58]. À cette fin, ils ne sont pas liés par une disposition relative à l’objet de la loi[59], bien qu’une telle déclaration d’intention législative puisse souvent être utile, ni par les seuls propos d’un ministre dans le cours des travaux parlementaires, lesquels, bien qu’ils puissent eux aussi être utiles, ne reflètent pas nécessairement la véritable intention du législateur[60].
[56] En ce qui concerne les effets juridiques de la disposition attaquée, il s’agit d’analyser la manière dont cette dernière influe sur les droits et obligations de ceux qui y sont assujettis[61]. Les effets pratiques sont quant à eux, outre ceux découlant directement de la seule teneur du texte de la disposition, les effets concrets résultant de son application[62].
[57] Par ailleurs, la Cour suprême a souligné que dans la recherche du caractère véritable, les tribunaux doivent éviter de donner leur aval à une loi « déguisée », soit une loi qui, par sa forme, semble porter sur une matière ressortissant à la compétence législative de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, mais qui traite au fond d’une matière dépassant sa compétence[63]. Dans certains cas, ce sont les effets de la loi qui permettront de cerner ce à quoi elle a réellement trait et de conclure à un objet véritable autre que celui déclaré[64].
[58] La qualification du caractère véritable de la disposition attaquée joue ensuite un rôle essentiel à la deuxième étape du cadre analytique, soit celle de la classification. Ainsi, dès lors que le caractère véritable de la disposition est déterminé, l’étape de la classification consiste à la rattacher à l’un et/ou l’autre des champs de compétence législatifs fédéraux et/ou provinciaux énumérés aux articles 91 et 92 de la Loi de 1867 pour décider si elle relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée[65]. Il importe donc de définir le caractère véritable avec le plus de précision possible[66].
[59] Cela dit, bien qu’en application de la doctrine constitutionnelle du fédéralisme coopératif un chevauchement de deux champs de compétence distincts soit parfois possible lorsqu’un objet donné peut être abordé sous deux perspectives différentes, l’une étayant l’exercice de la compétence fédérale et l’autre celui de la compétence provinciale[67], l’application du principe comporte ses limites. Ces dernières se justifient par le principe essentiel sous-jacent au partage et à l’exclusivité des compétences prévus par la Constitution :
[22] L’approche adoptée par notre Cour quant au partage des compétences a évolué pour englober la possibilité de collaboration intergouvernementale et de chevauchement entre des exercices valides des compétences provinciales et fédérales. Conformément à l’évolution du droit constitutionnel vers une vision plus souple du fédéralisme qui reflète les réalités politiques et culturelles de la société canadienne, l’approche fixe des « compartiments étanches » est dépassée depuis longtemps et la doctrine de l’exclusivité des compétences a été circonscrite : […].En fait, le principe plus souple du « fédéralisme coopératif » et les doctrines du double aspect et de la prépondérance ont été élaborés en partie pour tenir compte de la complexité croissante de la société moderne : […] La vision moderne du fédéralisme « permet le chevauchement des compétences et [...] encourage la coopération intergouvernementale » : […].
[…]
[25] La Cour a souligné en outre que le principe du fédéralisme coopératif ne l’emporte pas sur la portée du pouvoir législatif conféré par la Constitution et ne la modifie pas : […]. Si la Constitution donne à un ordre de gouvernement compétence pour procéder à une intervention unilatérale, le fédéralisme coopératif ne lui fera pas obstacle : […][68]
[Soulignements ajoutés]
[60] Le juge en chef Wagner, pour la majorité, rappelait ces limites encore tout récemment dans le Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre[69] :
[50] Comme l’a souligné notre Cour dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, […] les tribunaux sont chargés, en qualité d’arbitres impartiaux, de résoudre les conflits de compétence concernant la délimitation des frontières entre les pouvoirs du fédéral et ceux des provinces au regard du principe du fédéralisme. Bien que dans les premiers arrêts portant sur la Constitution canadienne, le Comité judiciaire du Conseil privé ait appliqué rigidement le partage des compétences législatives respectives du fédéral et des provinces, considérant ces compétences comme des compartiments étanches, notre Cour favorise pour sa part une vision souple du fédéralisme — que décrit très bien l’expression fédéralisme coopératif moderne — qui permet et encourage les efforts de coopération intergouvernementale : […]. Cela dit, la Cour n’a jamais cessé de souligner que, quoique la souplesse et la coopération soient des considérations importantes pour le fédéralisme, elles ne sauraient écarter ou modifier le partage des compétences. Ainsi qu’elle l’a fait remarquer dans le Renvoi de 2011 relatif aux valeurs mobilières, « [l]e “courant dominant” du fédéralisme souple, aussi fort soit-il, ne peut autoriser à jeter des pouvoirs spécifiques par-dessus bord, ni à éroder l’équilibre constitutionnel inhérent à l’État fédéral canadien » : […].
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[61] Le juge Rowe, dissident dans le même arrêt, réitérait néanmoins lui aussi que le fédéralisme coopératif « ne saurait toutefois l’emporter sur le partage des compétences ni "rendre intra vires une loi ultra vires" »[70].
L’article 260.35 de la LPC, ajouté à la LPC par l’article 12 de la Loi sur le budget, est-il constitutionnellement valide?
(i) La norme d’intervention
[62] La norme d’intervention applicable dans les affaires d’analyse constitutionnelle est celle de la décision correcte[71]. Lorsqu’il est toutefois possible de traiter l’analyse proprement dite séparément des conclusions de fait qui la sous-tendent, lesquelles peuvent s’avérer déterminantes en appel[72], ces dernières commandent la retenue judiciaire[73] et ne peuvent être révisées que suivant la norme de l’erreur manifeste et déterminante[74].
[63] Outre les faits en litige proprement dits, la preuve « extrinsèque » analysée par le juge afin de déterminer le caractère véritable d’une disposition législative participe de la notion de « faits législatifs »[75]. Après une période de flottement dans la jurisprudence[76], dans Canada (Procureur général) c. Bedford[77] la juge en chef McLachlin a précisé pour une Cour unanime qu’en matière constitutionnelle il n’y a pas lieu de faire de distinction entre, notamment, les faits en litige et les faits législatifs et qu’en conséquence, il ne convient pas d’appliquer aux seconds une norme de contrôle non déférente[78].
(ii) La première étape du cadre analytique : le caractère véritable
[64] Rappelons que le juge a conclu de la preuve intrinsèque, de la preuve extrinsèque ainsi que des effets juridiques et pratiques de l’article 260.35 que son caractère véritable est « de forcer les FSI à bloquer les sites de JHA que Loto-Québec estime illégaux […] afin d’augmenter les revenus de la province […] »[79].
[65] Qu’en est-il?
La preuve intrinsèque
[66] L’appelant conteste l’appréciation qu’a faite le juge de la preuve intrinsèque. Il lui reproche de ne pas en avoir conclu que l’article 260.35 relève à tout le moins de la compétence provinciale en matière de protection du consommateur et a soutenu devant la Cour que le caractère véritable de la disposition provinciale vise la réglementation de l’offre de JHA en ligne afin de protéger le consommateur. L’obligation imposée aux FSI de bloquer l’accès aux sites identifiés comme illégaux ne serait que le moyen choisi pour réaliser cet objectif essentiel du législateur.
[67] La Cour rejette cette position, que la preuve intrinsèque ne supporte pas.
[68] Premièrement, le seul titre de la loi par laquelle les modifications en litige ont été apportées à la LPC supporte aussi la conclusion que leur caractère véritable ne participe pas de la protection du consommateur : « Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015 ». On peut de plus observer que les modifications en litige apportées à la LPC l’ont ainsi été par une loi à caractère budgétaire présentée par le ministre des Finances, et non par le ministre de la Justice, lequel est responsable de l’application de la LPC[80]. Il n’est pas non plus dénué de pertinence de noter qu’aucune des autres lois modifiées par la Loi sur le budget ne l’a été sur autre chose que des questions de finances ou de revenus.
[69] Deuxièmement, les notes explicatives insérées au début de la Loi sur le budget, telle que publiée par l’Éditeur officiel du Québec[81], énoncent essentiellement que « dans le but de contrôler l’offre de jeux d’argent en ligne, la loi modifie la Loi sur la protection du consommateur afin d’obliger les fournisseurs de services Internet à bloquer l’accès aux sites illégaux de jeu d’argent inscrits sur une liste établie par la Société des loteries du Québec ». Il n’est fait aucune mention, directement ou indirectement, de l’objectif du législateur québécois, par exemple, d’enrayer le jeu pathologique, de promouvoir la santé publique, ou encore la protection du consommateur à proprement parler.
[70] Troisièmement, outre les modifications apportées à la LPC afin d’y ajouter le nouveau titre III.4, incluant l’article 260.35 qui nous occupe davantage en l’espèce, une modification a aussi été apportée à l’article 292 de la LPC, celle-là par l’article 15 de la Loi sur le budget, pour préciser à son paragraphe (a) que l’Office de la protection du consommateur est chargé de protéger le consommateur et, à cette fin, de surveiller l’application de la LPC « à l’exception du titre III.4 ».
[71] Quatrièmement, l’article 17 de la Loi sur le budget modifie aussi l’article 352 de la LPC pour prévoir que le ministre de la Justice est chargé de son application « à l’exception du titre III.4 dont l’application relève, lorsque cela concerne les responsabilités de la Régie des alcools, des courses et des jeux, du ministre de la Sécurité publique et, lorsque cela concerne les responsabilités de la Société des loteries du Québec, du ministre des Finances ». Le nouveau titre III.4 est donc la seule section de la LPC qui relève d’un ministre différent de celui chargé de l’application de l’ensemble des dispositions ayant pour but de protéger les consommateurs.
La preuve extrinsèque
[72] L’appelant reproche au juge d’avoir erré de façon manifeste et déterminante en considérant dans la preuve extrinsèque les propos tenus par le président de Loto-Québec lors de l’examen des crédits du ministère des Finances en 2014, plus d’un an avant le dépôt du Projet de loi 74. Selon l’appelant, il ne s’agirait pas là d’un élément factuel qui s’inscrit dans le processus législatif ayant conduit à l’adoption de l’article 260.35 et le juge ne pouvait donc en tenir compte.
[73] L’appelant ajoute du même souffle que le juge a aussi erré de façon manifeste et déterminante parce qu’il n’a pas considéré certains autres éléments qui, eux, sont réellement inhérents aux travaux parlementaires relatifs au processus d’adoption législative. Selon lui, c’est cette seule preuve extrinsèque qui permet réellement de confirmer que le caractère véritable de l’article 260.35 et des autres dispositions du nouveau titre III.4 de la LPC relève de la compétence de la législature en matière de réglementation du jeu dans la province et de protection du consommateur.
[74] La Cour n’est pas de cet avis.
[75] D’abord, comme on l’a vu précédemment, aucune norme de contrôle intermédiaire ne s’applique aux conclusions de fait du juge d’instance et il ne convient donc pas d’appliquer une norme de contrôle non déférente aux faits législatifs retenus par ce dernier. Dans l’un ou l’autre cas, la norme de contrôle applicable en appel est celle de l’erreur manifeste et déterminante[82]. Ajoutons que la Cour suprême souligne, dans l’arrêt Nelson (City) c. Mowatt, que le fait qu’une conclusion différente aurait pu être tirée par un autre juge sur la base d’un poids différent attribué à l’un ou l’autre des éléments de preuve, le cas échéant, ne signifie pas qu’une erreur manifeste et déterminante a été commise par le juge des faits. Une cour d’appel ne peut simplement remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve par ce dernier. En l’absence d’une erreur manifeste et déterminante, elle commet une erreur si elle modifie une conclusion factuelle essentiellement sur la base d’une divergence d’opinions avec le juge des faits quant au poids à attribuer aux différents éléments de preuve[83].
[76] En l’espèce, les propos tenus par divers intervenants clés devant la Commission permanente des finances publiques et que le juge a retenus, bien que certains l’aient été chronologiquement en amont du processus législatif proprement dit, participent de ces « déclarations faites lors des travaux parlementaires et celles tirées des publications gouvernementales »[84] qui sont « fiables »[85] et qui permettent de jeter un éclairage utile sur les circonstances et les raisons qui ont mené à l’adoption de l’article 260.35. Ils constituent de ce fait un élément de preuve extrinsèque pertinent, parmi d’autres, que le juge pouvait considérer[86]. D’autant plus qu’ils s’inscrivent dans un continuum qui s’est poursuivi jusqu’après le dépôt du Projet de loi 74, tel que permettent de le constater d’autres propos tenus par les mêmes intervenants devant la même commission parlementaire en novembre et en décembre 2015.
[77] Le processus menant à l’adoption d’un texte de loi est évolutif. L’analyse de la preuve extrinsèque doit en tenir compte et ne pas nécessairement, et dans tous les cas, se limiter à la période immédiatement contemporaine de l’adoption de la disposition contestée. Comme en d’autres matières, l’admissibilité d’une preuve et sa valeur probante sont des concepts distincts.
[78] En l’espèce, voici d’abord comment le porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances et de revenus, le président de Loto-Québec et le ministre des Finances de l’époque, lequel a ultérieurement déposé le Projet de loi 74, s’exprimaient le 2 juillet 2014 lors de l’étude des crédits du ministère des Finances par la Commission parlementaire permanente des finances publiques, le premier mentionnant au passage les travaux alors en cours du comité Nadeau :
M. Marceau : […] Quand on regarde un peu les chiffres de Loto-Québec depuis plusieurs années, on se rend bien compte que la situation n’est pas facile pour Loto-Québec, pas plus qu’elle ne l’est pour d’autres sociétés de loterie à travers l’Amérique du Nord, puis en particulier au Canada. Mais simplement quelques chiffres : en 2005-2006, les revenus provenant de Loto-Québec étaient de 1 537 000 000 $, et cette année, on prévoit, pour 2014-2015 1 065 000 000 $. C’est ce qui prévu, en tout cas au plan budgétaire, là. Donc, quasiment 500 000 000 $ de moins, hein, une réduction importante, […].
Et on connaît pas mal les raisons pour lesquelles il en est ainsi. L’une d’entre elles, c’est le fait que Loto-Québec fait désormais face à une concurrence de jeu qui n’est pas, lui, encadré par Loto-Québec, et ça, on pourrait qualifier ça de jeu illégal. […]. Il y a plusieurs approches possibles pour encadrer le jeu en ligne. Une d’entre elles, qui a été évoquée ici même à l’occasion des crédits, l’année dernière puis il y a deux ans, c’était celle qui consisterait à interdire essentiellement ce jeu en ligne en bloquant l’accès à ces sites-là. […] Pour avoir parlé avec Mme Nadeau dans la dernière année, je sais qu’il y a eu une évolution dans la pensée des gens du comité puis que ces gens croient qu’en allant vers une espèce de fusion des sites de jeu en ligne existants avec le site de Loto-Québec on pourrait arriver à de meilleurs résultats.
[…]
M. Bibeau (Gérard) : Gérard Bibeau, président de Loto-Québec. Si vous le voulez bien, je pourrais peut-être reprendre un petit peu, quand même, la problématique. Il y a des informations quand même, qui sont importantes, vous en avez soulevé quelques-unes. Bon, la première, c’est clair que, pour nous autres, le jeu en ligne qui n’est pas fait par Loto-Québec, c’est considéré comme illégal. C’est le Code criminel qui dit que le jeu doit être fait par une province, par le gouvernement. Donc, ici, c’est le gouvernement qui délègue Loto-Québec. Donc, tout le jeu sur notre territoire, c’est nous qui devons le faire. Ça, c’est le Code criminel qui dit ça.
[…]
Au niveau de nos objectifs, on a deux objectifs pour le jeu en ligne. Le premier, c’est de le canaliser. « Canaliser » veut dire finalement que les Québécois qui veulent jouer en ligne, notre travail, notre mandat, c’est de faire qu’ils jouent chez nous et non ailleurs. C’est notre premier mandat. Et, notre deuxième mandat, que ça se fasse dans un réseau qui est sécuritaire, contrôlé et responsable. […]
Donc, notre mandat de canaliser, on canalise environ 10 % du jeu en ligne sur le territoire du Québec. C’est là qu’est notre problématique. C’est là qu’il faut s’améliorer beaucoup. C’est là qu’il faut trouver des solutions. […]
[…]
Ah! Bien, notre souhait, ça peut être… Je vais y aller plus qu’avec un souhait. Notre mandat, c’est d’avoir 250 millions sur 250 millions. C’est ça qui est notre mandat, c’est ça qui est notre travail, c’est ça qu’on doit accomplir. Mais notre réalité c’est qu’on est rendus à 50 millions en trois ans. […] Il y a 2 000 sites illégaux qui proviennent de la planète entière où les consommateurs québécois ont accès dans leur salon. C’est là-dessus qu’on se bat, nous, avec des conditions de jeu responsable, quand même, qui sont sévères.
[…]
M. Leitão : […] Ce que nous voulons faire, c’est rendre ça plus complexe pour les sites qui sont illégaux. Comme - on revient à la suggestion du député de Rousseau - donc d’essayer de bloquer ces sites-là, essayer de rendre leur vie plus difficile. Ça ne veut pas dire que nous, dans les sites exploités par Loto-Québec, on va faciliter nécessairement l’accès au jeu en ligne.
[…]
M. Bibeau (Gérard) : L’évaluation, à date, qu’on a, comme je vous ai dit, c’est le 250 millions. […] C’est un chiffre qui date de 2012. Tout le travail qu’on fait, nous autres, c’est d’aller gruger au maximum notre part de marché. C’est ce qu’on fait. Comme je vous l’ai dit on a des mesures de jeu responsable qui sont étanches, qui sont importantes. Quand on se compare aux autres sites, ce n’est vraiment pas comparable. Ça, c’est bien sûr, là, qu’on tient à ça comme à la prunelle de nos yeux. Ça fait partie de notre mandat, ça, à Loto-Québec. […] Mais, à notre niveau, à Loto-Québec, à notre niveau, notre mandat, c’est de compétitionner ces sites de jeu en ligne là en faisant du jeu responsable, en ayant les meilleurs résultats possibles. C’est ça qui est notre mandat, puis on y tient, et on va travailler avec les gens du ministère des Finances, suite au rapport, pour regarder différentes solutions. […] Dans nos casinos, on a de la compétition, puis on la compétitionne, puis on n’empêche pas les gens d’aller ailleurs. Notre travail, c’est de s’assurer qu’ils jouent chez nous. Ça fait que c’est la même chose au niveau du jeu en ligne. […]
[…]
M. Leitão : Je veux dire seulement qu’en effet ce ministre comme les précédents va vous dire la même chose, c’est que nous voulons nous assurer que Loto-Québec maximise ses revenus tout en demeurant responsable et aussi en canalisant le plus possible le jeu qui se fait dans le réseau public réglementé. […][87]
[Soulignements ajoutés]
[79] Puis, quelque mois après la publication du rapport Nadeau le 6 novembre 2014, soit le 30 avril 2015, lors de la poursuite de l’étude des crédits du ministère des Finances par la Commission des finances publiques pour l’exercice financier 2015-2016, les mêmes acteurs réitèrent les préoccupations liées à la baisse des revenus de Loto-Québec et à la nécessité d’identifier des solutions pour y remédier, incluant le blocage des sites privés de JHA en ligne :
M. Marceau : O.K. Bonjour M. Bibeau. Je vais commencer par le jeu en ligne. […](…) Peut-être que vous avez eu l’occasion d’en parler avant cette rencontre aujourd’hui. En fait, donc, il s’agit de savoir comment ça pourrait fonctionner dans le cas où le rapport Nadeau serait appliqué, […] Et je rappelle, là, puis je vais vous le rappeler si vous voulez, qu’on estimait que le marché non réglementé actuel représente 200 millions de dollars. Enfin, ça, ce sont des chiffres que vous m’aviez donnés, M. le ministre. On estimait qu’on pourrait canaliser environ la moitié de ça, c’est-à-dire 100 millions, grossièrement, et que c’est donc la canalisation de ce 100 millions qui permettrait de récolter 13 millions, 13,5 millions. […] Là, je ne sais pas si, sur les faits, on s’entend. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce que je viens de dire ou…
[…]
M. Leitão : O.K. Je vais essayer de donner une première réponse, et, peut-être, M. Bibeau pourrait compléter. Il me semble qu’on a voulu avoir des prévisions très conservatrices. […] Il me semble que c’est… donc de 13,5 millions et puis, en 2016-2017, de 27 millions. Je pense que c’est une estimation conservatrice du potentiel.
[…]
M. Bibeau : Bien sûr, c’est des estimés. De la manière qu’on s’est pris pour arriver au pourcentage de 50 %, on a regardé ce qui se faisait tout simplement ailleurs. Il y a d’autres juridictions, on est loin d’être la première juridiction qui bloque les sites déjà en ligne. Partout dans le monde, il n’y a aucun endroit que le blocage est à 100 %, parce qu’il y a toutes sortes de choses qui se développent, les gens passent à côté, ils reviennent. […] C’est sûr qu’au début, habituellement quand une législation est passée, il y a une bonne efficacité au niveau du blocage, mais, avec le temps, il y a toutes sortes de trucs qui se développent. […] Donc, qu’est-ce qu’il faut, donc, c’est une combinaison entre un blocage de sites puis une bonne offre.
[…]
On dit qu’on ne peut pas réussir à bloquer parfaitement le jeu illégal, mais ce qu’on va faire, si, bien sûr, il y a une loi, on va bloquer puis on va faire une belle offre de jeu pour que les Québécois aient le goût de jouer tout simplement chez nous, qu’ils n’aient pas le goût de contourner la loi.
[…]
M. Marceau : Oui, oui, O.K., parfait. Dans le rapport Nadeau, il est question d’entreprendre les démarches nécessaires pour que soient modifiés les articles du Code criminel. Est-ce que ces démarches ont été entreprises?
[…]
M. Leitão : Non, pas encore, M. le Président. Comme vous le savez, des mesures de nature criminelle vont nécessairement demander une concertation avec le gouvernement fédéral, et, pour l’instant, on n’a pas encore commencé de ce côté-là. Mais, pour ce qui est de bloquer les sites illégaux, là, nous sommes d’avis qu’on n’a pas besoin d’aller aussi loin que le Code criminel, que ça peut se faire d’une autre façon.
M. Marceau : […], mais disons qu’on n’a pas beaucoup de prises avec le Code criminel actuel. Est-ce qu’il est envisageable que vous bloquez avant que des changements au Code criminel aient été introduits?
M. Leitão : oui, je pense que c’est envisageable parce que, dans une première étape, nous allons aborder cette question-là un autre angle, sous l’angle de la santé publique, sous l’angle du contrôle de jeu. […] Donc, c’est quelque chose qu’on travaille sur deux fronts, si vous voulez, un front où on va, de coopération avec nos partenaires dans les autres provinces, essayer de convaincre le gouvernement fédéral a changer dans le Code criminel, mais, sous une autre track parallèle, aborder cette question de blocage de sites sous l’angle de la santé publique et du contrôle des jeux de hasard où nous pensons avoir juridiction pour le faire.
[…]
Oui. Enfin, peut-être, avant de passer la parole à M. Bibeau, il y a… Pour ce qui est du rapport Nadeau, le rapport Nadeau va plus loin que ce que nous proposons de faire ici. Le rapport Nadeau parle vraiment de licences, […]. Nous, ce dont on parle ici, c’est de bloquer les sites illégaux, donc ce n’est pas tout à fait la même chose. Est-ce qu’on va aller entièrement dans la direction du rapport Nadeau? Pour ce faire, pour aller dans cette direction la, même si on décidait d’y aller, la, oui, là ça prendrait des changements au Code criminel. Mais ce qui est proposé ici, dans le budget, ce n’est pas la même chose, c’est de bloquer les sites et de canaliser le jeu en ligne vers le site de Loto-Québec, vers Espacejeux.[88]
[Soulignements ajoutés]
[80] Enfin, le 3 décembre 2015, lors de l’étude détaillée du Projet de loi 74, voici comment le ministre des Finances présente l’objectif poursuivi par l’inclusion du nouveau titre III.4, incluant l’article 260.35 en litige, dans la LPC , ainsi que les questionnements soulevés par certains parlementaires, notamment sur la possibilité que les objectifs déclarés par le ministre déguisent en quelque sorte l’objectif réel poursuivi par le gouvernement :
M. Leitão : Alors, le chapitre III du projet de loi qui comprend les articles 13 à 21 prévoit des mesures visant à contrôler l’accès aux sites illégaux de jeux d’argent en ligne. À cette fin, il ajoute un nouveau titre, le Titre III.4 à la Loi sur la protection du consommateur. […] Ce nouveau titre prévoit que la Société des loteries du Québec, donc Loto-Québec, assurera la surveillance de l’accessibilité par notamment l’établissement d’une liste de sites non autorisés de jeu d’argent en ligne. Cette liste sera transmise à la Régie des alcools, des courses et des jeux qui devra la notifier aux fournisseurs de services Internet. Ces derniers auront dès lors 30 jours pour bloquer l’accès à ces sites. […]
[…]
Donc ce qu’on veut faire ici, tout simplement, M. le Président, c’est de bloquer l’accès aux sites non autorisés du jeu en ligne. Ça fait que ce sera Loto-Québec procédera à…
Le Président (M. Bernier) : Les pouvoirs.
M. Leitão : …l’établissement d’une telle liste.
Le Président : Les pouvoirs de bloquer.
M. Leitão : Exact.
[…]
Et peut-être que je pourrais mentionner aussi, […] pourquoi on fait tout ça? On fait tout ça, en fin de compte, comme nous avions dit à la toute dernière page du budget, ce n’était pas qu’on voulait cacher quoi que ce soit, juste que ça s’est avéré comme ça dans la toute dernière section du budget du mois de mars que le problème est à une prolifération de sites de jeu Internet donc non réglementés, illégaux et que ça cause une compétition déloyale avec Loto-Québec, qui elle, fournit aussi un site de jeu en ligne, Internet, mais qui doit suivre toute une série de réglementations que le gouvernement lui impose, c’est tout à fait approprié en termes de sécurité publique, de santé publique, identification des joueurs, etc., chose que les sites non réglementés n’ont pas besoin de faire, par définition. Donc, la compétition qui existe entre les sites non réglementés et Loto-Québec, c’est une compétition qui est tout à fait déloyale et donc nous jugeons utile de créer un environnement plus loyal et aussi des questions de santé publique et de protection des consommateurs sont aussi très importantes. […]
Le Président : Avant de donner la parole au député de Rousseau, moi, j’ai une question à vous poser, M. le ministre. Techniquement, parce qu’on sait qu’il n’y a pas beaucoup de frontières, là-dedans, là, ça vient d’un peu partout, là. Techniquement donc ça a été étudié que c’est possible d’apporter des contrôles sur ces sites-là si ça provient de paradis fiscaux si ça provient de différents autres états […] bon, parce que ça regarde, Internet, tout est possible, là, donc de quelle façon est-ce qu’on peut faire ça ?
M. Leitão : C’est une très bonne question, M. le Président. En effet, ce que nous proposons de faire, ce n’est pas de nous adresser directement à ces sites-là, parce qu’ils sont ailleurs.
[…]
Alors, ce que nous proposons de faire, c’est, de concert avec les fournisseurs de services Internet, de bloquer l’accès. Donc, les Québécois auront l’accès bloqué à ces sites-là. […] Donc, les consommateurs québécois n’auront pas accès à un certain nombre de sites qui seront identifiés comme étant des sites illégaux. Et donc avec la coopération des fournisseurs de services Internet, on va bloquer l’accès à ces sites-là.
[…]
M. Marceau : Puis, de mémoire, puis je pourrais retourner lire le rapport Nadeau, ma compréhension, c’est que, dans le rapport Nadeau, disait, c’est que ce ne serait pas une bonne idée de bloquer sans signer des ententes. Dans l’esprit du rapport Nadeau, de mémoire, là, ça allait ensemble. […]
[…]
M. Leitão : […] cette activité-là, le fait d’arriver à ces ententes-là, c’est beaucoup plus simple est beaucoup plus efficace une fois qu’on a bloqué les sites qui ne veulent pas se… Donc, ça, c’est une question de stratégie, si vous voulez. On bloque et puis on se donne six mois pour négocier des ententes avec ceux qui veulent se conformer.
[…]
Si on voulait par contre aller vers un système de licences, Loto-Québec donnerait des licences à d’autres entités, là, il faudrait… Avant de faire ça, là, il faudrait changer le Code criminel.[89]
[…]
M. Spénard : […] Pour elles, ces compagnies-là qui sont bloquées, est-ce que ça comporte des coûts pour elles?
[…]
M. Leitão : Des coûts pour qui, pardon ?
M. Spénard : Pour les compagnies qui sont bloquées.
M. le Président : Les compagnies qui ne pourront plus opérer.
M. Spénard : …non, les fournisseurs Internet.
M. Leitão : Ah! Les Rogers, Vidéotron de ce monde.
M. Spénard : Oui, les Rogers, les… Est-ce qu’il y a des coûts associés à ça?
M. Leitão : Oui. Oui, il y aura des coûts. Je ne pense pas que ce soient des coûts énormes, là, c’est une question de mettre la « switch on and off ».
[…]
M. Spénard : Les coûts vont être refilés à qui ? […]
M. Leitão : Bon, ce sont… ces entreprises-là vont assumer ces coûts-là, pour leur chiffre d’affaires, des coûts de 100 000 $ à 500 000 $. Nous pensons que ce sont des coûts qui peuvent être assumés par l’entreprise.
M. Spénard : Et vous êtes certains que ça ne sera pas refilé aux consommateurs.
M. Leitão : Bien, on ne peut jamais être certain de rien, mais, encore une fois, pour un chiffre d’affaires de centaines de millions de dollars, un coût additionnel entre 100 000 $ et 500 000 $, je ne pense pas que ce soit quelque chose de matériel.
[…]
[…], Bien sûr, c’est une décision gouvernementale, mais une décision gouvernementale qui est motivée principalement par des questions de sécurité publique, de santé publique. Ces sites qui offrent du jeu illégal ne suivent pas les règles. Donc, il y a des risques d’abus des consommateurs, il y a des risques de santé publique, de personnes vulnérables et très jeunes se mettent à jouer et à perdre des sommes importantes. Donc, oui, il y a des coûts pour la société à faire ça. Donc, c’est normal que l’État impose aux fournisseurs de services Internet certaines contraintes pour qu’ils limitent l’accès à ces sites-là. Ils vont l’absorber à l’intérieur de leur coût de production.
[…]
M. Spénard : Il y a…Bien, il y a deux choses. Si…Il y a deux choses, M. le Président, là-dedans que je trouve…Oui, il y a la protection du consommateur, mais je ne le sais pas si c’est la raison principale ce n’est pas pour venir en aide à Loto-Québec parce qu’Espacejeux fonctionne plus ou moins. […] Ça se tient tout. Loto-Québec ne fait pas assez d’argent, regarde, on va s’organiser pour qu’il en fasse plus. C’est aussi simple que ça, puis là, on se drape de la protection du public.[90]
[Soulignements ajoutés]
[81] Compte tenu de ces éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque, l’appelant échoue à relever son fardeau de démontrer que la conclusion du juge concernant l’objet véritable de l’article 260.35, soit de permettre à Loto-Québec d’obliger les FSI à bloquer l’accès des citoyens québécois aux sites de JHA qu’elle estime illégaux, et non la protection du consommateur, est affectée d’une erreur manifeste et déterminante justifiant l’intervention de la Cour. Cette conclusion, qui peut être adéquatement isolée de l’analyse constitutionnelle à laquelle le juge procède ensuite, trouve au contraire appui dans la preuve.
[82] Les effets juridiques et concrets de l’article 260.35 sur les FSI qui y sont assujettis n’y changent rien, au contraire.
Les effets de la disposition attaquée
[83] Outre la preuve intrinsèque et la preuve extrinsèque, l’examen des répercussions juridiques du libellé de l’article 260.35 et des conséquences pratiques découlant de son application constitue un outil supplémentaire pouvant permettre d’en déterminer le caractère véritable[91]. L’exercice ne se limite pas à examiner les effets directs de la disposition, mais également ceux dont on peut s’attendre qu’ils en découleront[92].
[84] Cela dit, l’analyse du juge à ce sujet est diffuse et, avec égards, semble inadéquatement alignée. Il écrit en effet au paragraphe 129 de son jugement que « [l]e Tribunal n’a pas à tenir compte des conséquences pratiques de la Disposition provinciale sauf pour indiquer comment celle-ci entre dans le champ de compétence fédérale ». Or, l’analyse des répercussions juridiques et pratiques de la disposition attaquée vise à en établir le caractère véritable et est indépendante de l’étape qui suit dans le cadre d’analyse constitutionnelle, soit le rattachement du caractère véritable tel qu’identifié à l’un ou l’autre des champs de compétence prévus aux articles 91 et 92 de la Loi de 1867. En cherchant apparemment dès le départ à rattacher les effets de la loi à l’une des compétences exclusives fédérales, le juge fusionne la première et la deuxième étape du cadre d’analyse, en modifie la structure et en affecte la finalité.
[85] Dans le seul extrait de ses motifs où il caractérise expressément les effets de l’article 260.35, le juge écrit qu’il « […] n’a d’effets pratiques que par ce qu’[il] déclare le signal illégal en premier lieu puis sanctionne celui qui refuse de le bloquer »[93]. Il semble par ailleurs conclure que les effets juridiques de la disposition sont de porter atteinte à la liberté d’expression « […] de l’opérateur exploitant le signal »[94].
[86] Considérant le caractère incomplet de l’analyse effectuée par le juge, la Cour, après réexamen, conclut ce qui suit quant aux effets juridiques et pratiques de l’article 260.35.
[87] Quant aux effets juridiques, il est indéniable que l’application de l’article 260.35 assujettit les FSI à une obligation stricte de bloquer aux citoyens québécois l’accès aux sites Internet qui auront préalablement et unilatéralement été identifiés par Loto-Québec, d’une part, et dont la liste leur aura été communiquée par la Régie, d’autre part.
[88] Pour ce qui est des effets pratiques de cette obligation, le juge a retenu de la preuve administrée au moyen des déclarations sous serment des représentants des FSI Rogers, Bell Mobilité et Telus que l’obligation pour ces derniers de se soumettre à l’obligation prévue à l’article 260.35 et de bloquer aux seuls citoyens québécois l’accès aux sites de JHA considérés illégaux par Loto-Québec entraînerait des conséquences importantes sur la gestion et les opérations de leurs réseaux et équipements[95], à supposer même qu’elle pourrait être respectée.
[89] Il ne commet là aucune erreur révisable.
[90] Ainsi, M. Dallaire, vice-président, Approvisionnements - Technologie, chez Rogers, mentionne ce qui suit dans sa déclaration solennelle du 6 novembre 2017 :
[…]
IV. LES OBSTACLES À LA CAPACITÉ DE ROGERS À BLOQUER L’ACCÈS À DES SITES INTERNET
a. Les obstacles associés à la transmission des ondes et aux limites territoriales de la province
46. Tel qu’expliqué précédemment, un réseau de télécommunication sans fil n’est pas configuré en tenant compte des limites territoriales des provinces; le déploiement d’un réseau se fait dans une perspective nationale permettant ainsi d’assurer des services de télécommunications nationaux et internationaux continus et réguliers, de qualité similaire, à tous les abonnés et usagers du réseau, où qu’ils se trouvent au pays.
47. Je comprends que le gouvernement du Québec demandera aux fournisseurs de services Internet de bloquer l’accès aux sites Internet qu’il détermine et qu’il juge illégaux.
48. Or à ma connaissance, il est à toute fin pratique impossible pour Rogers de se conformer à cette obligation et d’assurer le blocage de l’accès à des sites Internet à partir de son réseau sur tout le territoire du Québec et uniquement sur ce territoire.
[…]
50. Si Rogers devait bloquer un site Internet désigné par le gouvernement du Québec, l’emplacement des tours de télécommunications et la configuration du réseau détermineraient les utilisateurs impactés par un tel blocage, dans la mesure où un tel blocage est possible.
[…]
52. Pour les abonnés demeurant près des frontières de la province (plus ou moins10 km de ces limites) à l’égard desquels des obligations de blocage seraient susceptibles de s’appliquer, il faudrait nécessairement :
i. revoir la configuration complète de l’ensemble du réseau de télécommunication et faire les modifications appropriées, selon le cas et éventuellement
ii. procéder au déploiement de nouvelles structures d’antennes et l’ajout de nouveaux équipements de télécommunications.
53. La réalisation de telles démarches, qui s’échelonneraient sur plusieurs mois, sinon années, nécessiterait l’intervention de nombreux employés et sous-entrepreneurs de Rogers, lesquels devraient être dédiés au projet afin d’éviter des pertes de couverture ou de capacité à son réseau.
54. Cependant, même dans ce scénario, il n’y a aucune certitude que ces interventions seraient possibles sans entraver la capacité de Rogers à conserver en tout temps sa capacité à assurer des services de télécommunications continus et réguliers.
55. Surtout, cela ne permettrait pas davantage de bloquer l’accès de façon définitive à tout site Internet, partout sur le territoire du Québec et uniquement sur le territoire du Québec.
b. Les obstacles associés aux réseaux de télécommunication privés (VPN)
56. Par ailleurs, Rogers a conclu plusieurs ententes de nature commerciale permettant l’exploitation de réseaux de télécommunications privés (VPN), lesquels sont ultimement reliés à son réseau de télécommunication.
57. Par exemple, une compagnie dont le siège social est en Ontario pourrait avoir des succursales au Québec, en Alberta et en Nouvelle-Écosse. Dans un tel cas, Rogers n’a aucun accès aux télécommunications transitant sur ce VPN.
58. Il est alors impossible pour Rogers d’identifier la provenance des demandes d’accès aux sites Internet faites à partir d’un VPN. Selon cet exemple, si la demande d’accès origine de la succursale de l’Alberta et que Rogers devait bloquer l’accès à des sites Internet identifiés par la réglementation québécoise, elle bloquera alors des demandes d’accès formulés par des personnes ne résidant pas au Québec.[96]
[91] Dans leurs propres déclarations solennelles des 3[97] et 2[98] novembre 2017, M. Rodin, Vice President, Wireless Networks, de Bell Mobilité, et M. Benhadid, Vice President, Planning and Engineering, chez Telus, confirment eux aussi ces obstacles, voire impossibilités, auxquels feraient face ces FSI si les obligations de blocage édictées par l’article 260.35 LPC leur étaient imposées.
[92] Dans la déclaration sous serment qu’il signe le 6 avril 2018[99] et que l’appelant a produite en première instance au soutien de sa position, l’ingénieur Lussier contredit quant à lui certains des dires précités des représentants de Rogers, Bell Mobilité et Telus[100]. Il avance ce qui suit, avec un niveau de clarté qui laisse à certains égards perplexe :
30. En configurant des règles de filtrage implantées sur l’équipement de filtrage, il est donc possible de filtrer les sites indésirables conditionnellement à ce que l’abonné se trouve dans un espace géographique. Cet espace géographique est défini par un site d’antenne ou un groupe de sites d’antenne.
31. La précision de la position géographique de l’abonné est relative à la couverture que le site d’antenne procure. Les sites d’antenne situés dans les milieux urbains peuvent avoir une couverture de quelques centaines de mètres et les sites d’antenne dans les milieux ruraux peuvent avoir des couvertures de plusieurs kilomètres.
32. Il est possible de créer un groupe de sites d’antenne ne couvrant que le Québec exclusivement.
33. Ce groupe de sites d’antenne peut inclure moins de cellules que celles qui sont au Québec pour s’assurer que les cellules près des frontières des autres provinces ne couvrent pas le territoire des autres provinces.
34. Les fournisseurs cellulaires sont en mesure de définir les sites d’antenne qui ne couvrent qu’exclusivement le territoire québécois puisqu’ils ont des informations détaillées sur la couverture de chacun des sites d’antenne.
35. Pour donner un ordre de grandeur d’une zone tampon entre le Québec et les autres territoires, cette zone pourrait être définie par la dimension d’un site d’antenne. Par conséquent, la grandeur de la zone tampon variera en fonction de l’étendue de la zone de couverture du site d’antenne à cet endroit.
36. Il existe plusieurs manufacturiers qui fournissent ces équipements de filtrage, mais en général les opérateurs cellulaires ont déjà ces équipements présents dans leurs réseaux.
[93] Dans ces circonstances, il était loisible au juge d’apprécier et de soupeser cette preuve écrite contradictoire[101] et d’en tirer les conclusions qu’il estimait justes et appropriées, sauf erreur manifeste et déterminante de sa part, ce que l’appelant échoue à démontrer.
[94] Au bout du compte, après examen de la preuve intrinsèque, de la preuve extrinsèque et des effets juridiques et concrets de l’article 260.35 LPC, la Cour conclut que le juge n’a commis aucune erreur en décidant que l’objet véritable de ce dernier est, pour le dire autrement, de permettre à Loto-Québec et à la Régie d’obliger les FSI à bloquer aux citoyens québécois l’accès aux signaux émis par les exploitants de sites de JHA en ligne.
[95] La conclusion supplémentaire du juge que cette mesure visait ultimement à permettre à la province d’augmenter ses revenus n’y change rien, voire est superfétatoire.
(iii) La deuxième étape du cadre analytique : la classification du caractère véritable de l’article 260.35
[96] Compte tenu des conclusions qu’il tire de la preuve concernant le caractère véritable de l’article 260.35, le juge détermine qu’en l’adoptant le législateur québécois, pour reprendre ses termes, « […] s’invite dans l’exploitation des réseaux de télécommunications, ce qui a été, à maintes reprises, jugé de compétence fédérale »[102] et, sur le même thème, qu’il intervient directement dans le champ de compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications[103].
[97] Cette détermination, qui relève de l’analyse constitutionnelle, est correcte et ne nécessite pas l’intervention de la Cour.
[98] Le Conseil privé et la Cour suprême ont en effet confirmé depuis plusieurs décennies et au fil d’une jurisprudence évolutive que le domaine des télécommunications de nature interprovinciale, qu’il s’agisse des entreprises qui y exercent leurs activités ou de leurs installations permettant la dispensation de services interprovinciaux de télégraphie, de téléphonie, d’émission de signaux, sonores ou visuels, ou de télévision par câble, par exemple, relève de la compétence exclusive du Parlement en vertu du paragraphe introductif de l’article 91 et des alinéas 92(10)a) et c) de la Loi de 1867. Les auteurs en droit constitutionnel en ont pris acte et, malgré que le plus haut tribunal du pays n’ait pas encore tranché la question, ils proposent d’appliquer la même approche et les mêmes raisonnements à la réception et à la transmission de signaux Internet, comme on le verra plus après.
[99] D’abord, dans l’affaire Toronto (City) v. Bell Telephone Co.[104], l’intimée Bell contestait la compétence de la Ville de Toronto, qu’une loi adoptée par la législature ontarienne lui conférait, de l’autoriser ou de lui refuser le droit d’installer sur le territoire municipal les lignes nécessaires à l’exploitation de son réseau téléphonique alors encore récent. Le Conseil privé a conclu, d’une part, qu’un réseau de téléphonie participe de l’évolution naturelle du « télégraphe » de l’alinéa 92(10)a) de la Loi de 1867[105]. D’autre part, concluant que Bell était une entreprise interprovinciale au sens du même paragraphe, le Conseil privé a aussi conclu que cette dernière et ses travaux étaient assujettis à la compétence législative exclusive du Parlement fédéral. Ce faisant, il a rejeté du même coup l’argument de la Ville concernant la possibilité d’une compétence législative hybride en distinguant les composantes de l’entreprise et de ses équipements, selon qu’ils exercent ou assurent des activités de téléphonie longue distance et interprovinciale, ou celles restreintes aux communications purement locales. Élément important à noter, à l’époque Bell n’avait encore établi aucune connexion réseau en dehors de la province de l’Ontario. Le Conseil privé conclut néanmoins que le seul fait que les objets de la société lui permettaient d’envisager étendre ses activités au-delà des limites de la province suffisait à qualifier globalement son entreprise et ses activités d’interprovinciales.
[100] Le professeur Hogg écrit ce qui suit au sujet de l’enseignement principal de cet arrêt, que le Conseil privé a aussi appliqué 50 ans plus tard en matière de transports[106] :
[…] the courts have not shrunk from the implication of Winner, and especially Bell Telephone, that an interprovincial connection need not be the major part of the undertaking’s activity in order to bring the undertaking within s. 92(10)(a). So long as the interprovincial services are a "continuous and regular" part of the undertaking’s operations, the undertaking will be classified as interprovincial.[107]
[101] Puis, en 1932, dans le cadre du renvoi concernant la radiocommunication au Canada[108], le Conseil privé confirmait la compétence exclusive du Parlement « to regulate and control radio communication », et ce, en vertu à la fois du paragraphe introductif de l’article 91 de la Loi de 1867 et de la compétence qui lui est dévolue, par exclusion de la compétence provinciale sur le sujet, à l’alinéa 92(10)a) :
[102] Résumant cet arrêt, l’auteur Howell mentionne ceci :
First, the expression “telegraph” was defined as “[a]n apparatus for transmitting messages to a distance, usually by signs of some kind,” thereby freeing this expression from any one technological mode and presenting a more general situation of transmission of information or intelligence. Second, the expression “undertaking” need not refer to an entity or an organization, but may be an activity or phenomenon such as “broadcasting,” and it need not be physical. This may, today, be of considerable significance in considering an application of this exclusion to a system of communication lacking organizational focus, as is the position with the Internet.[109]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[103] Le professeur Hogg assimile quant à lui la dimension nationale des communications radio à celle qui caractérise aussi l’aéronautique, et discute de la portée du renvoi sur la radiocommunication et de son application à l’industrie télévisuelle alors naissante, ainsi qu’à la transmission et à la réception d’images qu’elle permet :
It is clear that radio broadcasting has a similar, and perhaps stronger, claim to a national dimension or concern. The fact that radio frequencies do not respect provincial boundaries means that the limited range of frequencies cannot be assigned on a provincial basis, and the role of radio as an interprovincial and international link and as a force for national identity and unity also gives it an important national dimension.[110]
[…]
Television was almost unkown as a means of communication in 1932 when the Radio Reference was decided. But it had been invented, and the reference to the Court asked for its opinion as to the constitutionnal jurisdiction not only over sound radio, but also over the transmission and reception of "pictures". A report by the Minister of Justice which was placed before the Court described television and included it in the term "radio". Thus, although their lordships of the Privy Council made no specific reference to television in their opinion, their answer to the question referred did literally apply to television as well as radio. And, of course, the reasoning in the case applies with the same force to television as to radio. Broadcast television also utilizes electromagnetic waves in space, and its hardware or carrier system requires national regulation just as much as radio and for the same reason.[111]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[104] Cinquante ans plus tard, dans l’arrêt Capital Cities Comm. c. CRTC[112], la Cour suprême devait déterminer si l’intimée avait le pouvoir de réglementer les signaux de télévision émis par les appelantes. Ces dernières, basées aux États-Unis, y exploitaient des réseaux de télévision dont les signaux étaient captés par Rogers au Canada, pour retransmission à ses abonnés dans la région de Toronto. Les appelantes, supportées en cela par les procureurs généraux du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, contestaient la juridiction du CRTC au motif que, selon elles, la compétence législative concernant la réglementation des signaux de télévision reçus par câble est partagée entre le Parlement et les législatures provinciales, ces dernières étant seules compétentes à l’égard des signaux redistribués ou retransmis sur leurs territoires respectifs. Le juge en chef Laskin résume l’argument ainsi :
[…] la réception de signaux de télévision étrangers ou canadiens à l’antenne des compagnies de télévision par câble relève de la compétence exclusive fédérale. On prétend par contre qu’une fois captés par ces antennes, ils ne relèvent plus du pouvoir législatif fédéral et que la distribution ultérieure de ces signaux, modifiés ou non, à l’intérieur d’une province donnée relève exclusivement de la compétence de la province en question.[113]
[105] La Cour suprême, sous la plume du juge en chef, refusant de distinguer l’affaire de celle tranchée en 1932 par le Conseil privé dans le renvoi sur la radiocommunication, et à nouveau sur la base de l’alinéa 92(10)a), rejette la possibilité d’une dualité juridictionnelle et confirme la compétence exclusive du Parlement et, de ce fait, celle de l’intimée CRTC sur la réglementation des signaux de télévision par câble :
La prétention des appelantes et des procureurs généraux qui appuient leur thèse, exige que l’on fasse une distinction avec l’affaire de la Radio-communication (In re la réglementation et le contrôle de la radiocommunication au Canada) et qu’on en restreigne l’effet, […]
[…]
La question soulevée à la suite de l’affaire de la Radiocommunication est de savoir si la large portée des motifs, à partir d’une question visant spécifiquement la transmission et la réception par voie d’ondes hertziennes (comme un des moyens de radiocommunication), doit être restreinte aux fins de l’espèce parce que les ondes hertziennes se terminent à l’antenne des systèmes de câblodistribution et que les signaux portés par ces ondes sont alors convertis pour être transmis par câbles coaxiaux aux postes de télévision des abonnés.
[…]
Je ne puis admettre la prétention des appelantes et des procureurs généraux qui l’appuient, selon laquelle aux fins de la loi, on peut tirer une ligne de démarcation à l’endroit où les systèmes de câblodistribution reçoivent les ondes hertziennes. Il est évident que ces systèmes sont des entreprises qui s’étendent au-delà des limites de la province où sont situées leurs installations; en outre, […], ils constituent chacun une seule entreprise qui traite les signaux lui parvenant par-delà la frontière et les transmet, quoique après les avoir convertis, à ses abonnés grâce à son réseau de câbles. Le bon sens dont parlait le Conseil privé dans l’affaire de la Radiocommunication me semble encore plus nécessaire en l’espèce pour empêcher un partage de compétence à l’égard des mêmes signaux ou des mêmes émissions selon qu’ils parviennent aux téléspectateurs par ondes hertziennes ou par câbles coaxiaux.
[…]
Bien que cette Cour ne soit pas plus liée par les jugements du Conseil privé que par ses propres jugements, je suis d’avis que la décision rendue dans l’affaire de la Radiocommunication est bien fondée aux termes des art. 91 et 92(10)a).[114]
[Soulignements ajoutés]
[106] Puis, dans Régie des services publics et autres c. Dionne et autres[115], l’intimé et un autre avait été autorisés par l’appelante (la « Régie ») à construire et à exploiter une entreprise de câblodistribution ne desservant que des territoires déterminés et dont l’activité essentielle consistait à transmettre des sons et des images (« signaux »), par câble ou par autres moyens, à des postes récepteurs. Ces signaux pouvaient être créés par l’entreprise elle-même, ou captés par cette dernière à l’état libre, après avoir été émis par des postes émetteurs situés à l’extérieur ou à l’intérieur de la province de Québec.
[107] Au premier niveau d’appel, notre Cour avait annulé de façon unanime les décisions de la Régie et déclaré ultra vires de la législature québécoise, dans la mesure où elles pouvaient s’appliquer aux entreprises de câblodistribution de l’intimé Dionne, les dispositions de la Loi du ministère des communications[116] et de la Loi de la Régie des services publics[117] conférant à la Régie le pouvoir de rendre les ordonnances ayant habilité ce dernier et son associé à créer et à exploiter leurs entreprises.
[108] Dans l’arrêt de la Cour suprême rejetant le pourvoi à l’encontre de cet arrêt de notre Cour, le juge en chef Laskin observe ce qui suit pour la majorité :
Cette Cour a conclu, en se fondant sur les faits établis dans Capital Cities, que le Parlement du Canada a une compétence législative exclusive à l’égard de la réglementation des stations de télévision par câble et de leur programmation, du moins quand cette dernière implique l’interception de signaux de télévision et leur retransmission aux abonnés d’une entreprise de télévision par câble.[118]
[109] Et plus loin :
La question fondamentale n’est pas de savoir si le service de câblodistribution se limite aux abonnés de la province ou s’il est exploité par une entreprise locale, mais plutôt en quoi consiste ce service. […] Un autre élément à souligner est que lorsqu’il s’agit de transmission ou de réception de télévision, on ne peut pas plus séparer, aux fins constitutionnelles, le système de transmission, le dispositif matériel et les signaux reçus et diffusés par celui-ci qu’on ne peut séparer les voies de chemin de fer du service de transport qui les utilise ou les routes des véhicules de transport et des services de transport qu’ils assurent. Dans tous ces cas, il faut rechercher quel est le service fourni et pas simplement quels sont les moyens utilisés. Un partage de compétence constitutionnelle sur ce qui est, fonctionnellement, une combinaison de systèmes intimement liés de transmission et de réception de signaux de télévision, soit directement par ondes aériennes, soit par l’intermédiaire d’un réseau de câbles, prêterait à confusion et serait en outre étranger au principe de l’exclusivité de l’autorité législative, principe qui découle autant de la conception que la constitution est un instrument efficace et applicable, que d’une interprétation littérale de ses termes. […]
Je dois souligner qu’il ne s’agit pas d’un cas où les entreprises de câblodistribution limitent leurs activités à des émissions qu’elles produisent localement et transmettent à leurs abonnés locaux sur leurs lignes. Il est admis qu’elles utilisent des signaux de télévision reçus à leur antenne, qui proviennent de l’intérieur comme de l’extérieur de la province. Le fait qu’elles puissent faire des changements ou des coupures en transmettant les émissions à leurs abonnés ne change rien au fait qu’elles sont assujetties au contrôle fédéral.[119]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[110] Autre précédent pertinent aux fins du présent appel, en 1989, dans l’affaire Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications[120], la Cour suprême devait trancher si l’appelante (« AGT »), une société constituée par la province d’Alberta pour fournir des services de téléphonie et de télécommunications dans la province, relevait de la compétence fédérale, ou provinciale. Il importe d’abord de noter comment le juge en chef Dickson débute son analyse pour la majorité :
Permettez-moi de dire au départ qu'aucune partie ni aucun intervenant n'ont tenté en l'espèce de faire valoir l'existence d'une compétence partagée où les aspects intraprovinciaux ou locaux des opérations de l'AGT relèveraient de la province alors que les aspects interprovinciaux et internationaux relèveraient du Parlement. C'est une question de tout ou rien.
Il ressort clairement de la jurisprudence que si un ouvrage ou une entreprise relève de l’al. 92 (10)a), la province perd compétence à son égard et le Parlement fédéral exerce une compétence exclusive […][121]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[111] Le juge en chef conclut ensuite que l’appelante relève exclusivement de la compétence fédérale, pour les motifs essentiels suivants :
On a reconnu que l'AGT est une "entreprise" au sens de l’al. 92(10)a) […] et la question est de savoir s'il s'agit d'une entreprise de nature "locale" et donc de compétence provinciale ou une entreprise "reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province" et donc de compétence fédérale.
[…]
Cette Cour a clairement affirmé que l'emplacement des installations dans une province et le fait que tous les bénéficiaires d'un service se trouvent dans une seule province n'empêchent pas de conclure qu'une entreprise a une portée interprovinciale. Dans l'arrêt Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, […], le juge en chef Laskin, s’exprimant au nom de la Cour à la majorité, a rejeté un argument semblable à l'égard des sociétés de câblodistribution […]
[…] Il faut se préoccuper principalement non pas des structures matérielles ou de leur emplacement géographique, mais plutôt du service que l'entreprise fournit au moyen de ses installations matérielles. Le fait qu'une société ne possède pas ou n'exploite pas d'installations matérielles à l'extérieur d'une province donnée ne signifie pas que son entreprise est forcément de nature locale […].
Le fait que l'AGT émette et reçoive des signaux électroniques aux frontières de l'Alberta indique qu'elle exploite une entreprise interprovinciale. J'estime que la remarque déjà citée du juge en chef Laskin dans l'arrêt Capital Cities, est parfaitement applicable en l'espèce. Dans cet arrêt, le Juge en chef a dit des systèmes de câblodistribution qu'il était "évident que ces systèmes sont des entreprises qui s'étendent au-delà des limites de la province où sont situées leurs installations" […]. L'analogie est appropriée puisque le système de télécommunications de l'AGT, dans son ensemble, relie l'Alberta au reste du Canada et aux États-Unis, ainsi qu'à d'autres parties du monde. Il ne fait pas de doute qu'il s'étend au-delà de la province de l'Alberta.[122]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[112] Puis, cinq ans plus tard, dans l’arrêt Téléphone Guèvremont inc. c. Québec (Régie des télécommunications)[123], la Cour suprême devait trancher si l’appelante était une entreprise de téléphone purement intraprovinciale soumise à la juridiction de la Régie des télécommunications du Québec, ou s'il s'agissait plutôt d'une entreprise fédérale assujettie à la juridiction exclusive du Parlement du Canada et du CRTC.
[113] La Cour suprême, pour les motifs succincts suivants, confirme unanimement l’arrêt de cette Cour, lequel avait confirmé la compétence fédérale exclusive sur les activités de l’appelante :
Nous sommes tous d'avis que Téléphone Guèvremont Inc. est un ouvrage et une entreprise interprovinciale qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l’al. 92(10)a) et du par. 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867 en raison de la nature des services offerts et du mode d'opération de l'entreprise qui offre un service de transport de signaux en matière de télécommunications par lequel ses abonnés envoient et reçoivent des communications interprovinciales et internationales selon les motifs de Mme le juge Rousseau-Houle.
[114] Les motifs essentiels de la juge Rousseau-Houle au soutien de l’arrêt de notre Cour étaient les suivants :
Ces critères s'estompent toutefois devant ceux que la Cour suprême a reconnus comme cruciaux et définitifs dans les arrêts Alberta Government Telephones et Central Western. La question essentielle qui paraît désormais s'imposer est celle de savoir s'il existe, compte tenu de la nature des services offerts et du mode d'opération de l'entreprise, un lien opérationnel suffisant entre Téléphone Guèvremont et le système national de télécommunications pour fonder la compétence du Parlement fédéral.
La preuve a démontré que Téléphone Guèvremont offrait un service de transport de signaux en matière de télécommunications et qu'elle était l'intermédiaire par lequel ses abonnés locaux recevaient des communications interprovinciales et internationales. […].
[…]
La participation de Téléphone Guèvremont au trafic des signaux numériques ne commence ni ne prend fin aux frontières de ses territoires de Sainte-Rosalie et de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, ni non plus aux frontières de la province. Il y a inter-relation depuis le départ.
[…]
L'ensemble de ces faits démontre, à mon avis, qu'il existe un lien opérationnel suffisant entre le système de téléphone appartenant à Téléphone Guèvremont et le réseau national de téléphone pour fonder la conclusion que Téléphone Guèvremont relève de la compétence fédérale en tant que système de téléphone interprovincial visé à l'article 92(10)a) de la Loi constitutionnelle.[124]
[Soulignements ajoutés; caractères gras dans l’original]
[115] Enfin, en 2016, dans l’arrêt Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville)[125], la Cour suprême rappelle ceci :
[39] Toutefois, bien que la notion du fédéralisme coopératif soit devenue un principe invoqué par les tribunaux afin d’assouplir l’interprétation et l’application des doctrines constitutionnelles touchant le partage des compétences, telles la prépondérance fédérale et l’exclusivité des compétences, il ne peut ni l’emporter sur le partage lui-même ni le modifier. Il ne peut être considéré comme imposant des limites à l’exercice valide d’une compétence législative : Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), par. 17-19. Il ne peut pas non plus être utilisé pour valider des lois inconstitutionnelles. […]
[…]
[42] D’entrée de jeu, rappelons que le Parlement a une compétence exclusive en matière de radiocommunication, ce qui inclut le pouvoir de choisir l’emplacement de l’infrastructure de radiocommunication : In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada; Capital Cities Communications, p. 160-161. De plus, la compétence plus générale du Parlement sur les entreprises de télécommunication ne fait aucun doute lorsque ces dernières exercent leurs activités au-delà des limites d’une province, en application du par. 91(29) et de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 : Bell; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), [1994] 1 R.C.S. 878.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[116] Elle rejette également l’application de la théorie du double aspect en ces termes :
[51] Or, tel qu’il est expliqué plus haut, le caractère véritable de l’avis de réserve en l’espèce est de choisir l’emplacement des infrastructures en matière de radiocommunication. Nous ne pouvons y voir là une équivalence entre l’aspect fédéral, soit sa compétence en matière de radiocommunication, et les aspects provinciaux, soit la protection de la santé et du bien-être des résidents à proximité et le développement harmonieux du territoire.
[52] Par ailleurs, reconnaître un double aspect à l’emplacement des infrastructures en matière de radiocommunication impliquerait que le fédéral et les provinces peuvent légiférer à cet égard, ce qui serait contraire au précédent établi par le Conseil privé dans In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, selon lequel la compétence fédérale à l’égard de l’emplacement de telles infrastructures est exclusive.[126]
[Soulignement ajouté]
[117] Il faut conclure de ces précédents et de ces sources doctrinales que la compétence fédérale en matière de télécommunications interprovinciales, suivant le paragraphe introductif de l’article 91 et l’alinéa 92(10)a) de la Loi de 1867, revêt un caractère particulier vu sa dimension nationale et qu’elle ne s’accorde que difficilement en conséquence avec le principe du fédéralisme coopératif qui marque le partage des compétences au pays depuis quelques décennies déjà.
[118] L’appelant, tant dans son mémoire que lors des observations à l’audience, n’aborde pas véritablement cette question. Il se concentre plutôt sur le caractère véritable de la disposition contestée[127] en vue, ensuite, de le rattacher à l’une ou l’autre des compétences provinciales énumérées à l’article 92 et d’ultimement invoquer le principe du fédéralisme coopératif, la théorie du double aspect et une dualité de compétences fédérale-provinciale.
[119] Or, dans la mesure où il faut clairement conclure, comme l’a fait le premier juge, qu’on a affaire en l’espèce à des entreprises, à un réseau, à des installations et à des signaux à vocation interprovinciale et nationale, voire internationale, on ne saurait éroder la compétence fédérale exclusive à laquelle ils sont assujettis, comme le propose l’appelant.
[120] En effet, en ces matières, comme l’a souligné le juge Dickson, c’est « tout ou rien » et l’application de la théorie du double aspect ne peut être considérée, au risque de démembrer une compétence dont la dimension nationale est essentielle à l’exercice uniforme et cohérent qui doit la caractériser.
[121] D’ailleurs, comme plusieurs auteurs le proposent, avec raison selon la Cour, la compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications, développée, étendue et confirmée au fil des ans par le Conseil privé et la Cour suprême dans des affaires concernant la transmission de signaux radio, d’images, d’ondes hertziennes ou autres, au moyen d’installations et d’équipements divers, doit logiquement s’étendre aussi à l’émission, la réception et la retransmission de signaux Internet :
- L’alinéa 92(10)a) a été interprété comme conférant au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer relativement aux radiocommunications, à la téléphonie ainsi qu’à la télévision et à la câblodistribution et, même si la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur la question, il est clair que les communications par Internet relèvent de la compétence fédérale, si tant est qu’elles puissent être efficacement régies par des lois.[128]
- 1.29 Similar to telephone companies, there would seem to be federal jurisdiction over companies that function primarily in respect of communications on the Internet. Although there has not been a lot of case law on the point, this would seem specifically to be the case where companies fall into the category of interprovincial/international communications entities, as would be the case with Internet service providers and similar companies. Saying as much, tough, does not alter the fact that much regulation concerning conduct on the Internet will actually be provincial, as there are double aspect considerations here. […][129]
- However, for domestic constitutional purposes, it would appear that undertakings providing Canadian residents with access to the Internet would fall within the definition of interprovincial undertakings in section 92(10)(a) of the Constitution Act, 1867. For example, Internet service providers, the so-called gatekeepers to the Internet, allow computers connected through networks to communicate, transmit and receive information across the world. Since Internet service providers are integral to the transmission of telecommunications from one province to another and around the world, they must be regarded as federal undertakings subject to exclusive federal jurisdiction pursuant to section 92(10)(a).[130]
- […] there is today the substantial pervasiveness of the Internet as a telecommunications system or medium. It encompasses nearly all features of society. Any regulation of this medium as a communications system is almost certainly a federal jurisdiction.[131] […] Certainly all of the principles of constitutional demarcation between federal and provincial jurisdiction […] in the context of the traditional media (radio, television and cable, and satellite communications) will be relevant to the Internet. […] As a system of telecommunication it is utterly global and can present features of traditional broadcasting (point-to-mass) and traditional telecommunications (point-to-point). All of these features are exclusively federal jurisdiction.[132]
[Soulignements et caractères gras ajoutés; renvois omis]
[122] La proposition de l’appelant que le rejet de l’appel dans la présente affaire signifierait l’interdiction de toute législation provinciale « sur l’Internet » manque de nuances. Il est possible en effet que la compétence exclusive du fédéral sur les télécommunications ne puisse faire échec à une loi provinciale validement adoptée qui réglementerait certaines opérations ou conduites ayant cours sur Internet, par exemple en vertu de la compétence des législatures sur la propriété et les droits civils. On peut ainsi penser à certains aspects de la teneur de contrats conclus en ligne, ou encore à la diffamation. Ce ne sont que des exemples[133]. Comme le souligne l’auteur Howell :
Despite the very significant inclusion of content-related issues within federal jurisdiction in the context of the traditional media, greater scope will exist for provincial jurisdiction when the conceptual focus moves away from the system or the mode of communication itself and toward issues of content or use or application. Greater opportunity should exist in this context when applied to the medium of the Internet, where the pervasiveness is such that all areas of law, federal and provincial, may potentially present issues within the scope of the medium. This should facilitate recognition of matters of exclusive provincial jurisdiction, upon an application of the “pith and substance” test. The sale of goods, tritely within provincial jurisdiction, may be an example.
[…]
Beyond this, if a subject area is neither exclusively federal under a section 92(10)(a) analysis nor provincial under a pith and substance analysis, the Internet in its pervasiveness may, like the protection of the environment, attract a characterization as a shared category, with the court balancing between the two levels of government.[134]
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[123] La présente affaire ne se prête toutefois pas à l’examen de questions de ce type. En effet, le caractère véritable de l’article 260.35 en litige ne concerne pas, par exemple, la conduite des exploitants de sites privés de JHA en ligne (personne ne l’a d’ailleurs proposé) ou la teneur des contrats conclus entre les FSI et leurs abonnés (aucune partie ne l’a davantage soutenu). Cette disposition provinciale a au contraire pour objet, et pour effet, de réglementer, contrôler et empiéter de façon importante sur la gestion par les FSI, entreprises fédérales, de leurs modes et systèmes d’émission, de réception et de transmission de signaux Internet, soit un domaine de compétence exclusive du Parlement.
[124] Étant donné ces conclusions et la réponse négative donnée à la première des questions en litige, il n’est pas nécessaire, ni opportun, de passer à l’analyse des deuxième et troisième questions.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[125] REJETTE l’appel;
[126] AVEC les frais de justice.
[1] Association canadienne des télécommunications sans fil c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 3159 (le « jugement entrepris »).
[2] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.
[3] Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015, L.Q. 2016, c. 7.
[4] Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.
[5] Jugement entrepris, paragr. 65.
[6] Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 2 (« Définitions »).
[7] Une description technique et détaillée de la réception et de la transmission des signaux par les FSI à leurs abonnés, de même que des équipements et installations nécessaires à cette fin, est contenue dans les déclarations sous serment détaillées des représentants de Bell Mobilité inc. (Pièce P-25, Affidavit de M. Bruce Rodin, Vice President, Wireless Networks, 3 novembre 2017, M.A., vol. 3, p. 1065-1074); Telus (Pièce P-26, déclaration sous serment de M. Nazim Benhadid, Vice President, Planning and engineering, 2 novembre 2017, M.A., vol. 3, p. 1077-1086) et Rogers Communications inc. (« Rogers ») (Pièce P-27, Déclaration sous serment de M. Frédéric Dallaire, Vice-Président, Approvisionnement - Technologie, M.A., vol. 3, p. 1089-1099), de même qu’à celle de l’expert de l’appelant (Pièce non cotée, Déclaration sous serment de M. Guy Lussier, ing., SNC-Lavalin, 6 avril 2018, M.A., vol. 8, p. 3050-3054).
[8] Pièce P-27, précitée, note 7.
[9] Cette description par M. Dallaire est la même, à très peu de choses près, de celles contenues dans les déclarations assermentées de M. Rodin de Bell Mobilité, précitée, note 7, paragr. 12, 13, 16, 28 et 45 à 49, et de M. Benhadid, précitée, note 7, paragr. 11, 12, 15, 27 et 44 à 48.
[10] Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38.
[11] Art. 197 (définitions), 201 et suivants (jeux et paris interdits), 204 (exemptions relatives à certaines personnes impliquées dans certains paris et aux courses de chevaux), 206 et suivants (loteries et jeux de hasard interdits) et 207 (« Loteries autorisées ») C.cr.
[12] Loi sur la société des loteries du Québec, RLRQ, c. S-13.1, Section III.
[13] Pièce P-7, Plan stratégique 2014-2017 de Loto-Québec, p. 6, 8 et 10.
[14] Pièce D-8, Le jeu en ligne Quand la réalité du virtuel nous rattrape, Rapport du groupe de travail sur le jeu en ligne, Gouvernement du Québec, octobre 2014.
[15] Id., p. 44.
[16] Id., p. 47.
[17] Id., p. 25.
[18] Ibid.
[19] Id., p. 52, voir aussi p. 58-59.
[20] Id., p. 51.
[21] Id., p. 45.
[22] Id., p. 52.
[23] Pièce P-13, Le Plan économique du Québec, mars 2015, section G, sous-section 2.1.
[24] Ibid.
[25] Les articles 260.33 à 260.37 du nouveau titre III.4 de la LPC ne sont toutefois toujours pas en vigueur. Le législateur a prévu à l’article 225 de la Loi sur le budget qu’ils entreront en vigueur à la date fixée par le gouvernement, ce que ce dernier n’a pas encore fait en date du présent arrêt.
[26] Jugement entrepris, paragr. 98.
[27] Id., rubrique 4.1.4 et paragr. 101 à 106.
[28] Id., paragr. paragr. 128 à 130.
[29] Id., paragr. 140 à 143.
[30] Id., paragr. 148 et 150-151 (Toronto (City) v. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A.C. 52 (C.P.); Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, [1978] 2 R.C.S. 191; Capital Cities Comm. c. CRTC, [1978] 2 R.C.S. 141).
[31] Id., paragr. 148-149 (Johnson v. A.G. for Alberta, [1954] S.C.R. 127).
[32] Id., paragr. 155 et 158-159.
[33] Id., paragr. 143-144.
[34] Switzman v. Elbling and A.G. for Québec, [1957] S.C.R. 285, p. 287.
[35] Jugement entrepris, paragr. 163.
[36] Les licences dans le but de prélever un revenu pour des objets provinciaux.
[37] La propriété et les droits civils dans la province.
[38] L’administration de la justice dans la province.
[39] L’infliction de punitions par voie d’amende dans le but de faire exécuter toute loi de la province.
[40] Généralement, toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province.
[41] R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89, p. 103; Siemens c. Manitoba (Procureur général), 2003 CSC 3, paragr. 22; Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, paragr. n° VI-2.41.
[42] Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, p. 137.
[43] Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19.
[44] Paragraphe introductif de l’article 91, paragr. 91(29) et al. 92(10)a) et c) de la Loi de 1867; Toronto (City) v. Bell Telephone Co. of Canada, précité, note 30; Regulation & Control of Radio Communication in Canada, Re, [1932] A.C. 541 (C.P.); Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, précité, note 30; Capital Cities Comm. c. CRTC, précité, note 30; Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225; Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), [1994] 1 R.C.S. 878; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, paragr. 57; Renvoi relatif à la Loi sur la radiodiffusion, 2012 CSC 4; Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23.
[45] Paragr. 91(27) et, notamment, Johnson v. A.G. for Alberta, [1954] S.C.R. 127; Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17.
[46] Loi constitutionnelle de 1867, paragr. 92(7), (9), (10), (13) et (16).
[47] Schneider c. R., précité, note 42, p. 136-137; Mazzei c. Colombie-Britannique (Directeur des Adult Forensic Psychiatric Services), 2006 CSC 7, paragr. 34; Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 7e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2018, p. 480; Guy Régimbald et Dwight Newman, The Law of the Canadian Constitution, 2e éd., Toronto, LexisNexis, 2017, p. 440, n° 12.4.
[48] Renvoi relatif à la Loi sur la reproduction assistée, 2010 CSC 61, paragr. 52.
[49] Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, vol. 1, 5e éd., Toronto, Carswell, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, 2019), p. 32-1.
[50] Siemens c. Manitoba (Procureur général), précité, note 41.
[51] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44.
[52] Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, précité, note 45, paragr. 31.
[53] Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, paragr. 29.
[54] Ibid.
[55] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44, paragr. 36.
[56] Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, paragr. 18.
[57] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, paragr. 17.
[58] Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précité, note 44, paragr. 26.
[59] Chatterjee c. Ontario (Procureur général), précité, note 43, paragr. 17.
[60] R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 503-504; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), précité, note 57, paragr. 20-22; Procureur général du Québec c. Fédération des médecins spécialistes du Québec, 2020 QCCA 1770, paragr. 34; Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, précité, note 41, n° VI-2.39.
[61] Chatterjee c. Ontario (Procureur général), précité, note 43, paragr. 19.
[62] Ibid.
[63] Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), précité, note 53, paragr. 31; Ward c. Canada (P.G.), 2002 CSC 17, paragr. 17.
[64] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), précité, note 57, paragr. 18.
[65] Chatterjee c. Ontario (Procureur général), précité, note 43, paragr. 24.
[66] Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, précité, note 45, paragr. 31-32.
[67] Id., paragr. 66.
[68] Id., paragr. 22 et 25.
[69] Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.
[70] Id., paragr. 472.
[71] Consolidated Fastfrate inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, paragr. 26; Gift Lake Métis Settlement v. Alberta (Aboriginal Relations), 2019 ABCA 134, paragr. 18.
[72] Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, paragr. 26-27; au même effet ou à titre d’illustration : Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44, paragr. 66; Consolidated Fastfrate inc. c. Western Canada Council of Teamsters, précité, note 71; Northern Télécom c. Travailleurs en communications, [1983] 1 R.C.S. 733.
[73] Consolidated Fastfrate inc. c. Western Canada Council of Teamsters, précité, note 71, paragr. 26; Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis inc., 2007 CSC 14, paragr. 19.
[74] Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, précité, note 71, paragr. 26; A.G. of Ontario v. Winner, [1954] 4 D.L.R. 657, p. 680 (C.P.); Autobus Transco (1988) inc. c. Syndicat de Autobus Terremont ltée (CSN), 2020 QCCA 1787, paragr, 44, 45 et 77; Clean Harbors Québec inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2016 QCCA 177, paragr. 4.
[75] Voir notamment RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, paragr. 30 (motifs du j. La Forest).
[76] Id., paragr. 79 à 81 (motifs du j. La Forest), paragr. 121 (motifs du j. Cory) et paragr. 181 (motifs du j. Iacobucci).
[77] Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72.
[78] Id., paragr. 33, 50, 53, 55 et 56.
[79] Jugement entrepris, paragr. 98.
[80] Loi sur la protection du consommateur, précitée, note 2, art. 1 (définition de « ministre ») et 352.
[81] Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015, précitée, note 3, notes explicatives.
[82] Canada (Procureur général) c. Bedford, précité, note 77, paragr. 54-56.
[83] Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, paragr. 38; au même effet, Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, paragr. 33.
[84] Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, précité, note 45, paragr. 34; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), précité, note 57, paragr. 17.
[85] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), précité, note 57, paragr. 17.
[86] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44, paragr. 36.
[87] Assemblée nationale, Commission permanente des finances publiques, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., vol. 44, n° 6, 2 juillet 2014, p. 38, 39 et 42-44 (N. Marceau, C. Leitão et G. Bibeau).
[88] Assemblée nationale, Commission permanente des finances publiques, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., vol. 44, n° 50, 30 avril 2015, p. 92-95/174 et 104/174 (N. Marceau, C. Leitão et G. Bibeau).
[89] Assemblée nationale, Commission permanente des finances publiques, Journal des débats, 41e lég., 1re sess., vol. 44, n° 81, 3 décembre 2015, p. 30-32/77 et 36-38/77 (C. Leitão, N. Marceau et A. Spénard).
[90] Id., p. 55-58/77.
[91] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44, paragr. 36; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précité, note 44, paragr. 27.
[92] Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, paragr. 98.
[93] Jugement entrepris, paragr. 143.
[94] Id., paragr. 144.
[95] Id., paragr. 126-127.
[96] Pièce P-27, précitée, note 7, paragr. 46 à 55.
[97] Pièce P-25, précitée, note 7, paragr. 44 à 56.
[98] Pièce P-26, précitée, note 7, paragr. 43 à 55.
[99] Pièce non cotée, précitée, note 7.
[100] La teneur de certaines de ses allégations, notamment celles contenues aux paragraphes 34 et 36, tend même à prétendre que MM. Rodin, Benhadid et Dallaire mentent lorsqu’ils allèguent qu’il est impossible pour leurs commettants d’assurer le blocage de l’accès à des sites Internet sur tout le territoire du Québec et uniquement sur ce territoire à partir de leurs réseaux respectifs.
[101] Il est à noter que les auteurs de ces déclarations solennelles n’ont pas été interrogés, au préalable ou lors de l’instruction, ou du moins la transcription de ces interrogatoires, le cas échéant, n’a pas été reproduite dans le dossier d’appel. La question de l’appréciation de leur crédibilité par le juge s’en trouve donc fortement diluée, sinon écartée, en appel.
[102] Jugement entrepris, paragr. 128.
[103] Id., paragr. 165, voir aussi le paragr. 130.
[104] Toronto (City) v. Bell Telephone Co. of Canada, précité, note 30.
[105] Id., p. 57.
[106] A.-G. Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541.
[107] Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, précité, note 49, p. 22-9 (Chapitre 22 - Transportation and Communication); N.B. « undertaking » est la version anglaise du mot « entreprise » à l’alinéa 92(10)a), alors que « works » est celle de « travaux » que l’on retrouve au premier alinéa et à l’alinéa c) du même paragraphe. Dans l’arrêt Regulation & Control of Radio Communication in Canada, Re, précité, note 44, Lord Dunedin a par ailleurs précisé qu’un « undertaking » au sens de l’alinéa 92(10)a) « […] is not a physical thing, but an arrangement under which […] physical things are used » (p. 315).
[108] Regulation & Control of Radio Communication in Canada, Re, précité, note 44.
[109] Robert Howell, Canadian Telecommunications Law, Toronto, Irwin Law, 2011, p. 16.
[110] Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, précité, note 49, p. 22-28.1.
[111] Id., p. 22-33.
[112] Capital Cities Communications c. CRTC, précité, note 30.
[113] Id., p. 153.
[114] Id., p. 153, 157, 159 et 161.
[115] Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, précité, note 30.
[116] Loi du ministère des communications, L.Q. 1969, c. 65.
[117] Loi de la Régie des services publics, S.R.Q. 1964, c. 229.
[118] Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, précité, note 30, p. 196.
[119] Id., p. 197-198.
[120] Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des communications canadiennes, précité, note 44.
[121] Id., p. 256-257.
[122] Id., p. 258-260.
[123] Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), précité, note 44.
[124] Québec (Procureur général) c. Québec (Régie des télécommunications), [1993] R.J.Q. 77, 1992 CanLII 3743 (C.A.).
[125] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville), précité, note 44.
[126] Id., paragr. 51-52.
[127] A.A., paragr. 34-40.
[128] Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, précité, note 47, p. 464.
[129] Guy Régimbald et Dwight Newman, The Law of the Canadian Constitution, précité, note 47, p. 418, no 11.29.
[130] Patrick J. Monahan, Byron Shaw et Padraic Ryan, Constitutional law, 5e éd., Toronto, Irwin Law, 2017, p. 390.
[131] Robert Howell, Canadian Telecommunications Law, précité, note 109, p. 26.
[132] Id., p. 33.
[133] Sur la dichotomie entre Internet comme système de communications et le contenu Internet, ainsi que sur la possible compétence législative provinciale sur certains aspects du second, voir id., p. 26 et 33-34.
[134] Id., p. 44-45.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.